La lettre juridique n°945 du 11 mai 2023

La lettre juridique - Édition n°945

Données personnelles

[Brèves] Violation du RGDP et droit à réparation

Réf. : CJUE, 4 mai 2023, aff. C-300/21 N° Lexbase : A70529SY

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N5311BZQ

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par Vincent Téchené

Le 09 Mai 2023

► La simple violation des dispositions du RGPD ne suffit pas pour conférer un droit à réparation, mais l’atteinte d’un certain seuil de gravité par le dommage moral subi n’est pas requise pour conférer un droit à réparation ;

Aux fins de la fixation du montant des dommages et intérêts dus au titre du droit à réparation, les juges nationaux doivent appliquer les règles internes de chaque État membre relatives à l’étendue de la réparation pécuniaire, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union soient respectés.

Faits et procédure. À compter de l’année 2017, Österreichische Post (poste autrichienne) a collecté des informations sur les affinités politiques de la population autrichienne et a traité ces données. Ces dernières n’ont pas été transférées à des tiers.

Un citoyen, qui n’avait pas consenti au traitement de ses données à caractère personnel, affirme avoir ressenti une grave contrariété, une perte de confiance, ainsi qu’un sentiment d’humiliation, en raison de l’établissement d’une affinité particulière avec un parti politique. C’est au titre de la réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi qu’il réclame devant les juridictions autrichiennes un montant de 1 000 euros.

La Cour suprême autrichienne a exprimé des doutes quant à la portée du droit à réparation que le RGPD (Règlement (UE) n° 2016/679, du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I) prévoit en cas d’un dommage matériel ou moral du fait d’une violation de ce Règlement. Cette juridiction a donc demandé à la CJUE si la simple violation du RGPD suffit pour conférer ce droit, et si la réparation n’est possible qu’au-delà d’un certain degré de gravité du dommage moral subi. Elle souhaite aussi savoir quelles sont les exigences du droit de l’Union quant à la fixation du montant des dommages et intérêts.

Décision. La CJUE énonce, en premier lieu, que le droit à réparation prévu par le RGPD est subordonné de manière univoque à trois conditions cumulatives : une violation du RGPD, un dommage matériel ou moral résultant de cette violation et un lien de causalité entre le dommage et la violation. Partant, elle précise que toute violation du RGPD n’ouvre pas, à elle seule, le droit à réparation. De plus, aux termes des considérants du RGPD portant spécifiquement sur le droit à réparation, sa violation n’entraîne pas nécessairement un dommage et, pour fonder un droit à réparation, un lien de causalité doit exister entre la violation en cause et le dommage subi. Ainsi, l’action en réparation se distingue d’autres voies de recours prévues par le RGPD, notamment celles permettant d’infliger des amendes administratives, pour lesquelles l’existence d’un dommage individuel n’a pas à être démontrée.

En deuxième lieu, la Cour constate que le droit à réparation n’est pas réservé aux dommages moraux atteignant un certain seuil de gravité. Le RGPD ne mentionne pas une telle exigence et une telle restriction contredirait la conception large des notions de « dommage » ou de « préjudice », retenue par le législateur de Union. De plus, subordonner la réparation d’un dommage moral à un certain seuil de gravité risquerait de nuire à la cohérence du régime instauré par le RGPD.

S’agissant, en troisième lieu, de règles relatives à l’évaluation des dommages et intérêts, la Cour relève que le RGPD ne contient pas de dispositions ayant un tel objet. Il appartient donc à l’ordre juridique de chaque État membre de fixer les modalités des actions destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent à cet égard du RGPD et, en particulier, les critères permettant de déterminer l’étendue de la réparation due dans ce cadre, sous réserve de respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. À cet égard, la Cour souligne la fonction compensatoire du droit à réparation prévu par le RGPD et rappelle que cet instrument tend à assurer une réparation complète et effective pour le dommage subi.

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Fiscalité internationale

[Focus] Planification fiscale agressive : quand la lutte est possible sans violer le secret professionnel ou l’histoire d’une leçon luxembourgeoise

Lecture: 24 min

N5296BZ8

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par Thomas Gallice, Élève Avocat au sein du cabinet Sand Avocats ; Sous la direction de Clarisse Sand, avocat associé au sein du cabinet Sand avocats et présidente de l'Institut du droit pénal fiscal et financier (IDPF²)

Le 11 Mai 2023

Mots-clés : secret professionnel • avocat • Directive « DAC 6 »

Par un arrêt grande chambre du 8 décembre 2022 [1], la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle la protection conférée par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux à la confidentialité de toute correspondance entre individus et accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients.

La Cour affirme que l’obligation imposée par la Directive « DAC 6 » à l’avocat d’informer les autres intermédiaires impliqués dans le cadre de planifications fiscales transfrontières potentiellement agressives n’est pas nécessaire et viole le droit au respect des communications avec son client.

Par une décision du 14 avril 2023 [2], le Conseil d'État prend acte de cet arrêt et confirme que l'avocat ne peut pas notifier l'obligation déclarative à tout autre intermédiaire qui n'est pas son client, se mettant ainsi en conformité avec la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne.

La haute juridiction française rappelle cependant que l'avocat peut transmettre les informations nécessaires à son client ou être autorisé par celui-ci à procéder à la déclaration sans violer le secret professionnel.

Ces deux arrêts nous donnent ainsi l’occasion de revenir sur les circonstances ayant mené à l’élaboration de la Directive européenne et d’analyser le dévoiement d’un dispositif initialement légitime et bien conçu.


 

Une Directive qui a permis aux États membres de « tordre le cou » du secret professionnel de l’avocat

La Directive 2018/822 du Conseil de l'Union européenne, également connue sous le nom de « Directive DAC 6 » (Directive (UE) n° 2018/822 du Conseil, 25 mai 2018, modifiant la Directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration N° Lexbase : L6279LKR), a été adoptée le 25 mai 2018, et est entrée en vigueur le 25 juin 2018. Elle a pour objectif de lutter contre l'évasion fiscale au sein de l’Union européenne en imposant aux États membres de mettre en place des dispositifs de reporting obligatoire pour certaines transactions transfrontalières qui présentent un risque élevé de fraude fiscale ou de manquement aux obligations fiscales.

La Directive « DAC 6 » s'applique aux intermédiaires (tels que les avocats, les conseillers fiscaux, les comptables, etc.) et aux contribuables qui effectuent des transactions transfrontalières dès lors qu’elles satisfont à certaines conditions.

Les intermédiaires ont l'obligation de déclarer ces transactions à l'autorité fiscale de leur pays d'origine, qui doit alors les transmettre aux autorités fiscales des autres pays concernés.

L’obligation documentaire créée par la Directive doit être effectuée dans les 30 jours suivant la mise à disposition ou la mise en œuvre de tout dispositif transfrontière potentiellement agressif au plan fiscal et contenant certaines caractéristiques, certains « marqueurs ».

Pour tenir compte de la spécificité du secret professionnel de l’avocat, la Directive avait posé un certain nombre d’exceptions :

  • L'exception de secret professionnel : si la déclaration de la transaction mettait en péril le secret professionnel de l'avocat, celui-ci n'est pas tenu de déclarer la transaction.
  • L'exception de défense juridique : si l'avocat est mandaté pour assurer la défense juridique d'un contribuable dans le cadre d'un litige fiscal, il n'est pas tenu de déclarer la transaction.
  • L'exception de conseil fiscal général : si l'avocat donne un conseil fiscal général qui ne concerne pas une transaction spécifique, il n'est pas tenu de déclarer la transaction.

Comme la France, qui a transposé la Directive « DAC 6 » en droit national par une ordonnance adoptée en Conseil des ministres le 21 octobre 2019 (et publiée le 22 octobre au Journal officiel de la République française sous le n° 2019-1068) [3], la Belgique avait fait le choix de transposer la Directive en incluant les avocats dans la catégorie des intermédiaires soumis à l’obligation documentaire dans des conditions telles que la réponse à la question de savoir si la transposition mettait en péril du secret professionnel de l’avocat était devenue impérieuse.

C’est ce qu’est ainsi venue trancher la grande chambre de la Cour dans son arrêt du 8 décembre 2022.

Une Directive issue d’une inspiration d’un dispositif américain galvaudé

Contrairement à l’idée reçue et véhiculée, cette Directive européenne 2018/822 n’est pas la première étape de réflexion autour de l’enjeu de la nécessité d’encadrer une déclaration de dispositifs transfrontières.

En septembre 2006, l’OCDE lançait déjà une étude sur les intermédiaires fiscaux en analysant les systèmes essentiellement anglo-saxons, et ce peu après la troisième réunion du Forum sur l’administration de l’impôt de Séoul (Corée).

Dans le cadre de cette étude, remise en 2009, il était fait une analyse précise du régime américain qui est exactement le régime qu’a choisi l’Union européenne pour créer une telle déclaration au niveau européen.

En effet, le système américain a un dispositif des « transactions soumises à obligation de déclaration » (« reportable transactions ») depuis 2004. Ce dispositif a pour principal objectif d’améliorer la transparence, de dissuader la promotion de dispositifs abusifs d'évasion fiscale et d’assurer une détection rapide de la planification fiscale agressive.

Il requiert la notification à l'IRS :

  • des « transactions répertoriées » – c’est-à-dire celles correspondant totalement ou largement aux opérations d’évasion fiscale identifiées par l’IRS ou le département du Trésor américain dans leurs textes de référence ;
  • des « transactions soumises à obligation de déclaration » – celles qui (en sus des transactions répertoriées) sont potentiellement abusives, mais n’ont pas été désignées comme opérations d’évasion fiscale.

Ces exigences de communication s'appliquent aux contribuables qui recourent à des transactions soumises à une obligation de déclaration et aux conseillers importants (« material advisors ») qui en font la promotion à l’exclusion des avocats.

Suivant ce qui précède, nous ne pouvons que constater que la Directive européenne 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 est donc le fruit non pas d’une construction européenne ex nihilo de ce dispositif, mais d’un « copié collé » d’un dispositif américain dévoyé qui n’a pas été analysé quant à la qualité des intermédiaires visés.

Ainsi, la Directive précitée, voulue afin de renforcer la transparence fiscale au sein de l’Union, n’est donc pas, comme le soulignait l’Assemblée nationale dans son rapport d’information du 17 septembre 2019 [en ligne], une nouvelle Directive qui s’inscrit uniquement dans le cadre de l’action 12 « Règles de communication obligatoire d’informations » du projet BEPS de l’OCDE visant à empêcher les stratégies d’optimisation fiscale des entreprises qui profitent de l’absence d’une harmonisation fiscale au niveau international afin de transférer leurs profits vers les États à fiscalité privilégiée.

Au contraire, elle s’inscrit dans la droite ligne d’un dispositif américain et a choisi, à l’instar du dispositif outre-Atlantique, d’inclure les avocats dans le dispositif malgré le caractère historiquement absolu de leur secret professionnel.

Une Directive intrinsèquement en contradiction avec le droit primaire de l’Union européenne ?

Lorsque les institutions de l’Union européenne adoptent des textes de droit dérivé sur proposition de la Commission, elles sont tenues de respecter le droit primaire c’est-à-dire les Traités de l’Union (TUE et TFUE), la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui a valeur de Traité, comme le précise l’article 6 TUE, et les arrêts de la Cour de justice en vertu de sa compétence exclusive d’interprétation du droit de l’Union, prévue par l’article 19 TUE.

Il en résulte que lorsque la Commission européenne fait une proposition au Conseil, après avis du Parlement européen et du Comité économique et social, elle est tenue de respecter l’ensemble des règles issues du droit primaire et des arrêts de la Cour de justice.

Il n’est pas rare que la Cour de justice annule un texte de droit dérivé en raison d’une atteinte par l’institution concernée, à l’une de ces règles.

Qu’il suffise de penser à l’exemple récent d’une invalidation par la Cour de justice, de la décision de la Commission concernant le « bouclier de sécurité » (Privacy shield), qui ne présentait pas les garanties suffisantes de protection des données personnelles susceptibles d’être transférées vers les États-Unis (CJUE, 16 juillet 2020, aff. C-311/18, Facebook Ireland Ltd N° Lexbase : A26443RD).

Dans un arrêt de grande chambre du 6 mars 2014 (Commission européenne/Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, affaire C-43/12), la Cour de justice a annulé la Directive 2011/82/UE facilitant l’échange frontalier d’informations concernant les infractions routières, au motif que cette Directive ne se rattachait pas directement aux objectifs qu’elle a fixés.

La Cour de justice exerce donc un contrôle de légalité relatif au choix des bases juridiques retenues pour adopter des textes de droit dérivé et à l’adéquation des solutions retenues par rapport aux objectifs fixés, le tout dans le respect du droit primaire et des principes généraux du droit de l’Union européenne.

Bien qu’il semble que personne n’ait saisi l’opportunité, d’introduire une action tendant à l’annulation de la Directive en ce qu’elle a considéré les avocats comme susceptibles d’être intermédiaires concernés par l’obligation documentaire, l’interprétation des États membres lors de sa transposition, a eu en pratique, pour conséquence, une extension excessive de son champ d’application. Cet élargissement évitable a porté atteinte à l’effet utile du droit de l’Union européenne.

En effet, même lorsqu’ils disposent d’un large pouvoir d’appréciation, les États membres exercent dans ce cadre, une compétence propre, mais encadrée par le droit primaire de l’Union européenne et les principes généraux du droit européen.

Cette dérive fut rendue possible par l’imprécision du texte même de la Directive et par le fait que la version finale constitue le résultat de nombreux débats et rééquilibrages politiques intervenus durant la phase d’adoption du texte.

Certes, il est constant que les États membres conservent le choix des moyens pour atteindre les objectifs fixés par la directive concernée, mais encore faut-il que ceux soient clairement exprimés et que son champ d’application soit raisonnablement défini.

Force est de constater que les notions « d’intermédiaire », de « dispositif », de « marqueur », de « dispositifs commercialisables » sont très imprécises et que, ce faisant, la Directive elle-même a ouvert le champ des atteintes aux droits fondamentaux des droits de la défense, de la protection de la vie privée et de la garantie du procès équitable, que la Commission doit pourtant elle-même veiller à respecter, comme elle n’hésite pas à l’affirmer dans ses considérants. 

Il faut également observer que dans la Directive (UE) 2018/843 du Parlement et du Conseil, du 30 mai 2018, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux ou du financement du terrorisme, la Commission européenne précise au considérant 45 de cette Directive, que : « Les États membres devraient veiller à ce que toutes les entités assujetties fassent l’objet d’une surveillance efficace et impartiale, de préférence par des autorités publiques par l’intermédiaire d’une autorité nationale de régulation ou de surveillance distincte et indépendante ».

Il est manifeste que la Commission ne vise pas, dans ce considérant, la profession d’avocat, laquelle est soumise depuis des siècles au contrôle de l’autorité créée par la loi, qui est le Conseil de l’Ordre sous l’autorité du bâtonnier.

Face à cette situation, l’éclairage de la Cour de justice s’avérait ainsi nécessaire et indispensable. Il convenait dès lors de l’interroger par la voie préjudicielle organisée par l’article 267 TFUE.

L’obligation pour les États membres d’opérer une transposition de la Directive en conformité avec le droit primaire et les principes généraux du droit de l’Union européenne

La compétence de transposition des Directives par les États membres est donc encadrée par le droit européen primaire, par les principes généraux du droit de l’Union européenne et par les limites que fixe la Directive elle-même en définissant les objectifs à atteindre par les États membres, tout en leur laissant le choix des moyens pour y arriver.

Ces principes étant rappelés, la Cour de justice s’est prononcée à l’égard de situations dans lesquelles, le texte de droit dérivé présentait, comme en l’espèce, des imprécisions et ambigüités.

À l’égard de la Directive 91/208 du Conseil du 10 juin 1991 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux (modifiée par la Directive 2001/97 du 4 décembre 2001), qui imposait également aux avocats des obligations d’information et de coopération avec les autorités publiques, la Cour a précisé que : «  Il convient de relever, tout d’abord, que l’article 6, paragraphe 3, second alinéa, de la Directive 91/308 peut se prêter à plusieurs interprétations, de sorte que l’étendue précise des obligations d’information et de coopération pesant sur les avocats n’est pas dépourvue d’ambigüité ».

Elle a ajouté que : «  Il incombe aux États membres, non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme au droit communautaire, mais également de veiller à ne pas se fonder sur une interprétation du texte de droit dérivé qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire ou avec les autres principes généraux du droit communautaire » (CJCE, 26 juin 2007, aff. C-305/05, Ordre des barreaux francophones et germanophone c/ Conseil des ministres N° Lexbase : A9284DWR, points 27 et 28).

 

Il est important d’observer que cet arrêt, prononcé en grande chambre, est intervenu en 2007, à une époque où la Charte des droits fondamentaux n’avait pas encore été élevée au rang de Traité par l’article 6 du TUE, entré en vigueur en 2009. Cette valeur de traité, juridiquement contraignante pour les États membres et pour les Institutions européennes, renforce de façon significative la position développée par la Cour de justice dans l’arrêt précité.

Les États membres sont tenus de respecter les arrêts de la Cour de justice, qui ont une force contraignante erga omnes et ils ne peuvent pas porter atteinte à l’effet utile du droit de l’Union européenne.

La Cour de justice, dans l’arrêt précité, ajoute encore que : «  L’avocat ne serait pas en mesure d’assurer sa mission de conseil, de défense et de représentation de son client de manière adéquate, et celui-ci  serait par conséquent privé des droits qui lui sont conférés par l’article 6 de la CEDH, si l’avocat, dans le cadre d’une procédure judiciaire ou de sa préparation, était obligé de coopérer avec les pouvoirs publics en leur transmettant des informations obtenues lors de consultations juridiques ayant lieu dans le cadre d’une telle procédure » (Point 32).

Il ne fait guère de doute que la nécessité de préciser le champ d’application ratione materiae d’un texte de droit dérivé invitant les États membres à prévoir en droit national une obligation de déclaration aux autorités publiques de « montages » ou « constructions contractuelles » s’avère essentielle et appelle à la plus grande prudence.

Il est constant qu’il n’appartient pas aux États membres, malgré leur compétence propre et exclusive de transposition et de la marge d’appréciation dont ils disposent, de s’écarter des objectifs fixés par la Directive et qu’ils doivent, en cas d’imprécisions ou de possibilités d’interprétations diverses, choisir la voie la plus respectueuse du droit primaire et des principes généraux du droit de l’Union européenne.

En d’autres termes, il ne s’agit pas de « profiter » des silences et des insuffisances d’une Directive pour en étendre le champ d’application, quitte à porter atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Charte annexée aux traités européens.

Il ne pouvait ainsi être sérieusement contesté que l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux s’appliquait à la Directive « DAC 6 ». Cet article dispose ainsi que :

  1. Toute limitation à l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés . Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.
  2. Les dispositions de la présente Charte reconnaît des principes peuvent être mis en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de légalité de tels actes
  3. Les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et des États membres.

Dans cet arrêt du 8 décembre 2022 de la Cour de justice, nous sommes bien dans une situation dans laquelle l’État belge a mis en œuvre le droit de l’Union en transposant la Directive DAC 6.

Celui-ci est donc bien tenu, dans ce cadre précis, de respecter les droits fondamentaux prévus par la Charte, au rang desquels figure le respect de la vie privée et le droit à un procès équitable, dont le secret professionnel de l’avocat est « une composante essentielle » (voir arrêt n° 114/2020 du 24 septembre 2020, B.9.1 de la Cour constitutionnelle de Belgique).

Il semblait ainsi juridiquement logique de pouvoir soutenir que, en étendant aux avocats l’obligation de déclaration prévue par la Directive DAC 6, tel que développé et précisé par le décret flamand querellé, le législateur belge a violé le droit de l’Union européenne et plus particulièrement les articles 4 paragraphe 3 du TUE et 2 paragraphe 2 du TFUE , les articles 7, 8 et 48 de la Charte des droits fondamentaux ainsi que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le nécessaire respect du secret professionnel de l’avocat sous l’angle du droit de l’Union européenne

Le secret professionnel de l’avocat procède de la spécificité même de la profession d’avocat.

C’est en ces termes que s’exprime l’avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions rendues sous l’arrêt « OBFG » précité du 26 juin 2007.

Il a considéré que la Directive sous examen dans cette affaire, imposait aux avocats de trahir le      secret professionnel qu’ils ont pour devoir de respecter (Point 53, I-5325 du Recueil de la Cour). Avec beaucoup de nuances, l’avocat général a mis en lumière la raison d’être du secret professionnel de l’avocat, qui réside dans la relation de confiance qui doit exister entre le client et l’avocat, en précisant que cette relation qualifiée de fragile doit être protégée.

Dans ses conclusions, l’avocat général achève son raisonnement en précisant que chaque fois que l’avocat exerce son métier en déployant les activités spécifiques de celui-ci, à savoir la représentation en justice et la fourniture de services juridiques (Point 60, I-5327), le secret professionnel doit être sauvegardé et les principes généraux du droit de l’Union ainsi que les droits fondamentaux garantis par la Charte, pleinement respectés.

Dans son arrêt du 6 juin 2019 (CJUE, 6 juin 2019, aff. C-264/18, P. M. N° Lexbase : A4213ZDE), rendu sur une question préjudicielle posée par la Cour constitutionnelle de Belgique, la Cour de justice a donné à la relation de confiance nécessaire et caractéristique du rapport entre le client et son avocat, son plein effet en estimant que celle-ci justifie l’exclusion des avocats du champ d’application de la Directive du 16 mars 2010, sur la passation des marchés publics (Directive (CE) n° 2010/24 du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures N° Lexbase : L8286IGY).

Elle a insisté sur la confidentialité de la relation entre l’avocat et son client, en précisant qu’elle a pour objet de : « …sauvegarder le plein exercice des droits de la défense des justiciables (et) protéger l’exigence selon laquelle tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat » (Point 37).

Les principes dégagés par cet arrêt sont parfaitement clairs et il convient dès lors que le législateur national les respecte, sans imposer aux avocats de porter atteinte au secret professionnel qui constitue pour eux un devoir, et pour leurs clients une garantie essentielle.

(Voir Buyle et Van Gerven, Le fondement et la portée du secret professionnel de l’avocat dans l’intérêt de son client, JT 2012, p 327).

En l’espèce, il était certain que les obligations prévues par le décret belge et qui imposaient aux avocats des déclarations aux autorités publiques, allaient mettre à mal la relation de confiance nécessaire entre l’avocat et son client et produire un effet très négatif sur la liberté garantie aux justiciables de s’adresser librement à l’avocat de leur choix, liberté qui est protégée spécifiquement par la Cour de justice dans l’arrêt précité.

Une décision attendue et juridiquement prévisible

C’est finalement la Cour Constitutionnelle belge, peut-être plus sensible au respect du droit européen qui aura permis en premier l’examen d’une question préjudicielle s’interrogeant sur la conformité de l’obligation d’informer les autres intermédiaires avec l’impératif de respect du secret professionnel auquel sont tenus les avocats.

Suite à la transmission de cette question, la Cour de justice a très justement relevé que cette obligation de notification implique forcément pour les destinataires, le dévoilement de l’identité de l’avocat intermédiaire, mais également la divulgation de son analyse selon laquelle le dispositif fiscal en cause doit faire l’objet d’une déclaration ainsi que du fait qu’il est consulté à son sujet.

Il s’agit donc d’après la Cour de Luxembourg, d’une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux. Mais il s’agit également d’une seconde ingérence dans le droit au secret professionnel, cette fois-ci indirect, du fait de l’obligation pour les autres intermédiaires d’informer les autorités fiscales compétentes de l’identité et de la consultation de l’avocat.

Cependant, le droit de l’Union européenne ne sanctionne pas automatiquement toute ingérence : il n’en sera ainsi que lorsqu’aucune justification ne saurait être apportée à celle-ci.

C’est ce manque de justification qui fait de l’obligation de notification prévue par la directive, une obligation non nécessaire et violant le droit au respect des communications entre l’avocat et son client, puisque ne répondant pas à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne et n’étant pas nécessaires à la poursuite de ces objectifs.

