La lettre juridique n°517 du 21 février 2013

La lettre juridique - Édition n°517

Éditorial

Droit des pères divorcés : entre "orgueil et préjugé" et "raison et sentiment"

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N5873BTP

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


A priori
, l'affaire des "pères perchés sur leurs grues" à Nantes présente tous les ressorts d'un drame familial suscitant l'émotion du public la plus vive et l'empathie facile face à une justice aveugle, quand elle n'est pas tout simplement taxée de sexiste. Et, les coups d'éclats à répétition de ces pères revendiquant l'exercice effectif de leur autorité parentale et un droit de visite permettant l'émancipation de leur relation paternelle montrent régulièrement le désarroi, sans doute réel, de ces hommes se sentant considérés comme des pères de "seconde zone".

Il est un fait certain, c'est que malgré l'égalité de droit "homme-femme" et de l'exercice de l'autorité parentale, malgré la neutralité de la loi relative au divorce, dans 80 % des cas, c'est à la mère qu'est confié l'enfant. Le phénomène est, toutefois, nouveau, puisque le "premier siècle" du divorce aura connu une domination paternelle sans partage, le père divorcé ayant toujours eu la garde l'enfant, confié le plus souvent, dans les faits, à des proches ou à des institutions pour leur éducation. Le rééquilibrage est plutôt récent (à l'échelle de l'Histoire de la famille), la "puissance paternelle" cédant face à "l'autorité parentale", par la loi du 4 juin 1970. Encore fallut-il attendre l'émergence du principe de "l'intérêt de l'enfant" pour l'emporter sur celui de la "faute conjugale", cette dernière déterminant, avant 1975, le plus souvent, la garde de l'enfant, pour que les juges, et c'est une réalité, accordent massivement la garde de l'enfant à la mère plutôt qu'au père.

Bien entendu, chaque drame familial est unique et une systématisation des souffrances et des frustrations paternelles s'avère parfaitement impudique, si ce n'est déplacée. Toutefois, on pourra gloser pendant des siècles sur les conséquences sociales du divorce, entre la fin des souffrances physiques et psychologiques, ou simplement d'une hypocrisie sociale, et la destruction légalisée de la cellule familiale, trois observations, au moins, doivent être formulées devant le spectacle médusant de ces pères accrochés dans les airs et revendiquant à coup de slogans et de SMS leurs droits élémentaires.

D'abord, la loi n'est pas inégalitaire, disposant de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, même en cas de divorce, sauf à ce que le juge prive l'un des deux parents de cette autorité. Et, celle du 4 mars 2002 permettant aux juges d'organiser la garde alternée de l'enfant a témoigné d'une volonté de rééquilibrage, cette fois en faveur des pères, dans l'exercice quotidien de leur rôle parental. Mais, prononcée dans seulement 15 % des cas, la garde alternée n'est pas le droit commun et peine à s'imposer pour des raisons sociales, pratiques et, parfois même, dans l'intérêt de l'enfant.

Ensuite, si dans 80 % des cas, c'est à la mère qu'est confié l'enfant, c'est aussi parce que, dans la grande majorité des situations en cause, le père n'y trouve rien à redire : soit qu'il ne se sente pas d'exercer son magistère paternel plus d'un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, soit qu'il ne puisse tout simplement pas résider dans la même ville que la mère, pour des raisons professionnelles ou de recomposition familiale. Il est inutile, également, de s'apesantir sur l'omnipotence matriarcale au sein du foyer, dont la conception profondément ancrée dans les mentalités remonte à la nuit des temps. Et, si la "puissance paternelle" niait ce rôle majeur exercé par les mères pendant des siècles, ce n'était que pour exhiber, à la face du monde, la faute de la femme, le plus souvent adultère, responsable du divorce et à qui toute autorité maternelle devait être ainsi déniée. Donc, sans être sexiste, les juges n'en demeurent pas moins pragmatiques, surtout lorsqu'il est question d'affaires familiales où le dogme n'a guère sa place face à l'intérêt supérieur de l'enfant. Il le confie à la garde de la mère, car c'est le plus souvent elle qui, dans les faits, souhaite et peut en assurer toutes les obligations et droits afférents.

Enfin, on ne saurait trop se méfier de l'émotion populaire ; en approfondissant quelque peu l'histoire de ces deux hommes agrippés à leurs grues, on apprendra que le premier, descendu quelques heures après son escalade, était accusé de violences conjugales et de maltraitance envers son enfant par son ex-femme, et que le second, ayant mis fin à son aventure aérienne après quarante-huit heures de revendications, n'en était pas à son premier coup de force, ayant été condamné pour soustraction d'enfant. L'exercice effectif du droit de visite n'est pas une histoire devant être prise à la légère, et le renforcement de la lutte internationale contre les enlèvements familiaux en est la démonstration la plus vive. Le déni de l'autorité paternelle dans les faits est une souffrance certaine à laquelle le droit, ou plus volontiers la médiation, doivent répondre. Mais, on ne peut pas dire que les derniers "oripeaux" médiatiques du combat pour le droit des pères soient de la meilleure représentativité qu'ils puissent être ; la soustraction d'enfant expliquant la sévérité de la décision de justice privant l'auteur de son autorité parentale.

Pour autant, tout cela s'avère parfaitement bien orchestré. Ni hasard, ni coïncidence ; a été enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale, le 24 octobre 2012, une proposition de loi visant à préserver l'autorité partagée et à privilégier la résidence alternée pour l'enfant en cas de séparation des parents. Ce n'est pas la première proposition de loi du genre, il s'agit du quatrième opus enregistré depuis 2009. Et, bien évidemment, chacun sait, désormais, que, dans les prochains jours, la ville de Nantes accueillera les revendications des associations favorisant ou protégeant l'exercice des droits paternels. Ce que l'on sait moins, en revanche, c'est que, si la proposition de loi n° 309 du 24 octobre 2012 vise, avant tout, à protéger "l'intérêt supérieur de l'enfant en lui garantissant une construction saine et équilibrée, reposant sur deux parents réellement présents", elle emporte la reconnaissance du "syndrome d'aliénation parentale", qui se caractérise par "l'instrumentalisation de l'enfant pour détruire les liens familiaux, au travers d'actions prenant la forme d'une dévalorisation constante du second parent", et provoquant "une cassure de la relation avec ce dernier". Or, si la multiplication de situations de mères ou de pères ayant perdu tout contact avec leur enfant à la suite d'une séparation de fait, de corps ou d'un divorce est une réalité, et si seulement 21,5 % des divorces sont prononcés par consentement mutuel, ce "syndrome" d'origine nord-américaine appartient, toutefois, à une liturgie dite "masculiniste". Et, par opposition au féminisme, le "masculinisme" entend réaffirmer la virilité de la cellule familiale et de la société dans son ensemble. Or, si l'on a vu qu'un rééquilibrage entre pères et mères est toujours souhaitable et qu'une médiation est toujours préférable, ancrer l'exercice parental conjoint dans une opposition dogmatique entre "féminisme" et "masculinisme" serait une erreur aux lourdes conséquences pour l'enfant. Et "être dissuasif à l'égard du parent qui prend le risque de rendre son enfant otage d'un conflit dont il est innocent", comme le suggèrent les motifs de la proposition de loi, s'avère des plus complexes.

"Un drame, le divorce ? Allons donc !... Pour bien divorcer, aujourd'hui, c'est facile - il suffit de s'adorer !" Mais à défaut, La première épouse pourra toujours préférer la médiation et le dialogue au conflit, aurait pu suggérer Françoise Chandernagor.

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Avocats/Responsabilité

[Chronique] Chronique de responsabilité professionnelle - Février 2013

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N5842BTK

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 21 Février 2013

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité professionnelle réalisée par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique, l'auteur a choisi, en premier lieu, un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation qui énonce que la perte certaine d'une chance, même faible, est indemnisable ; ainsi, l'avocat, qui n'interjette pas appel malgré les instructions de son client, engage sa responsabilité (Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.439, F-P+B+I). En second lieu, le Professeur Bakouche a sélectionné un arrêt de la cour d'appel de Versailles, en date du 22 décembre 2012, qui confirme que l'avocat fiscaliste qui n'attire pas l'attention de son client sur le risque que l'administration fiscale requalifie le montage qu'il a élaboré ou y décèle un cas d'abus de droit manque à son devoir de mise en garde et engage sa responsabilité civile (CA Versailles, 22 décembre 2012, n° 11/02179 N° Lexbase : A1988IZN).
  • Responsabilité de l'avocat qui n'interjette pas appel, malgré les instructions de son client : la perte certaine d'une chance, même faible, est indemnisable (Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.439, F-P+B+I N° Lexbase : A4084I3N)

Le contentieux relatif à la perte d'une chance susceptible de constituer un préjudice réparable est décidément bien riche : à s'en tenir aux quelques arrêts que nous avons eu l'occasion de signaler, dans le cadre de cette chronique ou de la chronique de droit des obligations, au cours de l'année 2012, il apparaît, et c'est le moins que l'on puisse dire, que la récolte est abondante : un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 31 janvier (1), plusieurs arrêts de la première chambre civile, en l'occurrence des 23 février (2), 22 mars (3), 28 juin (4) et 26 septembre (5) et, enfin, deux arrêts de la Chambre commerciale, le premier du 18 septembre (6), le second du 3 mai 2012 (7). Il en ressort que, bien que le principe de la réparation de la perte d'une chance soit parfaitement acquis, la mise en oeuvre du principe est, elle, source de difficultés qui, manifestement, ne s'épuisent pas en dépit des nombreuses interventions de la Cour de cassation. Et s'il est un domaine dans lequel le contentieux en la matière est particulièrement abondant, c'est bien celui, à côté de la responsabilité médicale (8), de la responsabilité civile des professionnels du droit et, tout particulièrement, des avocats : il n'est en effet pas rare qu'un client demande la réparation à son avocat, auquel peut être imputé une faute, du préjudice constitué par la perte d'une chance de gagner son procès. Un nouvel arrêt, de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 janvier 2013, à paraître au Bulletin, mérite d'ailleurs d'y revenir, d'autant qu'il apporte une précision utile à l'appréciation de la chance perdue et, ainsi, à son évaluation.

En l'espèce, et comme c'est d'ailleurs généralement le cas dans ce type d'affaire, des clients reprochaient à leur avocat de ne pas avoir interjeté appel du jugement les condamnant, malgré les instructions qui lui avaient été données. La cour d'appel de Paris, pour limiter l'indemnisation accordée aux demandeurs au montant des frais de procédure engagés en pure perte, avait retenu que la perte de chance d'obtenir la réformation du jugement était faible, dès lors que l'issue de l'appel manqué apparaissait incertaine. Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) : la Haute juridiction rappelle en effet assez sèchement à l'ordre les juges du fond, énonçant "qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à démontrer l'absence de toute probabilité de succès de l'appel manqué, alors que la perte certaine d'une chance même faible, est indemnisable, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Nul ne doute évidemment que l'élément de préjudice constitué par la perte d'une chance présente, en tant que tel, un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition, par l'effet du délit, de la probabilité d'un événement favorable, encore que, par définition, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine (9). Il appartient, dès lors, aux juges du fond de rechercher la probabilité d'un événement favorable, autrement dit de mesurer l'éventualité de réalisation de l'événement favorable allégué, étant entendu que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (10), alors qu'un risque, fût-il certain, ne suffit pas à caractériser la perte certaine d'une chance, le préjudice qui en résulte étant purement éventuel (11). Aussi bien enseigne-t-on traditionnellement que, pour être réparable, la chance perdue doit être réelle et sérieuse. Dans la matière qui nous intéresse, la Cour de cassation a ainsi pu décider que la victime devait démontrer qu'elle avait des chances d'obtenir satisfaction en cause d'appel, chances qu'elle aurait perdues du fait de la négligence de son avocat (12), ou encore que "lorsque le dommage réside dans la perte d'une chance de réussite d'une action en justice, le caractère réel et sérieux de la chance perdue doit s'apprécier au regard de la probabilité du succès de cette action" (13). Contrairement aux apparences, l'arrêt du 16 janvier dernier, en énonçant que la perte d'une chance "même faible" est "indemnisable", ne remet pas en cause l'exigence d'une chance réelle et sérieuse : au demeurant, l'arrêt relève bien que, pour être indemnisable, la chance perdue, quoique "faible", doit apparaître comme "certaine". Autrement dit, dès lors qu'il est avéré que la faute de l'avocat a définitivement fait perdre à son client une chance de gagner son procès, le préjudice est constitué et, comme tel, réparable, quand bien même ladite chance de gagner le procès serait faible. Au plan des principes, la seule hypothèse dans laquelle la demande du client devrait à coup sûr être rejetée est donc celle dans laquelle il serait établi et incontestable qu'il n'avait en réalité aucune chance de voir son action valablement prospérer et aboutir.

Par suite, le débat se déplace sur le terrain de l'appréciation de la chance perdue, qui va évidemment déterminer l'évaluation du préjudice. A supposer en effet que soit caractérisée la perte d'une chance ouvrant droit à réparation, se pose la question de la détermination du quantum de la réparation. La Cour de cassation rappelle fréquemment, sous cet aspect, que "la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée" (14). Du point de vue de la réparation, il importe en effet de distinguer le préjudice perte de chance du préjudice dit "final" : ce qui est réparé, ce n'est jamais la perte du gain escompté en matière professionnelle, la perte de l'avantage recherché en justice ou encore la maladie ou l'état d'invalidité ; seule est réparée la perte d'une chance, ce qui, concrètement, justifie que la réparation de ce préjudice, autonome, soit moindre que celle à laquelle aurait donné lieu le préjudice final. Et, évidemment, si la chance perdue, bien que certaine, était faible, le montant des dommages et intérêts le sera également puisqu'il sera, par hypothèse, dépendant de l'importance de la chance gâchée par la faute de l'auteur du dommage.

  • L'avocat fiscaliste qui n'attire pas l'attention de son client sur le risque que l'administration fiscale requalifie le montage qu'il a élaboré ou y décèle un cas d'abus de droit manque à son devoir de mise en garde et engage sa responsabilité civile (CA Versailles, 22 décembre 2012, n° 11/02179 N° Lexbase : A1988IZN)

L'occasion a déjà été donnée, à de très nombreuses reprises, d'insister sur les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l'avocat, particulièrement lorsqu'il commet une faute consistant dans un manquement à son obligation d'information et de conseil, voire de mise en garde. Mais encore faut-il, pour qu'il soit effectivement jugé responsable, qu'un tel manquement soit établi. Et parfois, la question fait difficulté, particulièrement lorsque l'avocat soutient qu'au jour où il a agi, rien ne permettait d'envisager que les conseils donnés étaient de nature à caractériser une faute. Ce type de situation se rencontre notamment en matière fiscale, dans des hypothèses dans lesquelles, au jour où l'avocat est intervenu, la position de l'administration fiscale sur tel ou tel point n'était pas parfaitement acquise : lorsque, postérieurement, l'administration fiscale condamne au plan fiscal le montage proposé par l'avocat, et que le client de celui-ci se retourne contre lui en lui reprochant un manquement à son devoir de mise en garde, l'avocat peut-il faire valoir qu'il n'a commis aucune faute au motif que, lorsqu'il a agi, la doctrine de l'administration fiscale n'était pas fixée ? La réponse à cette interrogation dépend sans doute assez largement des circonstances de la cause, de nature à influer sur l'appréciation de la faute reprochée à l'avocat. Un arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 20 décembre 2012 en constitue d'ailleurs un exemple évocateur.

