Réf. : Cass. soc. 26 mars 2025, n° 23-23.625, F-B N° Lexbase : A16140CR
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par Marie Rascle, Docteur en droit privé
le 28 Avril 2025
► Ne constitue pas un licenciement verbal, les courriels échangés entre l’employeur et une salariée de l’entreprise en charge des ressources humaines et destinés à préparer le recrutement du remplaçant d’un salarié menacé de licenciement. La demande d’établir une promesse d’embauche ne peut en effet être analysée comme la manifestation d’une volonté irrévocable de l’employeur de rompre le contrat de travail, cette volonté n’ayant été exprimée ni publiquement, ni auprès du salarié.
En l’absence de lettre de licenciement, la rupture du contrat de travail peut résulter d’un acte de l’employeur par lequel il manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Cette pratique, que l’on nomme licenciement verbal ou licenciement de fait, est prohibée : elle constitue nécessairement un licenciement sans cause réelle et sérieuse [1]. Le procédé, pour autant, n’est pas rare et les illustrations jurisprudentielles sont nombreuses. La plus commune est sans doute celle où l’employeur, par souci de correction, informe verbalement le salarié de son licenciement avant l’envoi de la lettre de licenciement [2]. Qu’en est-il, cependant, lorsque l’employeur manifeste sa volonté de mettre fin au contrat de travail, non pas directement au salarié, ni même vraiment publiquement, mais à un autre membre de l’entreprise et que le salarié concerné l’apprend incidemment ?
C’est à cette question que répond la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 26 mars 2025.
Pas de licenciement verbal en l’absence d’une manifestation par l’employeur, publique ou au salarié, de sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Dans cette affaire, un salarié engagé en tant que directeur général contestait son licenciement pour faute grave. Il faisait valoir qu’il avait déjà été licencié, en versant au débat des courriels échangés entre le président de la société et la directrice commerciale, mentionnant l’ouverture d’un recrutement sur le poste qu’il occupait et la formalisation d’une promesse d’embauche dix jours avant sa convocation à un entretien préalable de licenciement. Après avoir jugé recevables en tant que preuve les courriels de nature professionnelle obtenus de manière loyale, puisqu’aucun piratage des messageries n’était démontré - solution confirmée par la Cour de cassation -, la cour d’appel avait donné droit aux demandes du salarié. Selon les juges du fond, en effet, la formalisation d’une promesse d’embauche,, antérieure à l’introduction de la procédure de licenciement est de nature à caractériser « la manifestation à ce moment précis d’une décision irrévocable de rompre la relation de travail ». Ajoutant que, contrairement, à ce que soutenait l’employeur, il n’était pas nécessaire que la décision de rompre de façon irrévocable un contrat de travail soit notifiée au principal intéressé, il suffit que son existence soit démontrée.
C’est ce raisonnement que censure la Cour de cassation. Au visa de l’article L. 1232-6 du Code du travail N° Lexbase : L1447LKS, la Haute juridiction rappelle que la rupture du contrat de travail, en l’absence de lettre de licenciement, ne peut résulter que d’un acte de l’employeur par lequel il manifeste au salarié ou publiquement sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Dès lors qu’en l’espèce, l’intention de l’employeur de recruter un nouveau directeur général n’avait pas été exprimée publiquement, ni auprès du salarié, mais s’était seulement manifestée par un échange de mails entre le président et une salariée de l’entreprise, l’employeur, qui conservait la faculté de ne pas mettre en œuvre la procédure de licenciement, n’avait pas manifesté de manière irrévocable sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Une frontière ténue entre intention de licencier et manifestation concrète de sa mise œuvre. La solution n’a rien de radicalement nouvelle. Certes, la Cour de cassation précise ici, dans un énoncé de principe, que la manifestation de la volonté de l’employeur de licencier, permettant de caractériser un licenciement verbal, peut non seulement être adressée au salarié, mais également être publique. Mais, en réalité, la Haute juridiction avait déjà retenu, par le passé, l’existence d’un licenciement verbal dans des hypothèses où l’employeur s’était contenté d’annoncer publiquement sa volonté de mettre fin au contrat de travail de l’un de ses salariés [3].
