Réf. : Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-23.961, F-B N° Lexbase : A5247644
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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre
le 17 Avril 2025
Mots-clés : convention de trésorerie intragroupe • société filiale • société mère • autonomie de la direction et de la gestion • transmission d’une obligation de paiement
Une société filiale ne saurait être condamnée à payer la dette pesant sur la société mère, dès lors que la convention de trésorerie conclue entre elles stipulait que les parties resteraient indépendantes et continueraient d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs responsabilités et de leurs obligations, ce qui excluait que la convention puisse constituer le fondement juridique de la transmission d'une obligation de paiement entre les sociétés, aucun autre élément n'étant versé aux débats rapportant la preuve d'une transmission de l'obligation de paiement.
1. Opération de trésorerie / convention de trésorerie. Le Code monétaire et financier encadre les opérations de crédit par ce que l’on appelle le monopole bancaire. Précisément, l’article L. 511-5 N° Lexbase : L2550IXQ dispose en son premier alinéa qu’« il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel », et l’article L. 571-3 N° Lexbase : L4250AP4 sanctionne la méconnaissance de cette interdiction de trois ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende, l’affichage ou la diffusion de la décision pouvant en outre être ordonnés. Parmi les exceptions apportées à cette interdiction, l’article L. 511-7 N° Lexbase : L1453MMR dispose en son I, que « Les interdictions définies à l’article L. 511-5 ne font pas obstacle à ce qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse […] 3. Procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ». L’arrêt ici commenté fait usage de ce texte pour fonder la solution qu’il énonce à propos d’une « convention de trésorerie », dont on comprend que la Cour la rattache aux opérations de trésorerie visées par l’article L. 511-7.
2. Trois arrêts de la Cour de cassation en à peine plus d’un mois. L’article L. 511-7 du Code monétaire et financier était déjà au cœur d’un arrêt rendu le 5 février 2025, et publié au Bulletin [1]. On retiendra particulièrement de ce dernier arrêt qu’il faisait une application généreuse de l’exception au monopole bancaire qui résulte du texte précité. L’arrêt commenté, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 mars dernier et également publié [2], s’empare à nouveau du texte, et il est doublé d’un arrêt rendu le même jour mais non publié celui-là, qui rejette dans les mêmes termes un pourvoi en cassation formé contre un arrêt d’appel rendu également le même jour que l’arrêt attaqué par la décision sous commentaire [3]. L’arrêt commenté ici, comme l’arrêt non publié du même jour, fait usage de l’article L. 511-7 non pas pour en déduire la soumission ou non d’une opération de crédit au monopole bancaire, mais pour fixer le cadre des relations unissant les sociétés parties à cette convention et un créancier, ce qui est une utilisation originale du texte. On reviendra sur les relations qui unissaient les parties en cause (I) avant de s’intéresser à l’incidence de la convention de trésorerie (II).
I. Les relations unissant les parties
3. Relation tripartite initiale. Au commencement du litige, une société Europe Asset AG était condamnée par un tribunal de commerce à payer des sommes à l’un de ses associés, au titre du compte courant détenu par celui-ci. Il s’agissait manifestement d’une société de droit étranger, mais cet élément n’a pas d’incidence sur le règlement du litige. Afin de procéder au règlement de cette dette, le dirigeant de la société débitrice prenait une décision qui pourrait être discutée mais qui ne l’était finalement pas, puisqu’il autorisait une filiale de celle-ci, la société de droit français SIIE dont il était également le dirigeant, à régler la dette d’Europe Asset AG, ceci « sur le fondement d'une convention centralisée de trésorerie conclue le 13 avril 2018 entre ces deux sociétés » selon les termes de l’arrêt. La date de conclusion de la convention en question, postérieure à la condamnation de la société Europe Asset, était indifférente. La société SIIE procédait quoi qu’il en soit au paiement de la dette de sa mère, mais les chèques que cette société émettaient revenaient impayés. Par la suite, la société mère était placée en liquidation judiciaire le 28 janvier 2020, puis c’était au tour de la filiale de se voir appliquer cette mesure le 18 mai 2021.