Ainsi, cette obligation de notification pour l’avocat, pas plus que la divulgation, par les tiers intermédiaires notifiés, de l’identité et de la consultation de l’avocat intermédiaire à l’administration fiscale n’est pas considérée par la Cour comme nécessaire à la réalisation de l’objectif d’intérêt général reconnue par l’Union que constitue la prévention du risque d’évasion et de fraude fiscale.

Il est ainsi mis en avant par la Cour le fait que tous les autres intermédiaires non soumis au secret professionnel sont tenus de transmettre ces informations aux autorités fiscales compétentes sans pouvoir se décharger sur l’avocat intermédiaire et qu’aucun d’entre eux ne peut prétendre qu’il ignorait les obligations de déclaration, clairement énoncées dans la directive, auxquelles il est directement et individuellement soumis. Il est également rappelé qu’à défaut d’intermédiaire, il incombe au contribuable directement concerné de remplir cette obligation de déclaration.

La Cour de Justice de l’Union européenne, se basant sur l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, procède ainsi à un juste rappel du périmètre de la protection de la confidentialité de toute correspondance entre individus qui est assuré par celui-ci et insiste sur sa protection renforcée des échanges entre les avocats et leurs clients.

Protection d’autant plus essentielle et justifiée par le fait, que, comme l’énonce le point 28 de cet arrêt : « les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables (CEDH, 6 décembre 2012, Req. 12323/11, Michaud c/ France N° Lexbase : A3982IY7). Cette mission fondamentale comporte, d’une part, l’exigence, dont l’importance est reconnue dans tous les États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client (CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79, AM & S Europe Limited c/ Commission des Communautés européennes, quest. préj. N° Lexbase : A5944AUP) ».

Ainsi et sauf dans des situations exceptionnelles, les clients doivent pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que, sans leur accord, leur avocat ne divulguera à personne le fait qu’ils le consultent, socle de la relation de confiance liant un client à son avocat…

Une réaction française rapide et bienvenue

Dans sa décision du 14 avril 2023, le Conseil d’État a pris acte de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne de manière diligente et en a tiré les conséquences sur le plan juridique, clôturant ainsi un contentieux suspendu depuis sa décision du 25 juin 2021 [4].

Étaient initialement débattues les dispositions du deuxième alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du CGI N° Lexbase : L8506LXC et de l'article 1729 C ter du même Code N° Lexbase : L9977LSC. Ces dispositions prévoient que les intermédiaires soumis à une obligation de secret professionnel doivent notifier à tout autre intermédiaire l'obligation déclarative qui lui incombe s'ils n'ont pas obtenu l'accord de leur client pour souscrire la déclaration.

Le Conseil d’État décide ainsi que ces alinéas, qui réitèrent des dispositions de la Ddu 15 février 2011 modifiée, méconnaissent les stipulations de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en tant qu'elles imposent à l'intermédiaire, lorsqu'il est un avocat, de procéder à une notification à un intermédiaire qui n'est pas son client.

Par conséquent, les dispositions du quatrième et dernier alinéa du 4° du I de l'article 1649 AE du CGI et celles de l'article 1729 C ter du même Code, qui répriment les manquements à l'obligation de notification, sont également invalidées en ce qu'elles concernent l'obligation de notification à un autre intermédiaire qui n'est pas le client de l'avocat intermédiaire.

A contrario, il convient de relever la possibilité pour l'avocat de transmettre les informations nécessaires à son client, ou être autorisé par celui-ci à procéder à la déclaration, sans violer le secret professionnel…

En définitive, si depuis quelques mois le secret professionnel de l’avocat semblait à la peine, il semble encore possible de compter sur la Cour de Luxembourg pour mettre aux pas les États membres, comme l’illustrent très bien ces importants arrêts, marqueurs de la limite à ne pas franchir en matière de secret professionnel des avocats.

 

[1] CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-694/20, Orde van Vlaamse Balies N° Lexbase : A02048Y9.

[2] CE 3° et 8° ch.-r., 14 avril 2023, n° 448486, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A18659Q7.

[4] CE 3° et 8° ch.-r., 25 juin 2021, n° 448486, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A41334XD.

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Hommage

[Portrait] Hervé Temime, une vie à défendre

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N5267BZ4

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par Vincent Vantighem

Le 14 Mai 2023

            Des décennies à arpenter les juridictions, ça vous forge le caractère. Et vous aiguise la plume. Ce n’est donc pas pour rien que Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde, est considérée comme la meilleure chroniqueuse judiciaire de France. Aussi, quand il s’agit d’évoquer Hervé Temime, dont le décès a été annoncé le 10 avril dernier par le ministre de la Justice, c’est sans doute à ses mots qu’il convient de se référer. Non pas ceux, brillants, qu’elle a couchés sur la nécrologie qu’elle lui a consacrée, peu après sa mort. Mais ceux qu’elle a publiés, le 5 avril 2019, à l’issue d’une de ses plaidoiries fiévreuses et implacables. Il s’agissait ce jour-là de défendre – de sauver ? – Bernard Tapie de la vindicte judiciaire. « Il est des plaidoiries vaines à qualifier, les superlatifs s’y épuiseraient... », écrivait alors la journaliste en préambule. Avant de retranscrire, à la virgule près, l’envolée d’Hervé Temime qui, ici, obtint l’une des relaxes les plus retentissantes de ces dernières années. Seule façon pour elle de faire preuve de respect face à la « pure intelligence » de l’avocat.

 

Du talent, donc. Mais pas seulement. Ceux qui ont lu Le Monde ce jour-là n’ont peut-être pas regardé les chaînes d’information en continu en parallèle. Ils y auraient vu le même Hervé Temime, encore en nage d’avoir bataillé pendant des heures, épauler son client à la sortie du prétoire. Lui servir de soutien face à une meute de caméras. De béquille face à la maladie qui l’accablait alors. De l’humanité aussi, donc. Nombreux auraient, alors, été les avocats à jeter un regard noir aux journalistes avides de capter les derniers pas chancelants d’un homme qui se battait, encore, pour ne pas tout perdre. Mais pas Hervé Temime, non. Trop respectueux pour cela. D’un sourire entendu, il indiqua aux journalistes qu’il n’y aurait pas de déclaration. Et tout le monde coupa son micro. Réaction logique face à l’humilité légendaire de la robe noire.

 

De la SDF accusée de vol à Carlos Ghosn et Gérard Depardieu

 

            Du talent. De l’humanité. De l’humilité. C’était Hervé Temime. Et c’est sans aucun doute pour ces trois raisons qu’il fit autant consensus dans le petit milieu judiciaire durant la dernière décennie qui le consacra, de cette formule ampoulée, « avocat le plus puissant de France ». Journalistes, magistrats, avocats : chacun se souvient avec émotion d’une anecdote, d’une histoire, d’une rencontre avec lui qui changea leur vision des choses.

 

Prenez « Maître Eolas » connu sur Twitter comme l’infatigable avocat des libertés individuelles et pourfendeur des injustices. Plus habitué à défendre, avec brio, le manifestant arrêté injustement lors d’un rassemblement contre la réforme des retraites que le patron du CAC 40. Pas vraiment le terrain d’Hervé Temime. Et pourtant, au cœur du Printemps 2015, les deux hommes se sont croisés. En grève, les avocats avaient décidé de boycotter les comparutions immédiates. Mais les présidents de la 23e chambre avaient décidé de passer outre et de juger, tout de même, les pauvres hères qui se trouvaient là. Il fallut trouver des avocats en urgence. De ceux capables de marquer le coup. Hervé Temime répondit immédiatement. Et dans son costume sur-mesure, il vint humblement s’occuper de défendre une sans domicile fixe, accusée d’avoir volé des paquets de lames de rasoir dans une épicerie. Avec la fougue habituelle qu’on lui connaît et, évidemment, sans rien demander.

 

À ce moment-là, Hervé Temime avait déjà bâti sa réputation et sa clientèle. La banque UBS, les laboratoires Servier, l’acteur Gérard Depardieu, le réalisateur Roman Polanski, l’ex-magnat Carlos Ghosn ou encore la famille d’Agnès Le Roux au procès de Maurice Agnelet… De quoi impressionner n’importe qui. Quel journaliste n’a pas eu les mains qui tremblent au moment de composer son numéro de téléphone ? Et pourtant... Je me souviens ainsi de ce matin de juin 2017 où j’avais découvert qu’il avait trouvé une faille dans la procédure ouverte contre un animateur de télévision accusé dans une affaire de mœurs et qu’il défendait. « Il ne me répondra jamais », me dis-je alors. Mais il fallut moins de trois minutes entre le texto et le coup de fil de celui qu’on surnommait déjà « Le Boss ». « Bonjour, c’est Hervé Temime... » Quelle ne fut pas ma surprise quand, trois semaines plus tard, mon portable sonna, à nouveau à ce sujet ? « Bonjour. Vous avez travaillé sur ce sujet. Je voulais juste vous indiquer que la chambre de l’instruction a rendu sa décision. Je ne veux pas apparaître dans votre article. Mais il me semblait normal de vous tenir informé... » L’élégance qu’une chroniqueuse judiciaire résume ainsi : « Contrairement à beaucoup d’autres avocats, Hervé Temime rappelait toujours. Tout le monde. Souvent pour dire qu’il ne voulait rien dire ! Mais il rappelait... »

 

Dark Vador, les jetons du Palais de la Méditerranée et Thierry Herzog

 

            Où trouvait-il le temps ? Sans doute dans ces nuits, sans sommeil, passées à étudier telle procédure pour mieux défendre. Parce que, finalement, il n’y avait que ça qui le faisait avancer. Né à Alger (Algérie) en 1957, il était arrivé en France à l’âge de quatre ans. Versailles (Yvelines) pour refuge quand il perdit son père à l’âge de dix ans et se réfugier dans l’amour d’une mère et surtout l’humour d’une grand-mère. Peu avant 20 ans, c’est en découvrant Emile Pollak à la télévision. Il serait avocat. Dans la lignée des plus grands. Henri Leclerc évidemment. Et Robert Badinter dont la pensée profonde devint sa ligne de conduite : « Défendre n’est pas aimer. Défendre, c’est aimer défendre inlassablement... »

 

Et c’est donc ce qu’il fit. Refusant les décorations, il se cachait derrière l’immense « T » qui accueillait les visiteurs dans son cabinet majestueux de la rue de Rivoli. Un musée presque où se côtoyaient les œuvres d’art contemporain et les clins d’œil à sa vie de pénaliste. Tels ces jetons de poker du Palais de la Méditerranée, placés sous une vitre, en souvenir de l’héritière qu’il défendit des années durant. Car Hervé Temime était un amoureux des arts. Capable de défendre Roman Polanski et Gérard Depardieu et de participer en 2015 à une soirée rigolote au « Grand Rex » où une association avait organisé le procès de Dark Vador.

 

Le côté obscur ne lui faisait pas peur. Bien au contraire. Lui qui avait démarré en défendant les voyous s’était reconverti à l’aube des années 2010 dans la défense pénale des affaires. Celle des décideurs accusés ici d’avoir fraudé le fisc, là de corruption. Et il mettait la même énergie à défendre, pro bono, ses confrères embringués dans des affaires alors qu’ils ne faisaient que leur métier. Thierry Herzog évidemment avec qui il fit ses premières armes et qui se reposa sur lui lors du procès dit des écoutes de Paul Bismuth, dont la décision est attendue dans quelques semaines. Ou encore Xavier Noguéras, accusé il y a quelques semaines encore, d’une tentative d’escroquerie au jugement. Dans ce qui restera comme son ultime plaidoirie, Hervé Temime lui avait lancé : « Je suis sûr que tu garderas ta robe ! » Encore une fois, il avait fait le travail. Mardi 18 avril, la présidente de la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris a prononcé sa relaxe. Juste après avoir réclamé une minute de silence en mémoire d’Hervé Temime.

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Internet

[Textes] Le règlement sur les services numériques ou Digital Services Act

Réf. : Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, relatif à un marché unique des services numériques (DSA) N° Lexbase : L7614MEQ

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par Emmanuel Netter, Professeur de droit privé à l'université d'Avignon LBNC (EA 3788)

Le 10 Mai 2023

Mots-clés : plateformes • réseaux sociaux • moteurs de recherche • modération • publicité

Le règlement sur les services numériques (ou Digital Services Act, DSA) remet à jour une large part de la directive sur le commerce électronique de 2000. Dans la catégorie déjà connue antérieurement des hébergeurs, on fait apparaître un régime particulier pour les « plateformes », qui se distinguent par le fait qu’elles stockent mais aussi diffusent des contenus à l’initiative des utilisateurs du service. Des règles plus exigeantes encore sont édictées s’agissant des « très grandes plateformes », auxquelles on adjoint les « très grands moteurs de recherche ». Il s’agit tout à la fois d’obliger ces acteurs à exercer la plénitude de leur fonction de modérateurs des contenus illicites, et d’encadrer ce pouvoir de censure, potentiellement dangereux pour les libertés publiques. Le DSA table pour cela sur des obligations nouvelles, en matière notamment de transparence des pratiques et de recours des utilisateurs. Quant aux obligations préexistantes, comme celle d’obéir aux injonctions judiciaires et administratives, elles profitent d’un net rehaussement des sanctions, plus spectaculaire encore que celui auquel avait procédé le RGPD. Les règles spécifiques aux très grands acteurs s’inscrivent quant à elles dans la logique contemporaine de « conformité », reposant sur des auto-diagnostics, des audits, une approche par les risques.


 

On pourra bientôt écrire que la directive sur le commerce électronique a été adoptée il y a un quart de siècle [1]. Dans des domaines du droit plus paisibles, cet âge n'aurait rien de vénérable. Mais il s'agit ici d'encadrer l'évolution de l'informatique, un domaine dans lequel ChatGPT vient de rappeler qu'il suffit de cligner des yeux pour qu'en les rouvrant, on contemple un monde ayant déjà bien changé. On sourit désormais en relisant, dans la directive e-commerce, les passages ordonnant aux États de rendre possible la conclusion de contrats par voie électronique [2].

Mais il est un  domaine dans lequel le texte a parfois été jugé obsolète quelques années seulement après son entrée en vigueur : l'aménagement d'un régime de responsabilité spécifique des « prestataires intermédiaires » [3]. Il s'agissait de reconnaître le rôle passif joué par les acteurs techniques dans la circulation des contenus en ligne : ceux qui transportent l'information, la placent dans des mémoires « cache » pour la rendre plus rapidement et facilement accessible, et ceux qui  l'hébergent. Ils n'étaient en effet que de simples véhicules, contrairement aux « éditeurs » de contenus, qui ont la maîtrise de leurs pages.

Dès 2003, cependant, une nouvelle catégorie d'acteurs apparut, qui s'insérait malaisément dans la distinction binaire entre éditeurs et hébergeurs : les réseaux sociaux, avec LinkedIn d'abord, Facebook et Twitter ensuite ; un mouvement qui s'est prolongé, dans un passé plus récent, avec Instagram ou TikTok [4]. On ne pouvait certes les considérer comme éditeurs de contenus : là où les  titres de presse, par exemple, ont la maîtrise de leurs colonnes, y compris dans leur version numérique, les réseaux sociaux permettent la circulation de contenus conçus par des tiers, les utilisateurs. Mais un hébergeur traditionnel affiche la page web exactement telle qu'elle a été conçue par son client. Le réseau social, quant à lui, agence, ordonne, filtre, choisit, accélère et ralentit. Il offre aux internautes des outils d'interaction : boutons d'émotion ou de partage, commentaires. Il construit les « fils d'actualité » en choisissant, parmi les publications de l'ensemble des contacts, une sélection prétendument pertinente. Là où les hébergeurs les plus classiques se contentent de restituer l'information telle qu'on leur a confiée, ces « plateformes », comme on les appelle désormais, la retravaillent et la pétrissent – certes, la plupart du temps, par des moyens entièrement automatisés.

Ces difficultés, mises en lumière par les réseaux sociaux au sens strict, se retrouvent dans d'autres services, comme les plateformes d'hébergement et de diffusion de vidéos en masse (YouTube, Dailymotion), des magasins d'application, des places de marchés en ligne : toutes sortes de services à vocation « communautaire », dans lesquelles un intermédiaire met en scène les offres ou contenus de tiers.

Faute de mieux, c'est donc la qualification d'hébergeur qui a longtemps été retenue [5]. Le régime qui en découlait était plaisant pour le professionnel : la plateforme, dispensée de toute obligation générale de surveillance des contenus, pouvait se contenter, d'une part de retirer les contenus sur ordre d'un juge ou d'une autorité administrative compétente, d'autre part d'examiner les contenus qui lui étaient signalés par les utilisateurs, à charge pour elles de les retirer alors « promptement » s'ils étaient illicites [6]. Sur ce dernier point, le Conseil constitutionnel, chargé d'examiner la loi française transposant la directive européenne, précisa cependant que la plateforme n'engagerait sa responsabilité qu'en cas d'inertie face à un contenu « manifestement » illicite [7].

Dans les années 2010, cependant, s'imposa peu à peu l'idée que certaines plateformes exploitant des réseaux sociaux étaient excessivement laxistes. De là naquirent, en 2017, la loi allemande Netzwerkdurchsetzungsgesetz (dite NetzDG), et son avatar français, la loi de 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet [8]. Une analyse approfondie de ces deux textes sortirait du champ de cette étude, mais elle révélerait leur présupposé : la modération des plateformes devait être durcie [9]. La menace de fortes sanctions devait les conduire à censurer plus vite et davantage [10]. L'approche, grossière, négligeait presque entièrement le risque inverse : celui d'une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression ainsi qu'au droit à l'information des internautes. La censure presque totale du texte français par le Conseil constitutionnel n'a, dès lors, surpris aucun observateur [11].

Évoquer brièvement ces ancêtres du DSA était nécessaire, tant le législateur européen semble soucieux de ne pas reproduire leurs erreurs. La censure des internautes y est regardée comme un mal nécessaire. L'emploi du bâillon devra être justifié, contrôlé, pourra faire l'objet de recours. Si le Digital Markets Act [12] vise à encadrer l'excès de pouvoir économique des plateformes, c'est leur incontestable influence sur les discours publics, au sens le plus large, que l'on cherche ici à cantonner dans de justes proportions.

Une approche spécifique sera réservée aux plus puissantes d'entre elles : les « très grandes plateformes » – auxquels on ajoute les « très grands moteurs de recherche » – sont les nouvelles agoras. Elles ne peuvent, à ce titre, être traitées comme des acteurs privés ordinaires. Un pouvoir exorbitant appellera des responsabilités exorbitantes : telle est du moins l'intention du législateur européen.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, comme l'a montré le RGPD [13]. Une mauvaise gestion des dossiers transfrontaliers et du système de « guichet unique » a privé le texte de l'essentiel de son efficacité face aux géants du numérique. Le DSA tente d'en tirer les conséquences.

Sans aucunement prétendre à l'exhaustivité, il s'agira désormais de présenter les grandes lignes du texte, en suivant l'ordre de ses dispositions [14].

Il est utile de préciser au préalable que l'application du règlement sera confiée à des autorités administratives indépendantes appelées Coordinateurs pour les services numériques (CSN). En France, ce rôle sera joué par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM). De la même façon que les CNIL sont regroupées au sein du Comité européen de la protection des données, les CSN seront regroupées au sein d'un Comité européen des services numériques. Observons encore, à titre liminaire, que l'essentiel du texte entrera en application le 17 février 2024, certaines dispositions prenant toutefois effet de manière anticipée [15].

Chapitre I. Dispositions générales

Champ d'application territorial [16]. Le DSA développera bien entendu des effets « extra-territoriaux ». Il s'appliquera en effet « aux services intermédiaires proposés aux destinataires du service dont le lieu d’établissement est situé dans l’Union ou qui sont situés dans l’Union, quel que soit le lieu d’établissement des fournisseurs de ces services intermédiaires ». Le considérant 7 évoque alors la nécessité d'un « lien étroit avec l'Union ». Ce lien étroit est lui-même défini comme « un lien qu’un fournisseur de services intermédiaires a avec l’Union résultant soit de son établissement dans l’Union, soit de critères factuels spécifiques, tels que : - un nombre significatif de destinataires du service dans un ou plusieurs États membres par rapport à sa ou à leur population; ou - le ciblage des activités sur un ou plusieurs États membres » [17].

Définitions. Les définitions utiles seront sollicitées au cours de l'étude. Relevons simplement celle de « contenu illicite » comme « toute information qui, en soi ou par rapport à une activité, y compris la vente de produits ou la fourniture de services, n’est pas conforme au droit de l’Union ou au droit d’un État membre qui est conforme au droit de l’Union, quel que soit l’objet précis ou la nature précise de ce droit » [18]. L'univers de « l'illicite » est, ainsi qu'on pouvait s'y attendre, extrêmement vaste. Surtout, il relèvera essentiellement des droits nationaux. Si le DSA harmonise les procédures applicables aux plateformes, il ne faut donc pas s'attendre à ce qu'il nivèle entièrement le fond du droit applicable aux contenus. La tâche des professionnels internationaux restera donc difficile. Surtout, on peut se demander si le Conseil constitutionnel pourra maintenir sa jurisprudence, purement française, selon laquelle seul le « manifestement illicite » peut faire l'objet d'une décision unilatérale des plateformes. Le DSA est un règlement, et comme tel n'a pas à être transposé. Mais, comme le RGPD avant lui, il pourrait néanmoins rendre nécessaire une adaptation du droit national de niveau législatif donnant prise à un contrôle du Conseil. C'est alors la nature profonde de l'exercice de modération qui varierait selon le pays européen en cause, et l'harmonisation ne serait que de façade [19].

Chapitre II. Responsabilité des fournisseurs de services intermédiaires

Maintien du régime des intermédiaires techniques. Le DSA reprend les trois catégories issues de la directive e-commerce, autrefois regroupées en « prestataires intermédiaires », et désormais en « fournisseurs de services intermédiaires » (FSI).

Les « simples transporteurs » d'information ne sont pas responsables des contenus qu'ils véhiculent [20] . Les prestataires de « mise en cache » et les « hébergeurs » peuvent quant à eux se contenter, d'une part obéir aux ordres de retrait administratifs ou judiciaires, d'autre part de retirer « promptement » les contenus illicites dont ils auraient connaissance [21]. Cette connaissance est le plus souvent acquise à la suite d'une notification par un utilisateur, plus rarement par un travail non automatisé réalisé par un hébergeur sur un contenu [22].

Clause de « bon samaritain ». Constitue en revanche une nouveauté la règle selon laquelle un FSI ne perd pas automatiquement le bénéfice des exemptions de responsabilité édictées plus haut, du seul fait qu'il réaliserait des « enquêtes d'initiative volontaire » [23]. Dit autrement, si un professionnel recherche activement des contenus illicites avant même qu'ils lui aient été signalés, il agit dans l'intérêt général, et il convient de ne pas l'en dissuader. Qu'il sorte de l'attitude habituellement passive des intermédiaires ne doit pas se retourner contre lui. En pratique, ces recherches spontanées de l'illicite occupent une place extrêmement importante. Dans une conférence de novembre 2022, le directeur des affaires publiques de YouTube France révélait que 94 % des vidéos « contraires au règlement » (de la plateforme) étaient détectées grâce à des techniques d'IA reposant sur l'apprentissage machine, un tiers d'entre elles étant retirées avant même d'avoir été vues par un utilisateur [24].

Comme notre collègue Florence G'sell l'avait très rapidement relevé, la version française souffre d'un grave défaut de traduction qui lui donne le sens inverse de ce celui retenu dans les autres langues [25].

Absence d'obligation générale de surveillance [26]. Cette absence, qui n'est pas nouvelle, aurait été plus logiquement placée avant la clause de bon samaritain, la possibilité d'enquêtes d'initiatives volontaires constituant en effet une sorte de tempérament à ce principe.

Injonctions d'agir contre des contenus illicites [27]. Avant même le DSA, dans les cas où un FSI n'obéissait pas à « une injonction d’agir contre un ou plusieurs éléments spécifiques de contenu illicite, émise par les autorités judiciaires ou administratives nationales compétentes », il est certain que chaque droit national disposait déjà d'un système de sanctions. Pourquoi y revenir alors dans le présent règlement ? Certainement afin de profiter de la puissance inédite des amendes administratives fulminées par le DSA : jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial annuel, soit une augmentation de moitié par rapport au standard auquel nous avait habitués le RGPD [28]. Il faudra pour cela que l'injonction comprenne un certain nombre de mentions obligatoires, énumérées par le texte. Le FSI devra alors rendre compte « dans les meilleurs délais » des suites qu'il aura données.

