Le Quotidien du 25 avril 2025 : Avocats/Procédure

[Focus] Discipline des avocats : Le rôle du bâtonnier dans la phase précontentieuse

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N2146B3U

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par Jean-Christophe Dalix, docteur en droit

le 30 Avril 2025

Mots clés : discipline • bâtonnier • déontologie • conciliation • procédure

Conciliateur ou instigateur d’une enquête déontologique, le rôle du bâtonnier en phase précontentieuse s’est enrichi d’une nouvelle prérogative. La décision de ce dernier d’user de l’une ou de l’autre de ces prérogatives commande de suivre une homogénéité de régime : délai imparti pour opérer ce choix et notification aux parties. Néanmoins au stade de leur mise en œuvre, il semble judicieux de définir un régime différent en raison de leur finalité propre.


 

Pour aborder ce thème, il convient de souligner préalablement que le décret de 2022 [1] a avancé l’enquête déontologique en l’intégrant à la phase précontentieuse alors que le décret de 2005 [2] l’avait incorporé à la phase contentieuse.

Aussi est-il nécessaire en préambule de revenir sur le changement de paradigme du concept qui a présidé à l’introduction de l’enquête déontologique par le décret de 2005 portant réforme de la procédure disciplinaire (I).

Par suite, ce changement de paradigme est-il de nature à placer la décision discrétionnaire du bâtonnier d’ouvrir une enquête déontologie sous le même régime du délai de 3 mois dont dispose ce dernier pour se déterminer sur l’opportunité d’organiser une conciliation (II) ?

Enfin, nous verrons qu’à l’issue de ce délai butoir de 3 mois, le bâtonnier est débiteur d’un devoir d’information tant à l’égard de l’auteur de la réclamation qu’à l’égard de l’avocat mis en cause (III).

I. Le changement de paradigme du concept ayant présidé à l’introduction de l’enquête déontologique

Avant le décret du 30 juin 2022, l’enquête déontologique figurait dans le chapitre relatif à la procédure disciplinaire. À l’aune de la position occupée dans le dispositif du décret du 27 novembre 1991 suite à son insertion induite par la réforme de la procédure disciplinaire de 2005, il ressort très nettement que le paradigme ayant présidé à l’introduction de l’enquête déontologique était alors perçu comme l’antichambre de la saisine de l’instance disciplinaire.

Aussi se distinguait-elle du processus conciliatoire conçu quant à lui au regard de sa position dans le dispositif du décret du 27 novembre 1991, comme une modalité de traitement des réclamations.

Face à la critique formulée par la profession, le décret du 30 juin 2022 a découplé l’enquête déontologique du chapitre relatif à la procédure disciplinaire par l’ajout d’un chapitre distinct, le chapitre II ter actant le déplacement de la sorte du dispositif de l’article 187 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID.

Il s’ensuit que ce changement de position dans le dispositif du décret de 1991 s’accompagne indubitablement d’une modification du concept ayant présidé lors de l’introduction de l’enquête déontologique en la faisant passer du statut d’antichambre de la saisine de l’instance disciplinaire à celui de l’une des modalités de traitement comme en atteste la décision de la Cour de cassation qui rappelle que « l'enquête déontologique ne fait pas partie de la procédure disciplinaire. En conséquence, son caractère contradictoire n’est pas une exigence absolue dont le non-respect entraînerait la nullité de la procédure » [3].

Dès lors, à compter de la réception de la réclamation formulée à l’encontre d’un avocat, il ressort de ce qui précède que le bâtonnier dispose donc de deux modalités de traitement des réclamations dont l’exercice est facultatif, autrement dit, le bâtonnier peut :

  • soit organiser une conciliation entre les parties (article 186-3 du décret de 1991) lorsque la nature de la réclamation le permet et lorsque les faits portés à sa connaissance lui permettent d’acquérir la certitude que la perspective d’un règlement amiable a des chances raisonnables d’aboutir ;
  • soit ouvrir une enquête déontologique (article 187 du décret de 1991) à défaut de pouvoir recourir au processus conciliatoire en raison de la nature de la réclamation ou/et lorsque la situation commande d’être éclaircie et approfondie afin d’apprécier si le comportement ou les faits portés à sa connaissance sont susceptibles de constituer des manquements aux règles déontologiques.

II. Le délai de trois mois fixés pour l’organisation d’une conciliation est-il également applicable en cas d’ouverture d’une enquête déontologique ?
 

