Réf. : TA Lille, 6 mai 2025, n° 2503111 N° Lexbase : A084709A
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par Tanguy Elkihel, Enseignant-chercheur de la faculté de droit Nantes
le 07 Juillet 2025
Mots clés : référé contractuel • annulation • modalités de remise en concurrence • système d’acquisition dynamique • marché spécifique
Par une ordonnance du 6 mai 2025, rendue par le tribunal administratif de Lille, statuant dans le cadre de son office de juge des référés contractuels, la juridiction administrative a annulé un marché spécifique en accueillant, pour la première fois, favorablement, comme moyen contentieux, la méconnaissance de la portée du cadre fixé par un système d’acquisition dynamique (SAD) au stade de la définition des modalités de remise en concurrence.
La société, Abott Medical France, a saisi le tribunal administratif de Lille d’une demande en annulation à l’encontre d’un marché attribué à la société Implicity par le centre hospitalier de la région de Saint-Omer, et cela dans le cadre d’un système d’acquisition dynamique (SAD), organisé par le groupement de coordination sanitaire (GCS) UniHA.
Par une ordonnance du 6 mai 2025, le tribunal administratif de Lille, statuant dans le cadre de son office de juge des référés, a annulé le marché litigieux sur le fondement de l’article L. 551-18 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1598IEW, après avoir reconnu la recevabilité de la demande.
Pour parvenir à cette solution, le juge a d’abord déterminé le cadre applicable à la procédure d’attribution du marché litigieux (I). Puis, après un examen de l’analyse des offres, il a constaté la méconnaissance de la portée de ce cadre par l’acheteur public (II).
I. La détermination du cadre applicable à la procédure d’attribution du marché litigieux
Le système d’acquisition dynamique (SAD) est une procédure de passation à double détente qui permet, après une présélection des candidats, d’attribuer, le cas échéant, des marchés de différentes catégories relevant du même dispositif. Ainsi, pour déterminer le cadre applicable, le juge délimite d’abord l’objet du SAD auquel appartient le marché litigieux et pour lequel sont présélectionnés les candidats susceptibles de répondre au mieux aux besoins de l’acheteur (A). Il identifie ensuite les modalités de remise en concurrence applicables à la procédure d’attribution du marché litigieux et sur la base desquelles sont invités les candidats admis à présenter leur offre (B).
A. La délimitation de l’objet du système d’acquisition dynamique auquel appartient le marché litigieux
Selon l’article L. 2125-1 du Code de la commande publique N° Lexbase : L9548MIH, un système d'acquisition dynamique a pour objet de « présélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques, pour des achats d'usage courant, selon un processus ouvert et entièrement électronique ». Par ailleurs, l’article R. 2162-37 du même code N° Lexbase : L2669LRB prévoit que ce système « peut être subdivisé en catégories de fournitures, de services ou de travaux définies de manière objective sur la base des caractéristiques du marché à exécuter dans la catégorie concernée ».
Pour délimiter l’objet du SAD, le juge rappelle d’abord que le groupement de coordination sanitaire (GCS) UniHA qui agit pour le compte notamment du centre hospitalier de la région de Saint-Omer a organisé un SAD « portant sur la fourniture de dispositifs médicaux numériques de télésurveillance et prestations complémentaires associées ». Plusieurs catégories sont également définies, dont une cinquième catégorie à laquelle appartient le marché litigieux, intitulée « dispositif médical numérique de télésurveillance médicale du patient porteur de prothèse cardiaque implantable (PCI) à visée thérapeutique ».
