La lettre juridique n°508 du 6 décembre 2012

La lettre juridique - Édition n°508

Éditorial

Ce n'était rien qu'une chaudière à bois / Mais elle m'avait chauffé le corps...

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N4794BTQ

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Depuis que le christianisme a paru sur la Terre, trois espèces d'ennemis l'ont constamment attaqué : les hérésiarques, les sophistes, et ces hommes, en apparence frivoles, qui détruisent tout en riant. De nombreux apologistes ont victorieusement répondu aux subtilités et aux mensonges ; mais ils ont été moins heureux contre la dérision". Sont-ce ces premières lignes du Génie du christianisme que se sont remémorés les juges du Palais-Royal, le 26 novembre 2012, lorsqu'ils ont estimé fondée l'attribution d'une subvention de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) à des associations exerçant des activités cultuelles, cette subvention n'étant pas destinée à financer l'exercice d'un quelconque culte, mais pour développer la production et l'utilisation d'énergie renouvelable au sein d'un communauté toute cultuelle soit-elle.

Ce n'est pas la première fois que nous soulignons, ici, l'influence incontestable du phénomène religieux, si ce n'est du dogme lui-même, sur la construction juridique et l'activité législative, malgré l'affirmation récurrente des voeux républicains de laïcité. Et, ce n'est pas la première fois, non plus, que le juge interne ou européen doit séparer le bon grain de l'ivraie pour s'attacher à la juste défense du principe de laïcité, sans tomber dans une "chasse aux sorcières" inutile, dangereuse et fragmentaire.

Une nouvelle fois, on saluera la sagesse du Conseil d'Etat qui a bien opportunément rappelé que les communautés religieuses ne sont pas plus exclues du mouvement de protection de l'environnement que les autres communautés non cultuelles et qu'à ce titre leur droit à participer, ici au programme bois-énergie 2000-2006 de l'Ademe, doit être respecté. Et, aux efforts d'investissement consentis par des communautés souvent indigentes, il est bien heureux que les pouvoirs publics répondent à l'appel. La conscience écologique n'est pas incompatible avec la conscience religieuse. L'Eglise est une "personne morale", comme s'est plu à le rappeler, dernièrement, le ministre du Logement.

C'est pourquoi le Haut conseil reconnaît tout simplement que les chartreuses ont beau être solitaires et contemplatives, elles n'en sont pas moins femmes de chair et de sang et... ont besoin de se chauffer ! Toutes les chartreuses ne vivent pas à Parme ! Et la mise en place d'une chaudière automatique à bois déchiqueté subventionnée par une agence étatique n'a rien d'attentatoire au sacro-saint principe de laïcité -oui, nous aimons les oxymores-. Le soutien du projet d'investissement entrait bien dans le cadre des missions d'intérêt général confiées à l'agence par le législateur. Et, le versement des subventions accordées dans le cadre du programme s'accompagnait de la conclusion de conventions permettant de garantir que les subventions étaient exclusivement affectées au financement du projet. Par suite, la subvention n'aurait pu être utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association. Dès lors, les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 ne faisaient pas obstacle à ce que l'Ademe attribuât une subvention "aux filles de Saint Bruno", afin de mettre en place la chaudière espérée.

Dans la seconde affaire, le Conseil d'Etat sanctionne la décision du président d'un conseil régional refusant l'octroi d'une subvention pour la réalisation d'une étude de faisabilité en vue de l'installation d'une chaufferie-bois à une communauté des bénédictins au seul motif que celle-ci avait une activité cultuelle, sans rechercher si le projet faisant l'objet de la demande de subvention avait un caractère cultuel ou était destiné au culte, s'il présentait un intérêt public régional, et s'il était garanti que la subvention serait exclusivement affectée au financement de ce projet et ne serait pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association.

"L'Eglise, sous l'empereur Julien, fut exposée à une persécution du caractère le plus dangereux. On n'employa pas la violence contre les chrétiens, mais on leur prodigua le mépris. On commença par dépouiller les autels ; on défendit ensuite aux fidèles d'enseigner et d'étudier les lettres. Mais l'empereur, sentant l'avantage des institutions chrétiennes, voulut, en les abolissant, les imiter : il fonda des hôpitaux et des monastères, et, à l'instar du culte évangélique, il essaya d'unir la morale à la religion, en faisant prononcer des espèces de sermons dans les temples" poursuit Chateaubriand...

Où sont les tenants des Lumières ? Où sont les obscurantistes ? Qui donne quatre bouts de bois, quand dans la vie il fait froid, quand les croquantes et les croquants, tous les gens bien intentionnés, ferment leurs portes au nez ? La laïcité n'est pas une commode ! On ne tire pas seulement les tiroirs qui nous plaisent quand cela nous chante...

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Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Décembre 2012

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N4821BTQ

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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)

Le 22 Octobre 2014

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur agrégé, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'Institut de recherche en droit privé (IRDP), en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan. Ont retenu l'attention des auteurs, tout d'abord, l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 10 octobre 2012, qui permet de revenir sur la notion de primes manifestement exagérées dans le cadre des contrats d'assurance vie (Cass. civ. 1, 10 octobre 2012, n° 11-14.018, FS-P+B) ; ensuite, un arrêt de la troisième chambre civile du 24 octobre 2012, en matière d'assurance construction, concernant les risques encourus par l'assureur lors de la délivrance d'une attestation d'assurance en période de suspension de la garantie d'assurance (Cass. civ. 3, 24 octobre 2012, n° 11-16.012, FS-P+B).
  • Primes manifestement exagérées en assurance vie : atténuation de la sévérité d'appréciation originelle ? (Cass. civ. 1, 10 octobre 2012, n° 11-14.018, FS-P+B N° Lexbase : A3509IUI)

L'actualité de ces dernières années nous a fourni plusieurs fois l'occasion, depuis que nous tenons cette rubrique, d'aborder le sujet de la notion de primes manifestement exagérées dans le cadre des contrats d'assurance vie. Pour mémoire, rappelons qu'il s'agit de l'application de l'article L. 132-13 du Code des assurances (N° Lexbase : L0142AAI), lequel énonce précisément que "Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés".

Chacun se souvient que depuis l'arrêt du 1er juillet 1007 (1), la Cour de cassation a effectué une interprétation restrictive de ce texte, pour ne pas dire drastique (2). Pour prendre quelques exemples, c'est ainsi que le versement de primes, représentant 73 % du patrimoine de l'assuré, n'avait pas été jugé manifestement exagéré eu égard aux facultés de l'intéressé. Pourtant, l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 10 octobre 2012 ne s'inscrit pas tout à fait dans cette tradition. Serait-ce un début d'évolution ?

Dans le cas présent, un homme est décédé en laissant pour lui succéder, outre sa seconde épouse, avec laquelle il était marié sous le régime de la séparation de biens et quatre enfants une dernière fille, enfant du couple, ainsi qu'une autre, et deux garçons nés de précédentes unions. Au seul énoncé de ces faits, le problème de droit se profile. Les garçons issus d'autres mariages se sont émus du constat de sommes que les filles avaient reçu à titre de donation. Ils soutenaient notamment que celles-ci ne résultaient pas d'un contrat d'assurance vie, mais d'un contrat de capitalisation. Sur ce dernier point, la Cour de cassation ne s'étend pas longuement. Rappelons juste que, quoique l'on puisse en penser, la jurisprudence en ce domaine est acquise depuis les quatre arrêts rendus en Chambre mixte par la Cour de cassation, en date du 23 novembre 2004. Ces sortes de conventions constituent bien des contrats d'assurance soumis au régime applicable à ceux-ci par le code des assurances.

L'argument n'avait donc guère de chances de prospérer. L'autre tentative de contestation, n'apparaissait guère plus solide, de prime abord. En effet, les cohéritiers moins bien traités que les autres essayaient aussi de prouver que la prime versée avait été excessive. La formule était raccourcie pour essayer de démontrer que cette forme de donation relevait du droit des successions et entrait dans le patrimoine du de cujus. La tentative est classique, dans ces circonstances, trop fréquentes, mais qui ne devraient pas se tarir quelle que soit la jurisprudence, tant l'affectif se mêle au juridique. Ce qui est davantage étonnant s'entend de la réponse apportée par la cour d'appel d'abord, puis par notre Haute juridiction qui, en dépit d'éléments chiffrés précis qu'elle expose, considère, en marge de ses habitudes en ce domaine, que la prime versée était manifestement exagérée au regard des situations personnelles et familiales de l'intéressé.

Avant de poursuivre l'analyse et la réflexion, il convient d'ores et déjà de relever, que la Cour de cassation ne se réfère, expressément, à aucun texte, et notamment pas à l'article L. 132-13 du Code des assurances relatif à la notion de prime manifestement exagérée eu égard aux facultés du souscripteur, pas plus qu'elle ne reprend les termes exacts employés dans ce dernier, ainsi qu'elle l'effectue, pourtant de manière scrupuleuse, le plus souvent. Plus encore, elle ne s'appuyait pas sur les éléments patrimoniaux qui lui permettent, d'ordinaire, d'écarter l'idée même d'un versement excessif. Certes, l'assuré avait vendu un bien immobilier d'un peu plus de cent mille euros pour placer les fonds correspondants sur un contrat d'assurance vie ; toutefois, il disposait de revenus réguliers qui, sans être confortables, lui permettaient de subvenir aux charges du ménage.

La Cour de cassation ne s'attache pas non plus à vérifier, ainsi qu'elle avait pu l'effectuer au cours de ces toutes dernières années, que le placement sur un contrat d'assurance vie présentait un intérêt eu égard à l'âge de l'assuré et à son état de santé.

Sans doute l'assuré ne disposait-il plus, à l'issue de la vente de son immobilier d'aucun patrimoine autre que les rentrées financières mensuelles en moyenne de 1 800 euros par mois. Pour autant, l'absence de ratio fourni par nos magistrats invite à s'interroger sur la portée exacte de cet arrêt qui a été publié, alors qua tant d'autres n'ont pas bénéficié d'un tel traitement de faveur. Serait-il annonciateur d'un début d'un petit infléchissement dans la politique de la Cour de cassation quant à la mise en oeuvre de l'article L. 132-13 du Code des assurances ?

Un tel début d'évolution aurait le mérite de mettre fin aux préventions d'une part de la doctrine à l'égard des assurances vie et de leur régime dérogatoire par rapport au droit commun des successions et de la fiscalité applicable. En même temps, elle apparaît illusoire. Loin de remettre en cause le choix de l'assuré de ne pouvoir user de biens de son vivant, elle constitue même une entrave à sa volonté. La remise en cause de son choix initial ne se traduira pas, pour lui, par la possibilité de profiter de la vente de son bien immobilier ; mais d'une répartition différente entre tous ses héritiers. La possibilité de gratifier davantage un héritier plutôt qu'un autre serait donc plus aisée pour une personne disposant d'une certaine fortune, et non pour les assurés aux revenus moins élevés.

Encore ignorons-nous une donnée essentielle : l'information ou non effectuée par l'assuré au(x) tiers bénéficiaire(s) du contrat d'assurance de leur qualité, ainsi que l'absence ou non d'acceptation par leur part. Or, là se situe un élément essentiel dans l'opération réalisée. Que l'assuré ait tenu secret ses démarches, le nom des bénéficiaires, en rendant ainsi impossible leur acceptation, et c'est la preuve qu'il disposait encore de la possibilité d'opérer les retraits, rachats et autres opérations financières nécessaires à l'amélioration de son quotidien. L'opération ne devient plus aussi excessive que considérée à première vue. Et si le décès surprend l'assuré avant qu'il n'ait pu profiter, lui-même, des placements effectués, sans doute productifs d'intérêts non négligeables surtout au cours des années 1995 à 1997, comme en l'espèce.

