La lettre juridique n°984 du 16 mai 2024 : Droit pénal fiscal

[Chronique] Chronique de droit pénal fiscal (novembre 2023 – mars 2024)

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par Renaud Salomon, Avocat général à la Cour de cassation, Professeur associé à l’université de Paris Dauphine PSL, Membre associé de l’institut de criminologie et de droit pénal de l’université Panthéon-Assas

le 19 Juillet 2024

Mots-clés : droit pénal fiscal • infractions • procédure • visites domiciliaires • répression

La présente chronique traite des décisions rendues par le juge pénal en matière de droit fiscal ainsi que par le juge des libertés et de la détention statuant en matière de visites et de saisies (LPF, art. L. 16 B) sous la plume de Renaud Salomon, Avocat général à la Cour de cassation, Professeur associé à l’Université de Paris Dauphine PSL, Membre associé de l’Institut de criminologie et de droit pénal de l’Université Panthéon-Assas.


 

Sommaire :

I. Les infractions du droit pénal fiscal

A. Éléments constitutifs des délits fiscaux

  • Cass. crim., 28 février 2024, n° 23-80.320, F-D
  • Cass. crim., 10 janvier 2024, n° 22-80.782, F-D
  • Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-85.007, F-D

B. Répression des délits fiscaux

  • Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-81.403, F-D

II. Les règles procédurales en droit pénal fiscal 

A. L’action publique en droit pénal fiscal

  • Cass. crim., 13 décembre 2023, n° 22-81.985, FS-B

B. L’action civile en droit pénal fiscal

  • Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-82.826, FS-B

I. Les infractions du droit pénal fiscal

A. Éléments constitutifs des délits fiscaux

            1°) Élément matériel des délits fiscaux

  • Cass. crim., 28 février 2024, n° 23-80.320, F-D N° Lexbase : A29432RG : précisions sur l’élément légal de la fraude fiscale par omission de déclaration de TVA d’une société civile immobilière (SCI) dans le cadre d’une opération immobilière.

Il convient de rappeler qu’afin de mettre un terme à des discordances existant entre le régime de TVA appliqué aux immeubles en France et le droit de l’Union européenne, l'article 16 de la loi n° 2010-237, du 9 mars 2010, portant loi de finances rectificative pour 2010 N° Lexbase : L6232IGW a procédé à la mise en conformité du droit interne. Il en est résulté une redéfinition du champ d'application de la TVA en matière immobilière.

Ce nouveau régime établit des règles d’application de la TVA différenciées, selon que celui qui réalise la livraison de l'immeuble est ou non assujetti à la TVA agissant en tant que telle. L’article 2, 1, a de la Directive « TVA »( Directive (CE) n° 2006/112 du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : L7664HTZ), et les articles 256 N° Lexbase : L5704MAI et 257 N° Lexbase : L7636MD8 du Code général des impôts prévoient que la vente d'un immeuble n'entre ainsi dans le champ de la TVA que lorsqu'elle est effectuée par un assujetti agissant en tant que tel.

Aux termes de l'article 256 de ce Code : « I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens [...] effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel [...] ». Selon l'article 256 A du même Code : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / [...] Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services [...] ».

Par ailleurs, l’article 257 du même code prévoit que « sont soumises à la TVA les opérations concourant à la production et à la livraison d’immeubles […]

2° Comme immeubles neufs [...] les immeubles bâtis achevés depuis 5 ans au plus, qui résultent:

  • d'une construction nouvelle ou d’une addition de construction nouvelle (à due concurrence) ;
  • de travaux portant sur des immeubles existants qui ont consisté en une surélévation ou qui ont rendu à l'état neuf :
    • a) soit la majorité des fondations,
    • b) soit la majorité des éléments hors fondations déterminant la résistance et la rigidité de l'ouvrage,
    • c) soit la majorité de la consistance des façades hors ravalement,
    • d) soit l'ensemble des éléments de second œuvre énumérés à l'article 245 A de l'annexe II au CGI dans une proportion au moins égale aux deux tiers pour chacun d'eux (planchers non porteurs, huisseries extérieures, cloisons intérieures, installations sanitaires et plomberie, installations électriques et système de chauffage) ».

Les principes ci-dessus rappelés permettent de mieux cerner l’angle d’attaque des demandeurs au pourvoi, condamnés du chef de fraude fiscale.

Ils ont fait valoir devant la Haute juridiction que l’opération immobilière litigieuse n’était pas soumise à la TVA car les opérations immobilières ne le sont, par application de l’article 256 du Code général des impôts, qu’à la condition que la personne les réalisant ait la qualité d’assujetti, ce qui n’est pas le cas, selon eux, de la SCI qu’ils ont constituée. Ils ont invoqué le bénéfice de la présomption simple de non-assujettissement et l’absence de caractérisation par les juges de démarches actives de commercialisation foncière qui mobilisent des moyens similaires à ceux déployés par un producteur un commerçant ou un prestataire de services, qui permettent seuls de la renverser.