Injonctions de fournir des informations [29]. Le texte associe la même puissance de feu dissuasive à un autre type d'injonctions, celles qui visent à obtenir des informations « concernant un ou plusieurs destinataires spécifiques du service ». On songe par exemple à l'adresse IP utilisée lors de l'inscription [30].

Chapitre III. Obligations de diligence pour un environnement en ligne sûr et transparent

Les obligations issues de ce chapitre sont distribuées sur quatre catégories qui fonctionnent, selon la métaphore qu'on préférera, comme des poupées gigognes ou comme des cercles concentriques. Tous les acteurs visés sont des FSI. Certains d'entre eux sont également des hébergeurs. Certains des hébergeurs sont, de surcroît, des plateformes. Certaines de ces plateformes sont de « très grandes plateformes » - l'irruption des « très grands moteurs de recherche » à ce dernier niveau bousculant tout à coup le bel ordonnancement.

Section 1. Dispositions applicables à tous les fournisseurs de services intermédiaires

Points de contact. Qu'ils soient ou non établis dans l'Union, les FSI doivent désigner deux « points de contact unique ». Le premier est destiné aux autorités : celles des États, auxquelles s'ajoute la Commission ainsi que le Comité européen des services numériques [31]. Le deuxième point de contact est destiné aux utilisateurs du service. Il doit permettre une communication « conviviale », par voie électronique, et laisser aux utilisateurs un choix de moyens [32].

Représentants légaux. Sont ici concernés les seuls FSI « qui n'ont pas d'établissement au sein de l'Union ». L'hypothèse n'est pas d'école, y compris pour de très grands services : ce n'est qu'en 2020 que TikTok a ouvert son siège européen, évidemment à Dublin, ce qui lui permettra des échanges fluides avec ses consœurs américaines[33]. Pour les sociétés qui n'auraient pas encore pris pied dans un État membre, il convient de désigner une personne physique ou morale qui, elle, y est située, « pour agir comme leur représentant légal » [34]. Les conséquences sont lourdes : ce représentant « peut être tenu pour responsable du non-respect des obligations prévues dans le présent règlement » [35].

Conditions générales. En droit français et européen, le contrat a certes force obligatoire. Mais dans la tradition juridique américaine, dont sont baignées les principales plateformes de l'univers numérique, les conditions générales encadrant l'utilisation du service semblent revêtir une importance plus grande encore. Dans les giga-contrats d'adhésion réside une source importante du pouvoir de ces acteurs, et le DSA tente d'en tirer des conséquences.

Il s'agit, d'abord, d'imposer une plus grande transparence de ces documents, qui devront être rédigés  « dans un langage clair, simple, intelligible, aisément abordable et dépourvu d’ambiguïté ». Il faudra en particulier y décrire les pratiques de modération, en soulignant la place respective des êtres humains et des automatismes dans les procédures, et en décrivant les possibilités de recours internes [36].

Il s'agit, ensuite, de restituer aux conditions générales leur juste place dans la hiérarchie des normes. Aussi faudra-t-il tenir compte « des droits fondamentaux des destinataires du service, tels que la liberté d’expression, la liberté et le pluralisme des médias et d’autres libertés et droits fondamentaux tels qu’ils sont consacrés dans la Charte ». Il ne devrait plus être possible à Facebook d'imposer sa vision très particulière de la pornographie en censurant « l'origine du monde » de Gustave Courbet, ou des campagnes de sensibilisation au cancer du sein [37].

Des dispositions spécifiques aux très grandes plateformes et très grands moteurs imposent, d'une part que soit rédigé « un résumé des conditions générales », « concis, facilement accessible » [38], d'autre part que les conditions soient publiées dans toutes les langues officielles de tous les États membres où est déployé le service [39].

Rapport de transparence des FSI. À plusieurs reprises, le législateur européen fonde ses espoirs sur une meilleure transparence des pratiques des acteurs, qui passe par la mise à disposition au public d'un rapport annuel. Ce premier niveau mélange, de façon inutilement complexe, des exigences applicables à tous les FSI, mais aussi une obligation qui pèse sur les seuls hébergeurs – pourtant régis par la section suivante du règlement [40]. Les FSI doivent publier des informations relatives aux injonctions d'agir ou d'informer reçues des autorités judiciaires et administratives ; des statistiques relatives à leur activité de modération d'initiative propre ; une description des outils de modération automatisée des contenus. Les hébergeurs, quant à eux, doivent dévoiler des données relatives aux notifications qui leur ont été adressées par les utilisateurs, ainsi qu'au sort qui leur a été réservé : une obligation qui ne se comprend qu'après lecture de l'article 16, dont il va être question à présent.

Section 2. Dispositions supplémentaires applicables aux fournisseurs de services d'hébergement, y compris les plateformes en ligne

Mécanismes de notification et d'action [41]. A déjà été soulignée l'importance croissante des initiatives propres des hébergeurs, reposant sur des outils automatisés, dans la modération contemporaine des contenus en ligne. Il ne faut toutefois pas négliger le circuit plus classique dans lequel un utilisateur repère un contenu qu'il pense être illicite, et le soumet au professionnel pour examen. Le DSA impose à cette fin des mécanismes « faciles d'accès et d'utilisation », et précise quelles mentions obligatoires la notification doit contenir. Il faudra ainsi préciser les « raisons pour lesquelles le particulier ou l’entité allègue que les informations en question sont du contenu illicite ». On ne sait s'il suffira, comme c'est souvent le cas dans la pratique actuelle, de choisir un motif générique au sein d'un menu déroulant, ou s'il est nécessaire d'offrir au signalant un champ libre lui permettant de commenter sa notification. Il faudra également joindre « une déclaration confirmant que le particulier ou l’entité soumettant la notification pense, de bonne foi, que les informations et les allégations qu’elle contient sont exactes et complètes » : nous verrons plus loin quelles sont les conséquences d'une série de notifications de mauvaise foi. Le FSI ayant reçu la notification devra la traiter « en temps opportun, de manière diligente, non arbitraire et objective », et tenir informé l'auteur du signalement de sa décision.

Exposé des motifs [42]. Quiconque a déjà été témoin de la censure d'un contenu sur un réseau social, au motif pour le moins évanescent d'une « contrariété avec les règles de la communauté », sans davantage de précision, comprendra tout l'intérêt de cet article du DSA. Désormais, une action de modération devra être précisément justifiée.

Le texte commence par définir la décision de modération, et en retient une acception large. C'est un apport important. Sont évidemment concernées les suspensions de comptes et retraits purs et simples de publication, mais aussi la simple dégradation de visibilité. Sont même incluses les mesures restreignant « les paiements monétaires ». Cette dernière formule semble pouvoir englober à la fois l'exclusion d'un utilisateur d'un programme de « monétisation » de ses contenus (par partage des revenus publicitaires associés), et l'impossibilité pour l'utilisateur d'une place de marché de disposer de son solde créditeur auprès d'elle.

Dans toutes ces situations, les restrictions du service appelleront donc une explication détaillée, le règlement en précisant les mentions obligatoires. La première consiste à informer précisément l'utilisateur des mesures prises contre lui. Cela sonne comme une évidence, mais les controversées techniques de « shadow banning » sont précisément utilisées par des réseaux sociaux pour dégrader subrepticement la visibilité de certaines publications, voire de certains comptes, sans les en avertir, ce qui permet de faire pratiquement disparaître des contenus sans avoir à assumer une suppression en bonne et due forme [43]. Pour le surplus, la motivation doit comprendre les éléments factuels et juridiques sur lesquels repose la décision, ce qui impliquera notamment de citer la partie exacte des conditions générales, ou les références précises de la loi, invoquées au soutien de la restriction.

Notification des soupçons d'infraction pénale [44]. S'il était en possession d'informations « conduisant à soupçonner qu’une infraction pénale présentant une menace pour la vie ou la sécurité d’une ou de plusieurs personnes a été commise, est en train d’être commise ou est susceptible d’être commise », le FSI devrait prévenir les autorités de l’État concerné. Une telle appréciation sera souvent délicate : est-ce qu'un harcèlement scolaire en meute, ou l'organisation d'un rodéo urbain, est susceptible de présenter « une menace pour la vie » ?

Section 3. Dispositions supplémentaires applicables aux fournisseurs de plateformes en ligne

Définition. Une plateforme en ligne est une variété particulière d'hébergeur : celle qui, à la demande du destinataire du service, peut non seulement stocker, mais aussi diffuser au public des informations [45].

Système interne de traitement des réclamations [46]. L'analogie est peu rigoureuse techniquement, mais néanmoins éclairante : il s'agit de permettre aux utilisateurs de « faire appel » d'une première décision de modération prise par la plateforme, y compris une décision de ne pas modérer, pendant six mois après que cette décision a été prise. Ce recours peut être introduit par voie électronique, et il est gratuit. La nouvelle décision est elle aussi motivée. Un point important : là où la décision initiale pouvait être prise (et motivée) de façon entièrement automatisée, la décision sur recours doit obligatoirement faire intervenir des êtres humains [47].

Règlement extrajudiciaire des litiges [48]. Cette procédure peut s'ajouter ou se substituer au système interne de traitement des réclamations. Autrement dit, il n'est pas obligatoire d'avoir préalablement « fait appel » auprès de la plateforme pour être autorisé à y recourir. Les utilisateurs ayant subi des décisions de modération, et ceux qui à l'inverse ont soumis des notifications restées infructueuses pourront se tourner vers un « organe de règlement extrajudiciaire des litiges ». Il est une sorte de médiateur amiable : il est expressément précisé qu'il « n’a pas le pouvoir d’imposer aux parties un règlement du litige contraignant ».

Qui pourra se proposer pour assurer ces médiations ? Le règlement brosse un portrait assez général : c'est un organe impartial, compétent, rapide, capable d'agir entièrement en ligne. C'est au coordinateur des services numériques de certifier les candidats à la fonction, pour une durée de cinq ans renouvelable.

Les frais suscités par la médiation sont supportés par la plateforme à chaque fois qu'elle perd, et même lorsqu'elle l'emporte, lorsque l'utilisateur était néanmoins de bonne foi. De surcroît, « Les frais facturés par l’organe de règlement extrajudiciaire des litiges aux fournisseurs de plateformes en ligne pour le règlement du litige sont raisonnables et n’excèdent en aucun cas les coûts engagés par l’organe ». Dès lors, le secteur privé à but lucratif n'a pas vocation à s'intéresser à cette fonction. Il est précisé que « Les États membres peuvent établir des organes de règlement extrajudiciaire des litiges », ou soutenir des acteurs privés, qui seront vraisemblablement de nature associative.

Signaleurs de confiance [49]. Une plateforme comme YouTube dispose depuis longtemps d'un programme de « trusted flaggers » [50]. Il s'agit d'examiner prioritairement les notifications de ces « super-utilisateurs ». On trouve dans ce programme d'initiative volontaire des agences gouvernementales, des associations. Par le passé, pouvaient également candidater des utilisateurs ordinaires bénéficiant d'un historique de plusieurs années de notification « de grande qualité », c'est-à-dire débouchant presque systématiquement sur une action de modération. L'idée est bonne. L'un des défauts majeurs de la loi Avia, ayant conduit à sa censure presque totale par le Conseil constitutionnel, était l'obligation de retirer en moins de 24 heures tout contenu manifestement illicite ayant fait l'objet d'un signalement. Cela aurait nécessairement conduit à examiner dans ce délai toutes les notifications, y compris les plus fantaisistes, comme celles soumises par un compte ad hoc créé la veille [51].

Le DSA reprend à son compte cette idée selon laquelle tous les signaleurs ne se valent pas nécessairement. Les « entités » suffisamment expertes et indépendantes peuvent demander au CSN de l’État dans lequel elles sont établies à bénéficier du statut de signaleur de confiance. Si elles l'obtiennent, leurs notifications bénéficient d'un coupe-file et donnent lieu à des décisions « dans les meilleurs délais ».

Rien ne semble interdire aux plateformes de maintenir, par ailleurs, leur propre programme de signaleurs de confiance « hors DSA ». Pour peu qu'elles aient effectivement examiné en tout premier lieu les notifications des acteurs labellisés par les CSN, rien ne les empêche de discriminer au sein du reliquat de signalements. D'ailleurs, même hors d'un programme explicite de « trusted flaggers », on peut imaginer donner une priorité plus élevée à des signalements effectués par des comptes fiables et anciens.

Mesures de lutte et de protection contre les utilisations abusives [52]. Il s'agit ici d'autoriser la suspension de comptes d'utilisateurs faisant un usage « abusif » de la plateforme. Cela renvoie à deux comportements distincts : la fourniture régulière de contenus « manifestement illicites » et la fourniture régulière de notifications « manifestement infondées ». Ces suspensions ne sont pas définitives, mais n'ont lieu que pour une « période raisonnable ». Elles ne sont pas non plus arbitraires : elles doivent tenir compte d'un ensemble de critères, listés, dont la proportion de comportements fautifs par rapport à l'ensemble des comportements adoptés, et la gravité des manquements. Une fois encore, le règlement ne se préoccupe pas seulement d'un potentiel laxisme des plateformes : il craint également leur excessive rigueur, et met en place des garde-fous.

Rapport de transparence des plateformes [53]. Rappelons que les acteurs dont il est ici question, avant d'être des plateformes, sont des FSI : à ce titre, ils devaient déjà rédiger un rapport de transparence dont le contenu a été précisé plus haut. À présent, en tant que plateformes, ils doivent, selon une logique cumulative, adjoindre à leur rapport des informations supplémentaires : le nombre de litiges adressés à des organes de règlement extrajudiciaire ainsi que le sort qui leur a été réservé ; le nombre de suspensions de comptes pour comportements abusifs.

Le même article pose une obligation distincte, qui devait être respectée avant le 17 février 2023, et qui doit conduire ensuite à une actualisation tous les six mois : la publication de « la moyenne mensuelle des destinataires actifs du service dans l’Union ». Le champ d'application englobe tout à coup, au-delà des seules plateformes, tous les « moteurs de recherche ». Un moteur de recherche en ligne est défini comme « un service intermédiaire qui permet aux utilisateurs de formuler des requêtes afin d’effectuer des recherches sur, en principe, tous les sites internet ou tous les sites internet dans une langue donnée, sur la base d’une requête lancée sur n’importe quel sujet sous la forme d’un mot-clé, d’une demande vocale, d’une expression ou d’une autre entrée, et qui renvoie des résultats dans quelque format que ce soit dans lesquels il est possible de trouver des informations en rapport avec le contenu demandé » [54]. La raison de cette extension est simple : cette obligation, qui entre en application plus tôt que le DSA dans son ensemble, permettra de faire apparaître les « très grands moteurs de recherche » au côté des « très grandes plateformes », afin de les soumettre, on le verra plus loin, à un corps de règle particulièrement exigeant.

Conception et organisation des interfaces en ligne [55]. Le règlement reconnaît ici l'importance d'un problème qui, dans un domaine voisin, préoccupe de plus en plus les autorités de protection des données : les interfaces trompeuses, mieux connues parfois sous leur dénomination anglaise de dark patterns. Il est posé ici, de façon très générale, que « Les fournisseurs de plateformes en ligne ne conçoivent, n’organisent ni n’exploitent leurs interfaces en ligne de façon à tromper ou à manipuler les destinataires de leur service ou de toute autre façon propre à altérer ou à entraver substantiellement la capacité des destinataires de leur service à prendre des décisions libres et éclairées ». Afin de tenter d'objectiver la notion d'interface trompeuse, ce qui est un exercice difficile, la Commission européenne pourra, comme le Comité européen de la protection des données l'a fait avant elle, adopter des lignes directrices [56].

Publicité sur les plateformes en ligne [57]. Dès 2000, la directive sur le commerce électronique prévenait que « la communication commerciale doit être clairement identifiable comme telle » [58]. Le règlement sur les services numériques reprend et développe cette exigence. Le destinataire du service devra « se rendre compte que les informations sont de la publicité, y compris au moyen de marquages bien visibles », mais aussi savoir qui le message cherche à promouvoir et, pour le cas où il s'agirait d'une personne distincte de la précédente, qui a payé pour cette campagne promotionnelle.

Plus concrètement, il est prévu que les destinataires du service disposent d'outils leur permettant de signaler que leur contenu constitue une communication commerciale. Une telle disposition s'adresse en bonne partie au petit monde des « influenceurs », dont on sait qu'ils vivent souvent du placement de produits et de services, sans toujours faire apparaître de manière appropriée les liens d'intérêts qui les amènent à conseiller leur « communauté ». Une récente proposition de loi adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale témoigne de la même préoccupation [59].

Le DSA prévoit enfin que la publicité reposant sur profilage au sens du RGPD – c'est-à-dire, pour aller vite, la publicité ciblée - ne puisse reposer sur des critères de l'article 9 dudit règlement. Rappelons que ce texte renvoie à un traitement de données « qui révèle l'origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d'identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique ». Il s'agit d'une des premières dispositions européennes visant à encadrer spécifiquement le secteur de la publicité ciblée, le RGPD n'approchant la question que par son droit commun [60]. Relevons qu'une publicité pourrait se fonder sur des critères n'apparaissant pas dans cette liste et constituer néanmoins une discrimination illicite au regard d'autres règles, notamment de droit national . Ainsi l'appartenance au genre masculin ou féminin ne relève-t-elle pas de l'article 9 du RGPD ; on n'accepterait pourtant pas qu'une offre d'emploi apparaisse, sur une plateforme en ligne, uniquement au profit des utilisateurs masculins.

Transparence du système de recommandation [61]. La personnalisation extrême des services en ligne participe à leur agrément. Mais elle présente aussi l'inconvénient, maintes fois dénoncé, d'enfermer les utilisateurs dans des « bulles de filtres » : les algorithmes ayant appris à les connaître sur la base de leur activité passée, ils leur proposeront toujours plus de ce qu'ils ont déjà lu, regardé, écouté ou acheté[62]. Les goûts, les opinions politiques, les centres d'intérêt risquent de ne plus progresser. L'attirance pour les opinions extrêmes, le complotisme, la radicalité religieuse sont renforcés. Le risque final est celui de la fragmentation de la société. Un autre aspect de la question concerne non pas les consommateurs de contenus, mais les producteurs, qui voudraient comprendre par exemple pourquoi certaines de leurs vidéos sont recommandées aux utilisateurs de YouTube et pas d'autres : la différence en nombre de vues est spectaculaire, et par conséquent les revenus lorsqu'il s'agit de contenus « monétisés ».

Pour toutes ces raisons, le règlement impose aux plateformes de dévoiler, dans leurs conditions générales, « les principaux paramètres utilisés dans leurs systèmes de recommandation, ainsi que les options dont disposent les destinataires du service pour modifier ou influencer ces principaux paramètres ». Lorsque plusieurs formules de pondération des critères sont disponibles, l'utilisateur est libre d'en changer à tout moment.

Relevons que la notion de « recommandation », dans le DSA, est très large. On qualifie en effet de système de recommandation « un système entièrement ou partiellement automatisé utilisé par une plateforme en ligne pour suggérer sur son interface en ligne des informations spécifiques aux destinataires du service ou pour hiérarchiser ces informations, notamment à la suite d’une recherche lancée par le destinataire du service ou en déterminant de toute autre manière l’ordre relatif ou d’importance des informations affichées » [63]. Une telle définition peut englober, outre des résultats de recherche, le fil d'actualités de l'utilisateur, qui s'affiche au lancement du service et non suite à une recherche, dans la mesure où il s'agit d'une sélection d'un sous-ensemble des contenus postés par les contacts, ou bien encore la proposition de visionner un contenu supplémentaire à la suite de celui qui avait été initialement choisi par l'internaute.

Protection des mineurs en ligne [64]. Le DSA exige tout d'abord, de façon extrêmement générale, que « Les fournisseurs de plateformes en ligne accessibles aux mineurs mettent en place des mesures appropriées et proportionnées pour garantir un niveau élevé de protection de la vie privée, de sûreté et de sécurité des mineurs sur leur service ». La démarche d'auto-diagnostic suivie de l'adoption de mesures appropriées, typique de la compliance, est familière notamment aux lecteurs du RGPD.

Plus spécifiquement, ensuite, toute publicité ciblée – et non pas seulement celle fondée sur des données sensibles – sera interdite lorsque l'utilisateur est un mineur. À cet égard, la plateforme ne peut visiblement se reposer uniquement sur les déclarations unilatérales de l'utilisateur, puisque le règlement évoque la situation dans laquelle les plateformes « ont connaissance avec une certitude raisonnable que le destinataire du service est un mineur ». Il est toutefois précisé immédiatement après que « Le respect des obligations énoncées dans le présent article n’impose pas aux fournisseurs de plateformes en ligne de traiter des données à caractère personnel supplémentaires afin de déterminer si le destinataire du service est un mineur ». Le DSA se distingue ici du RGPD, qui pose des seuils d'âge stricts déclenchant des régimes juridiques très particuliers, posant la question délicate des mécanismes de vérification d'âge respectueux de la vie privée [65].

Section 4. Dispositions supplémentaires applicables aux fournisseurs de plateformes en ligne permettant aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels

Champ d'application. Les dispositions situées dans cette section s'adressent aux plateformes dont la raison d'être est de provoquer la rencontre entre des clients et des professionnels. Elles ne devraient donc pas s'appliquer, en principe, à de faux intermédiaires comme Uber, qui sont en réalité les prestataires du service demandé par le client, et qui emploient des salariés [66]. Pourraient en revanche être concernées, par exemple, des places de marché en ligne, ou des plateformes de mise en relation avec des professionnels du logement ou du transport, voire des sites de financement participatif ouverts à des porteurs de projets professionnels.

Traçabilité des professionnels [67]. Les plateformes ont ici l'obligation de recueillir un ensemble d'informations essentielles relatives aux professionnels qu'elles comptent présenter à la clientèle. Mieux : la plateforme « déploie tous ses efforts pour évaluer si les informations [...] sont fiables et complètes ». La règle est importante, tant il est fréquent que les intermédiaires de l'économie numérique se comportent comme si leur seul devoir était de mettre à disposition un espace de rencontre, ce qui se produit ensuite entre les parties intermédiées n'étant plus de leur ressort.

Le règlement prévoit par ailleurs que « si le fournisseur d’une plateforme en ligne permettant aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels refuse d’autoriser un professionnel à utiliser son service en vertu du paragraphe 1 ou suspend la fourniture de son service en vertu du paragraphe 3 du présent article, le professionnel concerné a le droit d’introduire une réclamation conformément aux articles 20 et 21 du présent règlement », ce qui converge en partie avec les dispositions du règlement dit « platform to business » [68].

Section 5. Obligations supplémentaires de gestion des risques systémiques imposées aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne et de très grands moteurs de recherche en ligne

Champ d'application [69]. Les dispositions qui vont suivre concernent des acteurs qui sont cumulativement des FSI, des hébergeurs, des plateformes en ligne et de « très grandes plateformes en ligne » (ci-après TGP). Elles s'appliquent par ailleurs à un autre type d'acteur, le très grand moteur de recherche (TGM), qui n'est pas concerné par les subdivisions précédentes du règlement et qui fait son apparition à ce moment du règlement – si l'on met à part l'obligation de publier la moyenne mensuelle des destinataires actifs du service.

Ces deux catégories de destinataires de la règle seront concernées par la section à suivre si leur nombre d'utilisateurs mensuel moyen est supérieur à 45 millions, un chiffre qui évoluera régulièrement à l'avenir, par le jeu d'actes délégués adoptés par la Commission, de façon à toujours représenter environ 10 % de la population de l'Union.

Évaluation des risques [70]. Toute cette section du règlement est baignée par la logique si contemporaine de « conformité », qui commence généralement par une obligation faite aux destinataires de la règle de procéder à leur auto-diagnostic. Cet exercice d'introspection sera particulièrement exigeant ici. Les TGP et TGM « analysent et évaluent de manière diligente tout risque systémique au sein de l’Union découlant de la conception ou du fonctionnement de leurs services et de leurs systèmes connexes, y compris des systèmes algorithmiques, ou de l’utilisation faite de leurs services ».

