La lettre juridique n°969 du 11 janvier 2024 : Rémunération

[Le point sur...] Partage de la valeur au sein de l’entreprise : anatomie des nouveaux dispositifs

Réf. : Loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023, portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise N° Lexbase : L4230MKU

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par Frédérique Cassereau, Avocate associée et Thibault Minjollet, Avocat, cabinet Hoche Avocats

le 10 Janvier 2024

Mots-clés : PPV • partage de la valeur • intéressement • participation • formule dérogatoire • PEE • dialogue social • ANI • bénéfices exceptionnels • valorisation de l’entreprise

La loi sur le partage de la valeur ajoutée est entrée en vigueur le 1er décembre 2023. Elle améliore de façon notable le régime de la prime de partage de la valeur (PPV). Elle met également à disposition des entreprises des outils innovants et institue de nouvelles obligations pour parvenir à son objectif.


Dès 1959, la France, via l’intéressement, a mis en place des dispositifs de partage de la valeur ajoutée. Ayant principalement pour objet d’« associer les salariés aux fruits de la croissance des entreprises pour mieux répartir les richesses » [1], ils constituent à la fois un levier de motivation des salariés et de compétitivité des entreprises.

Ces dispositifs ont été largement encouragés par les pouvoirs publics ces dernières décennies et présentent de multiples visages : intéressement, participation, mais également actionnariat salarié ou encore plan d’épargne salariale. Ils sont, au demeurant, davantage répandus dans l’hexagone que dans le reste de l’Europe.

En dernier lieu, la prime de partage de la valeur (PPV) a pris le relai de l’ancienne prime exceptionnelle pour le pouvoir d’achat (PEPA), pérennisant ainsi la possibilité de verser une prime annuelle dans des conditions sociales et fiscales avantageuses.

Largement plébiscitée par les entreprises et les salariés, cette prime - qui avait initialement pour objet d’apporter une réponse au contexte social inédit de 2018 - permet aujourd’hui de lutter, selon le souhait du Gouvernement, contre la « période exceptionnelle d’inflation » [2] qui dure depuis près de deux ans maintenant.

Pour autant, les outils de partage de la valeur peinent encore à se diffuser dans les petites et moyennes entreprises, en particulier dans celles de moins de 50 salariés. En 2020 [3], seules 4,8 % des entreprises de 10 à 50 salariés étaient dotées d’un accord de participation. De même, 10,9 % de ces entreprises disposaient d’un accord d’intéressement.

Pour y remédier, le Gouvernement a invité les partenaires sociaux à négocier sur le partage de la valeur, en leur transmettant un document d’orientation, le 16 septembre 2022, qui posait 3 axes de négociation :

  • généraliser le partage de la valeur pour tous les salariés, notamment dans les plus petites entreprises,
  • renforcer, simplifier et veiller à l’articulation des différents dispositifs de partage de la valeur et,
  • orienter l’épargne salariale vers les investissements responsables et solidaires (ISR), l’économie productive et la transition écologique.

Au terme de plusieurs semaines de discussions, les organisations syndicales de salariés [4] et les organisations patronales [5] sont parvenues, le 10 février 2023, à la conclusion d’un accord national interprofessionnel (ANI), relatif « au partage de la valeur au sein de l’entreprise ».

Dès le 20 février suivant, la Première ministre Élisabeth Borne s’engageait à transcrire dans la loi le contenu de cet accord, qu’elle qualifiait d’« avancée historique » pour les travailleurs des entreprises de moins de 11 salariés.

C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale a adopté, le 23 novembre dernier, la loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise N° Lexbase : L4230MKU.

Publiée au Journal officiel le 1er décembre 2023, cette loi tend notamment à améliorer le régime de la PPV et à faciliter les modalités de mise en place et de fonctionnement de l’intéressement et de la participation (I.). Elle crée, par ailleurs, un nouvel outil de partage de la valeur et institue de nouvelles obligations à la charge des employeurs (II.).