Ensuite, le juge parvient, à la lecture notamment du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du SAD, à délimiter avec précision son objet. Il met alors en avant que « l’objet était de permettre à des candidats sélectionnés sur la base d'une certification réglementaire du dispositif médical portant tant sur l'utilisation réglementaire de ceux-ci que sur leur prise en charge financière par l'assurance maladie de pouvoir remettre une offre aux différents marchés spécifiques lancés par les adhérents du groupement et d'accéder ainsi à un marché public ouvert sans qu'une solution technique de télésurveillance particulière, certifiée pour une prise en charge par l'assurance maladie, ne soit favorisée ». Autrement dit, le juge met en avant les deux grandes caractéristiques sur la base desquelles sont sélectionnés les candidats. Par conséquent, les candidats, pour être admis, doivent proposer un dispositif de télésurveillance médicale pris en charge financièrement par l’Assurance maladie et dont l’utilisation est réglementaire. Une certification permet en ce sens d’en attester.
Finalement, on peut en conclure que la présélection des candidats doit être faite sur la base uniquement de cette certification. Dès lors, le juge constate que six candidats ont été retenus. Cinq d’entre eux, dont Abott Medical France, sont des fabricants de prothèses cardiaques proposant une solution de télésurveillance mais uniquement pour leurs propres produits, et un dernier, la société Implicity, qui propose la même solution, mais aussi un autre service. Celle-ci, qui est le seul opérateur à disposer d’une plateforme dite « universelle », propose ainsi d’agréger les données des différents fabricants.
Ainsi, après avoir délimité avec précision l’objet du SAD sur la base duquel ont été présélectionnés les candidats, le juge identifie les modalités de remise en concurrence applicables à la procédure d’attribution du marché litigieux (B).
B. L’identification des modalités de remise en concurrence applicables à la procédure d’attribution du marché litigieux
Selon l'article R. 2162-51 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3606LRY, « Le marché spécifique est attribué au soumissionnaire qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base des critères d'attribution définis dans l'avis de marché (…). Ces critères peuvent, le cas échéant, être précisés dans l'invitation à soumissionner ». Ainsi, ce sont les critères de sélection des offres qui constituent alors les modalités de remise en concurrence sur la base desquelles sont attribués les marchés spécifiques. Le juge cherche alors à les identifier en l’espèce. Il y parvient en effectuant une analyse attentive du CCAP, puis du dossier de consultation établi par l’acheteur public à l’occasion de son invitation à soumissionner.
Le juge porte son attention uniquement sur le critère technique en le mettant en avant à l’aide de cinq sous-critères énoncés par le CCAP. Par ailleurs, seulement le sous-critère « Suivi du patient » présente un intérêt en l’espèce. Celui-ci peut encore être apprécié par plusieurs éléments qui sont listés de manière non-exhaustive. Il s’agit alors de la capacité de collecte des données du patient, l’accompagnement et la formation des patients à l'utilisation, la facilité d'utilisation pour l'équipe médicale, l’interopérabilité avec les dispositifs médicaux de la pathologie surveillée, ou encore, la compatibilité avec les dispositifs médicaux de la pathologie télésurveillée.
Toutefois, l’identification des modalités de remise en concurrence nécessite également d’examiner le dossier de consultation établi par l’acheteur public. La juridiction administrative a en ce sens pu rappeler à l’occasion d’un autre litige que l’invitation à soumissionner a vocation en effet « à préciser la nature, la pondération et la manière d’évaluer les critères prévus dans le règlement de la consultation » [1].
Dès lors, le juge constate que l’ensemble des éléments d’appréciation présentés par le CCAP n’ont pas été repris. Dans son document de consultation, l’acheteur public en reprend seulement deux : « la capacité de collecte des données du patient » et « la facilité d'utilisation pour l'équipe médicale », et en ajoute un nouveau : « la capacité de la plateforme à synthétiser les données de télésurveillance de l’ensemble des constructeurs de stimulateurs cardiaques utilisés ». Enfin, il constate que ces trois éléments d’appréciation sont pondérés chacun à 9 %.
Ainsi, le juge parvient à déterminer le cadre applicable à la procédure d’attribution du marché litigieux en délimitant avec précision l’objet du SAD, puis en identifiant les modalités de remise en concurrence. Or, ce n’est qu’après avoir examiné l’analyse des offres effectuées par l’acheteur public, que le juge constate la méconnaissance de la portée du cadre ainsi fixé par le centre hospitalier de la région de Saint-Omer II).