Le règlement présente ensuite une liste de risques systémiques, vertigineuse alors même qu'elle se présente comme non exhaustive : la diffusion de « contenus illicites », « tout effet négatif réel ou prévisible pour l’exercice des droits fondamentaux », « tout effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique », « tout effet négatif réel ou prévisible lié aux violences sexistes et à la protection de la santé publique et des mineurs et les conséquences négatives graves sur le bien-être physique et mental des personnes ». Un vaste programme.

Dans leur évaluation, les TGP et TGM doivent de plus prendre en compte des facteurs aussi variés que « la conception de leurs systèmes de recommandation et de tout autre système algorithmique pertinent », leurs « systèmes de modération des contenus », leurs « conditions générales applicables et leur mise en application », les « systèmes de sélection et de présentation de la publicité ». Il faut encore y ajouter les énigmatiques « pratiques du fournisseur en matière de données ».

Cette évaluation doit être documentée – encore un classique de la compliance. Les justificatifs l'ayant fondée, qui doivent être conservés trois ans, peuvent être demandés par la Commission et le CSN de l’État membre d'établissement. Il semble pourtant qu'un envoi systématique aux pouvoirs publics aurait été justifié, s'agissant d'acteurs aussi cruciaux qu'ils sont peu nombreux.

Atténuation des risques [71]. Il n'aurait pas été très utile d'exiger une cartographie rigoureuse des risques systémiques s'il ne s'était agi, ensuite, d'obliger les TGP et TGM à mettre en place « des mesures d’atténuation raisonnables, proportionnées et efficaces ». Suit à nouveau une longue liste indicative de mesures possibles, qui vont de l'adaptation des conditions générales à celle des algorithmes, en passant par l'amélioration de la coopération avec les signaleurs de confiance ou les autres plateformes.

Chaque année, le comité regroupant les CSN et la Commission publieront un rapport présentant au public les risques systémiques les plus récurrents, et les meilleures pratiques mises en place pour les contrecarrer.

Mécanisme de réaction aux crises [72]. Un texte spécifique est dédié à la situation dans laquelle « des circonstances extraordinaires entraînent une menace grave pour la sécurité publique ou la santé publique dans l’Union ou dans des parties importantes de l’Union ». Si l'on songe immédiatement à la pandémie de coronavirus et au torrent de désinformation qu'elle a suscité en ligne, c'est toute la gamme des fléaux environnementaux, politiques et sanitaires en train de s'abattre sur la planète qui pourra ainsi être appréhendée dans ses dimensions numériques.

La procédure devra débuter par une recommandation du Comité européen des services numériques. La Commission pourra s'en saisir. Elle n'aura pas le pouvoir de prendre elle-même des mesures ayant des effets sur le fonctionnement des TGP et TGM, mais pourra « exiger » de ces acteurs qu'ils entreprennent eux-mêmes des actions adéquates pour évaluer la contribution de leurs services aux risques suscités, et pour réagir de façon « spécifique, efficace et proportionnée ». Si ces actions sont insuffisantes, la Commission pourra obliger les plateformes à les réexaminer.

Audit indépendant [73]. Au moins une fois par an, les TGP et TGM devront financer un audit par un tiers indépendant, visant notamment à évaluer leur respect des obligations issues du chapitre 3 du règlement. Pourquoi ne pas avoir prévu que ces audits annuels étaient tout simplement réalisés par les services de la Commission ? Sans rejeter en bloc la logique de contrôle du secteur privé par lui-même indissociable du « droit de la conformité », on peut se demander si elle n'atteint pas ses limites quand il s'agit des dix ou quinze plus grands acteurs mondiaux du numérique. Face des puissances quasi étatiques dans leurs dimensions, les pouvoirs publics devraient sans doute éviter de se montrer trop timides. Toujours est-il qu'ici, pleine confiance est accordée aux auditeurs privés, à condition qu'ils respectent quelques conditions destinées à prévenir les conflits d'intérêts. Elles sont du reste excessivement laxistes, puisqu'il sera permis de rester l'auditeur de la même société jusqu'à dix années consécutives avant que l'on considère qu'il pourrait y avoir là un problème.

L'audit conduira bien évidemment à la production d'un rapport qui, s'il détecte des difficultés – et comment pourrait-il ne pas y en avoir, au regard de l'ampleur des obligations découlant du chapitre 3 ? -, devra formuler des recommandations de mise en conformité. Il sera alors obligatoire, pour les TGP et TGM, de mettre en œuvre ces recommandations ou de justifier leur inertie.

Systèmes de recommandation : dépersonnalisation [74]. On se souvient que le règlement avait posé plus haut une obligation, pesant sur toutes les plateformes en ligne, de révéler les principaux paramètres influant sur les recommandations. Pour les TGP et TGM, s'ajoute à présent la nécessité de proposer au moins une option « ne reposant pas sur du profilage ». Cela permettra de « dépersonnaliser » les suggestions. Il ne s'agit plus seulement de prendre conscience de l'existence d'une bulle de filtres, mais de la faire éclater. Les suggestions pourraient par exemple s'appuyer sur la popularité de contenus ou de thèmes, à une échelle nationale ou mondiale, à l'instant de l'utilisation du service.

Transparence renforcée de la publicité en ligne [75]. À nouveau, il s'agit de renforcer des obligations précédemment édictées à la charge de l'ensemble des plateformes en ligne, lorsqu'on se trouve face à des TGP ou TGM. Il s'agissait précédemment d'informer l'utilisateur, à titre individuel, sur les caractéristiques d'un message commercial qui lui était personnellement présenté. Cette fois-ci, il est exigé des services numériques qu'ils tiennent un registre global et public de l'ensemble des publicités affichées moins d'un an auparavant. Chacun pourra ainsi savoir quels produits étaient promus, par qui, et quels étaient les critères de sélection du public dans le cas – le plus fréquent en pratique – où il se serait agi de publicité ciblée. Il sera encore possible de savoir, pays par pays, combien d'utilisateurs ont été touchés.

Un tel registre sera utile en bien des occasions, qu'il s'agisse de faire apparaître publiquement des critères de ciblage problématiques jusqu'ici occultés, ou que l'on souhaite retracer l'origine d'une campagne de désinformation sponsorisée [76].

Accès aux données et contrôle des données [77]. L'article dont il est à présent question constitue un point névralgique du DSA. Dans les années à venir, son interprétation fera vraisemblablement l'objet de débats acharnés. Il s'agit en effet d'obliger les TGP et TGM à dévoiler leur plus précieux trésor : les « données ».

Deux circuits sont à distinguer. D'une part, les CSN et la Commission européenne pourront accéder « aux données nécessaires pour contrôler et évaluer le respect du présent règlement ». D'autre part, « l'accès aux données » devra être donné à des chercheurs agréés « à la seule fin de procéder à des recherches contribuant à la détection, au recensement et à la compréhension des risques systémiques dans l’Union ».

Dans les deux cas, une même question se pose : que recouvre la notion de « données » ? L'article 3, relatif aux définitions du règlement, ne fournit pas de réponse. On se demande en particulier, lorsque des traitements algorithmiques sont mis en œuvre, si les « données » renvoient, dans un sens strict, uniquement aux informations entrantes et sortantes, ou si la notion s'interprète plus largement, auquel cas la composition exacte de l'algorithme peut également être demandée. Un considérant incite toutefois à l'optimisme, qui vise « l’accès à des données spécifiques ou la communication de celles-ci, y compris les données relatives aux algorithmes » [78]. Il ajoute encore : « Une telle exigence peut porter, par exemple, sur les données nécessaires pour évaluer les risques et les éventuels préjudices causés par les systèmes de la très grande plateforme en ligne ou du très grand moteur de recherche en ligne, les données concernant l’exactitude, le fonctionnement et les tests des systèmes algorithmiques de modération des contenus, des systèmes de recommandation ou des systèmes de publicité, y compris, le cas échéant, les données et algorithmes d’entraînement, ou encore les données concernant les processus et les résultats de la modération des contenus ou des systèmes internes de traitement des réclamations au sens du présent règlement ».

Il aurait toutefois fallu ancrer cette conception large des « données » dans le corps même du texte. Un autre élément incite à la prudence. Le DSA oblige les CSN et la Commission à tenir compte de « la protection des informations confidentielles, en particulier les secrets d’affaires » [79] : il est probable que les grands acteurs, sur la base de cet argument, se battront pied à pied pour éviter de dévoiler leurs algorithmes les plus sensibles.

À propos de l'accès aux données par les chercheurs, on soulignera qu'ils doivent être agréés par les CSN. Ils peuvent certes passer par le CSN de leur État d'affiliation, qui procèdera à une première analyse du dossier, mais c'est le CSN de l’État membre d'établissement de la TGP ou du TGM qui décidera. En pratique, il s'agira la plupart du temps de l'autorité irlandaise. Son pouvoir ne sera pas négligeable : si certaines conditions, comme l'indépendance des chercheurs, sont relativement objectives, d'autres sont davantage sujettes à interprétation, comme leur capacité à assurer un niveau de sécurité suffisant pour les données.

Fonction de contrôle de la conformité [80]. Le règlement exige des TGP et TGM qu'ils créent « une fonction de contrôle de la conformité », composée d'un ou plusieurs responsables, « indépendante de leurs fonctions opérationnelles ». La suite du texte révèle qu'il s'agit, en principe, de la seule conformité au DSA, mais rien ne semble interdire la mise en place d'un service chargé plus largement de la mise en œuvre des nombreuses réglementations, dans et hors le droit du numérique, reposant sur une logique de conformité. La suite de l'article révèle d'ailleurs les contours de la fonction de « responsable de la conformité », et ils sont largement calqués sur ceux d'un délégué à la protection des données interne dans le RGPD : ne rendant compte qu'au plus haut niveau de la hiérarchie de l'entreprise, le responsable de la conformité est à la fois une vigie, un conseiller, un pédagogue, un interlocuteur pour les pouvoirs publics [81].

Rapport de transparence des TGP et TGM. Le rapport de transparence exigé de tout FSI avait été enrichi une première fois pour les plateformes, il l'est à nouveau pour les acteurs de très grande taille. Ils devront notamment dévoiler les ressources humaines consacrées à la modération des contenus, « ventilées par langue officielle concernée des États membres », et justifier des compétences de ces équipes [82].

Par ailleurs, des indicateurs qui doivent être publiés par les FSI « ordinaires » tous les ans, comme les injonctions d'agir ou d'informer, ou les notifications reçues des usagers, seront publiés tous les six mois dans le cas des TGP et TGM [83].

Surtout, doivent être envoyés au CSN de l’État d'établissement, à la Commission, et doivent être rendus publics le rapport annuel sur l'évaluation des risques systémiques, le rapport annuel issu d'un audit indépendant, et rapport sur la mise en œuvre des recommandations de l'auditeur [84].

Redevance de surveillance [85]. La Commission aura un rôle important à jouer en matière d'application du DSA, supérieur à celui qu'elle endosse actuellement dans le domaine de la protection des données personnelles. Elle avait d'ailleurs publié un nombre significatif d'offres d'emplois spécifiquement à cette fin. S'agissant des TGP et TGM au moins, l'Union entend purement et simplement « recouvrer les frais » ainsi exposés en faisant payer aux acteurs une « redevance de surveillance ». Mais pourquoi, alors, n'avoir pas poussé la logique jusqu'au bout ? Les audits annuels confiés à des tiers dont on peine à construire une indépendance convaincante auraient pu être réalisés par les services de la Commission, puisque leur coût aurait ensuite été répercuté sur la redevance de surveillance. Cela signifie implicitement que la puissance publique européenne ne se sent pas capable, au moins à court terme, de réunir des compétences techniques équivalentes à celles qu'on trouve chez les auditeurs privés, ce qui est préoccupant.

Chapitre IV. Mise en œuvre, coopération, sanctions et exécution

On ne relèvera ici que quelques éléments choisis.

Pouvoirs des CSN. Relevons simplement ici que le pouvoir d'ordonner « la restriction temporaire de l'accès » au service est très fortement encadré [86]. Le pouvoir des CNIL d'ordonner la suspension ou l'arrêt d'un traitement de données personnelles est bien plus vaste [87].

Sanctions. À l'inverse, les CSN peuvent prononcer des amendes plus lourdes, allant, on l'a dit, jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial annuel, contre 4 % « seulement » dans le RGPD [88].

Tempéraments au « guichet unique ». Poursuivons la comparaison entre DSA et RGPD en rappelant, même si le fait est bien connu, que le droit européen des données personnelles a largement été tenu en échec, face aux plus grands acteurs américains – auxquels il faudra dorénavant ajouter le chinois TikTok, en raison du mécanisme dit « du guichet unique », ou one-stop-shop. Celui-ci donne un rôle prépondérant, dans la conduite des enquêtes menant à des sanctions, « l'autorité de contrôle de l'établissement principal ou de l'établissement unique du responsable du traitement ou du sous-traitant » [89]. La plupart des acteurs de très grande taille se sont domiciliés à Dublin, et la Data Protection Commission irlandaise fait preuve d'un laxisme notoire dans l'application de la législation.

Le DSA tire en partie les leçons de cet échec. Il est ainsi posé que « La Commission dispose de pouvoirs exclusifs pour surveiller et faire respecter le chapitre III, section 5 », c'est-à-dire le droit spécifique aux TGP et TGM [90]. Nous verrons si elle fait preuve, en la matière, d'un volontarisme suffisant. Par ailleurs, même dans les domaines qui relèvent des autorités nationales, un mécanisme est prévu, en cas d'inertie manifeste de l'une d'entre elles, qui permet à la Commission... de froncer les sourcils [91]. Cela suffira-t-il [92] ?

 

[1] Directive n° 2000/31/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur N° Lexbase : L8018AUI («directive sur le commerce électronique»).

[2] Ibid, art. 9.

[3] Ibid, art. 12 et s.

[4] LinkedIn est apparu en 2003, Facebook a débordé des campus américains en 2006, Twitter est né la même année. Instagram est arrivé en 2010, TikTok en 2016.

[5] V. par ex. en droit interne, Cass. 1ère civ., 17 février 2011, n° 09-13.202, Fuzz  FS-P+B+I N° Lexbase : A1444GXR et n° 09-67.896, Dailymotion , FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1445GXS.

[6] Directive e-commerce précitée, art. 14.

[7] Const. const., décision n° 2004-496 DC, du 10 juin 2004, cons. n° 9 N° Lexbase : A6494DCI.

[8] Loi n° 2020-766, du 24 juin 2020, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet N° Lexbase : L4895LXL.

[9] Nous tentons de le démontrer dans À la recherche du juste rôle des plateformes exploitant des réseaux sociaux dans la lutte contre la "haine en ligne" [en ligne].

[10] Dans le texte allemand, les contenus signalés devaient être retirés en moins de 24h en cas d'illicéité manifeste, et en moins de 7 jours en cas d'illicéité non manifeste. Le texte français n'avait retenu que le premier de ces deux délais puisque, depuis la décision précitée du Conseil constitutionnel du 10 juin 2004, on ne pouvait plus reprocher à une plateforme le maintien en ligne d'un contenu dont l'illicéité était sujette à discussion.

[11] Const. const., décision n° 2020-801 DC, du 18 juin 2000 N° Lexbase : A81893NM : C. Denizeau, note, Revue française de droit constitutionnel, 2021, n° 126, p. 207 ; B. Bertrand et J. Sirinelli, obs., Dalloz IP/IT, 2020, p. 577 ; F. Safi, note, Dr. pénal, sept. 2020, p. 12 ;  N. Droin, note, AJ Pénal, sept. 2020, p. 407 ; C. Bigot, note, D., 2020, p. 1448 ; M. Quéméner, note, Gaz. Pal., 7 juill. 2020, p. 16 . Adde L. Castex, K. Favro et C. Zolynski, La lutte contre la haine en ligne : de l'appel du 18 juin au discours de la méthode, D., 2021, p. 246.

[12] Règlement n° 2022/1925 du 14 septembre 2022, relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique N° Lexbase : L5815ME4.

[13] RGPD : Règlement n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE N° Lexbase : L0189K8I.

[14] Pour d'autres commentaires du DSA, V. not. E. Dreyer, Règlement sur les services numériques (DSA) : premiers éléments de présentation, Légipresse, 2022. 601 ; E. Dubout, Gouverner la parole : les défis du Digital Services Act, JCP G, 2023, 220 ; G. Loiseau, Le Digital services act, CCE, 2023, étude 3 ; S. Mérabet, Le digital services act : permanence des acteurs, renouvellement des qualifications, JCP G, 2022, 1175 et Le Digital Services Act : guide de l’utilisation de lutte contre les contenus illicites, JCP G, 2022, 1958.

[15] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 93, 2 : « Le présent règlement est applicable à partir du 17 février 2024. Toutefois, l’article 24, paragraphes 2, 3 et 6, l’article 33, paragraphes 3 à 6, l’article 37, paragraphe 7, l’article 40, paragraphe 13, l’article 43 et le chapitre IV, sections 4, 5 et 6, sont applicables à partir du 16 novembre 2022 ».

[16] Ibid, art. 2. Lorsqu'il sera fait référence à un article sans mention d'un texte particulier, le lecteur devra l'interpréter comme une référence à un article du DSA.

[17] Ibid, art. 3, e).

[18] Ibid, art. 3, h).

[19] Ces propos ne devraient pas être interprétés comme une forme de défiance à l'égard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que nous approuvons. Il faut simplement relever qu'elle aboutit à des attentes très différentes de celles d'un pays comme l'Allemagne, qui demande aux plateformes de rendre même des arbitrages subtils, en leur laissant simplement davantage de temps pour se prononcer.

[20] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 4.

[21] Ibid, art. 5 et 6.

[22]Selon une jurisprudence bien connue, « joue un rôle actif à l'égard des contenus le prestataire qui « prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci » : CJUE, 12 juillet 2011, aff. C-324/09, L'Oréal SA c/ eBay N° Lexbase : A9865HUW.

[23] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 7.

[24] T. Guiroy, La modération des contenus sur YouTube, conférence du 18 novembre 2022, in cycle La modération et les modérateurs de contenus en ligne, (dir. V. Ndior).

[25] La version anglaise de l'art. 7 pose très logiquement : « Providers of intermediary services shall not be deemed ineligible for the exemptions from liability referred to in Articles 4, 5 and 6 solely because they, in good faith and in a diligent manner, carry out voluntary own-initiative investigations [...] ». La version française, de façon incompréhensible, prétend quasiment l'inverse : « Les fournisseurs de services intermédiaires ne sont pas réputés avoir droit aux exemptions de responsabilité prévues aux articles 4, 5 et 6 du simple fait qu’ils procèdent de leur propre initiative, de bonne foi et avec diligence, à des enquêtes volontaires [...] ».

[26] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 8.

[27] Ibid, art. 9.

[28] Ibid, 52, 3.

[29] Ibid, 10.

[30]Le considérant 34 précise cependant : « Le présent règlement devrait toutefois s’entendre sans préjudice du droit de l’Union dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile ou pénale, y compris le règlement (UE) n° 1215/2012 et un règlement relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale, et du droit de la procédure pénale ou du droit de la procédure civile national. Par conséquent, lorsque ces législations prévoient, dans le cadre de procédures pénales ou civiles, des conditions supplémentaires à celles prévues dans le présent règlement ou incompatibles avec celles-ci en ce qui concerne les injonctions d’agir contre des contenus illicites ou de fournir des informations, les conditions prévues dans le présent règlement pourraient ne pas s’appliquer ou être adaptées ».

[31] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 11.

[32] Ibid, art. 12. L'affirmation selon laquelle les moyens de communication « ne s'appuient pas uniquement sur des outils automatisés » ne nous apparaît pas limpide.

[33] La dépêche de Reuters annonçant ce mouvement datait du 6 août 2020 [en ligne].

[34] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 13, 1.

[35] Ibid. art. 13, 3.

[36] Ibid. art. 14, 1.

[37]P. Signoret, Censure de L'Origine du monde : une faute de Facebook reconnue, mais pas sur le fond, Le Monde, 15 mars 2018 [en ligne] ; E. Scappaticci, Facebook censure une campagne contre le cancer du sein », Le Figaro, 28 septembre 2016 [en ligne].

[38] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 14,5.

[39] Ibid. art. 14, 6.

[40] Ibid. art. 15.

[41] Ibid. art. 16.

[42] Ibid. art. 17.

[43] V. par ex. New York Times, What is Shadow Banning ? [en ligne].

[44] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 18.

[45] Ibid, art. 3, i).

[46] Ibid, art. 20.

[47] Il nous semble qu'un tel résultat peut déjà être obtenu, avant l'entrée en application du DSA, par le jeu de l'article 22 du Règlement général sur la protection des données.

[48] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 21.

[49] Ibid, art. 22.

[50] Google, À propos du programme YouTube Trusted Flagger [en ligne].

[51] Le Conseil constitutionnel a ainsi décidé que : « En quatrième lieu, s'il résulte des travaux parlementaires que le législateur a entendu prévoir au dernier alinéa du paragraphe I du nouvel article 6-2 une cause exonératoire de responsabilité pour les opérateurs de plateforme en ligne, celle-ci, selon laquelle « Le caractère intentionnel de l'infraction … peut résulter de l'absence d'examen proportionné et nécessaire du contenu notifié » n'est pas rédigée en des termes permettant d'en déterminer la portée. Aucune autre cause d'exonération de responsabilité spécifique n'est prévue, tenant par exemple à une multiplicité de signalements dans un même temps » (souligné par nous) : Const. const., décision n° 2020-801 DC, du 18 juin 2020.

[52] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 23.

[53] Ibid, art. 24.

[54] Ibid. 3, j).

[55] Ibid. 25.

[56] Comité européen de la protection des données, Guidelines 03/2022 on deceptive design patterns in social media platform interfaces: how to recognise and avoid them, février 2023.

[57] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 26.

[58] Directive précitée 2000/31/CE, art. 6, b).

[59] Proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, adoptée par l'Assemblée nationale le 30 mars 2023, spéc. art. 2C, I : « La promotion de biens, de services ou d’une cause quelconque réalisée par les personnes mentionnées à l’article 1er doit être explicitement indiquée par une mention claire, lisible et identifiable sur l’image ou la vidéo, sous tous les formats, durant l’intégralité de la promotion » [en ligne].

[60] L'article 9 du RGPD N° Lexbase : L0189K8I prévoyant déjà la prohibition de principe du traitement de ces « données sensibles », la règle du DSA est-elle utile ? Sans doute, car le principe du RGPD souffre des exceptions, notamment en cas de consentement de la personne concernée. En matière de publicité ciblée sur les plateformes, ni cette exception, ni aucune autre ne pourra être invoquée.

[61] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art.  27.

[62] V., parmi les premiers : EE. Pariser, The filter bubble : how the new personalized web is changing what we read and how we think, Penguin books, 2012.

[63] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 3, s).

[64] Ibid, art. 28.

[65] Sur cette difficile question, qui s'est d'abord posée en matière de consultation de sites pornographiques, mais qui va s'étendre à bien d'autres secteurs, lire notamment CNIL, Vérification de l’âge en ligne : trouver l’équilibre entre protection des mineurs et respect de la vie privée, 26 juillet 2022 [en ligne], spéc. in fine : « Les travaux exploratoires de la CNIL sur un système de vérification de l’âge respectueux de la vie privée ».

[66] Sur cette question, V. not les approches complémentaires de CJUE, 20 décembre 2017, aff. C-434/15, Asociación Profesional Elite Taxi c/ Uber Systems Spain SL N° Lexbase : A2531W8A et de Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A95123GE.

[67] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 30.

[68] Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne N° Lexbase : L0119LRT.

[69] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 33, qui est en réalité sobrement baptisé « Très grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche en ligne ».

[70] Ibid, art. 34.

[71] Ibid, art. 35.

[72] Ibid, art. 36.

[73] Ibid, art. 37.

[74] Ibid, art.  38.

[75] Ibid, art. 39.

[76] Dans ce dernier cas, cependant, des contre-mesures sont évidemment à craindre, comme l'utilisation de sociétés-écrans.

[77] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 40.

[78] Cons. 96. Souligné par nous.

[79] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 40, 2.

[80] Ibid, art. 41.

[81] Comp. RGPD, art. 37 et s.

[82] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 42, 2.

[83] Ibid, art. 42, 1.

[84] Ibid, art. 42, 4.