S’agissant de la qualité d’assujetti, au sens de l'article 256 A du Code général des impôts N° Lexbase : L3557IAY, une distinction doit être faite entre :

  • d’une part, l'activité d'un investisseur agissant à titre privé, à titre individuel ou dans le cadre d’une SCI, qui tient au simple exercice du droit de propriété, qui demeure en dehors du champ de la directive et dont prévalent les demandeurs au pourvoi,
  • et, d’autre part, l’activité d'un investisseur professionnel dont les opérations constituent une activité économique en ce qu'elles sont effectuées dans un but commercial.

À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne juge que « seuls les paiements qui constituent la contrepartie d’une opération ou d’une activité économique entrent dans le champ d’application de la TVA » et que « tel n’est pas le cas de paiements qui résultent de la simple propriété du bien » (CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-29/08, § 29, Skatteverket c/ AB SKF N° Lexbase : A5614EMU. Mais elle a ultérieurement précisé que si « le simple exercice du droit de propriété par son titulaire ne saurait, en lui-même, être considéré comme constituant une activité économique », « tel n’est cependant pas le cas lorsque l’intéressé entreprend des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services », par exemple, s’agissant de la vente de terrains, la réalisation de travaux de viabilisation et la mise en oeuvre de moyens de commercialisation avérés (CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-180/10 et C-181/10, § 36, 39 et 40, Jaroslaw Slaby c/ Minister Finansów N° Lexbase : A7298HXL ; CJUE, 9 juillet 2015, aff. C-331/14, Petar Kezic s.p. Trgovina Prizma N° Lexbase : A7910NMW).

Pour sa part, le Conseil d’État se livre à une analyse globale de l’opération qui lui est soumise pour apprécier l’existence ou non d’une activité économique relevant de la TVA (CE 3° et 8° ch.-r., 9 juin 2020, n° 432596, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A15483NN).

Lire en ce sens les conclusions de la Rapporteure publique, K. Ciavaldini dans cette affaire, Lexbase fiscal, juin 2020, n° 829 N° Lexbase : N3801BYG.

Au cas présent, l’arrêt attaqué, après avoir appelé les dispositions de l’article 257 du Code général des impôts qui excluent de l’exonération de TVA les opérations concourant à la production ou à livraison d’immeubles neufs, a énonce que :

  • la SCI a acquis en 2010, l’année même de sa création, un terrain sur lequel était édifiée une vieille bâtisse au prix de 700 000 euros, correspondant à la valeur du terrain, qu'elle a revendu au prix de 6 000 000 euros, en 2013 ;
  • qu'un rapport d'expertise immobilière confirme l'état de délabrement de la bâtisse, dont la superficie initiale de 242 m² a été étendue à 403 m² ;
  • que les travaux, d'un coût total de 3 517 552 euros, ont consisté en une addition de construction et en une restructuration de la bâtisse dont seuls les murs extérieurs ont été conservés ;
  • que les travaux de restructuration de la bâtisse ont porté sur l'ensemble des éléments de second oeuvre, à savoir les planchers ne déterminant pas la résistance ou la rigidité de l'ouvrage, les huisseries extérieures, les cloisons intérieures, les installations sanitaires et de plomberie, les installations électriques, le système de chauffage, remplacés par du neuf dans une proportion au moins des deux tiers de chacun de ces éléments, ainsi que le confirme le montant des travaux de réhabilitation facturés par la société GP construction à hauteur de plus de deux millions d'euros.

En l’état de ces énonciations, les juges du fond en ont justement déduit, selon la chambre criminelle, qu’en procédant ainsi, la SCI s’est livrée à une activité de promotion construction immobilière assujettie à la TVA et qu’elle aurait due par conséquent, souscrire des relevés mensuels mentionnant le montant des opérations réalisées et le détail des opérations taxables.

  • Cass. crim., 10 janvier 2024, n° 22-80.782, F-D N° Lexbase : A80312DS : les faits, d'une part, d'achat d'or à une personne non identifiée et, d'autre part, de tenue irrégulière du livre de police sont matériellement différents, de sorte qu’ils doivent être cumulativement retenus par le juge.

Dans cette affaire, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières faisait grief à l’arrêt attaqué d’avoir relaxé les prévenus du chef d’achats de marchandises à une personne inconnue (CGI, art. 539 N° Lexbase : L7391HLC) en application du principe ne bis in idem, alors que le fait d’acheter des marchandises à une personne inconnue et le fait d’omettre une mention sur le livre de police (CGI, art. 537 N° Lexbase : L5024IC3) ne sont pas matériellement identiques et que les textes les réprimant tendent à la protection d’intérêts distincts.