En l'espèce, les fondateurs d'un groupe familial exerçant une activité de négoce de vin de champagne et de bourgogne, notamment constitué par une société en commandite par action d'une part, et par une société civile d'autre part, contrôlant respectivement chacun des deux pôles d'activité du groupe, avaient, en 1995, sollicité la société F. afin qu'elle leur propose un schéma de restructuration dans le but d'engager la transmission de leur patrimoine commercial à leurs héritiers, tout en assurant la pérennisation de l'actionnariat familial au sein du groupe, et en conservant, pendant encore quelques années, la direction opérationnelle du groupe ainsi que la maîtrise des revenus que celui-ci était susceptible de générer. Sans entrer ici dans les détails du montage proposé par la société F. qui, selon l'administration, permettait de réaliser une économie d'impôts très substantielle, représentant les trois quarts de l'impôt exigible, il suffit de relever que celui-ci a finalement été mis en cause par l'administration fiscale qui y a décelé un cas d'abus de droit justifiant un redressement. Les intéressés, après avoir engagé une procédure en contestation de l'abus de droit, ont finalement préféré transiger avec l'administration, et ont ensuite intenté une action en responsabilité civile contre leur avocat, en l'occurrence la société F., lui reprochant de ne pas les avoir mis en garde contre le risque de voir l'administration fiscale considérer que le montage proposé pourrait caractériser un abus de droit. La cour d'appel de Versailles décide, sous cet aspect du litige, que l'avocat fiscaliste se devait d'examiner de façon circonstanciée l'éventualité que le schéma proposé soit requalifié par l'administration fiscale ou apparaisse constitutif d'un abus de droit, si bien qu'il a commis une faute engageant sa responsabilité civile en n'attirant pas l'attention de ses clients sur un tel risque. L'arrêt relève, certes, l'absence de position connue du Comité consultatif pour la répression des fraudes au moment de la réalisation de l'étude litigieuse, ce qui justifiait une atténuation de la faute commise par l'avocat pour ne pas avoir attiré l'attention de ses clients sur le risque auquel le montage proposé les exposait. Cependant, cette circonstance ne saurait être de nature à exonérer l'avocat de sa responsabilité : celui-ci, eu égard, notamment, à son implantation à l'échelle de l'ensemble du territoire, ne pouvait ignorer l'action résolue qui était celle de l'administration à l'époque, et que confirme la condamnation nécessairement postérieure de ce type d'opération par le Comité consultatif dans différents avis publiés dans les mois qui ont suivi. Au demeurant, l'avocat disposait en toute hypothèse de la possibilité d'interroger l'administration, y compris par voie de rescrit, ce qu'il s'était précisément gardé de faire.

On sait bien que, en marge du droit commun, une théorie particulière de l'abus de droit a été élaborée en matière fiscale, permettant ainsi au fisc non seulement de lutter contre la fraude fiscale, mais aussi de limiter les possibilités d'évasion fiscale (15). La reconnaissance légale de la notion d'abus de droit en matière fiscale résulte de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU) qui, dans sa rédaction actuelle, issue d'une loi du 30 décembre 2008 (loi n° 2008-1443 N° Lexbase : L3784IC7), dispose que, "afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles". Et il est également prévu, par le même texte qu'"en cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité", et que "si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification". Cette procédure de répression des abus de droit est une procédure exceptionnelle : elle permet à l'administration de sanctionner les "manoeuvres" de certains contribuables qui mettent en oeuvre des opérations juridiques dans le seul et unique but de diminuer l'impôt. Il s'agit donc d'écarter certains actes juridiques d'apparence régulière et d'imposer le contribuable d'après la réalité de sa situation. En d'autres termes, l'administration dispose là d'une arme dissuasive à l'encontre des contribuables trop "astucieux" qui détournent l'esprit de la loi tout en la respectant à la lettre. Tout cela est parfaitement entendu.

Pour en revenir à notre litige, on comprend donc, au cas présent, qu'il était reproché à l'avocat fiscaliste de ne pas avoir mis en garde ses clients contre le risque que le montage qu'il avait élaboré puisse être considéré par l'administration fiscale comme constitutif d'un abus de droit au sens du texte précité. L'avocat avait cependant cherché, pour minimiser, voire effacer sa faute, à convaincre qu'au moment où le montage litigieux avait été mis en place, l'appréciation que pouvait s'en faire le Comité consultatif pour la répression des abus de droit n'était pas formellement connue puisque ledit Comité n'avait pas encore eu l'occasion de se prononcer explicitement, par voie d'avis, sur la validité de montages comparables à celui qui avait été élaboré en l'espèce. Et donc, évidemment, cette appréciation ne figurait pas non plus dans le rapport annuel du Comité que l'administration publie tous les ans. A titre de comparaison, bien que les situations ne soient pas exactement comparables, la Cour de cassation ne décide-t-elle pas "que les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence" (16) ? Mais tout cela suffisait-il pour autant pour en déduire, ici, l'absence de faute de l'avocat ? La cour d'appel de Versailles ne l'a, en tout cas, pas considéré, à juste titre nous semble-t-il, pour deux séries de raisons, d'ailleurs liées l'une à l'autre. D'abord, comme le relève l'arrêt, la notoriété du cabinet consulté, implanté sur l'ensemble du territoire, doit évidemment être prise en compte dans l'appréciation de la faute : elle permet en effet de douter que l'avocat ait réellement pu ignorer qu'il y avait une incertitude quant à la validité du montage litigieux, compte tenu de la détermination de l'administration fiscale, parfaitement établie à l'époque des faits, à lutter contre des montages astucieux permettant des baisses d'impôts illégitimes. En tout cas, et c'est bien ce que paraît considérer la cour d'appel, le fait qu'il se soit agi, en l'espèce, d'un cabinet d'avocats extrêmement important permettait de penser qu'il avait le devoir, quoi qu'il en soit, de se renseigner sur l'efficacité du montage proposé et de se montrer particulièrement prudent. Ensuite, c'est la seconde raison, l'avocat à l'origine du montage litigieux aurait dû, même en l'absence d'avis tranché du Comité consultatif pour la répression des fraudes, et en raison du contexte sus-rappelé, solliciter lui-même l'avis de l'administration fiscale, ce qu'il n'avait pas fait. Or, cette carence est certainement constitutive d'une faute, surtout lorsque le montage mis en place aboutit à une réduction assez considérable du montant de l'impôt. Sans doute en effet consciente de l'ambiguïté de certaines situations, et de l'importance de la sanction encourue (majoration de 80 % des impôts dus), l'administration a prévu un système de consultation préalable, appelé "rescrit" : en cas de doute sur la nature d'une opération, le contribuable peut poser une question écrite aux services fiscaux, en apportant tous les détails nécessaires. La réponse de l'administration lui permettra, si besoin, de modifier l'opération envisagée pour éviter un redressement éventuel pour abus de droit. Et si le contribuable ne reçoit aucune réponse dans les six mois, l'abus de droit ne pourra pas être invoqué en cas de contrôle ultérieur. En n'engageant pas cette procédure de consultation préalable, l'avocat avait, dans notre affaire, manifestement commis une faute caractérisée par un manquement à la diligence et la précaution que l'on attendait de lui, particulièrement s'agissant d'un spécialiste nationalement reconnu en la matière ou se présentant comme tel à la clientèle, notoriété qui justifie d'ailleurs des honoraires souvent élevés.


(1) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-24.388, FS-P+B (N° Lexbase : A8723IBP).
(2) Cass. civ. 1, 23 février 2012, n° 09-72.647, F-D (N° Lexbase : A3171IDS).
(3) Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-11.081, F-P+B+I (N° Lexbase : A4241IG8).
(4) Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-19.265, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9900IPD).
(5) Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, n° 11-15.051, F-D (N° Lexbase : A6270ITE).
(6) Cass. com., 18 septembre 2012, n° 11-19.629, FS-P+B (N° Lexbase : A2492ITH).
(7) Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-19.203, F-D (N° Lexbase : A6701IKE).
(8) Où la perte de chance permet bien souvent aux tribunaux d'allouer une réparation à la victime dans des hypothèses dans lesquelles il existe un doute sur le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage : le concept de perte de chance permet en effet, dans certaines utilisations extensives, notamment en matière médicale, de remédier à l'insuffisance du lien de causalité lorsque l'on ne sait pas vraiment si telle faute a entraîné tel dommage.
(9) Cass. crim., 9 octobre 1975, n° 74-93.471 (N° Lexbase : A2248AZB), Gaz. Pal., 1976, 1, 4 ; Cass. crim., 4 décembre 1996, n° 96-81.163 (N° Lexbase : A1138AC7), Bull. crim., n° 224.
(10) Cass. civ. 1, 21 novembre 2006, n° 05-15.674, F-P+B (N° Lexbase : A5286DSL), Bull. civ. I, n° 498, RDC, 2006, p. 266, obs. D. Mazeaud.
(11) Cass. civ. 1, 16 juin 1998, n° 96-15.437, publié (N° Lexbase : A5076AWW), Bull. civ. I, n° 216, Contrats, conc., consom., 1998, n° 129, obs. L. Leveneur ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2006, n° 05-15.716, FS-D (N° Lexbase : A0934DTR), JCP éd. G, 2007, II, 10052, note S. Hocquet-Berg.
(12) Cass. civ. 1, 8 juillet 2003, n° 99-21.504 (N° Lexbase : A1226C9B).
(13) Cass. civ. 1, 4 avril 2001, n° 98-23.157 (N° Lexbase : A2123ATS).
(14) Cass. com., 3 mai 2012, préc. ; et voir déjà, Cass. civ. 1, 16 juillet 1998, n° 96-15.380, publié (N° Lexbase : A7593AXI), Bull. civ. I, n° 260 ; Cass. civ. 1, 9 avril 2002, n° 00-13.314, publié (N° Lexbase : A4814AYX), Bull. civ. I, n° 116 ; Cass. civ. 2, 9 avril 2009, n° 08-15.977, publié (N° Lexbase : A1156EGW), Bull. civ. II, n° 98. Comp., bien que contestable dans sa formulation, Cass. civ. 1, 27 mars 1973, n° 71-14.587, publié (N° Lexbase : A7414AH3), JCP, 1974, II, 17643, note R. Savatier, énonçant qu'en cas de perte de chance, la réparation ne peut être que "partielle" : elle est en réalité totale si l'on prend en considération le préjudice constitué par la perte d'une chance qui est entièrement réparé. Mais la réparation de ce préjudice est évidemment moindre que celle du préjudice final. C'est en ce sens qu'on a pu dire qu'elle n'était que "partielle".
(15) G. Vignaud, L'abus de droit en matière fiscale, thèse Bordeaux, 1980 ; C. Robbez Masson, La notion d'évasion fiscale en droit interne français, thèse Dijon, 1990 ; P. Fernoux, L'abus du droit dans la gestion du patrimoine, JCP éd. N, 1991, I, p. 185 ; M. Cozian, La notion d'abus de droit en matière fiscale, Gaz. Pal., 1993, 1, doctr., p. 50 ; Rappr. F. Deboissy, La simulation en droit fiscal, thèse Université de Bourgogne, éd. 1997.
(16) Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-24.550, F-P+B+I (N° Lexbase : A2907H88), et nos obs., La modulation dans le temps des revirements de jurisprudence : les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer la faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 103 du 5 janvier 2012 - édition professions (N° Lexbase : N9369BSS).

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Couple - Mariage

[Projet, proposition, rapport législatif] La réforme du mariage et de quelques autres questions : deuxième étape, le vote de l'Assemblée nationale

Réf. : Projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, le 12 février 2013

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

Le 21 Mars 2013

Après un marathon émaillé d'incidents qui n'ont pas fait honneur au législateur français, les députés ont adopté en première lecture le texte ouvrant le mariage et l'adoption aux personnes de même sexe, le 12 février 2013. D'après le rapport rendu par l'INSEE le 14 février 2013, intitulé "Le couple dans tous ses états", cette réforme pourrait concerner 200 000 personnes qui, aujourd'hui, sont en couple avec une personne de même sexe. Parmi ces personnes, 43 % sont pacsées, cette proportion atteignant 55 % après 35 ans ; environ 10 % d'entre elles, généralement des femmes, déclarent vivre au moins une partie du temps avec un enfant, généralement né avant l'union actuelle. Le texte voté par l'Assemblée nationale répond incontestablement aux attentes de ces couples concernant leur accès à un statut juridique identique à celui des couples hétérosexuels, comme le prévoyait le projet de loi présenté en novembre en Conseil des ministres (1). Il tire, en outre, les conséquences de l'accès des couples de même sexe au mariage et à l'adoption. Mais le texte contient également des modifications du droit de la famille qui ne s'inscrivent pas dans cet objectif et qui étendent la réforme à de nouvelles questions.

I - L'accès des couples de même sexe au mariage et à l'adoption

Mariage homosexuel. Le texte reprend à l'identique le nouvel article 143 du Code civil contenu dans le projet de loi en vertu duquel "Le mariage est contracté par deux personnes de même sexe ou de sexe différent". Cet article constitue évidemment la disposition majeure de la réforme qui permet à la France de se classer parmi les pays qui admettent l'accès au mariage des couples homosexuels.

Droit international privé. Les dispositions du texte, relatives au droit international privé, ont été modifiées par rapport au projet de loi. En effet, alors que celui-ci permettait le mariage en France de deux personnes de même sexe alors que leur loi personnelle ne permet pas le mariage homosexuel sans restriction, l'article 202-1, alinéa 2, permet uniquement un tel mariage lorsque "pour au moins une des deux personnes soit la loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet". Le critère de rattachement de la résidence d'un au moins des époux, qui s'ajoute à celui de la loi personnelle, paraît plus conforme aux législations des autres Etats, notamment européens, sur cette question. Ainsi, ne pourront se marier en France que les couples de même sexe dont l'un des membres est français ou dont l'un des membres réside en France.

Mariage de Français à l'étranger. L'article 1er bis D (nouveau) du texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit l'hypothèse dans laquelle un couple homosexuel, dont l'un au moins des membres est français, réside dans un pays dans lequel la célébration du mariage entre personnes de même sexe est impossible (même par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises). Ce couple pourra venir se marier en France dans la commune de naissance ou de dernière résidence de l'un des futurs époux ou de l'un de ses parents, ou grands-parents ou, à défaut, dans la commune de leur choix.

Mariage antérieur. Le texte voté par l'Assemblée nationale reprend les dispositions du projet de loi qui prévoyait que les mariages contractés entre personnes du même sexe avant l'entrée en vigueur de la loi et conformes aux exigences relatives à l'âge matrimonial, au consentement, à l'absence de mariage antérieur, ou aux empêchements à mariage, seront rétroactivement validés, sous réserve même si la loi ne le précise de ne pas contredire une décision judiciaire ayant acquis autorité de la chose jugée.

Adoption et autres effets du mariage. En n'intégrant aucune disposition qui limiterait certains effets du mariage aux époux de même sexe, le texte permet aux couples mariés de même sexe de bénéficier de tous les effets du mariage et notamment de la possibilité d'adopter un enfant ensemble en vertu de l'article 343 du Code civil (N° Lexbase : L2848AB4). Cette dernière question a fait l'objet d'un amendement qui limitait l'accès à l'adoption aux couples hétérosexuels et qui a été rejeté par les députés (2).

PMA. L'amendement n° 2705 présenté par des députés écologistes prévoyant que la procréation médicalement assistée pourrait également avoir "pour objet de répondre à la demande parentale d'un couple de femmes" a également été rejeté. La réforme prévue par l'Assemblée nationale ne devrait pas permettre l'instauration d'une filiation d'un enfant à l'égard de deux personnes de même sexe en dehors de l'adoption. Les couples de femmes pourront continuer à avoir recours à l'insémination avec tiers donneur à l'étranger, l'enfant étant alors rattaché à sa mère biologique. Si le couple est marié, l'épouse de cette dernière pourra alors adopter l'enfant. Il serait sans doute plus simple et plus opportun d'autoriser les femmes à accéder, de manière individuelle, à la PMA en France, mais en maintenant le rattachement primaire de l'enfant à la seule mère biologique, l'adoption de l'enfant par l'autre membre du couple étant possible par la suite dans le cadre du mariage. Une telle solution serait très différente de celle prévue par l'amendement qui semblait viser un rattachement immédiat de l'enfant aux deux femmes comme conséquence de la demande commune de PMA.