S’il ne fait aucun doute que les textes applicables relatifs à la discipline des avocats imposent au Bâtonnier de se déterminer dans un délai butoir de trois mois, à compter de la réception de la réclamation formulée à l’encontre d’un avocat, sur l’opportunité d’organiser une conciliation entre les parties (1), on peut raisonnablement penser que le délai butoir susvisé est également applicable lorsque le bâtonnier décide d’ouvrir une enquête déontologique faute notamment de pouvoir organiser une conciliation en raison de la nature de la réclamation (2).

1) L’organisation d’une conciliation : un délai fixé à l’article 186-3 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié par le décret n° 2022-965 du 30 juin 2022

L’article 186-3 nouveau prévoit que « Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la réclamation formulée à l'encontre d'un avocat, le bâtonnier peut organiser une conciliation entre les parties lorsque la nature de la réclamation le permet ».

Il découle clairement de cet article qu’a été fixé un délai butoir de trois mois dans lequel le bâtonnier est enfermé pour juger de l’opportunité d’organiser une conciliation entre les parties.

Partant, il ressort indiscutablement de ce texte que la décision discrétionnaire du bâtonnier d’organiser une conciliation doit nécessairement intervenir avant l’expiration du délai de 3 mois à compter de la réception de la réclamation formulée à l’encontre d’un avocat.

Aussi, il est important de souligner que si l’article 186-3 impose au bâtonnier d’organiser une conciliation dans un délai de 3 mois, cela ne signifie pas qu’il impose à ce dernier de boucler le processus conciliatoire. En tout état de cause, l’absence de terme régissant le processus conciliatoire aboutit, comme le souligne P. Lingibé, à « vider de sens la portée de la réforme pourtant réalisée dans l’intérêt des auteurs de réclamations formées à l’égard d’avocats »[4].

En conséquence, il serait peut-être judicieux que lorsquele  bâtonnier décide d’organiser la conciliation dans le délai imparti de 3 mois qu’il établisse d’un commun accord avec les parties un calendrier fixant un terme à la conciliation à l’instar de ce qui préside en matière d’arbitrage.

À l’issue de ce délai, faute pour le bâtonnier de faire usage d’une autre modalité de traitement des réclamations relevant de ses prérogatives propres ou faute pour le bâtonnier de saisir le Conseil régional de discipline, il lui est seulement fait obligation d’informer sans délai l’auteur de réclamation selon l’article 21 § II de la loi du 31 décembre 1971 modifié par la loi du 22 décembre 2021 qui dispose qu’ « En l'absence de conciliation, en cas d'échec de celle-ci ou en l'absence de poursuite disciplinaire, l'auteur de la réclamation est informé sans délai de la possibilité de saisir le procureur général près la cour d'appel de sa réclamation ou de saisir directement la juridiction disciplinaire ». 

2) L’ouverture d’une enquête déontologie : un délai fixé implicitement par le parallélisme des formes applicable au délai imparti pour l’organisation d’une conciliation

Pour rappel comme nous l’avons exposé au A) de cet article, le changement de paradigme posé par la réforme disciplinaire de la profession d’avocat (décret du 30 juin 2022) a eu pour effet de faire sortir l’enquête déontologique du concept d’antichambre de la saisine de l’instance disciplinaire pour la faire entrer dans celui du giron de l’une des modalités de traitement des réclamations.

Or, comme nous l’avons souligné précédemment, il découle clairement de l’article 186-3 qu’a été fixé un délai butoir de trois mois dans lequel le bâtonnier est enfermé pour juger de l’opportunité d’organiser une conciliation entre les parties, laquelle constitue l’autre modalité de traitement des réclamations dont il dispose au titre de ses prérogatives propres.

Aussi, il paraît raisonnable de penser que le délai butoir de 3 mois encadrant la faculté d’organiser une conciliation est également applicable à la faculté d’ouvrir une enquête déontologique en vertu du principe consacré par le droit romain que constitue un raisonnement fondé sur le parallélisme des formes. En outre, comment serait-il possible de justifier que l’une des modalités de traitement des réclamations puisse être encadrée par un délai différent qu’il soit plus long ou plus court ?

Partant, estimons-nous que la décision discrétionnaire du bâtonnier de faire usage de l’une ou l’autre des modalités de traitement des réclamations doit nécessairement intervenir dans les 3 mois à compter de la réception de la réclamation formulée à l’encontre d’un avocat.

