Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 6 juin 2025, n° 493882, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B4340AIL
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par Valentin Lesfauries, avocat au Barreau de Pau, docteur en droit public, chercheur associé au Centre d’études et de recherches comparatives sur les constitutions, les libertés et l’Etat (CERCCLE, Université de Bordeaux)
le 10 Juillet 2025
Mots-clés : bonus de constructibilité • PLU • article L. 151-28 • intégration paysagère • permis de construire
Par un arrêt du 6 juin 2025, le Conseil d’État confirme la solution retenue par le tribunal administratif de Nîmes dans un contentieux opposant plusieurs riverains à la société Cogedim Languedoc Roussillon, au sujet d’un permis de construire un ensemble immobilier de 115 logements. La Haute juridiction valide l’interprétation selon laquelle le règlement d’un PLU peut légalement encadrer l’octroi du bonus de constructibilité écologique (prévu par l’article L. 151-28 du Code de l’urbanisme) par des conditions qualitatives tenant à l’intégration architecturale et au respect du caractère de la zone. Elle apporte également des précisions importantes sur les conséquences de l’absence de régularisation en application de l’article L. 600-5-1. La décision, qui confirme l’analyse du juge du fond, illustre une volonté de renforcer l’exigence de cohérence urbanistique dans l’usage des majorations de gabarit.
Le bonus de constructibilité dit « écologique », instauré par la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique N° Lexbase : L5490MS7, poursuit un objectif incitatif fort. Il vise à encourager l’innovation environnementale dans la construction, en permettant un dépassement des règles de gabarit – notamment d’emprise au sol ou de hauteur – jusqu’à 30 %. Mais ce bonus ne constitue pas un droit inconditionnel. Il est subordonné à une démonstration de performance énergétique ou environnementale exemplaire, et à l’existence de règles locales d’urbanisme permettant son application.
Dans une démarche de performance environnementale, imposée notamment par la Directive (UE) n° 2010/31 du 19 mai 2010, sur la performance énergétique des bâtiments L5894IMA N° Lexbase : L5894IMA [1], certains choix dans la construction – comme l’augmentation de l’épaisseur des planchers – peuvent entraîner une élévation de la hauteur des niveaux. Cela peut poser problème dans les zones régies par un Plan local d’urbanisme (PLU) limitant strictement les hauteurs autorisées.
Pour éviter que ces contraintes freinent les projets exemplaires sur le plan environnemental, outre la dérogation instituée à l’article L. 152-5-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L6908L7Y par la loi « Climat et Résilience » [2], les PLU peuvent fixer des règles strictes sur les caractéristiques des constructions – notamment leur gabarit ou leur intégration paysagère – pour préserver la qualité architecturale et urbaine des territoires (article L. 151-18 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L2596K9Z).
Depuis 2016, un mécanisme de « bonus de constructibilité » permet toutefois de dépasser ces règles, dans une certaine limite, pour les projets à forte performance environnementale ou énergétique (article L. 151-28, 3° N° Lexbase : L0315NAW). Ce bonus peut atteindre jusqu’à 30 % de surface supplémentaire pour une construction neuve. Cependant, cette disposition n’est applicable que dans les communes ayant fait figurer une clause relative à ce bonus dans leur PLU.
Avec l’entrée en vigueur progressive de la RE2020 – le 1er janvier 2022 pour les logements, puis le 1er juillet 2022 pour les bureaux et établissements scolaires – les seuils de référence en matière de performance énergétique et carbone ont été réévalués.
Un arrêté du 8 mars 2023 est venu actualiser les critères permettant de qualifier un projet d’exemplaire, en fixant les niveaux de performance minimale requis pour bénéficier des différents dispositifs liés à la qualité environnementale ou énergétique des constructions [3].
Cependant, l’innovation écologique ne dispense pas du respect des formes urbaines. Le juge du Palais-Royal, au travers de la décision commentée, se positionne dans une ligne équilibrée, en valorisant la performance environnementale tout en réaffirmant le rôle du PLU comme outil d’intégration du bonus écologique aux circonstances locales.
