Réf. : Cass. soc., 2 octobre 2024, n° 23-11.582, FS-B N° Lexbase : A777957A
Lecture: 25 min
N0852B3X
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Florian Clouzeau, Avocat et Pauline Gonod, Juriste, cabinet Beside Avocats
le 08 Novembre 2024
Mots-clés : maladie • maternité • rappels de salaire • dommages et intérêts • prestation de travail • responsabilité de l'employeur
Par un arrêt du 2 octobre 2024, publié au bulletin, la Cour de cassation se prononce sur les conséquences de l’accomplissement d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur pendant un arrêt maladie et un congé maternité. Elle retient ainsi que cette situation « engage la responsabilité de l’employeur et se résout par l’allocation de dommages et intérêts ». La Haute cour écarte, en revanche, les demandes de la salariée fondées sur des rappels de salaire et l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé.
L’affaire. Une salariée d’une fondation, occupant au dernier état le poste de Directrice régionale, a connu plusieurs épisodes de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie et de congé maternité.
Pendant ces périodes, elle a néanmoins été amenée à accomplir différentes tâches au profit de son employeur et sur sa demande. Celui-ci lui a notamment demandé de le contacter au sujet d’un audit, de suivre un dossier ou encore de superviser une procédure de qualité interne.
À la suite de la notification de son licenciement économique, la salariée a saisi la juridiction prud’homale. À cette occasion, elle reprochait notamment à son ancien employeur le fait d’avoir travaillé pendant ces périodes de suspension de son contrat de travail. À ce titre, elle sollicitait, outre des dommages et intérêts, des rappels de salaire pour les 421 heures qu’elle soutenait avoir accomplies durant ces périodes, ainsi que l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé prévue à l’article L. 8223-1 du Code du travail N° Lexbase : L7803I3E.
Le conseil de prud’hommes rejetait l’ensemble des demandes de la salariée, qui interjetait alors appel. La cour d’appel de Montpellier constatait, en premier lieu, que la demanderesse avait effectivement « été contrainte à travailler pendant ses arrêts de travail ». Elle écartait, à cet égard, l’argumentaire de l’employeur visant à soutenir que la salariée n’avait fait que répondre à des « demandes d’informations ponctuelles motivées par [son] départ soudain ».
La juridiction constatait que ce manquement de l’employeur avait causé un préjudice à la salariée et le condamnait à lui verser une indemnisation à hauteur de 2 000 euros.
En revanche, elle rejetait la demande de rappel de salaire de l’appelante en relevant que celle-ci « avait perçu pendant les périodes travaillées, l’équivalent de son salaire ou un substitut de salaire soit au titre de son droit conventionnel à maintien du salaire pendant les périodes de suspension du contrat soit au titre des indemnités journalières de sécurité sociale en sorte qu’elle ne saurait prétendre à un double paiement ». En d’autres termes, ayant perçu l’équivalent de l’intégralité de son salaire sur les périodes en cause, elle ne pouvait en réclamer un second paiement.
De même, la cour d’appel déboutait la salariée de sa demande au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé en relevant qu’elle avait « été déclarée aux organismes sociaux ».
La salariée formait un pourvoi en cassation.
Le pourvoi. Selon le pourvoi, la cour d’appel de Montpellier ne pouvait pas à la fois constater l’existence de prestations de travail contraintes pendant les périodes d’arrêt de travail et rejeter les demandes de rappels de salaire et d’indemnité forfaitaire de travail dissimulé.
Plus précisément, dans le cadre de son pourvoi, la salariée faisait valoir :
La décision Par un arrêt en date du 2 octobre 2024, la Cour de cassation rejette le pourvoi tout en retenant une motivation distincte de celle adoptée par la cour d’appel.
En effet, la Haute cour rappelle, tout d’abord, que « l’exécution d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie, d’accident ou d’un congé de maternité engage la responsabilité de l’employeur ».
Elle précise que cette situation « se résout par l’allocation de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice subi ».
Par cette mention, la Chambre sociale juge, pour la première fois à notre connaissance, que l’allocation de dommages et intérêts constitue la seule conséquence civile d’un tel manquement de l’employeur.
Ainsi, la Cour de cassation retient que « l’intéressée ne pouvait prétendre à un rappel de salaire en paiement des heures de travail effectuées et pouvait seulement réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ».
En substituant ses propres motifs de pur droit, la Cour de cassation rejette le moyen.
