Réf. : Cass. com., 1er avril 2014, n° 13-11.313, FS-P+B (N° Lexbase : A6236MIS)
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par Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur-adjoint de l'IRDAP, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 01 Mai 2014
I - La charge de la preuve de la disproportion
L'article L. 341-4 du Code de la consommation énonce qu'un "créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation".
Cette dernière précision conduit à ne pas limiter l'appréciation du patrimoine de la caution au jour de signature du cautionnement pour déterminer si son engagement est proportionné ou non. Il faudra également examiner si, le jour où le créancier l'appelle en paiement, la caution n'a pas connu une amélioration de sa situation financière personnelle, lui permettant de faire face à son obligation.
Afin de déterminer si l'engagement qu'il lui fait signer n'est pas disproportionné, le créancier doit se renseigner sur la situation patrimoniale de la caution. Toutefois, ce ne sont que des investigations minimales qui sont demandées au créancier. En effet, la Cour estime que le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude des renseignements fournis par la caution quant à ses revenus et son patrimoine (2), et qu'il n'a à se baser que sur les documents fournis par la caution (3).
L'amélioration de la situation financière de la caution, visée par l'article L. 341-4 in fine, peut résulter d'une augmentation de ses revenus ou d'un enrichissement de son patrimoine, mais également d'une diminution des charges qui pèsent sur elle (4).
L'une des questions qui se pose pour l'application de l'article L. 341-4 est celle de la charge de la preuve. Est-ce à la caution ou au créancier qu'il appartient de démontrer que l'engagement de la caution et -ou n'est pas- disproportionné ? La Cour de cassation a répondu de la manière la plus logique qui soit, en décidant qu'"il appartient à la caution qui entend opposer à la banque créancière les dispositions de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, de rapporter la preuve du caractère disproportionné de son engagement par rapport à ses biens et revenus" (5).
En revanche, la Cour de cassation n'avait encore jamais eu, à notre connaissance, à se prononcer sur la question de la preuve, non pas de la disproportion initiale, mais de l'amélioration de la situation financière de la caution. En décidant qu'il "incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation", la Cour de cassation ne laisse planer aucun doute sur la réponse à cette question.
La solution retenue par l'arrêt commenté éclaire d'un jour nouveau la question du moment d'appréciation de la disproportion.
II - Le moment d'appréciation de la disproportion
L'arrêt du 1er avril 2014 est très instructif en ce qui concerne le dernier élément de l'article L. 341-4 du Code de la consommation, à savoir l'amélioration de la situation financière de la caution.
Il a pu être soutenu, non sans une certaine logique, que la fin de l'article L. 341-4 conduisait à retenir deux moments d'appréciation de la disproportion du cautionnement (6). D'une part, il faudrait l'apprécier au moment de la conclusion de la sûreté, puisque le texte vise l'engagement qui était, "lors de sa conclusion, manifestement disproportionné". D'autre part, il faudrait l'apprécier au moment de l'exécution de la sûreté, c'est-à-dire au moment où la caution est appelée en paiement par le créancier, puisque le texte réserve l'hypothèse dans laquelle "le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, [lui permet] de faire face à son obligation".
Mais, si une telle position est retenue, la solution dégagée par l'arrêt commenté est bancale : pourquoi la preuve de la disproportion "initiale" pèserait sur la caution, tandis que celle de la disproportion "finale" appartiendrait au créancier ?
Si l'on veut pouvoir concilier les deux idées, il nous semble qu'il faille considérer qu'en réalité, la réserve finale de l'article L. 341-4 n'est qu'un moyen de sauver le contrat, une "dernière chance" offerte au cautionnement disproportionné. La décision commentée montre bien que la disproportion s'apprécie au moment de la conclusion du cautionnement. Et c'est à la caution, en application de l'article 1315, alinéa 2, du Code civil, qu'il appartient de rapporter la preuve de la disproportion (cf. jurisprudence citée supra).
Si, effectivement, le cautionnement est manifestement disproportionné au moment de sa conclusion, la caution est en principe libérée. Le créancier peut cependant tenter de sauver le contrat, en établissant que la situation financière de la caution s'est améliorée entre-temps, et que l'engagement n'est plus disproportionné aux biens et revenus de celle-ci au moment de l'appel de la sûreté.
Il est alors parfaitement logique, et conforme à l'article 1315, de considérer que c'est au créancier qu'il revient de prouver ce "retour à meilleure fortune".
(1) Rappelons que la Cour de cassation a décidé que l'article L. 341-4 du Code de la consommation est applicable à toutes les cautions personnes physiques, y compris la caution dirigeante et la caution avertie : Cass. com., 13 avril 2010, n° 09-66.309, F-D (N° Lexbase : A0705EWZ), RLDC, juin 2010, p. 30, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 22 juin 2010, n° 09-67.814, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2722E39), D., 2010, p. 1985, note D. Houtcieff, RTDCiv., 2010, p. 593, obs. P. Crocq, RTDCom., 2010, p. 552, obs. C. Champaud et D. Danet, RDBF, septembre-octobre 2010, n° 172, obs. D. Legeais, V. Téchené, La sanction du cautionnement disproportionné souscrit par le dirigeant, personne physique, au profit d'un créancier professionnel, Lexbase Hebdo n° 404 du 22 juillet 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6432BPW) ; Cass. com., 19 octobre 2010, n° 09-69.203, F-D (N° Lexbase : A4348GCZ), RLDC, décembre 2010, p. 33, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-16.355, F-D (N° Lexbase : A8216IQD) et Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-20.192, F-D (N° Lexbase : A8174IQS), Gaz. Pal., 20 septembre 2012, p. 20, obs. Ch. Albigès.
(2) Cass. com., 14 décembre 2010, n° 09-69.807, F-P+B (N° Lexbase : A2628GNN), JCP éd. G, 2011, act. 48, obs. J. Lasserre Capdeville, RDBF, mars 2011, p. 61, obs. A. Cerles ; Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-13.458, F-D (N° Lexbase : A8866IE4).
(3) Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-20.959, F-D (N° Lexbase : A7522HXU).
(4) CA Grenoble, 4 juin 2012, n° 10/01742 (N° Lexbase : A2724KSP), JCP éd. G, 2012, 1291, n° 7, obs. Ph. Simler.
(5) Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-27.651, F-D (N° Lexbase : A8914IBR) ; Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-25.377, F-D (N° Lexbase : A8725I3K), Gaz. Pal., 21 mars 2013, p. 18, obs. Ch. Albigès, JCP éd. G, 2013, 585, n° 7, obs. Ph. Simler.
(6) Ch. Albigès et M.-P. Dumont-Lefrand, Droit des sûretés, Dalloz, 3ème éd., 2011, n° 216 ; Y. Picod, Droit des sûretés, Thémis-PUF, 2ème éd., 2011, n° 61.
Décision
Cass. com., 1er avril 2014, n° 13-11.313, FS-P+B (N° Lexbase : A6236MIS). Cassation (CA Toulouse, 2ème ch., sect. 1, 31 octobre 2012). Lien base : (N° Lexbase : E8923BXR). |
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