[85] Ibid, art. 43.

[86] Ibid, art. 51, 3, b) : « lorsque le coordinateur pour les services numériques considère qu’un fournisseur de services intermédiaires n’a pas suffisamment respecté les exigences visées au point a), qu’il n’a pas été remédié à l’infraction ou que l’infraction se poursuit et qu’elle entraîne un préjudice grave, et que cette infraction constitue une infraction pénale impliquant une menace pour la vie ou la sécurité des personnes, demander à l’autorité judiciaire compétente de son État membre d’ordonner une restriction temporaire de l’accès des destinataires au service concerné par l’infraction ou, uniquement lorsque cela n’est pas techniquement réalisable, à l’interface en ligne du fournisseur de services intermédiaires sur laquelle se produit l’infraction ».

[87] Ibid, art. 58, 2 : « Chaque autorité de contrôle dispose du pouvoir d'adopter toutes les mesures correctrices suivantes: […]  imposer une limitation temporaire ou définitive, y compris une interdiction, du traitement ».

[88] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 52. Comp. RGPD, art. 83, 5.

[89] RGPD, art. 56.

[90] Règlement n° 2022/2065, du 19 octobre 2022, art. 56, 2 du DSA.

[91] Ibid, art. 59, 3 : si le CSN national n'est pas à la hauteur, le Comité européen des services numériques peut saisir la Commission. Celle-ci peut demander au CSN « de réexaminer la question » et celui-ci doit ...« en tenir le plus grand compte ».

[92] Pour un point de vue sceptique : S. Vergnolle, Enforcment of the DSA and the DMA, Verfassungsblog, 3 septembre 2021 [en ligne].

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Outre-mer

[Questions à...] Quelle juridiction administrative compétente pour contrôler le refus d’abroger une « loi du pays » de la Polynésie française ? – Questions à Charles Froger, Maître de conférences en droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 7 avril 2023, n° 468496, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A29989ND

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Le 26 Juillet 2023

Mots clés : « loi du pays » • Polynésie française • refus d'abrogation • compétence juridictionnelle • actes administratifs

Dans une décision rendue le 7 avril 2023, la Haute juridiction administrative a dit pour droit qu'une « loi du pays » a le caractère d’acte administratif et que par conséquent l'autorité compétente, saisie d'une demande en ce sens, doit abroger ou réformer une disposition illégale d'une telle « loi ». Pour revenir sur cet arrêt qui tranche la question du régime contentieux du refus d'abroger une telle disposition présentée pour la première fois devant les juges du Palais-Royal, Lexbase Public a interrogé Charles Froger, Maître de conférences en droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les caractéristiques principales des « lois du pays » ?

Charles Froger : La Polynésie française est celle des collectivités d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution N° Lexbase : L1344A9N bénéficiant de la plus grande autonomie juridique. Son organisation institutionnelle repose sur la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, relative au statut d’autonomie de la Polynésie française N° Lexbase : L1574DPY (LOPF), qui réalise un transfert de compétences accru au profit des institutions locales. Disposant d’une compétence de droit commun, la Polynésie française intervient dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l’État ou aux communes de cet outre-mer par le statut (LOPF, art. 13). Pour sa mise en œuvre, l’assemblée de la Polynésie française dispose d’un double pouvoir normatif. À l’initiative de ses membres ou à celle du conseil des ministres de la Polynésie française, elle peut adopter des délibérations réglementaires (LOPF, art. 102) et des « lois du pays », suivant une procédure spécifique pour les secondes. Les « lois du pays » sont les actes qui, relevant du domaine de la loi au sens de l’article 34 de la Constitution, « soit ressortissent à la compétence de la Polynésie française (…), soit sont pris au titre de la participation de la Polynésie française à l’exercice des compétences de l’État (…) » (LOPF, art. 140).

Dans l’arrêt du 7 avril 2023, le Conseil d’État rappelle que ces normes locales, contrairement à ce que laisse entendre leur nom, restent des actes administratifs à valeur réglementaire [1]. Il en tire les conséquences en appliquant la jurisprudence « Alitalia » [2] qui impose l’abrogation ou à la réformation d’une disposition illégale d’une telle « loi du pays », que cette illégalité existe dès l’origine ou survienne en raison de changements de circonstances. Partant, « le refus du président de la Polynésie française d’inscrire à l’ordre du jour du conseil des ministres un projet d’acte tendant à abroger ou réformer une disposition illégale d’une ‘loi du pays’ peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif ». Ce faisant, le juge administratif réaffirme implicitement que les rapports entre les institutions polynésiennes, malgré l’autonomie du territoire, ne font pas naître d’actes de Gouvernement [3].

Lexbase : Quels sont ses modes de contestation possibles ?

Charles Froger : Bien qu’elles soient des règlements, les « lois du pays » ont un régime contentieux spécifique qui appartient pour l’essentiel au Conseil d’État (Constitution, art. 74 ; LOPF, art. 176 à 180-5), inspiré pour partie du contentieux de la loi nationale dévolu au Conseil constitutionnel. Pour le comprendre, il faut distinguer le recours par voie d’action de celui fondé sur l’exception d’illégalité.

La contestation par voie d’action d’une « loi du pays » relève de la seule compétence du Conseil d’État. À l’expiration d’un délai de huit jours après l’adoption du texte, et sauf demande de nouvelle lecture par le conseil des ministres ou le haut-commissaire, le juge administratif suprême peut d’abord être saisi a priori, dans un délai de quinze jours, par des autorités politiques, à savoir le haut-commissaire de la République, le président de la Polynésie française, le président de l’assemblée de la Polynésie française ou six représentants à l’assemblée de la Polynésie française (LOPF, art. 176, I). Parallèlement, à l’expiration du même délai de huit jours, la « loi du pays » est publiée à titre informatif au Journal officiel de la Polynésie française (JOPF). S’ouvre alors un délai d’un mois permettant à tout justiciable, personne physique ou morale ayant intérêt à agir, de saisir a priori le Conseil d’État (art. 176, II, LOPF). Si aucun recours n’est introduit à l’expiration de ce délai d’un mois, le prédisent de la Polynésie française a dix jours pour promulguer l’acte (LOPF, art. 178). Une fois la promulgation réalisée, la « loi du pays » ne peut en principe plus être contestée devant aucune juridiction (LOPF, art. 180), ni directement par voie d’action [4], ni à l’occasion d’un recours contre une « loi du pays » modifiant une précédente « loi du pays » promulguée [5]. Cette irrecevabilité s’étend au référé-suspension [6]. Seul le référé-liberté, même s'il n'a jamais abouti, semble recevable [7].

En cas de saisine, le Conseil d’État statue dans un délai de trois mois par une décision publiée au JORF et au JONC. Bien qu’il s’agisse d’un recours en déclaration d’illégalité, « la procédure contentieuse applicable au contrôle juridictionnel spécifique de ces actes est celle applicable en matière de recours pour excès de pouvoir » (LOPF, art. 176, III). L’examen du recours s’effectue au regard du « bloc de légalité » spécifique dont le contenu est limitativement énuméré par le statut. Il comprend « la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit » (LOPF, art. 176, III). Est donc, par exemple, « inopérant le moyen tiré de ce que la procédure d’adoption de la 'loi du pays' contestée serait irrégulière » [8]. À compter de la publication de la décision au JONC, le président de la Polynésie française a dix jours pour promulguer la loi du pays (LOPF, art. 178). Lorsque l'une des dispositions est déclarée contraire aux normes de contrôle, la promulgation de la « loi du pays » peut, en fonction de son caractère divisible ou non, soit être amputée de la disposition non conforme, soit être totalement empêchée (LOPF, art. 177, I). Cet acte de promulgation peut être contesté de manière autonome devant le Conseil d’État [9], le cas échéant en référé-suspension [10], au motif qu’il méconnaît les exigences de l’article 177 de la LOPF ou qu’il est entaché d’un vice propre. Son irrégularité n’a cependant pas d’incidence sur la légalité des dispositions de la « loi du pays » promulguée.

À titre dérogatoire, une contestation par voie d’action peut être ouverte a posteriori dans plusieurs cas de figure.

En premier lieu, efficacité fiscale oblige, les « lois du pays » relatives aux impôts et taxes (LOPF, art. 180-1 à 180-5) sont soumises à un dispositif allégé. Ces actes sont publiés et promulgués au lendemain de leur adoption et, à compter de cette date, un recours direct en annulation est ouvert, dans un délai de quinze jours, aux autorités politiques et, dans un délai d’un mois, au requérant ordinaire. Le Conseil d’État se prononce alors dans le cadre d’un recours en annulation dans un délai de trois mois, au regard des mêmes normes de référence que celles mobilisées pour contrôler les autres « lois du pays » (LOPF, art. 180-4).

En second lieu, les « loi du pays » promulguées de manière prématurée, pour des raisons d’efficacité administrative, appellent également un aménagement contentieux. Une telle promulgation peut survenir dans deux situations différentes. D’une part, celle-ci est ouverte par l’article 177, I de la LOPF lorsque le Conseil d’État, saisi a priori, ne statue pas dans les trois mois qui lui sont impartis. Le président de la Polynésie française peut promulguer sans attendre le prononcé de l’arrêt (LOPF, art. 177, I). Le juge reste toutefois saisi du recours mais statuera a posteriori dans le cadre d’un recours en annulation. D’autre part, le président peut, de sa propre iniciative, décider ne pas attendre l’expiration du délai d’un mois après publication informative au JOPF ouvrant le recours des requérants ordinaires. Cette deuxième forme de promulgation anticipée est en principe irrégulière, car réalisée en violation des délais de procédure. Elle peut toutefois être légale en cas de circonstances exceptionnelles, ainsi que l’a montré la crise de la covid 19 [11]. Au terme d’une jurisprudence systématisée à l’occasion de ce contentieux sanitaire [12], suivant les conclusions A. Lallet (sur Arianeweb, n°440764), le recours par voie d’action est alors ouvert a posteriori, y compris en référé-suspension [13]. Selon qu’il vise « la loi du pays » elle-même, son acte de promulgation ou les deux, trois solutions juridictionnelles sont susceptibles d’émerger :

a) « Si le Conseil d’État est saisi d’un recours dirigé seulement contre l’acte de promulgation, lequel peut être contesté au motif qu’il méconnait les exigences qui découlent de l’article 177 de la loi organique ou qu’il est entaché d’un vice propre, et si le Conseil d’État prononce l’annulation de cet acte, la 'loi du pays' cesse d’être exécutoire et la publication qui a été faite de la 'loi du pays' promulguée vaut publication pour information, ouvrant le délai de recours par voie d’action prévu par les de l’article 176 de la loi organique ». Il s’agit alors d’un recours en déclaration d’illégalité.

b) « Si, le Conseil d’État est simultanément saisi de conclusions dirigées contre l’acte de promulgation et contre la 'loi du pays' promulguée et s’il annule l’acte de promulgation, le recours dirigé contre la 'loi du pays' est alors regardé comme un recours tendant à déclarer non conforme au bloc de légalité défini au III de l’article 176 de la loi organique la délibération adoptée par l’assemblée de la Polynésie française. S’il rejette les conclusions dirigées contre l’acte de promulgation, le recours dirigé contre la 'loi du pays' présente le caractère d’un recours en annulation ».

c) « Enfin, si le Conseil d’État n’est saisi, dans le délai d’un mois suivant la publication de la 'loi du pays' prématurément promulguée, que d’un recours par voie d’action contre la 'loi du pays', ce recours présente le caractère d’un recours en annulation. Il appartient alors au Conseil d’État d’annuler les dispositions de la 'loi du pays' qu’il juge contraires au bloc de légalité voire, si ces dispositions ne sont pas séparables des autres dispositions de l’acte, d’en prononcer l’annulation totale ».

Hormis ces cas particuliers, une fois entrée en vigueur, la « loi du pays » est en tout état de cause susceptible d’être contestée a posteriori par la voie de l’exception d’illégalité. Afin d’unifier le contentieux, le contrôle échoit de nouveau au Conseil d’État grâce à l’existence d’une question préjudicielle spécifique (LOPF, art. 179). Ainsi, « lorsque, à l’occasion d’un litige devant une juridiction, une partie invoque par un moyen sérieux la contrariété d’un acte prévu à l’article 140 dénommé 'loi du pays' avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux, ou les principes généraux du droit, et que cette question commande l’issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites, la juridiction transmet sans délai la question au Conseil d’État, par une décision qui n'est pas susceptible de recours » (LOPF, art. 179). Cette juridiction (généralement le tribunal administratif de la Polynésie française ou la cour administrative d’appel de Paris, voire les juridictions répressives) joue donc un rôle de filtre. La décision de refus de transmettre n'est pas susceptible de recours distinct de la décision tranchant le litige au fond. En cas de transmission, la juridiction de renvoi sursoit à statuer sauf dans les cas où la loi lui impartit, en raison de l’urgence, un délai pour statuer. Elle peut dans tous les cas prendre les mesures d’urgence ou conservatoires nécessaires.

Lexbase : Comment détermine-t-on la compétence concernant l’examen d’une demande d’abrogation d’une telle loi ? Quel est l’apport principal de l’arrêt en la matière ?

Charles Froger : L’arrêt « Société Pacific Mobile Telecom » du 7 avril 2023 tranche la question inédite de la compétence juridictionnelle pour connaitre du recours en annulation exercé contre le refus d’abroger une « loi du pays ». En l’espèce, la société de télécommunication contestait une « loi du pays » du 27 décembre 2018 modifiant les dispositions d’une « loi du pays » antérieure relative aux délégations de service public qui soustrait ces contrats administratifs à l’ensemble du cadre réglementaire normalement applicable lorsqu’ils sont attribués par les établissements publics à leurs filiales. N’ayant pas attaqué cette « loi du pays » par voie d’action, la société a demandé au président de la Polynésie française d’inscrire à l’ordre du jour du conseil des ministres l’adoption d’un projet de « loi du pays » abrogeant les dispositions contestées, car contraires au principe constitutionnel d’égalité [14]. Cette demande a fait l’objet d’un refus implicite que la société a déféré au tribunal administratif de la Polynésie française.

Saisi d’un doute sur sa compétence, le juge du fond a transmis au Conseil d’État pour règlement de la question de compétence (CJA, art. R. 351-2 N° Lexbase : L2020K9P), lequel a finalement retenu la compétence du tribunal administratif. Deux solutions étaient envisageables. La première consistait à retenir la compétence du Conseil d’État pour tout recours direct concernant les « lois du pays », y compris lorsqu’est contesté un acte individuel de refus d’abrogation. La seconde solution consistait, au contraire, à interpréter strictement le champ des recours juridictionnels spécifiques qui relèvent en premier et dernier ressort de la Haute juridiction. Pour le rapporteur public Laurent Domingo (concl. sur Arianeweb), la première solution créait « un bloc de compétence, qui aurait les vertus, qui ne sont pas des moindres en matière juridictionnelle, de la cohérence, de la simplicité et de la rapidité ». Il optait cependant pour la seconde branche de l’option, plus respectueuse du texte de la LOPF. Elle présentait en effet les mêmes atouts que la première. Elle est également simple et cohérente d’abord. Le refus d’abroger, demeurant l’objet principal du litige, peut en effet être affecté de vices propres. En outre, sa contestation s’insère aisément dans le mécanisme préjudiciel de l’article 179 de la LOPF. Si l’appréciation de sa légalité nécessite de vérifier préalablement la légalité de « la loi du pays », le tribunal administratif saisira le Conseil d’État, tout en retenant les questions manifestement infondées. La procédure reste ensuite rapide au regard des délais de jugement très brefs du juge administratif polynésien (entre trois et six mois), couplés à la diligence de la Haute juridiction éventuellement saisie par voie préjudicielle. Dans un contentieux des « lois du pays » complexe par nature, ces arguments ont emporté la conviction du Conseil d’État. Ce dernier a finalement et assez logiquement privilégié la répartition normale des compétences au sein de l’ordre juridictionnel administratif à sa compétence dérogatoire en premier et dernier ressort.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] Elles ne doivent ainsi pas être confondues avec les lois du pays calédoniennes, lesquelles ont valeur législative (Cons. const., décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 N° Lexbase : A8775ACY).

[2] CE, ass., 3 février 1989, n° 74052, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0651AQ8.

[3] Alors que le refus du Premier ministre de présenter un projet de loi prévu par une loi antérieure est insusceptible de recours (CE, 29 novembre 1968, n° 68938, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0111B9Y).

[4] CE, 7 novembre 2018, n° 420284, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6421YKZ.

[5] CE, 13 mars 2019, n° 426435, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6925Y3U.

[6] CE, référé, 12 oct. 2021, n° 456936, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A28057A7 : « En tout état de cause, l’introduction d’une demande d’annulation, à laquelle la recevabilité de la demande de suspension est subordonnée, n’étant elle-même possible que dans les cas prévus par la loi organique, c’est à dire à un moment où, non encore promulguée, la loi du pays ne peut de ce fait être susceptible de créer une situation d’urgence au sens des articles L. 521-1 du Code de justice administrative, faute d’être entrée en vigueur ».

[7] CE, référé, 4 janvier 2017, n° 406452, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0701S8H.

[8] CE, 2 octobre 2020, n° 441297, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A72363WW.

[9] CE, 22 mars 2006, n° 288490, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7838DNM ; CE, 22 janvier 2007, n° 291760, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7119DTT.

[10] CE, référé, 12 octobre 2021, n° 456936, préc.

[11] CE, 22 juillet 2020, n° 440764, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A62663RI, concernant la « loi du pays » relative à la prévention et la gestion des menaces sanitaires graves et des situations d’urgence ; CE, 10 décembre 2021, n° 456004, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A28707HR, concernant la « loi du pays » relative à la vaccination obligatoire contre la covid-19.

[12] CE, 22 juillet 2020, n° 440764, préc.

[13] CE, référé, 12 octobre 2021, n° 456936, préc.

[14] Voir Cons. const., décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 N° Lexbase : A8276ACI, cons. n° 47.

newsid:485315

Permis de conduire

[Brèves] Conducteur en infraction : le nombre de points risquant d’être retirés pas forcément communiqué

Réf. : CE, 5° ch., 25 avril 2023, n° 467871, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A26549RQ

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N5265BZZ

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par Yann Le Foll

Le 10 Mai 2023

► Les dispositions du Code de la route n'exigent pas que le conducteur soit informé du nombre exact de points susceptibles de lui être retirés, dès lors que la qualification de l'infraction qui lui est reprochée est dûment portée à sa connaissance.

Faits. Une personne a fait l'objet d'une décision de retrait de quatre points de son permis de conduire. Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris annulant cette décision et lui enjoignant de restituer quatre points à l'intéressé dans un délai de trois mois (TA Paris, 28 juillet 2022, n° 2116656 N° Lexbase : A16688EI).

Position TA. Le tribunal administratif a retenu que le procès-verbal dressé lors de l'infraction ne mentionnait pas le nombre exact des points susceptibles d'être retirés de son permis. Il en a déduit que l'administration n'apportait pas la preuve de la délivrance intégrale de l'information préalable prévue par les articles L. 223-3 N° Lexbase : L0913KLE et R. 223-3 N° Lexbase : L4946LTD du Code de la route.

Décision CE. Après avoir rappelé les dispositions des articles L. 223-3 et R. 223-3 du Code de la route précités, la Haute juridiction estime qu’en adoptant cette position, le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit.

Est donc annulé son jugement en tant qu'il annule la décision de retrait de quatre points consécutive à l'infraction et enjoint au ministre de l'Intérieur et des Outre-mer de restituer ces points à l'intéressé dans un délai de trois mois.

newsid:485265

Procédure pénale

[Brèves] Demande de mise en liberté lors d’un pourvoi en cassation : constitutionnalité de la compétence de la juridiction correctionnelle d’appel

Réf. : Const. const., décision n° 2023-1047 QPC, du 4 mai 2023 N° Lexbase : A77779ST

Lecture: 4 min

N5319BZZ

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par Adélaïde Léon

Le 24 Mai 2023

Selon le Conseil constitutionnel, il ne saurait être considéré qu’un magistrat de chambre des appels correctionnels statuant sur une demande de mise en liberté formée postérieurement à l’arrêt de condamnation aurait préjugé de la nécessité de maintenir le prévenu en détention au seul motif qu’il a siégé au sein de la formation de jugement l’ayant condamné à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt.

Rappel de la procédure. Par arrêt du 21 février 2023 (Cass. crim., 21 février 2023, n° 22-86.673, FS-D N° Lexbase : A63189G4) la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative au troisième alinéa de l’article 148-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1744IPB dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 N° Lexbase : L0618AIQ.

Ces dispositions concernent le cas dans lequel un prévenu est placé ou maintenu en détention provisoire après condamnation par la juridiction d’appel. En cas de pourvoi en cassation la première phrase de l’alinéa susvisé donne compétence à la juridiction correctionnelle d’appel qui a connu en dernier lieu de l’affaire au fond pour statuer sur une demande de mise en liberté.

Motifs de la QPC. Il était reproché aux dispositions en cause de permettre aux magistrats ayant prononcé la condamnation d’un prévenu à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt, de statuer ultérieurement sur sa demande de mise en liberté dans le cas où un pourvoi serait formé contre l’arrêt qu’ils auraient rendu.

Selon le requérant il résulterait de cet état du droit une méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions.

Décision. Le Conseil constitutionnel précise qu’il résulte de l’article 465 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9939IQ8 que lorsque la chambre des appels correctionnels déclare un prévenu coupable et le condamne à une peine d’emprisonnement ferme, elle apprécie la nécessité de décerner un mandat de dépôt au regard des éléments de l’espèce justifiant, au moment où elle se prononce, une mesure particulière de sûreté. En revanche, lorsque la juridiction est ensuite saisie d’une demande de mise en liberté, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’objet de la saisine est limité à la seule question de la nécessité de maintenir le prévenu en détention provisoire.

Non seulement la juridiction apprécie elle si, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, le maintien en détention constitue l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs de l’article 144 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9485IEZ et que ceux-ci ne pourraient être atteints par son placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, mais également, pour apprécier si le maintien en détention est toujours justifié, la juridiction prend en compte les éléments de droit et de fait au jour où elle statue.

Les magistrats saisis d’une demande de mise en liberté formée postérieurement à l’arrêt de condamnation apprécient la nécessité du maintien en détention au regard de critères, d’éléments de droit et de fait différents de ceux qui l’ont déterminée lors de la condamnation.

Selon le Conseil constitutionnel, il ne saurait donc être considéré qu’un magistrat statuant sur une telle demande aurait préjugé de la nécessité de maintenir le prévenu en détention au seul motif qu’il a siégé au sein de la formation de jugement l’ayant condamné à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt.

Au regard de ces constatations, les Sages déclarent la première phrase du troisième alinéa de l’article 148-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516, du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, conforme à la Constitution.

newsid:485319

Procédure prud'homale

[Le point sur...] Le renouveau du jeu des présomptions en droit du travail

Lecture: 17 min

N5353BZB

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par Laurence Fin-Langer, Professeur agrégé, Université de Caen Normandie, ICREJ

Le 10 Mai 2023

Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « La preuve en droit du travail : évolutions et nouveautés » et publié dans l’édition n° 945 du 11 mai 2023 de la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N5361BZL.


Mots-clés :  droit du travail • présomptions • préjudice nécessaire

Les présomptions existent en droit du travail depuis longtemps et elles ont été mises en place par la loi ou la jurisprudence pour aider le salarié dans sa démarche probatoire. Depuis une quinzaine d’années, certaines ont été abandonnées, car elles confinaient à des fictions ou permettaient au salarié d’obtenir une indemnisation automatique. Par ailleurs, d’autres ont vu le jour, cette fois-ci au profit de l’employeur, notamment pour sécuriser certaines de ses mesures.


