La lettre juridique n°135 du 23 septembre 2004 : Social général

[Jurisprudence] France télécom et l'AGS : la Cour de cassation conserve la ligne

Réf. : Cass. soc., 7 septembre 2004, n° 02-21.384, Société France Télécom c/ Assurance de garantie des salaires (AGS), FS-P (N° Lexbase : A3383DDN)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Issue de l'antique service des postes et télécommunications, l'entreprise France Télécom s'éloigne chaque jour un peu plus de son statut public. Quelques mois après le vote par l'Assemblée nationale de la loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom (loi n° 2003-1365, 31 décembre 2003 N° Lexbase : L6346DMY), la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte à son tour sa contribution à la normalisation de l'entreprise et à son intégration dans le secteur privé concurrentiel. Quelques années après un retentissant revirement de jurisprudence concernant l'affiliation d'entreprises relevant partiellement du secteur public à l'AGS, la Cour de cassation entend confirmer ici la nouvelle ligne jurisprudentielle (1). La solution n'est donc guère surprenante, même si elle place l'entreprise dans une situation paradoxale (2).
Décision

Cass. soc., 7 septembre 2004, n° 02-21.384, Société France Télécom c/ Assurance de garantie des salaires (AGS), FS-P (N° Lexbase : A3383DDN)

Rejet (CA Paris, 1re chambre, section S, 25 septembre 2002 N° Lexbase : A4616A4Q)

Texte visé : article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9556GQY)

Mots clefs : AGS ; entreprises soumises à l'obligation d'assurance ; France Télécom.

Faits

1. Le Groupement des Assédic de la région parisienne (Garp) a fait citer la société France Télécom devant le tribunal de grande instance de Paris, d'une part, pour avoir paiement d'une provision à valoir sur le montant des cotisations échues depuis le 1er janvier 1997 au régime d'assurance des salariés contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail et, d'autre part, pour l'entendre condamner à lui fournir sous astreinte et avec exécution provisoire la déclaration des salaires versés depuis le 1er janvier 1997 à ses salariés sous contrat de droit privé.

2. La cour d'appel de Paris a fait droit à ces demandes.

Problème juridique

Le statut particulier de France Télécom la soustrait-elle à l'obligation d'assurer ses personnels auprès de l'AGS ?

Solution

1. Rejet

2. "En vertu de l'article 1-1 ajouté à la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 (N° Lexbase : L9430AXK) par la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 (loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, de réglementation des télécommunications N° Lexbase : L7801GT4) la personne morale de droit public France Télécom a été transformée, à compter du 31 décembre 1996, en une entreprise nationale dénommée France Télécom, dont l'État détient directement plus de la moitié du capital social et qui est soumise aux dispositions de la loi du 2 juillet 1990, complétée et modifiée par celle du 26 juillet 1996, en tant que celle-ci concerne l'exploitant public France Télécom et, dans la mesure où elles ne sont pas contraires à ladite loi, aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes [...] l'article 1er des statuts de France Télécom approuvés par le décret n° 96-1174 du 27 décembre 1996 (décret n° 96-1174 du 27 décembre 1996, approuvant les statuts de France Télécom et portant diverses dispositions relatives au fonctionnement de l'entreprise nationale N° Lexbase : L7802GT7) dispose que l'entreprise nationale est une société anonyme soumise à la législation sur les sociétés anonymes sous réserve des lois spécifiques la régissant, notamment la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 (loi n° 83-675 N° Lexbase : L6981AGN) et la loi du 2 juillet 1990, modifiée par la loi du 26 juillet 1996, et auxdits statuts".

3. "Aux termes de l'alinéa 1er de l'article L. 143-11-1 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, tout employeur ayant la qualité de commerçant, d'artisan, d'agriculteur ou de personne morale de droit privé et occupant un ou plusieurs salariés doit assurer ses salariés, y compris les travailleurs salariés détachés à l'étranger ainsi que les travailleurs salariés expatriés visés à l'article L. 351-4 (N° Lexbase : L6231ACR), contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail [...]. Ces dispositions ne sont pas contraires aux lois spécifiques régissant l'entreprise France Télécom à laquelle sa soumission aux lois sur les sociétés anonymes confère la qualité de personne morale de droit privé".

4. "La cour d'appel, qui, abstraction faite des motifs critiqués par le moyen et qui sont surabondants, a relevé qu'en vertu de l'article 29-1 ajouté à la loi du 2 juillet 1990 par la loi du 26 juillet 1996 la société France Télécom employait librement depuis le 1er janvier 1997 des agents contractuels sous le régime des conventions collectives, a exactement décidé, peu important l'origine de son capital et le service public national qui entre dans son objet en vertu de la loi, qu'elle devait fournir au Garp les déclarations des salaires versés depuis cette date à ses salariés soumis à un régime de droit privé".

