Réf. : Cass. crim., 11 mars 2025, n° 23-86.261, FS-B+R N° Lexbase : A3034647
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par Jean-Yves Maréchal, Professeur de droit pénal à l’Université de Lille – Codirecteur de l’institut de criminologie de Lille CRDP – ERADP – ULR n° 4487
le 30 Avril 2025
Mots-clés : avocat • secret professionnel • perquisition • saisie • droits de la défense
Lorsqu’une perquisition dans le cabinet ou le domicile d’un avocat est justifiée par la mise en cause de ce dernier, elle ne peut être autorisée que s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir participé à l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe. Si tel est le cas, peuvent être saisis les documents révélant sa participation éventuelle à cette infraction y compris s'ils relèvent de l'exercice des droits de la défense et sont couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil. Les raisons plausibles de soupçonner la participation de l’avocat à l’infraction doivent être expressément mentionnées dans l’ordonnance autorisant la perquisition, l’absence de telles indications privant le bâtonnier de l’information nécessaire à l’exercice de sa mission de protection des droits de la défense.
Depuis la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 N° Lexbase : L6493MSB, l’article 56-1, alinéa 1er, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1314MAW, réglementant les perquisitions au sein des cabinets et domiciles d’avocats, distingue selon que la perquisition est justifiée ou non par la mise en cause de l’avocat dans les faits objets de l’enquête ou de l’instruction. Dans le premier cas, le législateur prévoit que les actes ne peuvent être autorisés que s'il existe des raisons plausibles de soupçonner l’avocat d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l’infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe. Il s’agit donc d’une obligation pour le juge des libertés et de la détention de motiver spécialement son ordonnance sur ce point, alors qu’en l’absence de mise en cause de l’avocat, la décision doit seulement indiquer la nature de l'infraction sur laquelle portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, l'objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. Le législateur précise, in fine, que ces exigences sont prévues à peine de nullité mais n’en tire aucune autre conséquence en termes de saisissabilité des documents susceptibles d’être découverts lors de la perquisition, l’alinéa 2 du texte énonçant, sans faire de distinction, que les documents relevant de l'exercice des droits de la défense et couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ, ne peuvent être saisis.
Dans un arrêt rendu le 11 mars 2025, la Cour de cassation établit un lien entre ces dispositions, qui semblent plus protectrices du secret professionnel des avocats, et sa propre jurisprudence antérieure, pour aboutir à une solution qui diffère de la lettre du texte, concernant la nature des documents saisissables. Dans l’affaire qui lui était soumise, un juge des libertés et de la détention a autorisé des perquisitions au cabinet et au domicile d’avocats intervenus dans des négociations en vue d’obtenir la libération d’une personne emprisonnée au Qatar, dans le cadre d’une instruction ouverte notamment des chefs d’arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire aggravés et extorsion. Une contestation de la saisie de documents a été élevée par le délégué du bâtonnier et le président de la chambre de l'instruction, sur recours contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant statué sur cette contestation, a écarté les arguments invoqués aux fins d’annulation de l’autorisation de perquisitionner, selon lesquels cette décision n’avait pas mentionné quels étaient les soupçons pesant sur les avocats d’avoir participé aux infractions objet de l’instruction.
La Chambre criminelle censure la décision du président de la chambre de l'instruction, au visa des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et 56-1 du Code de procédure pénale. Elle énonce en substance que lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe. Si tel est le cas, il peut être procédé à la saisie de documents révélant la participation éventuelle de l'avocat à cette infraction y compris s'ils relèvent de l'exercice des droits de la défense et sont couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil. Elle ajoute que les raisons plausibles de soupçonner la participation de l'avocat à l’infraction doivent être expressément mentionnées dans l'ordonnance autorisant la perquisition, l'absence de telles indications privant le bâtonnier de l'information nécessaire à l'exercice de sa mission de protection des droits de la défense. Hors cette hypothèse, aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par ledit secret professionnel ne peut être saisi et placé sous scellé.