Veillons donc à ne pas valider des décisions portant atteinte à la volonté d'un de cujus au nom d'une uniformisation systématique ou de relents d'un prétendu égalitarisme artificiel, d'autant qu'après de telles années de procès la paix des familles demeurera illusoire.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'IRDP

  • De l'attestation d'assurance "avec réserve" en période de suspension de la garantie d'assurance : précaution recommandée à l'assureur (Cass. civ. 3, 24 octobre 2012, n° 11-16.012, FS-P+B N° Lexbase : A0698IWR)

En matière de construction immobilière, le maître de l'ouvrage demande aux entrepreneurs de justifier de leur couverture d'assurance responsabilité civile décennale.

En l'espèce, l'entrepreneur a fourni à son client une attestation d'assurance délivrée par un assureur le 22 mars 2005 pour des chantiers ouverts entre le 1er janvier 2005 et le 30 juin 2005 ; le maître de l'ouvrage, qui avait procédé à la déclaration d'ouverture du chantier le 22 juin 2005, s'est plaint de désordres et a poursuivi tant l'entrepreneur que l'assureur.

Or, le contrat d'assurance a été résilié par l'assureur le 30 mai 2005, après mise en oeuvre des règles et délais prévus par le Code des assurances.

Rappelons que l'article L. 113-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L0062AAK) prévoit une suspension du contrat d'assurance trente jours après mise en demeure de paiement adressée par l'assureur à l'assuré, et un délai ultérieur de dix jours au terme duquel l'assureur peut rompre le contrat si le paiement n'a toujours pas eu lieu pour "réactiver" le contrat suspendu.

La difficulté s'accroît lorsque, comme en l'espèce, l'assureur a établi (le 22 mars 2005) une attestation d'assurance "pour les seuls chantiers ouverts entre le 01/01/2005 et le 30/06/2005", sans mentionner la mise en demeure adressée à l'assuré le 1er mars 2005, ni évoquer la suspension de la garantie non plus que le risque de résiliation.

Le maître de l'ouvrage a plaidé avoir pu légitimement croire à une garantie ferme pour le chantier litigieux ouvert avant le 30 juin 2005.

La Cour de cassation souligne au premier chef que "la cour d'appel [...] en a exactement déduit que l'attestation du 22 mars 2005 ne constituait qu'une simple présomption d'assurance qui ne pouvait engager l'assureur au-delà des dispositions du contrat et qu'à défaut de paiement des primes par l'assuré, la preuve de la renonciation de l'assureur à se prévaloir de la résiliation du 30 mai 2005, n'était pas établie".

Traduction : l'attestation d'assurance n'est qu'une attestation (simple) d'assurance. Quelle que soit l'apparence qu'elle donne en raison de son absence de réserve, il ne saurait être déduit de cette apparence que le contrat d'assurance doit être tenu pour effectif.

Toutefois, l'absence de précaution de l'assureur à l'égard du tiers (maître de l'ouvrage) est considéré par la Cour de cassation comme une faute délictuelle d'imprudence. Au visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), elle censure les juges du fond qui avaient considéré que, à la date de délivrance de l'attestation, "la police n'était toujours pas résiliée, l'assuré étant encore dans le délai pour régulariser sa situation et que l'assureur n'avait pas l'obligation d'indiquer dans l'attestation qu'il délivrait, que son assuré n'était pas à jour du paiement de ses primes", aux motifs que "commet une faute l'assureur qui, pendant la période de suspension de la garantie, délivre une attestation sans mentionner la mise en demeure adressée à son assuré ni préciser le risque de résiliation à l'expiration du délai de régularisation".

L'enseignement est clair, l'assureur doit entourer la délivrance de son attestation d'une mise en garde du tiers contre l'éventualité d'une absence d'assurance dès lors que la période de suspension est une "période suspecte" qui peut se dénouer de deux façons : soit par une reprise du contrat (si l'assuré règle ses primes), soit par la fin du contrat (résiliation au bout des 40 jours fixés par l'article L. 113-3 du Code des assurances), sauf à prouver la renonciation non équivoque de l'assureur à s'en prévaloir.

On rapprochera la décision étudiée d'un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 novembre 2007 (3), ayant eu à statuer dans une hypothèse où l'assureur a dénié sa garantie, en faisant valoir que, faute de règlement de l'intégralité des primes dues, le contrat avait été résilié, nonobstant l'attestation d'assurance délivrée par le courtier, à compter du 1er octobre 2002, antérieurement à l'accident.

Les juges du fond avaient considéré la délivrance de l'attestation d'assurance par le courtier inopérante à l'égard de l'assurée, car "même si [celle-ci] a reçu une attestation d'assurance, [elle] n'a pu légitimement croire qu'elle était encore assurée".

Cet argument est censuré : "en se déterminant ainsi, sans rechercher dans quelles circonstances le cabinet de courtage avait été amené à délivrer une attestation d'assurance au nom de la société A., la cour d'appel n'a pas justifié sa décision".

L'erreur légitime est sans doute moins aisée à plaider pour un assuré qui, n'ayant pas réglé les primes et ayant reçu un courrier de résiliation, reçoit une attestation d'assurance du courtier qui indique en apparence le contraire. La contradiction de motifs se traduit ici par contradiction d'actes juridiques. Les Hauts magistrats entendaient ici que l'on recherche pour quelle raison le courtier avait pu adresser une telle attestation dans un tel contexte. Erreur du courtier ou renonciation de l'assureur relayée par l'intermédiaire ?

En toute hypothèse, on comprend que l'erreur est plus légitime lorsqu'elle est, comme dans notre espèce, invoquée par un tiers qui se fie à l'attestation d'assurance.

La Cour de cassation impose les "attestations avec réserve" dès lors qu'elles sont délivrées en période de suspension du contrat. Cela nous semble devoir être approuvé sans réserve.

Cette exigence est d'ailleurs moins sévère que celle que nous avons déjà notée dans cette chronique en bien d'autres occasions. Lors de la chronique précédente (4), nous évoquions la jurisprudence qui sanctionne les assureurs qui n'informent pas clairement les assurés sur la prescription biennale (C. assur., L. 114-1 N° Lexbase : L2640HWP) et ses causes interruptives (C. assur., L. 114-2 N° Lexbase : L0076AA3).

Il y a là un parallèle intéressant à mener avec la question de l'attestation d'assurance incomplète, faute de mention portant "réserve" de ce qu'elle est délivrée dans un contexte de non-paiement de prime par l'assuré donc de possible suspension puis résiliation.

En effet, dans un premier temps, la jurisprudence a considéré que l'absence d'information ne saurait faire obstacle à la prescription, mais engageait alors la responsabilité délictuelle de l'assureur (cf. en ce sens, Cass. civ. 1, 22 janvier 2002, n° 98-18.892, F-D N° Lexbase : A8300AXP, RGDA, 2002, p. 381, note J. Kullmann). C'est ici être sur la même ligne que notre arrêt du 24 octobre 2012.

Mais par la suite, la Cour de cassation a haussé ses exigences, considérant que la prescription était inopposable, et ce même si la police fait référence aux articles L. 114-1 et L. 114-2, dès lors qu'elle n'en explicite pas le contenu.

Nous verrons si, pour l'attestation d'assurance dépourvue de la mention du contenu de l'article L. 113-3 du Code des assurances, le chemin sera identique. Considérer que l'assureur engage sa responsabilité délictuelle pour défaut d'information n'est pas du tout la même chose que considérer inopposable au bénéficiaire non mis en garde contre une possible résiliation du contrat d'assurance en cas de persistance du non-paiement de prime par l'assuré.

En effet, il faudra, à la victime, demander au juge, sous forme de dommages-intérêts, une somme équivalente à celle du montant garanti. Un juge conciliant pourra admettre que le préjudice du préjudice né du défaut d'information équivaut au montant de l'indemnité d'assurance. Mais un juge plus regardant ne pourrait-il considérer que, au moment où la faute a été commise, la résiliation du contrat n'étant pas acquise, il n'y avait là qu'une éventualité défavorable et que, par voie de conséquence, l'assureur n'aurait infligé au maître de l'ouvrage que la perte d'une chance (de voir l'entrepreneur garanti) ?... Nous n'osons sérieusement croire à cette hypothèse, que nous tenons pour inopportune...

Sébastien Beaugendre, Maître de Conférences à la Faculté de Droit de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat à la Cour de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan


(1) Cass. civ. 1, 1er juillet 1997, n° 95-15.674 (N° Lexbase : A0522ACC), Bull. civ. I, n° 217, p. 14 ; JCP éd. G, 1998, I, 133, note R. Le Guidec ; D., 1998, p. 543, note Choisez ; RCA, 1997, comm. 317 ; RGDA, 1997, p. 822, note J. Bigot.
(2) Nos obs., Versement de primes manifestement exagérées : rares utilisations, Droit de la famille, septembre 2007, n° 176, p. 30 ; nos obs., La notion de prime manifestement exagérée n'est pas l'arlésienne, in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6221BAN).
(3) Cass. crim. 27 novembre 2007, n° 06-87.454, F-D (N° Lexbase : A3967IYL).
(4) Cf. nos obs. in Chronique de droit des assurances - Octobre 2012, Lexbase Hebdo n° 503 du 25 octobre 2012 (N° Lexbase : N4122BTT).

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Les absents ont toujours tort : du droit du Bâtonnier de procéder à la visite d'un avocat pour constater la réalité du fonctionnement du cabinet

Réf. : Cass. civ. 1, 17 octobre 2012, n° 11-17.999, F-P+B+I (N° Lexbase : A4809IUN)

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N4784BTD

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

Le 08 Décembre 2012

Un arrêt rendu le 17 octobre 2012 par la première chambre civile de la Cour de cassation consacre le droit pour le Bâtonnier d'effectuer une visite au cabinet d'un avocat, dans le cadre d'une enquête déontologique motivée par diverses réclamations le concernant et émanant soit de créanciers, soit de clients, alors qu'il était impossible de le joindre en l'absence de ligne téléphonique et de fax. La visite du Bâtonnier, en l'occurrence du suppléant du Bâtonnier, s'est déroulée sans que l'avocat en cause en ait préalablement été avisé et en son absence. Au cours de sa visite, le suppléant du Bâtonnier a recueilli les déclarations de salariés sur le fonctionnement préoccupant du cabinet et a procédé au contrôle du compte CARPA. Il a sollicité la justification de la situation du cabinet au regard de la réglementation sociale et fiscale. A l'issue de son enquête déontologique, qui donc comportait cette visite du cabinet d'un confrère, le Bâtonnier l'a renvoyé devant la juridiction disciplinaire, laquelle a prononcé à son encontre une peine d'interdiction temporaire d'exercer pour une durée de deux ans, dont un an avec sursis. La décision disciplinaire a été confirmée par un arrêt la cour d'appel de Papeete en date du 17 février 2011. C'est cet arrêt qui a été soumis à la censure de la Cour de cassation et a donné lieu à l'arrêt de la première chambre civile en date du 17 octobre 2012. Au soutien de son pourvoi, l'avocat sanctionné faisait valoir en substance les moyens suivants :

- qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs du Bâtonnier, en dehors de l'ouverture de toute procédure disciplinaire, de s'introduire au cabinet d'un avocat de son barreau et, sans avis préalable, sans son assentiment exprès ;
- qu'était nulle la procédure disciplinaire dont la mise en oeuvre était fondée sur les constatations faites par un Bâtonnier au cours de contrôles réalisés dans le cadre d'une enquête irrégulière menée au cabinet d'un avocat de son barreau sans l'assentiment de celui-ci, sans avertissement et en dehors de sa présence ;
- que les constatations ainsi irrégulièrement recueillies par le Bâtonnier, et qui fondaient l'ouverture d'une procédure disciplinaire, violaient les dispositions de l'article 188 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) et les droits de la défense.

La motivation de l'arrêt de la Cour de cassation est succincte, au point qu'elle peut être reproduite in extenso ci-après :

"Mais attendu que le Bâtonnier tient des dispositions de l'article 187 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 la faculté de faire procéder ou de procéder lui-même, de sa propre initiative à une enquête sur le comportement d'un avocat de son barreau ; qu'après avoir constaté que la visite par M. J du cabinet de M. T avait été motivée par diverses réclamations dont celle du bailleur du local professionnel de ce dernier se déclarant impayé de loyers et charges ainsi que par l'impossibilité de le joindre, la cour d'appel qui a relevé que cette visite constituait la seule manière d'obtenir une information sur la réalité du fonctionnement du cabinet faute de ligne téléphonique, a exactement retenu que cette mesure, loin d'être critiquable, constituait pour le Bâtonnier un impérieux devoir ; que régulière, l'enquête déontologique n'a pu entacher la validité de la procédure disciplinaire ; d'où il suit que le moyen n'est fondé dans aucune de ses branches".