I. Nouveautés relatives à la prime de partage de la valeur, à la participation et à l’intéressement

Améliorations apportées au régime de la PPV. Instituée par la loi n° 2022-1158 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat du 16 août 2022 N° Lexbase : L7050MDH, la PPV bénéficie d’un régime social particulièrement avantageux puisqu’elle fait l’objet d’une exonération de cotisations sociales, dans la limite de 3 000 € (voire 6 000 € dans certains cas [6]). La loi prévoyait en outre que les primes versées jusqu’au 31 décembre 2023 aux salariés percevant une rémunération inférieure à 3 SMIC annuels bénéficient d’une exonération totale de CGS/CRDS, de forfait social et d’impôt sur le revenu.

Pour la seule année 2022, 4,4 milliards d’euros de primes ont été versés à quelques 5,5 millions de salariés, soit un réel succès.

Le législateur a donc souhaité maintenir, tout en l’améliorant, le régime de la PPV. Ainsi, la loi sur le partage de la valeur prévoit que :

  • le régime d’exonération « intégral » est prolongé jusqu’en 2026, pour les salariés des entreprises de moins de 50 salariés dont la rémunération est inférieure à 3 SMIC annuel. La reconduction de ce régime d’exonération constitue, sans aucun doute, une des mesures les plus attendues, tant par les employeurs que par les salariés concernés ;
  • deux primes pourront désormais être versées par année civile (au lieu d’une seule actuellement), offrant ainsi plus de souplesse aux employeurs pour associer les salariés aux résultats de l’entreprise. Le montant cumulé des deux primes ne pourra toutefois pas excéder 3 000 € (ou 6 000 €) ;
  • la PPV pourra être placée par les salariés sur un plan d’épargne salariale ou sur un plan d’épargne retraite et, ainsi,  bénéficier d’une exonération d’impôt sur le revenu (sous réserve de respecter les conditions prévues pour tous types de versement).

Mise en place à titre expérimental d’un régime de participation moins favorable que le régime légal. L’autre apport majeur de la loi du 29 novembre 2023 réside dans la faculté offerte à certaines entreprises de se doter d’un régime de participation moins favorable que le régime légal.

Pour rappel, les entreprises de moins de 50 salariés n’ont pas l’obligation d’instituer un régime de participation au bénéfice des salariés. Elles peuvent, néanmoins, mettre en place un tel régime de manière volontaire au moyen d’un accord collectif ou, « en cas d’échec des négociations », par décision unilatérale après consultation du CSE (C. trav., art. L. 3323-6 N° Lexbase : L7712LQP).

Afin d’encourager la mise en place de la participation dans ces entreprises, il est prévu, à titre expérimental et pour une durée de 5 années, qu’elles pourront mettre en application un régime de participation « dérogeant à la règle de l’équivalence des avantages consentis aux salariés », prévue par l’article L. 3324-2 du Code du travail N° Lexbase : L5939LQZ.

Autrement dit, les entreprises de moins de 50 salariés peuvent désormais appliquer une formule de calcul de la réserve spéciale de participation dérogeant dans un sens moins favorable à la formule légale, prévue par l’article L. 3324-1 du même code N° Lexbase : L5863MAE.  

Pour ce faire, ces entreprises devront soit :

  • appliquer un accord de participation conclu au niveau de la branche, conclu dans les conditions prévues à l’article L. 3322-9 du Code du travail N° Lexbase : L0665LZN ou,
  • conclure un accord de participation selon les modalités habituelles, à savoir l’un des modes prévus à l’article L. 3322-6 dudit code N° Lexbase : L7712LQP.

La mise en place du régime par décision unilatérale est ainsi exclue.

L’assouplissement de la règle de calcul de la RSP devrait donc faciliter la mise en place de la participation dans les petites entreprises, conformément à la volonté des partenaires sociaux [7].

Possibilité de verser des avances sur la participation ou l’intéressement. La loi prévoit enfin, expressément, la possibilité de verser, sous certaines conditions, des avances sur l’intéressement et/ou sur la participation.