S’il mérite quelques observations, le constat préalable de la Haute Cour selon lequel le travail accompli pour le compte de l’employeur engage sa responsabilité et justifie l’allocation de dommages et intérêts au profit du salarié n’est pas nouveau et ne surprend pas (I).
La portée de l’arrêt réside donc principalement dans le rejet des demandes de rappels de salaire et d’indemnité de travail dissimulé de la salariée (II).
I. L’exécution d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur pendant l’arrêt de travail engage la responsabilité de l’employeur…
A. Travail pendant l’arrêt maladie ou le congé maternité et faute de l’employeur
Sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil N° Lexbase : L0613KZQ, la Cour de cassation rappelle, en tout premier lieu, que « l'exécution d'une prestation de travail pour le compte de l'employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie, d’accident ou d’un congé de maternité engage la responsabilité de l’employeur ».
La référence à une disposition du Code civil, en l’occurrence, celle instituant la responsabilité du contractant « à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution » ne doit pas surprendre. En effet, indépendamment du volume des dispositions du Code du travail qui l’encadre, le contrat de travail reste soumis « aux règles du droit commun » des contrats [1].
Cela étant précisé, il ressort de cette référence textuelle que la Cour de cassation entend rappeler que le fait pour l’employeur de laisser un salarié exécuter une prestation de travail au cours d’une période de suspension du contrat de travail par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie constitue un manquement à une obligation contractuelle.
La Haute cour ne fait pas expressément référence à cette obligation dans le présent arrêt ; toutefois, elle a déjà eu l’occasion de rattacher une telle faute de l’employeur à un manquement à son obligation de sécurité [2]. Ce lien tombe sous le sens : si le salarié bénéficie d’un arrêt de travail, c’est précisément parce qu’il n’est pas en mesure de travailler sans risque pour sa santé. En ne respectant pas la suspension de l’obligation pour le salarié d’accomplir sa prestation de travail, l’employeur compromet ainsi la sécurité et la santé physique et mentale du salarié.
Indépendamment de ce fondement juridique, le principe rappelé dans l’arrêt n’est pas discutable. La maladie ou le congé maternité suspend le contrat de travail et dispense, par conséquent, le salarié d’accomplir la prestation de travail. Dès lors, en sollicitant une prestation de travail de son salarié durant ces périodes, l’employeur manque ipso facto à son obligation de suspendre la relation de travail.
Cette solution est évidente et admise de longue date [3]. Elle soulève toutefois une question. En effet, la Cour de cassation retient que le manquement de l’employeur est caractérisé en raison de « l’exécution d’une prestation de travail pour [son] compte ». Dès lors, à partir de quand doit-on considérer que le salarié accomplit une « prestation de travail pour le compte de l'employeur » ?
Pour répondre à cette question, l’étude de la jurisprudence permet, d’abord, de constater que la responsabilité de l’employeur n’est pas engagée sur le seul constat de l’accomplissement d’une action pour son compte pendant l’arrêt de travail.
Cela va d’ailleurs de soi puisque pendant l’arrêt de travail du collaborateur, l’activité de l’entreprise se poursuit, ses collègues continuent de travailler et le salarié, lui-même, n’est pas totalement écarté de tous rapports sociaux. Dans ce contexte, il est courant que des échanges se poursuivent entre le salarié, son employeur, sa hiérarchie ou ses collègues pendant ces périodes. Il est ainsi parfaitement admis et toléré en jurisprudence que l’employeur sollicite auprès du salarié des informations telles qu’un mot de passe informatique[4] ou la restitution de matériel professionnel [5], ou qu’il prépare le retour du salarié, par exemple en lui proposant un rendez-vous de liaison [6]. Cette « marge de tolérance », pour reprendre l’expression proposée par la Cour d’appel de Montpelier dans l’affaire en cause, pourrait être la conséquence de l’obligation de loyauté à laquelle le salarié reste tenu pendant les périodes de suspension de son contrat de travail [7].
Il ressort également de la jurisprudence que la responsabilité de l’employeur n’est pas engagée en présence d’une prestation de travail réalisée par le salarié, à son initiative, sans qu’elle ne soit commandée par sa hiérarchie [8]. C’est, d’ailleurs, ce que semble retenir la Cour de cassation dans ses décisions antérieures lorsqu’elle précise que l’employeur manque à ses obligations seulement lorsqu’il « a fait travailler un salarié » [9] ou encore, dans le présent arrêt, lorsqu’elle souligne le constat de la cour d’appel selon lequel « la salariée avait été contrainte de travailler ».