On recherchera en vain, dans les termes de l'article 187 du décret du 27 novembre 1991, l'énoncé des pouvoirs dévolus au Bâtonnier dans le cadre de l'enquête déontologique, et en particulier le droit qui lui serait conféré de procéder à une visite inopinée et non contradictoire du cabinet d'un avocat, à l'audition de tiers, en l'occurrence des salariés de l'avocat, et à l'examen lui aussi non contradictoire de documents comptables, sociaux ou fiscaux :

"Chapitre III : Procédure disciplinaire

Section I : L'enquête déontologique

Article 187

Modifié par Décret 2005-531 2005-05-24 art. 1 4° JORF 26 mai 2005

Le Bâtonnier peut, soit de sa propre initiative, soit à la demande du procureur général, soit sur la plainte de toute personne intéressée, procéder à une enquête sur le comportement d'un avocat de son barreau. Il peut désigner à cette fin un délégué, parmi les membres ou anciens membres du conseil de l'ordre. Lorsqu'il décide de ne pas procéder à une enquête, il en avise l'auteur de la demande ou de la plainte.

Au vu des éléments recueillis au cours de l'enquête déontologique, il établit un rapport et décide s'il y a lieu d'exercer l'action disciplinaire. Il avise de sa décision le procureur général et, le cas échéant, le plaignant.

Lorsque l'enquête a été demandée par le procureur général, le Bâtonnier lui communique le rapport.

Le Bâtonnier le plus ancien dans l'ordre du tableau, membre du conseil de l'ordre, met en oeuvre les dispositions du présent article lorsque des informations portées à sa connaissance mettent en cause le Bâtonnier en exercice".

L'arrêt en date du 17 octobre 2012, rappelant implicitement que l'enquête déontologique constitue la première phase de l'ouverture d'une possible procédure disciplinaire, est important en ce qu'il aboutit à conférer expressément au Bâtonnier le droit de procéder à une visite du cabinet d'un confrère, même en son absence et sans son accord, dès lors que ces investigations qui s'inscrivent dans l'enquête déontologique sont justifiées par l'impérieux devoir qui pèse sur le Bâtonnier d'obtenir une information sur la réalité du fonctionnement du cabinet d'un avocat, et alors qu'en raison du silence de l'avocat, cette visite constitue la seule manière d'obtenir cette information.

En l'espèce, la solution dégagée par la Cour de cassation ne semble pas pouvoir être critiquée, y compris par les plus fervents tenants du sacro-saint principe de l'inviolabilité du cabinet de l'avocat. Il entre en effet dans les prérogatives du Bâtonnier de vérifier le respect par les avocats de leurs obligations en matières comptable et fiscale, a fortiori en ce qui concerne la CARPA, comme il ne fait aucun doute que le Bâtonnier peut, dans le cadre d'une enquête déontologique, entendre toutes personnes.

La visite du Bâtonnier avait-elle en l'espèce un caractère intrusif ? Paradoxalement, l'avocat en cause qui n'avait plus d'activité puisqu'il était absent de longue date, qui ne payait plus son loyer et ses charges professionnelles, qui ne disposait ni d'une ligne de téléphone ni d'une ligne de télécopie, continuait néanmoins à employer du personnel. Ainsi le Bâtonnier s'est-il rendu dans un cabinet ouvert au public, sans devoir recourir à l'assistance d'un serrurier.

L'arrêt en date du 17 octobre 2012, pour important qu'il soit en ce qu'il consacre le droit pour un Bâtonnier de procéder à une visite du cabinet d'un confrère en son absence, et sans son assentiment, laisse néanmoins en suspens des questions essentielles quant aux contours et aux limites précis du pouvoir du Bâtonnier de procéder à une telle visite.

Convenons que ces questions n'étaient pas posées à la Haute juridiction et qu'il est donc normal qu'elle n'y ait pas répondu :

- le Bâtonnier aurait-il pu procéder à la visite du cabinet d'un avocat si le cabinet avait été vide de personnel et fermé ?

- dans l'affirmative, aurait-il pu accomplir les investigations qui ont été les siennes dans le cas d'espèce qui a donné lieu à l'arrêt du 17 octobre 2012 ? Aurait-il pu, pour permettre à un administrateur provisoire d'accomplir sa mission, emporter avec lui des dossiers du cabinet ?

La pratique de la vie des barreaux révèle que des Bâtonniers sont de plus en plus souvent confrontés à la difficulté d'opérer des contrôles, voire de récupérer des dossiers en cours, pour pallier la carence d'un avocat inexplicablement absent de son cabinet.

Quand un avocat adopte la politique de l'autruche : un phénomène qui prend de l'importance

Il semble devenir de plus en plus fréquent qu'un avocat déserte son cabinet pour de longues périodes, voire plus exceptionnellement, de façon définitive. Faut-il y voir une forme d'abdication devant l'avalanche des problèmes de tous ordres -économiques, personnels, de santé- qui accablent certains confrères ? Une fuite en avant, par nature sans issue ? La raison voudrait qu'un avocat confronté à de telles difficultés se tourne vers son Ordre pour demander aide et conseils. Nombreux sont les barreaux qui ont mis en place des structures adaptées à ces mesures de soutien, ce qui confirme, s'il en était besoin, que la confraternité conserve tout son sens pour les responsables ordinaux.

Mais la raison s'efface quand l'avocat, évidemment faillible, se sent débordé et ne trouve plus en lui, ni les ressources nécessaires, ni la force, pour réagir. Ou bien quand, cela arrive aussi hélas, il porte une lourde responsabilité dans la survenance de ses propres déboires et a alors plutôt tendance à se réfugier dans le repli.

Et l'on se trouve alors face à un cabinet en déshérence.

Il arrive également, même si le cas paraît a priori moins grave, que sans disparaître purement et simplement de son cabinet, un avocat n'exerce plus régulièrement sa profession, multipliant les absences et se réfugiant dans un dangereux mutisme.

Des barreaux désarmés

Comment le découvre t-on ? Par la multiplication des réclamations adressées au Bâtonnier par des clients qui expriment leur déconvenue de ne plus pouvoir joindre leur avocat. Par des signalements de confrères qui déplorent de ne plus avoir de contradicteur, de ne plus pouvoir obtenir la restitution d'actes ou de pièces, ni tout simplement de réponses, ni de contradicteur à la barre au jour de l'audience.

Que fait alors le Bâtonnier ? Il demande par des lettres répétées des explications au confrère en cause, sans bien sûr jamais obtenir de réponse. Ses interrogations se font de plus en plus comminatoires. Il cherche à le joindre téléphoniquement, en vain.

Et quand le Bâtonnier a pris la mesure de la difficulté tenant à la défaillance d'un confrère, il désigne généralement un administrateur, lequel cependant va se heurter en pratique à une semblable difficulté, tout autant insurmontable : entrer en possession des dossiers du confrère défaillant afin de pouvoir accomplir sa mission.

Une situation intolérable pour les clients de l'avocat

Quels que soient les motifs pour lesquels un avocat rend les armes, que ces motifs soient ou non compréhensibles ou admissibles, les clients de l'avocat sont indéniablement des victimes.

Des victimes qui ont perdu, sans raison apparente, le conseil en qui elles avaient placé leur confiance et en sont naturellement désorientées et inquiètes. Des victimes qui ne peuvent plus récupérer des pièces remises à leur avocat. Des victimes qui sont exposées à de graves désagréments procéduraux, notamment lorsque se posent des questions d'urgence, de délais ou de prescription.

Des victimes d'un véritable abus de confiance en ce que les clients, bien souvent, auront versé des provisions sur frais et honoraires à leur avocat.

La déclaration de sinistre n'est pas la solution

L'assurance de responsabilité civile de l'avocat, assurance obligatoire (félicitons-nous que de nombreux barreaux souscrivent cette garantie au nom et pour le compte de tous leurs membres), ne permettra pas de réparer toutes les conséquences de la carence de l'avocat "disparu". En matière matrimoniale ou pénale, pour ne prendre que des exemples évidents, une indemnisation en argent ne pourra suffire à résoudre toutes les conséquences d'une décision judiciaire défavorable.

L'assureur, au titre de la responsabilité civile professionnelle, ne prendra pas davantage en charge le remboursement des honoraires indûment versés sous forme de provisions à son avocat par le client.

Soyons clairs : l'avocat est un auxiliaire de justice, et le barreau tout entier contribue au fonctionnement du service public de la justice.

Il s'ensuit qu'un avocat n'a pas le droit d'être défaillant, quelles que soient ses raisons, et qu'un Ordre a "l'obligation impérieuse", pour reprendre l'expression utilisée par la Cour de cassation dans son arrêt, de pallier la carence d'un avocat.

Il n'est pas acceptable que le client d'un avocat puisse être littéralement abandonné à lui-même par ce dernier, et plus grave encore, que ses droits puissent être mis en péril.

Faut-il par ailleurs le rappeler, l'avocat a des obligations administratives, sociales et fiscales, des créanciers également. Sa défaillance, tout autant inadmissible dans ces domaines, est elle-aussi de nature à porter atteinte à l'image du barreau.

L'inviolabilité du cabinet de l'avocat défaillant a-t-elle un sens ?

Il n'est pas de véritable démocratie sans justice, pas de justice indépendante sans une défense libre, pas de défense libre sans un respect sans faille du secret professionnel de l'avocat.

Rappelons qu'aux termes de l'article 66-5 de la loi de 1971 "aucune consultation ou saisie de documents ne peut être pratiquée au cabinet ou au domicile de l'avocat, sauf dans les conditions de l'article 56-1 du Code de procédure pénale".

Une perquisition ne peut viser qu'un avocat soupçonné d'avoir participé à une infraction, et ne peut en aucun cas concerner un client de l'avocat perquisitionné.

Elle ne peut être effectuée que par un magistrat du Parquet ou un juge d'instruction selon la nature de l'investigation, enquête préliminaire ou instruction, et en présence du Bâtonnier ou de son délégué. Eux seuls pourront prendre connaissance des documents avant leur éventuelle saisie.

Le Bâtonnier, garant des principes essentiels de la profession et assurant les intérêts de son Ordre, joue un rôle prépondérant dans la perquisition.

La jurisprudence, et en particulier celle de la CEDH, a sanctionné les atteintes portées au secret professionnel par des perquisitions irrégulières ou contraires aux règles fixées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Ces règles sommairement résumées sont intangibles... ceci en matière pénale ou fiscale, et alors que l'avocat est le dépositaire de secrets qui lui ont été confiés par ses clients dont il est le confident nécessaire.

Mais puisqu'il est ici question de l'intérêt des clients, en l'occurrence de clients abandonnés à leur sort par un avocat défaillant qui, en outre, exerce une rétention injustifiée sur leur dossier, d'un avocat qui se soustrait au contrôle de son Ordre et qui, de fait, empêche l'administrateur de son cabinet d'accomplir sa mission, ne faudrait-il pas envisager une réforme législative instituant "un droit de visite ordinal du cabinet d'un avocat absent par le Bâtonnier" et aménageant "les conditions de remise des dossiers de cet avocat absent à l'administrateur de son cabinet" ?

Nous ne doutons pas que cette suggestion est de nature à heurter plus d'un avocat attaché à la règle intangible de l'inviolabilité du cabinet de l'avocat.

Mais les causes et conditions d'une "visite ordinale" et "d'un transfert des dossiers à l'administrateur désigné", l'autorité habilitée à les autoriser, les modalités de mise en oeuvre de ces mesures, les limites et interdictions de nature à faire obstacle à toute violation du secret professionnel, pourraient être définies strictement par le Conseil national des barreaux en concertation avec les pouvoirs publics.

