N° D 22-83.052 F-D
N° 00443
ODVS
5 AVRIL 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 AVRIL 2023
M. [F] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-3, en date du 31 mars 2022, qui, pour blanchiment aggravé, faux et usage, fraude fiscale, l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement avec sursis, 3 000 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [F] [B], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Etat français et de la direction générale des finances publiques, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l'issue d'une information judiciaire, M. [F] [B] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs, notamment, de blanchiment en bande organisée d'abus de biens sociaux et de fraude fiscale, faux et usage, fraude fiscale à l'impôt sur le revenu.
3. Il a également été poursuivi devant le tribunal du chef de fraude fiscale à l'impôt de solidarité sur la fortune et à la contribution exceptionnelle sur la fortune.
4. Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de ces chefs de prévention, l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement dont deux avec sursis, 5 000 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et prononcé sur les intérêts civils.
5. M. [B] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile non seulement de l'Etat mais encore de l'administration des impôts, déclaré M. [Aa] entièrement responsable de leur préjudice et condamné ce dernier à payer à l'Etat la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, alors « que si les juges répressifs, saisis de poursuites des chefs de fraude fiscale et blanchiment, peuvent indemniser l'Etat du dommage résultant du blanchiment, ils n'ont pas compétence pour réparer le préjudice subi par le Trésor public du fait du délit fiscal, qui est indemnisé par les majorations fiscales et les intérêts de retard ; qu'en condamnant M. [Aa], qu'elle avait déclaré coupable, notamment, de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, à payer à l'Etat la somme de 100.000 € à titre de dommage-intérêts en réparation de son préjudice « au regard des sommes éludées et des conséquences que cela a occasionné pour l'Etat qui n'a pas pu, au moment où ces sommes lui étaient dues, en bénéficier faisant ainsi échec au principe de solidarité nationale qui régit l'impôt », la cour d'appel, qui a ainsi, en réalité, réparé le préjudice subi par le Trésor public du fait du délit de fraude fiscale, a méconnu les
articles L. 232 du livre des procédures fiscales🏛, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 2 du code de procédure pénale🏛 et L. 232 du livre des procédures fiscales :
8. Il se déduit de ces textes que, si les juges répressifs, saisis de poursuites des chefs de fraude fiscale et blanchiment, peuvent indemniser l'Etat du dommage résultant du blanchiment, ils n'ont pas compétence pour réparer le préjudice subi par le Trésor public du fait du délit fiscal, qui est indemnisé par les majorations fiscales et les intérêts de retard.
9. Pour condamner le prévenu à payer à l'Etat la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt attaqué énonce que le préjudice subi par l'Etat en raison des agissements coupables de M. [Aa] à son détriment est constitué par le fait qu'il n'a pas pu disposer au moment où il aurait dû en disposer des sommes qui lui revenaient, ce qui a nécessairement porté atteinte à l'intérêt de la collectivité.
10. Les juges ajoutent qu'il convient de fixer les dommages et intérêts à la somme de 100 000 euros au regard du montant des sommes éludées et des conséquences occasionnées pour l'Etat qui n'a pas pu, au moment où ces sommes lui étaient dues, en bénéficier, ce qui a fait échec au concept de solidarité nationale qui régit l'impôt.
11. En statuant ainsi, par des motifs dont il résulte qu'elle a indemnisé le préjudice résultant du délit fiscal, la cour d'appel a méconnu les textes ci-dessus visés et le principe ci-dessus rappelé.
12. La cassation est donc encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux intérêts civils. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 31 mars 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'
article 618-1 du code de procédure pénale🏛 ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille vingt-trois.