Cependant, une précision s’impose. Même si l’employeur n’a pas expressément commandé la prestation de travail, la lecture des arrêts d’appel rendus sur le sujet permet de constater que sa responsabilité pourrait toutefois être engagée s’il est établi qu’il était informé de cette situation et n’a pris aucune mesure pour dissuader le salarié de poursuivre son travail [10]. À cet égard, il est intéressant de noter que dans le cas d’espèce, objet du pourvoi, l’employeur avait, à plusieurs reprises, adressé des correspondances à la salariée afin de lui interdire de se présenter sur son lieu de travail et de travailler pendant ses arrêts de travail. Cette circonstance n’a toutefois pas permis d’écarter la condamnation dès lors que, la salariée avait, par ailleurs, reçu des sollicitations de sa hiérarchie. En d’autres termes, l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité par de simples communications de principe lorsqu’en réalité, il franchit cette « marge de tolérance ».
Il en résulte que l’employeur a tout intérêt à adopter une démarche proactive dès qu’il est informé qu’un salarié exécute de sa propre initiative une prestation de travail durant un arrêt de travail.
En tout état de cause, pour constituer un manquement, l’accomplissement de la prestation de travail n’a pas forcément à être régulière pendant l’arrêt de travail. La Cour de cassation considère que le Juge doit constater un manquement de l’employeur dès lors qu’il sollicite une prestation de travail d’un salarié, même ponctuellement, [11]voire une seule fois [12].
B. Une faute de l’employeur sanctionnée par l’allocation de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi
La Cour de cassation retient que le manquement contractuel de l’employeur « engage [sa] responsabilité » et « se résout par l’allocation de dommages et intérêts » au profit du salarié. Le principe du droit à dommages et intérêts en présence d’un tel manquement est ancien [13] et le présent arrêt ne vient que le confirmer. Il n’est que la simple application de l’article 1231-1 du Code civil en application duquel, en cas de manquement ou d’une inexécution d’une obligation contractuelle, le contractant défaillant est redevable de dommages et intérêts.
La solution ne surprend donc pas.
Il faut toutefois la compléter en précisant que la Cour de cassation juge également que le salarié a nécessairement droit à la réparation du préjudice qu’il subit du fait de l’exécution d’une prestation de travail en dépit de la suspension de son contrat de travail. Par conséquent, dès lors que le manquement de l’employeur est constaté, le salarié doit obtenir une indemnisation. Ainsi, quelques semaines avant l’arrêt commenté, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de rappeler que « le seul constat du manquement de l'employeur en ce qu'il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation » [14]. La Cour de cassation a appliqué la même solution en matière de suspension pour congé maternité [15].
Cette position de la Cour de cassation n’exonère toutefois pas le salarié de la nécessité de démontrer le préjudice qu’il a subi en raison de la faute de son employeur. En effet, la reconnaissance automatique du préjudice du salarié ne retire en rien aux juges du fond leur pouvoir d’appréciation quant au quantum de l’indemnisation [16], celui-ci dépendant de l’ampleur du préjudice subi par le salarié. En pratique, le quantum du préjudice dépendra donc directement des éléments de preuve du préjudice que le demandeur sera en mesure de produire.
En l’occurrence, dans le cadre de son avis relatif à l’affaire commentée, l’avocate générale a pu exposer que « ces dommages [et intérêts] peuvent fort bien excéder le montant des salaires qui auraient normalement été dus si le contrat n’avait pas été suspendu ». Cette observation se vérifie dans l’affaire en question, où la salariée, malgré un maintien intégral de son salaire pendant ses arrêts de travail, s’est vu octroyer une somme supplémentaire de 2 000 euros en dommages et intérêts.
Inversement, il est également possible que le montant des dommages et intérêts alloués soit inférieur aux salaires qui auraient normalement été perçus par le salarié si son contrat de travail n’avait pas été suspendu. Une récente décision de la cour d’appel de Chambéry en fournit un exemple : dans cette affaire, la salariée, qui estimait son manque à gagner à plus de 8 000 euros si son contrat de travail n’avait pas été suspendu, s’est finalement vu octroyer 6 000 euros de dommages et intérêts [17]. Cette illustration souligne que le montant des salaires qui auraient été perçus si le contrat de travail n’avait pas été suspendu n’est pas une référence systématique et arithmétique pour la détermination du montant des dommages et intérêts.
