La lettre juridique n°564 du 27 mars 2014 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Sanction de la CJUE contre un impôt prenant en compte le chiffre d'affaires réalisé par des sociétés liées dans un autre Etat membre

Réf. : CJUE, 5 février 2014, aff. C-385/12 (N° Lexbase : A5802MDA)

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par Thibaut Massart, Professeur, Directeur du Master 2 fiscalité de l'entreprise de l'Université Paris-Dauphine, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 27 Mars 2014

1 - Par une décision du 5 février 2014 (CJUE, Grande chambre, aff. C-385/12 ; F. Picod, Impôt spécial potentiellement discriminatoire, JCP éd. G, 2014, 177), la Cour de justice de l'Union européenne indique qu'un impôt spécial à forte progressivité peut être indirectement discriminatoire lorsque sa plus haute tranche d'imposition s'applique en fait principalement à des filiales dont les sociétés mères ont leur siège dans d'autres Etats membres. 2 - Dans cette affaire, une entreprise hongroise, la société Hervis, exploitait en Hongrie des magasins d'articles de sport. Cette société se trouvait soumise à un impôt spécial applicable aux activités de commerce de détail en magasin instauré par la Hongrie pour les années 2010 à 2012. Cet impôt était une contribution exceptionnelle destinée à rétablir l'équilibre budgétaire du pays. Le taux de cet impôt était très fortement progressif en fonction du chiffre d'affaires. Il était ainsi de 0,1 % entre 500 millions et 30 milliards de forints hongrois (environ 1,7 million à 100 millions d'euros), de 0,4 % entre 30 et 100 milliards de forints hongrois (soit entre 100 et 336 millions d'euros) et de 2,5 % au-delà de 100 milliards de forints hongrois. Cette progressivité était accentuée par les modalités de calcul de l'impôt. En effet, l'impôt spécial était calculé par rapport au chiffre d'affaires global réalisé en Hongrie par l'ensemble des entreprises liées appartenant à un même groupe, puis ce montant était divisé entre les assujettis proportionnellement à leurs chiffres d'affaires nets respectifs. Or, la société Hervis faisait partie du groupe SPAR, dont la société mère a son siège en Autriche et qui réalisait, en Hongrie, elle-même ou par le biais d'autres entreprises liées, des chiffres d'affaires dans le secteur du commerce de détail de denrées alimentaires, eux aussi soumis à l'impôt spécial.

A ce titre, la société Hervis faisait l'objet d'un taux moyen d'imposition nettement supérieur à celui qui aurait correspondu à la base constituée du seul chiffre d'affaires de ses propres magasins.

3 - Selon la société, l'impôt spécial provoquait une discrimination à son encontre face à ses concurrents directs qu'étaient les chaînes de magasins "Décathlon", "Intersport" et "SPG Sporcikk". En effet, comme les chaînes de magasins concurrentes étaient pour la plupart structurées en points de vente franchisés, dotés de la personnalité morale et n'appartenant pas à un groupe, le montant de l'impôt spécial dû par ces dernières était nettement plus faible.

Pour la société Hervis, un tel système aboutissait à taxer plus lourdement les personnes morales assujetties à l'impôt spécial liées à des sociétés non résidentes. A ce titre, la législation établissant cet impôt méconnaissait plusieurs dispositions du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et était même constitutive d'une aide d'Etat prohibée. En conséquence, la société Hervis réclama à l'administration fiscale hongroise la décharge de l'impôt spécial pour l'année 2010. Ayant essuyé un refus, la société saisit la juridiction compétente. Confrontée à la délicate interprétation du Traité, la juridiction hongroise interrogea alors la Cour de justice de l'Union européenne.

4 - La question préjudicielle était particulièrement large puisqu'il était demandé à la Cour de se prononcer sur la compatibilité de l'impôt spécial sur les activités de commerce de détail avec de nombreuses dispositions du Traité.

La Cour recentra cependant le débat en identifiant la liberté principale concernée par le litige, à savoir la liberté d'établissement.

