Lexbase Affaires n°408 du 15 janvier 2015 : Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Janvier 2015

Lecture: 11 min

N5513BUQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Janvier 2015. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/22679396-chronique-chronique-de-droit-de-la-concurrence-et-de-la-distribution-janvier-2015
Copier

par Pauline Le More, Avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat

le 17 Mars 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat. L'auteur commente, tout d'abord, la Directive 2014/104/UE, publiée le 5 décembre 2014 au Journal officiel de l'Union européenne et relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres. Elle revient ensuite sur l'arrêt rendu par le Tribunal de l'Union européenne, le 17 décembre 2014, en matière de rejet d'une plainte par la Commission européenne du fait de la saisine d'une autorité de la concurrence nationale (TPIUE, 17 décembre 2014, Si.mobil telekomunikacijske, aff. T-201/11). Enfin, l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation sur l'articulation entre l'action indemnitaire sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales, d'une part, et la transaction, d'autre part, est évoqué (Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-21.363, FS-P+B).
  • Directive sur les actions privées en droit de la concurrence (Directive 2014/104/UE, 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l'Union européenne N° Lexbase : L9861I4Y)

Le 25 décembre 2014 est entrée en vigueur la Directive, tant attendue, du Parlement européen et du Conseil, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l'Union européenne (Directive sur les actions privées). Elle impose aux Etats membres d'uniformiser leurs règles procédurales applicables aux actions privées fondées sur la violation de règles de concurrence. Elle fait partie d'un ensemble de mesures visant à faciliter le recouvrement de dommages et intérêts au sein de l'Union européenne, telles que la Communication de la commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 (N° Lexbase : L2398IPI) ou 102 (N° Lexbase : L2399IPK) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne du 13 juin 2013. Un certain nombre de précautions sont prévues pour éviter l'abus de droit ou protéger le demandeur à la clémence, ainsi que les informations détenues par les autorités nationales de concurrence.

A l'origine, la Commission européenne a proposé le 11 juin 2013 une Directive qui, après d'intenses débats, a abouti à un consensus le 20 mars 2014. La Directive sur les actions privées doit être transposée au plus tard dans les droits nationaux le 27 décembre 2016 (art. 21-1).

Principales dispositions

La Directive sur les actions privées implique de nombreuses modifications dans les droits nationaux des Etats membres, et notamment français, tant du point de vue contentieux que dans la mise en oeuvre du droit communautaire de la concurrence.

Réparation intégrale (art. 3)

La Directive sur les actions privées vise à permettre aux victimes (personnes physiques ou morales) d'un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence d'être en mesure de demander et d'obtenir réparation intégrale de ce préjudice (art. 3-1). Une telle réparation intégrale inclut la réparation du dommage réel et du manque à gagner, ainsi que le paiement d'intérêts, mais exclut les dommages et intérêts punitifs ou multiples (art. 3-2 et 3.3).

A cet égard, il convient de noter que la récente loi française sur les actions de groupe, applicable aux dommages résultant d'infractions au droit de la concurrence, exclut également la réparation des dommages punitifs, tout en limitant la réparation aux préjudices patrimoniaux et en imposant un monopole de l'action aux associations de consommateurs agréées (C. consom., L. 423-1 N° Lexbase : L7589IZ4 et L. 411-1 N° Lexbase : L6511ABR) On peut légitimement s'interroger sur la validité d'un tel dispositif au regard de la Directive sur les actions privées.

Production de preuves (art. 5, 6 et 7)

Les Etats membres sont priés d'introduire des règles permettant aux juridictions nationales d'enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de la demande de dommages et intérêts. Pour éviter, cependant, des demandes de production de preuves excessivement larges, une telle production doit être limitée à ce qui est proportionné. Dans leur pouvoir souverain d'appréciation, les juridictions nationales sont invitées à prendre en considération "la mesure dans laquelle la demande ou la défense sont étayées par des données factuelles et des preuves disponibles justifiant la demande de production de preuves" (art. 5.3.a), ainsi que l'étendue et le coût de la production de preuves (art. 5.3.b).

