Le Quotidien du 7 août 2024 : Secret professionnel

[Focus] Le personnel d'un cabinet d'avocat est-il aussi soumis au secret professionnel ?

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par Benoît Chaffois, Maître de conférences à CY Cergy Paris université, Membre du Laboratoire d'études juridiques et politiques (LEJEP) - EA n°4458

le 02 Août 2024

Mots-clés : avocat • personnel • cabinet • secret professionnel • élèves-avocats


 

Un secret.

Traditionnellement défini comme l’« obligation, pour les personnes qui ont eu connaissance de faits confidentiels dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions, de ne pas les divulguer hors les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret »[1], le secret professionnel permet d’inspirer la confiance du client, laquelle est indispensable pour le travail de l’avocat.

En l’absence de secret, les fonctions de défense et de conseil ne pourraient pas être correctement exécutées puisque le client redouterait de livrer ses informations. Pire, les autorités de poursuite pourraient interférer dans la stratégie de l’avocat, rendant ainsi la défense inefficace. On explique ainsi que les textes protègent directement[2], ou indirectement[3], le secret. Protection dont la puissance n’est pas inébranlable, comme en témoigne la distinction récemment réalisée par les juges et le législateur entre les activités de conseil et de défenses[4]. Les activités de conseil bénéficiant, sans que cela se justifie au regard du caractère absolu du secret, d’une protection atténuée dans un contexte de perquisition ou de visite domiciliaire[5].

Inspirant la confiance du client, participant de la protection des droits de la défense, le secret est, comme la récemment rappelé la Cour de cassation[6], « institué dans l'intérêt du client ayant droit au respect du secret des informations le concernant et non dans celui de l'avocat ». Ce rappel était fort logique. L’avocat n’est pas le bénéficiaire du secret, il en est le gardien. Cette qualité de gardien et non de bénéficiaire explique ainsi que l’avocat ne puisse utiliser le secret pour cacher sa participation à une infraction[7].

Plusieurs gardiens.

Une interrogation surgit alors. Si l’avocat est le gardien du secret, que doit-il faire lorsque d’autres que lui accèdent aux informations confidentielles ? Précisément, quel régime faut-il appliquer à l’égard du personnel d’un cabinet ? Ce personnel est-il lui aussi tenu au secret ? Poser cette question revient à s’interroger sur le domaine subjectif du secret. Autrement dit, à identifier les personnes tenues au secret.

D’emblée, il faut préciser que les avocats employés au sein d’un cabinet sur la base d’un contrat de collaboration libéral ou salarial sont tenus au secret. La solution est évidente puisque ces collaborateurs sont avant tout des avocats tenus par les règles propres à la profession. Reste à s’interroger sur deux autres cas, les élèves-avocat et le personnel non-avocat.

Élèves avocats.

S’agissant des élèves avocats susceptibles de réaliser un stage au sein d’un cabinet, le régime est clair. En anticipation de leur future qualité d’avocat, les élèves avocats prêtent un « petit-serment », lequel vise à ritualiser leur obligation au secret. Les élèves jurent ainsi « de conserver le secret de tous les faits et actes » dont ils auront « eu connaissance en cours de formation ou de stage ». Il n’existe donc aucun doute à l’égard des élèves avocats, ils sont soumis au secret.

Personnel non-avocat

S’agissant du personnel employé au sein d’un cabinet sans pour autant avoir la qualité d’avocat[8], au premier abord, il serait tentant de considérer que ce personnel ne devrait pas être tenu au secret professionnel puisqu’il n’a pas la qualité d’avocat. Ce serait pourtant tenir un raisonnement tout à la fois erroné et dangereux.