La Cour se demanda alors si la législation instaurant l'impôt spécial en question provoquait bien une restriction à la liberté d'établissement.

Après avoir souligné que la législation en question ne créait aucune discrimination directe, la Cour se concentra sur les effets potentiellement discriminatoires des modalités d'imposition. Reconnaissant que la forte progressivité de l'impôt et les modalités de son calcul, adossé au chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises liées, aboutissaient à pénaliser les entreprises liées, la Cour s'interrogea pour déterminer si la législation litigieuse ne défavoriserait, de facto, les filiales de sociétés mères ayant leur siège dans d'autres Etats membres, compte tenu de la structure du commerce de détail sur le marché hongrois. Pour la Cour, s'il s'avérait que, sur le marché de la vente de détail, les assujettis appartenant à un groupe de sociétés et relevant de la plus haute tranche de l'impôt spécial étaient, dans la plupart des cas, "liés", au sens de la législation nationale, à des sociétés ayant leur siège dans d'autres Etats membres, alors la législation en cause introduisait une discrimination indirecte fondée sur le siège des sociétés.

Cette décision nous invite à reprendre le raisonnement suivi par la Cour.

I - L'articulation entre les différentes libertés fondamentales

5 - La présente affaire montre que s'il est toujours nécessaire d'identifier la liberté fondamentale concernée, le choix reste toujours un exercice périlleux, même si la jurisprudence construit, à petits pas, une grille d'analyse opérationnelle.

A - La nécessité d'identifier la liberté concernée

6 - D'une manière très classique, lorsqu'une partie prétend devant la Cour de justice qu'une disposition nationale enfreint une liberté protégée par le droit de l'Union européenne, il lui faut identifier la liberté en question (D. Gutmann, Droit fiscal des affaires, Montchrestien, 4ème éd., n° 87). L'identification de la liberté concernée est importante, puisque les restrictions aux différentes libertés n'obéissent pas au même régime. Par exemple, l'article 63 (N° Lexbase : L2713IP8), relatif à la liberté de circulation des capitaux, autorise les Etats à apporter à cette liberté des restrictions non discriminatoires. De plus la liberté d'établissement ne s'applique qu'à l'intérieur de l'Union européenne, tandis que la liberté de circulation des capitaux s'applique également dans les relations avec les pays tiers (CJUE, 10 février 2011, aff. C-436/08 et C-437/08 N° Lexbase : A1171GUW, point 138).

7 - Dans la présente affaire, cet exercice paraissait délicat, car plusieurs libertés semblaient concernées par la législation fiscale litigieuse. L'embarras de la juridiction hongroise se traduisit par une question préjudicielle particulièrement large, puisqu'elle visait tout à la fois le principe général de non discrimination (TFUE, art. 18 N° Lexbase : L2118IP7 et 26 N° Lexbase : L2126IPG), le principe de liberté d'établissement (TFUE, art. 49 N° Lexbase : L2697IPL), le principe d'égalité de traitement (TFUE, art. 54 N° Lexbase : L2703IPS), le principe d'égalité en ce qui concerne la participation financière au capital des sociétés au sens de l'article 54 TFUE (TFUE, art. 55 N° Lexbase : L2704IPT), le principe de libre prestation de services (TFUE, art. 56 N° Lexbase : L2705IPU), le principe de libre circulation des capitaux (TFUE, art. 63 et 65 N° Lexbase : L2715IPA) et le principe d'égalité en ce qui concerne l'imposition des entreprises (TFUE, art. 110 N° Lexbase : L2408IPU).

