Réf. : Cass. civ. 1, 15 janvier 2025, n° 23-13.116, F-B N° Lexbase : A47866QC
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris
le 10 Février 2025
Mots-clés : indivision • partage • revenus fonciers • dette personnelle • contribution sociale généralisée (CSG) • contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS)
La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), que chacun des co-partageants doit supporter sur la part lui revenant dans les revenus fonciers tirés d'un bien indivis, constituent des dettes personnelles et non des dettes de l'indivision. Leur paiement par un indivisaire ne peut donc donner lieu à créance contre l'indivision.
(i) Vu l'article 1351 du code civil et le principe d'égalité dans les partages :
Il résulte de ce texte et de ce principe que l'autorité de la chose jugée ne peut être attachée à une décision qui estime la valeur des biens objets du partage que si elle fixe la date de la jouissance divise.
(ii) Vu l'article 815-8 du code civil, l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale et l'article 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale :
Aux termes du premier de ces textes, quiconque perçoit des revenus ou expose des frais pour le compte de l'indivision doit en tenir un état qui est à la disposition des indivisaires.
Il résulte des deux derniers, qui instituent respectivement la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les revenus du patrimoine, que ces contributions sont afférentes à des revenus, qu'elles sont assises, contrôlées et recouvrées selon les mêmes règles que l'impôt sur le revenu, et que l'assujettissement à ces contributions dépend de certaines conditions tenant à la personne qui perçoit ces revenus.
Il s'en déduit que la CSG et la CRDS, que chacun des co-partageants doit supporter sur la part lui revenant dans les revenus fonciers tirés du bien indivis, constituent des dettes personnelles et non des dettes de l'indivision.
I. Autorité de chose jugée et jouissance divise
L’article 829 du Code civil N° Lexbase : L9961HNA dispose, en son alinéa deux, que la valeur des biens à partager (et donc des soultes qui rééquilibrent les lots) est fixée au jour le plus proche du partage. Bien sûr, un accord des volontés entre copartageants peut conduire à retenir une date antérieure (C. civ., art. 829, al. 1er, c’est la version conventionnelle de la jouissance divise, qui est inopposable au Trésor). De même, il est possible que ce soit le juge du partage qui soit saisi d’une demande visant à fixer cette date à une date antérieure au partage (C. civ., art. 829, al. 3, c’est la version judiciaire de la jouissance divise, qui suppose une demande d’une partie auprès du juge, qui est opposable au Trésor). Malgré tout, en pratique l’hypothèse de l’alinéa deux est la plus fréquente : il n’y a pas d’accord des parties, et pas davantage de demande de l’une d’elles de faire remonter la date de la jouissance divise. On en reste donc à une valorisation à la date « la plus proche du partage ». Certes. Mais lorsqu’une décision de justice a tranché le montant d’une récompense, d’une créance, d’une soulte (comme en l’espèce), cette décision (par hypothèse déjà âgée de quelques mois, souvent de plusieurs années) a-t-elle autorité de la chose jugée quant à la valeur ayant servi de base au calcul de la récompense, de la créance ou de la soulte (ou du rapport en matière successorale) ?
Dans la présente affaire, la cour d’appel l’a pensé (CA Bordeaux, 13 septembre 2022, n° 19/02891 N° Lexbase : A90758LP). Elle « constate » que l'évaluation des biens immeubles relevant de l'indivision post-communautaire a été fixée par un jugement du 1er juin 2011, confirmé par un arrêt du 13 novembre 2012, de sorte que, pour elle, la question a été tranchée définitivement. Ces conseillers d’appel ajoutent encore, un brin péremptoires, qu'aucun fait juridique nouveau n'est susceptible d'être opposé à l'autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt d'appel, et ils en déduisent qu'une réévaluation des dits immeubles n'est pas justifiée.
C’est sans surprise aucune que cette décision est censurée de ce chef. En effet, il est acquis depuis un bon moment déjà que la valorisation des biens servant d’assiette au calcul des récompenses, créances, soultes, ou au rapport successoral, n’est pas affectée par l’autorité de chose jugée des décisions des juges du fond chiffrant ces éléments, sauf à ce que ladite décision fixe à son dispositif la date de la jouissance divise. Seulement dans ce dernier cas le montant de la soulte, de la récompense, de la créance, du rapport, sera-t-il définitivement figé, pris par l’autorité de chose jugée de la décision. Lorsque la date de la jouissance divise n’a pas été fixée au dispositif de la décision antérieure, cette dernière n’a aucune autorité de chose jugée à l’égard de ces questions, de sorte qu’il importe peu que la décision précédente ait fixé la somme à un chiffre exact de X, cette somme devra nécessairement être revue en fonction de la valeur des biens servant d’assiette à son calcul, et ceci au jour le plus proche du partage.
Dans l’hypothèse de l’arrêt commenté, peu importait donc qu’une décision de 2011, confirmée en appel en 2012 ait retenu une somme de X. Dès lors qu’aucune de ces décisions n’avait fixé, à leur dispositif, la date de la jouissance divise, et dès lors que le partage n’était toujours pas terminé, la cour d’appel statuant en 2022 devait tout réévaluer selon la valeur de 2022. Le montant de la soulte va donc augmenter (mais il pourrait baisser si le marché immobilier venait à s’effondrer). On comprend donc pourquoi Juliette, qui est créancière de la soulte, a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel, la censure étant hautement prévisible, la jurisprudence étant solidement fixée (v., encore récemment, Cass. civ. 1, 21 juin 2023, n° 21-24.851, FS-B N° Lexbase : A983793Q ; v., J. Casey, obs. n° 4 in Sommaires de droit des régimes matrimoniaux 2023-1, Lexbase Droit privé, septembre 2023, n° 957 N° Lexbase : N6755BZ9 ; Cass. civ. 1, 1er décembre 2021, n° 20-13.563, F-D N° Lexbase : A21727E8 ; J. Casey, obs. n° 12 in Sommaires de droit des successions 2021-2, Lexbase Droit privé, 24 février 2022, n° 895, § 12 N° Lexbase : N0544BZ8).
La présente décision n’innove donc en rien, réaffirmant au contraire une solution qui est certaine, mais qui semble avoir du mal à être comprise (ou connue) de certaines cours d’appel. Il est donc essentiel, dans les procédures de partage judiciaire, que les avocats pensent à demander au juge de fixer la date de la jouissance dans le dispositif de la décision à intervenir, du moins pour celles des parties qui a intérêt à ce que le contentieux cesse rapidement. L’expérience montre en effet que lorsque la date de la jouissance divise est tranchée par le juge au dispositif de sa décision, la procédure de partage tend à se clore assez rapidement après, puisque plus personne n’a intérêt à faire durer. Cependant, nombre de juges y sont réticents, même lorsque cela leur est demandé, ce qui est regrettable et montre qu’une telle demande ne leur est pas familière, d’où la nécessité pour le Barreau de s’y employer.
En dehors d’une telle demande de fixation de la date de la jouissance divise, le juge peut bien trancher le montant d’une récompense, d’une soulte, d’une créance, ce sera en pure perte puisque l’autorité de sa décision ne s’attachera pas à la somme ainsi déterminée, ce que le présent arrêt rappelle avec raison.
II. La CSG et la CRDS sur des revenus indivis constituent des dettes personnelles à chaque indivisaire
La deuxième question tranchée par l’arrêt sous examen est un peu plus originale. Il s’agissait de savoir si les sommes dues au titre de la CSG et de la CRDS (et qui grèvent les revenus fonciers des biens indivis) constituent des dettes de l’indivision ou au contraire des dettes personnelles à l’indivisaire.
La cour d’appel a estimé qu’il s’agissait des dettes ayant le même régime que l’impôt foncier grevant le bien indivis, et donc que les sommes dues au titre de la CSG et la CRDS étaient des « charges de la propriété devant incomber à titre définitif de l’indivision ».
L’erreur est assez nette, car l’imposition due touche les revenus de la chose indivise, non la chose indivise elle-même. C’est donc sous l’angle des revenus de l’indivisaire que la question se posait, non de la masse indivise. La Cour de cassation a donc parfaitement raison de le souligner et d’en tirer comme conséquence que les dettes nées de la CSG et de la CRDS sont personnelles à l’indivisaire ayant perçu les revenus fonciers indivis, et ne sont donc pas des dettes de l’indivision. Certains juges du fond l’ont déjà jugé, pour refuser l’inscription de la CSG/CRDS au passif de l’indivision, le pourvoi contre leur décision étant été balayé par la Cour de cassation (qui approuvait donc déjà cette position), via un « rejet non spécialement motivé » de l’article 104 CPC N° Lexbase : L1374H4N (v., Cass. civ. 1, 4 novembre 2015, n° 14-15.071, F-D N° Lexbase : A0285NWH, rejetant le pourvoi contre CA Grenoble, 17 décembre 2013, ayant décidé que la CSG et la CRDS sont des dettes personnelle de l’indivisaire ayant perçu les revenus).
C’est dire, dans la présente affaire, combien les juges du fond étaient dans l’erreur quand ils ont estimé que la CSG et la CRDS étaient des « charges de la propriété ». Il n’en est rien, il s’agit de charges personnelles à celui qui perçoit les revenus. Si celui-ci perçoit des revenus au-delà de ses droits dans l’indivision, il devra restituer cette fraction excessive, et pourra alors demander le remboursement de la CSG/CRDS acquittées en trop sur cette fraction excessive. Mais pour ce qui est de sa part de revenus indivis, et de la CSG/CRDS correspondantes, il ne pourra demander le remboursement de ces deux taxations.
