Le Quotidien du 25 septembre 2025 : Environnement

[Jurisprudence] Quels critères retenir pour évaluer la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) ?

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 24 juillet 2025, n° 492005, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B0976A3K

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N2979B3Q

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par Emmanuelle Baron, avocate directrice et Lou-Ann Piron, avocate, Seban Avocats

le 30 Septembre 2025

Mots clés : environnement • espaces naturels • zéro artificialisation nette • consommation d'espaces • occupation du sol

Dans un arrêt rendu le 24 juillet 2025, la Haute juridiction a dit pour droit que seule la transformation concrète de l’occupation du sol, telle qu’elle est constatée dans les zones concernées, peut être regardée comme une consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au sens de la loi « résilience » du 22 août 2021 définissant le principe du « zéro artificialisation nette » (ZAN).


 

I. Faits et contexte de la décision

En décembre 2023, la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature a publié, sur le site du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, un guide synthétique sur le ZAN, ainsi que quatre fascicules consacrés à des thématiques spécifiques destinés aux acteurs responsables de la mise en œuvre de la réforme du ZAN, notamment les services de l’État et les collectivités territoriales.

La commune de Cambrai a formé un recours pour excès de pouvoir contre le fascicule n°1 relatif à l’artificialisation des sols et à la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers dits « ENAF ».

Dans ce fascicule organisé en trois parties, la commune conteste l’interprétation qui est faite de la notion de consommation des ENAF.

Pour rappel, le contexte législatif et réglementaire entourant cette notion est le suivant.

La loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » [1] a fixé un objectif national d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050. L’article 194 a fixé un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation des ENAF sur la période 2021-2031. Cet objectif doit être intégré dans les différents documents de planification et d’urbanisme (SRADDET, SCoT, PLU).

La notion de consommation des ENAF est définie par le 5° du III de l’article 194 dans sa version issue de la loi du 20 juillet 2023 [2] comme « la création ou l'extension effective d'espaces urbanisés sur le territoire concerné ». Ces dispositions précisent que « sur ce même territoire, la transformation effective d'espaces urbanisés ou construits en espaces naturels, agricoles et forestiers du fait d'une renaturation peut être comptabilisée en déduction de cette consommation ».

Et, l’article R. 101-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4203MKU, dans sa version issue du décret n° 2023-1096 du 27 novembre 2023, relatif à l'évaluation et au suivi de l'artificialisation des sols N° Lexbase : L4175MYB [3], dispose que : « Dans le cadre de la fixation et du suivi des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols, le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées est évalué au regard des catégories listées par la nomenclature annexée au présent article. / Pour cette évaluation, les surfaces sont qualifiées dans ces catégories selon l'occupation effective du sol observée et non selon les zones ou secteurs délimités par les documents de planification et d'urbanisme. »

II. Validation de la notion de consommation des ENAF par le Conseil d’État

Dans sa décision, le Conseil d’État a d’abord estimé que la commune était recevable à contester ce fascicule en se fondant sur la jurisprudence « GISTI » [4] qui a ouvert le prétoire aux actes de droit souple.

Les juges du Palais Royal ont relevé que les énonciations contenues dans le fascicule ne se limitaient pas à un rappel indicatif ou à une présentation pédagogique des dispositions législatives définissant la notion de consommation d’ENAF mais exposaient de manière impérative l'interprétation retenue par l'administration de ces dispositions, de sorte qu’elles étaient susceptibles d'emporter des effets notables sur la situation des collectivités territoriales compétentes en matière d'urbanisme chargées, à ce titre, de mettre en œuvre, pour la période de 2021 à 2031, les objectifs de réduction de consommation d’ENAF.

Le Conseil d’État a ensuite écarté le moyen tiré de ce que les mentions du fascicule méconnaîtraient le sens et la portée de la première phrase du 5° du III de l’article 194 de la loi « Climat et Résilience ».

D’une part, en se fondant sur les dispositions de l’article 194, le Conseil d’État énonce que les ENAF ne doivent être regardés comme consommés, que lorsqu'ils perdent dans les faits leur usage naturel, agricole ou forestier au profit d'un usage urbain et sont, dès lors, effectivement transformés en espaces urbanisés. Aussi, il juge que le fascicule n’a pas méconnu le sens, ni la portée des dispositions précitées en indiquant que le zonage réglementaire des PLU(i) ou des cartes communales est indifférent dans la mesure de la consommation effective d’ENAF.

D’autre part, en se fondant sur le critère d’effectivité posé par le législateur, le Conseil d’État considère que seule la transformation concrète de l'occupation du sol, telle qu'elle est constatée dans les zones concernées, peut être regardée comme une consommation d'ENAF, de sorte que le fascicule pouvait légalement indiquer qu’un ENAF « est considéré comme effectivement consommé à compter du démarrage effectif des travaux (de construction, d'aménagement, etc.), et non à compter, par exemple, de la délivrance d'une autorisation d'urbanisme ».

Partant, la Haute juridiction rejette le recours de la commune de Cambrai, un an jour pour jour après avoir rejeté son recours tendant au renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de la première phrase du 5° du III de l'article 194 de la loi « Climat et Résilience » dans sa version résultant de la loi du 20 juillet 2023 [5].