II - Les dispositions consécutives

Discrimination. L'un des apports du texte voté par l'Assemblée nationale réside dans un nouvel article L. 1132-3-2 du Code du travail qui dispose que "Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire mentionné à l'article L. 1132-1 pour avoir refusé une mutation géographique dans un Etat incriminant l'homosexualité, s'il est marié ou lié par un pacte de solidarité à une personne de même sexe".

Age du mariage. Comme le prévoyait le projet de loi, la formulation de l'article 144 du Code civil (N° Lexbase : L1380HIX) relatif à l'âge du mariage a été modifié pour faire disparaître la référence à "l'homme et à la femme" et dispose que "Le mariage ne peut être contracté avant dix-huit ans révolus" ; il en va de même des dispositions relatives aux empêchements à mariage qui ont été étendus pour tenir compte des empêchements entre personnes de même sexe (par exemple un oncle et un neveu).

Nom de l'enfant. Le contenu des dispositions relatives au nom de famille attribué à l'enfant est identique à celui que prévoyait le projet de loi, c'est-à-dire qu'en l'absence de déclaration conjointe des parents choisissant le nom de l'enfant, il sera attribué à celui-ci les noms de ses deux parents accolés, dans l'ordre alphabétique, à la place du nom du père prévu par la loi actuelle. Mais le domaine d'application de la règle a été considérablement élargi. En effet, alors que le projet de loi appliquait cette règle supplétive aux seuls enfants adoptés, le texte voté par l'Assemblée nationale l'applique à tous les enfants puisqu'il modifie directement l'article 311-21 du Code civil (N° Lexbase : L8864G98). Par ailleurs, la règle est applicable aux enfants adoptés par un couple et à l'adoption de l'enfant du conjoint (C. civ., art 357 N° Lexbase : L6485DIZ). La portée de cette modification serait considérable si l'on tient compte du fait que très peu de parents choisissent aujourd'hui le nom de leur enfant. La grande majorité des enfants continuent à porter le nom de leur père en vertu de l'actuelle règle supplétive de l'article 311-21. Si le texte est définitivement voté, la primauté du nom du père disparaîtra probablement, à moins qu'une majorité de couples le choisissent par déclaration conjointe. Il est fort probable que la nouvelle règle entraîne un changement significatif dans l'attribution du nom et qu'une majorité d'enfants porte dans l'avenir un double nom.

Dispositions de coordination. Une modification majeure est intervenue depuis le projet de loi présenté le 7 novembre 2012. Alors qu'il était au départ prévu de changer la formulation des textes pour faire disparaître l'expression "père et mère" au profit de celle de parent, la loi votée par l'Assemblée nationale ne procède pas à une telle neutralisation. La formulation des dispositions du livre du Code civil relatif aux personnes reste la même (3) mais un nouvel article 6-1 du Code civil prévoit qu'elles s'appliquent, à l'exception du titre relatif à la filiation "aux parents de même sexe, lorsqu'elles font référence aux père et mère, aux aïeuls de même sexe lorsqu'elles font référence aux aïeul et aïeule, au conjoint survivant d'un couple de personnes de même sexe lorsqu'elles font référence aux veuf et veuve". La même règle s'applique en vertu d'un nouvel article 718 du Code civil au troisième titre de ce code. L'article 4 bis de la loi contient une règle similaire pour l'ensemble des dispositions législatives hors Code civil. Ces dispositions générales constituent des règles interprétatives qui permettent de maintenir, pour des raisons symboliques, la référence aux père et mère, tout en permettant leur application aux couples de même sexe. On notera l'exclusion des dispositions relatives à la filiation charnelle, qui met en exergue le cantonnement de la réforme au mariage et à l'adoption.

En revanche, les termes de mari et femme sont remplacés par l'expression "d'époux" dans les articles 75 (N° Lexbase : L6646IM4) et 108 (N° Lexbase : L1093AB4) du Code civil et les termes de beau-père et belle-mère par l'expression "beaux-parents" dans l'article 206 (N° Lexbase : L2271ABQ).

Allocation de remplacement. Le texte voté par l'Assemblée nationale reprend les dispositions du projet relatif aux indemnités, allocations ou congés liés à l'adoption d'un enfant. Un nouvel article 13 bis adapte également le régime de l'allocation de remplacement du Code rural et de la pêche maritime aux hypothèses d'adoption par un couple de même sexe en supprimant toute référence à une parenté sexuée.

III - Les dispositions additionnelles

Caractère républicain du mariage. Les députés ont ressenti le besoin de préciser dans l'article 165 du Code civil que le mariage donnera lieu à une célébration non seulement publique mais aussi républicaine devant l'officier d'état civil...

Lieu du mariage. L'article 74 du Code civil (N° Lexbase : L3235ABG) a été modifié par l'Assemblée nationale alors que le projet de loi ne le prévoyait pas, pour permettre aux époux de se marier dans la commune où réside l'un de leur parent, consacrant ainsi un usage familial souvent pratiqué par les futurs mariés qui souhaitent célébrer leurs noces dans le berceau familial de l'un d'eux.

Nom de l'adopté. Reprenant le projet de loi, l'article 3 de la loi prévoit que l'adoption simple ne confère le nom de l'adoptant, ajouté au nom de l'adopté, qu'avec le consentement de celui-ci s'il est majeur. Par ailleurs, dans le cadre de l'adoption de l'enfant du conjoint, l'adoptant pourra demander à ce que l'adopté conserve son nom d'origine. Cette nouvelle possibilité correspond à une demande de la pratique, nombre d'enfants adoptés par leur beau-père ou belle-mère alors qu'ils ont atteint un certain âge, ne souhaitant pas être contraints de changer de nom.

Un certain nombre de dispositions prévoit les modalités de changement de nom de l'enfant faisant l'objet d'une adoption simple par un couple, et notamment lorsque les membres de celui portent eux-mêmes un double nom. On retrouve alors un même système de choix par les adoptants et à défaut de désignation du nom par référence à l'ordre alphabétique.

Adoption de l'enfant du conjoint qui l'a lui-même adopté. L'adoption de l'enfant du conjoint a fait l'objet de dispositions nouvelles, issues d'amendements émanant de la Commission des lois et de la Commission des affaires sociales, et destinées à faciliter la consécration du lien existant entre un enfant et l'époux de son parent adoptif. En effet, si l'enfant a initialement été adopté par une personne célibataire, laquelle vient ensuite à se marier, l'adoption par l'époux de l'enfant de son conjoint n'est aujourd'hui pas expressément prévue. Le texte voté par l'Assemblée nationale permet, lorsqu'une personne mariée a adopté seule un enfant sous la forme plénière ou simple, que celui-ci soit ensuite adopté par l'époux de l'adoptant. L'article 345-1 du Code civil permettrait ainsi que l'adoption plénière de l'enfant du conjoint soit admise "lorsque l'enfant a fait l'objet d'une adoption plénière par ce conjoint" ; de même, l'article 360 du Code civil permet que l'enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière ou d'une adoption simple puisse faire l'objet d'une adoption simple de la part du conjoint de l'adoptant.

Exercice de l'autorité parentale par les parents adoptifs. C'est une modification conséquente que prévoit l'article 1er ter de la loi telle que votée par l'Assemblée nationale en première lecture, et qui a été adopté par la Commission des lois. Il s'agirait d'inverser le principe relatif à l'exercice de l'autorité parentale en cas d'adoption de l'enfant du conjoint dans le but de faciliter l'exercice en commun dans cette hypothèse. Alors qu'actuellement cette adoption n'entraîne un exercice en commun de l'autorité parentale qu'en cas de déclaration conjointe du parent biologique et de l'adoptant, un nouvel article 365, alinéa 2, disposerait qu'en cas d'adoption conjointe "l'autorité parentale appartient concurremment à l'adoptant et à son conjoint, lesquels l'exercent en commun". La portée de l'adoption de l'enfant du conjoint, lorsqu'il est mineur, en serait fortement augmentée puisque l'adoptant obtiendrait de plein droit l'exercice de l'autorité parentale. Si les titulaires de l'autorité parentale ne souhaitent pas l'exercer conjointement, ils pourront cependant saisir le juge aux affaires familiales dans les conditions de droit commun et notamment faire homologuer une convention en ce sens.

Droit de visite du tiers ayant résidé avec l'enfant. L'Assemblée nationale s'est emparée de la question du beau-parent en prévoyant dans un article 373-3 alinéa 2 du Code civil que "le juge peut, si tel est l'intérêt de l'enfant, prendre des mesures permettant de garantir le maintien des relations personnes de l'enfant avec le tiers qui a résidé, de manière stable, avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et avec lequel il a noué des liens affectifs et stables". Il s'agit de consacrer un droit de visite au profit d'un nouveau tiers privilégié, qui vient s'ajouter aux grands-parents. Toutefois, le texte reste plus général puisqu'il vise le maintien des relations personnelles ; c'est sans doute la raison pour laquelle il n'a pas été intégré dans l'article 371-4 où il aurait cependant occupé une meilleure place. On notera que la simple qualité d'époux ou de concubin d'un parent de l'enfant ne bénéficiera pas de ce droit et qu'il faudra prouver l'effectivité des relations affectives du beau-parent avec l'enfant ainsi que la réalité de sa participation à sa prise en charge. Cette disposition a, semble-t-il, été prévue afin d'apporter une réponse aux situations dans lesquelles l'adoption de l'enfant du conjoint n'est pas possible ou n'a pas été envisagée par le couple avant sa séparation, mais où un maintien des liens entre un enfant et son parent social doit être recherché dans l'intérêt de cet enfant.


(1) Cf. nos obs., L'accès des couples homosexuels au mariage et à l'adoption : première étape, Lexbase Hebdo n° 505 du 15 novembre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4458BTB).
(2) L'amendement n°4526 proposait "A l'article 343 du Code civil, les mots : "deux époux" sont remplacés par les mots : "un mari et une femme" pour limiter les cas d'adoption des couples mariés aux seuls couples hétérosexuels.
(3) Sauf dans l'article 601 du Code civil (N° Lexbase : L3188ABP), relatif à l'usufruit.

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Février 2013

Lecture: 13 min

N5838BTE

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

Le 21 Février 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, tous deux promis aux honneurs du Bulletin. Dans le premier rendu le 22 janvier 2013, et commenté Emmanuelle Le Corre-Broly, la Haute juridiction se prononce pour la première fois sur la question de savoir si l'associé d'une société de mandataire judiciaire, qui n'a pas été désigné par le juge afin de conduire cette mission pour laquelle la personne morale a été nommée, peut valablement représenter cette dernière pour l'accomplissement d'un acte relatif à cette mission, par exemple, la déclaration d'une créance dont est titulaire le débiteur liquidé. Dans le second commentaire de cette chronique, le Professeur La Corre nous livre ses observations sur un arrêt rendu le 5 février 2013 relatif à la compensation des créances lorsqu'est alléguée une confusion de patrimoines sans décision de justice étant intervenue en ce sens.
  • Déclaration de créance effectuée par un liquidateur et mandat de justice confié à une société de mandataires judiciaires (Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-29.028, F-P+B N° Lexbase : A8798I3A)

Si elles peuvent être exercées à titre individuel, les professions d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, le sont cependant plus fréquemment au sein de sociétés civiles professionnelles ou de sociétés d'exercice libéral. Lorsque le tribunal nomme une personne morale pour exercer les fonctions de mandataire judiciaire dans une procédure collective, il résulte des dispositions de l'article L. 812-2, III du Code de commerce (N° Lexbase : L3354IC9) que le tribunal désigne au sein de la personne morale une ou plusieurs personnes physiques "pour la représenter dans l'accomplissement du mandat qui lui est confié". L'article R. 814-83 du Code de commerce (N° Lexbase : L2005HZB) prévoit, pour sa part, que "le mandat de justice est exercé par la société d'administrateur judiciaire ou de mandataire judiciaire. Le juge désigne celui ou ceux des associés qui conduiront la mission au sein de la société et en son nom".

L'associé, qui n'a pas été désigné par le juge afin de conduire cette mission pour laquelle la personne morale a été nommée, peut-il valablement représenter cette dernière pour l'accomplissement d'un acte relatif à cette mission, par exemple, la déclaration d'une créance dont est titulaire le débiteur liquidé ?

Telle est la question, inédite à notre connaissance, portée devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation et tranchée par un arrêt rendu le 22 janvier 2013.

En l'espèce, une société civile professionnelle de mandataires judiciaires comprenant deux associés avait été désignée liquidateur d'une société. Conformément aux dispositions des articles L. 812-2, III et R. 814-83, l'un des deux associés avait été désigné pour suivre la procédure. Une déclaration de créance a été effectuée au passif d'un débiteur de la société liquidée. Cependant, cette déclaration n'avait pas été l'oeuvre de l'associé désigné par le tribunal pour représenter la personne morale dans l'accomplissement du mandat de justice mais celle de l'autre associé, lui-même représenté par un avocat.

Dans un premier temps, la créance avait été admise par le juge-commissaire, puis la déclaration de créance a été déclarée nulle par la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 29 septembre 2011) au motif que "la créance pouvait être régulièrement déclarée par celui des associés désigné pour suivre la procédure agissant implicitement ou explicitement pour le compte" de la personne morale nommée par le tribunal et que, "n'étant pas chargé de suivre la procédure", l'associé signataire de la déclaration de créance "ne pouvait déclarer la créance à titre personnel".

Un pourvoi avait alors été diligenté contre l'arrêt d'appel par la société civile professionnelle de mandataires judiciaires. Il y était soutenu que, dès lors que la déclaration avait été faite par un des membres de la société civile professionnelle désignée par le tribunal, celle-ci était régulière.

L'argumentation n'a cependant pas convaincu les Hauts magistrats qui ont rejeté le pourvoi en visant les articles L. 812-2, III et R. 814-83 dont il résulte qu'une société de mandataires judiciaires désignée en qualité de liquidateur est représentée, pour l'accomplissement de cette mission, par le ou les mandataires judiciaires associés nommés par le tribunal en application de ces textes.

Il en découle la solution selon laquelle la créance du débiteur liquidé ne peut être régulièrement déclarée que par celui des associés désigné pour suivre la procédure pour le compte de la société.

Cette solution peut surprendre. Elle n'était en tout cas pas évidente.

Certains éléments auraient, en effet, pu militer en faveur de la régularité de la créance déclarée par n'importe lequel des associés de la personne morale nommée par le tribunal en qualité de mandataire judiciaire.

Tout d'abord, il résulte de l'article R. 814-84 du Code de commerce que dès lors qu'un administrateur judiciaire ou un mandataire judiciaire associé exerce au sein d'une société, il ne peut pas exercer sa profession à titre individuel ou en qualité de membre d'une autre société, quelle qu'en soit la forme. En conséquence, l'associé ayant déclaré la créance ne pouvait pas le faire à titre individuel et le faisait donc, nécessairement, en qualité d'associé de la société.

Ce constat est relayé par l'article R. 814-85 (N° Lexbase : L2007HZD), qui énonce que chaque mandataire judiciaire associé exerçant au sein d'une société exerce les fonctions de mandataire judiciaire au nom de la société.

Ensuite, une solution adoptée précédemment par la Chambre commerciale aurait pu, par analogie, conduire cette dernière à statuer différemment dans le cadre de l'arrêt rapporté.