Quelle est l'autre branche de l'alternative ? Etendre le droit du Parquet de procéder à une perquisition et à la saisie de dossiers au nom de l'intérêt des justiciables victimes de l'absence de leur avocat ? Ou simplement informer les clients de l'avocat en situation d'absence qu'ils ont la faculté de mettre en cause la responsabilité professionnelle de ce dernier ? Attendre de la Cour de cassation qu'elle complète la jurisprudence issue de l'arrêt du 17 octobre 2012 par de nouveaux arrêts ?

Qu'en est-il de la responsabilité des Ordres envers les clients victimes d'un avocat absent, alors que les Ordres ont l'obligation légale d'exercer certains contrôles ?

Souvenons-nous que le secret professionnel n'est pas un privilège conféré à l'avocat, mais qu'il a été institué au nom de l'intérêt public.

Ici, l'intérêt public est en cause.

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Concurrence

[Panorama] Panorama d'actualité en droit de la concurrence Freshfields Bruckhaus Deringer : table des matières

Lecture: 3 min

N4730BTD

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par Freshfields Bruckhaus Deringer

Le 05 Décembre 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un numéro spécial "Droit de la concurrence". Les membres du Groupe Concurrence parisien de Freshfields Bruckhaus Deringer (sous la direction de Jérôme Philippe et Maria Trabucchi, avocats associés, avec la collaboration de Jérôme Fabre et Jean-Nicolas Maillard, Counsels, Jérémy Bernard, France-Hélène Boret, Julien Caminati, Christine Chansenay, Karima El Sammaa, François Gordon, Aude-Charlotte Guyon, Delphine Liégeon, avocats à la cour), ont donc sélectionné certaines actualités pour les commenter dans le cadre de six panoramas thématiques :
- brèves d'actualité ;
- documents et avis publiés par l'Autorité de la concurrence ;
- jurisprudence française - Décisions de l'Autorité de la concurrence ;
- jurisprudence française - cours d'appel ;
- jurisprudence française - Cour de cassation ;
- jurisprudence de l'Union européenne.
  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence Freshfields Bruckhaus Deringer : brèves d'actualité (N° Lexbase : N4719BTX)

- CE 3° et 8° s-s-r., 17 juillet 2012, n° 353856 (N° Lexbase : A9089IQP) et Cons. const., décision n° 2012-280 QPC, du 12 octobre 2012 (N° Lexbase : A2619IUK)
- CE référé, 17 septembre 2012, n° 362330 (N° Lexbase : A6409ITK)
- CE 3° et 8° s-s-r., 23 juillet 2012, n° 343440 (N° Lexbase : A0735IRN)
- Aut. conc., décision n° 12-DCC-126 du 30 août 2012 (N° Lexbase : X3479ALG)
- Aut. conc., décision n° 12-D-15 du 9 juillet 2012 (N° Lexbase : X1952ALU)
- Aut. conc., décision n° 12-D-18 du 20 septembre 2012 (N° Lexbase : X2843ALU)
- Aut. conc. avis n° 12-A-20 du 18 septembre 2012, relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique (N° Lexbase : X2766ALZ)
- TPIUE, 27 septembre 2012, aff. T-82/08 (N° Lexbase : A6767ITS)
- Lignes directrices de la Commission européenne du 27 août 2012, relatives à l'application des règles de concurrence dans le secteur automobile
- Aut. conc., avis n° 12-A-21 du 8 octobre 2012, relatif au fonctionnement concurrentiel des secteurs de la réparation et de l'entretien des véhicules et de la fabrication et de la distribution de pièces de rechange (N° Lexbase : X3093AL7)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence Freshfields Bruckhaus Deringer : documents et avis publiés par l'Autorité de la concurrence (N° Lexbase : N4721BTZ)

- Communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs du 10 février 2012
- Aut. conc., Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence du 10 février 2012
- Aut. conc., avis n° 12-A-01, 11 janvier 2012, relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris (N° Lexbase : X1069AKS)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française Décisions de l'Autorité de la concurrence (N° Lexbase : N4722BT3)

- Aut. conc., décision n° 11-DCC-150, 10 octobre 2011 (N° Lexbase : X0666AKU)
- Aut. conc., décision n° 11-DCC-187, 13 décembre 2011 (N° Lexbase : X1614AKY)
- Aut. conc., décision n° 11-D-15, 16 novembre 2011 (N° Lexbase : X0498AKN)
- Aut. conc., décision n° 11-D-17, 8 décembre 2011 (N° Lexbase : X0630AKK)
- Aut. conc., décision n° 11-D-20, 16 décembre 2011 (N° Lexbase : X0747AKU)
- Aut. conc., décision n° 12-D-01, 10 janvier 2012 (N° Lexbase : X1107AK9)
- Aut. conc., décision n° 12-D-05, 24 janvier 2012 (N° Lexbase : X1200AKN)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française - cours d'appel (N° Lexbase : N4723BT4)

- CA Orléans, ord. du premier président, 8 novembre 2011, n° 11/00290 et 11/00777
- CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 26 janvier 2012, n° 2010/23945 (N° Lexbase : A5938IBK)
- CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 16 février 2012, n° 2011/00951 (N° Lexbase : A7503ICU)
- CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 23 février 2012, n° 2010/20555 (N° Lexbase : A1750ID8)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française - Cour de cassation (N° Lexbase : N4724BT7)

- Cass. com., 17 janvier 2012, n° 11-13.067, FS-P+B (N° Lexbase : A1382IBS)
- Cass. crim., 11 janvier 2012, sept arrêts, n° 10-85.446, F-P+B (N° Lexbase : A5289IA7) ; n° 10-85.447, F-D (N° Lexbase : A8139IAP) ; n° 10-85.448, F-D (N° Lexbase : A8147IAY) ; n° 10-85.449, F-D (N° Lexbase : A8141IAR) ; n° 10-85.450 (N° Lexbase : A8074IAB) ; n° 10-85.451, F-D (N° Lexbase : A8150IA4) ; n° 10-85.452 (N° Lexbase : A7978IAQ)
- Cass. QPC, trois arrêts, 10-88.193, F-D (N° Lexbase : A0521HZC) ; 10-88.194, F-D (N° Lexbase : A0522HZD) ; 10-88.197, FD (N° Lexbase : A0523HZE) et Cass. crim., 11 janvier 2012, trois arrêts, n° 10-88.193, F-D (N° Lexbase : A8088IAS) ; n° 10-88.194, F-D (N° Lexbase : A7971IAH) ; n° 10-88.197, F-P+B (N° Lexbase : A5291IA9)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence de l'Union européenne (N° Lexbase : N4725BT8)

- CJUE, 8 décembre 2011, aff. C-81/10 P (N° Lexbase : A1684H47)
- TPIUE, 13 février 2012, aff. jointes T-80/06 et T-182/09 ([LXB=PANIER])
- Déc. Comm. UE COMP/M. 6441 (communiqué de presse de la Commission européenne IP/12/152 du 20 février 2012)
- Déc. Comm. UE COMP/39600 (communiqué de presse de la Commission européenne IP/11/1511 du 7 décembre 2011)

newsid:434730

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Résidence fiscale, holding et lien économique : une histoire belge ?

Réf. : CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 346556, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6392ITW)

Lecture: 12 min

N4728BTB

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par Simon Ginesty, Avocat au barreau des Hauts-de Seine

Le 27 Février 2013

La Belgique ne s'attendait sûrement pas à une telle publicité : la première fortune européenne aurait des velléités de départ de France pour s'installer dans le plat pays. Au-delà du sempiternel débat qui s'en suivit sur la politique fiscale menée en France au plan patrimonial -souvent stérile et parfois même frisant l'insulte (1)-, cette affaire a eu le mérite de mettre en exergue les charmes discrets de ce royaume en la matière.

En effet, si la Belgique fait parfois l'objet de moqueries sur ses habitants, il en va autrement de sa fiscalité qui fait, elle, l'objet de bien des convoitises. Il n'est, dès lors, guère étonnant que nombre de nos concitoyens, particulièrement quand vient l'heure de céder leur entreprise (2), décident de s'installer dans cet Etat. Il semblerait même que ces départs aient tendance à s'accélérer, selon plusieurs sources (3), en raison d'un environnement fiscal français que d'aucuns considèrent comme défavorable.

L'expatriation fiscale n'est cependant pas un acte anodin, ni même facile, dès lors qu'une entreprise est impliquée. Comme le faisait justement remarquer M. Thierry Lamorlette (4), "délocaliser une entreprise n'est pas une mince affaire : il s'agit de déplacer des hommes, du matériel, du savoir-faire, etc.".

Et force est de constater que bon nombre de contribuables continuent, à l'instar d'une rupture amoureuse, et parfois malgré eux, d'entretenir une relation avec l'"ex". Or, là comme ailleurs, cette situation ne va pas sans conséquences, y compris sur un plan fiscal.

De ce point de vue, nous ne pourrons dès lors que conseiller à tous les éventuels candidats au départ d'examiner de près l'arrêt du Conseil d'Etat en date du 26 septembre 2012. Les faits de l'espèce nous apprennent qu'un entrepreneur avait créé une société holding (5) de droit belge pour abriter deux sociétés opérationnelles françaises, lesquelles avaient une activité de conseil aux entreprises. Vivant en Belgique et étant rémunéré par cette société holding, ce chef d'entreprise pensait être à l'abri des griffes de l'administration fiscale française, quant à sa résidence fiscale.

Las, le service des impôts compétent redressa l'impétrant, arguant que son centre des intérêts vitaux, tel que prévu dans la Convention franco-belge (6), se trouvait dans notre pays, et qui c'était donc aussi le cas de sa résidence fiscale.

Le Conseil d'Etat, saisi en dernier lieu du litige, était donc amené à se prononcer sur l'application de la Convention franco-belge dans l'hypothèse où une personne exerçait son activité par l'intermédiaire d'une société holding : l'interposition d'une telle société en Belgique suffit-elle à créer des liens économiques avec ce pays au détriment de la France ?

Les juges du droit y répondirent -logiquement- par la négative. En effet, le Haut conseil estime "que les revenus de ces sociétés françaises devaient être regardés comme correspondant à l'activité exercée en France par M. B, même s'il n'en percevait aucun salaire ou dividende et en les prenant en compte pour juger que ses liens économiques étaient plus étroits avec la France qu'avec la Belgique, la cour n'a pas commis d'erreur de droit alors même que les revenus qu'il tirait de cette activité lui étaient versés au cours des années en litige par le truchement de la société holding de droit belge".

Cette décision donne ainsi l'occasion de nous intéresser à l'un des critères conventionnels afférent à la résidence fiscale, celui du centre des intérêts vitaux, dans un contexte un peu particulier, celui de la Convention franco-belge.

I - Le centre des intérêts vitaux, un critère insoluble ?

L'article 1er de la Convention fiscale signée entre la France et la Belgique prévoit que "une personne physique est réputée résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer permanent d'habitation [...] Lorsqu'elle dispose d'un foyer permanent d'habitation dans chacun des Etats contractants, elle est considérée comme un résident de l'Etat contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits, c'est-à-dire de l'Etat contractant où elle a le centre de ses intérêts vitaux".

Ainsi, l'article 1er de la Convention définit le centre des intérêts vitaux comme recouvrant, d'une part, les liens personnels, et, d'autre part, les liens économiques. C'est ainsi que le Conseil d'Etat décida que :
- l'intéressé n'avait pas de liens personnels plus étroits avec la Belgique qu'avec la France ;
- mais que son centre des intérêts économiques était situé en France.