Commentaire

1. La soumission de France télécom à l'obligation d'affiliation à l'AGS

1.1. Une solution conforme au Code du travail

L'article L. 143-11-1, alinéa 1er, du Code du travail, dans sa version antérieure à la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 N° Lexbase : L1304AW9), dispose que "tout employeur ayant la qualité de commerçant, d'artisan, d'agriculteur ou de personne morale de droit privé et occupant un ou plusieurs salariés doit assurer ses salariés, y compris les travailleurs salariés détachés à l'étranger ainsi que les travailleurs salariés expatriés visés à l'article L. 351-4 (N° Lexbase : L6231ACR), contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail".

L'application de ce texte pose traditionnellement de très sérieuses difficultés, s'agissant notamment des sociétés d'économie mixte ou des entreprises gestionnaires d'un service public et donc le capital est détenu, au moins en partie, par l'Etat. On s'est en effet demandé si la seule qualité de personne morale de droit privé suffisait à rendre obligatoire l'affiliation à l'AGS ou si celle-ci était conditionnée par la soumission effective de l'entreprise au droit des procédures collectives.

Jusqu'en 1987, la Cour de cassation considérait que la seule qualité de personne morale de droit privé suffisait à déclencher l'application des articles L. 143-11-1 et suivants du Code du travail, même si l'entreprise concernée ne relevait pas effectivement de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8) (Cass. soc., 12 janvier 1978, n° 77-11.482, Caisse de Compensation de l'Organic c/ Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés, publié N° Lexbase : A1118CHU Dr. soc. 1979, p. 30, obs. F. Derrida ; Cass. soc., 25 février 1981, n° 79-13.223, Association pour la Gestion du Régime d'Assurances des Créances des Salariés AGS, Groupement Régional des Assedic de la Région Parisienne Garp c/ Société Air-France, publié N° Lexbase : A4938AA7 Dr. soc. 1982, p. 185, note H. Blaise).

Par quatre arrêts rendus le 16 décembre 1987 concernant la SNCF, Air France et Radio France, la Chambre sociale de la Cour de cassation allait revenir sur cette interprétation et dispenser ces sociétés de l'obligation de s'assurer auprès de l'AGS, sous prétexte que "les dispositions de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises étaient inconciliables avec les textes régissant [leur] fonctionnement" (Cass. soc., 16 décembre 1987, n° 83-14.201, Société Air France c/ Association pour la gestion du régime d'assurances des créances des salariés (AGS), publié N° Lexbase : A0437AHN ; Cass. soc., 16 décembre 1987, n° 83-14.202, SNCF et autre c/ Association pour la gestion du régime d'assurances des créances des salariés (AGS) et autre, publié N° Lexbase : A7982CH4 ; Cass. soc., 16 décembre 1987, n° 85-10.065, Association pour la gestion du régime d'assurances des créances des c/ Société nationale de radiodiffusion Radio France N° Lexbase : A1749AHA Dr. soc. 1988, p. 489, concl. G. Picca ; Cass. soc., 17 avril 1991, n° 89-16.708, Groupement des Assédics de la Région parisienne et autre c/ Compagnie Air-France, publié N° Lexbase : A4622ABS Dr. soc. 1991, p. 497, concl. G. Picca).

Le 29 février 2000, la Chambre sociale de la Cour de cassation allait faire machine arrière et revenir à son analyse initiale, considérant que la seule condition pour être obligatoirement assujetti à l'obligation d'assurance devait être la soumission au droit des sociétés, peu important que le personnel de l'entreprise puisse effectivement bénéficier des garanties de l'AGS (Cass. soc., 29 février 2000, n° 98-13.264, Assédic de l'Ain et des Deux-Savoie et autre c/ Société Télévision du savoir, de la formation et de l'emploi, publié N° Lexbase : A3623AUQ Dr. soc. 2001, p. 149, chron. B. Hatoux). La solution devait d'ailleurs être suivie par les juges du fond (CA Lyon, 6° ch., 5 mars 2003, n° 02/00978, à propos de GIAT industrie : "la loi ne distinguant pas selon que la personne morale de droit privé est soumise ou non à un statut particulier ou que son capital est ou non détenu par l'Etat ou encore selon l'effectivité du risque de cessation des paiements").

Dans la mesure où l'article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9556GQY) n'exige aucune condition, la solution est donc conforme à la loi : ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus...

1.2. Une solution compatible avec le statut des entreprises privées à capital public

Les entreprises privées en charge de la gestion d'un service public ne sont pas des entreprises comme les autres. Soumises, pour l'essentiel, aux règles du droit privé, elles supportent un certain nombre de sujétions qui justifient des adaptations de leurs statuts.

France télécom est ainsi devenue une société anonyme par la loi du 26 juillet 1996 (loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, de réglementation des télécommunications N° Lexbase : L7801GT4). Le principe de la soumission de l'entreprise au droit privé est affirmé par le législateur (art. 1-1) : "L'entreprise France Télécom est soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la présente loi".

