Réf. : Cons. const.,décision n° 2024-1119/1125 QPC du 24 janvier 2025 N° Lexbase : A42216RR
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par Laura Descubes, avocate associée, spécialiste en droit de l’environnement et des énergies renouvelables et Olivier Bégué, avocat, Rivière Avocats Associés
le 25 Février 2025
Parmi les actualités de ce début d’année pour la filière du solaire, il n’aura pas échappé aux professionnels de l’énergie la récente décision du 24 janvier 2025 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 230 de la loi du 29 décembre 2023, dite loi de finances pour 2024, qui prévoit le déplafonnement de la prime négative due par les producteurs d’électricité de source renouvelable à Électricité de France (ci-après EDF).
Sont concernés par cette décision les exploitants d’installations de production d’électricité à partir d’énergie renouvelable qui bénéficient d’un contrat offrant un complément de rémunération conclu avec EDF.
Il ressort de cette décision que le secteur de l’électricité, déjà marqué par la volatilité récurrente des prix spot, rencontre une situation d’instabilité qui confine les producteurs à l’insécurité juridique en ce qui concerne les montants du reversement dû par les producteurs à EDF à raison d’un prix de marché supérieur au tarif de référence.
À notre sens, les producteurs d’électricité – qui contribuent à la satisfaction des objectifs en matière de développement des énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre – mériteraient un meilleur équilibre entre la sécurité du soutien public qui leur est accordé et la nécessité de préserver les finances publiques.
La prime négative. – Pour mémoire, la situation juridique antérieure à la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023, de finances pour 2024 N° Lexbase : L9444MKY, était la suivante : lorsqu’un producteur d’électricité issue des énergies renouvelables concluait un contrat d’achat leur permettant de bénéficier d’un complément de rémunération dans les conditions prévues aux articles L. 314-18 N° Lexbase : L2976KGC et suivants ou à l’article L. 311-12 N° Lexbase : L1785MHL du Code de l’énergie, soit le producteur se voyait verser une prime lorsque le prix du marché auquel il vendait sa production était inférieur à un tarif de référence fixé par le contrat ou par arrêté, soit le producteur était redevable d’une prime, dite « prime négative » envers EDF. Cette dernière était due lorsque, au contraire, le tarif de référence était inférieur au prix du marché, et son montant correspondait à la différence entre ces deux prix. Ce reversement était toutefois plafonné à hauteur du montant total des aides perçues au titre du complément de rémunération depuis le début du contrat (article R. 314-49 du Code de l’énergie N° Lexbase : L0709MAI).
Le prix seuil. – On rappellera que la saga du plafonnement - déplafonnement n’est pas nouvelle. Elle avait déjà donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel [1] qui avait déclaré contraires à la Constitution les dispositions prévoyant que, de manière rétroactive à compter du 1er janvier 2022, pour les contrats en cours qui intégraient un plafonnement du reversement de la prime négative à hauteur du montant total des aides perçues, le reversement dû à EDF n’était plus, dans certaines hypothèses, limité au montant total des aides perçues mais était calculé en fonction d’un prix seuil déterminé chaque année jusqu’à la fin du contrat, par arrêté conjoint des ministres chargés de l’énergie et du budget. Les Sages avaient en effet considéré qu’une telle modification des modalités contractuelles en cours d’exécution portait atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues.
Un nouveau déplafonnement. – L’article 230 de loi de finances pour 2024 supprime ce plafonnement au « prix seuil » pour prévoir que, à compter du 1er janvier 2022, pour ces contrats « lorsque, pour un mois donné, la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de l'intégralité de la somme correspondante pour l'énergie produite. Autrement dit, le producteur devient redevable de l’intégralité des sommes correspondant aux primes négatives sans les limiter au montant total des aides qu’il a perçues.
La décision du Conseil constitutionnel a l’air d’une victoire : les Sages jugent que les dispositions contestées portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues en affectant un élément essentiel de ces contrats. Mais elle n’en a que l’air.
En effet, d’abord, bien qu’il admette que les dispositions contestées ont pour effet de priver les producteurs d’électricité de tous les gains de marché dont ils auraient dû bénéficier à chaque fois que le prix de marché est supérieur au tarif de référence, il n’en reconnaît pas moins que le législateur était fondé à déplafonner la « prime négative » de façon rétroactive au nom de l’objectif d’intérêt général tendant à « corriger les effets d’aubaine dont ont bénéficié, dans un contexte de forte hausse des prix de l’électricité, les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d’atténuer l’effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final » (point 13 de la décision).
Ensuite, par le report dans le temps opéré par le Conseil constitutionnel, sa décision n’emporte pas de conséquences positives immédiates pour les exploitants d’installations solaires bénéficiant d’un contrat d’achat avec complément de rémunération.
Rappelons que deux options s’offraient au Conseil constitutionnel : abroger les dispositions jugées non constitutionnelles avec un effet immédiat, ou différer cette abrogation. En procédant à une abrogation immédiate, il aurait ouvert une aux producteurs titulaires de contrats de compléments de rémunération une opportunité de recours en contestation du montant des primes reversées à EDF OA, entraînant, selon lui, « des conséquences manifestement excessives » (point 19). Il a toutefois fait le choix de différer l’effet de sa décision d’inconstitutionnalité au 31 décembre 2025, « afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de [sa] déclaration d’inconstitutionnalité ».
Le Conseil constitutionnel ajoute qu’il appartient aux juridictions saisies de surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une nouvelle loi entre en vigueur ou jusqu’au 31 décembre 2025 au plus tard, « dans les procédures dont l’issue dépend de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles » (point 20 de la décision). Il s’agit, notamment, des contentieux relatifs aux factures réglées ou à régler par les producteurs à EDF, dont le calcul inclut le reversement dû par les producteurs à EDF à raison d’un prix de marché supérieur au tarif de référence.
Une nouvelle loi est donc attendue par la filière, désormais rompue à l’insécurité juridique, en particulier celle du solaire, qui vient d’apprendre la volonté du gouvernement de réduire le soutien de la production d’électricité par les projets solaires d’une puissance inférieure à 500 kWc, de façon rétroactive au 1er février 2025, déstabilisant ainsi un segment du marché essentiel aux opérateurs PME, mais aussi au monde agricole.
[1] Cons. const., décision n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023 N° Lexbase : A48441P4.
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