La lettre juridique n°365 du 1 octobre 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le caractère indifférent de la "position prise par le salarié" inapte à l'égard de son reclassement

Réf. : Cass. soc., 16 septembre 2009, 2 arrêts, n° 08-42.212, Société Groupe Volkswagen France, F-P+B (N° Lexbase : A1144ELX) et n° 08-42.301, M. Noël Guillier, F-D (N° Lexbase : A1147EL3)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

L'inaptitude physique du salarié est actuellement la cible de tous les regards. Outre la conclusion récente, par les partenaires sociaux, d'un accord national interprofessionnel portant, notamment, sur les questions d'inaptitude physique au travail (1), il est de plus en plus souvent relevé "l'abondance du contentieux relatif au fonctionnement de la médecine du travail" et aux licenciements pour inaptitude (2). La Cour de cassation est très régulièrement saisie de questions relatives à l'inaptitude physique, comme ce fut encore le cas dans deux arrêts rendus par la Chambre sociale le 16 septembre 2009. L'essentiel des questions traitées par la Cour dans ces affaires porte sur l'influence que peut avoir la prise de position d'un salarié quant à son éventuel reclassement à la suite d'une déclaration d'inaptitude. S'il n'y a, sur le fond, rien de profondément nouveau dans les solutions rendues par la Haute juridiction en la matière (I), on constate, néanmoins, un effort de structuration, voire de systématisation de la jurisprudence antérieure sur cette question, effort qui devrait mener à l'apparition d'une nouvelle composante dans la définition de l'obligation de reclassement à la charge de l'employeur en cas d'inaptitude (II).


Résumé

Pourvoi n° 08-42.212 : l'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout emploi dans l'entreprise, ne dispense pas l'employeur, quelle que soit la position prise par le salarié, de rechercher des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagements du temps de travail au sein de l'entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient.

Pourvoi n° 08-42.301 : l'employeur, quelle que soit la position prise par le salarié, ne peut limiter ses propositions de reclassement en fonction de la volonté présumée des intéressés de les refuser.

I - Une solution classique : l'indifférence de la position prise par le salarié sur la recherche de reclassement de l'employeur

  • L'obligation de rechercher le reclassement du salarié inapte : une obligation d'une forte intensité

Lorsqu'à l'issue d'une période de suspension du contrat de travail d'un salarié consécutive à une maladie ou à un accident non professionnel, le médecin du travail constate l'inaptitude totale ou partielle de celui-ci à l'emploi précédemment occupé, l'employeur est tenu de lui "propose[r] un autre emploi approprié à ses capacités" dans l'entreprise (3). L'obligation est d'une intensité particulière, ce qui s'explique notamment par la rédaction du texte dont l'usage du verbe "proposer" au présent de l'indicatif devrait quasiment inciter à y voir une obligation de résultat.

Cette intensité se manifeste au travers de la rigueur avec laquelle la Cour de cassation encadre cette obligation de reclassement. Sans détailler de manière exhaustive les règles entourant ce reclassement, notons, par exemple, que la jurisprudence impose la recherche du reclassement au niveau du groupe si l'entreprise appartient à une telle entité (4). Mesure emblématique de l'intensité de l'obligation de reclassement, la Cour de cassation impose, également, à l'employeur de rechercher le reclassement alors même que le médecin du travail a conclu à l'inaptitude du salarié à tout emploi dans l'entreprise (5).

  • La perturbation de l'obligation de reclassement par le comportement du salarié

Les règles encadrant l'obligation en rendent, parfois, l'exécution délicate pour l'employeur. Cette impression peut encore être accentuée lorsque le salarié, par ses paroles ou par ses actes, semble indiquer à l'employeur qu'il ne sera, dans tous les cas de figure, pas intéressé par un reclassement dans l'entreprise ou dans le groupe.

La tentation peut alors être grande de ne pas gaspiller une trop grande énergie à la recherche d'une proposition de reclassement dont on sait, à l'évidence, qu'elle ne permettra pas le maintien du salarié dans l'entreprise. A l'impossible, nul n'est tenu ! C'est sur cette question de l'importance de la position prise par le salarié au regard de son reclassement que les deux arrêts commentés prennent position.

  • En l'espèce

Dans la première affaire, un salarié avait été déclaré inapte à tout emploi dans l'entreprise et licencié en raison de son inaptitude physique et de l'impossibilité pour l'employeur de le reclasser. Parmi les différents arguments soutenus par l'employeur pour justifier l'impossibilité de reclasser le salarié figurait celui selon lequel le salarié aurait, en réalité, prémédité son inaptitude physique, une lettre produite par l'employeur semblant démontrer l'existence d'une collusion frauduleuse entre le salarié, son médecin traitant et le médecin du travail.

