Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2015, n° 373038, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9170NCM)
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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section
le 09 Avril 2015
Une société de droit italien était la société mère d'une société française. Cette dernière a procédé au cours de l'année 2002 (c'est important) à des distributions de dividendes à sa société mère. A l'occasion de ces distributions, la société française a acquitté une retenue à la source au taux de 25 %, en application des dispositions combinées du 2 de l'article 119 bis et de l'article 187 du CGI (N° Lexbase : L0960IZL). La société italienne a toutefois demandé et obtenu le bénéfice des stipulations de l'article 10 § 2 de la Convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989 (N° Lexbase : L6706BHT) prévoyant la limitation du taux de la retenue à 15 %. Elle a également demandé qu'en application de l'article 10 § 3, point b de cette même Convention, lui soit versée une somme égale à la moitié de l'avoir fiscal auquel elle pourrait prétendre si elle était résidente de France, diminuée de la retenue à la source. L'administration a fait droit à cette demande en février 2004.
Puis la société italienne a estimé que plusieurs arrêts rendus par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) en 2006 et 2007 avaient révélé la non-conformité au droit de l'Union européenne des dispositifs fiscaux français de retenue à la source et d'avoir fiscal dont il lui avait été fait application. Elle a présenté le 18 décembre 2008 une réclamation, fondée sur les dispositions des quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du LPF et du c de son article R. 196-1, par laquelle elle demandait la restitution du solde de la retenue à la source et le versement d'une somme correspondant à la seconde moitié de l'avoir fiscal, diminuée de la retenue à la source.
Cette réclamation ayant été rejetée, la société a saisi le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 13 octobre 2011, n° 0912394/2-3 N° Lexbase : A9224NCM) qui a fait droit à sa demande de restitution du solde de la retenue à la source. Il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à l'attribution d'un complément d'avoir fiscal. Le ministre a fait appel, la société a réagi en formant un appel incident. La cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 27 juin 2013, n° 12PA00725, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1728MPP) a donné entièrement raison à l'administration, en accueillant l'appel du ministre et en rejetant l'appel incident de la société. Cette dernière se pourvoit en cassation.
1. Pour accueillir l'appel du ministre, la cour a estimé que la réclamation présentée par la société tendait à la restitution d'une imposition qui n'était pas comprise dans la "période répétible" de l'article L. 190 du LPF. La cour a relevé que la société se prévalait de décisions juridictionnelles rendues en 2006 et 2007. Elle en a déduit que l'action en restitution ne pouvait porter que sur une période postérieure au 1er janvier 2003 (ce qui ne fait pas de doute). Puis elle a jugé que "dès lors, l'action en restitution ne pouvait porter sur une retenue à la source dont le fait générateur est intervenu au cours de l'année 2002, lors de la distribution des dividendes, nonobstant la circonstance que, en l'espèce, le paiement de la retenue à la source n'a eu lieu qu'en 2003".
La cour a donc considéré que les impositions dont la restitution peut être demandée sur le fondement du quatrième alinéa de l'article L. 190 du LPF sont les impositions dont le fait générateur est compris dans la "période répétible" qu'il définit, et non les impositions dont le paiement intervient au cours de cette période. La société soutient en cassation que cette interprétation est entachée d'erreur de droit et que sont comprises dans la "période répétible" les impositions versées durant cette période.
Il semble louable d'hésiter sur la réponse à apporter à cette question, qui paraît inédite dans la jurisprudence du Conseil d'Etat.
Dans le sens de la position défendue par la société, il est possible de relever un argument de texte (mais il ne commande pas la solution). Le quatrième alinéa de l'article L. 190 mentionne "l'action en restitution des sommes versées". On peut y voir un indice de ce que la restitution ne peut porter que sur les sommes versées postérieurement au 1er janvier de la troisième année qui précède celle au cours de laquelle la décision juridictionnelle révélant la non-conformité de la règle de droit appliquée est intervenue. Mais il est tout à fait possible de soutenir que les mots "sommes versées" en début de phrase doivent s'analyser de façon indépendante de la définition de la "période répétible" qui figure en fin de phrase. Et que cette référence à des "sommes versées" a pour seule fonction de rappeler que l'action en restitution ne peut porter, en toute hypothèse, que sur des montants d'impôts effectivement acquittés.