Erroné, car la protection des informations confidentielles s’applique au personnel non-avocat sur la base de texte à portée générale protégeant la vie privée telle que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel ne distingue pas selon la qualité du récipiendaire de l’information. Au-delà, bien que la jurisprudence n’ait pas été encore saisie de cette question, il faudrait s’interroger sur l’application de l’article 226-13 du Code pénal à l’encontre du personnel non-avocat. Le texte réprime « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ». Une interprétation extensive pourrait amener à considérer que le  personnel d’un cabinet, dépositaire d’une information protégé par le biais de sa profession, soit concerné par l’article 226-13.

Par ailleurs, considérer que le personnel du cabinet ne serait pas tenu au secret serait extrêmement dangereux pour l’employeur avocat, car, en tant que gardien du secret, l’avocat se doit de le faire respecter. Aussi, est-il considéré comme responsable des violations au secret commises par les personnes présentent dans les locaux de son cabinet[9].

En définitive, il n’existe aucun doute sur le fait que le personnel du cabinet soit tenu au secret, et, si le doute subsistait encore dans l’esprit du lecteur, il suffit d’invoquer l’article 11 de la convention collective nationale des avocats et de leur personnel du 20 février 1979, aux termes duquel :

« Le personnel est tenu de se conformer à la discipline, aux règles et aux usages de la profession ainsi qu'à la hiérarchie intérieure de l'étude ou cabinet.

Il doit observer la discrétion la plus absolue quant aux affaires et aux frais dont il a pu avoir connaissance en raison de ses fonctions ou même de sa simple présence à l'étude ou cabinet ; il est tenu au secret professionnel et la violation de celui-ci constitue une faute grave »[10].

 

[1] G. Cornu, Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant, 2023, PUF, V° « Secret professionnel ».

[2] Loi 31 décembre 1971, art. 66-5 N° Lexbase : L6343AGZ ; décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant Code de déontologie des avocats, art. 4 N° Lexbase : L0651MIX ; C. pén., art. 226-13 N° Lexbase : L5524AIG ; RIN, art. 2 N° Lexbase : L4063IP8 ; CPP, art. préliminaire N° Lexbase : L6580IXY ; CPP, art. 56-1-2 N° Lexbase : L1316MAY.

[3] CESDH, art. 6 N° Lexbase : L7558AIR, 8 N° Lexbase : L4798AQR ; Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 N° Lexbase : L0230LGM ; CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-694/20, Orde van Vlaamse Balies N° Lexbase : A02048Y9 ; CEDH, 6 décembre 2012, req. n° 12323/11 N° Lexbase : A3982IY7.

[4] Parmi une jurisprudence malheureusement en expansion : Cass. crim., 10-01-2023, n° 21-85.526, F-D, N° Lexbase : A209889L ; Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 19-84.304, FS-P+B+I N° Lexbase : A551937K ; Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14008 N° Lexbase : A6622IKH. Pour ce qui est du législateur, il suffit d’évoquer l’article 56-1-2 du Code de procédure pénale.

[5] Pour un exposé critique : J. Laurent, B. Chaffois, C. Boërio, K. Moya, Déontologie de la profession d'avocat (dir. T. Revet), 7e éd., 2023, LGDJ-Lextenso, EFB, coll. « La bibliothèque de l’avocat », n°275 et s..

[6] Cass. civ. 1, 6 décembre 2023, n° 22-19.285, FS-B N° Lexbase : A6695174.

[7] Pour des développements : J. Laurent, B. Chaffois, C. Boërio, K. Moya, Déontologie de la profession d'avocat (dir. T. Revet), préc., n°293 et s..

[8] Par exemple, le personnel administratif.

[9] Cette responsabilité est d’ailleurs si puissante qu’il a été jugé qu’un avocat commettait une violation du secret professionnel pour avoir laissé un « rabatteur de clientèle » accéder aux dossiers du cabinet, étant précisé que le rabatteur n’était ni avocat, ni employé du cabinet : Cass. civ. 1, 28 avril 2011, n° 10-15.444, F-D N° Lexbase : A5370HPL.

[10] Nous soulignons.

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