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N2951BUT
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par Jean-Paul Lévy, Ancien membre du conseil de l'Ordre, Ancien membre du Conseil national des barreaux
le 10 Juillet 2014
Ce système particulièrement large concerne toutes les interceptions de communications radioélectriques (téléphone, fax, courriels), il explique l'inflation des mesures d'intrusion ainsi pratiquées (600 000 pour la seule année 2013).
Ces atteintes sont d'autant plus graves qu'elles peuvent prendre pour cibles les cabinets d'avocats ou les avocats eux-mêmes. Aujourd'hui en vertu de l'article 100-7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5915DYQ) l'interception peut être pratiquée par les policiers sur commission rogatoire du juge sur la ligne du cabinet ou du domicile après un simple avis donné par ce magistrat au Bâtonnier.
Bien plus, au titre de l'article 100-5 (N° Lexbase : L3498IGN) du même code, la police judiciaire qui transcrit "la correspondance utile à la manifestation de la vérité" après en avoir écouté la teneur n'est dispensée de ce faire que dans le cas "des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense".
Qui sera donc décisionnaire de la transcription de ce que l'on nomme l'écoute indirecte, elle-même ordonnée sans recours par le magistrat ? La réponse est simple : la police et elle seule.
Un tel fonctionnement est profondément attentatoire aux libertés individuelles et plus particulièrement à la liberté de la vie privée garantie par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR), car l'interception des communications de l'avocat est décidée par le juge seul, sans recours, et s'agissant de l'écoute indirecte, seule la police est à même d'apprécier sans contrôle si la conversation est ou non protégée par le secret professionnel.
Situation paradoxale lorsque l'on sait que la correspondance entre l'avocat et son client détenu est inviolable par l'administration pénitentiaire.
Mais bien plus les dispositions de l'article 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT) protègent le secret professionnel en instaurant la présence obligatoire du Bâtonnier ou de son représentant dans les perquisitions menées par un magistrat au cabinet, domicile ou résidence secondaire de l'avocat, elles font du juge des libertés le juge du secret, seul habilité à ouvrir les scellés fermés contenant les documents réputés protégés par le Bâtonnier lors de la perquisition.
Pourquoi dans de telles conditions admettre la persistance d'un régime d'exception, s'agissant des communications radioélectriques alors que celles-ci constituent aujourd'hui dans une société de l'information la majeure partie des échanges avocats-clients ?
Cette situation apparait d'autant plus choquante que l'avocat "intercepté", fut-ce indirectement, dès lors qu'il n'aura pas été mis en examen ou placé en position de témoin assisté n'aura aucun moyen de voir contrôler a posteriori la régularité de telles opérations qui ne sont décidées que par le magistrat instructeur par décision non juridictionnelle.
Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, dans trois décisions successives (Cons. const., décisions n° 2014-693 DC du 25 mars 2014 N° Lexbase : A9174MHA, n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014 N° Lexbase : A4069MIK et n° 2014-390 QPC du 11 avril 2014 N° Lexbase : A8257MIN), au visa de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (N° Lexbase : L6813BHS), "il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction" ajoutant que le "respect des droits de la défense [...] implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties".
Dans de telles conditions, il apparaît que le dispositif des articles 100-5 et 100-7 du Code de procédure pénale peut être considéré comme inconstitutionnel : la sagesse serait donc de le réformer profondément et de rédiger de nouveaux textes dans le sens des propositions faites par la profession d'avocat le 20 mars 2014 au Président de la République.
Ainsi pourrait-on prévoir que la décision motivée du juge d'intercepter les conversations d'un avocat ne puisse être prise que "s'il existe préalablement à la mesure, des indices graves et concordants laissant présumer que l'avocat participe ou a participé à la commission d'un crime ou d'un délit et qu'il s'agit de l'unique moyen d'en établir la preuve".
Il conviendrait "d'interdire en tous cas la transcription des conversations d'un avocat relevant des droits de la défense et couvertes par le secret professionnel" et de "limiter la transcription des conversations interceptées à celles faisant présumer la participation de l'avocat à une infraction".
Il est de plus proposé de soumettre la décision du juge de placer sous écoute un avocat au contrôle du juge des libertés et de la détention ou de la chambre de l'instruction ou encore à celui du président du TGI ou bien encore à la Commission de contrôles des interceptions de sécurité sous réserves d'une composition respectant la séparation des pouvoirs.
Enfin, la profession demande que le Bâtonnier, toujours informé de la décision qui sera prise, soit présent lors des audiences relatives à son renouvellement.
La réponse des pouvoirs publics se faisant attendre, faudra-t-il en passer par une question prioritaire de constitutionnalité ?
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