La lettre juridique n°546 du 7 novembre 2013 : Éditorial

Justice chiffrée... Incontournable pouvoir discrétionnaire du juge

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Il est incontestable que l'un des écueils inhérents au procès, c'est bien le risque. Celui de ne pas obtenir gain de cause totalement ou, même partiellement, devant le juge est si prégnant que l'on encourage, finalement, la déjudiciarisation progressive de la société ; que ce soit avec le développement des modes alternatifs de règlement des litiges (via la médiation, la procédure participative ou le compromis), mais également, tout simplement, avec l'encouragement des procédures transactionnelles (rupture conventionnelle en tête).

Il y a donc bel et bien une appétence du justiciable pour une sécurisation de l'issue de son litige ; plus que pour une sécurisation du contentieux lui-même. Mais ce besoin de sécurité juridique n'est pas uniquement exprimé par les clients des avocats ; il est également exprimé par les avocats pour le bon fonctionnement de leur cabinet. On ne compte plus les contentieux orchestrés, cette fois entre l'avocat et son client, ce dernier lui reprochant parfois, mais de plus en plus souvent, de pas avoir satisfait à son obligation d'assistance, obligation de moyens, de ne pas avoir mis en oeuvre l'ensemble des procédures qui lui aurait permis, pense-t-il, de "remporter" son procès.

Et même si l'avocat choisit nécessairement une stratégie de défense parmi d'autres possibles, acceptée par le client, lequel, en fonction d'un résultat favorable ou défavorable, n'est pas fondé à la remettre en cause seulement a posteriori, l'avocat peut être responsable s'il ne met pas tout en oeuvre pour satisfaire les intérêts de son client, sous réserve du respect des lois et des règlements en vigueur. Et, l'on sait qu'une obligation particulière de prudence et de diligence pèse sur l'avocat, en particulier dans l'accomplissement de sa mission d'assistance en justice. Autrement dit, il ne s'engage pas à gagner le procès, mais à mettre à la disposition du client ses connaissances juridiques, son art de la dialectique et de la rhétorique. Et, l'avocat ne peut se voir reprocher d'avoir perdu la cause de son client dans la mesure où il fait preuve de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence. Mais, il lui appartient alors d'écrire à son client en lui expliquant les arguments qui s'opposent à la réussite d'une contestation judiciaire. Faute de satisfaire à cette exigence, l'avocat engage sa responsabilité professionnelle.

Alors, face à cette explosion du contentieux de la responsabilité professionnelle de l'avocat et à celle des primes d'assurance subséquentes, il est normal que l'avocat ait à sa disposition des "outils" lui permettant de sécuriser son action. D'abord, pour une question de responsabilité professionnelle, mais surtout pour une raison d'efficacité de son action : il est un fait incontestable qu'une réputation professionnelle se bâtit, certes sur la compétence de l'avocat, mais également sur sa propension à "gagner une affaire". Et, "gagner une affaire" pour un avocat, cela commence par obtenir satisfaction quant aux revendications mesurées et légitimes de son client. En clair : sa propension à satisfaire sa clientèle, étant entendu que les demandes de celle-ci doivent rester raisonnables au regard du contexte de l'affaire... Et, il est un domaine dans lequel cette sécurisation lui semble dès lors primordiale : celui de l'indemnisation.

On sait qu'en 2005, le rapport "Dintilhac" a proposé une nomenclature des préjudices, après que le rapport "Lambert-Faivre" ait proposé un instrument de référence pour l'évaluation des indemnités de réparation d'un préjudice. Il s'agit de listes de préjudices exhaustives. Et la Cour de cassation reconnaît elle-même qu'elle se réfère implicitement à cette nomenclature dans le cadre de la détermination et de l'évaluation du préjudice corporel. Toutefois, elle n'abandonne pas pour autant sa jurisprudence traditionnelle conférant aux juges du fond une appréciation souveraine quant à l'évaluation du préjudice. Dernièrement, la Haute juridiction avait rappelé qu'en statuant par référence à des barèmes, sans procéder à l'évaluation du dommage en fonction des seules circonstances de la cause, une cour d'appel avait violé l'article 706-3 du Code de procédure civile et le principe de la réparation intégrale du préjudice. Par conséquent, ces nomenclatures et autres barèmes, s'il sont d'usage précieux, ne sont pas systématiquement appliqués et n'emportent pas nécessairement les effets escomptés auprès des parties à un procès. Le juge demeure libre de son évaluation du préjudice et de la réparation de celui -ci.

Dans le même esprit, plusieurs avocats et associations, comme l'Union nationale des associations familiales (UNAF), réclament l'usage incitatif d'un barème, un usage certes à la discrétion du juge aux affaires familiales, mais qui soit impératif lorsqu'il s'agit de fixer a minima le montant d'une pension alimentaire. Le voeu en a été exprimé, notamment, lors de la deuxième table ronde (L'avocat, pour qui ?) organisée lors de l'Assemblée générale extraordinaire du CNB le 4 octobre 2013. Hasard du calendrier, la réponse de la Haute juridiction ne s'est pas faite attendre. Le 23 octobre 2013, elle rappelait qu'il incombe au juge de fixer le montant de la contribution en considération des seules facultés contributives des parents de l'enfant et des besoins de celui-ci, et qu'il ne peut donc fonder sa décision sur une table de référence issue d'une circulaire. En fondant leur décision sur une table de référence, fût-elle annexée à une circulaire, les juges d'appel, auxquels il incombait de fixer le montant de la contribution litigieuse en considération des seules facultés contributives des parents de l'enfant et des besoins de celui-ci, ont violé l'article 371-2 du Code civil.

Maintenant, clairement, cela ne signifie en rien que ces nomenclatures, ces barèmes et ces tables de référence soient inutiles ; bien au contraire, ils aiguillent à la fois les parties sur le quantum de leur demande, mais aussi le juge pour étayer sa réflexion. Mais, ils ne doivent pas faire perdre de vue que la Justice est une science sociale et non une science exacte. Elle est le résultat d'une construction humaine et du libre arbitre légalement et réglementairement encadré de celui auquel les parties au litige s'en remettent pour trouver une solution : le juge. La mathématique n'est donc pas d'un grand secours en ce qui la concerne... Tout juste sert-elle à chacun des protagonistes à fonder son argumentation, à se rassurer soi-même et à, désespérément, apporter un peu de sécurité juridique face à l'appréciation souveraine si crainte des juges du fond.

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