Réf. : Cass. soc., 24 juin 2014, n° 13-10.301, FS-P+B (N° Lexbase : A1647MSS)
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 10 Juillet 2014
Résumé.
Faute de procurer un avantage aux salariés, la décision par laquelle, en l'absence de délégué syndical, l'employeur instaure le repos compensateur de remplacement prévu à l'article L. 3121-24 du Code du travail (N° Lexbase : L3735IBX), ne constitue pas un acte soumis aux règles de dénonciation des engagements unilatéraux et devient caduque après que les conditions de son existence, ayant disparu par suite de l'assujettissement de l'entreprise à l'obligation annuelle de négocier, il ne lui a pas été substitué un accord collectif dans le délai imparti pour cette négociation. |
Commentaire
I - Caducité de la décision de substituer un repos compensateur de remplacement
Cadre juridique. L'employeur est, dans l'entreprise, amené à prendre quotidiennement des dizaines de décisions, dans le cadre de son pouvoir de gestion, dont le régime n'est pas toujours défini précisément par le Code du travail. Il appartient alors à la jurisprudence d'en préciser les règles, soit en faisant référence à des régimes bien identifiés, comme celui des usages et des engagements unilatéraux de l'employeur, soit en dégageant des solutions au gré des affaires et des prérogatives concernées, comme le démontre cette décision, en date du 24 juin 2014.
De la mise en place du repos compensateur de remplacement. Il s'agissait ici du droit reconnu à l'employeur, par l'article L. 3121-24 du Code du travail, de substituer aux majorations dues aux salariés qui accomplissent des heures supplémentaires un repos compensateur de remplacement, lorsque l'entreprise est dépourvue de délégué syndical et n'est pas soumise à la négociation annuelle obligatoire.
Mais quel est le régime applicable à cette "décision" prise par l'employeur ? Est-elle soumise au régime général applicable aux engagements unilatéraux ? Et, singulièrement, prend-elle fin lorsqu'un délégué syndical est finalement désigné ?
Telles sont les questions auxquelles la Cour de cassation répond dans cette décision.
Les faits. Un "accord" atypique instaurant un repos remplaçant partiellement le paiement de certaines heures supplémentaires et leurs majorations, par un repos compensateur de remplacement, avait été "conclu" en 2004, entre la direction de l'entreprise et les deux délégués du personnel de l'entreprise, en l'absence de délégué syndical. Quelques mois plus tard, en 2005, l'entreprise avait été intégrée dans une UES, dans le cadre duquel un délégué syndical allait être désigné. Après que les sociétés composant l'UES furent absorbées en 2006, trois salariés issus de la première entreprise saisirent le juge prud'homal, afin d'obtenir un rappel d'heures supplémentaires, au titre des années couvertes par l' "accord" conclu avec les délégués du personnel, et obtinrent partiellement gain de cause, pour la seconde des deux années concernées (2006), la Cour d'appel ayant considéré que la substitution du repos compensateur de remplacement au paiement de la majoration avait cessé de produire effet à la date de la mise en place de l'UES, à compter du 1er janvier 2006, dès lors que l'entreprise s'était dotée d'un délégué syndical et qu'elle se trouvait désormais sous le régime de la négociation annuelle obligatoire.
L'employeur contestait cette condamnation dans le cadre du pourvoi, et considérait que la "décision", prise en 2004, d'instaurer un repos compensateur de remplacement, valait tant qu'elle n'avait pas été régulièrement dénoncée, ou remplacée par un accord d'entreprise, la constitution d'une UES et la désignation d'un délégué syndical n'ayant pu rendre cette décision caduque.
Ces arguments n'ont pas convaincu la Haute juridiction qui rejette le pourvoi.
La solution. La Cour de cassation procède ici en deux étapes.
Elle commence tout d'abord par déterminer, de manière négative, le régime applicable à la décision prise par l'employeur, de substituer le repos compensateur de remplacement : cette décision, "faute de procurer un avantage aux salariés, [...] ne constitue pas un acte soumis aux règles de dénonciation des engagements unilatéraux".