La Directive sur les actions privées distingue différentes catégories de documents. A l'instar de l'article L. 462-3, alinéa 2, du Code de commerce, la déclaration effectuée en vue d'obtenir la clémence ne peut faire "à aucun moment" l'objet d'une injonction de produire par les juridictions nationales. Il en va de même des "propositions de transactions" (art. 6.6). De surcroît, les informations préparées expressément aux fins d'une procédure engagée par une autorité de concurrence ou les informations établies par l'autorité de concurrence et envoyées aux parties au cours de sa procédure, ou encore les propositions de transaction retirées sont en principe accessibles dans le cadre d'une action privée, mais seulement une fois que l'Autorité de concurrence a clos sa procédure (art. 6.5). Enfin, la Directive précise que les Etats membres doivent veiller à ce que la production de preuves provenant du dossier d'une autorité de concurrence, qui ne relèvent d'aucune des deux premières catégories, puisse être ordonnée à tout moment (art. 6.9).

Ces dispositions, relatives à la production de preuves, sont extrêmement controversées, comme en témoigne le développement des jurisprudences tant communautaire (CJUE, 6 juin 2013, aff. C-536/11 N° Lexbase : A3854KGT) que française (Cass. com., 19 janvier 2010, n° 08-19.761, FS-P+B N° Lexbase : A4637EQS). On note cependant que la Directive sur les actions privées n'aboutira pas à une harmonisation complète des droits nationaux de la preuve, lesquels peuvent prévoir une production plus large des preuves sous réserve des restrictions et interdictions prévues à l'article 6 de la Directive.

Effets des décisions nationales d'une autorité de concurrence (art. 9)

Une infraction constatée par une décision définitive d'une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours (en France, la cour d'appel de Paris ou la Cour de cassation) pourra être considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d'une action privée introduite devant leurs juridictions nationales. Elle pourra être présentée comme une preuve prima facie de l'infraction dans tout autre Etat membre de l'Union européenne.

Prescription (art. 10)

La Directive sur les actions privées requiert que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts soient de cinq ans au minimum. La prescription est suspendue ou, selon le droit national, interrompue par tout acte d'une autorité de concurrence visant à l'instruction ou à la poursuite d'une infraction en droit de la concurrence. Elle recommence à courir au plus tôt un an après la date à laquelle la décision constatant l'infraction est devenue définitive ou à l'issue de la fin extrajudiciaire de la procédure. La résolution amiable du différend s'en trouve par là même encouragée. Les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l'infraction ait cessé et que le demandeur ait été mis en mesure de prendre connaissance de l'infraction au droit de la concurrence. Les victimes disposent d'au moins un an pour réclamer leurs dommages et intérêts, une fois la décision définitive de l'autorité de la concurrence rendue.

La "Passing-On Defense" ou répercussion du surcoût (chapitre IV)

La Directive sur les actions privées confirme la possibilité pour le défendeur d'invoquer l'argument tiré de la répercussion du surcoût, ce qui a pour conséquence d'exclure du montant indemnisable la portion répercutée par le demandeur en tout ou partie auprès de ses propres clients. La charge de la preuve de la répercussion du surcoût incombe au défendeur, qui peut raisonnablement exiger la production d'informations par le demandeur ou des tiers. Il s'agit d'éviter que le demandeur obtienne réparation d'un préjudice qui serait supérieur au préjudice causé par l'infraction. Il revient aux juridictions nationales d'estimer la part du surcoût répercutée aux acheteurs indirects, le cas échéant, grâce aux orientations délivrées par la Commission européenne à l'intention des juridictions nationales.

Impact de la Directive sur les actions privées

Dans beaucoup d'Etats membres, les changements impliqués par la Directive sur les actions privées seront non négligeables. Le nombre d'actions indemnitaires à la suite d'une décision définitive constatant une infraction de la Commission européenne ou d'une autorité nationale de concurrence risque d'augmenter considérablement, comme cela est d'ores et déjà le cas au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas.

