Lecture: 5 min
N2636B3Z
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Axel Valard
le 07 Juillet 2025
ÀÀ
Comme tous les matins, El Amine, 8 ans, était parti, le matin même, avec son cartable sur le dos. Lorsqu’il est rentré en fin d’après-midi, il n’avait plus que ça… Son appartement n’existait plus. Son immeuble n’était plus qu’un tas de gravats. Surtout, sa mère, Ouloume, faisait partie des huit personnes décédées dans l’effondrement. Son histoire avait particulièrement bouleversé le tribunal judiciaire de Marseille lors de l’audience. Plus de six ans après les faits, celui-ci a prononcé, lundi 7 juillet des sanctions lourdes à l’encontre des personnes renvoyées pour les homicides involontaires de l’effondrement de la rue d’Aubagne.
Le 5 novembre 2018, l’immeuble situé au numéro 65 s’était effondré d’un coup, peu après 9h. L’immeuble mitoyen, situé au 63, avait été entraîné dans la chute. Heureusement, personne ne vivait dans celui-là. Très rapidement, les autorités avaient ordonné l’évacuation du numéro 67 avant de le mettre, lui aussi, par terre. Les questions sont ensuite arrivées très vite : que s’est-il passé ? Pourquoi ces immeubles n’avaient-ils pas fait l’objet de travaux ? Les alertes ont-elles bien été prises en compte ?
Le tribunal judiciaire de Marseille a, donc donné quelques réponses partielles en condamnant certains des propriétaires à des peines de prison ferme. Et ce n’était pas gagné. À l’issue de l’enquête, les juges d’instruction avaient concentré les poursuites sur quatre personnes physiques et morales : l’architecte qui avait expertisé les lieux trois semaines avant les faits, l’adjoint au maire de l’époque, le syndic de copropriétaires et le bailleur social.
En faisant citer directement devant le tribunal une dizaine de propriétaires d’appartements, les familles des victimes ont contraint la justice à aller plus loin dans son examen. Et c’est, finalement, à l’encontre de ces derniers que le tribunal a prononcé les peines les plus notables.
Les propriétaires accusés d’obstruction à la réalisation des travaux.
Notamment à l’encontre de Xavier Cachard qui a écopé d’une peine de quatre ans de prison dont deux ans ferme à effectuer sous bracelet électronique. Vice-président (LR) au Conseil régional des Bouches-du-Rhône, il était surtout l’avocat du syndic des copropriétaires, lui-même propriétaire d’un appartement qu’il louait dans cet immeuble. C’est lui qui a commis « les fautes les plus graves » a indiqué Pascal Gand, le président du tribunal, à l’énoncé du jugement. Il a adopté « une stratégie d’obstruction de réalisation des travaux nécessaires » dans l’immeuble avec une « emprise manifeste sur les décisions et les votes » du syndic de copropriété, a asséné le magistrat avant de détailler les peines à l’encontre de la famille Ardilly.
Quelques minutes plus tôt, le fils de la famille Ardilly avait fait un malaise à la barre en découvrant qu’il était déclaré coupable. Le président a donc suspendu l’audience un temps avant de poursuivre. Avec ses parents, le jeune homme était propriétaire de l’appartement dans lequel vivaient Ouloume et ses six enfants dont El Amine, au premier étage. Il a été sanctionné d’une peine de trois ans de prison dont un ferme tandis que son père a écopé d’une peine de quatre ans dont deux ferme, à purger sous bracelet. Sa mère, d’une peine totalement assortie du sursis.
Là encore, le tribunal a pointé du doigt le mépris des propriétaires à l’égard de leurs locataires. L’absence de prise en compte du risque qui planait sur eux. Et surtout leur obstruction à réaliser des travaux pourtant nécessaires, aux yeux de tous.
L’expert avait visité l’immeuble en « quelques secondes ».
L’émotion passée, l’effondrement de la rue d’Aubagne avait mis en lumière l’état catastrophique du parc de logements de la cité phocéenne. Pendant des mois, par la suite, la mairie avait procédé à des évacuations et des mises en sécurité de personnes logées dans des conditions risquées. Lors de l’audience, des années après, l’une des parties civiles avait assuré qu’il y avait encore « 200 signalements par mois » pour des problèmes de logements insalubres. Le tribunal a aussi pris en compte cette problématique au moment d’examiner les cas de Richard Carta et de Julien Ruas. Architecte-expert, le premier a été condamné à deux ans de prison avec sursis.
Le tribunal a noté qu’il avait visité l’immeuble en seulement « quelques secondes » quelques jours avant le drame. Évoquant sa « faute caractérisée », le président du tribunal a jugé que cet expert s’était livré à une « série de négligences et d’imprudences » aboutissant à sa décision de laisser les habitants réintégrer l’immeuble plutôt que de les mettre en sécurité.
Julien Ruas aussi a été condamné à une peine de deux ans de prison avec sursis. Élu de la municipalité dirigée, à l’époque, par le Républicain Jean-Claude Gaudin, Julien Ruas a été sanctionné pour son « absence de stratégie politique visant à diligenter des procédures de périls » et pour avoir « ignoré les enjeux en matière d’habitat délabré à Marseille ».
Si le bailleur social a bénéficié d’une relaxe, le syndic des copropriétaires a, de son côté, été condamné à une amende de 100 000 euros, en tant que personne morale.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492636