Elle apporte, ensuite, une précision concernant le régime de cette décision qui devient "caduque après que les conditions de son existence ayant disparu par suite de l'assujettissement de l'entreprise à l'obligation annuelle de négocier, il ne lui a pas été substitué un accord collectif dans le délai imparti pour cette négociation". Or, dans cette affaire, la cour d'appel avait constaté "que l'accord du 22 février 2005, reconnaissant [que] l'existence d'une unité économique et sociale entre la société Gagne et trois autres sociétés s'était accompagné de la désignation, à cette même date, d'un délégué syndical pour l'ensemble de l'unité et qu'aucun accord relatif au remplacement du paiement des heures supplémentaires par un repos compensateur n'avait été conclu à l'issue du délai imparti pour la négociation annuelle obligatoire, c'est à bon droit qu'elle a décidé que la décision unilatérale par laquelle l'employeur avait mis en place un tel repos compensateur avait cessé de produire effet, de sorte que les salariés avaient droit au paiement des heures supplémentaires accomplies au cours de l'année 2006".
Ce sont ces deux affirmations qui méritent d'être discutées.
II - La primauté donnée aux dérogations négociées
De la notion d'engagement unilatéral de l'employeur. Pour la Haute juridiction, la décision prise par l'employeur "ne constitue pas un acte soumis aux règles de dénonciation des engagements unilatéraux [...] faute de procurer un avantage aux salariés".
C'est, à notre connaissance, la première fois que la Cour de cassation nous livre cette définition de l'"engagement" de l'employeur qui doit "procurer un avantage" aux salariés. Cette analyse doit être approuvée.
Le régime commun aux usages d'entreprise et engagements unilatéraux pris par l'employeur correspond, en effet, à des actes juridiques, c'est-à-dire à des actes créateurs de droits, en l'occurrence pour les salariés, qui deviennent obligatoires par la seule volonté de l'employeur. Il doit donc y avoir "engagement" de l'employeur, c'est-à-dire création d'une "obligation" à la charge de l'employeur et d'une prérogative conférant aux salariés un droit. Or, tel n'est pas le cas de la substitution du repos compensateur de remplacement aux majorations pour heures supplémentaires qui correspond à l'exercice, par l'employeur, d'une prérogative légale spéciale, répondant à des conditions particulières dans le cadre d'un régime légal bien défini, et qui ne constitue qu'une simple modalité de la majoration due pour les heures supplémentaires ; en d'autres termes, il s'agit d'un droit de l'employeur, et non des salariés. Il était donc logique de considérer que cette décision devait être soumise à un régime particulier.
Décision de substitution et caducité. Plus étonnante est certainement l'analyse portant sur la caducité de cette décision, même si elle doit également être approuvée.
Pour la Cour de cassation, en effet, cette décision présente un caractère subsidiaire et ne peut intervenir que pour autant que l'entreprise ne dispose pas de délégué syndical. La Cour tire, sans doute, cette analyse de la lettre du texte lui-même dont le premier alinéa présente bien l'hypothèse d'une substitution par accord collectif, puis, dans le deuxième alinéa, l'hypothèse de l'entreprise dépourvue de délégué syndical et non-assujettie à la négociation annuelle obligatoire, au sein de laquelle l'employeur peut opter pour cette substitution, dès lors que le comité d'entreprise ou les délégués du personnel, lorsqu'ils existent, ont été informés de ce projet et qu'ils ne s'y sont pas opposés.
La lecture du texte n'indique, toutefois, pas de régime applicable à cette décision, et, singulièrement, ne dit rien de l'hypothèse dans laquelle un délégué syndical viendrait à être désigné dans une entreprise au sein de laquelle c'est l'employeur qui avait décidé de la substitution.
Pour l'employeur, demandeur au pourvoi, cette décision devait perdurer tant qu'elle n'avait pas été expressément dénoncée ou remplacée par un accord collectif intervenu dans l'entreprise, ce qui en assurait la survie dans l'hypothèse où aucun accord ne pourrait être conclu en ce sens avec le ou les délégués syndicaux.
Pour la Cour de cassation, au contraire, l'accord ne vaut que pour autant que les conditions négatives posées par le deuxième alinéa de l'article L. 3121-24 sont remplies, ce qui explique que, lorsqu'elles ne le sont plus, la décision devient "caduque", c'est-à-dire qu'elle disparaît avec les conditions de sa validité.
