Réf. : Cass. civ. 3, 6 juin 2024, n° 22-23.557, F-D N° Lexbase : A00055HN
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 20 Juin 2024
► La réception tacite peut être présumée mais doit toujours être caractérisée par la volonté du maître de recevoir l’ouvrage.
Cet arrêt illustre à merveille le pouvoir créateur de la jurisprudence rendue en droit de la construction. Il traite, d’un côté, de la présomption – instaurée par la jurisprudence – de réception tacite et, de l’autre, du recours sur le fondement des troubles anormaux du voisinage, auparavant d’origine jurisprudentielle.
En l’espèce, des maîtres d’ouvrage ont confié à un maître d’œuvre la construction de leur maison. Les travaux sont confiés à différents constructeurs. Ils sont assignés par leur voisin qui leur reproche des décaissements sur leur terrain. Dans un arrêt rendu le 24 août 2022, la cour d’appel de Lyon constate la réception tacite de l’ouvrage et considère que les désordres relèvent de la responsabilité civile décennale. Ils forment un pourvoi en cassation aux motifs qu’ils ont refusé à deux reprises de réceptionner, ce qui rend impossible la caractérisation d’une volonté non-équivoque de recevoir l’ouvrage.
La Haute juridiction rappelle les conditions de la réception tacite.
La prise de possession de l’ouvrage et le paiement d’une partie substantielle du coût des travaux caractérisent la volonté non-équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage en son entier.
Afin de simplifier la preuve de la volonté non-équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage, la jurisprudence a instauré une présomption de réception tacite en cas de prise de possession de l’ouvrage doublée du paiement des travaux. C’est ainsi que, depuis une jurisprudence amorcée le 24 novembre 2016 (Cass. civ. 3, 24 novembre 2016, n° 15-25.415, FS-P+B N° Lexbase : A3460SLQ), clairement confirmée en 2019 (Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, n° 18-10.197, FS-P+B+I N° Lexbase : A5083YUS ; Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-13.734, FS-P+B+I N° Lexbase : A3818Y9B), la réception tacite est présumée lorsqu’il y a paiement intégral du prix et prise de possession. La Haute juridiction y tient. Elle a déjà eu l’occasion d’y revenir (Cass. civ. 3, 5 mars 2020, n° 19-13.024, FS-D N° Lexbase : A54163IG, nos obs. La volonté du maître d’ouvrage de ne pas recevoir l’ouvrage : obstacle à la réception tacite, Lexbase Droit privé, avril 2020, n° 819 N° Lexbase : N2886BYK) et de réitérer il y a peu (Cass. civ. 3, 18 mars 2021, n° 19-24.537, F-D N° Lexbase : A89024LB).
En revanche, dès lors que le maître d’ouvrage refuse de réceptionner, cela fait obstacle à la caractérisation de la réception tacite.
La solution n’est pas surprenante. La réception tacite est conditionnée par la volonté du maître d’ouvrage de recevoir ou non les travaux (Cass. civ. 3, 23 septembre 2020, n° 19-19.969, F-D N° Lexbase : A06363WH). Autrement dit, lorsque le maître d’ouvrage manifeste sa volonté non-équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, il n’est pas possible de caractériser la réception tacite.
La solution mérite d’être approuvée.
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