En tout état de cause, le principe indemnitaire ainsi souligné n’est pas nouveau. En réalité, l’apport de l’arrêt commenté ne réside pas dans la sanction qu’il confirme, mais dans celles qu’il rejette : les demandes de rappels de salaire et d’indemnité forfaitaire de travail dissimulé.
II. …Mais ne l’expose pas à des rappels de salaire ou à l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé
A. Le travail pendant la maladie ne mérite pas salaire…
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation estime que, bien que « la salariée avait été contrainte de travailler pendant les périodes de suspension du contrat de travail […] l’intéressée ne [peut] prétendre à un rappel de salaire en paiement des heures de travail effectuée et [peut] seulement réclamer des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. »
Cet arrêt retient donc une solution contre-intuitive : dans l’hypothèse d’un arrêt de travail, la prestation de travail réalisée pour le compte de l’employeur ne donne pas droit à rémunération. La décision est d’autant plus surprenante que la motivation retenue par la Cour ne suffit pas, à elle seule, à comprendre le raisonnement adopté pour aboutir à une telle conclusion.
Pour comprendre ce raisonnement, il faut d’abord relever que, bien qu’elle confirme l’arrêt attaqué, la Haute cour écarte la motivation retenue par la cour d’appel de Montpellier dans l’affaire en cause qui, bien que critiquable, ne manquait pas de bon sens. En effet, la cour d’appel a rejeté la demande de rappels de salaire au motif que la salariée avait, « perçu pendant les périodes travaillées, l'équivalent de son salaire ou un substitut de salaire soit au titre de son droit conventionnel à maintien du salaire pendant les périodes de suspension du contrat soit au titre des indemnités journalières de sécurité sociale en sorte qu'elle ne saurait prétendre à un double paiement ». En d’autres termes, la juridiction d’appel a estimé que la salariée avait déjà perçu une somme correspondant à l’intégralité de sa rémunération et qu’elle ne pouvait être payée deux fois pour la même période.
Cela étant, en procédant à une substitution de ses motifs à ceux de la cour d’appel, la Chambre sociale signifie qu’elle entend rejeter un tel raisonnement. Il faut donc comprendre que le rejet des demandes de rappels de salaire n’est donc pas lié et conditionné au versement d’un revenu de remplacement. Une conclusion doit donc en être tirée : même en l’absence de maintien intégral de sa rémunération pendant un arrêt de travail, le salarié ne peut jamais solliciter un rappel de salaire pour du travail accompli durant cette période.
Le raisonnement suivi par la Cour de cassation est donc, en tout état de cause, différent de celui de la cour d’appel. S’il n’est pas explicité dans l’arrêt commenté, la lecture de l’avis rendu par l’avocate générale dans le dossier en cause pourrait apporter un éclairage intéressant. En l’occurrence, dans ce dernier, elle rappelle que pendant un arrêt de travail, les obligations réciproques des parties sont suspendues : celle de la salariée de fournir une prestation de travail et celle de l’employeur de lui verser une rémunération en contrepartie. Elle en conclut donc que « le principe d’un paiement de salaires lorsque l’employeur a imposé ou permis au salarié de travailler serait revenir à une application des dispositions légales et stipulations contractuelles relatives à l’exécution du contrat de travail quand bien même celui-ci est suspendu ». Cette interprétation « conduirait, à [son] sens, à mettre à néant la protection accordée aux salariées dont l’état de santé justifie une telle suspension » [18].
Autrement dit, lorsque le contrat de travail est suspendu, l’accomplissement d’un travail pour le compte de l’employeur ne met pas fin à cette suspension et ne peut donc en aucun cas faire pas renaître les obligations réciproques des parties. L’objectif est d’éviter qu’un employeur ne puisse unilatéralement mettre fin à une suspension du contrat de travail en contraignant le salarié à reprendre le travail.
Ce raisonnement aboutit à un résultat pour le moins étonnant : au nom de la protection du salarié, celui-ci est privé de rémunération pour un travail effectivement accompli. Or, il faut relever qu’une autre voie aurait pu être retenue par la Cour de cassation. Il aurait également pu être soutenu qu’une reprise forcée du travail met fin temporairement à la suspension du contrat de travail, imposant ainsi la reprise du paiement du salaire par l’employeur. Retenir le contraire, comme l’a fait la Cour de cassation, a pour conséquence de maintenir le salarié dans une situation asymétrique : ce dernier a été tenu de remplir ses obligations de travail tandis que l’employeur reste, paradoxalement, libéré de celle de payer le salaire. À notre sens, le fait que l’employeur soit tenu au paiement du salaire n’aurait pas moins permis de retenir l’existence d’un manquement de celui-ci à son obligation de sécurité et donc de maintenir la protection dont le salarié bénéficie à ce titre.