À l’instar du processus conciliatoire, il est important de souligner que le délai de 3 mois imparti au bâtonnier pour se déterminer à ouvrir une enquête déontologique ne signifie pas qu’il est imposé à ce dernier de la boucler dans ce délai. Toutefois, et tout comme le processus conciliatoire, l’enquête déontologique n’est soumise à aucun délai régissant son terme. En conséquence, il nous semble judicieux de prévoir un délai qui serait fixé dans le règlement intérieur des barreaux à l’enquêteur ou aux enquêteurs pour l’exécution de sa ou de leur mission à l’instar de l’insertion dans le RIBP de l’article P. 72.7.3 [5].

III. Le devoir d’information du bâtonnier

L’article 21 § II de la loi du 31 décembre 1971 modifié par la loi du 22 décembre 2021 prévoit que « Lorsque la nature de la réclamation le permet, et sous réserve des réclamations abusives ou manifestement mal fondées, le bâtonnier peut organiser une conciliation entre les parties, à laquelle prend part un avocat au moins. L'auteur de la réclamation et l'avocat mis en cause sont informés des suites réservées à la réclamation ».

Pour rappel, l’article 186-3 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié par décret n° 2022-964 du 30 juin 2022 prévoit que « Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la réclamation formulée à l'encontre d'un avocat, le bâtonnier peut organiser une conciliation entre les parties lorsque la nature de la réclamation le permet… »

Il découle à la lecture combinée de l’article 21 § II de la loi du 31 décembre 1971 modifié par la loi du 22 décembre 2021 et de l’article 186-3 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié par décret n° 2022-964 du 30 juin 2022 qu’à l’issue du délai de trois mois, le bâtonnier est tenu d’informer d’une part, l’auteur de la réclamation et, d’autre part, l’avocat mis en cause de sa décision de mettre en œuvre l’une ou l’autre des modalités de traitement des réclamations.

De fait à compter de la réception de la réclamation formulée à l’encontre d’un avocat et après avoir demandé des explications à l’avocat mis en cause, le bâtonnier se détermine dans le délai butoir de 3 mois sur l’opportunité d’amorcer une conciliation entre les parties ou sur le bien-fondé d’ouvrir une enquête déontologie sur le comportement d’un avocat de son barreau, faute de pouvoir mettre en œuvre un processus conciliatoire.

Il s’en suit qu’une fois ce choix opéré, le bâtonnier est donc contraint d’informer l’auteur de la réclamation ainsi que l’avocat mis en cause de l’usage de l’une de ses prérogatives propres pendant la phase précontentieuse et ce quand bien même l’auteur de réclamation n’est pas demandeur de l’une ou de l’autre mesure.

Il s’en déduit qu’en cas de non-respect de son devoir d’information à l’issue du délai butoir de 3 mois, le bâtonnier est dessaisi de l’initiative des poursuites revenant alors à l’auteur de la réclamation qui est libre de saisir directement la juridiction disciplinaire à l’issue de ce délai.

Cette analyse doit être rapprochée de la circulaire de présentation de la réforme de la procédure disciplinaire du 9 novembre 2022 dans laquelle le Garde des Sceaux affirme « que l’auteur de la réclamation serait donc libre de saisir directement la juridiction disciplinaire à l’issue du délai de 3 mois pendant lesquels le bâtonnier a la faculté d’organiser une conciliation »[6].

À l’aune de ce qui précède et contrairement à l’opinion émise par P. Ligibé [7], la circulaire ministérielle n’impose pas au bâtonnier de boucler une conciliation dans le délai de 3 mois mais affirme simplement un devoir d’information des suites réservées à la réclamation dans ce délai que devra respecter le bâtonnier à défaut il rendra libre l’auteur de réclamation de saisir directement la juridiction disciplinaire.

 

[1] Décret n° 2022-965 du 30 juin 2022, réformant l’organisation de la profession d’avocat N° Lexbase : L5845MXR.

[2] Décret n° 2005-531 du 24 mai 2005 N° Lexbase : L2575MUW, qui instaura un nouvel article 187 sous la section I intitulé « L’enquête déontologique » du chapitre III « Procédure disciplinaire ».

[3] Cass. civ. 1, 30 juin 2021, n° 19-23.722 N° Lexbase : A20504YL.

[4] P. Lingibé, Discipline des avocats : le nouveau traitement des réclamations en 4 questions, Actu-Juridique.fr, 22 décembre 2022.

[5] Article. P 72.7 relatif à l’enquête déontologique, Règlement intérieur du barreau de Paris, site du barreau de Paris.

[6] Circulaire de présentation de la réforme de la procédure disciplinaire, Garde des Sceaux, 9 novembre 2022.

[7] , P. Lingibé, Discipline des avocats : le nouveau traitement des réclamations en 4 questions, Actu-Juridique.fr, 22 décembre 2022

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