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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 11 Février 2016
Certes, aucun Etat signataire n'est épargné ; mais l'ennui, c'est que la France est un Etat récidiviste et qui ne semble pas faire évoluer sa législation vers plus de protections des droits et libertés des enfants, malgré les rapports et recommandations successifs.
Maintenant, à bien y regarder de près, l'état des droits et libertés pour les enfants n'est pas si différent de celui des adultes : et c'est sans doute ce manque de considération singulière qui heurte aujourd'hui les vigiles de la Convention. Les droits des enfants sont, en effet, les mêmes droits de l'Homme que ceux des adultes, adaptés au particularisme et à la fragilité, surtout, de la condition enfantine.
Alors, on ne s'étonnera pas que le rapport fasse état, par exemple, de l'insuffisance du budget alloué aux secteurs sociaux pour les enfants en situation défavorisée, comme les enfants roms, les enfants migrants, y compris les demandeurs d'asile et les enfants réfugiés... mais plus surprenant -et peut-être dérangeant pour la solidarité nationale-, sont visés également les enfants de Mayotte et des autres départements et territoires d'outre-mer ! Et si de manière générale, le Comité recommande de faire de l'éradication de la pauvreté des enfants une priorité nationale et d'allouer des ressources techniques, financières et humaines à des programmes pour soutenir notamment les enfants de familles monoparentales, vivant dans des bidonvilles ou dans des "zones urbaines sensibles"... les enfants vivant dans les DOM-TOM et les enfants migrants non accompagnés, sont ici encore visés.
Chacun sait, notamment, les mauvaises conditions relatives à l'éducation et à l'accès aux soins des enfants migrants, dans la zone de Calais et de Grande-Synthe. Le Secours catholique et Médecins du monde ont, d'ailleurs, décidé d'intervenir en soutien à plusieurs référés-libertés déposés par des mineurs isolés étrangers au tribunal administratif de Lille, afin que des mesures de protection soient prises en leur faveur.
Mais croire que le rapport du Comité des droits de l'enfant se focalise uniquement sur l'insalubrité et l'insécurité des enfants migrants ou roms serait trompeur. Les recommandations sont, malheureusement, encore plus précises et fortes pour promouvoir une culture de l'égalité, de la tolérance et du respect mutuel, pour prévenir et combattre la discrimination persistante.
Le Comité recommande ainsi à la France d'intensifier ses efforts pour combattre les stéréotypes de genre ; mais aussi de développer et mettre en oeuvre un protocole de soins de santé fondée sur les droits pour les enfants intersexués...
Le Comité recommande ainsi à la France l'adoption d'une stratégie globale de prévention et de lutter contre toutes les formes de violence contre les enfants, notamment d'interdire légalement la pratique des enfants "d'emballage" et toute autre pratique qui revient à de mauvais traitements ; mais aussi de redoubler d'efforts pour changer les traditions et les pratiques qui entravent le bien-être des enfants, notamment en interdisant l'accès aux enfants à la tauromachie et les performances violentes associées...
Le Comité recommande ainsi à la France d'interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes et d'établir l'obligation de tous les juges d'aborder systématiquement la question de la révocation de la responsabilité parentale dans les cas de parents condamnés pour des infractions graves contre un ou plusieurs de leurs enfants.
Le rapport n'en reste pas à des considérations générales. Il préconise ainsi de faire respecter pleinement le droit de l'enfant à connaître ses parents biologiques, ses frères et soeurs et recommande la suppression de l'exigence du consentement de la mère biologique pour révéler son identité. Comme il exhorte la France à remplacer le terme "autorité parentale" avec celle de la responsabilité parentale, ou une terminologie semblable en conformité avec les droits de l'enfant...