Il est patent en effet que la cour d’appel a prononcé la relaxe du chef d’achats de marchandises à une personne inconnue, après avoir retenu que le défaut de renseignement sur le registre de police de l’identité des personnes ayant vendu les métaux précieux caractérise le délit d’achat à une personne inconnue. Elle en conclut que la qualification spéciale d’achat de marchandises à une personne inconnue incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par la qualification générale de tenue non conforme du registre de police.

Cette motivation est critiquable au regard du tout récent critère d’application du principe ne bis in idem, dégagé par la Haute juridiction

En effet, depuis un arrêt de principe, rendu en formation plénière, la chambre criminelle juge qu’ « outre la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne lorsque l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes : Dans la première, l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue. Dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale » (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B N° Lexbase : A17417GL).

Ainsi, en cas de poursuites concomitantes, le principe ne bis in idem interdit le cumul de qualifications pour la déclaration de culpabilité lorsque les infractions retenues répriment tout d’abord des faits identiques (Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-83.360, F-B N° Lexbase : A166878B), et dans certains cas. L'interdiction du cumul de qualifications implique ainsi désormais que soient remplies deux conditions cumulatives, l'une tenant à l'identité des faits matériels caractérisant les infractions en concours, l'autre à leur définition légale. Le cumul est autorisé lorsqu'une seule de ces conditions n'est pas remplie (Cass. crim., 9 juin 2022, n° 21-80.237, FS-B N° Lexbase : A793074H).

Au cas présent, la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur l’identité des faits, condition minimale nécessaire à l’application du principe ne bis in idem.

Or, comme le relève l’administration des douanes dans son mémoire, les faits sont matériellement distincts. Le délit de tenue non conforme du registre de police est caractérisé par le fait de ne pas indiquer au registre l’identité et l’adresse des personnes ayant vendu l’or et les métaux précieux ainsi que la nature, le nombre, le poids, le titre, la date d'entrée et de sortie et l'origine de ces matières (CGI, art. 56 J quindecies, annexe IV N° Lexbase : L3654IGG). En revanche, le délit d’achat de marchandises à une personne inconnue est caractérisé par une opération juridique d’achat conclue avec un tiers, laquelle est d’ailleurs nécessairement antérieure à la tenue non conforme du registre. Si la tenue non conforme du registre peut permettre de prouver l’achat de marchandises à une personne inconnue, elle n’est pas un élément constitutif de l’achat qui intervient préalablement.

En conséquence, c’est bien à tort que la cour d’appel a retenu l’application du principe ne bis in idem et en a tiré pour conséquence la relaxe du chef d’achat de marchandises à une personne inconnue.

  • Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-85.007, F-D N° Lexbase : A88061Z8 : les déclarations de culpabilité des chefs de fraude fiscale et de blanchiment sont fondées sur des faits dissociables. Est par conséquent censuré l’arrêt qui, au titre du délit de blanchiment, caractérise en réalité la seule fraude fiscale d’origine.

La chambre criminelle juge que les déclarations de culpabilité des chefs de fraude fiscale et de blanchiment sont fondées sur des faits dissociables, la première infraction étant constituée par l'absence de référence dans les déclarations faites par le prévenu à l'administration fiscale des avoirs placés sur les comptes détenus auprès d’une banque, ouverts au nom de sociétés-écrans, ainsi que des revenus tirés de ces avoirs, tandis que la seconde est caractérisée par des opérations successives de dissimulation du produit de cette fraude, réalisées au travers de l'ouverture et du fonctionnement de ces comptes (Cass. crim., 1er décembre 2021, n° 20-83.969, F-D N° Lexbase : A23237ER).

Par conséquent, aucune condamnation du chef de fraude fiscale ne peut résulter de la caractérisation par le juge répressif de la seule infraction sous-jacente de fraude fiscale.

Au cas présent, le demandeur au pourvoi faisait grief à l’arrêt de n’avoir relevé que des faits caractérisant une fraude fiscale à son encontre, sans relever un élément matériel et un élément intentionnel distinct caractérisant le blanchiment de fraude fiscale.

En effet, lorsqu’est évoquée la dissimulation des sommes normalement sujettes à l’impôt, les juges du fond font référence, non à l’opération de dissimulation incriminée par l’article 324-1 du Code pénal N° Lexbase : L1789AM9, mais à celle envisagée par l’article 1741 du Code général des impôts N° Lexbase : L1203ML7, de sorte que l’arrêt n’a caractérisé que la fraude fiscale, et non son blanchiment.

L’arrêt d’appel est donc ici cassé pour défaut de motifs propres à caractériser le délit de blanchiment de fraude fiscale.