L'interprétation retenue par la cour administrative d'appel de Paris n'est donc pas incompatible avec la lettre du texte. Il convient d'ailleurs de relever qu'elle réitérait là une position qu'elle avait déjà prise en 2007 (CAA Paris, 12 décembre 2007, n° 05PA04005 N° Lexbase : A9186D3M, RJF, 4/2008, n° 503) et que la cour administrative d'appel de Nantes avait ensuite reproduite (CAA Nantes, 30 novembre 2009, n° 08NT02792 N° Lexbase : A9070EPM, RJF, 4/2010, n° 410).
La lettre de la loi n'étant pas claire, il semble utile de se reporter aux travaux parlementaires. Ceux-ci tendent à conforter la position de la société.
Le quatrième alinéa de l'article L. 190 du LPF est issu de la loi de finances rectificative pour 1989 (2). L'adoption de cette disposition avait pour objet de limiter les effets de la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle les actions en restitution fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il avait été fait application à une règle de droit supérieure obéissaient aux règles de droit commun du contentieux civil et ne connaissaient pas d'autre limite que la prescription trentenaire. Le législateur avait d'abord prévu une "période répétible" de quatre ans, ramenée ensuite à trois ans par la loi de finances pour 2006 (3). En 1989, les travaux parlementaires n'évoquent pas le critère de rattachement à cette période des impositions dont la restitution peut être demandée et il nous paraît difficile d'en tirer quoi que ce soit de décisif sur la question posée par cet arrêt. En revanche, en 2005, les parlementaires font référence aux impôts "payés" ou "versés" postérieurement au 1er janvier de la troisième année qui précède celle au cours de laquelle est intervenue la décision juridictionnelle, et non aux impôts dont le fait générateur est né postérieurement à cette date (4). En dernier lieu, les travaux préparatoires de la troisième loi de finances rectificative pour 2012, par laquelle le législateur avait déjà remis en cause le dispositif de réclamation en question au cas présent (5), contiennent un intéressant descriptif de l'état du droit antérieur à l'intervention du législateur (6). Ce descriptif fait exclusivement référence aux impositions "versées" pendant la "période répétible".
Enfin, il faut savoir que l'interprétation adoptée par l'administration fiscale dans ses instructions publiées va dans le même sens que celle défendue par la société requérante. Cette position n'est pas explicitée dans le corps d'une instruction. Mais l'exemple donné à l'annexe 2 à l'instruction référencée 13 O-1-06 (N° Lexbase : X7226ADY) (7), par laquelle l'administration commente les modifications de l'article L. 190 issues de la loi de finances pour 2006 (loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6429HET), est très clair. C'est d'ailleurs le même exemple, avec le même schéma qui l'accompagne, que l'on retrouve dans les travaux parlementaires de la loi de finances rectificative pour 2012 dont il vient d'être fait état. Et c'est sans doute pourquoi le ministre des finances, en défense au pourvoi de la société italienne, s'en remet à la sagesse du Conseil d'Etat sur ce point.
Que déduire de tout cela ?
Comme il a été déjà dit, l'interprétation des cours administratives d'appel de Paris et Nantes n'est pas indéfendable au regard de la lettre du texte. Et cette interprétation, qui consiste à rattacher les impositions concernées par la "période répétible" en fonction de leur fait générateur, a pour elle l'objectivité. Alors que l'interprétation qui retient le critère du paiement de l'impôt conduit au contraire à faire dépendre l'étendue du droit à restitution du comportement subjectif du contribuable (de surcroît), en avantageant ceux qui ont acquitté l'impôt plus tard que d'autres, le cas échéant avec retard.
En dépit de cette objection, il convient de se rallier à l'interprétation défendue par la société dans son pourvoi, essentiellement pour des raisons d'intelligibilité de la loi. D'une part, parce que le critère du paiement de l'impôt, sans être commandé par la lettre du texte, y trouve tout de même une accroche (ceci a été dit ci-dessus). En l'absence d'autres précisions apportées par la loi, il est assez naturel de lire la "période répétible" à la lumière de la référence à "l'action en restitution des sommes versées" mentionnée par le texte. D'autre part, parce que le critère du fait générateur de l'impôt paraît ouvrir la voie à plus d'incertitudes que celui de son paiement. Le Conseil d'Etat sait qu'il n'est pas toujours évident de définir le fait générateur d'un impôt donné et qu'il est parfois difficile, une fois celui-ci défini, et dans un cas d'espèce particulier, de dire à quel date il s'est réalisé (le pourvoi le souligne à raison). Le paiement de l'impôt, au contraire, est un critère dont le maniement est simple. Et il paraît important de retenir une interprétation de l'article L. 190 du LPF qui rende aisément déterminable par les contribuables l'étendue du droit à réclamation qu'il prévoit.