A - Le critère des liens personnels

Le centre des intérêts vitaux, selon les commentaires de l'OCDE, est déterminé en application d'un ensemble de critères qui doivent faire l'objet d'une analyse circonstanciée (7). Doivent ainsi être pris en considération "les relations familiales et sociales de l'intéressé, ses occupations, ses activités politiques, culturelles ou autres, le siège de ses affaires, le lieu d'où il administre ses biens, etc. Les circonstances doivent être examinées dans leur ensemble mais il est évident cependant que les considérations tirées du comportement personnel de l'intéressé doivent spécialement retenir l'attention. Si une personne qui a une habitation dans un Etat établit une deuxième habitation dans un autre Etat, tout en conservant la première, le fait que l'intéressé conserve cette première habitation dans le milieu où il a toujours vécu, où il a travaillé et où il garde sa famille et ses biens peut, avec d'autres éléments, contribuer à démontrer qu'il a conservé le centre de ses intérêts vitaux dans le premier Etat".

La juridiction administrative (CAA Paris, 7ème ch., 10 décembre 2010, n° 08PA05436, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1768GRW) s'est donc attachée à déterminer avec lequel de ces deux Etats -France ou Belgique- le contribuable possédait les liens les plus étroits sur un plan personnel. Sur ce plan, deux certitudes résultent de l'analyse de l'abondante jurisprudence en la matière :
- il n'existe aucun critère qui, à lui seul, peut déterminer si les liens personnels sont plus étroits avec un pays plutôt qu'un autre ;
- en cas de doute, il convient de se reporter aux critères suivants, c'est-à-dire le lieu de séjour principal et enfin la nationalité.

En l'espèce, force est de reconnaître qu'un examen minutieux des arguments en faveur de l'un ou de l'autre rendait pour le moins difficile -pour ne pas dire impossible- l'attribution de ce critère à l'un ou l'autre des deux Etats :
- d'un côté, s'agissant de la Belgique, le contribuable faisait ainsi valoir qu'il était rémunéré exclusivement par la société belge, qu'il était soumis dans cet Etat à la Sécurité sociale, et qu'il y vivait avec sa fille (issue d'une seconde noce, comme le relève l'arrêt). On notera en outre qu'il était considéré comme résident fiscal en Belgique (8) ;
- de l'autre côté, l'administration fiscale relevait que la seconde épouse du contribuable travaillait à Paris et y habitait, que le contribuable disposait, au cours des années d'imposition litigieuses, d'un logement de fonction par l'intermédiaire d'une des sociétés opérationnelles dans le même immeuble que celui où son épouse exerçait son activité professionnelle et que deux enfants mineurs (issus de son premier mariage et pour lesquels il acquittait une pension alimentaire) résidaient en France.

Le Conseil d'Etat en déduit donc assez logiquement que l'intéressé ne disposait pas de liens plus étroits avec la Belgique qu'avec la France.

B - Le critère des liens économiques

S'agissant des liens économiques, les commentaires de l'OCDE indiquent que doivent être pris en considération le siège de ses affaires et le lieu d'où le contribuable administre ses biens.

Il revient donc au juge de l'impôt d'analyser l'ensemble des éléments de fait dont il a connaissance pour déterminer, "en son âme et conscience", de quel côté penche la balance.

Et, de ce point de vue, l'argumentation du contribuable apparaissait a priori difficilement contestable : salarié d'une société de droit belge dont il était l'actionnaire unique, les liens économiques qu'il entretenait avec la Belgique devaient donc nécessairement s'avérer plus étroits que ceux entretenus avec la France, puisque aussi bien ses revenus (c'est-à-dire les salaires que lui versait la société holding de droit belge) que son patrimoine (c'est-à-dire le capital de la société de droit belge) y étaient localisés.

Mais une telle analyse, si respectueuse soit-elle des principes juridiques, et notamment de la personnalité morale de la société de droit belge, souffrait néanmoins la critique quant à la réalité économique du montage.

En effet, nul ne contestait l'existence légale de la société holding de droit belge dont arguait le contribuable. Mais au-delà des apparences, il appartenait aux juges de l'impôt de vérifier si cette réalité juridique se traduisait bien, sur un plan factuel, par une prépondérance des liens économiques avec la Belgique et non avec la France ; autrement dit, le juridique ne tient pas le fiscal en l'état.

Or, derrière la société holding de droit belge se cachaient deux sociétés opérationnelles françaises, et l'administration fiscale releva que le contribuable assurait seul la direction effective de ces deux sociétés, qui n'employaient aucun salarié.

Ainsi donc, ce n'était que par le truchement de la société de droit belge que le contribuable disposait de liens économiques avec la Belgique ; cet écran juridique levé, ses liens s'avéraient, in fine, beaucoup plus forts avec la France.

La question se posait dès lors de savoir comment apprécier la notion de liens économiques les plus étroits avec la France lorsqu'un contribuable exerce son activité principale en France mais sans y percevoir de revenus ni détenir -directement- d'intérêts dans une société française.

Réaffirmant en creux le caractère autonome du droit fiscal par rapport aux autres branches du droit (9), le Conseil d'Etat estima qu'il convenait de s'attacher, non pas au lieu de perception des revenus, mais au lieu de production de ces revenus, ce qui constitue sans nul doute l'apport essentiel de cet arrêt.
Le Haut conseil en déduit alors que les revenus perçus par l'intermédiaire de la société holding belge devaient être regardés comme correspondant à l'activité exercée en France par le contribuable, même s'il n'en percevait aucun salaire ou dividende, et, partant, que ses liens économiques étaient plus étroits avec la France qu'avec la Belgique.

Le contribuable désireux de s'expatrier est donc prévenu. Loin de devoir "simplement" s'installer dans une contrée accueillante, il devra également veiller à y localiser une partie de ses intérêts, sous peine d'être rattrapé par la police (fiscale).

II - L'articulation de la Convention avec le droit interne français

De manière traditionnelle -c'est-à-dire selon le Modèle de convention OCDE (N° Lexbase : L6769ITU)-, l'expression "résident d'un Etat contractant désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, y est assujettie à l'impôt en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat" (10).
Le paragraphe suivant indique que "lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux Etats contractants, sa situation est réglée de la manière suivante : [...]".

Or, le premier paragraphe est absent de la Convention fiscale signée entre la France et la Belgique. En effet, l'article 1er de cette Convention définit la résidence fiscale de manière autonome, c'est-à-dire sans renvoi vers la législation interne des Etats parties à la Convention.

Cette particularité de la Convention fiscale franco-belge a amené la doctrine à s'interroger sur la portée d'une telle rédaction : en l'absence de renvoi au droit interne, doit-on néanmoins analyser la résidence fiscale du contribuable du point de vue des règles internes régissant la résidence fiscale (CGI, art. 4 B N° Lexbase : L1010HLY) ?

A - Le principe de subsidiarité à l'épreuve de la Convention franco-belge

La définition traditionnelle telle qu'énoncée dans le Modèle de convention OCDE pose deux critères cumulatifs pour pouvoir être considéré comme résident d'un Etat :
- être considéré comme résident fiscal en vertu de la législation interne de l'Etat considéré ;
- être soumis à une imposition sur les revenus mondiaux (obligation fiscale illimitée (11)).

Ce n'est qu'en cas de conflit de résidence, telle que définie ci-dessus, que les critères énoncés au paragraphe 2 du Modèle OCDE (critère du foyer d'habitation permanent, du centre des intérêts vitaux, du séjour habituel et de la nationalité) auront vocation à s'appliquer.

Il s'agit de l'application du principe de subsidiarité des conventions fiscales bilatérales en vertu duquel il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie ; ensuite seulement, dans l'affirmative, il doit déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale (12).

Ce principe de priorité du droit interne doit-il s'effacer dans le cas qui est celui de l'espèce, où la convention fiscale en cause définit elle-même les critères d'appréciation de la résidence fiscale ?

Une réponse de principe a été apportée à cette question par le Conseil d'Etat dans sa décision "Cheynel" (13) : "considérant, en premier lieu, que, si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L0884AH9), conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer -en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office- si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale ; qu'il en est ainsi à l'égard de toute convention ayant cet objet, telle que la Convention conclue le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique, alors même qu'elle définit directement les critères de la résidence fiscale à prendre en compte pour les besoins de son application".

La question de la subsidiarité ainsi réglée, il ne restait plus qu'à en faire une nouvelle application au cas d'espèce.

Or, loin de reprendre le considérant de principe tel que rappelé ci-dessus dans sa décision "Cheynel", le Conseil d'Etat semble avoir fait l'économie de l'analyse de la résidence fiscale du contribuable d'un point de vue interne. En effet, la particularité de la Convention franco-belge semble se retrouver dans la rédaction de l'arrêt de l'espèce puisque seuls les critères conventionnels (et plus précisément celui relatif au centre des intérêts vitaux) y sont abordés.

Doit-on en conclure que le principe de subsidiarité n'a plus vocation à jouer en présence de convention fiscale définissant de manière autonome la résidence fiscale ? Nous n'en croyons rien.

En premier lieu, le contexte de l'arrêt est identique à celui de l'arrêt "Cheynel", c'est-à-dire l'application du principe de subsidiarité dans le cadre de la Convention franco-belge. Un revirement de jurisprudence aurait fait, selon nous, l'objet d'un considérant de principe autrement rédigé.

En deuxième lieu, la rédaction de l'arrêt n'indique pas sur quels moyens le contribuable s'est pourvu en cassation contre l'arrêt de cour d'appel. Nous supputerons donc qu'un tel moyen n'avait pas été soulevé par le requérant, sans doute en raison même de la position établie par la cour en 2008.

En troisième lieu, et sur un plan formel, on observera que les juges du droit ont expressément cité les termes de l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY), ce qui confirmerait l'analyse selon laquelle la question de la résidence fiscale en vertu du droit interne a bel et bien été appréhendée par la cour, indirectement tout au moins, par l'intermédiaire du critère des liens économiques.

Toujours est-il que la question mérite à notre avis d'être posée : le contribuable devait-il être considéré comme résident fiscal français en vertu du droit interne ?

B - Le critère de droit interne du centre des intérêts économiques

Selon l'article 4 B du CGI, sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France :
- les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; ou
- celles qui exercent en France une activité professionnelle ; ou
- celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques.

Il suffit qu'un seul des critères soit rempli au regard du droit interne français pour qu'un contribuable soit considéré comme résident fiscal de France.

On s'aperçoit ainsi que le dernier critère de droit interne s'approche clairement du critère conventionnel indiqué précédemment.

Il subsiste néanmoins deux différences entre les deux notions.

La première a trait au cadre général d'analyse, le critère de droit interne étant suffisant, en soi, pour déterminer la résidence fiscale, tandis que le critère conventionnel fait partie d'un cadre plus large, celui des intérêts vitaux.
La seconde différence tient au fait que le Conseil d'Etat prescrit, s'agissant du critère de droit interne, d'observer prioritairement les revenus du contribuable. En effet, les juges de l'impôt sont invités à comparer le montant des revenus dans chaque Etat, avant, à titre seulement subsidiaire, de comparer le patrimoine (mobilier et immobilier) dans chaque Etat.

La question se posait, dès lors, de savoir comment apprécier la notion de liens économiques les plus étroits avec la France, lorsqu'un contribuable exerce son activité principale de conseil en France mais sans y percevoir de revenus.

De ce point de vue, la décision du 26 septembre 2012 apporte une contribution intéressante.

En effet, pour déterminer que le contribuable avait bien son centre des intérêts économiques en France, le Conseil d'Etat a retenu que les sociétés opérationnelles françaises étaient bien productives des revenus et devaient donc être regardées comme correspondant à l'activité exercée en France par le contribuable, même s'il n'en percevait aucun salaire ou dividende.

Bien que l'analyse fût retenue pour l'examen du critère conventionnel, sa portée nous semble directement transposable pour l'étude du critère de droit interne, la notion d'intérêt économique étant, sur ce point, identique.

Nous rappellerons que, précédemment, le Conseil d'Etat estimait qu'une personne qui perçoit d'importants revenus professionnels à l'étranger, mais qui ne dispose en France que d'un patrimoine non productif de revenus, n'a pas en France le centre de ses intérêts économiques au sens de l'article 4 B du CGI (14).