2°) Élément moral des délits fiscaux

  • Cass. crim., 13-03-2024, n° 23-80.255, F-D N° Lexbase : A60382U8 : il appartient au juge pénal d’une part de retenir l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale dès qu’est établie la conscience de son auteur de ne pas procéder aux déclarations prévues par la loi fiscale, d'autre part, de contrôler l'existence, la validité et la portée de la délégation de responsabilité invoquée par le prévenu pour s'exonérer de sa responsabilité pénale.

Dans cette affaire, le pourvoi du procureur général de la cour d’appel vient reprocher à l’arrêt attaqué d’avoir statué par des motifs contradictoires et insuffisants tant sur l’absence d’intention coupable du prévenu que sur l’existence de la délégation consentie au comptable.

1° Sur le premier point, l’article 1741 du Code général des impôts exige au titre du délit de fraude fiscale que le contribuable ait volontairement omis de faire sa déclaration ou ait dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt. L’omission ou la dissimulation doit avoir été commise « volontairement » (Cass. crim., 6 décembre 2017, n° 16-85.307, F-D N° Lexbase : A1208W7U). Mais, comme souvent en droit pénal des affaires, l’élément moral se réduit à une Peau de chagrin. En effet, la chambre criminelle juge de longue date que « l’élément intentionnel résulte de la conscience de l’inexactitude des déclarations faites à l’administration » (Cass. crim., 12 janvier 1981 : Bull. crim. 1981, n° 14 ; Cass. crim., 2 juillet 1998 : Bull. crim. 1998, n° 213 ; Cass. crim., 23 mars 2016, n° 15-80.953 : Dr. fisc. 2016, chron. 321, R. Salomon).

Dans la présente affaire, les juges d’appel ne pouvaient dire non caractérisé l’élément moral du délit après avoir relevé que le prévenu, qui avait perçu une rémunération totale de 708 000 euros, au titre de son activité professionnelle sur l’année 2016, avait porté sur sa déclaration de revenus la seule somme de 257 879 euros, la différence de 450 121 euros résultant d'une dissimulation d'honoraires directement perçus sur son compte personnel.

2° Sur le second point du pourvoi, il convient de rappeler qu’en dehors des hypothèses où s'applique une présomption légale de responsabilité pénale, la jurisprudence considère que les la participation personnelle des dirigeants de sociétés, s’étant soustraites à l'impôt est présumée, de sorte que, seule, l’établissement d'une délégation de pouvoir de leur part leur permet en pratique d’échapper à la répression.

Le représentant légal peut donc invoquer une délégation de pouvoirs consentie expressément en matière fiscale, à condition qu’elle précise, à peine de nullité, les matières confiées par le chef d’entreprise au délégataire, lequel doit être investi de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour mener à bien cette délégation (Cass. crim., 11 mars 1993, n° 91-83.655, publié N° Lexbase : A1523ATL ; Cass. crim., 11 mars 1993, n° 91-80.598 N° Lexbase : A1522ATK : Bull. crim. 1993, n° 112 ; D. 1994, p. 156 ; Cass. crim., 10 avril 2013, n° 12-81.699, F-D, Dr. fisc. 2013, chron. 374, R. Salomon N° Lexbase : A1511KDC ; Cass. crim., 19 juin 2013, n° 12-83.684, F-D, Dr. fisc. 2013, chron. 491, R. Salomon N° Lexbase : A1351KKA ; Cass. crim., 2 avril 2014, n° 13-82.269, F-D N° Lexbase : A6190MI4) et doit en outre avoir accepté cette délégation (Cass. crim., 23 mai 2007, n° 06-87.590, F-P+F N° Lexbase : A5678DW9 : Bull. crim. 2007, n° 138 ; Dr. fisc. 2007, n° 37, étude 824, R. Salomon ; RJF, 12/2007, n° 1487).

Au cas présent, l’arrêt attaqué est une nouvelle fois cassé pour avoir retenu l’existence d’une délégation donnée par le prévenu à son comptable, sans rechercher l’étendue et la validité de celle-ci et sans vérifier si le délégataire bénéficiait de la compétence, de l‘autorité et des moyens de l’exercer.

B. Répression des délits fiscaux

  • Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-81.403, F-D N° Lexbase : A87861ZG : motivation de la condamnation solidaire d’un prévenu au paiement de dommages-intérêts à l'État français en réparation du préjudice résultant du délit de blanchiment de fraude fiscale.

Dans cette affaire, les demandeurs au pourvoi, condamnés pour blanchiment de fraude fiscale,  reprochaient à l’arrêt d’appel d’avoir prononcé à leur encontre une condamnation à des dommages et intérêts au profit de l’État, sans quantifier aussi précisément que possible le préjudice subi par celui-ci.