En effet, dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt -non publié au bulletin- du 30 juin 2009 (1),un créancier avait adressé sa déclaration de créance à l'intention d'un mandataire de justice, membre d'une société civile professionnelle alors qu'un autre associé de cette SCP avait été désigné pour conduire la mission au sein de la société. La Chambre commerciale avait cependant considéré, aux termes d'un attendu qui mérite d'être reproduit, que la déclaration de créance était régulière : "Attendu, dès lors, qu'après avoir énoncé que le tribunal, en nommant M. [Z.] en qualité de représentant des créanciers de la société Comeback, avait nécessairement désigné la SCP [Y. Z.], seule habilitée à exercer le mandat, en précisant que M. [Z.] serait nominalement désigné pour conduire la mission au sein de la société civile professionnelle, l'arrêt en a exactement déduit que la déclaration de créance, expédiée dans le délai légal à l'adresse de la SCP titulaire du mandat, même faite à M. [Y.], était régulière, dès lors que ce dernier était membre de la société civile professionnelle à laquelle appartenait M. [Z.] et que cette déclaration avait été réceptionnée par la société civile professionnelle". Il semblait donc ressortir de cet arrêt que, dès lors que la déclaration de créance était adressée à l'un des membres de la SCP, il fallait considérer que la SCP avait valablement été saisie de la déclaration de créance.

Par analogie et symétriquement, dans l'hypothèse où, cette fois, ce n'est pas l'associé qui est destinataire de la déclaration de créance mais expéditeur de celle-ci, la solution aurait dû être identique : dès lors que l'auteur de la déclaration de créance est un associé de la société civile professionnelle nommée par le tribunal et que ce dernier ne peut exercer sa profession qu'au nom de la société (C. com., art. R. 614-85), la déclaration de créance aurait dû être jugée régulière, dès lors, du moins, que l'associé a, au regard du droit des sociétés, qualité pour représenter la société (aucune précision n'est donnée sur ce point dans l'arrêt).

Peu sensibles aux arguments de texte tirés des articles R. 814-84 et R. 814 85 du Code de commerce, les Hauts magistrats se sont focalisés sur les dispositions des articles L. 812-2, III et R. 814-83 pour approuver la cour d'appel d'avoir déclaré nulle la déclaration de créance, selon elle irrégulièrement déclarée par l'associé qui n'était pas chargé de conduire la mission au sein de la société nommée par le tribunal. Il semble qu'il faille en déduire que la représentativité statutaire de la société d'exercice libéral s'efface devant la représentativité décidée par le tribunal dans le cadre de l'exercice de la mission et donc de l'accomplissement du mandat confié à la société.

Les membres des professions du mandat de justice doivent impérativement prendre en considération l'enseignement de cet arrêt, dont l'évidente importance se trouve soulignée par une publication au Bulletin. Seule la ou les personnes physiques désignées par le tribunal au sein de la personne morale pourront la représenter dans l'accomplissement du mandat confié à la société. Seul celui ou ceux des associés désignés par le juge pourront conduire la mission au nom de la société et en son nom.

Ajoutons quelques remarques relatives à l'hypothèse de la désignation de deux co-liquidateurs, comme cela est pratiqué dans certains dossiers importants. La Cour de cassation a jugé que lorsque le tribunal désigne plusieurs mandataires judiciaires ou plusieurs liquidateurs, la répartition des tâches leur incombant personnellement reste indifférente pour le créancier, qui peut donc valablement envoyer sa déclaration de créance à n'importe lequel d'entre eux. Le mandataire judiciaire ou le liquidateur ayant seul qualité pour recevoir les déclarations de créance, la précision de la mission confiée à chacun des mandataires reste sans incidence sur la fonction dont est légalement investi cet organe (2).

Compte tenu de la solution posée par la Cour de cassation dans le présent arrêt, on peut penser que les solutions suivantes seraient dégagées dans l'hypothèse où l'un des liquidateurs déclarerait la créance détenue par le débiteur.

Si les liquidateurs n'ont pas reçu de mission particulière, chacun d'eux aura qualité pour déclarer la créance. Peu importe à cet égard que les deux co-liquidateurs nommés appartiennent à une seule et même société ou soient dans des structures différentes.

Si le tribunal a fixé une mission précise pour chacun des deux co-liquidateurs, seul celui ayant reçu qualité pour représenter en justice le débiteur pourra valablement déclarer la créance détenue par ce dernier, peu importe à cet égard que des deux co-liquidateurs appartiennent ou non à une même société civile professionnelle ou d'exercice libéral.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

  • Compensation et patrimoines confondus sans décision de justice (Cass. com., 5 février 2013, n° 12-12.808, F-P+B N° Lexbase : A6298I7E)

Par le double paiement qu'elle opère, la compensation est un mode extinctif des obligations réciproques, à concurrence de la plus faible.

Dans le cadre des procédures collectives de paiement, la compensation est une technique particulièrement attractive pour le créancier, constituant pour lui une véritable garantie. Elle lui évite, en effet, de décaisser au profit de la personne sous procédure collective, des espèces sonnantes et trébuchantes en contrepartie d'un paiement qu'elle va recevoir, de la part de cette même personne, en "monnaie de faillite", c'est-à-dire, pour un créancier chirographaire, "en monnaie de singe". On comprend donc l'acharnement des créanciers à prétendre, dans le cadre d'une procédure collective, au jeu de la compensation, qui va leur permettre à concurrence de leur dette, si celle-ci est au moins égale à leur créance, tout à la fois de faire l'économie d'un paiement et tout à la fois d'être payés.

La compensation, qu'elle soit légale, judiciaire ou conventionnelle, ne peut intervenir qu'entre deux personnes identiquement créancières et débitrices. La compensation n'est pas une opération à trois personnes, contrairement à la cession ou à la délégation de créance. La solution a déjà été posée en jurisprudence. Ainsi, a-t-il pu être jugé que la compensation ne joue qu'entre débiteur et créancier identiques et non point entre une banque et diverses sociétés d'un groupe qui avaient décidé de concentrer sur un compte unique le débit résultant de l'utilisation d'un découvert autorisé (3). De même, il a été jugé que la compensation ne peut jouer entre des créances détenues par une société sur la société sous procédure collective et une créance détenue par cette dernière sur autre société, fut-elle du même groupe. Ainsi, il a pu être jugé que la compensation ne pouvait jouer entre une créance détenue par l'adhérent sur son affactureur et des créances d'un fournisseur sur l'adhérent (4).

Pour tourner la difficulté liée à l'obligation d'existence de créances et dettes réciproques entre deux personnes, les plaideurs, en l'espèce, avait cru devoir recourir à la confusion des patrimoines.

Une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) et son gérant, M. H., étaient adhérents d'une société coopérative. La coopérative détenait une créance à l'égard de l'EARL et était débitrice d'une certaine somme envers le gérant. L'EARL et son gérant avaient tous deux été placés en liquidation judiciaire, par deux jugements distincts. La coopérative entendait compenser sa dette envers M. H, le gérant, et sa créance détenue sur l'EARL. Consciente qu'elle n'était pas en position de créancière et de débitrice à l'égard de la même personne, la coopérative a soutenu qu'il existait entre l'EARL et son gérant, M. H, une confusion des patrimoines. Ainsi, il n'existait plus qu'une seule masse active et passive constituée de l'EARL et du gérant. Cette unité de masse active et passive emportait la conséquence que la coopérative se retrouvait débitrice de l'ensemble constitué par l'EARL et son gérant. Symétriquement, elle se retrouvait créancière de cette même masse active et passive.

Voilà qui était parfaitement analysée. En effet, la Cour de cassation considère que l'extension sur le fondement de la fictivité ou de la confusion des patrimoines emporte création d'une procédure collective unique avec patrimoine commun et masse active et passive unique (5). Les actifs et le passif de la personne à laquelle la procédure est étendue sont réunis aux actifs et au passif de la seule procédure ouverte (6). Le recours à la notion d'indivision pour rendre compte de la solution est exclu (7), puisqu'il n'y a pas plusieurs, mais bien un seul patrimoine (8).

De cette unicité de masse active et passive, il est tiré de multiples conséquences. Ainsi a-t-il été jugé que si la procédure du débiteur est étendue à une caution, il s'opère une confusion de droit, du fait de la réunion dans la même personne des qualités de créancier et de débiteur, qui emporte extinction du cautionnement pour ne laisser subsister que la dette principale (9).

Il était donc soutenu, d'une manière irréprochable sur le terrain juridique, que l'extension d'une procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité pouvait rendre créancière du débiteur une personne qui lui était initialement étrangère.

Mais encore fallait-il qu'il y ait confusion des patrimoines. Le droit de la personnalité juridique commande, par principe, que toute personne soit titulaire d'un patrimoine et d'un seul. Le patrimoine d'une personne est en outre distinct de celui d'une autre personne. En outre, l'autonomie d'une personne morale par rapport à son dirigeant interdit par principe de faire produire des effets juridiques du patrimoine de l'un sur le patrimoine de l'autre.

Par les effets particulièrement dérogatoires au droit de la personnalité juridique qu'elle emporte, l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines ne peut exister que si un jugement intervient en ce sens.

Le principe "pas d'extension sans jugement" peut être affirmé. Il justifie, en l'espèce, que les conséquences classiquement tirées de l'extension, à savoir la possibilité de création d'une masse active et passive unique entre les deux personnes à patrimoines confondus justifiant le jeu de la compensation légale, aient été écartées.

Pour ce faire, la Cour de cassation se fonde sur l'autorité de la décision ayant ouvert à l'encontre de M. H, le gérant de l'EARL, une procédure distincte de celle ouverte contre l'EARL. Là où il y a procédure distincte, il ne peut y avoir confusion des patrimoines. Dès lors, la condition de réciprocité entre la créance et la dette ne pouvait exister et, par voie de conséquence, il n'y avait pas place au jeu de la compensation.

Il reste à indiquer au plaideur qu'il aurait pu organiser les conditions de ce jeu en agissant lui-même en extension. Certes, l'on sait que le créancier est dépourvu de qualité à agir en extension de procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines. La Cour de cassation a énoncé, dans un arrêt de principe (10), qu'un créancier ne peut agir en extension sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité. La solution a ensuite été reproduite (11). Même si la Cour de cassation n'a pas été explicite sur le fondement de cette dénégation de qualité à agir, l'idée de défense de l'intérêt collectif des créanciers appartenant exclusivement au représentant des créanciers semble justifier la solution.

La loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150GHT) conduit à un changement de solution. Si le créancier, en cette qualité, ne dispose toujours pas du pouvoir d'agir aux fins d'extension sur le fondement de la fictivité ou de la confusion des patrimoines, en revanche, la solution est modifiée pour le contrôleur. Le rôle nouveau dévolu au contrôleur, qui l'autorise à agir afin de défendre l'intérêt collectif des créanciers si le mandataire judiciaire n'agit pas, conduit à permettre de lui reconnaître la possibilité d'agir en extension (12) sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité, en cas de carence du mandataire judiciaire préalablement mis en demeure d'agir. Cette suggestion doctrinale a été suivie par une juridiction du fond (13).

Ainsi, en l'espèce, le créancier, avant d'invoquer la compensation, aurait dû se faire désigner contrôleur dans la liquidation judiciaire de l'EARL. Ensuite, il aurait pu mettre en demeure le liquidateur de l'EARL d'agir en extension de procédure à l'encontre du gérant M. H. S'il avait obtenu gain de cause, il aurait pu invoquer la compensation légale.

Mais rassurons ce plaideur. Il n'est pas sûr pour autant qu'il aurait obtenu gain de cause. Si un jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines était intervenu, une autre question n'aurait pas manqué de se poser. Aurait-il pu invoquer une compensation légale, laquelle suppose la réunion des conditions d'exigibilité, de certitude et de liquidité des créances réciproques au jour du jugement d'ouverture ? La question se pose dans la mesure où la Cour de cassation, à plusieurs reprises, a affirmé que le jugement d'extension n'avait pas d'effet rétroactif. Il n'y aura opposabilité de la situation aux créanciers de la structure à laquelle la procédure a été étendue qu'à compter du jugement d'extension. L'opposabilité n'est pas rétroactive. La Cour de cassation affirme ainsi que nonobstant l'unicité de procédure, le jugement la prononçant ne rétroagit pas au jour du jugement initial d'ouverture (14).

Dès lors, si l'ouverture de la procédure contre l'une des deux personnes, en l'occurrence l'EARL, intervient avant le jugement d'extension, la condition de réciprocité nécessaire au jeu de la compensation légale n'existe pas au jour du jugement d'ouverture.

Ainsi, par quelque bout que l'on prenne l'affaire, le dossier semblait bien mal embarqué. Il n'est pas si facile -et heureusement- de contourner une règle d'ordre public du droit des entreprises en difficulté, telle celle de l'interdiction du paiement des créances antérieures...

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-13.680, F-D (N° Lexbase : A5815EI9), Gaz. proc. coll., 2009/4, 2ème partie, p. 26, nos obs..
(2) Cass. com., 21 mars 2006, n° 05-11.439, F-D (N° Lexbase : A8062DNW), RTDCom., 2006, 910, n° 1, obs. A. Martin-Serf, Gaz. proc. coll., 2006/3, p. 35, obs. P.-M. Le Corre ; Cass. com., 21 mars 2006, six arrêts, n° 05-11.440, FD (N° Lexbase : A8063DNX) n° 05-11-441, F-D (N° Lexbase : A8064DNY), n° 05-11.442, F-D (N° Lexbase : A8065DNZ), n° 05-11.443, F-D (N° Lexbase : A8066DN3), n°05-11.513, F-D (N° Lexbase : A8067DN4) et n° 05-11.514, F-D (N° Lexbase : A8068DN7), RD banc. et fin., mai-juin 2006, p. 25, n° 108, note F.-X.Lucas ; Cass. com., 30 mai 2006, n° 05-14.248, F-P+B (N° Lexbase : A7610DPK), Bull. civ. IV, n° 131, D., 2006, AJ 1683, obs. A. Lienhard, RTDCom., 2006. 910, n° 1, obs. A. Martin-Serf, JCP éd. E, 2006, chron. 2331, p. 1534, n° 10, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 16 janvier 2007, n° 05-15.912, F-D (N° Lexbase : A6162DTE) ; Cass. com., 27 mars 2007, n° 05-20.574, F-D (N° Lexbase : A7951DUZ) ; Cass. com., 24 avril 2007, n° 05-20.280, F-D (N° Lexbase : A0198DWA).
(3) CA Versailles, 13éme ch., 12 mars 1998, BSD c/Me Chavanne de Dalmassy, ès qual. liquidateur Soldy.
(4) Cass. com., 27 septembre 2005, n° 03-12.472 F-D (N° Lexbase : A5764DKP), Gaz. proc. coll., 2006/1, p. 36, obs. R. Bonhomme ; CA Versailles, 13ème ch., 13 février 2003, n° 01/05236; (N° Lexbase : A2304C99), Gaz. Pal., 18-19 juillet 2003, somm. 16, LPA, 17 mai 2004, n° 98, p. 12, note J.-P. Sortais.
(5) Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-15.715, F-D (N° Lexbase : A5851EIK), Gaz. proc. coll., 2009/4, 2ème partie, p. 5, note Fl. Reille ; Dr. sociétés, nov. 2009, comm. 209, p. 28, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll., 2010/2, comm. 45, p. 40, note B. Saintourens.
(6) Pour la fictivité, v. Cass. com., 8 novembre 1988, n° 87-11.233, inédit (N° Lexbase : A9128CPR), D., 1989, somm. 372, obs. A. Honorat ; Rev. sociétés, 1990. 71 ; RJ com., 1989, 236, obs. Ch. Gallet. Pour la confusion des patrimoines, v. Cass. com., 17 février 1998, n° 97-13.098, publié (N° Lexbase : A2965ACS), Bull. civ. IV, n° 58 ; LPA, 12 juin 1998, n° 70, p. 22, note B. Soinne.
(7) Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-15.715, F-D, préc. et les obs. préc. note 5.
(8) Cass. civ. 1, 13 février 2001, n° 98-16.109 (N° Lexbase : A5417A4E), Dr. sociétés, 2001, comm. 112, obs. J.-P. Legros ; adde J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2165, [Exploitation en commun et confusion des patrimoines], 2006, n° 65.
(9) Cass. com., 17 février 2009, n° 07-16.558, F-P+B (N° Lexbase : A2593EDE), Bull. civ. IV, n° 23 ; Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 17, n° 1 note Fl. Reille ; Act. proc. coll., 2009/6, n° 96, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2009, 1644, n° 13, obs. Ph. Simler ; JCP éd. E, 2009, chron. 1814, n° 15, note M. Cabrillac ; Dr. et patr., septembre 2009, n° 184, p. 110, note C. Saint-Alary-Houin ; Rev. proc. coll., 2009/5, p. 39, § 102, note B. Saintourens ; RTDCom., 2009, 615, no 4, obs. A. Martin-Serf.
(10) Cass. com., 15 mai 2001, n° 98-14.560, publié (N° Lexbase : A4413ATM), Bull. civ. IV, n° 91 ; D., 2001, AJ 1949, obs. A. Lienhard ; D., 2001, somm. 3425, obs. A. Honorat ; Act. proc. coll., 2001/12, n° 148 ; Bull. Joly Sociétés, 2001, 979, n° 223, obs. Ph. Pétel.
(11) Cass. com., 19 février 2002, n° 99-12.776, F-D (N° Lexbase : A0234AYC).
(12) Rapport Xavier de Roux, n° 2095, p. 186. Adde J.-CL. COM., Jacquemont, fasc. 2165, [Exploitation en commun et confusion des patrimoines], 2006, n° 49 ; Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, 2ème éd., Litec, 2007, n° 493 ; Ph. Roussel Galle, Les contrôleurs, gardiens de l'intérêt collectif, Gaz. Pal., n° sp. 9-10 septembre 2005, p. 3 et s., sp. p. 5, n° 14 ; P. Cagnoli, La qualité pour agir, questions procédurales, Rev. proc. coll., 2006/2, p. 209 et s., sp. p. 210 ; F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., Lgdj, 2012, n° 330 ; D. Gibirila, Droit des entreprises en difficulté, Defrénois, 2009, n° 224 ; J. Vallansan, P. Cagnoli et L. Fin-Langer, Difficultés des entreprises - Commentaire article par article du livre VI du Code de commerce, Litec, 6ème éd., 2012, p. 60.
(13) CA Paris, Pôle 5, 8e ch., 1er mars 2011, no 10/19932 (N° Lexbase : A2997G9U), Act. proc. coll., 2011/11, comm. 164.
(14) Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-12.552, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4622DDK), Bull. civ. IV, n° 170 ; D., 2004, AJ 2651, obs. A. Lienhard ; D., 2005, pan. 292, obs. P.-M. Le Corre ; JCP éd. E, 2005, chron. 31, p. 25, n° 1, obs. Ph. Pétel ; Bull. Joly Sociétés, 2005/1, § 3, p. 34, note F.-X.Lucas ; RJ com., 2005/1, p. 70, note J.-P. Sortais ; Rev. sociétés, 2005, 459, note D. Robine ; Defrénois, 2005/11, p. 983, chron. 38177, n° 1, note D. Gibirila ; Dr. et proc., 2005/2, p. 87, note P.-M. Le Corre ; nos obs. également, L'absence de rétroactivité de l'unicité de masse passive et active du jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, Lexbase Hebdo n° 139 du 21 octobre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N3159ABM).