Ainsi donc, il conviendrait désormais d'inclure, pour l'analyse de la résidence selon le droit interne, les revenus perçus par le contribuable à l'étranger mais dont le lieu de production se situe dans notre pays, ce qui pourrait permettre à l'administration fiscale française de mettre en échec la domiciliation fiscale à l'étranger de nombre de contribuables (15).


(1) On se souviendra de la Une retentissante du quotidien Libération en date du 10 septembre dernier à propos de M. Arnault : "Casse-toi, sale riche".
(2) La Belgique n'impose pas les plus-values sur actions lorsqu'elles sont réalisées dans le cadre d'une gestion normale du patrimoine privé (notion qui n'est pas définie par la loi).
(3) V. par exemple, parmi les nombreux articles parus dans la presse, Exil fiscal : ils font le grand saut, Par Bruno Abescat - L'Express - publié le 4 octobre 2012 à 12h24.
(4) Audition de M. Lamorlette lors de son audition devant le Sénat pour les besoins de la Commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales et auteur du Guide critique et sélectif des paradis fiscaux à l'usage des particuliers.
(5) S'agissant du déterminant qu'il convient d'utiliser avec le terme "holding" (masculin ou féminin), il semblerait que le genre masculin l'emporte (dans ce sens, V. Le Grand Robert) bien que le débat ne soit pas tranché (par exemple, le petit Robert indique que les deux déterminants sont possibles). Dans le présent commentaire, et à l'instar du Conseil d'Etat, nous retiendrons l'expression une société holding.
(6) Convention signée entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus, signée à Bruxelles le 10 mars 1964 (N° Lexbase : L6668BHG).
(7) Commentaire OCDE, C (4) n° 15 (voir l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E3168EUU).
(8) On relèvera que, conformément à l'article 3 du Code belge des impôts sur les revenus, sont assujettis à l'impôt des personnes physiques les habitants du royaume, à savoir les personnes ayant établi en Belgique leur domicile ou le siège de leur fortune. Par "siège de leur fortune", il y a lieu d'entendre non pas le lieu où se situent matériellement les biens du contribuable mais celui duquel ils sont gérés par celui-ci. La notion de "domicile fiscal", quant à elle, n'est pas définie dans le Code belge des impôts sur les revenus.
(9) Cass. civ., 20 août 1850 et 20 août 1867, D.P., 1967, 1ère partie, p. 337 : "l'administration a le droit et le devoir de rechercher et constater le véritable caractère des stipulations contenues dans les contrats pour arriver à asseoir d'une manière conforme à la loi fiscale les droits dus par les parties contractantes à raison des contrats".
(10) Modèle de convention de l'OCDE concernant le revenu et la fortune, art. 4, paragraphe 1 (N° Lexbase : L6769ITU).
(11) Sur ce point, voir nos obs., Convention France/Royaume-Uni : tapis rouge pour les actionnaires, Lexbase Hebdo n° 500 du 4 octobre 2012 - édition fiscale (N° Lexbase : N3710BTL).
(12) CE Plénière, 19 décembre 1975 n° 84774-91895, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3446B87), RJF, 2/76, n° 77, avec chronique B. Martin Laprade, p. 41, conclusions Fabre, Dr. fisc., 27/76, c. 925 ; CE 8° et 9° s-s-r., 17 mars 1993, n° 85894, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8711AML), RJF, 5/93, n° 612, avec conclusions J. Arrighi de Casanova, p. 359, CE Ass., 28 juin 2002, n° 232276, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0219AZ7), RJF, 10/02, n° 1082, avec chronique L. Olléon, p. 755, et conclusions S. Austry, BDCF, 10/02, n° 120.
(13) CE 10° et 9° s-s-r., 11 avril 2008 n° 285583, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8674D7E).
(14) CE 8° et 3° s-s-r., 27 janvier 2010 n° 294784, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7546EQK).
(15) On pourrait ainsi imaginer l'administration fiscale s'appuyer sur cette jurisprudence pour considérer comme résident fiscal de France certains artistes ou entrepreneurs dont les liens économiques ainsi définis sont plus importants avec la France qu'avec leur pays d'accueil.

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QPC

[Jurisprudence] QPC : évolutions procédurales récentes - Juillet à Septembre 2012

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par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

Le 06 Décembre 2012

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue de droit public. I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Notion de "disposition législative"

Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), une QPC ne peut être régulièrement dirigée que contre une "disposition législative", ce qui exclut, en principe, la contestation directe d'une jurisprudence. Une QPC soulevée contre une jurisprudence du Tribunal des Conflits est donc irrecevable (CE référé, 6 août 2012, n° 361542, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9781IRP). La même issue attend la contestation de dispositions réglementaires. A cet égard, avec une certaine rigueur, la Cour de cassation refuse de renvoyer une QPC qui "ne tend, sous le couvert d'un rapprochement avec une disposition législative [...] qu'à contester la conformité à la Constitution des dispositions, de nature réglementaire" (Cass. QPC, 13 juillet 2012, n° 12-40.049, FS-P+B N° Lexbase : A8780IQA).

On relèvera qu'est tout aussi irrecevable une QPC qui ne conteste pas une disposition législative mais se borne à critiquer des décisions de la Cour de cassation, y compris si ces dernières ont refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC de même nature, circonstance dont les requérants tiraient une atteinte aggravée au droit à un recours juridictionnel (Cass. QPC, 26 septembre 2012, n° 12-84.796, F-P+B N° Lexbase : A0195IUR) Cette solution doit être rapprochée de la règle selon laquelle une QPC concernant la même disposition législative ne peut être formulée qu'à l'occasion d'un recours contre la décision de cette juridiction réglant tout ou partie du litige (Cass. QPC, 17 janvier 2012, n° 11-90.112, F-P+B N° Lexbase : A1530IBB).

On rappellera, par ailleurs, que les ordonnances organiques prises en application de l'article 92 de la Constitution abrogé en 1995 peuvent, contrairement aux lois organiques, donner lieu à QPC. Ce traitement spécifique résulte du fait que ces ordonnances prises pendant six mois en 1958-1959 pour la mise en oeuvre de la Constitution n'ont pas été soumises au Conseil constitutionnel, lequel n'a été mis en place que le 5 mars 1959. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a renvoyé la disposition organique relative au statut de la magistrature prévoyant que les candidats à l'auditorat doivent "être de bonne moralité". Il est d'autant plus notable que le moyen développé est la méconnaissance de la compétence confiée au seul législateur organique par l'article 64 de la Constitution (N° Lexbase : L0893AHK) et, en conséquence, l'atteinte au principe d'égal accès des citoyens aux places et emplois publics garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M) (CE 1° et 6° s-s-r., 17 juillet 2012, n° 358648, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9090IQQ).

2 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

La question de la prise en compte des changements de circonstances, dont l'application est souvent délicate, connaît quelques développements.

Il s'agit, bien entendu, d'une notion d'interprétation stricte (1). La Cour de cassation refuse le plus souvent de reconnaître de tels changements de circonstances (Cass. QPC, 18 septembre 2012, n° 12-90.054, F-D N° Lexbase : A2523ITM). La Cour a, notamment, considéré qu'aucun changement de circonstances de droit ou de fait n'est intervenu depuis la décision n° 78-103 DC du 17 janvier 1979 (N° Lexbase : A7986ACR) qui, affectant la portée d'une disposition organique relative au statut de la magistrature contestée en ce qu'elle poserait un principe d'irresponsabilité des magistrats, en justifierait le réexamen (Cass. QPC, 20 septembre 2012, n° 12-01.311, F-D N° Lexbase : A2567ITA). Elle a, également, estimé que les avancées de la science génétique ne constituent pas un changement de circonstances pour réexaminer des dispositions relatives aux prélèvements destinés à l'identification des empreintes génétiques (Cass. QPC, 19 juin 2012, n° 12-90.022, F-D N° Lexbase : A5142IP7, Cass. QPC, 11 juillet 2012, n° 12-81.533, F-D N° Lexbase : A8761IQK). Dans cette dernière affaire, la Cour prend en considération la circonstance que le législateur lui-même, en habilitant le pouvoir réglementaire à adapter les modalités d'analyse d'identification au regard de l'évolution des connaissances scientifiques, a prévu une adaptation du droit au changement de circonstances. Si elle se comprend bien, en l'espèce, cette justification repose sur une base fragile et place faussement ce type de disposition habilitante dans une situation constitutionnelle définitive.

Dans son office, la Cour reconnaît clairement que l'intervention d'une nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel peut constituer un changement de circonstances. C'est ainsi qu'elle vérifie que les vices relevés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, relative au harcèlement sexuel (N° Lexbase : A5658IKR), n'affectent pas les dispositions de l'article 222-33-2 du Code pénal (N° Lexbase : L8807ITD) relatives au harcèlement moral, déclarées conforme à la Constitution dans la décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 (N° Lexbase : A7587AXB) (Cass. QPC, 11 juillet 2012, F-P+B, n° 11-88.114 N° Lexbase : A8805IQ8 et n° 12-40.051 N° Lexbase : A8804IQ7, Cass. QPC, 25 juillet 2012, F-D, n° 12-90.036 N° Lexbase : A1540IRH, n° 12-90.034 N° Lexbase : A1539IRG et n° 11-89.125 N° Lexbase : A1543IRL, Cass. QPC, 4 septembre 2012, F-D, n° 12-80.222 N° Lexbase : A9276ISD et n° 12-84.129 N° Lexbase : A9290ISU). Cette appréciation repose sur l'examen des dispositions contestées au crible des critères définis dans la jurisprudence "nouvelle".

Pourrait se révéler tout aussi délicate, la question de savoir si des modifications rédactionnelles apportées à un texte constituent des modifications pouvant faire évoluer la décision de conformité portant sur une disposition qui lui est connexe. Il semble admis, par principe, que la déclaration de conformité par le Conseil constitutionnel des dispositions d'un article de loi n'interdit pas de contester ces mêmes dispositions dans la rédaction issue d'une loi postérieure (CE 2° et 7° s-s-r., 23 juillet 2012, n° 356381, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0023IRB). Plus encore, se trouve validé le raisonnement qui consiste à apprécier le changement de circonstances au moyen d'une interprétation combinée des dispositions législatives. C'est en ce sens que s'est prononcé implicitement le Conseil constitutionnel dans l'affaire mettant à nouveau en cause les conditions de contestation par le procureur de la République de l'acquisition de la nationalité par mariage (Cons. const., décision n° n° 2012-264 QPC du 13 juillet 2012 N° Lexbase : A7322IQA, sur renvoi de Cass. QPC, 23 mai 2012, n° 11-26.535, F-D N° Lexbase : A0857IMP), et ce, alors même qu'en définitive, il est jugé que la modification de l'article 21-2 du Code civil (N° Lexbase : L8914DNH) n'a pas d'incidence sur la constitutionnalité de l'article 26-4 (N° Lexbase : L1177HPB).

B - Normes constitutionnelles invocables

a) Droits et libertés individuels

Dans sa décision relative au calcul de l'indemnité de réduction due par le donataire ou le légataire d'une exploitation agricole en Alsace-Moselle (Cons. const., décision n° 2012-274 QPC du 28 septembre 2012 N° Lexbase : A5380ITG), le Conseil constitutionnel s'est prononcé de façon inédite sur les rapports entre droit de propriété et droit des successions. Le Conseil constitutionnel a estimé que, "les héritiers ne deviennent propriétaires des biens du défunt qu'en vertu de la loi successorale [...] par suite, doit être rejeté comme inopérant le grief tiré de ce que la disposition contestée qui définit les modalités selon lesquelles sont appréciés les droits respectifs des donataires ou légataires et des héritiers réservataires dans la succession porterait atteinte au droit de propriété des héritiers". Il faut, ainsi, considérer que le droit de propriété ne peut être invoqué par un héritier pour contester les dispositions de la loi successorale relatives aux droits d'une autre personne appelée à la succession.

b) Droits de procédure

Dans la période considérée, le Conseil constitutionnel s'est plusieurs fois penché sur des QPC mettant en cause le contrôle des sanctions, notamment administratives, sans grand succès toutefois pour les requérants (voir la modeste décision n° 2012-273 QPC du 21 septembre 2012 N° Lexbase : A1898ITH, sur le contrôle des dépenses engagées par les organismes de formation professionnelle continue).