En France, certes le moyen de défense portant sur la répercussion des surcoûts est admis depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2010 ayant fait application de ce principe dans le cadre d'une action privée faisant suite à une décision de la Commission européenne sanctionnant le cartel de la lysine (Cass. com., 15 juin 2010, n° 09-15.816, F-D N° Lexbase : A1019E37)). Mais, à la différence de l'Allemagne et de la Suède, les juridictions françaises ne sont pas liées par les décisions d'autorités de concurrence étrangères ou par les propres décisions de l'Autorité de la concurrence française. Les décisions de l'autorité de concurrence française ou étrangère (à l'exception de celles de la Commission européenne) constituent pour le juge national français de simples éléments parmi d'autres à prendre en considération. Ce dispositif devrait être modifié avant la date butoir de transposition, faute de quoi le demandeur à l'action pourra invoquer l'application directe du droit communautaire à son litige et demander au juge d'écarter les dispositions législatives ou réglementaires françaises contraires.

  • Rejet d'une plainte par la Commission européenne du fait du traitement de l'affaire par une autorité de concurrence d'un Etat membre (TPIUE, 17 décembre 2014, aff. T-201/11 N° Lexbase : A6784M7E)

Saisi d'un recours en annulation à l'encontre de la décision de la Commission européenne rejetant la plainte introduite par la société de droit slovène, Si.mobil telekomunikacijske d. d. concernant la violation alléguée de l'article 102 TFUE prohibant les abus de position dominante de l'opérateur historique, Mobitel, sur les marchés de gros et de détail de la téléphonie mobile en Slovénie, le Tribunal a rejeté, le 17 décembre 2014, le recours de l'entreprise slovène. C'est la première fois, à notre connaissance, que le rejet se fonde sur le motif tiré du traitement par une autorité nationale de concurrence, en l'occurrence l'autorité de concurrence slovène, dénommée Urad Republike Slovenije za varstvo konkurence, de l'affaire.

La Commission européenne se fonde, notamment, s'agissant des infractions alléguées sur le marché de détail, sur l'article 13 § 1 du Règlement 1/2003/CE, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE -devenus 101 et 102 TFUE- (N° Lexbase : L9655A84), aux termes duquel la Commission peut rejeter une plainte au motif qu'une autorité de concurrence d'un Etat membre traite l'affaire.

Une interprétation restrictive de cette disposition est effectuée par le Tribunal de première instance dans le présent arrêt. Premièrement, il relève qu'il ressort du libellé clair de cette disposition que la Commission est fondée à rejeter une plainte si elle constate, d'une part, qu'une autorité de concurrence d'un Etat membre traite l'affaire, dont elle est saisie et, d'autre part, que cette affaire porte sur le même accord, la même décision d'association ou la même pratique. Deuxièmement, il souligne que le droit de l'Union ne prévoit aucune règle de répartition des compétences entre la Commission et les autorités de concurrence nationales. Dans l'hypothèse même où la Commission est particulièrement bien placée pour traiter l'affaire, le plaignant ne dispose d'aucun droit à voir celle-ci traitée par la Commission européenne. Dans le cadre de la répartition et de l'allocation des affaires résultant de la mise en oeuvre de l'article 13 du Règlement, la Commission européenne n'est pas tenue de procéder à une mise en balance et d'apprécier l'intérêt de l'Union à ce qu'elle poursuive l'examen de la plainte. Par conséquent, le Tribunal considère les deux conditions posées à l'article 13 § 1 du Règlement comme remplies et rejette le recours. Tout se passe comme si le plaignant faisait face à une mesure administrative interne de justice au réseau européen des autorités de concurrence, insusceptible de recours par la voie indirecte de la contestation de la décision de rejet de plainte.