Cette décision combine donc les règles légales issues de la loi de 2021, relatives aux conditions de la perquisition chez un avocat soupçonné, avec la jurisprudence de la Cour de cassation concernant la saisissabilité des documents découverts chez ce dernier, pour parvenir à une solution mitigée faisant découler des conséquences défavorables d’une disposition légale conçue comme permettant une meilleure protection du secret professionnel de l’avocat.
Si la perquisition dans le cabinet ou le domicile d’un avocat mis en cause n’est donc possible qu’à des conditions renforcées (I.), le magistrat qui la réalise se voit octroyer un pouvoir élargi de saisir des documents relevant de l’exercice des droits de la défense (II.).
I. Les conditions renforcées de la perquisition chez un avocat mis en cause
C’est l’article 3 du projet ayant conduit à l’adoption de la loi du 22 décembre 2021 qui a introduit, à l’article 56-1 du Code de procédure pénale, une nouvelle règle selon laquelle, lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe contre lui des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure. L’objectif du législateur était donc de rendre plus difficile le recours à ces investigations, le magistrat souhaitant y procéder devant pouvoir caractériser, au préalable, la suspicion pesant sur l’avocat. De surcroît, la même loi a renforcé les exigences de motivation pour le cas où la perquisition n'est pas justifiée par la mise en cause de l’avocat. Ainsi, dans cette situation qu’on pourrait qualifier d’ordinaire, le juge des libertés et de la détention qui autorise les investigations doit indiquer la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, l'objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. Dans le cas où les actes sont justifiés par la mise en cause de l’avocat, le magistrat doit compléter cette motivation par les éléments qui caractérisent l’implication de celui-ci, à savoir les « raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ».
Dans l’espèce à l’origine de l’arrêt commenté, il n’est pas précisé si le juge d'instruction a sollicité l’autorisation de perquisitionner en raison de la suspicion pesant sur les avocats mais le débat devant le président de la chambre de l'instruction a porté sur cette question. Ce magistrat a estimé que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant les actes comportait les éléments factuels caractérisant les raisons plausibles de soupçonner les avocats d’être auteur des infractions objet de l’instruction, mais la Cour de cassation ne partage pas cette analyse. Elle relève, en effet, que les motifs de l’ordonnance autorisant la perquisition n’ont établi que l'utilité d'une telle mesure pour la manifestation de la vérité, sa nécessité et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits objet de l'information, s'agissant notamment de faits d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire accompagnés de tortures ou d'actes de barbarie commis en bande organisée. En revanche, le juge n’a pas caractérisé de raisons plausibles de soupçonner les avocats d'avoir commis, comme auteurs ou comme complices, les infractions citées, et encore moins celle d'extorsion en bande organisée, non citée.
En d’autres termes, l’ordonnance était suffisamment motivée pour autoriser une perquisition chez un avocat non suspecté mais pas pour justifier les investigations chez un avocat soupçonné et la Chambre criminelle énonce, dans son attendu principal, que les raisons plausibles de soupçonner la participation de l'avocat à l'infraction doivent être expressément mentionnées dans l'ordonnance autorisant la perquisition, l'absence de telles indications privant le bâtonnier de l'information nécessaire à l'exercice de sa mission de protection des droits de la défense. Cette référence au rôle du bâtonnier et à son pouvoir de s’opposer à la saisie de documents couverts par le secret professionnel se comprend au regard des conséquences que la Cour de cassation tire de la distinction entre la situation de l’avocat suspecté et celle de l’avocat qui ne l’est pas [1].
On pourrait toutefois se demander quel est l’intérêt réel de cette distinction opérée par l’article 56-1 du Code de procédure pénale. Certes, elle offre la possibilité, comme l’arrêt commenté en est l’illustration, de contester plus aisément l’autorisation de perquisitionner qui doit être « surmotivée », mais les règles légales ainsi posées paraissent susceptibles d’être contournées. En effet, le magistrat demandeur de l’autorisation de perquisitionner pourrait, au moins dans certains cas, ne pas faire état des éléments de suspicion pesant sur l’avocat, dont il aurait connaissance, notamment s’ils sont peu nombreux ou trop vagues, afin de ne pas prendre le risque que le juge des libertés et de la détention refuse d’autoriser les investigations.