Les conclusions déposées par l’État français devant le juge pénal faisaient état du montant des sommes blanchies mais ne détaillaient pas le coût des recherches spécifiques induites par le blanchiment.

Au cas présent, pour condamner solidairement les deux co-prévenus, à payer à l'État français, partie civile, la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt attaqué énonce que, si les prévenus discutent le montant des dommages et intérêts sollicité, au motif qu'il serait arbitraire comme insuffisamment justifié selon eux, il convient de rappeler que le préjudice découlant des infractions sources commises par les sociétés fiscalement défaillantes est difficilement quantifiable à l'euro près, dans la mesure où le blanchiment a précisément pour objet de dissimuler des fonds et de rendre leurs mouvements occultes aux fins d'alimenter une économie souterraine et d'échapper à l'impôt.

Les juges retiennent que les volumes financiers blanchis par les sociétés de bâtiment défaillantes fiscalement sont considérables

Ils ajoutent que, pour autant, il leur appartient de prendre en considération le fait que le blanchiment reproché aux deux prévenus n'est pas de l'auto blanchiment en ce qu'aucune fraude fiscale de leur propre chef ne leur est reprochée, raison pour laquelle la cour réduira à la somme de 50 000 euros le montant des dommages et intérêts sollicités par l'État français.

Or, la jurisprudence de la chambre criminelle, pour accorder des dommages-intérêts, ne distingue pas entre blanchiment des fonds d’autrui ou auto blanchiment. Mais le préjudice indemnisable est celui imposé par la complexification des recherches causée par la dissimulation.

En l’état de ces précédentes énonciations, la Haute juridiction censure l’arrêt attaqué, aux motifs d’une part que les juges d’appel n'ont pas caractérisé le lien de causalité existant entre le délit de blanchiment et le préjudice de l'État français, qui ne peut inclure le préjudice issu de la fraude fiscale imputée aux sociétés dont les fonds ont été blanchis, d’autre part, ces juges ne pouvaient, sans mieux s'en expliquer, fixer à 50 000 euros le montant des dommages et intérêts prononcés.

II. Les règles procédurales en droit pénal fiscal  

A. L’action publique en droit pénal fiscal

  • Cass. crim., 13 décembre 2023, n° 22-81.985, FS-B N° Lexbase : A525918B : est inopérant le grief tiré de l'inapplication des exigences posées par la Cour de justice de l'Union européenne en matière de cumul de sanctions pénales et fiscales lorsque le prévenu est poursuivi pour des faits de fraude fiscale relatifs aux seuls impôts sur le revenu et de solidarité sur la fortune, qui n'entrent pas dans le champ du droit de l'Union européenne. Il se déduit des articles 9-1 du Code de procédure pénale, 112-2, 4°, du Code pénal et 4 de la loi n° 2017-242, du 27 février 2017, entrée en vigueur le 1er mars de la même année, que lorsque la prescription d'une infraction occulte ou dissimulée a été régulièrement interrompue avant cette date en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, l'institution par ladite loi d'un délai de prescription maximum de douze années révolues à compter du jour ou le délit a été commis ne saurait avoir pour effet d'emporter la prescription de l'action publique, quand bien même le premier acte interruptif de prescription serait intervenu plus de douze ans après la date de commission des faits et l'infraction n'aurait pas donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique. C'est à tort qu'une cour d'appel, pour écarter la prescription d'infractions occultes ou dissimulées apparues avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 février 2017, mais plus de douze ans après leur commission, considère que le ministère public a exercé l'action publique avant le 1er mars 2017, conformément à l'article 4 de ladite loi, en faisant effectuer des actes d'enquête ou d'investigation. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure dès lors que les actes d'enquête réalisés, même plus de douze ans après la commission des faits, ont régulièrement interrompu la prescription antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017.

Cet arrêt publié apporte des précisions essentielles sur divers points de droit pénal et de procédure pénale applicables au droit fiscal. La première concerne le champ d’application du principe du cumul des sanctions pénales et administratives (1), la deuxième traite de la question de la prescription de l’action publique (2) et la dernière est relative au cumul idéal d’infractions (3).