Un pouvoir discrétionnaire, objet d'un contrôle juridictionnel limité, est ainsi octroyé à la Commission européenne en la matière. Au détriment des intérêts du justiciable, la Commission européenne n'a pas manqué, par le passé et même en présence d'un dossier transfrontalier, de renvoyer à plusieurs autorités de concurrence nationales le traitement d'une affaire, comme l'illustre l'affaire franco-allemande des farines (Aut. conc., décision n° 12-D-09, 13 mars 2012, N° Lexbase : X1850AKQ ; réformée par CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 20 novembre 2014, n° 2012/06826, N° Lexbase : A8380M3R -pourvoi en cours-)

  • L'incidence d'une transaction dans le cadre d'une action indemnitaire fondée sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie (Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-21.363, FS-P+B N° Lexbase : A2657M8W)

Par arrêt publié au Bulletin du 16 décembre 2014, la Cour de cassation censure, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L7923IZH), 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), 2044 (N° Lexbase : L2289ABE) et 2046 (N° Lexbase : L2291ABH) du Code civil, la cour d'appel (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 23 mai 2013, n° 12/01166 N° Lexbase : A8256KD7) qui, pour écarter l'accord transactionnel des parties, invoque l'ordre public économique de l'action indemnitaire fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies.

En l'espèce, un fabricant de sièges et canapés entretenait des relations commerciales depuis 1993 avec un distributeur, lequel lançait le 5 janvier 2009 un appel d'offres pour la production de ses gammes de canapés et fauteuils. Le fabricant y répondait, tout en étant informé par le distributeur de la diminution progressive de ses achats auprès de lui à compter du 1er septembre 2009. Dans ce contexte, un protocole d'accord est signé entre les parties le 13 juillet 2009 prévoyant le versement d'une indemnité par le distributeur au fabricant. A la suite du succès du fabricant à l'appel d'offres pour des volumes d'achats cependant inférieur, l'accord transactionnel est finalement amendé et prévoyait la fin de toute collaboration au 31 décembre 2012, assorti d'un engagement d'approvisionnement en diminution progressive. Le fabricant est postérieurement à son assignation mis en liquidation judiciaire.

Par arrêt du 23 mai 2013, la cour d'appel de Paris retient la responsabilité du distributeur dans la rupture brutale des relations commerciales, matérialisées par la diminution importante des volumes de commandes pendant la durée du préavis et en dépit de la convention passée. Selon elle, un tel accord, concrétisant un dénouement progressif de la relation commerciale, ne fait pas obstacle au contrôle juridictionnel du respect de la durée du préavis au travers des volumes d'échanges pendant sa durée. Le distributeur est condamné au paiement de dommages et intérêts et à une amende civile de 50 000 euros.

La Cour de cassation conteste cette interprétation extensive du caractère d'ordre public économique de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ne souffrant aucune dérogation conventionnelle. En effet, l'évaluation de la réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales doit certes se fonder sur les volumes de vente pratiqués pendant la durée du préavis, mais ne peut écarter l'accord transactionnel intervenu entre les parties.

Certes, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce demeure une loi de police, à laquelle les parties ne peuvent déroger, y compris dans les clauses du contrat régissant leur relation.

En conséquence, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'impose quand bien même les parties auraient soumis leur contrat à une loi autre que la loi française (CA Lyon, 3eme ch. civ. A, 25 septembre 2008, n° 07/00701 N° Lexbase : A1588GIN ; CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 11 décembre 2013, n° 11/20287 N° Lexbase : A1430KRE). Pour autant, cela ne saurait priver de tout effet l'accord transactionnel dans l'appréciation des circonstances de la rupture brutale des relations commerciales et, par là même et nécessairement, dans l'évaluation des préjudices subis par la victime de la rupture en application des articles 1134, 2044 et 2046 du Code civil.

Dans le contexte de développement des procédures de médiation, conciliation et autres résolutions extrajudiciaires des conflits, le juge, à l'instar du législateur, souhaite favoriser les solutions transactionnelles trouvées hors des prétoires.

newsid:445513

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus