Le Quotidien du 17 juillet 2025 : Entreprises en difficulté

[Commentaire] L’influence du caractère indivisible de l’instance en réclamation contre l’état des créances sur les effets de la réclamation

Réf. : Cass. com. 21 mai 2025, n° 22-12.510 et n° 22-12.834, F-D N° Lexbase : B0057ABQ

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N2602B3R

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 16 Juillet 2025

Mots-clés : réclamation contre l’état des créances • décision d’admission au passif • décision rendue sur réclamation rejetant la créance • inconciliabilité des deux décisions (non) • absence de respect du principe d’indivisibilité du lien d’instance

La décision rendue sur réclamation contre l’état des créances qui rejette la créance admise au passif par une précédente décision n’est pas inconciliable, au sens de l’article 618 du Code de procédure civile, avec la seconde décision, dès lors que le réclamant n’a pas respecté, dans l’instance en réclamation, le principe d’indivisibilité du lien d’instance en omettant d’attraire à la procédure l’une des parties à la vérification des créances.


 

La réclamation contre l’état des créances est une voie de recours ouverte aux personnes intéressées, autres que les parties, sur des créances admises au passif. Elle présente la nature d’une tierce-opposition. Pour cette raison, elle se déroule devant le même juge que celui qui a admis la créance. Elle a pour effet d’obtenir la rétractation de la décision d’admission et emporte par conséquent modification de l’état des créances : la créance admise au passif ne l’est plus ou ne l’est plus dans les termes de son admission si le réclamant obtient gain de cause.

Cependant, pour qu’il en soit ainsi, encore faut-il que la réclamation respecte le principe d’indivisibilité qui doit régner en matière de réclamation contre l’état des créances.

Parce que la décision attaquée doit être rétractée, ses effets existeront à l’égard de toutes les parties à la réclamation : débiteur, créancier, réclamant et défenseur de l’intérêt collectif des créanciers, à savoir mandataire judiciaire ou liquidateur. Ainsi, si le réclamant parvient à faire juger que la créance doit être totalement rejetée, la créance sera éteinte à l’égard de toutes les parties à la réclamation. Étant éteinte à l’égard du mandataire judiciaire ou du liquidateur, elle sera donc éteinte à l’égard de la procédure collective, c’est-à-dire à l’égard des organes de celle-ci et des créanciers de celle-ci.

Mais pour qu’il en soit ainsi, le principe d’indivisibilité du lien d’instance en matière de vérification et d’amission ou de rejet des créances doit impérativement être respecté.

En l’espèce, les 16 juillet 2002 et 16 décembre 2003, la société Outilac, ayant pour dirigeant M. Nogues, a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, M. Guépin étant nommé liquidateur.

Le 6 septembre 2002, la caisse de Crédit mutuel Annecy Bonlieu-les-Fins (Crédit Mutuel d'Annecy) a déclaré deux créances, l'une fondée sur un prêt, garanti par le cautionnement de M. Nogues, l'autre représentant le solde d'un compte courant.

Par un arrêt du 18 janvier 2005, la cour d'appel a admis la créance déclarée au titre du prêt, et rejeté « en l'état » celle au titre du compte courant et invité la société Crédit Mutuel d'Annecy à présenter un décompte de sa créance avec des intérêts calculés au taux légal.

Le 11 février 2005, la caisse de Crédit mutuel Savoie Mont Blanc (Crédit Mutuel de Savoie), prétendant agir pour le compte de la société Crédit Mutuel d'Annecy, a adressé une déclaration de créance complémentaire au titre du solde débiteur du compte courant.

Par un arrêt du 15 septembre 2015, la cour d'appel, statuant sur les contestations du liquidateur portant tant sur la déclaration de créance complémentaire du 11 février 2005 que celle initiale du 6 septembre 2002, a constaté que la créance au titre du prêt avait été définitivement fixée au passif de la procédure collective de la société Outilac par l'arrêt du 18 janvier 2005, et rejeté la créance au titre du solde du compte courant.

Le dépôt de l'état des créances, portant mention de la décision d'admission de la créance au titre du prêt, a fait l'objet d'une publicité par le greffe le 10 février 2016.

Le 24 février 2016, M. Nogues a formé une réclamation contre cet état.

Par un arrêt du 6 février 2018, la cour d'appel, statuant sur cette réclamation, a rejeté la créance déclarée au titre du prêt.