Derrière le mot de présomption se cachent plusieurs mécanismes. Il peut s’agir tout d’abord des présomptions « judiciaires » ou du fait de l’homme, qui permettent au juge, à partir de faits connus, de former sa conviction, grâce à des indices graves, précis et concordants, soumis à son appréciation souveraine [1]. Il s’agit d’un mode de preuve, utilisé dans le cadre d’un litige individuel, sans portée normative. Ensuite, il existe les présomptions légales : le législateur part de ce qui est le plus vraisemblable, pour en tirer une conclusion et éviter à la partie qui s’en prévaut d’en rapporter la preuve [2]. Ce mécanisme repose sur l’apparence et l’adage « plerum que fit ». Elle sera qualifiée de simple si la preuve contraire est possible, de mixte si elle est limitée et d’irréfragable si elle est impossible. En principe, il n’y a pas de présomption sans texte [3]. Des présomptions « jurisprudentielles » ou « quasi légales » [4] sont cependant posées par le juge, qui généralise alors une présomption du fait de l’homme et lui donne une portée normative. La finalité de ces présomptions légales ou jurisprudentielles est avant tout probatoire [5]. Elles peuvent déplacer l’objet de la preuve, pour venir en aide au demandeur en raison des difficultés à établir le fait. De ce fait connu établi par le demandeur, en est déduite l’existence d’un fait inconnu qui n’a pas à être établi, comme l’illustre parfaitement la présomption de paternité [6]. Mais parfois, il s’agit d’une véritable inversion de la charge de la preuve, comme celle de bonne foi [7]. Celui qui l’invoque n’a aucun autre élément factuel qui permettrait de la déduire. Mais est-ce encore une présomption, puisqu’elle ne permet pas de partir de faits connus pour en déduire un fait inconnu ? Au-delà de sa finalité probatoire, le législateur pose alors un postulat qui peut reposer sur une normalité attendue et qui peut s’assimiler à une règle de fond, même si les deux ne devraient pas être confondues [8]. Certains les nomment « présomption antéjudiciaires » [9] ou « présomptions-postulats » [10]. En raison de leur caractère irréfragable, elles confinent parfois à la fiction, lorsque la règle posée n’est pas ou n’est plus vraisemblable [11].

Le droit du travail connaît l’ensemble de ces présomptions. Ainsi, l’existence d’un lien de subordination et donc celle du contrat de travail est parfois présumée, le salarié se contentant d’établir des éléments factuels plus simples, comme pour les journalistes, les artistes ou les mannequins [12]. Le projet de Directive concernant les travailleurs des plateformes du 9 décembre 2021 irait également dans ce sens. Il s’agit d’aider le salarié, qui supporte en principe la charge de la preuve étant le plus souvent demandeur. En matière de santé, la faute inexcusable est présumée en cas d’accident du travail dont est victime un salarié embauché en CDD et affecté à des postes présentant des dangers particuliers dès lors qu’il n’a pas été formé [13]. À noter également la présomption d’imputabilité des accidents du travail, dès lors qu’il se produit sur le lieu de travail ou à l’occasion du travail [14], étendue au télétravail en 2017 [15] ou la triple présomption de faute de l’employeur, de préjudice d’anxiété et d’exposition à l’amiante pour les salariés travaillant dans un établissement listé par les services de l’État [16] ou bien celles relatives aux maladies professionnelles grâce au système des tableaux inscrits dans le Code de la Sécurité sociale [17]. Au-delà de la finalité probatoire, ces différentes présomptions se justifient par la volonté de favoriser l’indemnisation du salarié, victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. D’autres visent à sanctionner l’employeur en cas de non-respect de certaines obligations notamment de forme. Ainsi, un contrat à temps partiel qui ne respecterait pas les mentions impératives est présumé être à temps complet [18]. Un contrat à durée déterminée est également présumé être à durée indéterminée en cas de non-respect des conditions de validité, présomption irréfragable pour l’employeur, mais simple pour le salarié [19].

On assiste aujourd’hui à un renouveau du jeu des présomptions en droit du travail. Certaines ont été abandonnées (I.) ; d’autres ont vu le jour, au profit notamment de l’employeur (II.). Nous essaierons d’en expliquer les raisons.

I. Abandon d’anciennes présomptions

Certaines pourtant anciennes ont été abandonnées, car elles sont devenues des fictions (A.) ou un moyen d’indemniser automatiquement le salarié (B.).

A. Abandon de présomptions devenues synonymes de fiction

Pour qu’une présomption devienne une fiction, il faut qu’elle pose de manière irréfragable un postulat, qui ne correspond pas ou plus à la réalité. Plusieurs exemples témoignent de cette volonté de supprimer un certain nombre de fictions.

Le premier concerne l’abandon par la loi du 20 août 2008 de la présomption irréfragable de représentativité au profit des syndicats inscrits sur une liste fixée par un arrêté de 1966 difficile à modifier [20]. Si cette liste correspondait à la réalité du paysage syndical à cette époque, elle pouvait aboutir à une fiction, au niveau notamment des entreprises et à une rupture d’égalité avec les autres syndicats qui devaient établir leur représentativité. À la suite d’une position commune du 9 avril 2008, la loi du 20 août 2008 N° Lexbase : L7392IAZ abandonne la présomption irréfragable contestée, tous les syndicats devant établir 7 critères cumulatifs [21]. Des présomptions jurisprudentielles relatives à certains d’entre eux ont été posées, en raison des difficultés de preuve, mais aussi d’une forte probabilité de leur existence. Sont ainsi présumés l’indépendance [22], le respect des valeurs républicaines [23] ou la transparence financière en cas de respect des obligations comptables [24]. Le deuxième exemple concerne la lettre de licenciement : faute de mentionner ou de préciser la cause réelle et sérieuse, le licenciement était présumé de manière irréfragable sans cause réelle et sérieuse[25], alors même qu’elle pouvait exister. Dans ce cas, elle devenait alors synonyme de fiction, la réalité ne correspondant plus à la règle posée. Voulant écarter le risque judiciaire très fréquent, présenté comme un obstacle au recrutement, une des ordonnances du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN a mis un terme à cette jurisprudence. Désormais, la lettre de licenciement pourra être précisée à la demande de chaque partie selon les modalités de l’article R. 1233-13 du Code du travail N° Lexbase : L1096H9H. Ce droit n’a pas à être rappelé par l’employeur dans la notification du licenciement [26]. Si le salarié ne formule pas une telle demande, l’insuffisance de motivation ne suffit plus désormais pour priver le licenciement de cause réelle et sérieuse [27].

Par ailleurs, certaines présomptions ont été modifiées pour éviter qu’elles ne deviennent des fictions. Ainsi, la mention sur le bulletin de paie d’une convention collective applicable était considérée comme une présomption irréfragable de la volonté de l’employeur d’appliquer une convention collective autre que celle normalement applicable [28], ce qui offrait aux salariés le droit d’invoquer les dispositions les plus favorables [29]. Cette volonté présumée de manière irréfragable pouvait aboutir à une fiction, d’autres raisons, comme une erreur, pouvant expliquer cette mention. En 2007, la Cour de cassation, sur le fondement du droit communautaire, a transformé cette présomption irréfragable en présomption simple [30]. Le salarié bénéficie donc toujours d’un aménagement de l’objet de la preuve, puisqu’il lui suffit d’apporter la preuve de cette mention dans le contrat de travail, mais elle n’est plus synonyme de fiction.

À côté de cette première raison, d’autres présomptions ont été abandonnées pour éviter qu’elles ne deviennent des mécanismes d’indemnisation automatique du salarié, alors que l’employeur a agi de manière responsable.

B. Abandon de présomptions devenues synonymes de garantie d’indemnisation pour le salarié

Selon la Cour de cassation, l’inexécution d’une obligation à la charge de l’employeur entraîne nécessairement un préjudice pour le salarié [31]. Cette règle dite du préjudice nécessaire a pour objectif d’indemniser plus facilement le salarié, mais également de sanctionner quasiment automatiquement un comportement, en aménagement le fardeau probatoire du salarié demandeur. Du manquement prouvé par le salarié, le juge en a déduit une présomption jurisprudentielle de préjudice [32], irréfragable, puisque l’employeur ne pouvait établir l’absence de préjudice pour ne pas être condamné. Cette solution jurisprudentielle a cependant été remise en cause par une série d’arrêts qui obligent, conformément au droit commun, le salarié à établir son préjudice pour obtenir réparation [33]. Ce contentieux est aujourd’hui fluctuant, puisque dans certaines hypothèses cette présomption de l’existence d’un préjudice continue d’exister, les formulations variant [34]. Ainsi, causent toujours nécessairement un préjudice au salarié le licenciement sans cause réelle et sérieuse [35], ou l’absence de mise en place des instances représentatives du personnel [36] ou le non-respect des durées maximales de travail et des temps de repos [37] ou l’atteinte à la vie privée du salarié [38] ou l’absence d’information de son droit individuel à la formation [39]. Il est parfois difficile d’en délimiter les contours, car la Cour de cassation ne justifie pas toujours ce reflux. Faut-il retenir un fondement textuel explicite ? Ou un manquement à une obligation essentielle ? Ou une atteinte à un droit fondamental [40] ? Cette évolution risque d’amoindrir la fonction normative (préventive, prescriptive et sanctionnatrice) de la règle de droit, certaines obligations de l’employeur pouvant ne plus être sanctionnées [41].

Allant plus loin dans le raisonnement, la Cour de cassation avait érigé l’obligation de sécurité de l’employeur en obligation de résultat [42], dispensant ainsi le salarié d’apporter la preuve d’une faute de l’employeur. Le salarié bénéficiait ainsi d’une triple présomption : celle de l’accident du travail dès lors qu’il avait lieu sur le temps de travail et le lieu de travail, accident présumant alors un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, présumant enfin le préjudice. Il s’agissait d’une présomption irréfragable de faute [43], la seule cause d’exonération étant la cause étrangère, la force majeure [44]. L’obligation de sécurité a été détournée de sa finalité [45] et cette position a fait l’objet de critiques justifiées [46]. Désormais, cette obligation a perdu son fondement contractuel et n’est plus qualifiée de résultat [47]. Les évolutions en droit de la sécurité sociale améliorant l’indemnisation des victimes d’accident du travail [48] rendent inutile cette instrumentalisation de l’obligation de sécurité, désormais appelée obligation de prévention des risques professionnels. L’employeur n’est responsable que s’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour éviter le danger. Le volet préventif de la responsabilité retrouve sa place, indispensable pour rendre effective non pas l’indemnisation, mais la protection de la santé et de la sécurité [49]. Le salarié bénéficie toujours d’une présomption simple de manquement de l’employeur à cette obligation dès lors qu’un accident du travail se produit ou que le risque pour la santé du salarié existe en raison de l’exposition à une substance nocive [50], l’objet de la preuve étant décalé [51].

Ce premier mouvement s’accompagne d’un second : l’émergence de nouvelles présomptions.

II. Émergence de nouvelles présomptions

De nouvelles présomptions ont été mises en place par le législateur ces dernières années pour garantir une meilleure sécurité juridique (A.), mais aussi parfois pour décharger l’employeur de ses obligations (B.).

A. Mise en place de présomptions synonymes de sécurité juridique

Ainsi, le nouvel article L. 2262-13 du Code du travail N° Lexbase : L7757LGE, résultant d’une des ordonnances du 22 septembre 2017, présume que les accords collectifs, quel que soit leur niveau, sont négociés et conclus conformément à la loi. Il s’agit d’une présomption simple de validité des accords pour en garantir la sécurité juridique, qui renverse la charge de la preuve : celui qui la conteste doit apporter la preuve contraire. Il étend la présomption de validité qui avait été posée par la Cour de cassation au regard de l’exigence de l’égalité de traitement [52] : les différences de traitement prévues par un accord collectif étaient présumées justifiées. À la lecture de ce texte, cette présomption vaut aussi bien pour les conditions de négociation de l’accord que pour son contenu au regard à la fois des accords de branche et de la loi. Cependant la Cour de cassation semble en limiter la portée : les stipulations d’un accord collectif qui instaurent une différence de traitement ne peuvent plus être présumées justifiées au regard du principe de non-discrimination. Dans un premier temps, elle a estimé que cela était contraire au droit de l’Union [53]. Dans un second temps, elle n’a plus fait référence au droit communautaire [54]. Cette présomption de légalité est un gage de sécurité juridique pour l’employeur, mais aussi pour l’ensemble du système juridique [55], les accords collectifs étant devenus une source du droit non négligeable.

Certaines présomptions n’offrent une sécurité juridique que pour l’employeur. Ainsi, la loi « Travail » du 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C présume le respect par l’employeur de son obligation de reclassement en cas d’inaptitude lorsqu’il a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2 N° Lexbase : L1006H97, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail [56]. Encore faut-il qu’il ait proposé loyalement un poste de reclassement [57]. Il revient alors au salarié d’apporter la preuve que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation préalable. Cette règle vise à limiter le contentieux en responsabilité à l’encontre de l’employeur, au nom d’une meilleure sécurité juridique. De même, cette loi a défini le motif économique pour sécuriser la rupture du contrat de travail. Désormais, les difficultés économiques sont caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. La baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires [58] est définie par un nombre de trimestres successifs, variant en fonction de la taille de l’entreprise [59]. Pour certains auteurs, il s’agit d’une véritable présomption irréfragable par nature [60], supprimant tout pouvoir d’appréciation du juge, dès lors que le nombre de trimestres requis consécutifs est atteint [61]. Cette lecture peut porter atteinte au droit d’agir en justice du salarié, d’autant, que l’amplitude de cette baisse n’est pas prise en compte. La Cour a également posé des présomptions en matière de fichier professionnel [62] ou d’objet connecté à un ordinateur portable fourni par l’employeur [63]. Ces présomptions simples [64] permettent ainsi à l’employeur d’accéder aux documents y figurant, sans risque d’un recours pour atteinte à la vie privée, faute pour le salarié de les avoir qualifiés expressément de personnel. Cette présomption jurisprudentielle, conforme à la Convention européenne de droits de l’homme [65], a été qualifiée comme étant de bon sens [66]. Cependant, le bon sens, mais aussi la probabilité sur laquelle elle repose, pourraient conduire à une conclusion inverse : étant la propriété du salarié, on aurait pu présumer que les fichiers étaient personnels, malgré la connexion. À l’heure où se développent les objets connectés par une connexion Bluetooth, cette solution interroge.

D’autres présomptions ont également vu le jour, allant au-delà de la volonté de sécuriser certaines mesures de l’employeur, mais permettant de le décharger d’un certain nombre d’obligations.

B. Mise en place de présomptions synonymes de dispense pour l’employeur

Les premières présomptions issues des ordonnances du 22 septembre 2017 permettent de décharger l’employeur de plusieurs obligations de motivation. Ainsi, l’article L. 3122-15 in fine sécurise le recours au travail de nuit en créant une présomption simple[67] de légalité des raisons invoquées par l’accord pour justifier son recours. De même, l’article L. 2254-2 permet à l’employeur de licencier un salarié qui refuserait d’appliquer les mesures prévues dans un accord de performance collective, sans à avoir à justifier d’une cause réelle et sérieuse, exigence pourtant importante depuis 1973 [68]. « Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse », issu de l’accord collectif. Pour des dispositions antérieures comparables, la Cour a admis la contestation des raisons qui ont conduit à la conclusion de l’accord [69]. Or, cela semble peu probable en l’espèce, puisqu’il est conclu « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi », termes pour le moins très larges.

D’autres présomptions déchargent l’employeur d’obligations différentes. Ainsi, la loi du 21 décembre 2022 instaure une présomption simple de démission pour les salariés qui abandonnent leur poste de travail de manière injustifiée et qui ne répondent pas à une mise en demeure de leur employeur [70]. Les salariés gardent toujours la possibilité de démontrer que leur absence est justifiée et qu’elle ne déguise aucune démission frauduleuse, en saisissant directement le bureau de jugement du Conseil des prud’hommes. Cette présomption est critiquée au regard des règles du droit du travail qui imposent à l’employeur de respecter les règles du licenciement et une volonté non équivoque de démissionner. Au-delà des critiques au fond, cette réforme illustre une tendance relative au jeu des présomptions en droit du travail : elle bénéficie à l’employeur et non plus au salarié. En réalité, elle décharge l’employeur de ses obligations de respecter la procédure disciplinaire, lorsqu’il veut rompre le contrat de ce travailleur qui a abandonné son poste [71].

Ces réformes récentes utilisant les présomptions au profit de l’employeur risquent de se développer. Elles ne visent plus à rétablir l’équilibre de la relation de travail, qui se retrouve dans le procès prud’homal, mais à apporter une plus grande sécurité juridique pour l’employeur.


[1] C. civ., art. 1382 N° Lexbase : L1018KZQ, tel qu’il est issu de l’ordonnance du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, qui a modifié l’ancien article 1349.

[2] C. civ., art. 1354 N° Lexbase : L1012KZI.

[3] D. Guével, J-Cl. civ., Fasc. art. 1354, 2021, n° 46.

[4] D. Guével, op. cit., n° 113.

[5] A.-B. Caire, Les présomptions par-delà l’article 1349 du Code civil, RDT civ., 2015, p. 311, n° 11 et s. : elle utilise l’expression « présomptions-preuves ».

[6] C. civ., art. 312 N° Lexbase : L8883G9U.

[7] C. civ., art. 2274 N° Lexbase : L7227IAW.

[8] D. Guével, op. cit., n° 12. V. pour la distinction : L. Aynès, La percée des présomptions, Dr. et patr., mars 2005, p. 75.

[9] J. Ghestin et a., Traité de droit civil. Introduction générale, LGDJ, Paris, 1994, n° 646, p. 618 et n° 717, p. 699.

[10] A. B. Caire, Les présomptions par-delà l’article 1349 du Code civil, RDT civ., 2015, p. 311, n° 16 et s.

[11] D. Guével, op. cit., n°4.

[12] V. pour un ex. récent : Cass. civ. 2, 12 mai 2021, n° 19-24.610, FS-P N° Lexbase : A52724RP, D., 2021, 1455, note G. Loiseau.

[13] C. trav., art. L. 4154-3 N° Lexbase : L1827IEE.

[14] CSS, art. L. 411-1 N° Lexbase : L5211ADD

[15] C. trav., art. L. 1222-9 N° Lexbase : L2077MA8.

[16] Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 17-26.879, FP-P+B N° Lexbase : A4741ZNW.

[17] E. Jeansen, Le système des tableaux de maladies professionnelles ou la transformation d'une probabilité en présomption, JCP S, 2022, 1009.

[18] Cass. soc., 25 février 2004, n° 01-46.541, publié N° Lexbase : A3753DBM, Bull. civ. V, n° 63 : il s’agit d’une présomption simple.

[19] Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-44.534, publié N° Lexbase : A1220AZ9, Bull. civ. V, n° 235.

[20] V. par ex., demande de l’UNSA rejetée : CE, 5 novembre 2004, TPS 2005, n° 55, DS, 2004, p. 1098.

[21] C. trav., art. L. 2121-1 N° Lexbase : L3727IBN.

[22] Cass. soc., 9 septembre 2016, n° 16-20.575, FS-P+B N° Lexbase : A5101RZX, RDT, 2016, p. 715.

[23] Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7068EIM, JCP S, 2009, 1364 ; Cass. soc., 13 octobre 2010, n° 10-60.130, FS-P+B N° Lexbase : A8744GBH, Droit social, 2011, p. 112.

[24] CE., 1e-4e ch. réunies, 14 novembre 2018, n° 406007, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1648YLM, JCP S, 2019, 1024.

[25] Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, arrêt « Rogié » N° Lexbase : A9329AAR.

[26] Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-22.220, FS-B N° Lexbase : A859378R, JCP S, 2022, 1200, note S. Miara. Lire Y. Leroy, Précision des motifs du licenciement : la grande illusion ?, Droit social, 2022, p. 805 ; J. Mouly, Abandon de la jurisprudence Rogié : l’employeur n’a pas l’obligation d’informer le salarié de son droit de demander que les motifs du licenciement soient précisés, Droit social, 2022, p. 949.

[27] C. trav., art. L. 1235-2 N° Lexbase : L8071LGZ.

[28] Cass. soc., 18 novembre 1998, n° 96-42.991, publié N° Lexbase : A3757ABR, JCP G, 1999, II, 10088, note J.-Ph. Lhernould ; Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 97-44.897, publié N° Lexbase : A8745AHD, Droit social, 2000, p. 921, obs. Y. Frouin.

[29] Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 98-42.949, publié N° Lexbase : A9180AG4, Bull. civ. V, n° 297.

[30] Cass. soc., 15 novembre 2007, n° 06-44.008, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7430DZ9, RDT, 2008, p. 44, note H. Tissandier.

[31] V. par ex. Cass. soc., 19 mai 1998, n° 97-41.814, publié N° Lexbase : A2972AC3, Droit social, 1998, p. 723 et 736 ; Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-41.364, publié N° Lexbase : A0259B7Q, Bull. civ. V, n° 145.

[32] L. Gratton, Le dommage déduit de la faute, RTD civ., 2013, p. 275 : l’auteur y voit une règle de fond plutôt qu’une présomption. Lire aussi B. Bauduin, A. Brousse, Controverse : Un préjudice nécessaire, pour quoi faire ?, RDT, 2022, p. 209 ; H. Gali, La nécessité du préjudice en droit du travail, D., 2022, p. 908.

[33] Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293, FS-P+B+R N° Lexbase : A6796RIK ; Cass. soc., 25 mai 2016, n° 14-20.578, F-P+B N° Lexbase : A0354RRK ; Cass. soc., 17 mai 2016, n° 14-23.138, F-D N° Lexbase : A0829RQR ; Cass. soc., 22 mars 2017, n° 16-12.930, F-D N° Lexbase : A7769ULC. Lire D. Boulmier, La fin du préjudice nécessaire met-elle en danger l’efficacité des sanctions du droit du travail ?, RDT, 2017, p. 374 ; G. Duchange, Le préjudice (social) nécessaire, Bull. Joly Travail, février 2021, p. 64.

[34] Comparer Cass. soc., 12 novembre 2020, n° 19-20.583, F-D N° Lexbase : A526934W et Cass. soc., 15 mai 2019, n° 17-22.224, F-D N° Lexbase : A8537ZBS.

[35] Cass. soc., 13 septembre 2017, n° 16-13.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A4162WRL, RDT, 2017, p. 762. V. J. Mouly, L'abandon de la théorie du dommage nécessaire : l'« exception » du licenciement sans cause réelle et sérieuse, Droit social, 2017, p. 1074.

[36] Cass. soc., 4 novembre 2020, n° 19-12.775, FS-P+B+I N° Lexbase : A518833K, Bull. Joly Travail, décembre 2020, p. 36, note G. François ; JCP S, 2020, 3094, note J.-Y. Kerbourc’h ; Cass. soc., 22 mars 2023, n° 21-21.276, F-D N° Lexbase : A01039LE.

[37] Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20-21.636, FS-B N° Lexbase : A53037KM : la Cour se fonde sur le droit communautaire qui n’exige pas cette preuve.

[38] Cass. soc., 7 novembre 2018, n° 17-16.799, F-D N° Lexbase : A6735YKN ; Cass. soc., 12 novembre 2020, n° 19-20.583, F-D N° Lexbase : A526934W.

[39] Cass. soc., 19 octobre 2016, n° 15-16.390, F-D N° Lexbase : A6639R9R.

[40] J. Icard, Le reflux désordonné du préjudice nécessaire. Brefs propos sur la sanctuarisation circonscrite d'une présomption de préjudice, RDC, décembre 2019, p. 98 et s. V. aussi : H. Gali, La nécessité du préjudice en droit du travail, D., 2022, p. 908.

[41] P. Bailly et D. Boulmier, La fin du préjudice nécessaire met-elle en danger l'efficacité des sanctions en droit du travail ?, RDT, 2017, p. 374.

[42] Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0806AYI ; Cass. soc., 28 février 2002, 4 arrêts, n° 99-21.255,N° Lexbase : A0773AYB, n° 00-11.793 N° Lexbase : A0602AYX, n° 99-18.389 N° Lexbase : A0766AYZ et n° 99-17.201 N° Lexbase : A0761AYT, FP-P+B+R+I, Droit social, 2002, p. 445 ; D., 2007, 3024, pour les maladies professionnelles ; Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4836AYR, Droit social, 2002, p. 445 ; Droit social, 2002, p. 828, pour les accidents du travail.

[43] Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-68.272, FS-P+B N° Lexbase : A8752HYS, RDT, 2012, p. 44.

[44] Cass. soc., 4 avril 2012, n° 11-10.570, FS-P+B N° Lexbase : A1271IIW, Droit social, 2012, p. 646 ; JCP S, 2012, 1330 ; RDT, 2012, p. 709.