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Marchés publics

[Jurisprudence] La régularisation des marchés irrégulièrement attribués par une commission d'appel d'offres

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 28 janvier 2013, n° 358302, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0151I4D)

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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat

Le 21 Février 2013

Par une décision n° 358302 du 28 janvier 2013, le Conseil d'Etat, donnant une nouvelle illustration de la possibilité pour les personnes publiques de réitérer régulièrement leur consentement à conclure un contrat lorsque le consentement initial avait été irrégulièrement donné, a précisé les conditions dans lesquelles doit intervenir ce consentement lorsque le marché en cause a été irrégulièrement attribué par la commission d'appel d'offres. Confirmant l'obligation de cette dernière, lorsqu'elle n'a pas encore été renouvelée à la suite des élections dans les collectivités qu'elle représente, de se cantonner à l'expédition des affaires courantes, et donc de ne pas attribuer de marchés (sauf si le coût et le volume du marché en cause sont minimes et si une urgence particulière s'attache à leur réalisation), le Conseil d'Etat a, cependant, confirmé, à la suite d'une décision du 23 décembre 2011 (1), que la personne publique en cause avait la possibilité de régulariser le marché. Tout l'intérêt de la présente décision est de préciser qu'un marché attribué par une commission d'appel d'offres irrégulièrement composée ne peut être régularisé que par l'intervention d'une nouvelle décision de la commission d'appel d'offres et d'une nouvelle décision de l'organe délibérant régulièrement composés destinées, pour la première, à confirmer le choix de l'attributaire du marché et, pour la seconde, à réitérer l'autorisation donnée à l'exécutif de l'établissement public de signer le marché. Ce sont donc deux décisions qui sont nécessaires, la seule décision de l'organe délibérant nouvellement composé ne suffisant pas à régulariser la décision d'attribution du marché prise par la commission d'appel d'offres irrégulièrement composée. I - La confirmation de l'application de la notion d'affaires courantes aux décisions de la commission d'appel d'offres

A - Une composition irrégulière de la commission d'appel d'offres mais régulière de l'organe délibérant

Le syndicat mixte en cause regroupe trois syndicats mixtes de la région Nord Pas-de-Calais et représente 160 communes. Dans le cadre de l'exercice de sa compétence en matière de traitement et de valorisation des déchets ménagers et assimilés, il a entrepris, à partir de 2002, de faire réaliser un centre de valorisation énergétique. Après l'échec d'une première procédure de passation, il a été décidé de passer deux marchés, relatifs, l'un à la conception, l'autre à la construction du centre. Les appels d'offres ont été lancés en 2006 et le comité syndical a autorisé son président à signer le premier marché en 2007. A la suite de diverses péripéties, la commission d'appel d'offres n'a décidé d'attribuer le second marché, relatif aux travaux de génie civil, que le 10 avril 2008, alors que les élections municipales avaient eu lieu au mois de mars et que le nouveau comité syndical ne serait installé que le 10 juin 2008. Le 25 juin 2008, le comité syndical a autorisé son président à signer le marché.

Sur recours d'un délégué au comité syndical, le tribunal administratif de Lille a, par un jugement du 5 octobre 2010, annulé cette délibération du 25 juin 2008, au motif qu'elle avait été prise au terme d'une procédure irrégulière, la commission d'appel d'offres étant, à la date à laquelle elle a pris sa décision, uniquement compétente pour expédier les affaires courantes, au nombre desquelles ne figurait pas l'attribution d'un marché de cette importance. La cour administrative d'appel de Douai, par un arrêt du 31 janvier 2012 (2), a confirmé ce jugement et, statuant sur les conclusions incidentes du défendeur aux fins d'injonction, a enjoint au syndicat mixte de saisir le juge du contrat afin qu'il en constate la nullité. Cette espèce était donc différente, sur un point essentiel, de l'espèce ayant donné lieu à la décision du 23 décembre 2011. En effet, dans cette dernière affaire, le Conseil d'Etat a jugé que la commission d'appel d'offres et l'organe délibérant de l'EPCI ne pouvaient que gérer les affaires courantes à la suite du renouvellement général des conseils municipaux des communes membres du syndicat intercommunal. Autrement dit, la commission d'appel d'offres et l'organe délibérant étaient incompétents ratione temporis et seule une délibération de l'organe délibérant issu de ce renouvellement pouvait régulariser le marché.

Or, dans l'affaire du 28 janvier 2013, si c'est bien l'"ancienne" commission d'appel d'offres qui avait attribué le marché, c'est-à-dire la commission dans sa composition antérieure au renouvellement général des conseils municipaux des communes membres du syndicat, c'était, en revanche, le nouveau comité syndical, c'est-à-dire le comité issu de ce renouvellement, qui avait autorisé le président du syndicat à signer le marché. Autrement dit, la signature du marché avait été autorisée par un organe délibérant qui était tout à fait compétent pour ce faire. La question essentielle était donc de savoir si une nouvelle décision de la commission d'appel d'offres était également nécessaire pour régulariser le marché, ou si la décision de l'organe délibérant renouvelé suffisait à opérer la régularisation de la décision de la commission d'appel d'offres.

B - L'application de la notion d'affaires courantes à la décision d'attribution d'un marché prise par la commission d'appel d'offres

Le syndicat requérant soutenait, tout d'abord, que la commission d'appel d'offres n'était pas soumise à la limitation des compétences de l'organe délibérant en période de transition électorale. N'ignorant pas que la décision précitée du 23 décembre 2011 avait jugé le contraire, il tentait de soutenir que la commission d'appel d'offres devait toujours être regardée, en raison de ses compétences, comme expédiant les affaires courantes. Le Conseil d'Etat n'a pas suivi ce raisonnement, s'en tenant à sa décision du 23 décembre 2011 dans laquelle il a très clairement étendu à la commission d'appel d'offres la règle de compétence applicable à l'organe délibérant, issue des décisions n° 56848 du 21 mai 1986 (3), et n° 56848 et n° 262078 du 1er avril 2005 (4), selon laquelle, entre le terme du mandat des conseillers municipaux et le renouvellement des organes délibérants des établissements de coopération intercommunale, ceux-ci ne pouvaient qu'expédier les affaires courantes.

Dans la décision précitée du 23 décembre 2011, le Conseil d'Etat a, ainsi, jugé que "la commission d'appel d'offres et le conseil d'administration de la régie du SIDEN, compte tenu de l'intervention du renouvellement général des conseils municipaux des communes membres, ne pouvaient que prendre des décisions relevant de la gestion des affaires courantes". L'attribution d'un marché par la commission d'appel d'offres ne saurait donc être regardée comme relevant, par elle-même, de la gestion des affaires courantes. Cette même décision, appliquant la notion d'affaires courantes au contrat en cause, a retenu que "les décisions d'attribuer et de signer les marchés [...] ne peuvent être regardées comme relevant du fonctionnement courant de la régie ou indispensables à la continuité du service public [...] par suite, elles ne relevaient pas de la gestion des affaires courantes de la régie [...] ni la commission d'appel d'offres ni le conseil d'administration de la régie n'avaient ainsi compétence pour prendre ces décisions". Il est donc acquis que la notion d'affaires courantes s'applique aux décisions d'attribution d'un marché prises par la commission d'appel d'offres.

Cette solution présente, certes, l'inconvénient d'interdire toute prise de décision importante pendant une période transitoire qui, s'agissant d'un établissement public de coopération composé d'établissements publics de coopération intercommunale, peut être longue, puisqu'elle s'étend de l'expiration du mandat des conseillers municipaux jusqu'à l'installation des nouveaux délégués, qui ne peuvent l'être qu'après l'élection des conseillers municipaux et la désignation des délégués au sein des syndicats intercommunaux. Mais, outre qu'elle provient d'une décision trop récente pour qu'il soit envisageable de la remettre en cause, elle est justifiée par le fait qu'il ne serait pas cohérent que la commission d'appel d'offres, qui est composée de membres de l'organe délibérant de la personne publique, reste compétente pour désigner l'attributaire du marché lorsque l'organe délibérant de la personne publique ne l'est plus pour décider de le conclure.

En l'espèce, le Conseil d'Etat juge que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la commission d'appel d'offres ne pouvait décider, pendant la période au cours de laquelle ses membres n'étaient plus compétents que pour expédier les affaires courantes, de l'attribution du marché de construction d'un centre de valorisation des déchets, dès lors qu'un tel marché ne relevait pas des affaires courantes "en raison, d'une part, du coût, du volume et de la durée des travaux prévus et, d'autre part, de l'absence d'urgence particulière s'attachant à [sa] réalisation" (5).

II - Les conséquences sur le contrat de l'irrégularité de la décision de la commission d'appel d'offres

A - Une nouvelle application de la jurisprudence autorisant la personne publique à réitérer régulièrement le consentement qui avait été, initialement, donné irrégulièrement

Le syndicat requérant reprochait, ensuite, à la cour de lui avoir enjoint de saisir le juge du contrat d'une demande d'annulation du contrat, sans réserver la possibilité d'une régularisation. Le Conseil d'Etat a solennellement évoqué la régularisation du contrat (6) comme alternative à son annulation dans la décision d'Assemblée du 16 juillet 2007, "Société Tropic Travaux Signalisation" (7). Il a, ensuite, indiqué qu'il appartient tant au juge du contrat (8), qu'au juge de l'exécution de la décision d'annulation de l'acte détachable (9), "après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties", de décider de sa résiliation ou de sa résolution. Toute illégalité ne peut, cependant, être régularisée. La régularisation n'est pas le renouvellement du contrat entaché d'illégalité, mais la correction de l'un de ses éléments qui en est détachable. Elle implique donc que le contrat soit, en lui-même, régulier.

Le Conseil d'Etat a par ailleurs esquissé, dans la décision n° 327515 du 8 juin 2011 (10), une délimitation du champ de la régularisation, délimitation qui demeure, cependant, ouverte par l'adverbe "notamment" dont elle est assortie : il a, en effet, indiqué "que, s'il s'agit notamment d'un vice de forme ou de procédure propre à l'acte détachable et affectant les modalités selon lesquelles la personne publique a donné son consentement, celle-ci peut procéder à sa régularisation, indépendamment des conséquences de l'annulation sur le contrat lui-même [...] elle peut ainsi, eu égard au motif d'annulation, adopter un nouvel acte d'approbation avec effet rétroactif, dépourvu du vice ayant entaché l'acte annulé". Tous les cas de régularisation que contient la jurisprudence correspondent à cette catégorie d'illégalités : omission d'un avis des domaines sur une partie des parcelles cédées, une nouvelle délibération approuvant la vente au vu d'un avis complet (11), absence de consultation d'un comité technique préalable à la délibération (12), insuffisante information des élus (13), incompétence des organes délibérants qui ne pouvaient que régler les affaires courantes (14), ou encore incompétence du signataire du contrat du fait du caractère non exécutoire de la délibération l'autorisant à signer le contrat, faute d'avoir été transmise au représentant de l'Etat (15).

Comme le relevait B. Dacosta dans ses conclusions sur la décision n° 327515 du 8 juin 2011, le point commun entre ces illégalités est "que la personne publique pouvait légalement contracter, que son consentement n'a pas été vicié et qu'il peut être réitéré régulièrement". Un contrat pouvant être rétroactif, il paraît plus simple de permettre à la collectivité qui pourrait décider de conclure le même contrat de réaffirmer régulièrement qu'elle entend maintenir celui qui existe déjà. En revanche, cette définition conduit à exclure toute possibilité de régularisation d'une illégalité portant sur les règles spécifiques régissant la passation du contrat, puisque cette illégalité affecte le contrat lui-même. Il n'y a, alors, pas d'autre solution que de procéder à une nouvelle sélection des candidats. Au regard de ces lignes directrices, l'incompétence de la commission d'appel d'offres ne sera régularisable que si cette illégalité est regardée comme affectant un élément détachable du contrat, c'est-à-dire comme relevant non pas de la procédure de passation du marché, mais des modalités d'expression du consentement de la personne publique. Or, il n'y a pas de différence de nature, au regard du critère du caractère détachable du contrat de l'illégalité, entre l'incompétence de la commission d'appel d'offres pour se prononcer sur des sujets excédant les affaires courantes, et celle de l'organe délibérant de la collectivité pour la même raison.