8 - Vaste programme ! Ne manquait plus que la compatibilité de cet impôt spécial avec l'article 401 de la Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (JO L 347, p. 1) (N° Lexbase : L7664HTZ), dans la mesure où cette disposition concerne spécialement la compatibilité avec le droit de l'Union des taxes sur le chiffre d'affaires (voir, à ce propos, Conclusions de l'Avocat général, J. Kokott, n° 88 et s. : l'avocat général reconnaît que l'article 401 de la Directive TVA n'était pas applicable à l'espèce conformément à la jurisprudence traditionnelle de la Cour, mais plaidait justement pour une inflexion de cette jurisprudence afin d'affirmer que l'impôt spécial en cause était contraire au droit communautaire puisqu'il avait pour résultat, du fait de la progressivité de son taux, de fausser sensiblement la concurrence entre les entreprises à fort chiffre d'affaires et celles à faible chiffre d'affaires).

9 - Le Gouvernement hongrois soutenait qu'une telle demande de décision préjudicielle était irrecevable en raison justement de son manque de précision. Mais la Cour de justice estime au contraire que la demande est recevable, dès l'instant que la juridiction nationale avait suffisamment justifié qu'une interprétation du droit de l'Union était nécessaire pour rendre son jugement et que les indications de la juridiction de renvoi avaient été suffisamment complétées, tant sur le plan factuel que juridique, par les observations écrites des différentes parties (voir, en ce sens, CJUE, 3 mars 1994, aff. C-316/93 N° Lexbase : A9395AUI, Rec. p. I 763, point 14).

La Cour opère néanmoins le travail qu'aurait dû accomplir la juridiction hongroise, en recherchant plus précisément la liberté essentielle concernée par la législation litigieuse.

B - Le choix en faveur de la liberté d'établissement

10 - La question préjudicielle visait différentes libertés : la liberté d'établissement, la libre prestation de services et la libre circulation des capitaux.

Afin de déterminer précisément la liberté applicable au litige, la Cour se réfère à une "jurisprudence bien établie qu'il y a lieu de prendre en considération l'objet de la législation en cause" (CJUE, 12 septembre 2006, aff. C-196/04, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas N° Lexbase : A9641DQ7, Rec. p. I-7995, points 31 à 33 ; CJUE, 12 décembre 2006, aff. C-374/04, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation N° Lexbase : A8517DSA, Rec. p. I-11673, points 37 et 38 ; CJUE, 13 mars 2007, aff. C-524/04, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation N° Lexbase : A6517DUW, Rec. p. I-2107, points 26 à 34 ; CJUE, 10 février 2011, aff. C-436/08 et C-437/08, HariboLakritzen Hans Riegel et ÖsterreichischeSalinen, point 34 : Europe 2011, comm. 128, obs. A.-L. Mosbrucker, ainsi que Accor, précité, point 31).

Il est vrai que la jurisprudence a mis en relief une méthode rationnelle pour déterminer si une règle nationale enfreint la liberté d'établissement ou la liberté de circulation des capitaux. Cette question se pose lorsqu'une société détient une participation substantielle dans le capital d'une société établie dans un autre Etat membre. Une participation en capital constitue a priori un investissement et semble relever de la liberté de circulation des capitaux. Mais la possibilité de créer une filiale, en détenant une participation majoritaire, exprime également la liberté d'établissement consacrée dans l'Union.

Pour déterminer si la législation nationale litigieuse relève de l'une ou de l'autre des libertés, il résulte d'une jurisprudence bien établie qu'il y a lieu de prendre en considération l'objet de la législation en cause.

Relève du champ d'application de l'article 49 TFUE, relatif à la liberté d'établissement, une législation nationale qui a vocation à s'appliquer aux seules participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions d'une société et de déterminer les activités de celle-ci (voir CJUE, 4ème ch., 3 octobre 2013, aff. C-282/12 N° Lexbase : A1788KM8 ; CJUE, 13 novembre 2012, aff. C-35/11 N° Lexbase : A7338IWP : Europe 2013, comm. 27, obs. A.-L. Mosbrucker).

En revanche, des dispositions nationales qui trouvent à s'appliquer à des participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d'influer sur la gestion et le contrôle de l'entreprise doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux (Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, précité, point 34, précité).