En l’espèce, le Conseil d’État a du se prononcer sur la possibilité, pour les auteurs d’un PLU, de conditionner ce bonus de constructibilité à des critères liés à la qualité architecturale et paysagère.
Cette pratique est répandue dans les PLU récents, souvent pour éviter que le bonus écologique, en apparence vertueux, ne serve de justification à des projets massifs dérogeant à l’échelle urbaine locale. En ce sens, le Conseil d’État valide une logique d’encadrement, réconciliant performance environnementale et cohérence urbaine. C’est un rappel important que le bonus de constructibilité n’est pas un passe-droit, mais un levier dont l’usage peut être modulé, dans l’esprit du projet urbain local.
Cette solution consacre également une interprétation souple du 3° de l’article L. 151-28, qui renvoie expressément au respect des autres règles du PLU. Le juge reconnaît ainsi une marge de manœuvre aux collectivités locales, sous réserve que les conditions posées soient précises, proportionnées et motivées (I). Cette latitude s’inscrit dans une logique de décentralisation normative propre au droit de l’urbanisme, où l’équilibre entre règles nationales et adaptation locale est toujours délicat à tracer.
Le juge du Palais-Royal a également dû se prononcer sur le mécanisme de régularisation prévu par l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0034LNL. Cette clarification est bienvenue pour les praticiens. Trop souvent, cette possibilité est utilisée de manière dilatoire par certains pétitionnaires, qui sollicitent des délais pour ajuster leurs projets sans intention réelle de corriger les vices identifiés. En affirmant que l’absence de régularisation ferme la porte à tout recours ultérieur au mécanisme de régularisation hors prétoire (article L. 600-5 N° Lexbase : L0035LNM), le Conseil d’État envoie un signal de rigueur procédurale (II).
I. La légalité d’un encadrement du bonus écologique par le PLU
Le principal enjeu de l’affaire portait sur la légalité des articles UD 9 et UD 10 du PLU de Nîmes, qui, tout en permettant un dépassement de l’emprise et de la hauteur pour les constructions « exemplaires » sur le plan énergétique, subordonnent ce bonus à des conditions supplémentaires : le respect du caractère de la zone et une bonne insertion urbaine, architecturale et paysagère.
La société Cogedim contestait ces conditions en défense, arguant qu’elles excédaient la marge d’appréciation que l’article L. 151-28 du Code de l’urbanisme laisserait aux auteurs du PLU. Pour la requérante, ces critères constituaient une atteinte illégale au droit de propriété, dans la mesure où le législateur n’avait pas prévu de telles restrictions à l’octroi du bonus écologique.
Le Conseil d’État rejette cette argumentation. Il rappelle que les dispositions législatives permettent aux auteurs du PLU de fixer des règles propres, pourvu qu’elles respectent le cadre législatif général et soient suffisamment précises. En l’espèce, l’article L. 151-28 prévoit que le bonus peut être instauré « dans le respect des autres règles établies par le document », ce qui ouvre selon le Conseil d’État la possibilité d’introduire des conditions supplémentaires dès lors qu’elles sont motivées et en cohérence avec les objectifs du document d’urbanisme.
L’analyse confirme également la possibilité pour un porteur de projet d’invoquer, en défense, l’illégalité des dispositions d’un PLU qui lui sont opposées. Le Conseil d’État juge opérant ce moyen de défense, dès lors qu’il tend non pas à obtenir l’annulation du document d’urbanisme, mais à empêcher l’application d’une de ses dispositions estimée illégale. Cette solution s’inscrit dans la droite ligne de l’avis « Marangio » du 9 mai 2005 [4], et se distingue de la jurisprudence « Commune de Courbevoie » [5], qui limite l’usage de l’exception d’illégalité par les requérants.
Enfin, le juge administratif valide la nature qualitative des critères fixés par les articles UD 9 et UD 10 du PLU. Contrairement à ce que soutenait la société Cogedim, rien dans l’article L. 151-28 n’impose que les conditions d’octroi du bonus soient exclusivement « quantitatives ». Le Conseil d’État confirme que des exigences comme l’intégration dans le tissu urbain, l’harmonie paysagère ou le respect du caractère de la zone peuvent être mobilisées, à condition d’être formulées de manière intelligible et prévisible pour les pétitionnaires.