La doctrine administrative semblait déjà autoriser cette faculté, mais seulement pour l’intéressement (Guide de l’épargne salariale, dossier 1 - fiche 5). Elle apparaît particulièrement bienvenue tant pour les salariés que pour les entreprises, qui disposent désormais d’une plus grande souplesse.

L’accord du salarié devra néanmoins être recueilli préalablement et la périodicité des versements ne pourra être inférieure au trimestre. De plus, en cas de trop-perçu par le salarié, le remboursement des sommes excédant ses droits sera obligatoire et devra se faire sous la forme d’une retenue sur salaire, dans la limite de 10 % du montant des salaires exigibles. Lorsque le trop-perçu aura été affecté à un plan d’épargne salariale, il ne pourra pas être débloqué et constituera un versement volontaire du bénéficiaire qui n’ouvrira pas droit aux exonérations sociales et fiscales.

En plus de l’amélioration des dispositifs existants, le législateur a souhaité créer un nouvel outil et de nouvelles obligations pour les entreprises afin de favoriser le partage de la valeur (II.).

II. Les nouveaux outils visant à favoriser le partage de la valeur

Mise en place obligatoire d’un dispositif de partage de la valeur. Pour répondre à l’objectif consistant à favoriser le partage de la valeur, en particulier dans les petites entreprises, une nouvelle obligation a été instituée (là encore, à titre expérimental, et pour une durée de 5 ans) pour les entreprises d’au moins 11 salariés qui ne sont pas tenues de mettre en place un régime de participation et qui réalisent un bénéfice net fiscal d’au moins 1 % du chiffre d’affaires pendant 3 exercices consécutifs.

En effet, l’article 5 de la loi prévoit que les employeurs qui remplissent ces deux conditions devront, obligatoirement, soit :

  • mettre en place un régime de participation ou d’intéressement en application des dispositions du Code du travail ;
  • mettre en place un régime de participation dérogatoire dans les conditions prévues ci-dessus (§. I.) ;
  • verser une prime de partage de la valeur ;
  • abonder un plan d’épargne salariale ou un plan d’épargne retraite mis en place au niveau de l’entreprise ou au niveau interentreprises.

Cette obligation s’applique à compter des exercices ouverts après le 31 décembre 2024. Ainsi, une entreprise ayant réalisé des bénéfices d’au moins 1 % de son chiffre d’affaires de manière constante sur 2022, 2023, et 2024, sera tenue de mettre en place l’un de ces dispositifs au titre de l’exercice 2025.

Cette expérimentation devrait, à terme, permettre à un grand nombre de salariés des TPE de bénéficier d’au moins un dispositif de partage de la valeur. Elle fera l’objet d’un rapport d’évaluation du Gouvernement qui sera remis au Parlement au plus tard au mois de juin 2026.

Partage de la valeur en cas de bénéfice exceptionnel. Les entreprises de plus de 50 salariés et disposant d’un ou plusieurs délégués syndicaux se voient également imposer de nouvelles obligations.

En effet, celles-ci seront désormais tenues, lorsqu’elles ouvriront les négociations sur la mise en place d’un dispositif de participation ou d’intéressement, d’engager également des discussions sur :

  • la notion d’« augmentation exceptionnelle de [leurs] bénéfices » [8]. Celle-ci devra être définie dans l’accord et pourra être déterminée notamment au regard de critères tels que la taille de l’entreprise, le secteur d’activité ou les bénéfices réalisés lors des années précédentes ;
  • les modalités de partage de la valeur qui en découlent pour les salariés. Ce partage pourra prendre la forme :
    • soit d’un versement d’un supplément de participation ou d’intéressement ;
    • soit de l’ouverture de nouvelles négociations ayant pour objet de mettre en place un dispositif d’intéressement lorsqu’il n’existe pas dans l’entreprise, de verser un supplément d’intéressement ou de participation, d’abonder un plan d’épargne salariale ou un plan d’épargne retraite, ou de verser une PPV.