11 - Dans notre affaire, la Cour de justice s'est référée à l'objet de la législation fiscale hongroise, entendu non comme son but, mais comme son contenu. La Cour se réserve d'ailleurs la possibilité de tenir compte des éléments factuels du cas d'espèce afin de déterminer si la situation visée par le litige au principal relève de l'une ou de l'autre desdites dispositions (voir, en ce sens, arrêts Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, points 37 et 38 ; CJUE, 26 juin 2008, aff. C-284/06, Burda N° Lexbase : A3211D9S, Rec. p. I-4571, points 71 et 72, ainsi que CJUE, 21 janvier 2010, aff. C-311/08, SGI N° Lexbase : A4534EQY, Rec. p. I-487, points 33 à 37). Cette analyse n'était toutefois pas nécessaire dans la présente espèce, car la législation fiscale était suffisamment claire pour trancher la question. En effet, la réglementation introduisait la notion d'entreprise liée par référence à la détention par une société d'une participation permettant d'exercer directement ou indirectement une influence majoritaire dans une autre société. Il en ressortait incontestablement que seule la liberté d'établissement était concernée par le litige.

12 - Indépendamment du caractère concurrent entre la libre prestation des services et la liberté d'établissement, la libre prestation des services n'était aucunement concernée, puisque l'objet de l'activité d'Hervis était la distribution de produits (en ce sens, Conclusions de l'Avocat général, J. Kokott, n° 86). La Cour évacua également rapidement l'article 18 TFUE relatif au principe général de non-discrimination, en rappelant que cette règle générale ne s'applique que dans des situations pour lesquelles le Traité n'a justement pas prévu de règles spécifiques de non-discrimination. Par ailleurs, comme l'impôt spécial ne frappait pas plus lourdement les produits provenant d'autres Etats membres que les produits nationaux, le principe d'égalité de l'imposition des entreprises (TFUE, art. 110) n'avait pas sa place dans le cadre du litige au principal.

Après avoir identifié la liberté principale concernée, la Cour s'interrogea sur l'existence d'une discrimination.

II - L'atteinte à la liberté d'établissement

13 - La Cour de justice affirme qu'il n'y avait pas de discrimination directe, mais une discrimination indirecte potentielle.

A - L'absence de discrimination directe

14 - La liberté d'établissement interdit en principe toute discrimination fondée sur le lieu du siège des sociétés (voir CJUE, 22 décembre 2008, aff. C-282/07, Truck Center N° Lexbase : A9974EBZ, Rec. p. I 10767, point 32, ainsi que CJUE, 18 juin 2009, aff. C-303/07, Aberdeen Property Fininvest Alpha N° Lexbase : A2792EIA, Rec. p. I 5145, point 38, et jurisprudence citée). Il y a discrimination en cas d'application de règles différentes à des situations comparables ou bien d'application de la même règle à des situations différentes (CJUE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Schumacker N° Lexbase : A1803AWP, Rec. p. I 225, point 30) ; CJUE, 12 décembre 2006, aff. C-374/04, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation N° Lexbase : A8517DSA, Rec. p. I 11673, point 46, et CJUE, 2 avril 2009, aff. C-459/07, Elshani N° Lexbase : A3007EE4, Rec. p. I 2759, point 36). C'est pourquoi l'article 49 TFUE interdit que soit réservé un traitement fiscal différent aux sociétés établies sur le territoire national, d'une part, et à celles établies en dehors du territoire national, d'autre part, si, à l'égard de la mesure nationale en cause, les sociétés concernées se trouvent dans une situation objectivement comparable (voir, en ce sens, arrêts Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, précité, point 46, et Truck Center, point 36).

15 - La législation fiscale hongroise opérait un traitement plus sévère pour les entreprises membres d'un groupe que pour les entreprises indépendantes.