La décision du Conseil d’État renforce la capacité des collectivités à encadrer, voire restreindre, les effets du bonus écologique, à condition que les critères posés soient formulés de manière claire, prévisible et proportionnée, ce qui invite les collectivités à manier « la carotte » plutôt que le « bâton » [6]. Cela exige une vigilance accrue lors de la rédaction des règlements de PLU.
Les critères tels que le « respect du caractère de la zone » ou « la bonne intégration paysagère » doivent être définis avec soin pour éviter toute censure pour imprécision. La jurisprudence administrative, bienveillante à l’égard des collectivités, n’admet pas pour autant des exigences purement subjectives ou dépourvues de lien avec les objectifs du PLU. La présente décision valide explicitement la mobilisation de telles conditions dès lors qu’elles sont motivées et appliquées de manière cohérente.
En pratique, les collectivités doivent donc veiller à :
Ainsi, le bonus écologique devient un instrument au service d’une densification maîtrisée, non un moyen de dérogation systématique à l’échelle urbaine locale.
II. Une clarification bienvenue sur les régularisations et l’économie des articles L. 600-5 et L. 600-5-1
Le second apport jurisprudentiel concerne l’usage combiné – ou non – des mécanismes de régularisation prévus par les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme.
Le juge administratif avait initialement sursis à statuer sur les recours dirigés contre les permis, pour permettre une régularisation dans le cadre de l’article L. 600-5-1. En l’absence de mesure de régularisation produite par la société pétitionnaire dans le délai imparti, les juridictions du fond ont logiquement annulé les permis. Devant le Conseil d’État, Cogedim soutenait que le juge aurait dû, malgré tout, recourir à l’article L. 600-5 afin de n’annuler le permis que partiellement et permettre une régularisation hors prétoire.
Ce raisonnement est écarté sans ambiguïté. Le Conseil d’État réaffirme que le mécanisme de l’article L. 600-5-1 constitue un « fusil à un coup [7] » : une fois ce dispositif actionné sans effet, il n’est plus possible de basculer vers le régime de régularisation par annulation partielle prévu par l’article L. 600-5. Cette solution avait déjà été affirmée dans une décision de 2021 [8] et surtout dans une décision de section de 2024 [9], que l’arrêt ici commenté prolonge logiquement. Ni la doctrine, ni les juges n’avaient eu à se prononcer sur la possibilité ou le devoir, pour le juge, d’utiliser sa capacité à annuler, sous conditions, un permis de construire en vertu de l’article L. 600-5, une fois la possibilité de régularisation éteinte [10].
Cette jurisprudence vise à éviter une spirale procédurale où le juge se verrait contraint de multiplier les sursis à statuer ou les annulations partielles, sans jamais trancher définitivement les litiges. Elle repose sur une exigence de diligence du pétitionnaire, qui dispose d’une opportunité claire et unique pour régulariser son projet dans le cadre de l’article L. 600-5-1.
Le Conseil d’État en profite pour rappeler que l’usage de l’article L. 600-5 reste possible de manière autonome, mais seulement en dehors de tout sursis à statuer déjà prononcé. Il précise enfin qu’en l’absence de mesure de régularisation produite, le juge peut néanmoins opter pour une annulation partielle si les vices ne concernent qu’une portion identifiable du projet, sans pour autant déclencher une nouvelle régularisation.
L’arrêt confirme que les juges du fond peuvent prononcer une annulation totale dans ce cas, sans être tenus de rechercher si le projet pourrait faire l’objet d’une annulation partielle régularisable. Cette ligne jurisprudentielle, qui repose sur l’objectif de clarté et de célérité du contentieux de l’urbanisme, met les porteurs de projet face à leurs responsabilités : il leur appartient de produire des mesures de régularisation concrètes et complètes dans le délai imparti. À défaut, ils s’exposent à une annulation pure et simple, avec toutes les conséquences juridiques et financières qui en découlent.