Par ailleurs, force est de constater qu’un raisonnement en faveur d’une reprise du paiement du salaire aurait été plus en adéquation avec la position de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en matière de travail pendant un arrêt maladie [19] ou un congé maternité [20]. En effet, cette dernière retient que lorsque le salarié travaille, pour le compte de son employeur, pendant un arrêt de travail, ce dernier est remis en cause et les indemnités de sécurité sociale perçues doivent être remboursées.
À cet égard, il faut relever que la solution retenue par la Chambre sociale dans le présent arrêt fait peser sur le salarié contraint de travailler pendant un arrêt de travail le risque d’une double peine : non seulement il n’aurait droit à aucun rappel de salaire pour le travail accompli, mais il pourrait également être contraint de restituer les indemnités journalières perçues. Certes, cette perte d’indemnités de sécurité sociale pourrait être intégrée dans le préjudice indemnisé par l’employeur, mais force est de constater que le salarié ne disposera d’aucune garantie sur ce point.
B. …ce qui exclut l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé
Dans la présente affaire, la salariée ne se limitait pas à solliciter des rappels de salaire au titre du travail accompli : elle réclamait également la condamnation de son employeur au versement de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé visée à l’article L. 8223-1 du Code du travail.
Cette indemnité « égale à six mois de salaire », est due « en cas de rupture de la relation de travail » notamment lorsque l’employeur commet des faits de travail dissimulé visé à l’article L. 8221-5 du Code du travail N° Lexbase : L7404K94. En l’occurrence, le 2° de cet article qualifie de travail dissimulé le fait de « se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ».
L’argument de la salariée consistait ainsi à soutenir qu’en ne mentionnant pas les heures de travail accomplies pendant ses arrêts de travail sur son bulletin de salaire, son employeur avait commis le délit de travail dissimulé. Un tel raisonnement a déjà pu convaincre des cours d’appel qui, y compris, récemment, ont pu prononcer des condamnations sur ce fondement [21].
Dans le cadre du présent dossier, toutefois, cette demande avait été rejetée par la cour d’appel de Montpellier au motif que la salariée avait « été déclarée aux organismes sociaux ». Il est vrai que l’article L. 8221-5 du Code du travail qualifie de travail dissimulé le fait, pour un employeur, de se soustraire à la déclaration préalable à l’embauche. Toutefois, cette motivation était évidemment plus que discutable dans la mesure où l’absence de déclaration aux organismes sociaux ne constitue donc pas la seule situation visée par l’article L. 8221-5 du Code du travail.
Dès lors, le rejet de cette demande (qui constituait, en réalité, l’enjeu financier majeur de l’affaire) faisait également l’objet du pourvoi porté par la Cour de cassation, au même titre que le rejet de la demande de rappel de salaire. Or, si la question de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé était centrale pour le pourvoi, la Cour de cassation, dans sa motivation, ne la traite pas expressément. En effet, elle se borne à relever dans sa motivation que « l'intéressée ne pouvait prétendre à un rappel de salaire en paiement des heures de travail effectuées et pouvait seulement réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ».
Si l’on peut regretter le manque d’intelligibilité de la décision, il ne faut toutefois pas pour autant y voir une omission de statuer de la part de la Cour de cassation. En effet, en rejetant le moyen soulevé dans le pourvoi, la Cour de cassation tranche, sans ambiguïté, que l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé n’est pas allouée lorsqu’un salarié travaille pour le compte de son employeur pendant un arrêt de travail.
Mais le mystère demeure quant au raisonnement qui sous-tend cette conclusion.
Il semble que la Cour ait retenu qu’en l’absence de condamnation à des rappels de salaire, la demande d’indemnité pour travail dissimulé ne pouvait prospérer. Il s’agit, en tout cas, de la position proposée par l’avocate générale dans la présente affaire et qui apparaît avoir convaincu la Haute cour : « puisqu’aucun salaire n’était dû à la salariée, pendant les périodes de suspension de son contrat de travail au cours desquelles elle a travaillé pour son employeur, mais qu’elle pouvait uniquement prétendre à des dommages et intérêts, ce dernier n’avait pas à émettre de bulletin de salaires » [22]. Dans la même logique, le conseiller rapporteur exposait, dans son rapport, que « en l’absence de rémunération due, il ne peut y avoir de travail par dissimulation d’emploi » [23].