En effet, le taux d'impôt était fortement progressif et pouvait attendre jusqu'à 2,5 % si le chiffre d'affaires dépassait les 100 milliards de forints hongrois (environ 336 millions d'euros). Or, le chiffre d'affaires à prendre en compte correspondait à celui de l'entreprise assujettie, mais également à toutes les "entreprises liées". Cette notion d'entreprise liée était définie par référence à la détention de participations majoritaires. Toutes les sociétés d'un même groupe devaient ainsi cumuler leurs chiffres d'affaires afin de déterminer le montant global d'impôt à payer, puis cette somme était répartie entre les différentes sociétés au prorata de leurs chiffres d'affaires respectifs. Bien entendu, le chiffre d'affaires à prendre en compte ne concernait que les activités de commerce de détail exercées sur le territoire hongrois.

Le fait que la société mère soit une société hongroise ou une société étrangère ne changeait nullement la situation. L'impôt spécial ne créait pas de disparité de traitement au détriment des sociétés hongroises assujetties à l'impôt fondée sur le lieu du siège de leur société mère. Les modalités de perception de l'impôt ne différaient en conséquence pas en fonction du lieu du siège de la société mère.

Bien au contraire, la réglementation fiscale s'appliquait à toutes les filiales d'un même groupe, que la société mère soit hongroise ou étrangère (art. 4 de la loi).

Il en ressortait indiscutablement qu'une société étrangère n'était nullement moins bien traitée qu'une société hongroise.

Néanmoins, la Cour n'écarte nullement la possibilité que la législation fiscale en cause provoque une discrimination indirecte et dissimulée entre les sociétés assujetties à l'impôt spécial en fonction du lieu du siège de leur société mère.

B - Une discrimination indirecte potentielle

16 - Même non fondées sur la nationalité, nombre de législations nationales conduisent à des situations de discriminations indirectes par l'institution de conditions qui défavorisent essentiellement les ressortissants d'autres Etats membres.

Or, la structure particulière du commerce de détail sur le marché hongrois pouvait amener à une telle discrimination.

En effet, si l'on s'en tient aux indications de la société Hervis, du Gouvernement autrichien, mais également de la Commission européenne, les magasins de la grande distribution appartenant à des sociétés étrangères seraient généralement exploités, comme c'est le cas d'Hervis, sous la forme de filiales, tandis que les sociétés hongroises exploiteraient leurs magasins par le biais de réseaux de franchise.

17 - Il ne fait aucun doute que l'impôt spécial mis en place par le législateur hongrois favorisait les réseaux de franchise au détriment des groupements de sociétés.

D'abord, la société franchiseur n'était nullement concernée par l'impôt spécial qui ne visait que les commerces de détail et non les grossistes. Par ailleurs et surtout, les franchisés étaient assujettis à l'impôt progressif en prenant uniquement en compte le montant de leur propre chiffre d'affaires et sans être tenu de partir du chiffre d'affaires consolidé de l'ensemble des franchisés.

18 - Compte tenu de ces données factuelles, il n'était nullement exclu que la législation en cause n'aboutisse pas à une discrimination dissimulée. Comme l'indique la Cour de justice, compte tenu de la forte progressivité de l'impôt spécial, une inégalité de traitement cachée entre les sociétés locales et étrangères pouvait être caractérisée si, dans la très grande majorité des cas, les assujettis réalisant un chiffre d'affaires élevé étaient gérés par les étrangers, tandis que ceux réalisant un chiffre d'affaires inférieur l'étaient par des résidents (en ce sens également, Conclusions de l'Avocat général, J. Kokott, n° 50).

La Cour a d'ailleurs recommandé à la juridiction de renvoi de vérifier si, "sur le marché de la vente de détail en magasin dans l'Etat membre concerné, les assujettis appartenant à un groupe de sociétés et relevant de la plus haute tranche de l'impôt spécial sont, dans la plupart des cas, liés', au sens de la législation nationale, à des sociétés ayant leur siège dans d'autres Etats membres".

A l'issue de cette décision, plusieurs questions surgissent cependant.