Ainsi, soit le procureur de la République ou le juge d'instruction ne dispose pas d’éléments suffisants de suspicion et il pourra néanmoins obtenir une autorisation de perquisitionner, en exposant au juge des libertés et de la détention quelles sont « les raisons justifiant la perquisition, l'objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits » [2]. Soit, il estime disposer de tels éléments et il devra alors, en plus, faire état des raisons plausibles de soupçonner la participation de l’avocat aux faits poursuivis [3]. Mais il pourra avoir intérêt à le faire, même s’il prend le risque d’un refus ou d’une annulation de l’autorisation, en raison de la conséquence tirée par la Cour de cassation de l’existence de cette suspicion, en termes de pouvoirs du magistrat pratiquant la saisie.
II. La saisissabilité des documents découverts chez un avocat mis en cause
Que la perquisition soit autorisée en raison de la suspicion pesant sur l’avocat ou en l'absence de celle-ci, l’article 56-1, alinéa 2, du Code de procédure pénale énonce que les documents couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil et relevant de l’exercice des droits de la défense sont insaisissables, le bâtonnier de l’ordre pouvant s’opposer à la saisie. Or, la solution affirmée dans l’arrêt commenté n’est pas celle-là. En effet, la Cour de cassation rappelle ici sa propre jurisprudence en vertu de laquelle les documents couverts par le secret professionnel de l’avocat sont saisissables, même lorsqu’ils relèvent de l’exercice des droits de la défense, lorsque cet avocat est soupçonné d’avoir participé à une infraction pénale. Il résulte donc de la combinaison du texte et de cette jurisprudence que l’autorisation de perquisitionner chez un avocat suspecté est plus difficile à motiver en raison des exigences légales renforcées mais qu’elle permet d’accroitre les pouvoirs de saisie du magistrat procédant à la perquisition.
La solution prétorienne dont il s’agit est ancienne, la Chambre criminelle jugeant déjà en 1992 [4] que « si le juge d'instruction est (…) investi du pouvoir de saisir les objets et documents utiles à la manifestation de la vérité, ce pouvoir trouve sa limite dans le principe de la libre défense, qui domine toute la procédure pénale et qui commande de respecter les communications confidentielles des inculpés avec les avocats qu'ils ont choisis ou veulent choisir comme défenseurs ; que la saisie des correspondances échangées entre un avocat et son client ne peut, à titre exceptionnel, être ordonnée ou maintenue qu'à la condition que les documents saisis soient de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à une infraction » [5]. En dépit de l’évolution de l’article 56-1 du Code de procédure pénale vers une plus grande protection [6] du secret professionnel de l’avocat, cette jurisprudence n’a pas été infléchie. Au contraire, dans un arrêt du 5 mars 2024 [7], la Cour de cassation énonce, d’une manière générale, que « le secret professionnel de l’avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d'établir la participation éventuelle de celui-ci à une infraction pénale » et que, « en adoptant les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, le législateur n'a pas entendu remettre en cause cette jurisprudence ».
L’arrêt commenté s’inscrit donc dans la continuité de cette jurisprudence qui considère que le secret professionnel de l’avocat ne peut valablement être invoqué afin d’empêcher la saisie d’éléments de preuve d’une infraction à laquelle il aurait participé, ce qui n’est guère contestable sur le plan des principes, une solution contraire conduisant à une sorte d’immunité contestable au profit de l’avocat ayant une activité délictueuse. Mais la décision fait également le lien avec l’exigence d’une motivation renforcée de la décision autorisant la perquisition.