II. La méconnaissance de la portée du cadre applicable à la procédure d’attribution du marché litigieux
Après l’examen de l’analyse des offres réalisée par l’acheteur public, le juge estime que ce dernier a méconnu la portée du cadre fixé par le système d’acquisition au stade de la définition des modalités de remise en concurrence, et cela dans le but de favoriser le titulaire du marché (A). Le constat de ce manquement relève pleinement de l’office du juge du référé contractuel justifiant ainsi l’annulation du marché (B).
A. Un manquement au stade de la définition des modalités de remise en concurrence dans le but de favoriser le titulaire du marché
Le juge examine l’analyse des deux seules offres remises à l’acheteur public : celles de la société, titulaire du marché, et de la société requérante.
Il constate ainsi que la société Implicity a obtenu la note de 100 % sur l’ensemble des sous-critères techniques. De son côté, la société requérante n’a obtenu que la note de 92,8 % en se voyant noter sur l’élément d’appréciation relatif à « la capacité de la plateforme à synthétiser les données de télésurveillance de l’ensemble des constructeurs stimulateurs cardiaques utilisés » de seulement 1,8 sur 9. Le juge en conclut logiquement que c’est donc sur la base uniquement de cet élément d’appréciation que s’est opérée la décision d’attribuer le marché litigieux à la société Implicity.
À partir de ce constat, le juge reproche alors à l’acheteur public d’avoir sciemment introduit cet élément d’appréciation pour avantager le titulaire du marché. Sa démonstration repose sur plusieurs arguments. Le juge souligne d’abord à propos de l’élément d’appréciation litigieux qu’il est « en lien avec le fait que le titulaire du contrat litigieux est le seul opérateur en mesure de proposer un dispositif médical de télésurveillance susceptible d'interagir avec l'ensemble des stimulateurs des constructeurs tout en étant éligible à une prise en charge financière par l'assurance maladie à ce titre ».
Il souligne ensuite qu’associé à l’emploi d’une méthode de notation purement arithmétique, cet élément d’appréciation ne pouvait pas conduire à un autre résultat, en l’état de la concurrence sur le marché des PCI. Pour affirmer cela, le juge s’appuie en effet sur le fait « qu'il n'existe que cinq fabricants de PCI certifiés sur le marché. Le titulaire était, pour sa part et compte tenu de son produit, garanti d'obtenir la note maximale sur cet élément d'appréciation ».
Enfin, il souligne qu’aucun autre élément d’appréciation n’était susceptible de départager les candidats. Il précise, en ce sens, que les autres éléments d’appréciation « ne permettaient pas (…) de créer des écarts de notation équivalents à l'écart de points significatif découlant nécessairement de l'application de cet élément d'appréciation litigieux de sorte que cet écart aurait pu être éventuellement compensé, sans qu'il ne soit du reste établi, ni même soutenu qu'aucun autre élément d'appréciation que celui qui a été ajouté lors de la consultation n'aurait permis de déterminer la meilleure offre ».
Pour finir, le juge estime que l’introduction de cet élément d’appréciation a eu pour conséquence de conférer « un avantage déterminant » à la solution de la société Implicity pour l’obtention du marché. Ceci est alors de nature à faire obstacle à une remise en concurrence « effective » des candidats sélectionnés par le SAD [2]. Dès lors et sans qu’il ait eu besoin de soulever cette atteinte manifeste au principe fondamental d’égalité de traitement des candidats, le juge finit par conclure à la méconnaissance par l’acheteur public de « la portée du cadre fixé par le système d’acquisition » et, par voie de conséquence, à son non-respect « des modalités de remise en concurrence prévues par le contrat ». Ce choix est opéré en avançant un dernier argument. Selon lui, l’élément d’appréciation litigieux remplit davantage la fonction de spécification technique alors que « l'objet [du SAD qui ] était de permettre aux candidats sélectionnés d'accéder à un marché public ouvert pour des produits réputés par principe d'usage courant n'avait pas entendu [la] mettre en avant dans son CCAP ».