Force est de constater que le raisonnement est logique : si les heures de travail ne sont pas rémunérées, elles n’ont, certes, pas vocation à figurer sur le bulletin de salaire. Par conséquent, aucune omission de mention d’heures ne peut être constatée, ce qui exclut le travail dissimulé dans ce cas.
Si cette solution se comprend, elle reste néanmoins contre-intuitive elle aussi : un travail contraint et non déclaré ne pourrait être qualifié de travail dissimulé… au motif que le salarié n’est tout simplement pas payé pour ce travail.
En définitive, cet arrêt de la Cour de cassation illustre une approche étonnante du droit à la rémunération en cas de prestation de travail accomplie durant un arrêt pour maladie ou congé maternité.
En excluant toute possibilité de rappels de salaire, la Haute cour maintient la ligne stricte de suspension des obligations réciproques pendant les périodes d’arrêt de travail, quitte à créer une solution qui, bien que rigoureuse sur le plan juridique, peut paraître déconcertante dans son exécution : un salarié contraint de travailler se voit ainsi privé de salaire pour une prestation effectivement accomplie, et l’employeur échappe à toute accusation de travail dissimulé.
Ainsi, si l’on considère habituellement que « tout travail mérite salaire », cette maxime s’inverse curieusement pour le salarié en arrêt de travail. Au regard du raisonnement de la Cour de cassation, il est fort probable que cette solution soit retenue pour toutes les situations entraînant la suspension du contrat de travail.
[1] C. trav., art. L. 1211-1 N° Lexbase : L0764H98.
[2] Cass. soc., 6 juillet 2022, n° 21-11.751, F-D N° Lexbase : A50988A3.
[3] À titre d’exemple : Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.155, F-D N° Lexbase : A9812C8W.
[4] Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.343, inédit N° Lexbase : A5289A7Z.
[5] Cass. soc., 6 février 2001, n° 98-46.345 N° Lexbase : A6415APB.
[6] C. trav., art. L. 1226-1-3 N° Lexbase : L4434L7D.
[7] Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.343, inédit N° Lexbase : A5289A7Z.
[8] À titre d’exemple : CA, Lyon, 30 janvier 2019, n° 16/08137 N° Lexbase : A5589YUK.
[9] Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 23-15.944, FS-B N° Lexbase : A35415XG.
[10] À titre d’exemples : CA, Chambéry, 5 septembre 2024, n° 22/02149 N° Lexbase : A48815YG ; CA Paris, 6-9, 14 décembre 2022, n° 19/12073 N° Lexbase : A346083K ; CA Rennes, 28 janvier 2021, n° 18/00257 N° Lexbase : A83104D7.
[11] Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-23.009, F-D N° Lexbase : A5120IXW.
[12] Cass. soc., 6 juillet 2022, n° 21-11.751, F-D N° Lexbase : A50988A3.
[13] Cass. soc., 7 janvier 1992, n° 87-44.428, inédit N° Lexbase : A8610CN9.
[14] Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 23-15.944, FS-B N° Lexbase : A35415XG.
[15] Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 22-16.129, FS-B N° Lexbase : A35355X9.
[16] Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-16.066, F-D N° Lexbase : A2009RWC.
[17] CA Chambéry, 5 septembre 2024, n° 22/02149 N° Lexbase : A48815YG.
[18] Avis de Madame Roques, avocate générale référendaire relatif au pourvoi n °23-11.582.
[19] Cass. civ. 2, 28 mai 2020, n° 19-12.962, F-P+B+I N° Lexbase : A22893MQ.
[20] Cass. civ. 2, 17 janvier 2008, n° 06-14.082, F-D N° Lexbase : A7595D3P.
[21] En ce sens : CA, Chambéry, 5 septembre 2024, n° 22/02149 ; CA Rouen, 19 septembre 2024, n° 23/00145 N° Lexbase : A033754A.
[22] Avis de Madame Roques, avocate générale référendaire relatif au pourvoi n° 23-11.582.
[23] Rapport de Madame Palles, Conseillère, relatif au pourvoi n° 23-11.582.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:490852