De même, les entreprises déjà couvertes par un accord de participation ou d’intéressement seront elles aussi tenues d’engager des négociations sur la définition d’une augmentation exceptionnelle de leur bénéfice et ses conséquences en termes de partage de la valeur, avant le 30 juin 2024.

Bien qu’il ne s’agisse que d’une obligation de négociation, cette nouvelle mesure présente l’avantage de mettre sur la table des négociations la notion inédite de « bénéfice exceptionnel » qui pourrait, à terme, devenir un véritable critère de déclenchement automatique de partage de la valeur.

Un nouveau dispositif facultatif innovant : le plan de partage de la valorisation de l’entreprise. Alors que le partage de la valeur n’est généralement envisagé qu’au travers de l’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise, un nouvel outil offre aux employeurs la possibilité d’associer ces derniers à sa valorisation.

Le « plan de partage de la valorisation de l’entreprise » permet ainsi à toute entreprise, quelle que soit sa taille, de verser une prime à l’ensemble des salariés, dont le montant sera fixé par référence à l’évolution de sa valorisation.

En pratique, les bénéficiaires pourront percevoir une prime dont le montant sera déterminé en fonction :

  • d’un montant de référence (qui sera fixé par le plan),
  • auquel sera appliqué le taux de variation de la valeur de l’entreprise (lorsque celui-ci est positif).

Ainsi, à titre d’exemple, si le plan prévoit un montant de référence de 5 000 € et que le taux de variation de la valorisation de l’entreprise est de 10 %, la prime sera d’un montant de 500 €.

Ce plan devra être mis en place par accord, établi sur rapport spécial du commissaire aux comptes de l’entreprise (ou, s’il n’en a pas été désigné, d’un commissaire aux comptes désigné à cet effet), selon l’une des modalités suivantes :

  • convention ou un accord collectif de travail ;
  • accord entre l'employeur et les représentants d'organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ;
  • accord conclu au sein du comité social et économique ;
  • à la suite de la ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d'un projet d'accord proposé par l'employeur.

Il devra par ailleurs contenir un certain nombre de clauses obligatoires permettant (notamment) de fixer le montant de référence auquel sera appliqué le taux de variation de la valeur de l’entreprise, les éventuelles conditions dans lesquelles ce montant pourra différer entre les salariés (par exemple en fonction du niveau de classification ou encore de la durée de travail), la formule de valorisation retenue pour les entreprises non cotées, etc.

Dès lors que le plan remplira les conditions pour bénéficier des exonérations sociales (notamment avoir été déposé auprès de l’administration), les primes versées entre 2026 et 2028 seront exemptées de toutes cotisations sociales (tant salariales que patronales), ainsi que de forfait social. En revanche, elles seront assujetties à la CSG-CRDS (9,7 %) ainsi qu’à la contribution patronale de 20 %, prévue par l’article L. 137-13 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L2231LYB.

En conclusion, les mesures contenues dans la loi sur le partage de la valeur sont denses. Elles devraient permettre d’atteindre les objectifs que le Gouvernement s’est fixés dans ce domaine, dans le contexte d’un dialogue social un peu retrouvé avec les partenaires sociaux. Reste que le débat sur les salaires est loin d’être clos et que les enjeux sur l’actionnariat salarié ne sont pas encore suffisamment explorés.


[1] Rapport de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023, portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise [en ligne].

[2] Rapport de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi n° 2022-1158 du 16 août 2022, portant mesure d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat [en ligne].

[3] Source : Commission des affaires sociales d’après les données de la Dares (2022).

[4] À savoir : CFDT, FO, CFE-CGC et CFTC.

[5] À savoir : MEDEF, CPME et U2P.

[6] Pour rappel, le plafond de 6 000 € est applicable aux :

  • entreprises ayant mis en place un dispositif d’intéressement ou de participation volontaire,
  • aux associations ou fondations reconnues d’utilité publique ou d’intérêt général,
  • aux établissements et service d’aide par le travail. 

[7] Cf. Préambule de l’ANI du 10 février 2023, relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise.

[8] Loi sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise, art. 8 N° Lexbase : L4230MKU.

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