La lettre juridique n°634 du 26 novembre 2015 : Éditorial

Encadrement des stages : partager le pain en attendant la brioche

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 26 Novembre 2015


"La jeunesse est toujours encline à je ne sais quelle promptitude de jugement qui lui fait honneur, mais qui la dessert ; de là venait le silence imposé par l'éducation d'autrefois aux jeunes gens, qui faisaient auprès des grands un stage pendant lequel ils étudiaient la vie, car autrefois la noblesse comme l'art avait ses apprentis, ses pages dévoués aux maîtres qui les nourrissaient".

Entre l'omerta des apprentis de Balzac, dans La comédie humaine, et la reconnaissance d'un statut, de droits, d'avantages et d'acquis sociaux, comme l'impose la loi du 10 juillet 2014, tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires, il y avait une marge d'appréciation, que le Parlement ne souhaita pas explorer plus avant.

Engagement présidentiel n° 39, l'encadrement des stages est désormais effectif ; la loi du 10 juillet 2014 venant d'entrer en vigueur avec la publication de son dernier décret d'application.

Pour mémoire, afin d'améliorer l'insertion professionnelle des jeunes, plusieurs mesures sont mises en place afin que les stages soient des outils de formation. Le texte vient notamment instaurer d'un plafond maximum de stagiaires en fonction des effectifs salariés adapté à la taille des entreprises -le décret du 26 octobre 2015 fixant ce plafond à 15 % des effectifs de l'entreprise, et 3 stagiaires pour une entreprise de 20 salariés-. Il met également en place un double suivi des stagiaires par les établissements d'enseignement et par un tuteur désigné à cet effet dans les entreprises et vient renforcer les moyens permettant d'identifier et de sanctionner les abus éventuels. La loi prévoit l'instauration d'autorisation d'absence et de congés et aligne le temps de présence des stagiaires sur celui des salariés. Enfin, plusieurs mesures en faveur de l'amélioration de la situation sociale des stagiaires sont également adoptées. Ainsi les stagiaires ont un droit d'accès aux restaurants d'entreprises, ils peuvent bénéficier des titres restaurants ou du remboursement des frais de transports lorsqu'ils existent pour les salariés, ils sont exonérés d'impôt sur le revenu de la gratification, et le montant de la gratification mensuelle minimale prévue pour les stages de plus de deux mois est revalorisé.

Sur le papier, rien à redire : il devenait nécessaire de mettre un coup d'arrêt aux abus constatés dans certaines structures dont le fonctionnement était basé sur l'exploitation d'un nombre de stagiaires conséquents, pour effectuer des travaux réguliers et en quasi-autonomie, à un coût défiant tout dumping asiatique -ou presque-.

Malheureusement, moins d'un mois après l'entrée en vigueur de la loi, les médias se font fort de constater les travers inhérents de la loi, adoptée sans étude d'impact préalable comme pour mieux marquer du sceau dogmatique l'adoption d'une loi qui n'a pas fini de faire grincer les dents les entrepreneurs à qui il est demandé de participer, de plus en plus, à la formation des jeunes et de leurs salariés et, bientôt, d'engager en nombre des docteurs universitaires.

Il n'y a qu'à lire le rapport d'information adjoint à la proposition de loi devant l'Assemblée nationale pour s'inquiéter des dérives législatives lorsqu'une proposition de loi, donc non élaborée par les services du Gouvernement et l'administration "mandarine" y affectée, est adoptée sans étude d'impact préalable.

Le constat de l'époque :

- 32 % des 900 000 étudiants inscrits à l'université suivent un stage ;

- 1,6 million de stages par an (contre 600 000 en 2006) ;

- 60 % des stages gratifiés pour un montant compris entre le seuil réglementaire et 600 euros ;

- 20 % des stages gratifiés pour un montant supérieur à 600 euros ;

- 20 % des stages gratifiés pour un montant inférieur au taux réglementaire (avant la loi du 22 juillet 2013).

Malgré cela, : le chômage des moins de vingt-cinq ans y a continué sa progression et s'établit à 24 % en moyenne, mais à plus de 50 % -soit plus du double- dans certains territoires ruraux, dans les zones urbaines sensibles et dans les départements d'outre-mer.

Parallèlement la Commission nationale de lutte contre le travail illégal a examiné le bilan et les perspectives du PNLTI 2013-2015. L'objectif quantitatif concernant la lutte contre les abus en matière de stage (+10 % de contrôles des services de contrôle compétents dont l'Inspection du travail) a été confirmé.

La crainte exprimée à l'époque :

- une réduction drastique du nombre de stages, alors que les stages sont aujourd'hui obligatoires dans de nombreuses formations, notamment lorsqu'elles sont professionnalisantes.

L'Enfer est pavé de bonnes intentions...

Aujourd'hui, le constat est amer. En ajoutant des contraintes aux contraintes, l'offre se raréfie et surtout les moyens de contournement de la loi se développent, rendant plus obscure encore la pratique du stage.

D'abord, révèle Le Monde daté du 12 novembre 2015, "dans certains territoires ruraux ou périurbains où les entreprises susceptibles de proposer des stages sont si rares, alors qu'ils sont nécessaires pour valider un diplôme, les directeurs d'établissement font pression pour que [les inspecteurs du travail] ferm[ent] les yeux sur le maintien de pratiques clairement hors la loi" -notamment quant au plafond de stagiaires ; quand le ministre de l'époque, François Rebsamen, s'engageait à ce que ce plafond ne concerne pas les cabinets d'avocats (communiqué du 17 septembre 2014)-.

Ensuite, le décalage entre l'offre de stages et la demande des étudiants est tel que le conventionnement est devenu un business, révèle encore le quotidien. Emergent sur le web, des officines peu scrupuleuses proposant des conventions de stage en 24 heures, à partir de 500 euros, ou liant formations en ligne et une convention de stage, pour plus de 400 euros...

Pourtant qu'elle est belle l'idée du compagnonnage. Sans faire préalablement son tour de France ou, maintenant, d'Europe, et réaliser de prime abord un chef-d'oeuvre, le fait de passer quelques mois sous l'égide d'un maître et de bâtir son temple professionnel, est loin d'être suranné : c'est même indispensable. Pour ne parler que d'une profession que l'on connaît quelque peu, les avocats, l'on sait que la suppression du stage, avant de pouvoir s'installer seul, ne fait pas l'unanimité et pourrait connaître un prochain rétablissement. Dans le même sens, le juge (cour d'appel de Versailles, le 3 novembre 2015) ne manque pas de rappeler que le contrat de collaboration est incontournable de la profession ne serait-ce que parce que ce contrat est la traduction d'un compagnonnage entre un jeune avocat et un autre expérimenté en vue de développer une clientèle propre.

"Partager le pain avec un autre", tel est en principe l'offre que sont censés proposer les entreprises ou cabinets chargés de la formation des jeunes diplômés. Il est loin le temps où Saint Louis interdisait à tout ouvrier de quitter son maître sans son accord !

Le Siècle des Lumières fut un siècle d'émancipation aussi parce que les compagnons acquirent un pouvoir considérable en organisant des grèves, contrôlant les embauches dans une ville, établissant des "interdictions de boutiques" contre les maîtres récalcitrants, mettant même l'interdit sur des villes entières, les privant de toute possibilité d'embauche et les menaçant par là même de faillite généralisée.

Reste sans doute aux guildes des stagiaires d'aujourd'hui à trouver le bon équilibre entre le respect de leurs droits fondamentaux et la préservation de leurs intérêts premiers : trouver un stage formateur et s'insérer sur le marché du travail.

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