[45] G. Vachet, L’obligation de sécurité de résultat, une notion séduisante, mais inappropriée, JCP S, 2016, 1136.

[46] A. Bugada, L'obligation de sécurité pesant sur le chef d'entreprise en matière prud'homale : obligation de moyens ou de résultat, JCP S, 2014, 1450 ; M. Babin, L'obligation de sécurité de résultat, nouvelle approche, JCP S, 2016, 1011.

[47] Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7767NXX, Droit social, 2016, p. 457 ; Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2663RR3, JCP S, 2016, 1220 ; RDT, 2016, p. 869.

[48] Dès lors qu’il existe un accident du travail ou une maladie professionnelle, seul le TASS, aujourd’hui le pôle social des juridictions judiciaires, est compétent (Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11-20.074, FS-P+B+R N° Lexbase : A9450KEQ, JCP S, 2013, 1368 ; Cass. soc., 6 octobre 2015, n° 13-26.052, FS-P+B N° Lexbase : A0549NTI, JCP S, 2016, 1018). Par ailleurs, la réparation doit être intégrale en présence d’une faute inexcusable (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK, JCP S, 2010, 1361).

[49] C. Blanvillain, L’obligation de sécurité de résultat est morte ! Vive l’obligation de sécurité, RDT, 2019, p. 175.

[50] Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 17-24.879 à n° 17-25.623, FP-P+B N° Lexbase : A0748ZNZ, JCP S, 2019, 1282, obs. D. Asquinazi-Bailleux.

[51] Note D. Asquinazi-Bailleux sous Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 18-26.677, FS-P+B+I N° Lexbase : A05523XQ, JCP S, 2020, 3070.

[52] Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3401NA9, JCP S, 2015, 1054 ; RDT, 2015, p. 339 ; Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0807RSP ; Cass. soc., 26 avril 2017, n° 15-23.968, FS-P+B N° Lexbase : A2658WB3 ; Cass. soc., 3 novembre 2016, n° 15-18.444, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9178SEN, RDT 2017, p. 140.

[53] Cass. soc., 3 avril 2019, n° 17-11.970, FP-P N° Lexbase : A0013Y8Y, RDT, 2019, p. 301 et p. 498 ; JCP S, 2019, 1134 et 1135.

[54] Cass. soc., 9 décembre 2020, n° 19-17.395, FS-P+B N° Lexbase : A593139K.

[55] A.B. Caire, Les présomptions au-delà de l’article 1349 du Code civil, RTD civ., 2015, p. 311, n° 21.

[56] C. trav., art. L. 1226-2-1 N° Lexbase : L6778K9W et art. L. 1226-12 N° Lexbase : L7392K9N.

[57] Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20-20.369, FS-B N° Lexbase : A53187K8, JCP S, 2022, 1073, obs. Y. Frouin.

[58] Cass. soc., 1er février 2023, n° 20-19.661, FS-B N° Lexbase : A01969BU, JCP S, 2023, 1061. Si ces éléments de fait ne sont pas caractérisés, alors le juge retrouve son pouvoir d’appréciation et l’employeur doit justifier de cette baisse : Cass. soc., 21 septembre 2022, n° 20-18.511, FS-B N° Lexbase : A25298KU, Actualité des procédures collectives, 2022, 262, note L. Fin-Langer.

[59] C. trav., art. L. 1233-3 N° Lexbase : L1446LKR

[60] P. Morvan, note sous Cass. soc., 1er février 2023, n° 20-19.661, précité, JCP S 2023, 1061.

[61] Cass. soc. 1er juin 2022, n° 20-19.957, FS-B N° Lexbase : A58547YH, Actualité des procédures collectives, 2022, 168, note L. Fin-Langer ; JCP S, 2022, 1884, note P. Morvan.

[62] Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48025, F-P+B N° Lexbase : A9621DRR, RDT, 2006, p. 395.

[63] Cass. soc., 12 février 2013, n° 11-28.649, FS-P+B N° Lexbase : A0485I8H, RDT, 2013, p. 339 (clé USB connectée). V. aussi pour les SMS envoyés d’un téléphone mis à disposition par l’employeur : Cass. com., 10 février 2015, n° 13-14.779, FS-P+B N° Lexbase : A4423NBG, RDT, 2015, p. 193 ; JCP S, 2015, 1155.

[64] Preuve contraire difficile à apporter : v. par ex. Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-44.840, F-D N° Lexbase : A4562EPN ; Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 07-43.877, FS-P+B N° Lexbase : A2618EMW, RDT, 2010, p. 172 ; Cass. soc., 10 mai 2012, n° 11-13.884, F-P+B N° Lexbase : A1376ILK,  RDT, 2012, p. 428 ; JCP S, 2012, 1331.

[65] CEDH, 22 février 2018, Req. 588/13, aff. Libert. c./ France N° Lexbase : A1555XEC, JCP S, 2018, 1108.

[66] D. Guével, op. cit., n° 115.

[67] J. Mouly, Les dispositions relatives à la contestation des accords collectifs à l'épreuve des exigences constitutionnelles, Droit social, 2018, p. 702 et s..

[68] Cass. soc., 2 décembre 2020, n° 19-11.986 à n° 19-11.994, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A410738M, RDT 2021, p. 104.  

[69] Cass. soc., 2 décembre 2020, préc..

[70] C. trav., nouv. art. L. 1237-1-1 N° Lexbase : L2119MGL. Lire G. Duchange, I. Meftah, Controverse, La démission sans volonté de démissionner : quels effets aura cet Objet Juridique Non Identifié ?, RDT, 2022, p. 685.

[71] I. Meftah, préc..

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Responsabilité

[Brèves] La garantie du fait des produits défectueux n’exclut pas la garantie des vices cachés

Réf. : Cass. civ. 1, 19 avril 2023, n° 21-23.726, F-B N° Lexbase : A02109QT

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N5278BZI

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 10 Mai 2023

►Le droit spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux s’applique à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit lui-même ; il n’exclut donc pas la garantie du vendeur à raison des défauts cachés de la chose.

L’articulation entre le droit commun et le droit spécial est toujours délicate, surtout dans le domaine de la responsabilité. Le cas du produit affecté d’un défaut n’y déroge pas ainsi que l’illustre l’arrêt rapporté.

En l’espèce, la société ENGIE a confié la réalisation d’une centrale de production d’électricité photovoltaïque à un constructeur. Ce constructeur achète les panneaux à un fournisseur qui a assemblé les connecteurs. Après la mise en service de l’installation, des interruptions de production d’électricité sont survenues. Après avoir obtenu une expertise judiciaire attribuant ces désordres aux connecteurs, la société ENGIE assigne les constructeurs en réparation des préjudices sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. Le fabricant des connecteurs est condamné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux tandis que le vendeur est condamné sur le terrain des vices cachés.

Au double visa des articles 1245-1 N° Lexbase : L0621KZZ et 1641 N° Lexbase : L1743AB8 du Code civil, la Haute juridiction rappelle que :

  • les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ou à un autre bien que le produit défectueux lui-même ;
  • le vendeur est tenu de la garantie en raison des vices cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ou qui diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix.

La responsabilité du fait des produits défectueux n’est donc pas exclusive de toute autre. Autrement dit, la responsabilité du fabricant peut être recherchée sur un autre fondement, notamment celui de la garantie des vices cachés.

La solution est assez nouvelle. Dans un arrêt rendu le 26 mai 2010 (Cass. com., 26 mai 2010, n° 08-18.545, FS-P+B N° Lexbase : A7205EX7), la Haute juridiction avait considéré que la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l’application des autres régimes de responsabilité de droit commun fondés sur le défaut d’un produit qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Il y avait, toutefois, d’ores et déjà, une exception pour l’action fondée sur les vices cachés.

Pour reprendre l’expression utilisée par la Cour elle-même (Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 13-18.876, F-P+B N° Lexbase : A3596Q8P), si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux qui ne sont pas destinés à un usage professionnel ni utilisés pour cet usage n’exclut pas l’application des autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle c’est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui-ci d’un défaut de sécurité du produit litigieux, telles la garantie des vices cachés ou la faute.

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Responsabilité

[Brèves] Responsabilité civile du seul parent hébergeant l’enfant auteur d’un dommage : pas d’inconstitutionnalité

Réf. : Cons. const., décision n° 2023-1045 QPC, du 21 avril 2023 N° Lexbase : A23479QY

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N5268BZ7

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 10 Mai 2023

► Sont jugées conformes à la Constitution les dispositions de l’article 1242 du Code civil, qui prévoient que « les père et mère qui exercent en commun l’autorité parentale sont solidairement responsables de plein droit des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux ».

Les critiques formulées. Les requérants reprochaient aux dispositions de l’article 1242 du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7, telles qu’interprétées par la Cour de cassation (pour mémoire, on citera notamment : Cass. crim., 6 novembre 2012, n° 11-86.857, F-P+B N° Lexbase : A6767IWK, comm. A. Gouttenoire, Lexbase Droit privé, n° 509, 13 décembre 2012 N° Lexbase : N4845BTM), de prévoir que, en cas de séparation ou de divorce, seul le parent au domicile duquel la résidence habituelle de l’enfant mineur a été fixée est responsable de plein droit des dommages causés par ce dernier, alors même que l’autre parent exerce conjointement l’autorité parentale et peut bénéficier d’un droit de visite et d’hébergement.

Ils soutenaient que ces dispositions institueraient ainsi une différence de traitement injustifiée entre les parents, dès lors que seul le parent chez lequel la résidence de l’enfant est fixée est susceptible de voir sa responsabilité engagée de plein droit. Elles institueraient également une différence de traitement injustifiée entre les victimes, qui n’auraient pas la possibilité de rechercher la responsabilité de plein droit de l’autre parent.

Les requérants soutenaient en outre que ces dispositions inciteraient le parent chez lequel la résidence de l’enfant n’a pas été fixée à se désintéresser de son éducation. Elles méconnaîtraient ainsi l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit de mener une vie familiale normale.

Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité portait sur les mots « habitant avec eux » figurant au quatrième alinéa de l’article 1242 du Code civil.

Conformité à la Constitution. Aucun des arguments n’est accueilli par le Conseil constitutionnel qui relève, d’abord, que la différence de traitement qui existe, en effet, entre le parent chez lequel la résidence de l'enfant a été fixée, qui est responsable de plein droit du dommage causé par ce dernier, et l'autre parent, qui ne peut être responsable qu'en cas de faute personnelle, est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de la loi.

Les dispositions contestées ont en effet pour objet de déterminer la personne tenue de répondre sans faute du dommage causé par un enfant mineur afin de garantir l'indemnisation du préjudice subi par la victime.

En cas de divorce ou de séparation, le juge peut, en vertu de l'article 373-2-9 du Code civil N° Lexbase : L0239K7Y, fixer la résidence de l'enfant soit en alternance au domicile de chacun des parents, soit au domicile de l'un d'eux. Ainsi, le parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant a été fixée par le juge ne se trouve pas placé dans la même situation que l'autre parent.

Les Sages retiennent, ensuite, que les dispositions attaquées n'instituent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les victimes d'un dommage causé par un enfant mineur.

Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.

S’agissant, enfin, des autres griefs formulés, le Conseil constitutionnel fait l’économie d’une motivation détaillée, et se contente de relever que les dispositions contestées, ne méconnaissent pas non plus l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit au respect de la vie privée ou le droit de mener une vie familiale normale, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.

Il conclut alors que les dispositions attaquées doivent être déclarées conformes à la Constitution.

newsid:485268

Social général

[Brèves] Activité partielle : modification du taux horaire minimum de l’allocation à compter du 1er mai 2023

Réf. : Décret n° 2023-322, du 28 avril 2023, portant modification du taux horaire minimum de l'allocation d'activité partielle et de l'allocation d'activité partielle spécifique en cas de réduction d'activité durable N° Lexbase : L5643MHH

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N5291BZY

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par Lisa Poinsot

Le 10 Mai 2023

► Publié au Journal officiel du 29 avril 2023, le décret n° 2023-322, du 28 avril 2023, relève le taux horaire de l’allocation versée à l’employeur.

Les dispositions du présent décret s’appliquent aux demandes d’indemnisation adressées à l’autorité administrative au titre des heures chômées par les salariés à compter du 1er mai 2023.

Suite à l’augmentation du SMIC au 1er mai 2023, ce décret relève :

  • le montant horaire minimum de l’allocation d’activité partielle de droit commun à 8,21 euros (au lieu de 8,03 euros) ;
  • le montant horaire minimum de l’allocation d’activité partielle de longue durée à 9,12 euros (au lieu de 8,92 euros).

newsid:485291

Protection sociale

[Brèves] PUMa : fermeture des droits pour les étrangers en irrégularité de séjour

Réf. : Décret n° 2023-311, du 25 avril 2023, relatif à la fermeture des droits à la protection universelle maladie et aux conséquences sur le service des prestations N° Lexbase : L5465MHU

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N5266BZ3

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par Laïla Bedja

Le 10 Mai 2023

► Un décret du 25 avril 2023, publié au Journal officiel du 27 avril 2023, précise les modalités de fermeture des droits à la protection universelle maladie pour les personnes ne remplissant plus la condition de régularité du séjour et qui ne disposent pas de la protection complémentaire en matière de santé.

En outre, il modifie la procédure de récupération des indus prévue en cas de fermeture de droits liée au non-respect de la condition de stabilité de la résidence en France, en l'étendant aux fermetures de droits liées au non-respect de la condition de régularité du séjour et en allongeant la période sur laquelle cette procédure s'applique.

newsid:485266

Soins psychiatriques sans consentement

[Jurisprudence] Isolement et contention : une bien décevante décision du Conseil constitutionnel

Réf. : Cons. const., décision n° 2023-1040/1041 QPC, du 31 mars 2023 N° Lexbase : A58719LZ

Lecture: 20 min

N5339BZR

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par Gloria Delgado-Hernández et Letizia Monnet-Placidi, Avocates au Barreau de Paris et membres de l'association « Avocats, Droits et Psychiatrie »

Le 11 Mai 2023


Mots-clés : soins psychiatriques sans consentement • isolement • contention • constitutionnalité • avocat • juge des libertés et de la détention

Entraînant la déception, notamment des avocats qui assurent la défense des personnes hospitalisées sans consentement, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 31 mars 2023, a déclaré l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique qui lui était soumis conforme à la Constitution. Les avocats, membre de l’association « Avocats, Droits et psychiatrie reviennent sur les motifs de cette décision.


Par ses décisions des 19 juin 2020 [1] et 4 juin 2021 [2], le Conseil constitutionnel a fixé comme principe que les mesures d’isolement et de contention constituent non seulement des mesures de soin mais aussi des mesures privatives de liberté et qu’à ce titre elles doivent faire l’objet d’un contrôle de leur régularité par le juge judiciaire.

Cela offrait de grands espoirs aux avocats défendant les personnes hospitalisées sans consentement, pour lesquels : « seule une audience, par le débat contradictoire qu’elle permet garantit l’effectivité du contrôle des mesures privatives de liberté. ». [3]

Malheureusement, le processus se déroule sans qu’une information sur ses droits soit délivrée à l’intéressé au moment de son placement en isolement, voire en contention, ni que, sauf demande expresse, les mesures de contrôle mises en place se déroulent avec l’assistance ou la représentation par un avocat.

Face à cette situation de non-respect des droits d’une personne particulièrement fragilisée par la maladie et le traitement qui lui est administré, deux nouvelles QPC ont été déposées.

Pour la première, par arrêt rendu le 26 janvier 2023 [4], la première chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été transmise par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Rennes par ordonnance rendue le 21 octobre 2022.

Cette question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« Les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L7881MA7, en ce qu'elles ne prévoient pas d'obligation pour le directeur de l'établissement spécialisé en psychiatrie ou pour le médecin d'informer le patient soumis à une mesure d'isolement ou de contention - et ce, dès le début de la mesure - de la voie de recours qui lui est ouverte contre cette décision médicale sur le fondement de l'article L. 3211-12 du même code N° Lexbase : L7880MA4 et de son droit d'être assisté ou représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office, est-il conforme à la Constitution et notamment au principe constitutionnel des droits de la défense, du droit à une procédure juste et équitable, au principe de dignité de la personne, à la liberté fondamentale d'aller et venir et du droit à un recours effectif, ainsi qu'à l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice résultant des articles 12 N° Lexbase : L1359A99, 15 N° Lexbase : L1362A9C et 16 N° Lexbase : L1363A9D de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ? »

Et pour la seconde, par arrêt rendu le même jour [5], la première chambre civile de la Cour de cassation a également renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été transmise par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Bobigny par ordonnance rendue le 28 juin 2022.

Cette question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« Le II de l'article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique est-il contraire à la Constitution en ce qu'il porte atteinte aux principes du respect des droits de la défense qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et au respect de la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution N° Lexbase : L0895AHM place sous la protection de l'autorité judiciaire, en ne prévoyant pas l'intervention systématique d'un avocat au côté du patient lors du contrôle des mesures d'isolement et de contention ? »

Hormis l’Association « Avocats, Droits et Psychiatrie », sont intervenus volontairement devant le Conseil constitutionnel, le Conseil national des barreaux, l’Ordre des avocats de Paris, l’Ordre des avocats de Nanterre, l’Ordre des avocats de la Seine-Saint-Denis, le Cercle de réflexion et de proposition daction sur la psychiatrie, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et l’Union syndicale de la psychiatrie.

C’est dans ces conditions que la décision n° 2023-1040/1041 QPC du 31 mars 2023 QPC a été rendue.

Entrainant la déception, notamment des avocats qui assurent la défense des personnes hospitalisées sans consentement, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique qui lui était soumis conforme à la Constitution aux motifs suivants : 

« 10. En premier lieu, conformément à l’article L. 3211-12 du Code de la santé publique, le patient faisant l’objet d’une telle mesure ainsi que les personnes susceptibles d’agir dans son intérêt, mentionnées par cet article, peuvent saisir à tout moment le juge des libertés et de la détention d’une demande de mainlevée.

11. En deuxième lieu, d’une part, lorsque le médecin renouvelle ces mesures au-delà d’une durée totale de quarante-huit heures, pour l’isolement, ou de vingt-quatre heures, pour la contention, le directeur de l’établissement de soins en informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut à tout moment se saisir d’office pour y mettre fin. D’autre part, si l’état de santé du patient rend nécessaire le renouvellement de la mesure au-delà de soixante-douze heures d’isolement ou de quarante-huit heures de contention, ce magistrat doit obligatoirement être saisi, avant l’expiration de ces délais, par le directeur de l’établissement.

12. En dernier lieu, le patient peut exercer une action en responsabilité devant les juridictions compétentes pour obtenir réparation du préjudice résultant d’un placement irrégulier en isolement ou sous contention ou des conditions dans lesquelles s’est déroulée cette mesure. »

[…]

« 15. D’une part, si les mesures d’isolement et de contention qui peuvent être décidées dans le cadre d’une hospitalisation complète sans consentement constituent une privation de liberté, de telles mesures ont uniquement pour objet de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui. Ainsi, elles ne relèvent pas d’une procédure de recherche d’auteurs d’infractions et ne constituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition. Dès lors, l’absence de notification au patient placé en isolement ou sous contention de son droit à l’assistance d’un avocat ne peut être contestée sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789.

16. D’autre part, les conditions dans lesquelles un patient est assisté ou représenté par un avocat devant le juge des libertés et de la détention saisi d’une demande de mainlevée d’une mesure d’isolement ou de contention sont prévues par l’article L. 3211-12-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L7882MA8, dont le Conseil constitutionnel n’est pas saisi. Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner l’argument tiré de ce que méconnaîtrait les droits de la défense le fait que le patient ne bénéficie pas obligatoirement d’une assistance ou d’une représentation par un avocat. »

Cette position du Conseil, d’ores et déjà commentée [6], mérite la critique, eu égard aux textes du bloc de constitutionnalité, notamment l’article 34 de la Constitution et l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui ne sont pas respectés par les dispositions soumises au Conseil.

I. L’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique ne respecte ni l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ni l’article 34 de la Constitution

L’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme de 1789 N° Lexbase : L1370A9M proclame :

« La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »

L’article 34 de la Constitution N° Lexbase : L1294A9S prévoit que :

« La loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques […] »

Il résulte de ces deux textes que seule la loi peut assurer les droits fondamentaux des citoyens.

Les dispositions de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique N° Lexbase : L2993IYI respectent ces textes en permettant aux 80 000 personnes hospitalisées sans consentement tous les ans en France de bénéficier non seulement de la notification de la décision d'admission et de chacune des décisions subséquentes, des raisons qui les motivent, de leur situation juridique, de leurs droits, des voies de recours qui leur sont ouvertes et des garanties qui leur sont offertes en application de l'article L. 3211-12-1 N° Lexbase : L1619LZY comme de la possibilité de contacter un avocat.

Ce dernier point constituant le minimum de protection juridique que l’État doit offrir à une personne privée de liberté qui n’est pas seulement une personne malade mais aussi un justiciable et, donc, un citoyen.

C’est-à-dire une personne qui, selon la Constitution, a droit à la protection de ses libertés fondamentales…

De plus, aux termes de l’article L. 3211-12-2 du Code de la santé publique, quelle que soit la situation et l’état de santé de la personne hospitalisée sans consentement, elle sera assistée ou représentée par un avocat au moment du contrôle par le JLD de la mesure d’hospitalisation sans consentement, même dans l’hypothèse où le médecin déclare la personne hospitalisée non-auditionnable.

Ces principes, de valeur constitutionnelle, sont d’une telle importance pour le respect des droits de personnes diminuées par une pathologie mentale et privées de liberté, que seule la loi peut les garantir [7].

Il n’est donc pas possible d’y déroger.

Pourtant, c’est ce que le Conseil Constitutionnel a accepté en matière d’isolement et de contention !

En effet, en déclarant constitutionnel l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique qui renvoie à un décret pour la mise en œuvre des modalités des droits de la défense, le Conseil ne respecte ni l’article 6 de la DDHC, ni l’article 34 de la Constitution.

A. Les 30 000 personnes placées à l’isolement et les 10 000 personnes en contention chaque année sont moins protégées que les personnes « seulement » hospitalisées sans leur consentement 

Comme cela a été évoqué, les conditions du contrôle par le juge des libertés n’offrent pas les mêmes garanties pour les personnes hospitalisées sans consentement et celles placées en isolement et contention.

Ce non-respect des articles 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et 34 de la Constitution aboutit à une rupture de l’égalité entre les citoyens : comment justifier que les personnes « seulement » en hospitalisation complète bénéficient des dispositions de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique leur garantissant l’information sur leur situation et les voies de recours ouvertes et celles de l’article L. 3211-12-2, alinéa 2 du Code de la santé publique leur assurant l’assistance ou la représentation par un avocat « de gré ou de force » devant le juge et que les mêmes lorsqu’elles sont placées à l’isolement et en contention soient privées de ces garanties ?

Il faut ici relever deux paradoxes :

  • Comment expliquer à la personne hospitalisée sans consentement placée en isolement ou contention au moment du contrôle par le JLD, à douze jours ou à six mois, qu’un avocat assurera automatiquement sa défense même si elle est déclarée non-auditionnable par le médecin alors que, pour le contrôle des mesures d’isolement ou de contention, elle ne sera assistée par un avocat que si elle le demande expressément (ou si quelqu’un le demande pour elle ?) ?

            Contrairement à ce que l’on attend de la loi, à savoir un degré de protection qui augmente avec le degré de fragilité du justiciable, elle laisse la personne la plus fragile dans l’ignorance de son statut juridique et trouver seule les moyens de sa défense.

  • Comment expliquer que, dans une matière soumise à la procédure civile, et dans laquelle le JLD n’est pas contraint de relever d’office les irrégularités de procédure, un avocat n’intervienne pas systématiquement alors qu’il est le seul qui saura présenter au JLD les arguments juridiques, particulièrement techniques, susceptibles de le conduire à lever la mesure d’isolement ou de contention ?

            À tout le moins, le JLD sera obligé de répondre aux arguments de l’avocat…

Le fait que la personne en isolement ou contention ou l’un de ses proches puisse saisir le JLD à tout moment et le fait que le JLD intervienne obligatoirement dès lors que la mesure entre en période de renouvellement exceptionnel ne constituent pas des réponses satisfaisantes à ces questions.