Ainsi, l’existence d’une suspicion à l’égard de l’avocat d’avoir participé à une infraction permet au procureur de la République ou au juge d'instruction d’obtenir une autorisation de perquisitionner qui offrira la possibilité de saisir les documents qui, soit ne sont pas couverts par le secret professionnel au sens de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, soit sont couverts par ce secret mais ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense, soit encore, et c’est la précision apportée par l’arrêt, sont couverts par le secret professionnel et relèvent de l’exercice des droits de la défense à condition qu’ils paraissent constituer des éléments de preuve de l’implication de l’avocat dans les faits poursuivis. Si l’on imagine, par exemple, qu’un avocat participe à une infraction avec un de ses clients, seraient saisissables les échanges entre les intéressés, même relevant de l’exercice des droits de la défense, s’ils établissent l’implication de l’avocat dans les faits infractionnels.
Le bâtonnier de l’ordre conserve évidemment, en pareil cas, le droit de contester les opérations mais le fait pour le juge des libertés et de la détention d’avoir préalablement autorisé celles-ci sur le fondement de soupçons pesant sur l’avocat a pour conséquence que la contestation qui porterait sur la nature des documents saisis aurait un champ d’application restreint aux seuls documents relevant de l’exercice des droits de la défense mais n’incriminant pas l’avocat. En revanche, si la perquisition n’a pas été autorisée au regard de l’existence de soupçons à l’égard de l’avocat, il est évidemment possible qu’elle donne lieu à la découverte de documents faisant naître une telle suspicion mais, en pareil cas, la contestation du bâtonnier conduirait alors le juge saisi à vérifier d’abord la consistance des soupçons et, s’il la considère comme établie, à permettre la saisie des documents relevant de l’exercice des droits de la défense et incriminant l’avocat. En d’autres termes, les moyens au soutien de la contestation sont en cette hypothèse plus nombreux [8] que lorsque l’autorisation a été initialement donnée sur le fondement de raisons plausibles de penser que l’avocat a participé à une infraction.
La décision commentée présente donc l’avantage de clarifier la situation juridique en cas de perquisition chez un avocat, motivée par l’existence de soupçons à son égard, en permettant de mieux cerner les stratégies qui peuvent être adoptées par le procureur de la République ou le juge d'instruction, d’une part, par le bâtonnier de l’ordre des avocats, d’autre part. Elle met toutefois en lumière le fait que la lettre de l’article 56-1, alinéa 2, du Code de procédure pénale est trompeuse, en ce qu’elle ne fait aucune allusion au caractère saisissable des documents relevant de l’exercice des droits de la défense et constituant des éléments établissant une suspicion pesant sur l’avocat concerné par la perquisition. Cette solution prétorienne devrait donc être examinée par le législateur et figurer dans ce texte. On observera d’ailleurs que la Cour européenne des droits de l’Homme ne la considère pas comme contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme mais qu’elle exige que le législateur encadre strictement toutes les mesures qui restreignent le secret professionnel des avocats parce que ces derniers occupent « une situation centrale dans l’administration de la justice » [9].
[1] V. infra, 2.
[2] C. proc. pén., art. 56-1 N° Lexbase : L1314MAW, al. 1er, première phrase.
[3] C. proc. pén., art. 56-1, al. 1er, troisième phrase.
[4] Cass. crim., 12 mars 1992, n° 91-86.843 N° Lexbase : A0745AB9.
[5] Voir également, Cass. crim., 14 novembre 2001, n° 01-85.965 N° Lexbase : A4801CHB ; Cass. crim., 18 juin 2003, n° 03-81.979, F-P+F N° Lexbase : A0422C9I, Bull. crim. 2003, n° 129.
[6] Ou du moins une plus claire affirmation.
[7] Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-80.110, FS-B N° Lexbase : A83362R8 ; C. Fonteix, Perquisition au cabinet : elle peut conduire à la saisie de documents exclus du champ de la relation « avocat-client », sans qu’il soit besoin d’examiner le critère – toujours en vigueur – tiré des soupçons de participation de l’avocat à la commission d’une infraction, Lexbase Avocats, mai 2024 N° Lexbase : N9245BZG ; Procédures, 2024, comm. 126, obs. A.-S. Chavent-Leclère.
[8] Contestation de la réalité des soupçons et du caractère saisissable des documents.
[9] CEDH, 24 juillet 2008, Req. n° 18603/03, aff. André c. France N° Lexbase : A8281D9L, n° 42.
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