B - La nécessité d'une nouvelle décision de la commission d'appel d'offres et d'une nouvelle décision de l'organe délibérant

Les commissions d'appel d'offres sont, certes, des émanations de l'organe délibérant de la collectivité publique. Le Conseil d'Etat a affirmé, dans une décision n° 141026 du 8 juin 1994 (16), que la commission d'appel d'offres "constitue une commission du conseil municipal investie d'un pouvoir de décision". Elle est composée, en application de l'article 22 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1301INI), de membres élus de l'organe délibérant, et il a été jugé que l'élection des membres de la commission relevait du contentieux électoral (17). C'est également pour cette raison qu'a été étendue à la commission d'appel d'offres la règle de la limitation de ses compétences aux affaires courantes en période de transition électorale. Du point de vue fonctionnel, les commissions d'appel d'offres apparaissent, également, comme un dédoublement de l'organe délibérant de la collectivité adjudicatrice, conformément à l'intention du législateur qui a, par la loi n° 92-125 du 6 février 1992, sur l'administration territoriale de la République (N° Lexbase : L8033BB7), institué ces commissions, non pour limiter la compétence des collectivités territoriales en matière de marchés publics, mais pour renforcer l'objectivité et la transparence de leur choix de l'attributaire du contrat.

Elles exercent, s'agissant de certains contrats, une partie des compétences normalement dévolues à l'organe décisionnel du cocontractant. Elles sélectionnent, ainsi, les offres des candidats à l'attribution de marchés publics des collectivités territoriales : elles choisissent l'offre économiquement la plus avantageuse (C. marchés publ., art. 59 N° Lexbase : L1296INC, 66 N° Lexbase : L3229ICL, 78 N° Lexbase : L1082IRI, notamment), choix qui s'impose à l'organe délibérant qui ne peut que le suivre, ou renoncer à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général (18). Si l'attribution du marché par la commission d'appel d'offres ne crée pas de droit à la signature du contrat (19), elle ouvre une vocation qui peut engager la responsabilité du pouvoir adjudicateur s'il renonce illégalement à conclure le contrat (20). La commission d'appel d'offres fait ainsi partie intégrante du processus d'expression, par la collectivité, de son consentement. Lorsqu'elle exerce un pouvoir de décision, le consentement de la personne publique résulte d'une double décision de la commission d'appel d'offres, laquelle désigne l'attributaire et de son organe délibérant qui décide de conclure le marché. L'expression du consentement de la collectivité, qui porte sur les éléments essentiels du marché, à savoir son objet, son montant et son titulaire, est, ainsi, répartie entre deux organes décisionnels de la collectivité.

L'intervention de la commission d'appel d'offres constituant une modalité de l'expression, par la personne publique, de son consentement, elle doit être regardée comme aussi détachable du contrat que la délibération de son organe délibérant. La méconnaissance, par la commission d'appel d'offres, des limites de sa compétence en période de transition électorale ne porte, d'ailleurs, pas davantage que cette même irrégularité affectant l'organe délibérant lui-même, atteinte aux règles de mise en concurrence. Si la décision de la commission d'appel d'offres participe de l'expression du consentement de la personne publique, elle n'en est pas moins juridiquement distincte de la délibération de l'organe décisionnel de la collectivité adjudicatrice. La régularisation de l'illégalité tenant à l'incompétence de la commission d'appel d'offres ne pourra donc procéder que d'une nouvelle délibération d'une commission d'appel d'offres régulièrement composée. Il ne s'agit-là que d'une conséquence du dédoublement décisionnel de l'expression du consentement de la personne publique. En effet, juger qu'une nouvelle délibération de la collectivité régularise l'incompétence de la commission d'appel d'offres méconnaîtrait la répartition des compétences entre ces deux organes. La compétence de l'organe délibérant de la collectivité ne lui permet pas non plus de valider la décision illégale de la commission d'appel d'offres, comme peut le faire le législateur adoptant une mesure relevant du pouvoir réglementaire, ce qui, en tout état de cause, ne constitue pas une régularisation.

Sur ce point, la décision précitée du 23 décembre 2011 comportait une ambigüité. En effet, après avoir retenu l'incompétence tant de la commission d'appel d'offres que de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale, le Conseil d'Etat a précisé que l'annulation du marché ne prendrait effet qu'à l'expiration d'un délai de trois mois "si le conseil d'administration de la régie [...] n'a pas, dans ce délai, procédé, comme il peut le faire, à la régularisation du marché en adoptant, pour décider de le passer, une délibération régulière". Il pouvait donc se déduire de cette décision qu'une nouvelle délibération de l'organe délibérant compétent régularise le marché, y compris l'incompétence de la commission d'appel d'offres. Or, il ressort tant de la motivation de la décision, que des conclusions du rapporteur public et de l'analyse de la décision, qui s'attache au changement de nature contentieuse du déféré préfectoral et à la détermination des pouvoirs du juge saisi selon cette procédure, que ce n'est pas ce que le Conseil d'Etat avait entendu juger.

La décision du 28 janvier 2013 vient mettre fin à l'ambiguïté en indiquant explicitement que la régularisation de la décision de la commission d'appel d'offres ne peut intervenir que par une nouvelle délibération de la commission d'appel d'offres, suivie d'une nouvelle délibération de l'organe délibérant la personne publique. Appliquant cette analyse et ce raisonnement à la présente espèce, le Conseil d'Etat a jugé que la cour administrative d'appel de Douai avait commis une erreur de droit en enjoignant au syndicat mixte de saisir le juge du contrat afin qu'il se prononce sur le contrat conclu, sans réserver la possibilité d'une régularisation. Le Conseil a, ainsi, annulé l'arrêt sur la seule injonction et, réglant l'affaire au fond dans la limite de cette cassation, a enjoint au syndicat mixte de rechercher, à l'amiable ou devant le juge du contrat, la résolution du contrat sous réserve que, dans un délai de trois mois, la commission d'appel d'offres désigne le même attributaire du marché et que le comité syndical prenne une nouvelle délibération décidant de conclure le marché.

A cet égard, l'injonction de rechercher la résolution du contrat en l'absence de régularisation découle du rattachement de la décision de la commission d'appel d'offres aux modalités d'expression du consentement de la personne publique. Sur ce point, le Conseil d'Etat a récemment aligné les critères de l'injonction de résoudre prononcée par le juge de l'exécution de l'annulation de l'acte détachable sur ceux de l'annulation du contrat (21). Les atteintes aux règles de transparence et de mise en concurrence n'entraînent pas, sauf circonstances particulières, la résolution du contrat, contrairement aux illégalités d'une particulière gravité qui affectent les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.


(1) CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2011, publiés au recueil Lebon, n° 348647 (N° Lexbase : A8248H8Y) et n° 348648 (N° Lexbase : A8249H8Z).
(2) CAA Douai, 2ème ch., 31 janvier 2012, n° 10DA01526, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0744IEB).
(3) CE 2° et 10° s-s-r., 21 mai 1986, n° 56848, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6055AM9) ; voir, également, CE 5° et 7° s-s-r., 29 janvier 2003, n° 242196, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0078I8E).
(4) CE Sect., 1er avril 2005, n° 262078, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4373DHG).
(5) Selon la description qu'en faisait Jean Delvolvé dans ses conclusions sur votre décision d'Assemblée "Syndicat régional des quotidiens d'Algérie" du 4 avril 1952 (CE Ass., 4 avril 1952, n° 86015, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2801B7U, p. 210, Sirey, 1952, 3ème partie, p. 49), constituent des affaires courantes celles qui relèvent de l'activité quotidienne et continue de l'administration et celles qui présentent un caractère d'urgence. Au regard de ces critères, la conclusion d'un contrat ne peut relever des affaires courantes que si, en raison de son coût, de son volume et de sa durée, elle apparaît comme un acte de gestion habituelle des affaires locales ou si elle est indispensable à la continuité du service public. Le Conseil d'Etat a jugé, par la décision précitée du 23 décembre 2011, qu'un marché relatif à la rénovation des canalisations d'eau potable et des branchements de quatre rues d'une commune ne remplissait ni l'une ni l'autre de ces conditions.
(6) Cette possibilité demeure une spécificité du champ contractuel, puisque le Conseil d'Etat a réaffirmé, hors du champ contractuel, que la nouvelle consultation d'un comité technique paritaire, si elle pouvait déboucher sur une nouvelle décision régulière, n'avait pas pour effet de régulariser celle prise sans qu'il ait été consulté (CE 2° et 7° s-s-r., 26 octobre 2011, n° 334928, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0846HZD).
(7) CE Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW).
(8) CE Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon ([LXB=A0493EQC)]).
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 21 février 2011, n° 337349, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7022GZ4).
(10) CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2011, n° 327515, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5427HT8).
(11) CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2011, n° 327515, publié au recueil Lebon, préc..
(12) CE 2° et 7° s-s-r., 21 février 2011, deux arrêts, n° 335306 et n° 335480, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7016GZU).
(13) CE 2° et 7° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 296964, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1249EKH) ; CE 2° et 7° s-s-r., 4 juillet 2012, n° 352417, mentionné aux tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A4718IQS).
(14) CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2011, publiés au recueil Lebon, n° 348647 et n° 348648 , préc..
(15) CE 2° et 7° s-s-r., 9 mai 2012, n° 355665, publié au recueil Lebon ([LXB=A1869ILS)]).
(16) CE 7° et 10° s-s-r., 8 juin 1994, n° 141026, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1640ASK).
(17) CE 7° et 10° s-s-r., 17 mars 1999, n° 196857, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4203AXX).
(18) Possibilité existant même sans texte : CE 2° et 7° s-s-r., 18 mars 2005, n° 238752, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2752DHE), concernant une procédure d'appel d'offres sur performance.
(19) CE 3° et 5° s-s-r., 10 octobre 1984, n° 16234, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5119AL8).
(20) CE 2° et 7° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 305287, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0305EQD).
(21) CE 2° et 7° s-s-r., 10 décembre 2012, n° 355127, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6686IYB).

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique procédures fiscales - Février 2013

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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université

Le 20 Février 2013

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures fiscales. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris, le 22 janvier 2013, un arrêt de la cour d'appel de Bourges, du 8 janvier 2013, et une décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, du 16 janvier 2013. Dans le premier arrêt, le juge administratif se déclare incompétent à connaître des appels dirigés contre le rejet de la contestation quant à une demande gracieuse par le tribunal administratif (CAA Paris, 2ème ch., 22 janvier 2013, n° 11PA05381, inédit au recueil Lebon). Dans la deuxième décision, la cour d'appel traite du cas d'un artiste russe qui a eu à subir une visite et des saisies à son domicile en France, motivée par des soupçons de fraude, dû à l'absence de déclaration de revenus en France alors qu'il y a, vraisemblablement, sa résidence fiscale (CA Bourges, 8 janvier 2013, n° 12/01260). Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, la Chambre criminelle de la Cour de cassation décide que le juge peut prononcer la solidarité du dirigeant fiscal avec sa société, dans le cadre d'un procès pour fraude fiscale, sur la seule demande de l'administration, partie civile (Cass. crim., 16 janvier 2013, n° 12-82.546, F-P+B).
  • Demande gracieuse : incompétence de la cour administrative d'appel à recevoir les appels formés contre les décisions des tribunaux administratifs (CAA Paris, 2ème ch., 22 janvier 2013, n° 11PA05381, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9150I3B)

Le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande en annulation d'un couple de contribuables d'une décision de l'administration du 5 juillet 2010, refusant une demande de remise gracieuse de la majoration de 40 % pour mauvaise foi (nous dirions aujourd'hui pour manquement délibéré), appliquée aux impositions supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales mises à la charge du couple au titre de l'année 1997.

La majoration de 40 % peut être portée à 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du prix indiqué dans un contrat. Les majorations sont calculées sur les droits mis à la charge du contribuable, ou sur le montant de la créance de nature fiscale dont le reversement lui est demandé. S'il s'agit d'omissions ou d'inexactitudes, les majorations s'ajoutent à l'intérêt de retard.

D'un point de vue pratique, lorsque certains rehaussements sont assortis de la majoration de 40 % pour manquement délibéré et d'autres de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses, il est fait application, d'abord, de la majoration de 80 % à la fraction de l'impôt supplémentaire correspondant, avant d'appliquer la majoration de 40 % au solde de l'impôt supplémentaire (CGI, art. 1729 A N° Lexbase : L1717HNW).

Rappelons que la demande gracieuse ne requiert aucun formalisme particulier. Elle peut s'exprimer sous la forme d'une simple lettre, dont la rédaction ne doit laisser aucun doute quant à la nature de la demande. En effet, le caractère gracieux ou contentieux d'une demande dépend des termes utilisés par le contribuable et non du terrain sur lequel se situe l'administration. Doit être traitée comme une demande gracieuse une lettre par laquelle le contribuable manifeste son accord quant au montant des impositions, mais par laquelle, aussi, il expose les raisons pour lesquelles il n'est pas en mesure de s'acquitter de l'impôt dû (CE Section, 18 décembre 1970, n° 75639, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2604B8X, Droit fiscal, 1971, comm. 276).

Pour le Conseil d'Etat, le contribuable n'est pas recevable à invoquer à l'appui de sa demande gracieuse les moyens dont l'accueil serait de nature à entraîner la réduction ou la décharge de l'imposition (CE 7° et 8° s-s-r., 5 juin 1989, n° 64036, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1245AQ8, Droit fiscal, 1989, 49, comm. 2318, concl. Fouquet).

La demande peut aussi être exposée oralement, lors d'un rendez-vous. Dans cette hypothèse, une fiche de visite est immédiatement rédigée par le représentant de l'administration et le contribuable. La demande gracieuse n'ouvre pas droit au sursis de paiement. Le juge de l'excès de pouvoir exerce sur les faits un contrôle restreint. En effet, il apprécie s'il y a, ou non, une erreur manifeste d'appréciation sur les décisions prises dans le cadre d'un recours gracieux. Le juge de cassation ne contrôle pas la qualification juridique donnée aux faits par les juges du fond. Son appréciation porte sur la dénaturation.

L'article L. 247 du LPF (N° Lexbase : L1531IPE) permet à l'administration, sur la demande du contribuable, d'accorder des remises totales ou partielles, notamment lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence, mais aussi de faire des transactions visant à atténuer les amendes fiscales ou les majorations lorsque ces pénalités et éventuellement les impositions auxquelles elles se rattachent ne sont pas définitives.

Il a été jugé que la circonstance selon laquelle un contribuable aurait pu solliciter des délais de paiement est sans incidence sur son droit d'obtenir une remise gracieuse (CE 8° et 3° s-s-r., 9 novembre 2005, n° 269669, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5003DLU, RJF, 2006, 2, comm. 193).

L'administration peut, même lorsque les pénalités sont devenues définitives, estimer opportun d'accorder une remise gracieuse de pénalités, majorations et intérêts de retard, eu égard, notamment, à la durée sur laquelle ces derniers ont pu courir, sachant que la juridiction gracieuse nécessite un examen particulier de chaque demande. Aucune obligation de portée générale ne peut, en la matière, être dégagée.

A suivre le Conseil d'Etat, le juge administratif doit apprécier la capacité du contribuable à faire face à sa dette fiscale, et non chercher à établir les revenus de l'intéressé, ce qui peut résulter de revenus mensuels, mais aussi de la cession d'éléments de son patrimoine (CE 8° et 3° s-s-r., 31 décembre 2008, n° 303504, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1297EPQ, RJF, 2009, 4, comm. 401).

Dans l'affaire qui nous occupe, la cour administrative d'appel a combiné deux dispositions. Tout d'abord, elle a fait référence à l'article R. 222-13 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4860IRG), qui accorde au tribunal administratif la compétence de traiter de la contestation du rejet des demandes de remise gracieuse par l'administration. Elle mobilise aussi l'article R. 811-1 du même code (N° Lexbase : L8777IBP), selon lequel le tribunal administratif, dans ce cas, statue en premier et dernier ressort.

La cour affirme que le rejet de la contestation quant à une demande gracieuse par le tribunal administratif ne peut pas être susceptible d'appel. Elle renvoie l'affaire devant le Conseil d'Etat.