La cour d'appel saisie jugea le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à son obligation de reclassement. Les juges du fond ne sont pas désavoués par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui dispose que "l'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout emploi dans l'entreprise, ne dispense pas l'employeur, quelle que soit la position prise par le salarié, de rechercher des possibilités de reclassement" (6).

Dans la seconde affaire, un salarié, engagé sur un poste d'opérateur polyvalent, était déclaré inapte à de nombreux postes de l'entreprise, un reclassement demeurant possible aux yeux du médecin du travail "à un poste sans manutention de charges lourdes et piétinement continu, par exemple, un poste de traitement thermique, cariste, approvisionnement en sable et parachèvement". L'employeur proposa un poste au traitement technique à mi-temps au salarié qui le refusa. Face à ce refus, l'employeur s'abstint de lui proposer un poste de cariste à temps partiel et le licencia.

La cour d'appel jugea, cette fois, que l'employeur avait convenablement assumé son obligation de reclassement, estimant, au sujet du poste de cariste, que "s'agissant d'un temps partiel, il aurait entraîné le même refus du salarié". Cette solution est cassée par la Chambre sociale au visa de l'article L. 1226-2 du Code du travail. La Cour de cassation estime, en effet, dans cette affaire, que "l'employeur, quelle que soit la position prise par le salarié ne peut limiter ses propositions de reclassement en fonction de la volonté présumée des intéressés de les refuser" (7).

II - Une formulation nouvelle de l'influence de la position prise par le salarié sur la recherche de reclassement de l'employeur

  • L'influence de l'avis du salarié systématisée : l'indifférence de la "position prise par le salarié"

Quels enseignements peut-on retenir de ces deux solutions ?

Il faut d'abord relever que ce n'est pas la première fois que la formule "quelle que soit la position prise par le salarié" est utilisée. Un arrêt de 2006 avait déjà usé de cette formule dans une affaire tout à fait symptomatique de la problématique posée par l'avis du salarié sur son reclassement (8). Dans cette espèce, un salarié déclaré inapte avait fait savoir à son employeur qu'il n'accepterait aucune proposition de reclassement pour un poste géographiquement situé au-delà d'un rayon de 50 km de son emploi précédemment occupé. L'employeur se limita donc à des propositions respectant cette requête, mais se vit, ensuite, reprocher par le juge de ne pas avoir respecté son obligation de reclassement, la Cour de cassation arguant du fait que la recherche de l'employeur devait s'effectuer "quelle que soit la position prise par le salarié" (9).

La formule, par sa généralité, semble être destinée à couvrir toutes les hypothèses dans lesquelles le salarié, par sa parole ou par ses actes, donne son avis ou prend position sur le reclassement qui va lui être proposé. La Cour de cassation fait donc un effort de systématisation qui pourrait être destiné à couvrir différentes hypothèses.

  • Une formule applicable aux exigences du salarié en matière de reclassement

Cela recouvre d'abord, comme dans les affaires étudiées, les situations dans lesquelles l'employeur pourrait présumer que le salarié va refuser la proposition de reclassement qu'il s'apprête à lui faire. Il est pourtant logique que l'employeur ne puisse être dispensé de son obligation en raison d'une telle présomption et ce pour au moins deux raisons. D'abord, parce qu'il serait particulièrement délicat de faire le départ entre les différentes positions du salarié et qu'un contrôle très complexe découlerait de l'acceptation d'une adaptation de l'intensité de l'obligation de reclassement en fonction du comportement ou de l'avis du salarié. Ensuite parce que, quel que soit l'avis émis implicitement ou explicitement par le salarié, il n'y a aucune certitude que celui-ci refusera finalement une proposition faite en dehors des exigences qu'il aurait posées ou semblé poser.

  • Une formule applicable au cas de refus implicite du salarié d'être reclassé

Cette formule semble suffisamment générale, ensuite, pour inclure d'autres situations dans lesquelles la Cour de cassation a jugé que la position prise par le salarié ne devait avoir d'incidence sur la matérialité de l'obligation de reclassement à la charge de l'employeur. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la renonciation par le salarié au reclassement qu'il pourrait concéder via la conclusion d'un accord de rupture amiable. La Cour de cassation a jugé qu'une telle rupture amiable conclue à la suite d'une déclaration d'inaptitude était illicite (10). La raison première de cette solution tient évidemment au respect du statut protecteur accordé au salarié malade (11). Mais il peut également être soutenu que cette solution permet d'interdire au salarié de renoncer au bénéfice de l'obligation de reclassement et, ainsi, de refuser de prendre en considération la position prise par le salarié au regard de celui-ci.