On relèvera que le Conseil constitutionnel a estimé que la possibilité donnée à l'administration de décider de la perte du droit à indemnité en cas d'infraction à certains règlements revêt un caractère répressif (Cons. const., décision n° 2012-266 QPC du 20 juillet 2012 N° Lexbase : A9426IQ8). Pour retenir cette qualification, le Conseil tient compte de la nature de l'indemnité telle qu'elle résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'Etat.

Enfin, on notera une application originale et pragmatique de la jurisprudence constitutionnelle relative aux lois de validation. Même dépourvue d'effet rétroactif, en ce sens qu'elle s'applique uniquement après l'entrée en vigueur de la loi sans remettre en cause les effets passés d'une décision de justice, une disposition a été regardée comme une validation législative car elle fait revivre, à titre provisoire, les règles prévues par une décision annulée par le Conseil d'Etat (Cons. const., décision n° 2012-263 QPC du 20 juillet 2012 N° Lexbase : A9425IQ7).

c) Portée de la Charte de l'environnement

A plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a accepté d'examiner une disposition législative au regard des exigences du principe de participation du public inscrit à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Le grief a connu un véritable succès : le Conseil juge qu'une disposition législative qui prévoit l'information du public sans prévoir sa participation constitue une méconnaissance par le législateur de sa compétence. Il en a été, ainsi, s'agissant de dispositions relatives aux projets de règles et prescriptions techniques applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à autorisation (Cons. const., décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012 N° Lexbase : A7321IQ9), pour les dérogations aux mesures de préservation du patrimoine biologique (Cons. const., décision n° 2012-269 QPC du 27 juillet 2012 N° Lexbase : A0585IR4), et pour la délimitation des zones de protection d'aires d'alimentation des captages d'eau potable (Cons. const., décision n° 2012-270 QPC du 27 juillet 2012 N° Lexbase : A0586IR7).

II - Procédure devant les juridictions ordinaires

A - Instruction de la question devant les juridictions ordinaires et suprêmes

1 - Modalités d'examen de la question

Devant les juridictions relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire est communiquée à ce dernier dès que le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis. Cette formalité est d'ordre public. Elle impose une communication au ministère public avant que le juge a quo ne statue sur la transmission de la QPC. A défaut, la Cour de cassation estime la QPC irrecevable (Cass. QPC, 27 septembre 2012, n° 12-40.057, F-D N° Lexbase : A6445ITU).

2 - Portée de la décision relative à la transmission et au renvoi de la question

Ce n'est que lorsque la question est transmise au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation que la juridiction saisie d'une QPC doit, le cas échéant, surseoir à statuer. La Cour de cassation souligne qu'aucune disposition n'exige que la décision qui statue sur une QPC fasse mention de l'accomplissement des formalités prévues par les articles 126-4 (N° Lexbase : L5770IGS) et 126-7 (N° Lexbase : L5782IGA) du Code de procédure civile (Cass. civ. 1, 12 septembre 2012, n° 11-21.296, F-D N° Lexbase : A7551ISH).

Plusieurs décisions apportent des précisions sur la procédure de contestation des décisions de refus de transmettre rendues par les juges du fond.

Le Conseil d'Etat a jugé que, lorsque la juridiction qui a refusé de transmettre une QPC statue en dernier ressort, le requérant ne peut contester cette décision qu'à l'occasion du pourvoi en cassation contre l'arrêt qui statue sur le fond du litige (CE 3° et 8° s-s-r., 23 mai 2012, n° 354683, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0948IM3). A défaut, le requérant ne peut poser la même question en soulevant les mêmes moyens devant le Conseil d'Etat. En revanche, il peut soulever par une nouvelle question d'autres moyens contre la même disposition (CE 9° et 10° s-s-r., 9 juillet 2012, n° 356751, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8433IQE).

La Cour de cassation a rappelé, elle aussi, le respect des formes et des délais applicables au pourvoi contre une décision de refus de transmettre une QPC. D'une part, le refus de transmettre une question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige (et non, comme en l'espèce, un arrêt d'une chambre d'instruction). D'autre part, lorsque la QPC est soulevée à l'occasion d'un pourvoi, par un mémoire personnel, celui-ci doit être déposé dans la forme et les délais prévus par les articles 584 (N° Lexbase : L4425AZW) et suivants du Code de procédure pénale (Cass. QPC, 11 septembre 2012, n° 12-84.172, F-P+B N° Lexbase : A9285ISP).

B - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation

L'appréciation du caractère sérieux de la question s'inscrit dans des tendances jurisprudentielles désormais bien connues.

On y retrouve, bien entendu, la prise en compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (pour exemple, Cass. QPC, 11 septembre 2012, n° 12-14.135, F-D N° Lexbase : A9279ISH). On peut, toutefois, se demander si, dans certains cas, l'utilisation de cette jurisprudence ne se trouve pas forcée. Ainsi, le Conseil d'Etat estime que la décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011 (N° Lexbase : A7384HY7), par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé qu'un article du Code de la Sécurité sociale fixant un taux de cotisation de 14 % ne créait pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, ne confère pas un caractère sérieux à la question portant sur une disposition portant ce taux de cotisation à 21 % (CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2012, n° 359922, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0782IRE).

On retrouve, également, la tentation du juge du renvoi à se prononcer sur le fond de la constitutionnalité des dispositions contestées, en particulier lorsqu'est en cause le principe d'égalité (Cass. QPC, 8 août 2012, n° 12-90.037, F-D N° Lexbase : A8205IRC, Cass. QPC, 14 septembre 2012, n° 12-40.052, FS-P+B N° Lexbase : A9282ISL, Cass. QPC, 20 septembre 2012, n° 12-40.055, F-D N° Lexbase : A2599ITG, CE 3° et 8° s-s-r., 21 septembre 2012, n° 360602, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2383ITG), mais aussi la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle (CE 6° s-s., 7 septembre 2012, n° 360032 N° Lexbase : A3690ISH, Cass. QPC, 14 septembre 2012, n° 11-28.269, FS-P+B N° Lexbase : A9278ISG), ou lorsqu'est effectué un contrôle des sanctions au regard du principe d'individualisation des peines (Cass. QPC, 18 septembre 2012, n° 12-14.401, F-D N° Lexbase : A2457IT8). Cette intrusion dans le champ de l'examen de constitutionnalité est parfois plus manifeste, lorsque, par exemple, la Cour de cassation s'appuie directement sur une exigence constitutionnelle pour considérer que d'autres exigences constitutionnelles ne sont pas en cause (Cass. QPC, 13 juillet 2012, n° 12-13.522, F-P+B N° Lexbase : A8778IQ8).

La censure du Conseil constitutionnel peut favoriser un appel d'air contentieux et inciter au dépôt en cascade de nouvelles QPC. De façon significative, dans la suite de la célèbre décision du Conseil constitutionnel sur le harcèlement sexuel, on relève la contestation de plusieurs incriminations en ce que les dispositions qui les instituent ne posent pas une définition suffisamment claire et précise. Outre le délit de harcèlement moral, il en a été ainsi, notamment, à l'encontre de la notion d'information à caractère secret mentionnée à l'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG) (Cass. QPC, 5 septembre 2012, n° 12-90.045, F-D N° Lexbase : A9277ISE), ou des termes de "violences" ou de "voies de fait" qui constituent l'un des éléments constitutifs de la définition du délit d'entrave à la liberté d'expression prévu à l'article 431-1, alinéa 2, du Code pénal (N° Lexbase : L7626IP7) (Cass. QPC, 22 août 2012, n° 12-90.043, F-D N° Lexbase : A2317ISM). Pour justifier de l'absence de sérieux de ces QPC, la Cour de cassation se plait à souligner que l'interprétation des dispositions en cause entre dans l'office du juge pénal.

III - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Organisation de la contradiction

1 - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. On peut ainsi relever que le Conseil constitutionnel a admis les interventions d'un syndicat professionnel et de quatre sociétés, s'agissant d'une question portant sur des dispositions législatives relatives à la rémunération pour copie privée (Cons. const., décision n° 2012-263 QPC du 20 juillet 2012 N° Lexbase : A9425IQ7). Les intervenants n'ont, toutefois, pas formulé d'observations orales.

De même, s'agissant de la QPC relative à la transmission du droit de suite sur les oeuvres d'art graphiques et plastiques, le Conseil a admis deux interventions en défense (Cons. const., décision n° 2012-276 QPC du 28 septembre 2012 N° Lexbase : A5382ITI). L'une provenait d'une société alors que le litige au fond mettait en cause deux de ses membres. On peut se demander si ce type d'intervention est pleinement compatible avec la neutralité statutaire que prétend afficher, pour l'occasion, ce type d'organisme. L'autre intervention, volontaire, représentait deux héritiers qui n'étaient pas partie au fond.

On notera qu'une intervention peut se limiter à la présentation d'observations orales devant le Conseil constitutionnel, sans que ne soit préalablement imposée la production d'observations écrites. La chose est rare, voire inédite, mais elle s'est produite dans l'affaire relative au contrôle des dépenses engagées par les organismes de formation professionnelle continue, alors que la production écrite de l'intervenant, admis sur le fondement de l'article 6, alinéa 3, du règlement de procédure, n'a pas été versée à la procédure en raison de sa tardiveté (Cons. const., décision n° 2012-273 QPC du 21 septembre 2012 N° Lexbase : A1898ITH).

2 - Impartialité du Conseil constitutionnel

Nicolas Sarkozy a fait l'objet d'une demande de récusation dans l'affaire concernant l'immunité pénale en matière de courses de taureaux (Cons. const., décision n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012 N° Lexbase : A1896ITE). Déposée le 11 juillet 2012 par deux associations requérantes, cette demande a été acceptée le 13 juillet, un simple courrier informant que l'intéressé ne participerait ni à l'audience publique ni, par voie de conséquence, à la décision. Aucune justification ou motivation officielle n'est apportée, ce qui est regrettable. La circonstance que la corrida ait été classée au patrimoine culturel immatériel français en 2011 n'y est sans doute pas étrangère.

B - Techniques de contrôle employées par le Conseil constitutionnel

a) Appréciation de l'atteinte à la Constitution

Lors de l'examen de la QPC relative aux projets de règles et prescriptions techniques applicables aux ICPE soumises à autorisation, mettant en cause le principe de participation du public protégé par la Charte de l'environnement (voir supra), le Conseil constitutionnel a livré d'utiles précisions sur la technique de contrôle dit "global" lorsqu'une disposition législative doit être examinée à l'aune d'un article chapeau. Ainsi, pour qu'une "autre disposition législative" assure le respect d'une exigence constitutionnelle pour l'application de la disposition contestée, il est nécessaire que cette autre disposition, d'une part, intervienne dans le champ d'application de la disposition contestée et, d'autre part, assure effectivement le respect de l'exigence constitutionnelle en cause. C'est ainsi que s'est trouvée écartée l'application d'une disposition générale antérieure à la disposition particulière applicable (Cons. const., décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012 N° Lexbase : A7321IQ9).

b) Réserves d'interprétation

Dans sa décision n° 2012-266 QPC relative à la privation de l'indemnité versée aux propriétaires lors de l'abattage d'animaux malades, le Conseil formule une double réserve, la première de nature directive, l'autre de nature restrictive ou neutralisante. D'une part, en cas de cumul de sanctions administrative et pénale, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne peut dépasser le montant le plus élevé d'une des sanctions encourues ; d'autre part, la décision de perte d'indemnité ne peut être prononcée à l'encontre d'un propriétaire que s'il est établi que l'infraction aux règles zoosanitaires qui justifie cette décision a contribué à la situation à l'origine de l'abattage des animaux (Cons. const., décision n° 2012-266 QPC du 20 juillet 2012 N° Lexbase : A9426IQ8). Cette double réserve consolide la jurisprudence jusqu'alors développée par le Conseil d'Etat dans l'application des dispositions contestées.