19 - A quel moment la juridiction de renvoi devra se placer pour apprécier la structure du marché ? Selon l'avocat général, "le fait qu'une réglementation nationale qui était irréprochable au regard du droit de l'Union lors de son adoption puisse soudainement présenter un caractère discriminatoire ne s'oppose pas à ce que l'on se réfère à la situation de fait actuelle" (Conclusions de l'Avocat général, J. Kokott, n° 44). Cette approche est cependant curieuse, puisque l'impôt contesté concerne l'année 2010, et l'on se demande si ce n'est pas davantage à cette période qu'il conviendrait de se placer.

20 - Quelle structure de marché faut-il examiner ? La Cour précise qu'il s'agit du marché de la vente de détail. La société Hervis s'appuyait uniquement sur des données relatives au secteur de l'alimentation. Cependant, ces informations ne concernaient qu'une partie du champ d'application de l'impôt spécial et laissaient de côté, en particulier, la branche dans laquelle Hervis exerçait elle-même son activité (vente d'articles de sport). Or, une disparité de traitement dissimulée entre les résidents et les étrangers doit être constatée, en principe, pour l'ensemble de la règle en cause et ne peut pas se limiter à une partie déterminée du champ d'application de celle-ci (en ce sens, Conclusions de l'Avocat général, J. Kokott, n° 53). On soulignera néanmoins que l'impôt spécial s'appliquait au commerce de détail en magasin, mais également aux activités de télécommunications, ainsi qu'à la fourniture d'énergie. Or, seul le commerce de détail en magasin devra faire l'objet d'une analyse par la juridiction hongroise.

21 - Quelle doit être la proportion d'entreprises étrangères discriminées ? La Cour indique "dans la plupart des cas", ce qui pourrait laisser entendre que le simple fait que les étrangers soient affectés de manière prépondérante suffit. Cette position n'était toutefois pas partagée par l'Avocat général, qui souhaitait subordonner la reconnaissance d'une discrimination dissimulée à des conditions plus strictes (Conclusions de l'Avocat général, J. Kokott, n° 40). La formule de la Cour est toutefois répétée deux fois, ce qui ne laisse a priori aucun doute quant à sa position.

22 - Quelles sont les justifications que pourrait invoquer le Gouvernement hongrois pour justifier une telle discrimination ? La Cour rappelle que ne pourraient être valablement invoqués, au soutien d'un tel système, ni la protection de l'économie du pays (voir, en ce sens, CJUE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Verkooijen N° Lexbase : A1828AWM, Rec. p. I 4071, points 47 et 48), ni le rétablissement de l'équilibre budgétaire par l'accroissement de recettes fiscales (voir, en ce sens, CJUE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X et Y N° Lexbase : A0406A78, Rec. p. I 10829, point 50). Mais il existe d'autres justifications envisageables. Comme la législation fiscale opérait indirectement une discrimination entre les assujettis appartenant à un réseau de franchisés et ceux appartenant à un groupe de sociétés, le Gouvernement hongrois pourrait tenter de démontrer que tous ces distributeurs ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable au regard du critère du chiffre d'affaires servant de base au calcul de l'impôt spécial. En effet, la société mère qui exerce le contrôle a une grande latitude pour décider de réaliser le chiffre d'affaires elle-même ou par l'intermédiaire d'une filiale imposable, alors qu'il n'en va pas de même pour le franchiseur, en raison de l'indépendance juridique et économique de chaque franchisé. C'est en raison de cette influence dominante que les chiffres d'affaires des filiales étaient d'ailleurs imputables aux sociétés mères, tandis que ceux des franchisés n'étaient pas imputables aux franchiseurs. Par ailleurs, la disparité de traitement entre les structures avec succursales et le système de franchise pouvait se justifier par une différence de capacité contributive. En effet, il fallait se demander si une différence dans les montants du chiffre d'affaires pouvait conduire justement, sous l'angle de l'égalité, à l'application de taux différents. Or, il a déjà été admis que la progressivité du taux de l'impôt constitue, en matière de fiscalité directe sur le revenu, c'est-à-dire d'impôts calculés sur le bénéfice, un mode de différenciation licite, sous réserve que la progressivité du taux soit conforme au critère de proportionnalité.

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