Sur un plan purement technique, la solution n'est pas incontestable. Il est, en effet, habituel de vérifier la réunion des conditions de validité d'un acte juridique, ou d'une décision, au moment de la naissance de cet acte ou de cette décision. Si ces conditions cessent, et sauf à ce que la loi ait expressément prévu leur disparition, l'acte ou la décision continue en principe de produire effet, jusqu'à ce qu'ils soient retirés, annulés ou remplacés dans les conditions du droit commun. Faut-il le rappeler, la caducité n'a pas été consacrée en droit français comme une cause générale d'extinction des obligations (1), et la jurisprudence n'y a recours que de manière très exceptionnelle (2), lorsque la disparition de l'acte concerné relève de l'évidence, notamment parce que la base textuelle sur laquelle il a été pris a disparu (3), ou que l'acte n'a plus aucun intérêt (4).
Or, tel n'était pas le cas ici, et c'est sans doute vers d'autres explications qu'il convient de se tourner. La caducité donne, en effet, tout son sens et son effectivité à la négociation collective qui doit s'engager, une fois nommé le délégué syndical dans l'entreprise, car si la décision de substitution ne pouvait être détruite que par un accord contraire, ou par sa dénonciation, alors il suffirait à l'employeur de ne pas conclure d'accord pour continuer à substituer le repos compensateur de remplacement, ce qui lui confèrerait un avantage considérable. Cette situation irait alors contre l'ambition de la loi, qui est non seulement de poser comme principe la majoration financière, mais également de subordonner la substitution à l'existence d'un accord collectif, dès lors que l'entreprise est en situation de négociation collective. On peut d'ailleurs lire, dans l'ordre de présentation des alinéas de l'article L. 3121-24 du Code du travail, un principe, celui de la dérogation par accord collectif, et une exception, celle de la décision unilatérale prise en l'absence de délégué syndical. Il semble donc également logique que le principe reprenne ses droits et que la décision ne vaille que pour autant qu'il n'y a pas de délégué syndical dans l'entreprise.
La solution reconnaissant la caducité de la décision prise par l'employeur, était donc, pour toutes ses raisons, bienvenue.
(1) La caducité a ainsi été prévue en cas de décès du bénéficiaire d'un testament du vivant du testateur : article 1039 du Code civil (N° Lexbase : L0199HP3).
(2) Ainsi, lorsqu'un accord de réduction du temps de travail, conclu pour bénéficier d'exonération de charges sociales, a été conclu dans une entreprise qui se trouve cédée, et qu'elle n'est plus juridiquement éligible aux exonérations, on considère alors que cet accord, dont la cause résidait dans la recherche des aides publiques, est devenu caduque puisque cette cause a disparu en cours d'exécution (Cass. soc., 17 juin 2003, n° 01-15.710, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8770C8C) : D., 2004, p. 97, note M.-C. Amauger-Lattes.
(3) M. Despax, Négociation, convention et accord collectifs, Traité de droit du travail, D., 1989, n° 180, p. 318, et 'hypothèse classique est celle de la caducité de l'arrêté d'extension en cas d'annulation de l'accord collectif concerné : dernièrement Cass. soc., 20 octobre 2010, n° 08-40.142, F-D (N° Lexbase : A4145GCI).
(4) Il en va ainsi du mandat pour négocier un accord collectif, lorsque les conditions de cette négociation ne sont plus remplies : Cass. soc., 11 mai 2004, n° 02-41.755, FS-P+B (N° Lexbase : A1681DCA) : Dr. Soc. 2004, p. 921, et les obs. ; Cass. soc., 17 décembre 2008, n° 07-42.950, F-D (N° Lexbase : A9160EBU).
Décision
Cass. soc., 24 juin 2014, n° 13-10.301, FS-P+B (N° Lexbase : A1647MSS). Rejet (cour d'appel de Riom, 4ème chambre civile, 20 novembre 2012). Disposition visée : C. trav., art. L. 3121-24 (N° Lexbase : L3735IBX). Mots clef : heures supplémentaires ; repos compensateur de remplacement ; décision unilatérale ; délégué syndical ; caducité. Lien base : (N° Lexbase : E0373ETY). |
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