Pour le reste, l’arrêt reprend la distinction jurisprudentielle classique entre l’intention de licencier et la manifestation concrète de sa mise en œuvre. On se souvient que la Cour de cassation avait jugé qu’un échange de courriels entre des salariés du service des ressources humaines, évoquant la possibilité de récupérer un indu sur le solde de tout compte d’un salarié dont la procédure de licenciement était toujours en cours, ne constitue pas un licenciement verbal [4]. Et c’est dans le même sens qu’elle relève ici que le recrutement, qui n’avait été discuté qu’entre le président de l’entreprise et la salariée chargée des ressources humaines, n’avait pas été dévoilé au salarié, ni publiquement. Comme le souligne l’arrêt, la décision de licencier le salarié, demeurée confidentielle, laissait à l’employeur la possibilité de faire machine arrière, ce qui semble plus compliqué une fois que celle-ci a été annoncée publiquement.
Déterminant est alors le critère qui réside dans le fait que la manifestation de l’employeur de rompre le contrat de travail doit être irrévocable. À l’instar d’un auteur, l’on peut néanmoins se demander si le fait qu’en l’espèce, une promesse d’embauche avait été formalisée - c’est-à-dire, à tout le moins, une offre de contrat au sens de l’article 1114 du Code civil N° Lexbase : L0840KZ7 - n’était pas, comme le soutenait la cour d’appel, de nature à caractériser une manifestation irrévocable de la volonté de l’employeur de rompre le contrat de travail [5]. Il est effectivement admis que l’offre de contrat, lorsqu’elle est acceptée par le salarié, suffit à former un contrat de travail [6]. Dès lors, même si l’employeur conserve en théorie la possibilité de se rétracter - dans les faits assez marginale -, la conclusion du contrat de travail n’est plus vraiment entre ses mains. De sorte que cela suffisait sans doute à caractériser le caractère irrévocable de sa volition de mettre fin au contrat de travail.
En tout état de cause, la ligne tracée dans cet arrêt demeure fine et fragile. En cas d’anticipation du recrutement d’un salarié, comme en l’espèce, d’autres éléments pourraient faire aisément basculer l’intention de licencier du côté de la manifestation concrète de sa mise en œuvre. Cela pourrait être, par exemple, l’annonce à l’ensemble du personnel de la venue d’un candidat, ou encore, comme l’a déjà jugé la Cour de cassation, la publication d’une annonce de recrutement [7].
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La procédure applicable au licenciement pour motif personnel, L'exigence de notifier par écrit le licenciement, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3078E4R. |
[1] Cass. soc., 22 mai 2001, n° 99-40.486 N° Lexbase : A4855ATY ; Cass. soc., 9 juillet 2003, n° 01-44.580, inédit N° Lexbase : A1132C9S ; Cass. soc., 22 mars 2023, n° 21-21.104, F-D N° Lexbase : A97569KK.
[2] V. encore récemment : Cass. soc., 3 avril 2024, n° 23-10.931, F-D N° Lexbase : A057223L.
[3] Cass. soc., 23 octobre 2019, n° 17-28.800, F-D N° Lexbase : A6534ZSS : lors d’une réunion du personnel.
[4] Cass. soc., 6 décembre 2023, n° 22-20.414, F-D N° Lexbase : A863017R.
[5] A. Nivert, Point de licenciement verbal nonobstant l’obtention loyale de courriels professionnels, D. actualité, 3 avril 2025.
[6] Cass. soc., 23 septembre 2020, n° 18-22.188, F-D N° Lexbase : A06653WK.
[7] Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-40.484, F-D N° Lexbase : A5026DW3 : parution d’une offre d’emploi dans la presse.
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