Le Conseil d'Etat doit alors accueillir le moyen d'erreur de droit soulevé par la société et ainsi annulez l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur l'appel du ministre, c'est-à-dire sur la seule partie du litige relative à la retenue à la source acquittée par la société.
2. Les Hauts magistrats devront ensuite examiner l'autre moyen du pourvoi, qui est dirigé contre l'arrêt en tant qu'il rejette l'appel incident de la société, lequel portait sur le versement d'une somme correspondant à la seconde moitié de l'avoir fiscal.
Sur ce point, la cour administrative d'appel a jugé que les arrêts de la Cour de justice dont la société se prévalait n'avaient pas révélé la non-conformité du dispositif français de l'avoir fiscal au droit de l'Union européenne. Elle en a conclu que la société ne pouvait pas se prévaloir de la faculté de réclamation spéciale ouverte par les quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du LPF. La société ne critique pas ce raisonnement mais elle fait valoir que la cour a omis de répondre à un moyen qu'elle soulevait. Ce moyen était tiré de ce que sa réclamation n'était en tout état de cause pas tardive au regard des délais de réclamation de droit commun, dès lors que ceux-ci n'avaient pas expiré, faute que lui aient été indiqués les voies et délais de recours contre la décision de février 2004 de ne lui verser que la moitié de l'avoir fiscal.
Une telle argumentation était bien soulevée, quoique brièvement, devant la cour administrative d'appel et celle-ci aurait dû y répondre. Pour autant, ce défaut de réponse n'entache pas son arrêt d'irrégularité dès lors que l'argumentation était inopérante. En effet, d'une part, la décision de février 2004 n'est pas une décision par laquelle l'administration a porté une imposition à la connaissance du contribuable. Elle n'avait donc pas à indiquer l'existence et le caractère obligatoire de la réclamation prévue à l'article R. 190-1 du LPF (N° Lexbase : L6750ISS), ainsi que les délais dans lesquels le contribuable doit exercer cette réclamation (obligation que la jurisprudence du Conseil d'Etat a dégagée pour les avis d'imposition et avis de mise en recouvrement) (voir CE 9° et 10° s-s-r., 27 juin 2005, n° 259368, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9598DIC, RJF, 10/2005, n° 1101 ; CE 9° et 10° s-s-r., 26 mars 2012, n° 325404, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0175IHX, RJF, 6/2012, n° 644). D'autre part, la décision de février 2004 faisait entièrement droit à une demande de la société du 4 septembre 2003 par laquelle celle-ci demandait à bénéficier des stipulations de l'article 10 § 3, point b de la Convention franco-italienne, celles-ci prévoyant le paiement d'une somme correspondant à la moitié de l'avoir fiscal, diminuée de la retenue à la source. Ce n'est que postérieurement, par une réclamation du 18 décembre 2008, que la société a prétendu obtenir le versement d'une somme correspondant à la seconde moitié de l'avoir fiscal. La réclamation à l'origine du litige est donc indépendante de la décision de février 2004 et l'absence d'indication des voies et délais de recours dans cette décision est strictement sans incidence sur la recevabilité de cette réclamation.
Par conséquent, l'annulation des articles 1er et 2 de l'arrêt attaqué doit être prononcée.
(1) Voir, à titre principal, les dispositions de l'article 48 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW), qui modifient celles de l'article L. 190 du LPF. Voir aussi le décret n° 2013-643 du 18 juillet 2013, relatif aux délais de réclamation applicables aux actions mentionnées aux troisième et cinquième alinéas de l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L4596IXI), modifiant l'article R. 196-1 du LPF.
(2) Loi n° 89-936 du 29 décembre 1989, de finances rectificative pour 1989, art. 36 (N° Lexbase : L3082I8N).
(3) Loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006, art. 117 (N° Lexbase : L6429HET).
(4) Voir en ce sens notamment les propos du sénateur P. Marini lors de la séance du 12 décembre 2005 (discussion de l'article 72 du projet de loi de finances).
(5) Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 26 (N° Lexbase : L7970IUQ).
(6) Voir notamment les rapports déposés en première lecture par le député Christian Eckert (doc. AN 14ème législature, n° 465, pp. 164-165) et le sénateur François Marc (doc. Sénat 2012-2013 n° 213, pp. 186-187) au nom des commissions des finances des deux assemblées.
(7) Publiée au Bulletin officiel des impôts du 10 août 2006.
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