De la même manière, pourraient entrer dans le giron de cette formule les situations dans lesquelles un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat en invoquant un harcèlement moral alors qu'il vient d'être déclaré inapte à son emploi. La Cour de cassation avait, en effet, jugé que, malgré la très forte probabilité que le salarié ne souhaite pas être reclassé dans l'entreprise, l'employeur devait, néanmoins, respecter son obligation de reclassement (12).

Il est probable que la généralité de cette formule peut mener à des situations pratiques parfois ubuesques dans lesquelles l'employeur est tenu à une obligation dont il est certain qu'elle ne mènera à aucun reclassement. Si l'absurdité de ces situations peut être acceptée, c'est d'abord parce que, comme nous l'avons relevé, le Code du travail fait de l'obligation de reclassement un devoir d'une forte intensité pour l'employeur et, ensuite, parce qu'il est certainement plus simple de ne pas entrer dans une distinction qui impliquerait l'analyse de la volonté du salarié, explicite ou présumée, et nécessiterait une bien hasardeuse plongée dans la psychologie de cette volonté.


(1) Protocole d'accord sur la modernisation de la médecine du travail du 11 septembre 2009 et nos obs., L'ANI du 11 septembre 2009 : réforme des services de santé au travail et du rôle préventif du médecin du travail, Lexbase Hebdo n° 364 du 24 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9275BL4).
(2) J. Savatier, Aptitude et inaptitude au travail, Dr. soc., 2009, p. 257.
(3) C. trav., art. L. 1226-2 (N° Lexbase : L1006H97).
(4) Cass. soc., 24 octobre 1995, n° 94-40.188, Société Décolletage plastique c/ M. Jadault (N° Lexbase : A1451ABD) ; Dr. soc., 1996, p. 94, obs. D. Corrignan-Carsin.
(5) Cass. soc., 27 octobre 1993, n° 90-42.560, Société Lemonnier c/ M. Da Silva, publié (N° Lexbase : A1762AAI) ; Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 05-40.526, M. François Lombard, FS-P+B (N° Lexbase : A3090DRU).
(6) Nous soulignons.
(7) Nous soulignons.
(8) Cass. soc., 28 juin 2006, n° 04-48.646, M. Stéphane Watteau, F-D (N° Lexbase : A1094DQL).
(9) Deux autres arrêts de la Chambre sociale utilisèrent cette formule avant les deux arrêts commentés. V. Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 07-42.890, Société civile professionnelle (SCP) Le Lay-Broliquier-Fresneau, F-D, (N° Lexbase : A5025D9Y) et Cass. soc., 20 mai 2009, n° 06-45.926, Société Lacto centre, F-D (N° Lexbase : A1852EH3).
(10) Cass. soc., 29 juin 1999, n° 96-44.160, M. Lavenir c/ Société Publitex (N° Lexbase : A4617AG4).
(11) L'analogie avec les arrêts "Perrier" de 1974 interdisant les modes de rupture tirés du droit civil s'agissant de salariés représentants du personnel est éloquent (Cass. soc., 2 juillet 1974, n° 73-11263, Syndicat CFDT c/ Société Perrier SA N° Lexbase : A7656CEB). Sur cette question, v. J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4e éd., p. 367.
(12) Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.652, Société Distrileader Bouches-du-Rhône, F-D (N° Lexbase : A5187DWZ) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Absolutisme de l'obligation de reclassement ?, Lexbase Hebdo n° 264 du 14 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3893BBS).

Décisions

1° Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-42.212, Société Groupe Volkswagen France, F-P+B (N° Lexbase : A1144ELX)

Rejet, CA Rennes, 8ème ch., 20 mars 2008

Texte cité : C. trav., art. L. 4624-1 (N° Lexbase : L1874H9B)

Mots-clés : inaptitude physique ; licenciement ; obligation de reclassement ; position prise par le salarié à l'égard du reclassement

Lien base :

2° Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-42.301, M. Noël Guillier, F-D (N° Lexbase : A1147EL3)

Cassation, CA Orléans, ch. soc., 27 mars 2008

Texte visé : C. trav., art. L. 1226-2 (N° Lexbase : L1006H97)

Mots-clés : inaptitude physique ; licenciement ; obligation de reclassement ; position prise par le salarié à l'égard du reclassement

Lien base :

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