Il faut remarquer, par analogie, qu’en régime de séparation de biens, la dette d’impôt sur le revenu est une dette personnelle au bénéficiaire desdits revenus de sorte que la contribution aux charges du mariage ne saurait interférer si d’aventure un époux a réglé l’imposition de son conjoint, et donc le remboursement de l’époux solvens est toujours dû (v., Cass. civ. 1, 22 février 1978, n° 76-14.031, publié au bulletin N° Lexbase : A5150CIL ; Defrénois 1979, 1667, obs. G. Champenois ; jurisprudence constante, v., plus récemment, Cass. civ. 1, 4 juillet 2007, AJ fam. 2008, 399, obs. P. Hilt).). On retrouve là, mutatis mutandis, la même idée qu’au cas présent : l’impôt est une charge personnelle, que ce soit en régime séparatiste, ou en matière d’indivision.
L’arrêt commenté pose donc clairement la règle pour la CSG/ CRDS grevant les revenus indivis, et l’on dira qu’elle le fait pour la première fois. Cette nouveauté est cependant relative, ainsi qu’il a été vu, puisque nos Hauts-magistrats avaient déjà rejeté sans motivation particulière (RNSM) un pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 17 décembre 2013 qui avait déjà statué dans le même sens que la décision sous examen.
Conclusion
Pour finir on précisera que la lecture de l’arrêt d’appel ici censuré révèle que cette affaire avait déjà donné lieu à un arrêt de cassation, et surtout à deux procès-verbaux de dires et de difficultés, le dernier datant du 6 septembre 2017. C’est sur la base de ce dernier procès-verbal que la présente procédure s’est développée (TJ Angoulême, CA Bordeaux et le présent arrêt). Or, en l’espèce, la Cour de cassation estime que la cassation prononcée du chef de la soulte (qui doit être réévaluée) entraîne celle du chef de l’arrêt ayant refusé la désignation d’un nouveau notaire commis. Après quinze ans de suivi par un notaire commis « 01 », voici donc que le dossier va aller chez un notaire commis « 02 ». Nous soulignons cet aspect car une pratique est en plein essor dans le notariat, en cas de commise judiciaire, qui est d’exiger le paiement d’un « émolument sans partage » (qui existe dans le Code de commerce, mais ne correspond pas à cette hypothèse) pour rédiger l’état liquidatif et le procès-verbal de dires et de difficultés. Dans une hypothèse comme celle du présent arrêt, comment cette nouvelle pratique s’appliquerait-elle ? Les parties auraient eu à régler un émolument de partage au notaire commis « 01 » (pour l’acte de 2017), et il leur faudra en payer un deuxième au notaire commis « 02 » (en 2026, par ex.), si elles ne parviennent toujours pas à s’entendre et qu’un nouvel état liquidatif doit être rédigé. Bref, c’est double émolument, sans imputation (puisque les notaires ne sont pas les mêmes) alors qu’il s’agit de la même procédure et que les parties n’ont toujours pas un « acte parfait ». La justice française devient ainsi lourdement payante, alors que la procédure de partage est loin d’être terminée. Qui peut dire que cette nouvelle pratique sert les intérêts des justiciables ? Qui peut accepter son développement en dehors de toute prévision légale ?
Enfin, la lecture de l’arrêt d’appel révèle aussi que le notaire commis « 01 » a rédigé un procès-verbal que les premiers juges et les conseillers d’appel ont homologué, alors qu’il y avait une difficulté sur la soulte, ce que la cassation partielle finalement prononcée prouve assez. Où l’on voit (ce que nous avons déjà eu l’occasion de souligner) que bien souvent les juges du fond reprennent purement et simplement les « état liquidatifs » des notaires, erreurs incluses (dans le même sens, relevant aussi le problème, v., F. Bicheron, in AJ fam. 2024, p. 619, note sous Cass. civ. 1, 2 octobre 2024). Qui est responsable de ces erreurs ? Les juges ? Sûrement pas. Le notaire commis ? Certains d’entre eux répondent que non, estimant que leur erreur a été « couverte » par le juge. Mais on sait que cette position, qui existait naguère pour les experts judiciaires, a été finalement abandonnée par la Cour de cassation, du fait de la généralité de l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9. Les experts judiciaires « ordinaires » sont donc responsables de leurs erreurs, quand bien même les juges les auraient reprises à leur compte. Si cela est vrai d’un expert-médical ou d’un expert-construction, pourquoi en irai-il différemment pour un « notaire-expert » ? À suivre…
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