4. Identité du débiteur ? L’associé de la société Europe Asset AG déclarait la créance qu’il détenait non pas à la procédure collective de cette société (du moins l’arrêt ne fait pas mention d’une telle déclaration et cette société n’était pas partie à la décision), mais auprès des organes de la liquidation judiciaire de la société SIIE. Le créancier invoquait au soutien de sa déclaration l’existence de la « convention centralisée de trésorerie ». La cour d’appel saisie du litige rejetait toutefois sa créance [4], ce qui conduisait le déclarant à former un pourvoi en cassation qui est rejeté par l’arrêt commenté.
II. L’incidence de la convention de trésorerie
5. Nature de la convention de trésorerie. Les termes du moyen de cassation donnent des informations sur la convention de trésorerie, mais qui ne sont pas reprises par l’arrêt commenté. La convention en cause, conclue entre la société mère et sa filiale qui auraient constitué « une unité économique », devait leur permettre « de couvrir leurs besoins de trésorerie au moyen de remises en compte courant à vue, la société SIEE ayant mandat de gérer la trésorerie du groupe ». De manière plus certaine, on peut supposer que la convention en question était, comme cela se rencontre, le moyen pour les sociétés contractantes de se procurer du crédit par la mise en commun de leurs excédents de trésorerie, et cette pratique est effectivement rendue possible par la dérogation au monopole bancaire édictée par l’article L. 511-7 du Code monétaire et financier [5]. Mais il n’était ici nullement question de se prévaloir d’une exception au monopole bancaire, étant d’ailleurs rappelé qu’en l’état actuel de la jurisprudence, la contrariété à l’ordre public des opérations réalisées en violation du monopole bancaire n’entraîne plus la nullité des crédits en cause [6]. Reste à comprendre comment il était envisageable que la convention ouvre au créancier d’une société partie le droit de recouvrer sa créance auprès d’une autre société, question sur laquelle le texte cité n’a pas de rôle à jouer.
6. Incidence de la convention de trésorerie : confusion de patrimoines ? La convention comportait une stipulation aux termes de laquelle les parties étaient indépendantes et continuaient d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs obligations. On pourrait effectivement concevoir que la convention conclue entre les sociétés d’un groupe aille beaucoup plus loin qu’une mise à disposition de trésorerie ; elle pourrait conduire, en théorie au moins, à donner une gestion unique de leur trésorerie et de leurs paiements aux sociétés parties, qui se trouveraient, de ce fait, exposées à différents risques, dont celui de la reconnaissance d’une confusion de leurs patrimoines au sens de l’article L. 621-2 du Code de commerce N° Lexbase : L3679MBU [7]. Le risque d’une telle reconnaissance en présence d’une convention de trésorerie a été identifié depuis longtemps, et la jurisprudence a répondu à plusieurs reprises à la question, écartant le plus souvent la confusion de patrimoines [8]. Disons que même sans la stipulation affirmant l’indépendance dans la gestion, la caractérisation de la confusion de patrimoines suppose l’identification d’une confusion des comptes ou de flux financiers anormaux, et que la convention de trésorerie permet au contraire de donner aux flux intragroupe un cadre contractuel bienvenu. Mais en dépit du fait que les deux sociétés parties à la convention avaient été placées en liquidation judiciaire, ce n’était pas la confusion des patrimoines qui était invoquée par le créancier pour réclamer à la filiale le paiement de la dette de la mère.
