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par La Rédaction
le 17 Septembre 2024
Évidemment, les faits dénoncés étaient les mêmes. Les témoignages également. Tout comme les dénégations de l’accusé. C’est donc l’analyse de tout cela par la justice suisse qui a changé en l’espace d’un an, et qui viendra nourrir un peu plus le débat juridique et judiciaire sur la notion d’emprise. Acquitté en 2023 par un tribunal correctionnel helvète, l’ancien prédicateur Tariq Ramadan a été reconnu coupable de « viol » et de « contrainte sexuelle » sur une femme par la chambre pénale d’appel et de révision, mardi 10 septembre.
Dans un communiqué, la justice genevoise a indiqué qu’il avait été condamné à « une peine privative de liberté de trois ans, sans sursis à raison d’un an », sans toutefois préciser les modalités d’exécution ou d’aménagement de cette peine. À quoi bon ? Dans la foulée, l’islamologue de 62 ans a annoncé, par la voix de ses avocats, qu’il saisissait le Tribunal fédéral, sorte d’instance suprême en Suisse. Il y aura donc un troisième examen de cette affaire. Pour autant, il faut bien constater que pour la première fois, Tariq Ramadan a été reconnu coupable de viol, lui qui est accusé depuis plus de sept ans en France comme en Suisse par plusieurs femmes.
De l’autre côté du lac Léman, c’est une femme qui a demandé aux médias de la surnommer « Brigitte » pour que son anonymat soit préservé. En 2017, dans la foulée des accusations portées en France contre l’islamologue, elle avait dénoncé des faits de viol survenu, selon son récit, dans une chambre d’hôtel de la région de Genève en 2008. Après un échange sur Facebook, cette femme avait donné rendez-vous à l’hôtel Mon Repos de Genève en marge d’une conférence.
Rapidement, le prédicateur lui avait demandé de monter dans une chambre où, selon son récit, il lui avait sauté dessus, lui imposant plusieurs rapports sexuels non consentis, entrecoupés de scènes de violences, notamment de gifles. Une « nuit de terreur », avait-elle alors évoqué. Tariq Ramadan, lui, a toujours contesté avoir eu des rapports sexuels avec cette femme, disant même s’être enfui après avoir été dérangé par l’odeur de son foulard...
La question de l’emprise et des témoignages analysés différemment
En première instance, la justice suisse avait acquitté l’islamologue qui était, naguère, adulé par la communauté musulmane pour la qualité de ses conférences et son érudition. Au bénéfice du doute, pointant notamment le fait que la plaignante avait continué à échanger sur les réseaux sociaux avec Tariq Ramadan après la nuit terrible qu’elle avait dénoncée. Qu’elle avait aussi appelé plusieurs de ses amis le lendemain des faits, sans pour autant prononcer le mot de « viol »…
Tariq Ramadan avait alors surfé sur cette décision de justice pour clamer un peu plus son innocence, lui qui maintient être la cible d’un complot généralisé. Mais alors pourquoi cette fois-ci les magistrats suisses ont-t-ils eu une analyse totalement différente de leurs homologues de première instance ? Tout simplement parce qu’ils ont vu les choses différemment. Dans un jugement de plus de soixante-dix pages que Lexbase a pu consulter, ils reviennent sur toute la chronologie de l’affaire.
Ils notent évidemment que Brigitte a continué à échanger des messages avec Tariq Ramadan après les faits, messages tout à fait normaux, voire pour certaines enamourés. Mais les magistrats ont estimé qu’il s’agissait de l’expression d’une stratégie de défense, d’évitement ainsi que l’expression de l’emprise exercée par l’islamologue sur elle. Il en est de même des conversations qu’elle a eues avec des amis le lendemain de cette « nuit d’horreur ». Là aussi, s’ils n’éludent pas le fait qu’elle n’a jamais parlé d’un viol, les magistrats pointent du doigt le fait que Brigitte a raconté le traumatisme qu’elle avait subi, ses amis s’en souvenant très bien. Autant de raisons qui ont donc conduit cette chambre pénale d’appel et de révision à condamner cette fois-ci le prédicateur.
La circonstance atténuante du temps écoulé
Reste la question de la peine difficilement interprétable pour nous qui sommes habitués à la procédure française. Comment comprendre qu’un homme soit reconnu coupable de faits de viol et qu’il ne soit condamné « qu’à » une peine de trois ans de prison dont un an ferme ? Tout simplement parce qu’il bénéfice de ce que les Suisses appellent la « circonstance du temps écoulé ». Les faits dénoncés remontent à 2008. Il s’est donc écoulé seize ans depuis. Sept ans depuis que Brigitte a déposé plainte. Une disposition de la loi helvète permet à la justice en effet de tenir compte de cela pour administrer la peine adéquate. Peine qui tient également compte de l’âge de l’accusé, 62 ans en l’occurrence pour Tariq Ramadan, et de son état de santé. Or, on le sait, l’ancien prédicateur souffre d’une sclérose en plaque. Au surplus, les magistrats ont condamné le prédicateur pour un seul des trois viols que Brigitte avait dénoncés durant la nuit et qui faisait l’objet de la prévention. Voilà pourquoi la peine a été décidée de la sorte.
Mais sur le fond, le tribunal s’est voulu intraitable. Dans le jugement, les magistrats insistent ainsi sur le fait que Tariq Ramadan a persisté à contester les faits et surtout dénoncent le fait qu’il a tenté de « discréditer la victime » en guise de défense sans jamais exprimé de regrets. « Ses actes apparaissent d’autant plus répréhensibles qu’il se veut un homme de bien, de valeurs », écrivent-ils ainsi.
À n’en pas douter, des mots qui seront repris par les plaignantes qui l’accusent en France et qui attendent toujours de le voir comparaître. Visé par une ordonnance de renvoi pour viols sur trois femmes devant une cour criminelle départementale, l’islamologue a saisi la Cour de cassation pour tenter d’éviter un procès dans l’Hexagone. Son ultime recours.
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