Il convient toutefois de relever que le juge conserve, même en dehors de tout sursis à statuer, la possibilité d’annuler partiellement [11] le permis si les vices sont parfaitement circonscrits. Cette possibilité, qui ne déclenche pas le régime de régularisation différée, permet d’éviter des annulations excessives lorsque seule une partie du projet est irrégulière. Elle contribue à l’équilibre recherché entre sécurité juridique et respect des règles d’urbanisme.
La décision commentée illustre l’un des dilemmes majeurs de l’urbanisme contemporain : comment favoriser la transition énergétique sans déséquilibrer les tissus urbains ?
Le bonus de constructibilité est un outil vertueux dans son intention – encourager les bâtiments à faible impact environnemental – mais il peut devenir une faille si les promoteurs s’en emparent sans respecter les contraintes de forme, d’insertion ou d’usage. L’arrêt met en garde contre une application automatique du bonus, qui risquerait de heurter les équilibres locaux et d’alimenter les contentieux.
Cette affaire révèle les tensions entre densification (objectif légitime pour limiter l’artificialisation des sols) et acceptabilité locale. Dans les zones à dominante pavillonnaire, le passage à des constructions en R+3 peut profondément modifier le paysage, même en respectant les exigences énergétiques. L’appréciation du juge sur l’insertion paysagère du projet n’est pas anecdotique : elle devient le filtre principal d’un urbanisme durable mais raisonné.
À retenir
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[1] Cette Directive impose qu'à partir du 31 décembre 2020, tous les nouveaux bâtiments doivent être des bâtiments NZEB (Nearly Zero Energy Buildings). Cette échéance a été avancée, pour les bâtiments publics, au 31 décembre 2018. Toutefois, la directive ne donne pas de définition claire de ce qu'il faut entendre par bâtiment NZEB : l’article deux indique qu’il s’agit d’un bâtiment à très haute performance énergétique. E. Iavorschi, L.D. Milici, V.C Ifrim, V. Ungureanu, C Bejenar, A Literature Review on the European Legislative Framework for Energy Efficiency, Nearly Zero-Energy Buildings (nZEB), and the Promotion of Renewable Electricity Generation, Energies 2025, 18, 1436, site MDPI.
[2] La loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, a introduit une disposition spécifique dans le Code de l’urbanisme (C. urb., art. L. 152-5-2 N° Lexbase : L6908L7Y). Celle-ci permet aux autorités compétentes d’accorder, sous certaines conditions, une dérogation aux règles de hauteur pour les constructions démontrant un haut niveau de performance environnementale, sans pour autant permettre l’ajout d’un étage.
[3] Arrêté du 8 mars 2023, modifiant l'arrêté du 12 octobre 2016, relatif aux conditions à remplir pour bénéficier du dépassement des règles de constructibilité prévu au 3° de l'article L. 151-28 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0315NAW.
[4] CE n° 277280 N° Lexbase : A2186DIS ; P. Soler-Couteaux. Le Conseil d'État précise la portée et la mise en oeuvre du principe général selon lequel l'autorité administrative ne peut appliquer un règlement illégal, Revue de droit immobilier. Urbanisme - construction, 2005, 05, pp. 346.
[5] CE, 7 février 2008, n° 297227 N° Lexbase : A7166D48.
[6] H. Périnet-Marquet, Le droit de l’urbanisme à l’épreuve du droit de la construction. À propos du bonus écologique de constructibilité, Constr.-Urb.,2016, repère 9.
[7] G. Roux, Le dispositif de régularisation de l'article L. 600-5-1 : un fusil à un coup, AJDA, 2023 p. 579.
[8] CE, 9 novembre 2021, n° 440028 N° Lexbase : A81427B8.
[9] CE, 14 octobre 2024, n° 471936 N° Lexbase : A877059P.
[10] A. Goin et L. Cadin, Juste une dernière chance. Régularisation des autorisations d’urbanisme : une fois, mais pas deux, AJDA, n° 40, pp. 2168-2175.
[11] CE, 1er mars 2013, n° 350306 N° Lexbase : A9297I8T.
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