Dans sa décision n° 2012-264 QPC concernant les conditions de contestation par le procureur de la République de l'acquisition de la nationalité par mariage (Cons. const., décision n° 2012-264 QPC du 13 juillet 2012 N° Lexbase : A7322IQA), le Conseil formule une réserve d'interprétation qui s'inscrit directement dans le raisonnement qui l'avait conduit à retenir une réserve identique dans le précédent que constitue la décision n° 2012-227 QPC du 30 mars 2012 (N° Lexbase : A8574IGN). Cela illustre le "chaînage" des interprétations conformes (2).

C - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel

La faculté dont dispose le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), de reporter ad futurum les effets de sa décision d'abrogation confère à ce dernier un pouvoir discrétionnaire considérable dont il use en opportunité. Le report peut être justifié par l'inconstitutionnalité aggravée que provoquerait une abrogation à effet immédiat. C'est en ce sens que la Conseil a reporté une abrogation qui aurait eut pour effet de faire disparaître une exigence d'information du public en matière d'environnement, sans pour autant satisfaire à l'exigence de participation du public dont le respect justifie la déclaration d'inconstitutionnalité (Cons. const., décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012, précité).

Le Conseil a, également, mis en oeuvre ce pouvoir dans sa décision relative au recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat (Cons. const., décision n° 2012-268 QPC du 27 juillet 2012 N° Lexbase : A0584IR3). Un report record est prononcé (1er janvier 2014) à la suite de l'abrogation d'une disposition relative à la déclaration de la situation de pupille de la nation, le Conseil précisant que la décision n'est applicable qu'à la contestation des arrêtés d'admission en qualité de pupille de l'Etat pris après cette date. L'abrogation immédiate aurait eu pour effet de supprimer la faculté de contester la décision, et donc d'aggraver l'inconstitutionnalité constatée.

Lorsque l'incompétence négative tient à une absence de mise en oeuvre des exigences constitutionnelles, en l'occurrence celles du principe de participation inscrit à l'article 7 de la Charte de l'environnement (Cons. const., décisions n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012, n° 2012-269 QPC et n° 2012-270 QPC du 27 juillet 2012, précitées), le report semble s'imposer. Lorsque l'abrogation concerne des questions communes, le Conseil retient la même date de report, ce qui devrait favoriser le législateur à modifier, dans un seul texte, l'ensemble des dispositions concernées. Le temps du report peut, toutefois, varier en fonction de l'objet de la disposition concernée. Dans l'affaire n° 2012-269 QPC, le Conseil a retenu la date du 1er septembre 2013, et non celle du 1er janvier 2013 comme dans la décision n° 2012-262 QPC, pour tenir compte du fait que sont en cause des décisions individuelles pour lesquelles devra être mis en place un dispositif peut-être différent de celui prévu pour les décisions réglementaires.


(1) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, n° 284 et s.
(2) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, préc., n° 461.

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Temps de travail

[Jurisprudence] Des conditions pour bénéficier des contreparties aux temps d'habillage : la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence

Réf. : Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-15.696, FS-P+B (N° Lexbase : A4920IXI)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 06 Décembre 2012

Certaines règles ont plus de mal que d'autres à s'imposer, si on en croit la persistance d'îlots de résistances contentieuses. Tel semble bien être le cas des conditions dans lesquelles les salariés, astreints au port d'un vêtement de travail, peuvent bénéficier d'une contrepartie. Jusqu'à présent, la Cour de cassation semblait camper sur une posture très légaliste en vérifiant que les opérations d'habillage ou de déshabillage devaient se réaliser sur le lieu de travail en vertu d'une obligation formelle (I). Dans un arrêt en date du 21 novembre 2012, et pour la première fois nous semble-t-il, la Haute juridiction accepte de prendre en considération, de manière plus réaliste, d'autres raisons, ici d'hygiène, qui contraignent le salarié à se changer sur place (II).
Résumé

Le salarié astreint au port d'un vêtement de travail et tenu, en raison des conditions d'insalubrité dans lesquelles il exerçait son activité, pour des raisons d'hygiène, de le revêtir et de l'enlever sur le lieu de travail, a droit à une contrepartie.

I - L'abandon d'une conception formaliste du caractère obligatoire de l'obligation de se changer sur le lieu de travail

Cadre applicable. L'article L. 3121-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0293H9Q) subordonne le droit à compensation des salariés, contraints de revêtir un vêtement de travail, au fait d'être obligés de s'habiller et de se déshabiller sur leur lieu de travail.

Le caractère cumulatif des deux conditions (être obligé de porter un vêtement et être obligé de se vêtir et dévêtir sur le lieu de travail) résulte clairement du texte lui-même (1) ; pourtant, un contentieux important demeure, les salariés, et de nombreux juges du fond, considérant, en effet, que le droit à compensation devrait naître uniquement de l'obligation faite aux salariés de revêtir un vêtement de travail, sans qu'il soit nécessaire d'exiger de surcroît que l'habillage et le déshabillage doivent se réaliser impérativement dans l'entreprise, ou sur le lieu de travail, à l'instar des solutions admises par la jurisprudence en matière d'entretien des vêtements de travail dont le coût incombe à l'employeur par le seul fait que leur port soit rendu obligatoire (2).

Rôle des partenaires sociaux. Les partenaires sociaux, invités à négocier sur la détermination des contreparties qui doivent être accordées aux salariés, peuvent améliorer le régime légal de compensation soit en prévoyant l'habillage et le déshabillage sur le temps de travail effectif (3), ce qui assure ainsi le droit à rémunération intégrale, soit en reconnaissant le droit aux compensations dès lors que les salariés sont astreints au port d'un vêtement de travail, sans exiger que celui-ci doive être mis et enlevé sur le lieu de travail (4).

Conception formelle du caractère obligatoire des opérations d'habillage et de déshabillage sur le lieu de travail. Jusqu'à présent, la Cour de cassation avait toujours considéré que l'obligation faite aux salariés de s'habiller et de se déshabiller sur leur lieu de travail devait résulter d'une obligation légale, réglementaire, conventionnelle ou du règlement intérieur, sans qu'il soit possible de considérer que des circonstances de fait puissent conduire à considérer que les salariés étaient contraints, dans les circonstances de la cause, et ce alors qu'aucun texte ne l'avait prévu (5). Ainsi, dans une affaire concernant les conducteurs d'autobus au sein de la société I. qui assure pour le compte de la société A. le transport des passagers au sein de l'aéroport parisien, la cour d'appel de Paris avait considéré que si l'uniforme imposé aux conducteurs "soumis au port d'une tenue de travail comportant l'insigne et le logo de l'entreprise sur la chemise et la veste bleu marine [...] est compatible avec l'accomplissement d'un trajet en transports en commun ou en véhicule individuel [...] il n'en demeure pas moins que les salariés revêtant leur tenue de travail à leur domicile devront effectuer le trajet sous le regard du public qui reconnaîtra leur appartenance professionnelle et qu'ils sont en droit de préférer circuler anonymement, revêtus de la tenue de leur choix" ; or, cet arrêt, qui avait accordé aux salariés le bénéfice de la contrepartie, avait été sèchement cassé, la Haute juridiction se contentant de rappeler "que les salariés, astreints en vertu du contrat de travail au port d'une tenue de service, exerçaient le libre choix de la revêtir et de l'enlever, ou non, sur leur lieu de travail" (6).

Intérêt de la décision. C'est donc la première fois, à notre connaissance, que la Haute juridiction accepte de reconnaître que les conditions dans lesquelles les salariés sont amenés à s'habiller ou se déshabiller leur permettent de réclamer le bénéfice de la contrepartie, et ce alors que juridiquement ils ne sont pas obligés de se changer sur leur lieu de travail.

II - La promotion d'une conception réaliste de l'obligation de se changer sur le lieu de travail

Les faits. Un salarié de la société E. travaux publics avait saisi la juridiction prud'homale en paiement notamment d'une somme au titre de la contrepartie du temps d'habillage et de déshabillage. Il avait obtenu gain de cause, la juridiction prud'homale ayant relevé que "le salarié était astreint au port d'un vêtement de travail et que les conditions d'insalubrité dans lesquelles il exerçait son activité lui imposaient pour des raisons d'hygiène de le revêtir et de l'enlever sur le lieu de travail, le conseil de prud'hommes en a déduit à bon droit que l'employeur devait à ce titre une contrepartie".

Pour obtenir la cassation de ce jugement, l'entreprise faisait valoir que, "si l'employeur remet à chacun des salariés amené à intervenir sur un chantier un équipement de protection individuelle de sécurité, il ne les oblige pas, pour autant, à se vêtir et se dévêtir sur leur lieu de travail, libre à eux de s'habiller et de se déshabiller où bon leur semble".

Le pourvoi est rejeté, la Cour de cassation relevant que le conseil de prud'hommes avait considéré "à bon droit" que le salarié avait droit à la contrepartie.

L'intérêt de la solution. La solution est bien évidemment intéressante car dans cette affaire le salarié n'était pas contraint de se changer sur son lieu de travail, au sens juridique du terme, mais conduit à le faire compte tenu du caractère obligatoire du port d'un vêtement de sécurité, de l'état de saleté qui devait être le sien à la fin de son travail et du caractère peu confortable du vêtement en question qui excluait de fait qu'il puisse s'habiller chez lui ; bref, le salarié était contraint par les circonstances.

La solution nous semble doublement bienvenue.

Une solution raisonnable. La solution semble d'abord frappée au coin du bon sens ; imagine-t-on un technicien de sûreté nucléaire, ou un plongeur en scaphandrier, venir au travail avec sa combinaison, et un employeur échapper ainsi au paiement d'une contrepartie, et ce alors que les temps d'habillage et de déshabillage peuvent s'avérer très longs, parce qu'il n'aurait pas expressément imposé au salarié de se changer sur son lieu de travail ?

Une solution compatible avec le texte. L'extension du droit à contrepartie en raison des circonstances, est de surcroît parfaitement compatible avec la lettre de l'article L. 3121-3 du Code du travail qui se contente d'indiquer que "l'habillage et la déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail", sans autre forme de précisions, et ce alors que, s'agissant du caractère obligatoire du port du vêtement de travail, le même texte précise la source textuelle de cette obligation. Il est donc tout à fait possible de considérer que l'obligation de se changer pourrait résulter également de circonstances de fait.

Portée sur les autres cas. Reste à déterminer quelle pourrait être la portée pratique de cette décision, et dans quelles autres hypothèses il serait possible d'imaginer le bénéfice des contreparties en l'absence d'obligation formelle de revêtir le vêtement de travail sur le lieu de travail. Outre d'autres "raisons d'hygiène", il semble que des raisons de sécurité pourraient prévaloir pour des vêtements onéreux ou fragiles, voire dans des hypothèses où le salarié pourrait raisonnablement craindre pour sa sécurité (uniforme de police pour un agent en tenue habitant dans un quartier difficile ; tenue inadaptée aux conditions climatiques ou météorologiques). En dehors de ces cas, on pourrait imaginer également que des vêtements très spécifiques pourraient être concernés, comme des déguisements (on n'imagine pas un salarié déguisé en Mickey, en éléphant ou en poule venir habillé depuis chez lui) ou d'une manière générale toutes les fois que le vêtement n'est pas courant, que l'employeur ne met pas à disposition du salarié un local décent pour se changer et qu'il l'expose ainsi le salarié au risque d'être ridicule, ou de subir de réactions défavorables de la part du public.


(1) Solution rappelée par Ass. plén., 18 novembre 2011, n° 10-16.491, P+B+R+I (N° Lexbase : A9318HZ7), v. les obs. de S. Tournaux, Confirmation solennelle des règles relatives à la contrepartie du temps d'habillage du salarié, Lexbase Hebdo n° 465 du 8 décembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N9096BSP).
(2) Cass. soc., 21 mai 2008, n° 06-44.044, FS-P+B (N° Lexbase : A7029D8T), v. nos obs., L'employeur doit assumer les coûts d'entretien des vêtements de travail dont le port est obligatoire, