Le Quotidien du 24 avril 2025 : Eoliennes

[Questions à...] Avis de tempête sur l’éolien ? - Questions à Roxane Sageloli, Huglo Lepage Avocats

Réf. : CAA Nancy, 1ère ch., 3 avril 2025, n° 20NC00801 N° Lexbase : A12740LR

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N2155B39

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le 23 Avril 2025

Mots clés : éoliennes • environnement • saturation visuelle • énergies renouvelables • espèces protégées

Dans un arrêt rendu le 3 avril 2025, la cour administrative d’appel de Nancy, saisie en appel d’une demande d’annulation de l’arrêté du 26 juin 2017 du préfet des Ardennes autorisant l’implantation du parc éolien du Mont des Quatre Faux et de l’arrêté de régularisation du 3 octobre 2023, a annulé les arrêtés du préfet des Ardennes autorisant l’exploitation de soixante-trois éoliennes. Les juges ont notamment argué du dépassement pour les habitants du secteur des seuils d’alerte admis pour apprécier le phénomène de saturation visuelle. Pour apprécier le sens de cette décision mettant un point d’arrêt à la construction du plus grand parc éolien terrestre de France, Lexbase a interrogé Roxane Sageloli, Huglo Lepage Avocats*.


 

Lexbase : Dans sa décision, la CAA a notamment invoqué le phénomène de saturation visuelle. Pouvez-vous nous rappeler ce qu'il recouvre ?

Roxane Sageloli : Selon la jurisprudence du Conseil d’État il convient, pour apprécier l’effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte de l’effet d’encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels, l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration, ce dernier s’entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.

Le juge s’appuie pour ce faire sur les différents indices pris en compte par les services de l’État : indice d’occupation de l’horizon (correspondant à la somme des angles de vision occupés par les éoliennes depuis un point fixe), indice de densité sur les horizons occupés (lié au nombre d'éoliennes rapporté à l'indice d'occupation de l'horizon) et indice d’espace de respiration ou angle de respiration (qui renvoie au plus grand angle de vision sans éolienne), ainsi que sur la topographie des lieux. Il prend également en compte le fait que ni le relief, ni la végétation ne peuvent masquer les éoliennes prévues par le projet. Le Conseil d’État a récemment étendu cette jurisprudence au cas d’instruction concomitante de plusieurs projets.

Le phénomène de saturation visuelle implique que l’on atteigne un degré au-delà duquel la présence des installations dans le paysage s’impose dans tous les champs de vision, entraînant une perte de lisibilité du paysage et une occupation continue de l’horizon.

Lexbase : Couplée à d'autres raisons déjà invoquées comme la préservation d’un paysage présentant une composante immatérielle , ne préfigure-t-elle pas une remise en cause des grands projets éoliens à venir ?

Roxane Sageloli : Cette décision de la CAA de Versailles [1] est précisément celle qui a permis au Conseil d’État, statuant en chambres réunies, de clarifier la manière d’appréhender les atteintes au paysage, en y intégrant une dimension immatérielle prenant en considération sa valeur historique, mémorielle, culturelle et artistique, y compris littéraire [2].

Elle portait toutefois sur un site remarquable classé au titre du code du patrimoine, pour partie au titre des monuments historiques, et dont le classement trouvait expressément son fondement dans la protection et la conservation de paysages étroitement liés à la vie et à l’œuvre de Marcel Proust. Les éoliennes projetées auraient été visibles depuis ce site, risquant ainsi d’y porter une atteinte significative, ainsi qu’à l’intérêt paysager et patrimonial du village.

La décision est inédite, en ce qu’elle confère une dimension immatérielle à la protection du paysage. Mais elle est aussi topique. Le degré d’exigence sera sans doute très élevé afin de la voir transposée à d’autres implantations, dont il conviendra d’établir au préalable l’existence d’un paysage emblématique d’un patrimoine historique, mémoriel, culturel et artistique notoire à préserver, auquel le projet risquerait de porter une atteinte significative.

Lexbase : La préservation d'espèces protégées  est-elle une menace supplémentaire pour ces mêmes projets ?

Roxane Sageloli : La préservation des espèces protégées [3] constitue en effet un écueil contentieux majeur pour les projets éoliens. Le cadre juridique issu de l’article L. 411-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7924K9D, interprété à la lumière de la jurisprudence nationale et européenne impose une obligation de résultat : toute atteinte à une espèce protégée ou à ses habitats est en principe interdite, sauf à bénéficier d’une dérogation.

Celle-ci n’est accordée que lorsque sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d’une part, à l’absence de solution alternative satisfaisante, d’autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur.

La jurisprudence récente montre une exigence accrue, dans l’examen notamment des deux premières conditions (raison impérative d’intérêt public majeur et absence de solution alternative satisfaisante). Pour autant, une dérogation au régime de protection des espèces ne s’impose que si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé, en tenant compte des mesures d’évitement et de réduction proposées.

C’est donc sur cette notion de risque suffisamment caractérisé, appréciée in concreto, et qui n’existe pas dans la jurisprudence européenne que se cristallise dans bien des cas l’enjeu de la préservation des espèces protégées, ainsi que le sort de nombreux projets, subordonnés de fait à une exigence accrue de qualité de l’étude d’impact.

Lexbase : Plus généralement, n'est-ce pas le développement des politiques environnementales qui pourrait se voir sérieusement compromis ?

Roxane Sageloli : Le projet de loi de simplification de la vie économique, déjà en cours d’examen par l’Assemblée nationale puisqu’adopté après engagement de la procédure accélérée, soulève en effet de vives inquiétudes quant à ses effets potentiellement dévastateurs sur les politiques environnementales, et sur les quelques acquis du droit de l’environnement en général.

Sous couvert de simplification normative, plusieurs dispositions visent à alléger les procédures applicables aux projets d’aménagement, sinon à en supprimer les obstacles contentieux, notamment en matière d’autorisation environnementale et d’urbanisme.

Si l’objectif affiché de fluidifier les procédures n’est pas contestable en soi, le fait restreindre le temps d’analyse des projets, d’entraver le rôle des contre-pouvoirs (associations, autorités environnementales, juges), d’amoindrir la qualité des évaluations, voire de les supprimer va dans le sens d'un affaiblissement significatif des garanties environnementales.

La difficulté tient sans doute au fait d’opposer, par principe, le développement des politiques environnementales à l’exigence de sécurité juridique ou à l’objectif de simplification du droit. Alors qu’en réalité, ce sont moins les normes environnementales elles-mêmes que leur articulation, leur lisibilité et la qualité de leur mise en œuvre qui posent difficulté.

Partant, ce n’est tant le développement des politiques environnementales qui se voit compromis que leur crédibilité et leur effectivité. La transition écologique et énergétique ne peut se construire sur l’effacement progressif du droit de l’environnement, qui, on le rappelle, est gouverné par un principe de non-régression. Elle exige au contraire des outils clairs, exigeants et bien articulés, garants d’un juste équilibre entre la protection des milieux et des espèces et le développement des projets.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

[1] CAA Versailles, 2e ch., 11 avril 2022, n° 20VE03265 N° Lexbase : A98217TW.

[2] CE, 5°-6° ch. réunies, 4 octobre 2023, n° 464855, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A20901KM.

[3] Espèces protégées : la justice ordonne l’arrêt du parc éolien d’Aumelas pour quatre mois, Ouest France, 7 avril 2025.

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