            1) Sur le champ d’application du principe ne bis in idem en droit pénal fiscal

Le Conseil constitutionnel a – par deux décisions du 24 juin 2016 (Cons. const., décision n° 2016-545 QPC N° Lexbase : A0909RU9 et n° 2016-546 QPC N° Lexbase : A0910RUA, du 24 juin 2016 : Dr. fisc. 2016, comm. 405, note S. Detraz ; Dr. fisc. 2016, chron. 439, R. Salomon), suivies par plusieurs arrêts de principe, rendus, le 11 septembre 2019, par la chambre criminelle (Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.067 N° Lexbase : A9082ZMC, n° 18-81.144 N° Lexbase : A9086ZMH et n° 18-81.040 N° Lexbase : A9081ZMB, n° 18-81.980 N° Lexbase : A9083ZMD et n° 18-82.430 N° Lexbase : A9084ZME, P+B+I+R : Dr. fisc. 2019, comm. 420, obs. M. Stoclet ; Dr. fisc. 2019, chron. 437, R. Salomon ; Dr. pén. 2019, comm. 187, obs. J.-H. Robert et n° 193, obs. V. Peltier) – jugé qu’était possible le cumul des pénalités fiscales à caractère répressif et des sanctions pénales de la fraude fiscale. Mais ils ont posé trois réserves d’interprétation à cette possibilité de cumul. Tout d’abord, en application du principe de légalité des peines, est exclue toute condamnation pénale à l’encontre d’un contribuable, déchargé de l’impôt par une décision définitive du juge de l’impôt pour un « motif de fond ». Ensuite, en application du principe de nécessité des peines, les sanctions pénales, prévues aux articles 1741 et suivants du Code général des impôts, ne peuvent s’appliquer qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt, cette particulière gravité pouvant, selon le Conseil constitutionnel, « résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ». Enfin, en vertu du principe de proportionnalité des peines, « le total des sanctions pénales et administratives prononcées ne doit pas excéder le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues »

La Cour de Luxembourg, saisie d’une question préjudicielle de la chambre criminelle par un arrêt du 21 octobre 2020 (Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-81.929, FS-P+B+I N° Lexbase : A31923YU), a ajouté une exigence supplémentaire : le juge répressif, qui envisage d’appliquer une sanction pénale, de quelque nature qu’elle soit, doit vérifier que le cumul de cette peine avec les sanctions administratives pécuniaires déjà prononcées n’excède pas la gravité des faits (CJUE, 5 mai 2022, aff. C-570/20, BV N° Lexbase : A11807WM), cette solution ayant été déclinée depuis lors par la Cour de cassation.

Cette dernière a ainsi jugé, en matière de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, impôt entrant dans le champ de l'Union européenne, et en conséquence soumis à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux, l'obligation pour le juge pénal, d'une part, lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel de sanctions fiscales et s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier qu'il était raisonnablement prévisible, au moment où l'infraction a été commise, que celle-ci était susceptible de faire l'objet d'un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale, d'autre part, lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, après avoir constaté le montant des pénalités fiscales appliquées, de s'assurer que la charge finale résultant de l'ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l'infraction qu'il a commise (Cass. crim., 22 mars 2023, n° 19-80.689, FS-B N° Lexbase : A06949KW et n° 19-81.929, FS-B N° Lexbase : A06869KM).

Au cas présent, le demandeur au pourvoi, s’appuie sur l’arrêt précité du 5 octobre 2022, rendu par la Cour de justice, faisant valoir que les principes qu’il pose doivent également s’appliquer aux impôts directs, comme ici l’impôt sur le revenu et l’impôt de solidarité sur la fortune, sauf à méconnaître le principe d’égalité devant la loi.

Mais ce moyen ne peut prospérer car si la chambre criminelle a décidé, par son arrêt précité du 21 octobre 2020, de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle sur la question du cumul des sanctions pénales et fiscales, c’est parce que « les dispositions législatives telles que celles applicables à la cause constituent une mise en oeuvre du droit de l’Union et doivent par conséquent respecter le principe ne bis in idem garanti par l’article 50 de la Charte. En l’espèce, si le demandeur, qui a fait l’objet de pénalités fiscales définitives de nature pénale, a été poursuivi et condamné pénalement pour une fraude aux impôts directs, il l’a également été pour une fraude à la TVA » et qu’il convient dès lors « de confronter la réglementation nationale aux exigences issues du droit de l’Union ». La saisine de la Cour de justice ne repose donc que sur le fait que les dispositions sur la TVA constituent une mise en oeuvre du droit de l’Union, ce qui n’est pas le cas de celles sur l’impôt sur le revenu ou de l’impôt de solidarité sur la fortune.

Cette position est d’ailleurs confortée par un arrêt du 8 avril 2021, par lequel la Cour de cassation a considéré que le renvoi à la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle concernant la compatibilité avec le droit de l'Union du cumul des poursuites et des sanctions pénales et fiscales portant sur de mêmes faits (Cass. crim., 21 octobre 2020, n° 19-81.929, préc.) ne saurait justifier, dans une affaire concernant une fraude à l’impôt sur le revenu,  qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la décision de cette juridiction dès lors que l'imposition sur le revenu n'entre pas dans le champ d'application du droit de l'Union (Cass. crim., 8 avril 2021, n° 19-87.905, F-P+I N° Lexbase : A65534NZ).