7. Incidence de la convention de trésorerie : transfert de dette ? Il semble en effet que la demande du créancier n’était fondée que sur un transfert de dette (la « transmission d’une obligation de paiement ») qu’il prétendait déduire de la convention de trésorerie. Le rejet de sa demande justifie que la Cour de cassation reprenne deux éléments dans l’arrêt attaqué, après avoir rappelé le contenu de la dérogation au monopole bancaire formulée par l’article L. 511-7 du Code monétaire et financier : (1) la stipulation affirmant que les parties à la convention de trésorerie demeuraient indépendantes et continueraient d'assumer de façon autonome la direction et la gestion de leurs responsabilités et de leurs obligations ; (2) le fait qu’aucun autre élément n'était versé aux débats rapportant la preuve d'une transmission de l'obligation de paiement entre les sociétés. On comprend qu’il n’était pas possible de déduire de la seule convention de trésorerie l’engagement pris par une société partie de payer la dette d’une autre société partie à la convention, sur le fondement d’une cession de dette, d’une délégation ou sur un autre fondement. On retiendra néanmoins le message : la solution aurait pu être différente si la convention avait été rédigée autrement.
8. Autre source d’engagement ? On s’étonnera simplement que la filiale ne soit pas davantage inquiétée au titre de la créance litigieuse, alors qu’il était relevé que son dirigeant lui avait donné l’ordre de procéder au paiement réclamé [9]. Le fait que cette société ait émis des chèques afin de procéder au paiement, et qui étaient revenus impayés, pouvait également fonder la reconnaissance de son engagement, en plus d’ouvrir contre elle les recours cambiaires (C. mon. fin., art. L. 131-47 N° Lexbase : L9416HD4 et s.).
[1] Cass. com., 5 février 2025, n° 23-10.953, F-B N° Lexbase : A60416TW, RPDA, février 2025, n° RDA100d4, obs. Th. Duchesne ; B. Dondero, Lexbase Affaires, mars 2025 N° Lexbase : N1903B3U.
[2] Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-23.961, F-B , RPDA, mars 2025, n° RDA100g4, obs. Th. Duchesne.
[3] Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-23.962, F-D N° Lexbase : A0704679.
[4] CA Paris, 5-9, 26 octobre 2023, n° 22/16446 N° Lexbase : A66251QG.
[5] Sur les différentes modalités et sur les risques liés à la convention de trésorerie, v. not. J.-C. Hallouin, A. Quiquerez et A. Aurisset, JurisClasseur Sociétés Traité, Fasc. 165-50 : Groupes de sociétés – Centralisation de trésorerie.
[6] V. Cass. ass. plén., 4 mars 2005, n° 03-11.725, P N° Lexbase : A2016DH7 D., 2005, p. 785, obs. B. Sousi et p. 836, obs. X. Delpech ; JCP E, 2005, n° 690, note Th. Bonneau ; RD bancaire et fin., 2005, comm. n° 118, note F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Banque et droit, 2005, n° 101, p. 69, obs. Th. Bonneau ; JCP G, 2005, II, 10062, concl. R. de Gouttes ; LPA, 2005, n° 113, note M.-M. Veverka.
[7] C. com., art. L. 621-2, al. 2N° Lexbase : L3679MBU : « A la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ».
[8] V. ainsi écartant la confusion des patrimoines, CA Versailles 2 avril 2002, BJS, 2002, p. 923, note H. Le Nabasque ; D., 2002, p. 3266, obs. J.-C. Hallouin – Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-24.161, F-P+B N° Lexbase : A2755M8K,Dr. sociétés, 2015, comm. n° 136, note J.-P. Legros ; JCP E, 2015, 1122 , note D. Demeyere ; BJE, 2015, p. 83, note Th. Favario ; BJS, 2015, p. 143, note E. Mouial-Bissilana ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, in Chron., janvier 2015, n° 409 N° Lexbase : N5530BUD : « en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser en quoi, dans un groupe de sociétés, une convention de trésorerie, des activités communes, des contributions financières au profit de la société mère et le fait de présenter une demande de conciliation au niveau du groupe démontreraient la confusion des patrimoines des sociétés ou la fictivité de certaines d'entre elles, seules de nature à justifier l'existence, par voie d'extension, d'une procédure collective unique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
[9] V. Th. Duchesne, obs. sous l’arrêt commenté.
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