  • Visite et saisies : le soupçon d'une domiciliation fiscale en France sans souscription des déclarations légales constitue une présomption de fraude (CA Bourges, 8 janvier 2013, n° 12/01260 N° Lexbase : A7935IZW)

Un artiste russe aux multiples talents est domicilié à New York (USA). Ceci ne lui a pas interdit d'obtenir en France un titre de séjour avec comme adresse un château, détenu par une SCI dont il possède la totalité des parts. L'administration a considéré, pour diverses raisons, que ce contribuable était fiscalement domicilié en France et, qu'à ce titre, il aurait dû souscrire des déclarations de revenus, chose qu'il n'a pas faite.

Sur le fondement de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0277IW8), l'administration a obtenu du juge une demande d'autorisation de mise en oeuvre du droit de visite et de saisie. L'ordonnance a été délivrée le 24 juillet 2012 et l'intervention s'est déroulée le lendemain. Le contribuable a interjeté appel de l'ordonnance dès le 2 août 2012.

Les motifs et le dispositif de l'ordonnance rendue sont réputés établis par le juge qui l'a rendue et signée. Une présomption de cette nature ne porte pas atteinte aux principes d'impartialité, de neutralité et d'indépendance des juges (Cass. com., 11 juillet 2000, n° 98-30.366, FS-P N° Lexbase : A9138AGK, RJF, 2000, 11, comm. 1288). L'administration peut avoir recours aux dispositions de l'article L. 16 B du LPF pour rechercher la preuve de la fraude d'un contribuable en se fondant sur des éléments régulièrement constatés par elle (Cass. com., 12 janvier 1999, n° 97-30.033, inédit au Bulletin N° Lexbase : A7899CRY, RJF, 1999, 4, comm. 431).

Une fois encore, se pose la question de la présomption de fraude. Le juge apprécie souverainement l'existence des présomptions d'agissements frauduleux. Par conséquent, est inopérant, pour critiquer l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie, le moyen tiré de ce que les faits retenus par le juge dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation sont inexacts (Cass. com., 20 novembre 1990, n° 89-18.261 N° Lexbase : A4622AC8, Bull. civ. IV, n° 290). La Cour de cassation considère que l'absence de déclaration, l'insuffisance de revenus déclarés ou encore des écritures fictives sont autant d'éléments qui constituent une présomption de fraude (Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-30.379, F-D N° Lexbase : A9381ATM, RJF, 2001, 2, comm. 187).

Le contribuable conteste le fait qu'il y ait eu des éléments établissant une présomption de fraude, et souligne que, dès la première demande de l'administration, il a souscrit des déclarations de revenus pour les années 2007 à 2009. Il fait valoir, en outre, que l'absence de mise en demeure d'avoir à déclarer d'éventuels revenus, pour les années 2010 et 2011, ainsi que l'absence de contrôle approfondi du foyer fiscal, sont de nature à démontrer que l'administration n'a pas procédé à un contrôle effectif. Il en conclut que sa "négligence fautive" fait obstacle à la demande de perquisition. A suivre la Cour de cassation, la gravité de l'infraction présumée n'est pas une condition préalable à l'engagement d'une procédure de visite domiciliaire (Cass. com., 30 mai 2000, n° 98-30.041 N° Lexbase : A8311AHB).

Est inopérant, pour critiquer l'autorisation de visite et de saisie, le moyen tiré par le requérant de ce qu'il n'a jamais exercé une profession rémunérée sur le territoire français (Cass. com., 29 juin 1993, n° 92-14.035, inédit N° Lexbase : A0857C7U, RJF, 1993, 10, comm. 1325), ou qu'il n'a pas son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY) (Cass. com., 8 janvier 1991, n° 89-16.278 N° Lexbase : A2702ABP, Bull. civ IV, n° 18).

De son côté, l'administration retient que le contribuable a transféré en France les moyens matériels de réalisation d'une activité artistique même, comme l'affirme le contribuable, s'il ne les a pas utilisés pour commercialiser des oeuvres. L'administration s'appuie, en outre, sur une discordance entre les déclarations souscrites aux USA et en France pour l'année 2007, c'est-à-dire depuis plus de deux ans avant la demande d'autorisation de perquisition. Elle fait valoir des mouvements bancaires entre des comptes détenus aux USA et d'autres possédés en France, par l'intermédiaire d'une société américaine pour laquelle le contribuable travaillait. Il est fait observer que le château où résidait l'intéressé est équipé de trois lignes de téléphone fixe mises en service le 15 juin 2007 et que ce dernier disposait, en plus, d'une ligne de téléphone portable depuis le 3 décembre 2005.

Le juge peut retenir comme éléments de présomption de fraude concernant des faits non prescrits, des documents ou agissements du contribuable datant de plus de trois ans et qui, par conséquent, sont prescrits (Cass. com., 12 janvier 1999, n° 97-30.140 N° Lexbase : A8230AHB, RJF, 1999, 4, comm. 432).

En l'espèce, la cour rappelle que le juge qui délivre l'ordonnance autorisant la perquisition n'est pas le juge de l'impôt ; autrement dit, il n'a pas à rechercher l'existence des agissements reprochés. Il doit simplement, si l'on peut dire, examiner s'il existe des présomptions de fraude de nature à justifier l'autorisation de visite et de saisie.

La présomption de domiciliation, qui repose sur un faisceau d'indices, semble, en l'espèce, établie, dès lors que le contribuable détient la totalité des parts de la SCI, propriétaire du château dans lequel il vit, et qui, par ailleurs, constitue le siège social d'une SARL qui gère sa carrière artistique.

La cour d'appel a jugé que le soupçon d'une domiciliation fiscale en France, sans souscription de déclarations de revenus, constitue une présomption de fraude de nature à justifier le bien-fondé de la délivrance d'une ordonnance autorisant l'administration à réaliser une visite et saisie domiciliaire.

  • Solidarité fiscale : recevabilité de la demande soutenue par la seule administration fiscale constituée partie civile (Cass. crim., 16 janvier 2013, n° 12-82.546, F-P+B N° Lexbase : A4874I3W)

Dans cette affaire, un dirigeant de société est poursuivi pour délit de fraude fiscale. Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de cette infraction. Il a été condamné à une peine de prison ainsi qu'à une amende, les deux étant toutefois assorties du sursis.

Sur le fondement de l'article 1745 du CGI (N° Lexbase : L1736HNM), l'administration a souhaité engager la solidarité du dirigeant fiscal avec sa société. L'article 1745 précité dispose : "tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741 (N° Lexbase : L4664ISK), 1742 (N° Lexbase : L1734HNK) ou 1743 (N° Lexbase : L3101IQW), peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes".

Il est pour principe que l'administration ne peut envisager d'obtenir le prononcé de la solidarité avec le redevable légal que si le prévenu fait l'objet d'une condamnation pénale. Si une décision de relaxe a été prononcée, l'administration est démunie (Cass. crim., 29 février 1996, n° 93-84.616 N° Lexbase : A8415ABB, Droit fiscal, 1996, comm. 881).

Lorsqu'un contribuable a été condamné comme auteur d'un délit de fraude fiscale, sur le fondement de l'article 1745, le juge répressif est seul compétent pour décider s'il y a lieu de le déclarer solidairement tenu au paiement de l'impôt et des pénalités y afférentes. Par conséquent, le contribuable ne peut pas contester devant le juge de l'impôt le principe ou l'étendue de la solidarité qui s'imposent à lui (CE 9° et 10° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 236702, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2445C9G, Droit fiscal, 2004, comm. 107). Toutefois, le contribuable peut soutenir, devant le juge de l'impôt, que l'administration a étendu sa solidarité au-delà de celle fixée par le juge pénal (CE 7° et 8° s-s-r., 3 juillet 1985, n° 52011, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3018AMQ, Droit fiscal, 1985, comm. 2160, concl. Latournerie).

La Cour de cassation a jugé, il y a quelques années, que l'administration, seule appelante d'une décision n'ayant pas prononcé la solidarité, est recevable à en solliciter le bénéfice devant la cour d'appel (Cass. crim., 21 mars 1996, n° 94-85.492, P-F N° Lexbase : A8989ABK, RJF, 1996, 11, comm. 1358). Puis, elle a jugé que la solidarité, visée à l'article 1745 du CGI, ne peut être prononcée par les juridictions répressives qu'à la requête de l'administration (Cass. crim., 18 septembre 2002, n° 01-87.824, F-PF N° Lexbase : A9642AZ7, RJF, 2003, 6, comm. 764).

La Cour de cassation, dans un arrêt de sa chambre criminelle rendu le 19 mai 2010, répond aux interrogations quant à la nature juridique de la sanction visée à l'article 1745. Elle considère, en effet, que la solidarité visée par cet article est une mesure pénale que les juges peuvent prononcer en cas de condamnation pour l'un des délits prévus et réprimés par les articles 1741 et suivants du CGI (Cass. crim., 19 mai 2010, n° 09-83.970, FS-PF N° Lexbase : A0239EZU, RJF, 2010, 10, comm. 961). Autrement dit, la solidarité, mesure pénale, peut être prononcée par le juge répressif indépendamment de toute demande de recours de l'administration.

En outre, il convient de préciser qu'il résulte des dispositions de l'article 1745 précité que le juge qui prononce la solidarité, qui est une mesure sans incidence sur la détermination des droits dus, ne peut pas en limiter les effets à la part des impôts fraudés et des pénalités y afférentes (Cass. crim., 4 novembre 2004, n° 03-87.503, FS-PF N° Lexbase : A0434DES, RJF, 2005, 10 comm. 1117).

Pour la Cour de cassation, lorsque les juges prononcent une condamnation pour fraude fiscale, en application des articles 1741 et suivants du CGI, l'administration, partie civile, est recevable devant la juridiction du second degré, y compris sur son seul appel, à demander que soit prononcée la solidarité du condamné avec le redevable légal des impôts fraudés. Autrement dit, la Cour retient que le juge peut prononcer la solidarité du dirigeant fiscal avec sa société, dans le cadre d'un procès pour fraude fiscale, sur la seule demande de l'administration partie civile.

Il est à observer que la Cour de cassation a refusé de renvoyer devant le Conseil constitutionnel, par la biais d'une question prioritaire de constitutionnalité, l'examen des dispositions de l'article 1745, considérant que celle-ci n'est ni nouvelle ni sérieuse, et que cette disposition n'est pas contraire au principe de personnalisation des peines (Cass. crim., 6 avril 2011, n° 10-87.634, F-D N° Lexbase : A6905HN3).

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Santé

[Jurisprudence] Appel en faveur d'une résolution législative du casse-tête des aptitudes médicales sous réserves

Réf. : Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-28.038, FS-P+B (N° Lexbase : A6382I7I)

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N5841BTI

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 21 Février 2013

Alors que l'appréciation de l'aptitude médicale du salarié est construite sur une distinction binaire entre aptitude et inaptitude, les médecins du travail, forts des prérogatives que leur confère le Code du travail, ont pris l'habitude d'agrémenter leurs avis de différentes recommandations faites à l'employeur. Cette pratique n'est pas en soi critiquable tant le médecin du travail plus que quiconque est à même de déterminer les cas dans lesquels des adaptations du travail du salarié sont nécessaires. Elle comporte, cependant, de terribles effets indésirables lorsque le médecin du travail prononce un avis d'aptitude sous réserves exigeant de l'employeur toutes sortes d'aménagements du poste de travail qui, parfois, peuvent s'avérer totalement irréalistes. Enserré dans une construction législative qui ne prend que très partiellement en compte cette pratique, le juge judiciaire ne parvient pas à s'adapter comme le démontre une nouvelle fois un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 6 février 2013. Réaffirmant l'obligation pour l'employeur de se plier aux réserves émises par le médecin du travail (I), cette décision ne réussit pas à prendre en compte les hypothèses dans lesquelles le respect de ces prescriptions est impossible, confirmant qu'une réponse législative, parfaitement envisageable, est aujourd'hui fort nécessaire (II).
Résumé

Sauf s'il caractérise l'impossibilité de proposer au salarié son poste de travail, le chef d'entreprise est tenu de prendre en considération les propositions du médecin du travail de mesures individuelles, telles que mutations ou transformations de poste, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, la résistance physique ou à l'état de santé des travailleurs.

Commentaire

I - L'obligation de réintégrer le salarié apte sous réserves

  • Inaptitude, aptitude et aptitude sous réserves

Lorsqu'un salarié subit un examen médical (1), le Code du travail offre systématiquement deux possibilités au médecin du travail qui l'examine. Soit, le médecin déclare le salarié apte à reprendre son emploi, auquel cas le salarié "retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente" (2). Soit, le médecin du travail déclare le salarié inapte à son emploi, voire à tout emploi dans l'entreprise, auquel cas l'employeur a l'obligation de reclasser le salarié inapte ou, si ce reclassement est impossible, de le licencier (3).

Dans un cas comme dans l'autre, le médecin du travail peut moduler l'intensité de sa décision. En effet, l'article L. 4624-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1874H9B), relatif aux moyens mis à la disposition du médecin du travail, lui donne la prérogative très générale de "proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiée par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique ou mentale des travailleurs" sachant que le texte poursuit en disposant que "l'employeur est tenu de prendre en considération ces propositions" et "en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite".

Cette prérogative altère très sensiblement la distinction binaire entre aptitude et inaptitude. Le médecin du travail peut parfaitement prononcer des inaptitudes temporaires ou partielles. Il peut, surtout, prononcer des aptitudes avec réserves : le salarié est apte à reprendre son emploi sous réserve de ne pas avoir à porter de charges lourdes, d'éviter la station debout prolongée, d'éviter l'exposition au bruit, etc. (4). Ces réserves sont parfois d'une telle intensité qu'elles rendent, en pratique, la reprise du poste de travail quasi impossible.

  • L'employeur et le juge tenus des réserves formulées par le médecin du travail

Longtemps, la Chambre sociale de la Cour de cassation a autorisé les juges du fond à requalifier les avis d'aptitude soumis à de trop importantes réserves en avis d'inaptitude (5). Mais depuis deux retentissants arrêts rendus en 2009, la Chambre sociale a finalement décidé de priver les juges du fond d'un tel contrôle, estimant qu'ils n'étaient pas aptes à substituer leur appréciation à celle du médecin sur le plan médical (6).

Les conséquences de ce revirement sont très importantes : si le salarié est déclaré apte, fut-ce avec d'intenses réserves, l'employeur ne peut chercher à le reclasser et, à défaut d'une possibilité de reclassement, ne peut le licencier. Le juge judiciaire, pour sa part, ne pourra pas chercher à légitimer le reclassement ou le licenciement en requalifiant l'aptitude avec réserves en inaptitude. Certaines juridictions du fond estiment d'ailleurs qu'un tel licenciement est discriminatoire car prononcé en raison de l'état de santé du salarié en dehors du cadre bien délimité de l'inaptitude (7).

C'est dans ce contexte très rigide que la Chambre sociale de la Cour de cassation était, à nouveau, appelée à se prononcer dans un arrêt rendu le 6 février 2013.

  • L'affaire

Dans cette affaire, un salarié plombier chauffagiste subit un accident du travail. A l'occasion de la visite médicale de reprise, le médecin du travail le déclare apte à reprendre son emploi sous réserve que le salarié soit dispensé du port de charges lourdes et de travail "les bras en l'air", par exemple à l'occasion de travaux de ramonage tout en estimant que l'état de santé du salarié et ces restrictions étaient compatibles avec la réalisation de travaux d'entretien liés à son activité.

Face à cet avis d'aptitude, l'employeur considère qu'il n'est pas possible de dissocier les travaux d'entretien des travaux de ramonage et propose une évolution des fonctions du salarié vers des tâches administratives, si besoin après que le salarié ait subi une formation. Le salarié refuse cette offre et l'employeur prononce son licenciement au soutien duquel il invoque les réserves trop importantes formulées par le médecin du travail et le refus du salarié d'accepter un poste compatible avec ses capacités.