C’est donc manifestement en considération de ces éléments que la chambre criminelle, dans son arrêt du 13 décembre 2023, déclare inopérant le moyen aux motifs que ces exigences supplémentaires posées par la Cour de Luxembourg ne s'imposent pas lorsque le prévenu est poursuivi uniquement pour des faits de fraude fiscale concernant des impôts qui ne sont pas soumis au droit de l'Union, car, dans cette hypothèse, l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux, dont elles découlent, n'est pas applicable.

            2) Sur la prescription de l’action publique en droit pénal fiscal.

La chambre criminelle, par ce même arrêt, a été conduite à se prononcer sur la mise en oeuvre du délai « butoir » de 12 ans à compter de la commission des faits délictueux, instauré par la loi n° 2017-242, du 27 février 2017, en matière de prescription des infractions occultes ou dissimulées N° Lexbase : L0288LDZ. Rappelons qu’il a été introduit par cette loi pour éviter que les règles de report du point de départ de la prescription des infractions occultes ou dissimulées au jour où cette dissimulation prend fin ne conduisent à leur imprescriptibilité de fait.

Le demandeur, qui a vu écartée par les juges d’appel sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action publique, a soutenu que le délai butoir de douze ans, instauré par l’article 9-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6211LLM pour les délits occultes ou dissimulés, est applicable aux enquêtes en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi, dans la mesure où l’action publique n’a pas été mise en mouvement ni exercée, faute de saisine d’un juge du siège – juge d’instruction ou juridiction de jugement - avant l’entrée en vigueur de la loi, l’existence d’actes d’instruction ou d’investigation, ne pouvant par définition, constituer l’exercice de l’action publique qui n’avait pas été mise en mouvement.

Par son arrêt du 13 décembre 2023, la chambre criminelle a dû préciser la notion de mise en mouvement ou d’exercice de l’action publique : doit-elle supposer, comme le soutient le demandeur au pourvoi, la saisine d’un magistrat instructeur ou d’une juridiction de jugement par le parquet ? Ou doit-on, comme l’a fait la cour d’appel, considérer que le ministère public « avait déjà exercé l’action publique en faisant effectuer des actes d’instruction ou d’investigation au cours de l’enquête préliminaire » ?

La Haute juridiction énonce qu’il se déduit des articles 9-1 du code de procédure pénale, 112-2, 4°, du Code pénal N° Lexbase : L0454DZT et 4 de la loi n° 2017-242, du 27 février 2017, entrée en vigueur le 1er mars de la même année, que lorsque la prescription d'une infraction occulte ou dissimulée a été régulièrement interrompue avant cette date en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, l'institution par cette loi d'un délai de prescription maximum de douze années révolues à compter du jour ou le délit a été commis ne saurait avoir pour effet d'emporter la prescription de l'action publique, quand bien même le premier acte interruptif de prescription serait intervenu plus de douze ans après la date de commission des faits et l'infraction n'aurait pas donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique.

Elle juge que si c'est à tort que la cour d'appel a considéré que le ministère public avait exercé l'action publique en faisant effectuer des actes d'enquête ou d'investigation, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que les actes d'enquête réalisés, même plus de douze ans après la commission des faits, ont régulièrement interrompu la prescription antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017.

            3) Sur le cumul idéal d’infractions de fraude fiscale (CGI, art. 1741) et de blanchiment.(C. pén., art. 324-1)

Devant les juges du fond, le prévenu, se prévalant du principe ne bis in idem, a soutenu qu’il ne pouvait être poursuivi du chef de ces deux infractions, qui sanctionnent selon lui les mêmes faits.

Mais un tel moyen était également voué à l’échec depuis que, par un arrêt du 15 décembre 2021, la chambre a fait évoluer sa jurisprudence relative au cumul de qualifications pour les mêmes faits dans le cadre de poursuites concomitantes (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B N° Lexbase : A17417GL ; JCP G, 2022, 132, note N. Catelan ; Dr. pén., mars 2022, dossier 3, note P. Conte ; D. 2022, p.154, note G. Beaussonie ; RSC 2022, p. 323, note X. Pin ; AJ Pén., janv. 2022, p.34, obs. C.-H. Boeringer).

Il résulte de cet arrêt de principe que deux conditions cumulatives sont nécessaires pour que joue l’interdiction de cumul résultant de l’application du principe ne bis in idem, l’une tient aux faits poursuivis, l’autre aux qualifications retenues :

  • le ou les faits poursuivis sous des qualifications différentes doivent être identiques,
  • l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue ou l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale.

Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, le cumul de qualification est autorisé.