Ainsi, après avoir constaté le manquement, le juge lui donne sa qualification définitive. Celle-ci lui ouvre alors pleinement la voie pour mettre en œuvre son pouvoir d’annulation au titre de son office de juge du référé contractuel (B).
B. Un manquement relevant pleinement de l’office de juge du référé contractuel
Selon l’article L. 551-18 du Code de la justice administrative, le juge du référé contractuel est tenu de prononcer la nullité du contrat après avoir constaté certains manquements strictement énumérés par la loi. Ainsi, seulement certains manquements sont invocables à cet effet, dont notamment la méconnaissance des modalités de remise en concurrence lors de la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou d’un SAD.
Ceci a été rappelé avec force par le Conseil d’État qui, à l’occasion d’un litige relatif à la passation d’un contrat fondé sur un accord-cadre, en a fait la stricte application [3]. Ce sont les conclusions prononcées par le rapporteur public qui permettent de l’affirmer. Il est en effet précisé que « la méconnaissance par le contrat litigieux des stipulations d’un autre contrat, en l’espèce un accord cadre, voire des règles éventuellement d’ordre public applicables à ce contrat » [4] ne fait pas partie des manquements invocables devant le juge du référé contractuel. En revanche, il ajoute qu’il en va différemment de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence par le contrat litigieux lorsqu’elles sont prises en application de l’ accord-cadre [5]. Il ajoute que ce manquement est bien invocable devant le juge du référé contractuel dans cette circonstance seulement.
Dès lors, l’on comprend mieux le choix opéré en l’espèce par le juge en qualifiant le manquement ainsi. Celui-ci lui permet d’exercer son office dans une situation comparable à celle précédemment présentée, la seule différence étant qu’il ne s’agit pas d’un accord-cadre, mais d’un SAD. En accueillant un autre moyen contentieux, le juge aurait eu besoin davantage d’innover, au regard des incertitudes persistantes sur les manquements invocables devant le juge du référé contractuel. Cela étant, certains tribunaux ont pu accueillir favorablement le moyen tiré de l’atteinte manifeste au principe fondamental d’égalité de traitement des candidats [6], comme l’invité à le faire la jurisprudence de la Haute juridiction [7].
Ainsi, le choix de qualification opéré par le juge, au regard des circonstances de l’espèce, est donc celui de l’efficacité. Il n’aurait pas toutefois été imprudent d’accueillir favorablement le moyen tiré de l’atteinte manifeste au principe fondamental d’égalité de traitement des candidats pour annuler le marché litigieux au titre du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du Code de la justice administrative.
[1] TA Paris, 18 juillet 2022, n° 2213906 N° Lexbase : A33238C3.
[2] Selon l’article R. 2142-15 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3731LRM, « L'acheteur peut limiter le nombre de candidats admis à soumissionner ou à participer au dialogue, à condition que ce nombre soit suffisant pour assurer une concurrence effective ».
[3] CE, 29 juin 2012, n° 358353 N° Lexbase : A0653IQA.
[4] N. Boulouis, conclusions sous l’arrêt CE, 29 juin 2012, n° 358353, préc., p. 3.
[5] Ceci est vrai pour les accords-cadres pluri-attributaires, à la différence des accords mono-attributaires qui ne font l’objet d’aucune remise en concurrence.
[6] Voir notamment en ce sens, TA, Montreuil, 16 août 2024, n° 2410918 N° Lexbase : A53375XX ; TA Paris, 7 mars 2024, n° 2401660 N° Lexbase : A146869A.
[7] Ce moyen est invocable devant le juge du référé contractuel au titre seulement du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du Code de la justice administrative. Voir en ce sens, CE, 14 février 2017, n° 403614 N° Lexbase : A2620TPQ.
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