Le Quotidien du 10 juin 2025 : Discrimination

[Observations] Discrimination en raison de l’absence d’un lien familial avec l’employeur

Réf. : Cass. soc., 9 avril 2025, n° 23-14.016, FS-B N° Lexbase : A09870HZ

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N2361B3T

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[Observations] Discrimination en raison de l’absence d’un lien familial avec l’employeur. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/120023917-observations-discrimination-en-raison-de-labsence-dun-lien-familial-avec-lemployeur
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par Bernard Bossu, Professeur à l’Université de Lille, Directeur du LEREDS (CRDP)

le 09 Juin 2025

► En vertu de l’article L. 1132-1 du Code du travail, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, notamment en matière de rémunération, en raison de sa situation de famille. Le défaut d’appartenance du salarié à la famille de son employeur, en ce qu’il constitue le motif d’un traitement moins favorable, relève du champ d’application du texte. En conséquence, lorsqu’un employeur entend justifier la différence de traitement en matière de rémunération entre une salariée et la salariée de comparaison par la qualité d’épouse de cette dernière, il y a discrimination en raison de la situation de famille.

Une salariée a été engagée en qualité de collaboratrice parlementaire par un député. À la suite des élections législatives, elle est licenciée par son employeur en raison de la cessation de son mandat de député. Elle saisit alors le conseil de prud’hommes, car elle estime avoir été victime d’une discrimination salariale, fondée sur le critère de situation de famille. En effet, sa collègue de travail, également épouse de son employeur, exerçait aussi les fonctions de collaboratrice parlementaire, mais percevait une rémunération nettement supérieure à la sienne. Pour justifier cette différence de traitement, l’employeur a invoqué les fonctions « nombreuses, variées et sensibles » de son épouse. Il fait encore valoir qu’en raison de sa qualité d’épouse, il pouvait exiger de sa femme une disponibilité et une confidentialité totale lorsqu’elle exerçait ses fonctions de collaboratrice parlementaire. En résumé, la différence de traitement entre les collaboratrices parlementaires trouve sa cause dans un critère familial. Or, l’article L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L1000LDE interdit les discriminations, notamment en matière de rémunération, qui reposeraient sur la situation de famille.

Mais comment doit-on comprendre l’interdiction des discriminations fondées sur la situation de famille ? Pour l’employeur, le critère de la situation de famille ne concerne que la sphère familiale du salarié et pas la situation familiale de l’employeur. À l’appui de son raisonnement, on peut faire valoir que l’article L. 1132-1 du Code du travail affirme que le salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire en raison de « sa situation de famille ». Autrement dit, c’est uniquement la situation de famille du salarié qui est visée par la loi, c’est-à-dire sa situation personnelle, et pas la famille de son employeur. Ainsi, une salariée ne peut pas faire l’objet d’une sanction au motif que son mari travaille dans une entreprise concurrente [1]. De même, un salarié ne peut pas être licencié en raison du lien de filiation l’unissant à un autre salarié de l’entreprise [2].

Dépassant l’interprétation littérale, la Cour de cassation décide que le critère de « situation de famille » englobe le défaut d’appartenance du salarié à la famille de son employeur. La Cour de cassation précise que cette interprétation large de la notion de  situation de famille trouve sa cause dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de discrimination. En effet, selon cette dernière, le principe d’égalité de traitement consacré par les directives ne s’applique pas à une catégorie de personnes déterminées, mais en fonction des motifs prohibés par les directives. La discrimination est donc constituée dès lors qu’une personne est victime d’un traitement défavorable en raison d’un motif prohibé, peu importe qu’elle ne soit pas elle-même directement concernée par ce motif. La CJUE a ainsi décidé que si une salariée subit un traitement défavorable en raison du handicap de son fils, la discrimination est constituée, même si elle n’est pas elle-même handicapée [3]. On se trouve dans ce cas en présence d’une discrimination « par association » ou « par ricochet » : une personne est victime d’une mesure discriminatoire pour un motif illicite qui tient à l’un de ses proches [4]. Comme le rappelle la Cour de cassation dans notre affaire, « le principe de l’égalité de traitement consacré par les directives […] s’applique non pas à une catégorie de personnes déterminée, mais en fonction des motifs prohibés » visés par les directives. La CJUE a, par exemple, décidé que, même en l’absence de victime identifiable, il y a discrimination lorsque l’employeur déclare publiquement qu’il ne recrutera pas de salariés étrangers [5] ou de personnes homosexuelles [6].

La décision de la Cour de cassation doit être totalement approuvée, car, au-delà de sa conformité avec le droit de l’Union européenne, elle contribue à renforcer la lutte contre les discriminations.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le principe de non-discrimination, La situation de famille, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E191903H.

[1] Cass. soc., 10 février 1999, n° 96-42.998, publié N° Lexbase : A4593AG9, Droit social, 1999, p. 410, obs. M. Bonnechère.

[2] Cass. soc., 1er juin 1999, n° 96-43.617 N° Lexbase : A4615AGZ, Droit social, 1999, p. 838, obs. C. Roy-Loustanau.

[3] CJCE, 17 juillet 2008, aff. C-303/06 N° Lexbase : A7107D94, RJS, 11/08, n° 1135 ; RDT, 2009, p. 41, obs. M. Schmitt.

[4] Ch. Radé, Discriminations et inégalités de traitement dans l’entreprise, éd. Liaisons, 2011, n° 75.

[5] CJCE, 10 juillet 2008, aff. C-54/07 N° Lexbase : A5470D9H, RJS, 11/08, n° 1136.

[6] CJUE, 23 avril 2020, aff. C-507/18 N° Lexbase : A96063KY, RJS, 10/20, n° 518.

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