III. Vers une stabilisation des règles de la réforme du ZAN ?

La décision du Conseil d’État est intervenue le même jour qu’une seconde décision du même Conseil d’État rejetant le recours de l’association « Notre affaire à tous » contre la circulaire du 31 janvier 2024, du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, relative à la mise en œuvre de la réforme vers le ZAN, adressée aux préfets et aux services déconcentrés de l’État.

La circulaire apportait des précisions sur la manière d’appréhender le rapport de compatibilité entre les différents documents de planification et d'urbanisme (SRADDET, SCoT, PLU). Elle indiquait notamment que lorsqu'un document d'urbanisme dépasse de 20 % l'objectif chiffré de maîtrise de l'artificialisation des sols fixé par un document de rang supérieur, un tel dépassement ne doit pas nécessairement être regardé par les services déconcentrés de l'État comme méconnaissant le rapport de compatibilité prévu par les textes.

Dans sa décision [6], le Conseil d’État a considéré qu’en indiquant cela, la circulaire se bornait à illustrer le rapport de compatibilité entre les différents documents de planification et d’urbanisme et ne méconnaissait ainsi ni le sens ni la portée des dispositions législatives du code général des collectivités territoriales et du code de l’urbanisme.

En validant les documents rédigés par le ministère pour faciliter la mise en œuvre concrète du ZAN par les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales, le Conseil d’État apporte quelques éclairages s’agissant des modalités de mise en place effective du ZAN.

Mais le contexte de l’intervention de ces décisions est marqué par une instabilité législative importante, puisque pas moins de trois projets de loi portent actuellement des propositions d’évolution du ZAN.

En effet, c’est d’abord le projet de loi sur la simplification de la vie économique, déposé en avril 2024 et dernièrement adopté en première lecture par l’AN en juin 2025, qui contient tout une série de mesures relatives au ZAN, notamment celle proposant que les collectivités territoriales puissent, sans justification, dépasser de 30% leur objectif de réduction de l’artificialisation sur leur territoire, et même à aller au-delà de 30% à condition d’obtenir l’accord du préfet de département. Ce qui revient, de l’aveu même de l’auteur de l’amendement, le Républicain Ian Boucard, à « considérablement amenuiser le ZAN ». Il est également proposé, notamment, l’instauration d’une enveloppe de 10 000 hectares non soumis au ZAN dédiée aux industriels et aux infrastructures entourant ces projets (logements, routes, etc.).

C’est évidemment également la proposition de loi « TRACE » (trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux), adoptée par le Sénat le 18 mars 2025 qui propose une importante refonte du dispositif ZAN.

Outre un nouveau report de transposition des objectifs dans les différents documents (SRADDET, SCOT, PLU, etc.), il est proposé de supprimer l’objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation des ENAF sur la période 2021-2031 au profit d’une trajectoire de réduction 2024/2034 librement définie par les régions en accord avec les collectivités locales. Cette loi pourrait, si elle était adoptée, revenir quelque peu sur l’appréciation du calcul de la consommation d’ENAF portée par le fascicule et validée par le Conseil d’État le 24 juillet 2025, en prévoyant notamment que les opérations de construction ou autres opérations artificialisantes effectuées au sein de l'enveloppe urbaine ne sont pas comptabilisées comme consommation d'ENAF. Elle prévoit également de créer de nouvelles exonérations en excluant du décompte de la consommation d’ENAF certaines constructions telles que les implantations industrielles ou les logements sociaux.

S’inscrivant en opposition, des députés ont déposé, le 4 juin 2025, leur proposition de loi transpartisane intitulée « pour réussir la transition foncière », qui a pour objet de traduire les recommandations, issues du rapport d’information sur l’artificialisation des sols [7], en mesures législatives afin de doter les collectivités territoriales, des outils techniques et fiscaux nécessaires à la mise en œuvre du ZAN. Cette proposition de loi introduit notamment une seconde décennie 2031/2041 de compatibilité de la consommation d’ENAF pour simplifier la mise en œuvre du ZAN, mais surtout prévoit le renforcement des outils fiscaux pour soutenir une politique foncière responsable, qui en synthèse imposerait une logique de « qui consomme paie et qui préserve est soutenu » [8].

En définitive donc, en validant les documents ministériels sur la consommation des ENAF et la mise en œuvre du ZAN, le Conseil d’État apporte d’importantes précisions pratiques. Celles-ci sont utiles dans la mesure où, malgré les différents textes de loi en cours d’examen, le régime du ZAN reste pour l’heure celui qui a été instauré par la loi « Climat et Résilience » et la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux N° Lexbase : L5792MSC (dite loi « ZAN 2 »). Nul doute toutefois que tous les praticiens gardent un œil attentif sur les prochaines évolutions à intervenir.

 

[1] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6529MSM.

[2] Loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux N° Lexbase : L5792MSC.

[3] Décret n° 2023-1096 du 27 novembre 2023, relatif à l'évaluation et au suivi de l'artificialisation des sols N° Lexbase : L4175MYB.

[4] CE, Sect., 12 juin 2020, n° 418142 N° Lexbase : A55233NU.

[5] CE, 24 juillet 2024, n° 492005 N° Lexbase : B0976A3K.

[6] CE, 24 juillet 2025, n° 493126 N° Lexbase : B0959A3W.

[7] Rapport d’information sur la mission d’information sur l’articulation des politiques publiques ayant un impact sur la lutte contre l’artificialisation des sols, rendu le 9 avril 2025 par les députés Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy.

[8] Citation de Constance de Pélichy lors de la présentation du texte.

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