Le salarié contesta le licenciement devant les juridictions du fond. La cour d'appel d'Aix-en-Provence repoussa ses prétentions en jugeant que l'employeur étant tenu à l'égard du salarié d'une obligation de sécurité de résultat, il ne pouvait lui être reproché d'avoir proposé au salarié des emplois administratifs compatibles avec l'état de santé du salarié.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule cette décision au visa des articles L. 1226-8 (N° Lexbase : L1022H9Q) et L. 4624-1 du Code du travail. Par un chapeau sans grande profondeur, la Chambre sociale rappelle la teneur des textes visés : en cas de déclaration d'aptitude par le médecin du travail, l'employeur est tenu de proposer au salarié son emploi ou un emploi similaire (8) ; le médecin du travail peut proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de poste justifiées, notamment, par l'état de santé du salarié, proposition que l'employeur est tenu de prendre en compte.

En définitive, les juges du fond devaient "caractériser l'impossibilité pour l'employeur de proposer au salarié son poste, si nécessaire aménagé, ou un emploi similaire, en tenant compte des préconisations du médecin du travail", à défaut de quoi leur décision violait les textes portés au visa.

II - L'impossibilité de réintégrer le salarié apte sous réserves

Si cette décision se place donc dans le droit fil des décisions antérieures en s'opposant à ce que l'employeur ou le juge fasse produire à l'avis d'aptitude les effets d'un avis d'inaptitude, elle permet d'ajouter deux précisions quant à l'influence que peuvent avoir l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur d'une part, l'impossibilité de réintégrer le salarié dans son emploi ou dans un emploi similaire, d'autre part.

  • Inefficience de l'obligation de sécurité de résultat

L'argument avancé par la cour d'appel était astucieux : l'employeur étant tenu d'une obligation de sécurité de résultat dont on sait qu'elle est d'une très forte intensité (9), il devait préserver la santé de son salarié ce qu'il estimait ne pas être le cas en le maintenant à un emploi d'entretien qui impliquait, selon lui, nécessairement le port de charge et le maintien des bras levés.

Compte tenu de l'importance que donne la Chambre sociale de la Cour de cassation à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, dont il ne peut aujourd'hui se dégager qu'à la faveur d'un cas de force majeure, il était en effet envisageable que cette obligation prime sur l'obligation de réintégrer le salarié dans son emploi ou dans un emploi similaire. Deux conséquences peuvent découler du refus opposé par la Chambre sociale à cette argumentation.

D'abord, on peut penser que si l'obligation de réintégrer le salarié dans l'entreprise prime sur l'obligation de sécurité à la charge de l'employeur, c'est qu'il s'agit a minima d'une obligation d'une aussi forte intensité, une obligation de résultat dont l'employeur ne peut se dégager en démontrant que l'absence de réintégration ne résulte pas d'une faute de sa part. S'il est vrai que l'article L. 1226-8 du Code du travail ne semble laisser aucune marge de manoeuvre à l'employeur, pas plus d'ailleurs que l'article L. 4624-1 qui lui impose de prendre en considération les prescriptions du médecin du travail en la matière, la résolution du conflit entre obligation de sécurité et obligation de réintégration peut surprendre tant on pouvait penser depuis quelques mois que l'obligation de sécurité de l'employeur avait la capacité d'éclipser de nombreuses autres règles du droit du travail (10).

Ensuite, indirectement, cette décision ouvre la porte à un cas d'exonération de l'employeur de la responsabilité liée à son obligation de sécurité de résultat. En effet, si la Chambre sociale repousse l'argument tiré de l'obligation de sécurité de résultat pour justifier l'impossibilité de réintégrer le salarié à son poste, elle devrait logiquement équilibrer cette position en refusant que l'employeur puisse être condamné pour manquement à son obligation de sécurité si le salarié est blessé ou subit des dommages après avoir repris son emploi, à condition bien sûr que l'employeur ait respecté les prescriptions du médecin du travail, par exemple en ayant interdit au salarié de procéder au ramonage de cheminées (11).

Sans que cela n'apparaisse de manière suffisamment franche pour en être certain, il est, en outre, possible que la Chambre sociale ouvre à l'employeur une possibilité pour se dégager de son obligation de réintégrer le salarié dans son emploi.

  • L'échappatoire : l'impossibilité de proposer au salarié son poste ou un emploi similaire

Aux termes de la décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation, les juges d'appel devaient caractériser "l'impossibilité pour l'employeur de proposer au salarié son poste, si nécessaire aménagé, ou un emploi similaire". Interprétée a contrario, cette formule semble indiquer que si l'employeur était placé dans l'impossibilité de réintégrer le salarié sur son emploi aménagé ou sur un emploi similaire, le licenciement aurait pu être justifié.

Si cette interprétation devait être retenue, elle serait très contestable en théorie quoique probablement sans grand impact en pratique.

Sur le plan théorique, les textes relatifs au retour du salarié à son poste ou sur un emploi similaire ne permettent d'aucune manière à l'employeur de s'exonérer de cette obligation en démontrant que la réintégration est impossible. Plus encore, la démonstration d'une éventuelle impossibilité de réintégrer le salarié aurait pour effet de légitimer la mise en oeuvre d'une obligation de reclassement voire, en dernier recours, d'un licenciement. Mais de quel licenciement parlerait-on ou, plus précisément, sur quelle justification pourrait reposer un tel licenciement ? Soit, on considère que l'avis d'aptitude ne peut être remis en cause par le juge ni par l'employeur, y compris en cas d'impossibilité de réintégration du salarié, auquel cas le licenciement en définitive légitimé serait un licenciement sui generis, ce qui paraît difficilement concevable. Soit, on considère que la motivation de la Chambre sociale permettrait insidieusement aux juges du fond de requalifier l'avis d'aptitude en avis d'inaptitude lorsque l'employeur fait la preuve de l'impossibilité de réintégrer le salarié dans son emploi, ce qui remettrait en cause la position adoptée par la Chambre sociale quant à l'interaction du juge ou de l'employeur sur la qualification de l'avis d'aptitude. On le perçoit, cette exception soulève bien des interrogations.

Sur le plan pratique, en revanche, cette précision ne devrait emporter que des effets bien limités. Comme nous l'avons vu, l'obligation de réintégrer le salarié à son poste semble pouvoir être qualifiée d'obligation de résultat dont l'employeur ne pourrait dès lors s'extraire qu'à la condition de démontrer l'existence d'un cas de force majeure, cas de force majeure auquel fait immanquablement penser la référence à une "impossibilité" (12). Or, les conditions de reconnaissance de l'existence d'un cas de force majeure sont très restrictives, en particulier en droit du travail, si bien qu'il devrait être peu fréquent que l'employeur puisse démontrer que la réintégration était impossible (13). Le seul véritable espoir de l'employeur face à un avis d'aptitude avec des réserves trop contraignantes reste le recours au médecin inspecteur du travail (14).

En définitive, les difficultés liées à la qualification d'aptitude avec réserves devraient perdurer après la décision sous examen, ce qui rend plus impérieuse encore une intervention du législateur.

  • Plaidoyer en faveur d'une intervention législative

La position du Code du travail et, par ricochet, de la Chambre sociale de la Cour de cassation sur cette question n'est guère tenable. Une réforme s'impose même si elle ne semble pas être encore au coeur des préoccupations de toutes les suggestions faites au législateur (15). En effet, si l'argument consistant à dire que l'employeur et le juge ne peuvent substituer leur appréciation à celle du médecin du travail sur le plan médical est pertinent, il est également réversible : le médecin du travail peut-il se substituer à l'employeur pour apprécier la possibilité qu'une fonction soit véritablement exercée malgré les réserves émises ? Face au véritable casse-tête auquel certaines entreprises peuvent se trouver confrontées, une réforme semble inévitable, cela d'autant qu'il n'est probablement pas nécessaire qu'elle soit d'une grande envergure.

On pourrait parfaitement imaginer, par exemple, que le législateur interdise purement et simplement l'aptitude avec réserves ou l'aptitude partielle. Seule l'aptitude pure et simple serait permise au médecin du travail, sans aucun aménagement nécessaire, auquel cas l'employeur n'aurait aucune marge de manoeuvre et devrait réintégrer le salarié dans son emploi ou à un emploi similaire. Cela correspondrait à toutes les situations dans lesquelles le salarié est parfaitement rétabli, sans risque de rechute.

Dans tous les autres cas, un avis d'inaptitude devrait être prononcé, celui-ci pouvant être soumis à une condition. Dans les cas les moins graves, le médecin pourrait prononcer l'inaptitude sous réserve de l'impossibilité pour l'employeur d'adopter des mesures individuelles telles que des mutations ou des transformations de poste. Si l'état de santé du salarié, plus grave, ne permet pas la reprise du poste de travail aménagé, l'inaptitude serait prononcée selon les modalités actuelles, l'employeur devant alors rechercher à reclasser le salarié ou, à défaut, pourrait licencier le salarié.

Une telle construction aurait au moins deux avantages. D'abord, elle permettrait de mettre fin à la pratique incohérente consistant à rendre un avis d'aptitude bardé de nombreuses réserves qui le rendent impraticable. Ensuite, elle permettrait une gradation dans les mesures que doit prendre l'employeur, gradation qui finalement reviendrait à lui imposer une obligation de reclassement d'une intensité croissante (16). Si le "reclassement" au poste du salarié n'exige que des mesures d'adaptation de cet emploi, l'employeur devra prouver l'impossibilité d'adapter le poste de travail pour pouvoir passer à l'étape suivante consistant à chercher à reclasser le salarié. Si la réintégration du salarié à son poste de travail est jugée impossible par le médecin du travail en raison de son état de santé ou par l'employeur en cas d'impossibilité de réintégration, l'employeur devra mettre en oeuvre l'obligation de reclassement. Enfin, dans un cas comme dans l'autre, si l'obligation de reclassement ne peut être assouvie, le licenciement pourra être prononcé.


(1) Qu'il s'agisse d'une visite médicale d'embauche (C. trav., art. R. 4624-11 N° Lexbase : L1015ISE), d'une visite médicale périodique (C. trav., art. R. 4624-16 N° Lexbase : L1010IS9) ou d'une visite médicale de reprise (C. trav., art. R. 4624-22 N° Lexbase : L1004ISY).
(2) C. trav., art. L. 1226-8 (N° Lexbase : L1022H9Q). Faute de texte, cette règle réservée à l'aptitude à la suite d'une maladie ou d'un accident professionnel est étendue par la jurisprudence aux maladies et accidents non professionnels, v. Cass. soc., 25 février 1997, n° 94-41.351, publié (N° Lexbase : A3139ABU).
(3) C. trav., art. L. 1226-2 (N° Lexbase : L1006H97) pour les maladies non professionnelles, C. trav., art. L. 1226-10 (N° Lexbase : L6283ISI) pour les maladies et accidents professionnels.
(4) P. Pochet, L'aptitude avec réserves, JCP éd. S, 2012, 1173. Adde., S. Bourgeot et J.-Y. Frouin, Maladie et inaptitude du salarié, RJS, janvier 2000, 3, spéc. n° 48.
(5) Cass. soc., 4 mars 2003, n° 00-46.426, inédit (N° Lexbase : A3712A7M) ; Cass. soc., 14 juin 2007, n° 06-40.474, F-D (N° Lexbase : A8011DWM).
(6) Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-42.212, F-P+B (N° Lexbase : A1144ELX) ; Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-42.674, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7572ENR), v. les obs. de Ch. Radé, Aptitude à l'emploi : l'impuissance du juge judiciaire, Lexbase Hebdo n° 376 du 17 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7052BM7) ; Dr. soc., 2010, p. 243 ; LPA, 19 octobre 2010, p. 19, note P. Etiennot ; JCP éd. S, 2010, 1009, note P.-Y. Verkindt. V. encore Cass. soc., 22 juin 2011, n° 10-13.800, F-D (N° Lexbase : A5346HUK).
(7) CA Bordeaux, ch. soc., sect. A, 15 juin 2010, n° 08/07436 (N° Lexbase : A1179GII), RDT, 2010, p. 578, obs. B. Lardy-Pélissier. Cette décision va d'ailleurs dans le sens du constat opéré quelques mois plus tôt par Ch. Radé, v. Aptitude à l'emploi : l'impuissance du juge judiciaire, préc.
(8) Sur la notion d'emploi similaire, v. les obs. de G. Auzero, La notion d'"emploi similaire" et son respect par l'employeur, Lexbase Hebdo n° 390 du 8 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7295BNI).
(9) Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN).
(10) Pour quelques exemples, v. l'exclusion de la distinction entre faits tirés de la vie personnelle ou de la vie professionnelle (Cass. soc., 23 janvier 2013, n° 11-20.356, F-S+B N° Lexbase : A8754I3M et les obs. de Ch. Radé, Nouvelles illustrations de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 515 du 7 février 2013 - édition sociale N° Lexbase : N5632BTR) ou l'exclusion des règles relatives à la procédure disciplinaire (Ass. plén., 6 janvier 2012, n° 10-14.688, P+B+R+I N° Lexbase : A0289H9L et nos obs., Le changement d'affectation en vue d'assurer la sécurité n'est pas une sanction disciplinaire, Lexbase Hebdo n° 469 du 19 janvier 2012 - édition sociale N° Lexbase : N9706BSB).
(11) En effet, le non-respect des prescriptions du médecin du travail constitue à lui seul un manquement à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, v. Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-46.147, FS-P+B (N° Lexbase : A1397D37) ; RDT, 2008, p. 246, obs. M. Véricel ; Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-42.629, F-P+B (N° Lexbase : A3568ELQ) ; JCP éd. S, 2009, 1494, note A. Martinon.
(12) H. Roland, L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème édition, p. 25, v° A l'impossible, nul n'est tenu.
(13) Cela d'autant que la Chambre sociale de la Cour de cassation s'est enfin rallié aux autres chambres de la Cour de cassation pour uniformiser une définition étroite de la force majeure, v. Cass. soc., 16 mai 2012, n° 10-17.726, F-P+B+R (N° Lexbase : A7062IL7) ; RDT, 2012, p. 420 et les obs..
(14) C. trav., art. L. 4624-1, al. 3. Le recours doit être introduit dans un délai de deux mois, v. C. trav., art. R. 4624-35 (N° Lexbase : L0949ISX).
(15) V. par ex., Aptitude et inaptitude médicale au travail : diagnostic et perspectives, Rapport sous la dir. de H. Gosselin, La doc. fr., 2007 et les propos critiques de E. Lafuma, P.-Y. Verkindt, H. Tissandier, Autour du rapport Gosselin : l'urgence est-elle surtout de réformer le régime de l'obligation de reclassement du salarié inapte ou de redéfinir les missions du médecin du travail ?, RDT, 2007, p. 496.
(16) L'obligation de reclassement semble déjà être une obligation de moyens renforcée puisqu'en cas d'inaptitude, l'employeur doit proposer des reclassements en tenant compte des appréciations du médecin du travail et, le cas échéant, en proposant des mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail (Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-67.514, F-D N° Lexbase : A7636HIN). Sur la qualification d'obligation de moyens renforcée, v. E. Wurtz, Le reclassement professionnel, Resp. civ. et ass., 2013, n° 1, dossier n° 5. Adde. Cass. soc., 16 septembre 2009, 2 arrêts, n° 08-42.212, F-P+B (N° Lexbase : A1144ELX) et n° 08-42.301, F-D (N° Lexbase : A1147EL3) et nos obs., Le caractère indifférent de la "position prise par le salarié" inapte à l'égard de son reclassement, Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9390BLD).

Décision

Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-28.038, FS-P+B (N° Lexbase : A6382I7I)

Cassation, CA Aix-en-Provence, 13 octobre 2011, n° 09/17683 (N° Lexbase : A9073H78)

Textes visés : C. trav., art. L. 1226-8 (N° Lexbase : L1022H9Q) et art. L. 4624-1 (N° Lexbase : L1874H9B)

Mots-clés : état de santé du salarié, aptitude avec réserves, obligation de sécurité.

Liens base : (N° Lexbase : E3120ETQ)

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