Ainsi, deux décisions viennent l’une admettre au passif la créance de prêt à titre privilégiée, l’autre, rendue sur réclamation contre l’état des créances, rejeter la créance de prêt.

Devant la contradiction de ces deux décisions passées en force de chose jugée, la banque forme un pourvoi dont l’objet est de faire annuler la seconde décision inconciliable avec la première. Toute la question posée à la Cour de, cassation était de savoir si les deux décisions étaient inconciliables entre elles au sens de l’article 618 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6776H74, une réponse positive conduisant impérativement à annuler l’une des deux décisions, voire les deux.

La Cour de cassation va rejeter le pourvoi en considérant que les deux décisions ne sont pas inconciliables entre elles : « Le lien d'indivisibilité existant en matière d'admission des créances entre le créancier, le débiteur et le liquidateur, implique que la caution qui forme une réclamation contre l'état des créances, sur le fondement de l'article 103 de la loi du 25 janvier 1985, pour contester la décision du juge-commissaire, appelle à cette instance l'ensemble de ces parties. Il en résulte que la décision qui, statuant sur cette réclamation, rejette la créance, n'est pas inconciliable avec la décision initiale, objet de la réclamation ».

Ainsi, pour la Cour de cassation, la décision admettant la créance au passif n’est pas inconciliable avec celle rendue sur réclamation contre l’état des créances, qui rejette pourtant la créance. Pourquoi ? Parce que, dans la procédure de réclamation contre l’état des créances, le principe d’indivisibilité du lien d’instance qui existe en cette matière, n’a pas été respecté.

L’obligation de respecter le principe d’indivisibilité du lien d’instance a déjà été posée par la Cour de cassation. Il était question de sanctionner par l’irrecevabilité l’appel formé contre l’ordonnance du juge-commissaire statuant sur réclamation, faute pour le réclamant d’avoir appelé en la cause le débiteur [1] : « Mais attendu que le lien d'indivisibilité existant en matière d'admission des créances entre le créancier, le débiteur et le liquidateur implique que la personne intéressée, appelante de l'ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté sa réclamation contre une décision d'admission portée sur l'état des créances, appelle à l'instance l'ensemble de ces parties ; qu'ayant relevé que tant la société créancière, que le mandataire ad hoc de la société débitrice et le liquidateur étaient parties devant le juge-commissaire saisi de la réclamation de Mme Y... et que cette dernière, après les avoir tous intimés par sa déclaration d'appel, s'est désistée de son appel à l'égard du créancier et du débiteur, l'arrêt retient exactement que la décision à intervenir sur la réclamation étant susceptible d'avoir une incidence sur l'admission de la créance et l'appel de la décision statuant sur la réclamation, dont la cour d'appel demeure saisie, n'opposant plus que la personne intéressée formant la réclamation et le liquidateur, cet appel est irrecevable ».

Cette solution imposant le respect du principe d’indivisibilité du lien d’instance et tout à fait justifiée et s’explique précisément par les effets de la réclamation contre l’état des créances : il s’agit de revenir sur une décision passée en force de chose jugée, mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut évidemment que toutes les parties initiales à la décision d’admission attaquée par la voie de la réclamation aient été appelées dans la cause par le réclamant.

En l’espèce, la banque devait donc appeler à l’instance de réclamation le débiteur, le créancier concerné c’est-à-dire la banque et le liquidateur. Vraisemblablement, la caution a omis d’appeler à la cause le débiteur. Or si l’une de ces parties n’est pas appelée, alors la décision rendue sur réclamation ne pourra entrainer une remise en cause de la décision d’admission au passif. La réclamation contre l’état des créances n’aura, dès lors, servi à rien.

Et puisque la décision rendue sur réclamation ne peut priver d’effet la décision antérieure d’admission au passif, la décision rendue sur réclamation qui juge de l’extinction de la créance principale n’est pas inconciliable avec la décision d’admission au passif, qui continuera à produire ses effets.

Le réclamant conservera donc bien à l’esprit qu’il doit appeler à la cause toutes les parties concernées par la décision d’admission au passif et ce qui est vrai lors de l’instance devant le juge-commissaire le demeure ensuite au stade des voies de recours.

 

[1] Cass. com., 28 mars 2018, n° 16-26.453, F-P+B N° Lexbase : A8727XI3, JCP E, 2018, Chron. 1429, n° 3, note A. Thérani ; Dr. sociétés, 2018/7, comm. 132, p. 41, note J.-P. Legros ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, avril 2018, n° 550 N° Lexbase : N3682BXN.

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