Au cas présent, dans le parfait sillage de ces principes, la Haute juridiction approuve les juges d’appel d’avoir prononcé une double déclaration de culpabilité des chefs de fraude fiscale et de blanchiment. Elle considère qu’il s’agit de faits distincts, la première infraction étant constituée par l'absence de référence dans les déclarations faites par le prévenu à l'administration fiscale des avoirs détenus à l'étranger, ainsi que des revenus tirés de ces avoirs, tandis que la seconde est caractérisée par des opérations successives de dissimulation du produit de cette fraude, notamment réalisées au travers de l'ouverture et du fonctionnement de comptes bancaires à l'étranger.

On notera que cette solution s’inscrit dans la logique d’un précédent arrêt de la chambre concernant le cumul de poursuites et de condamnations des chefs de fraude fiscale et d’omission d’écritures en comptabilité (Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-83.360, F-B N° Lexbase : A166878B ; JCP E 2023, 1058, chron. R. Salomon; Dr. pén. n° 9, 2023, chron. S. Detraz; Gaz.Pal., n° 30, sept. 2022, p. 16, note L. Saenko).

B. L’action civile en droit pénal fiscal

  • Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-82.826, FS-B N° Lexbase : A37991ZQ : la commission, par un contribuable, du délit de blanchiment de fraude fiscale n'est pas susceptible de causer à l'État un préjudice moral distinct de l'atteinte portée aux intérêts généraux de la société que l'action publique a pour fonction de réparer.

Par un arrêt du 17 décembre 2014 , la chambre criminelle a, pour la première fois, reconnu clairement la possibilité pour l'État de se constituer partie civile, dans les conditions de droit commun, en vue de demander réparation de son préjudice à l'occasion de poursuites exercées du chef de blanchiment de fraude fiscale (Cass. crim., 17 décembre 2014, n° 14-86.560, FS-D N° Lexbase : A8300M8W).

En effet, le préjudice résultant pour l'État du délit de blanchiment est distinct de celui résultant du délit d'origine de fraude fiscale, d’autant plus que ce préjudice initial est quant à lui réparé au moyen des pénalités fiscales et ne permet donc pas au juge répressif d’allouer des dommages-intérêts à l’administration fiscale. En effet, l’article L. 232 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L2500HZM a prévu des règles spécifiques applicables à l’intervention de l’administration fiscale, qui se substituent au droit commun, et qui, en application du principe specialia generalibus derogant, font obstacle à ce que l’État ou l’administration puissent agir sur le fondement de l’article 2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9908IQZ (Cass. crim., 5 avril 2023, n° 22-83.052, F-D N° Lexbase : A44369NM : Dr. pén. 2023, chron. 9, n° 11, S. Détraz; JCP E 2023, chron. 1229, R. Salomon).

Par son arrêt ici commenté, la chambre criminelle ne remet pas en cause la recevabilité de la constitution de partie civile de l’État, mais la cantonne au préjudice matériel.

Elle juge qu’encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui condamne le prévenu à payer à l'État français la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral lié aux faits de blanchiment, en raison, d'une part, du discrédit jeté par l'auteur de ce délit sur le dispositif national préventif de lutte contre le blanchiment, en encourageant le non-respect de la transparence fiscale attendue de chaque contribuable dans le cadre du système fiscal déclaratif applicable en France et en affaiblissant l'autorité de l'État dans l'opinion publique, d'autre part, de l'atteinte portée à l'égalité fiscale entre citoyens de situation comparable et à l'ordre public économique, notamment par la mise en place de nombreux mécanismes de dissimulation de recettes et de transfert de fonds

À vrai dire, cette solution inédite existait déjà en germe dans un arrêt du 30 juin 2021, par lequel la chambre criminelle avait déjà censuré un arrêt de cour d'appel qui avait condamné les prévenus à payer à l'État la somme d'un million d'euros. Elle ne remettait pas en cause l'existence d'un préjudice pour l'État « qui par suite de la commission du délit de blanchiment de fraude fiscale, a été amené à conduire des investigations spécifiques générées par la recherche, par l'administration fiscale, des sommes sujettes à l'impôt, recherche rendue complexe en raison des opérations de blanchiment ». Elle avait cassé néanmoins la motivation de la cour d'appel en ce qu'elle avait retenu que « la dissimulation des biens et des droits éludés a nécessairement engendré pour l'État des frais financiers importants, compte tenu de la pérennité, de l'habitude et de l'importance de la fraude, entraînant la mise en oeuvre de procédures judiciaires pour faire valoir ses droits et recouvrer ses créances, indépendamment du préjudice économique et budgétaire déjà actuel, caractérisé par l'absence de rentrée des recettes fiscales dues » (Cass. crim., 8 avril 2016, n° 16-80.657 N° Lexbase : A26384YD : Procédures 2021, comm. 269, obs. A.-S. Chavent-Leclère).

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