C'est précisément cette réserve d'une éventuelle contradiction avec les règles propres à l'entreprise qui faisait ici difficulté.

Pour obtenir la cassation de l'arrêt rendu le 25 septembre 2002 par la cour d'appel de Paris, arrêt conforme à la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, France télécom pointait du doigt l'ensemble des dispositions de son statut qui paraissaient incompatibles avec la soumission au régime de l'AGS : le président du conseil d'administration est nommé et révoqué par décret et, en raison de ces dispositions spéciales, France Télécom ne peut, en l'état actuel du droit, être soumise au droit commun des procédures collectives, prévoyant notamment le dessaisissement du débiteur, l'immixtion de mandataires judiciaires dans la gestion de l'entreprise, l'éviction des dirigeants ou encore la cession de l'entreprise à des personnes privées.

On comprend parfaitement les arguments développés par l'entreprise, laquelle trouvait aberrant d'être soumis au droit des procédures collectives, alors que certaines de ces dispositions ne pourraient trouver à s'appliquer. Mais l'argument ne pouvait prospérer. En premier lieu, les éléments avancés par le demandeur s'opposent certes à l'application de certaines des dispositions du régime des entreprises en difficulté, mais pas à toutes. En toute hypothèse, aucune disposition propre à France Télécom ne s'oppose à ce qu'elle puisse payer des cotisations à l'AGS. En second lieu, il est vrai que les trois quarts du personnel de France télécom ne sauraient dépendre du régime de la garantie des salaires, si d'aventure l'entreprise devait être soumise à une procédure collective, simplement parce qu'ils sont fonctionnaires (106 000 au 31 décembre 2002). Mais, pour le quart restant, la garantie de l'AGS pourrait trouver à s'appliquer, le cas échéant. En dernier lieu, la formulation même de l'article 1-1 de la loi modifiée du 2 juillet 1990 (loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications N° Lexbase : L9430AXK) incitait à retenir la solution finalement affirmée. Dans la mesure où le principe est celui de la soumission au droit privé, et l'exception l'application des dispositions incompatibles de la loi, il semblait logique d'interpréter la réserve de manière restrictive, comme cela a été fait ici.

2. Les particularité de l'application des règles relatives à la garantie des salaires à France Télécom

2.1. Une application circonscrite à un petit nombre de salariés

La composition inédite du personnel de France Télécom (trois quarts de fonctionnaires, un quart de salariés) limite dans les faits l'utilité de la soumission de l'entreprise à l'AGS, puisqu'elle cotise essentiellement pour des agents qui ne pourront jamais relever du bénéfice de la garantie.

Comme l'avait souligné la doctrine au moment de la mise en place de l'AGS par la loi du 27 décembre 1973, le législateur a entendu instaurer un mécanisme de solidarité interentreprises, véritable système de "sécurité sociale des salaires" (F. Derrida , D. 1974, chron. XXV).

La situation de l'entreprise France Télécom n'est, à cet égard, pas si différente de la situation des travailleurs qui pratiquent la multiactivité et qui peuvent ainsi être appelés à cotiser à des régimes de Sécurité sociale dont ils ne relèvent pas en raison du caractère accessoire de l'activité au titre de laquelle ils sont contraints de cotiser.

2.2. Une application fondée sur les principes de la solidarité et de la libre-concurrence

C'est d'ailleurs au nom de ce principe de solidarité que la doctrine approuve généralement ces décisions (en ce sens G. Couturier, Droit du travail, Les relations individuelles de travail, PUF ; Collection Droit fondamental Droit social, 3ème éd. 1996, n° 316).

Par ailleurs, et comme cela a été justement souligné (P. Coudert, L'application des procédures collectives aux entreprises publiques, Petites affiches du 14 septembre 1994, n° 110, p. 26), la dispense d'affiliation à l'AGS institue une forme d'inégalité entre les entreprises soumises au droit des sociétés et donc un facteur susceptible de fausser les règles de la concurrence puisque des sociétés, placées dans une position identique sur le marché, supportent des charges différentes.

Dans ces conditions, et comme nous l'avions pensé à l'époque (obs. préc. sous Cass. soc., 29 février 2000), la solution pourrait bien connaître l'application la plus large, en dépit des réserves émises par le Doyen Bernard Hatoux (préc.). Dans la mesure où la Cour de cassation déconnecte totalement la question de l'affiliation à l'AGS de celle de l'effectivité des garanties accordées au personnel de ces entreprises, et ce au nom du principe de solidarité et de respect des règles de la concurrence, on conçoit mal quelles pourraient être les dispositions propres à ces entreprises qui pourraient juridiquement s'opposer à ce qu'elles doivent s'affilier à l'AGS, même à fonds perdus.

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