Malheureusement, au défaut d’égalité entre les personnes en hospitalisation sans consentement et celles en isolement/contention s’ajoute un défaut d’égalité entre les personnes en isolement/contention.

B. Toutes les personnes placées en isolement/contention ne bénéficient pas de la même protection

La loi ne prévoyant pas les conditions dans lesquelles les personnes en isolement ou contention sont informées de leur statut juridique et sont défendues devant le JLD, les hôpitaux et les juridictions ont développé des stratégies différentes sans le minimum d’uniformité que garantit la loi.

Cela conduit à des situations paradoxales : dans certains cas, grâce au travail en commun des hôpitaux et des greffes, les personnes en isolement ou contention seront informées de leur statut et un avocat sera commis pour assurer leur défense devant le JLD.

Mais, d’autres hôpitaux et d’autres greffes préfèrent maintenir les personnes en isolement ou contention dans l’ignorance de leur situation et ne demandent pas qu’un avocat soit commis, laissant le JLD statuer seul sur le maintien des mesures d’isolement ou de contention.

Cela aboutit à de graves inégalités de traitement entre les personnes placées à l’isolement ou contention.

L’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et l’article 34 de la Constitution ne sont pas les seuls textes du bloc de constitutionnalité à ne pas être respectés par l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique.

II. L’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique ne respecte pas l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789

Cet article garantit les droits de la défense en ces termes :

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution. »

Comme il a été indiqué, le positionnement du Conseil constitutionnel dans la décision commentée, notamment sa motivation en réponse à la première QPC, a causé un vif émoi chez les praticiens ainsi que des critiques défavorables auprès d'une partie de la doctrine spécialisée [8]. Nous y souscrivons entièrement (A).

La déception est telle que finalement l’absence de réponse par le Conseil à la deuxième QPC pourrait paraître en soi porteuse d’espoir, dès lors qu’il ne ferme définitivement pas le débat constitutionnel sur la nécessité impérieuse de prévoir légalement l’intervention obligatoire de l’avocat et la notification de l’assistance d’un avocat en matière d’isolement et de contention.

Mais une analyse attentive de la décision laisse dubitatif (B).

A. Déception née de la réponse apportée par le Conseil constitutionnel

Le Conseil rappelle tout d’abord certains fondamentaux tel que l’article 16 de la Déclaration de 1789 garantit les droits de la défense.

En effet, le Conseil constitutionnel a attribué aux droits de la défense la qualification de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République avant de les rattacher à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme [9].

Le Conseil rappelle également que les mesures d’isolement et de contention décidées dans le cadre d’une hospitalisation complète sans consentement constituent bien une privation de liberté.

Mais, étonnamment, pour écarter le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense, il estime que la notification du droit à l’assistance d’un avocat n’est constitutionnellement exigée sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789 que dans le cadre des procédures de recherche d’auteurs d’infraction ou relevant d’une sanction à caractère de punition, autrement dit dans les procédures pénales.

Ce faisant, le Conseil constitutionnel a drastiquement réduit les droits de la défense des personnes en situation extrême de privation de liberté, tels que l’isolement et la contention.

Car si le défaut d'intervention de l'autorité judiciaire suffit à affirmer le caractère arbitraire d'une mesure privative de liberté [10], le principe de l'intervention de l'autorité judiciaire ne suffit pas pour autant à lui ôter un tel caractère. L'intervention de l'autorité judiciaire est en effet étroitement encadrée par une série d'exigences qui en renforce la portée comme l’efficacité.

Sans les droits de la défense, la défense des droits, de tous les droits, ne peut simplement exister, faute d'effectivité.

Or, comment une personne se trouvant à l’isolement et/ou sous contention va être capable matériellement de déposer une requête de mainlevée de ces mesures dans une telle situation d’impuissance et de vulnérabilité, sans même rencontrer le juge ? Comment va -t-elle faire pour communiquer avec ses proches afin qu’ils agissent en son nom ?

Rappelons aussi que la complexité des dispositions en matière d’isolement et de contention n’est pas des moindres au point de nécessiter la publication de la circulaire du 25 mars 2022, après l’entrée en vigueur des dispositions de l’article L. 3222-5 du Code de la santé publique le 24 janvier 2022.

B. Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif

À la question de savoir si l’absence d’information immédiate à la personne placée à l’isolement ou en contention relative à la possibilité de contester les mesures dont elle fait l'objet constitue une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil répond également par la négative.

Le Conseil considère que l’absence d’information sur les droits et voies de recours n’est pas inconstitutionnelle.

Il juge, en effet, que cette absence d’information à la personne est en quelque sorte palliée en raison de « l’ensemble des voies de droit ouvertes » et du « contrôle exercé par le juge judiciaire ».

Il n’en est rien.

La possibilité de saisir le JLD à tout moment d’une requête en mainlevée sans une information suffisante ne garantit pas l’effectivité dudit recours, a fortiori sans la présence d’un avocat.

Il n’est en effet pas difficile d’imaginer comment la tentation pour les juges est grande, en l’absence du contradictoire et d’avocat, de « valider » des mesures d’isolement et de contention sans la moindre vérification sur leur régularité et/ou leur bien-fondé, devant cette nouvelle charge de travail ajoutée à des juges déjà submergés par le contentieux des soins psychiatriques sans consentement en général.

La possibilité d’exercer une action indemnitaire réparatrice a posteriori des irrégularités entachant une mesure d’isolement ou de contention ne rend pas non plus effectif le recours juridictionnel, ni ne rend la liberté.

Par ailleurs le contrôle systématique de la mesure d’hospitalisation complète et des mesures d’isolement et de contention au même temps, exercé par le juge judiciaire conformément aux dispositions de l’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique, c’est à dire contradictoirement et avec toutes les garanties (présence obligatoire de l’avocat) ne couvre pas :

  • les cas où les mesures d’isolement et de contention ont pris fin avant l’audience de contrôle judiciaire de l’hospitalisation complète (et qui seront considérées des demandes « sans objet ») ;
  • ni les cas où celles-ci seront prises entre le contrôle judiciaire systématique à douze jours et celui prévu à six mois.

III. Un espoir né de l’absence de réponse du Conseil ?

Le Conseil poursuit en estimant que « les conditions dans lesquelles un patient est assisté ou représenté par un avocat devant le juge des libertés et de la détention saisi d’une demande de mainlevée d’une mesure d’isolement ou de contention sont prévues par l’article L. 3211-12-2 du Code de la santé publique. »

Mais comme le Conseil constitutionnel n’est effectivement pas saisi de la constitutionnalité desdites dispositions, il conclut qu’« il n’y a pas lieu d’examiner l’argument tiré de ce que méconnaîtrait les droits de la défense le fait que le patient ne bénéficie pas obligatoirement d’une assistance ou d’une représentation par un avocat. » (§16).

L’article L. 3211-12-2 du Code de la santé publique précise les conditions dans lesquelles la personne en hospitalisation complète à l’audience est assistée ou représentée obligatoirement par un avocat dans le cadre des contrôles des mesures d’hospitalisations sans consentement.

Le Conseil considère finalement que la question de l’assistance ou de la représentation obligatoire d’une personne placée en isolement ou contention relève de l’article L. 3211-12-2 du Code de la santé publique, dont la constitutionnalité ne lui a pas été soumise.

**

Pour conclure sur une note d’optimisme, une nouvelle opportunité est offerte au Conseil puisque dès le 11 avril 2023, une autre QPC soulevant l’inconstitutionnalité de l’article L. 3211-12-2 du Code de la santé publique a été déposée pour une avocate de Versailles, membre de l’association « Avocats, Droits et Psychiatrie ».

Si le Conseil devait encore résister, alors seule la saisine de la CEDH pour violation des articles 3, 5 et 6 de la CESDH resterait ouverte.

 

[1] Cons. const., décision n° 2020-844 QPC, du 19 juin 2020 N° Lexbase : A85293N9.

[2] Cons. const., décision n° 2021-912/913/914 QPC, du 4 juin 2021 N° Lexbase : A95164TM.

[3] G. Delgado-Hernandez et L. Monnet-Placidi, Deuxième décision du Conseil constitutionnel en matière d’isolement et contention : suite et fin ?, Lexbase Droit privé, juillet 2021, n° 874 N° Lexbase : N8393BYI.

[4] Cass. QPC, 26 janvier 2023, n° 22-40.019, FS-B N° Lexbase : A08729AK.

[5] Cass. QPC, 26 janvier 2023, n° 22-40.021, FS-B N° Lexbase : A08709AH.

[6] L. Bodet et V. Tellier-Cayrol, Mesures d’isolement et contention : le diagnostic critiquable du Conseil constitutionnel, Rec. Dalloz, Études et commentaires.

[7] Cons. const., décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985 N° Lexbase : A8108ACB.

[8] L. Bodet et V. Tellier-Cayrol, Mesures d’isolement et contention: le diagnostic critiquable du Conseil constitutionnel, Rec. Dalloz, Études et commentaires.

[9] Cons. const., décision n° 2006-535 DC, du 30 mars 2006 N° Lexbase : A8313DN9.

[10] Cons. const., décision n° 92-307 DC, du 25 février 1992 N° Lexbase : A8265AC4.

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Sûretés

[Jurisprudence] Retour sur le régime juridique du « cautionnement réel »

Réf. : Cass. com., 5 avril 2023, trois arrêts, n° 21-14.166, FS-B N° Lexbase : A61669MC ; n° 21-18.531, FS-B N° Lexbase : A61679MD ; n° 21-18.532, FS-D N° Lexbase : A43609NS

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par Gaël Piette, Professeur à l’Université de Bordeaux, CRDEI, Directeur scientifique de l’ouvrage Lexbase Droit des sûretés

Le 28 Juillet 2023

Mots-clés : cautionnement réel • sûreté réelle pour autrui • régime juridique • proportionnalité • bénéfice de discussion • bénéfice de division • réforme du droit des sûretés

La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, elle n'est pas un cautionnement, de sorte que l'action du créancier fondée sur cette sûreté n'est soumise ni aux articles 2288, 2298 et 2303 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021 ni à l'article L. 341-4 du Code de la consommation, alors applicable, peu important que le constituant de la sûreté réelle se soit également rendu caution de la même dette.


 

Ces trois arrêts rendus le même jour (dont deux dans la même affaire) montrent à quel point le régime des sûretés réelles pour autrui, communément surnommées cautionnement réel, n’a pas fini de susciter du contentieux. Les faits étaient relativement semblables dans les trois affaires : une personne physique se porte caution d’un crédit et affecte en garantie, par le biais d’une hypothèque, l’un de ses biens immobiliers. L’hypothèque ne garantit pas l’engagement de caution, mais bel et bien la dette du débiteur principal.

Lorsque le créancier entend procéder à la saisie immobilière du bien hypothéqué, la caution se défend en invoquant la disproportion manifeste de son engagement (sur le fondement de l’article L. 341-4 du Code de la consommation N° Lexbase : L8753A7C alors en vigueur) et, dans l’un des trois arrêts (pourvoi n° 21-14.166), les bénéfices de discussion et de division.

La Cour de cassation rejette de tels moyens de défense, en rappelant au passage sa solution désormais traditionnelle : « la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, elle n'est pas un cautionnement ».

Ces décisions sont l’occasion de revenir brièvement sur le régime des sûretés réelles pour autrui.

Comme son nom l’indique, cette technique consiste à constituer une sûreté réelle (hypothèque, gage ou nantissement principalement) pour garantir la dette d’un tiers. Ainsi, le débiteur n’est pas le constituant de la sûreté. La pratique a rapidement surnommé ce mécanisme « cautionnement réel », puisque, comme dans la sûreté personnelle, il s’agit de garantir la dette d’autrui [1]. La différence est que la caution s’engage sur tout son patrimoine, tandis que la caution réelle n’engage qu’un ou plusieurs biens déterminés.

L’expression « cautionnement réel » n’est sans doute pas étrangère aux doutes qui entourent le régime des sûretés réelles pour autrui. Il était en effet tentant de faire profiter la caution réelle de certains mécanismes protecteurs de la caution, en se fondant sur la considération qu’il s’agit, dans les deux cas, d’un engagement en faveur d’autrui. Ainsi, a été avancée l’idée que certaines règles spécifiques au cautionnement, telles que les obligations d’information, les bénéfices de division et de discussion, les recours après paiement… devraient pouvoir profiter à la caution réelle.

Après des années d’hésitations, la Cour de cassation, réunie en une Chambre mixte, a arrêté une solution (presque…) définitive. Au sujet d’un nantissement, elle décide : « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui et n'étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas » [2]. Que l’on approuve ou que l’on regrette cette décision, il convenait néanmoins de lui reconnaître un mérite : la simplicité. Une hypothèque est soumise au régime juridique de l’hypothèque, qu’elle soit constituée par le débiteur ou par un tiers.

La réforme du droit des sûretés réalisée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D a rebattu partiellement les cartes. Aux termes de l’article 2325 du Code civil N° Lexbase : L0185L8D, « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers.
Lorsqu'elle est constituée par un tiers, le créancier n'a d'action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2299 N° Lexbase : L0173L8W, 2302 à 2305-1 N° Lexbase : L0153L88,  2308 à 2312 N° Lexbase : L0163L8K et 2314 N° Lexbase : L0178L84 sont alors applicables ».

Ce texte ne laisse aucun doute sur la nature de la sûreté réelle pour autrui. Placé dans le titre II du livre IV du Code civil, consacré aux sûretés réelles, l’article 2325 se garde bien d’utiliser l’expression de « cautionnement réel ». Il précise en outre expressément que le créancier n’a d’action que sur le bien grevé. En d’autres termes, la sûreté réelle pour autrui est une sûreté réelle. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour de cassation de 2005 est confirmée.

En revanche, en ce qui concerne le régime juridique de la sûreté réelle pour autrui, la jurisprudence de 2005 est infirmée. En disposant que certains textes applicables au cautionnement sont applicables aux sûretés réelles constituées pour garantir la dette d’un tiers, l’article 2325 soumet celles-ci à un régime mixte. Une hypothèque pour autrui, par exemple, relève de deux séries de textes : le droit hypothécaire évidemment, mais aussi une partie du droit du cautionnement. Le cautionnement réel est mort, vive le cautionnement réel…

Les éléments du droit du cautionnement applicables aux sûretés réelles pour autrui sont : le devoir de mise en garde, les obligations d’information, le bénéfice de discussion, les recours après paiement [3] et le bénéfice de subrogation.

Avec ce nouvel article 2325, les difficultés semblent s’évanouir dans les méandres du passé : il est maintenant acquis qu’une sûreté réelle pour autrui n’est pas un cautionnement, mais que son constituant peut profiter de certaines mesures favorables à la caution.

Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples, pour deux raisons. La première tient à l’application de la loi dans le temps, la seconde à la liste établie par l’article 2325.

S’agissant de l’application de la loi dans le temps, la réforme de 2021 a respecté les principes établis en la matière. À l’exception de celles relatives aux obligations d’information, les dispositions nouvelles ne s’appliquent pas aux cautionnements conclus avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, à savoir le 1er janvier 2022. Les cautionnements conclus antérieurement à cette date demeurent donc soumis à la loi ancienne. Ou, dans le cas des sûretés réelles pour autrui, à l’absence de loi ancienne…

Ceci aboutit à une dualité de sûretés réelles pour autrui : celles constituées avant 2022 n’empruntent aucune règle du droit du cautionnement, tandis que celles constituées après se voient appliquer les textes mentionnés ci-dessus. Certes, la Cour de cassation pourrait infléchir sa position [4] de 2005, à la lumière du nouvel article 2325. Mais ce n’est pas la solution qu’elle a retenue dans l’arrêt n° 21-14.166, dans lequel elle estime que l’ancien article 2298 N° Lexbase : L1127HIL (relatif au bénéfice de discussion) n’est pas applicable aux sûretés réelles pour autrui. La Cour pourra-t-elle tenir cette position durant encore 15 ou 20 ans, le temps que disparaissent les sûretés réelles pour autrui constituées avant 2022 ? Seul l’avenir nous le dira.

En ce qui concerne la liste établie par l’article 2325, la doctrine n’a pas manqué de relever un oubli du législateur : dans la perspective qui était la sienne, il aurait été logique de faire bénéficier la caution réelle des dispositions du nouvel article 2298 du Code civil N° Lexbase : L0172L8U, relatif à l’opposabilité des exceptions. Il est permis de penser qu’il s’agit d’un oubli, car on ne voit pas trop pour quelle raison le constituant d’une sûreté réelle garantissant la dette d’autrui serait privé du droit d’opposer au créancier des exceptions tirées de cette dette.

Mais cet oubli est le ver dans le fruit. À partir du moment où l’on admet qu’il y a un oubli, il n’est pas inconcevable de soutenir devant les tribunaux qu’il en existe d’autres [5]. Et c’est ainsi que l’on risque de voir fleurir dans les prétoires l’argument selon lequel tel constituant de sûreté réelle pour autrui aurait dû bénéficier de telle mesure favorable aux cautions. L’argument se résume finalement ainsi : ladite mesure ne figure pas dans l’énumération de l’article 2325 ? C’est un oubli du législateur !

Dans les trois arrêts du 5 avril 2023, c’est l’exigence de proportionnalité, alors prévue par l’article L. 341-4 du Code de la consommation, qui était invoquée. Non pas sur la base de l’argumentaire précédemment redouté (celui de l’oubli), mais tout simplement parce que ce texte était en vigueur lors de la conclusion des sûretés réelles en cause [6].

Et la question est alors relativement simple : la caution réelle doit-elle pouvoir invoquer la disproportion manifeste de son engagement, hier sur le fondement de l’article L. 341-4 du Code de la consommation, aujourd’hui sur celui de l’article 2300 du Code civil N° Lexbase : L0174L8X qui aurait été injustement oublié par l’article 2325 ?

La réponse de la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans les trois arrêts du 5 avril dernier est claire : l’exigence de proportionnalité, en l’espèce établie par l’article L. 341-4, est inapplicable aux sûretés réelles pour autrui. Et le fait que les constituants aient en parallèle souscrit des cautionnements est indifférent.

Cette solution mérite d’être pleinement approuvée. L’exigence de proportionnalité prohibe les cautionnements dans lesquels l’engagement de la caution est manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution. Il s’agit alors de comparer le montant du cautionnement et le patrimoine de la caution, afin de déterminer l’éventuelle disproportion.

Une telle mesure est difficilement concevable dans les sûretés réelles. Le montant pour lequel est inscrite l’hypothèque est, par hypothèse, proportionné à la valeur de l’immeuble, puisqu’il est au maximum égal à cette dernière. Et la valeur de l’immeuble est, par hypothèse, proportionnée au patrimoine du constituant, puisqu’elle est intégrée dans ce patrimoine. Quand bien même l’immeuble serait le seul bien composant le patrimoine du constituant, il serait difficile d’affirmer que l’hypothèque est manifestement (l’adverbe est important) disproportionnée à ce patrimoine.

Quitte à vouloir à tout prix intégrer de la proportionnalité dans les sûretés réelles pour autrui, une extension de la règle énoncée par l’article L. 650-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3503ICQ nous semblerait davantage envisageable. Rappelons que ce texte prévoit qu’en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, la responsabilité du créancier dispensateur de crédit peut être engagée dans certains cas, notamment lorsque les garanties prises en contrepartie des concours sont disproportionnées à ceux-ci. Ces garanties peuvent alors être annulées ou réduites par le juge. L’idée ici n’est pas de comparer le montant d’une sûreté personnelle au patrimoine de son signataire, mais de comparer le montant des sûretés prises (qu’elles soient personnelles ou réelles) à celui du crédit accordé [7]. Il serait alors possible de reprocher à une banque d’avoir multiplié, de manière disproportionnée, les garanties pour un même crédit. Par exemple, dans les décisions du 5 avril 2023, les garants s’étaient portés cautions de la dette du débiteur et avaient en outre affecté des immeubles en hypothèque. Le seul cautionnement, ou la seule affectation hypothécaire, n’auraient-ils pas suffi à garantir la créance de manière satisfaisante ? En cas de réponse positive, le juge pourrait annuler ou réduire l’une des sûretés.

À tout prendre, une telle extension de la règle prévue par l’article L. 650-1 du Code de commerce nous paraîtrait plus cohérente que le forçage de celle prévue par l’article 2300 du Code civil (ou auparavant de l’article L. 341-4 du Code de la consommation). Mais ceci supposerait évidemment une intervention législative.

 

[1] J.-J. Ansault, Le cautionnement réel, Defrénois, 2009.

[2] Cass. mixte, 2 décembre 2005, n° 03-18.210, P N° Lexbase : A9389DLC.

[3] Les recours avant paiement n’existent de toute façon plus.

[4] Infléchissement constaté en matière d’inopposabilité des exceptions dans le cautionnement : Cass. civ. 1, 20 avril 2022, n° 20-22.866, FS-B N° Lexbase : A08717US, G. Piette, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1424BZR.

[5] En ce sens, v. d’ailleurs Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil, les sûretés, la publicité foncière, Dalloz, 8ème éd., 2023, n° 125.

[6] L’argument de l’oubli législatif permettrait quant à lui d’invoquer la disproportion même pour un cautionnement conclu après le 1er janvier 2022.

[7] G. Piette, Une nouvelle proportionnalité en Droit des sûretés: brèves observations sur l'article L. 650-1 du Code de commerce, RLDC, juin 2006, n° 28, p. 27.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Transmission au Conseil constitutionnel de la QPC relative à l’amende fiscale prévue en cas d’omission ou inexactitudes dans les factures

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 14 avril 2023, n° 470761, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A33599P4

Lecture: 3 min

N5310BZP

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par Maxime Loriot, Notaire Stagiaire - Doctorant en droit international privé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le 10 Mai 2023

► Par un arrêt rendu le 14 avril 2023, le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à la validité des dispositions de l’article 1737, II du CGI.

L’article 1737, II du CGI N° Lexbase : L4182MGY prévoit que toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents donne lieu à l’application d’une amende de 15 euros. Toutefois, le montant total des amendes dues au titre de chaque facture ou document ne peut excéder le quart du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné.

En conséquence, est sanctionnée toute omission ou inexactitude relative :

  • à la date de la facture ou à son numéro ;
  • au nom du vendeur ou du prestataire et à celui du client ainsi qu’à leurs adresses respectives ;
  • à la quantité, à la dénomination précise, au prix unitaire hors taxe et au taux de TVA légalement applicable pour chacun des biens livrés ou des services rendus ;
  • aux numéros d’identification à la TVA du vendeur et de l’acquéreur.

L’amende prévue est notifiée au contrevenant par un procès-verbal ou par une proposition de rectification.

Par ailleurs, lorsqu’une facture comporte plusieurs omissions ou inexactitudes, le montant total des amendes dues à ce titre est plafonné à un montant maximum de 25 % de la facture.

 

Rappel des faits

  • La société Angelini Filliat a fait l’objet d’un contrôle comptable au titre des exercices clos de l’année 2015 et de l’année 2016. Aux termes de ce contrôle, l’administration fiscale a prononcé une amende sur le fondement de l’article 1737, II du CGI.
  • La société a demandé à l’administration fiscale la déductibilité des charges du résultat imposable au titre des exercices clos de l’année 2015 et 2016 ainsi que la décharge de l’amende prononcée.

Procédure

  • Par un jugement en date du 19 novembre 2021, les juges du fond du tribunal administratif de Marseille ont rejeté sa demande tendant à obtenir la déductibilité des charges du résultat imposable et la décharge des amendes.
  • En conséquence, la société a interjeté appel de la décision des juges du fond. Par une ordonnance en date du 15 décembre 2022, la présidence de la troisième de la cour administrative d’appel de Marseille a décidé de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité.

Question de droit. Était posée au Conseil d’État la question de la transmission de la QPC suivante : Les dispositions de l’article 1737, II du CGI sont-elles contraires au principe de proportionnalité des peines prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ?

Solution

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord que pour que soit soumise au Conseil constitutionnel une QPC, une triple condition doit être réunie :

  • la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ;
  • la disposition contestée ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;
  • cette question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.

En conséquence, les juges du Conseil d’État estiment que les dispositions de l’article 1737, II du CGI sont applicables au litige et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

Ainsi, le respect de l’article 1737, II du CGI à l’article 8 de la DDHC présente un caractère sérieux et nécessite un renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

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