Le Comité constate que la condition des enfants handicapés n'est pas non plus conforme aux droits et libertés de la Convention. La France doit ainsi reconnaître le droit de tous les enfants à une éducation inclusive et faire en sorte que l'éducation intégratrice soit prioritaire sur le placement des enfants dans des institutions spécialisées et des classes séparées à tous les niveaux. Le rapport recommande dès lors de former tous les enseignants et les professionnels de l'éducation sur l'éducation inclusive et la fourniture d'un soutien individuel, des environnements inclusifs et accessibles, en accordant l'attention voulue à la diversité spécifique de chaque enfant ; sans oublier d'entreprendre des campagnes de sensibilisation pour lutter contre la stigmatisation et les préjugés contre les enfants handicapés.
Le droit des étrangers est bien entendu visé. Le Comité souhaiterait que la France évite la détention des enfants en zone d'attente et mette un terme à l'utilisation de tests d'os.
Enfin, sur la justice des mineurs, le rapport préconise de fixer un âge minimum de la responsabilité pénale, pas en dessous de l'âge de 13 ans et en exigeant la capacité de l'enfant de discernement ; de ne pas traiter les enfants de plus de 16 ans comme des adultes ; de veiller à ce que, dans la pratique, la détention ne soit utilisée comme une mesure de dernier ressort et pour la plus courte durée possible, enfin de mettre en place des installations spécialisées de justice pour mineurs.
En 2010, la Cour de cassation affirmait que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants conformément à l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, directement applicable devant les tribunaux français.
La question n'est donc plus, heureusement, d'envisager les droits et libertés de l'enfant sous le prisme de son intérêt : "l'intérêt de l'enfant" commande au juge depuis plus d'une dizaine d'années, et ce de manière de plus en plus croissante, de l'interdiction de la filiation incestueuse au droit de visite des grands-parents maintenu malgré la suspension du droit de visite du père, en passant par la longue saga de l'adoption dans les couples homosexuels. En revanche, il n'est pas de l'intérêt de l'enfant, âgé de 18 mois, né sous X, et placé dans une famille en vue d'adoption, d'être restitué à son père biologique, lequel était incarcéré au moment de la naissance de l'enfant et l'avait reconnu postérieurement.
Maintenant, il est vrai que le Gouvernement a renoncé à légiférer sur les fessées et que le nouveau Garde des Sceaux est prié de botter en touche sur la justice des mineurs, malgré une nécessaire et arlésienne réforme de l'ordonnance de 1945. Comme il est vrai que l'interdiction de la tauromachie demeure un problème culturel dans plusieurs de nos régions... Rien d'insurmontable pour envisager un prochain rapport du Comité des droits de l'enfant plus clément, me diriez-vous ? Mais ne nous y trompons pas, on mesure la considération d'une Nation pour ses enfants au regard de la protection des plus faibles d'entre eux, c'est-à-dire des enfants migrants isolés et des handicapés et là, clairement, les volontés manquent sous le voile de l'indifférence générale. Comme le DALO, la France envisage l'atteinte aux droits et libertés fondamentales par le biais de la réparation, de l'indemnisation plutôt que l'efficience de ces droits, pourtant "rien ne peut compenser une seule larme d'un seul enfant", écrit Dostoïevski dans Les frères Karamazov.
Alors, relisons Les Orientales d'Hugo, et plus particulièrement son poème sur L'enfant, où comment, alors que "Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil" dévastée par les turcs, "Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,/Courbait sa tête humiliée", et à la question "Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner/Pour rattacher gaîment et gaîment ramener/En boucles sur ta blanche épaule/Ces cheveux, qui du fer n'ont pas subi l'affront", répond de manière cinglante à l'occidental qui l'interpelle : "Je veux de la poudre et des balles". Tout est dit, ici, en juillet 1828.
La France demeure encore ce pays qui vit Rousseau changer profondément et moderniser l'appréhension de l'éducation et de l'instruction de l'enfant... Des enfants de la noblesse et de la grande bourgeoisie, s'entend... Rousseau, lui qui abandonna les siens. C'est toute l'ambiguïté du pays d'Emile.
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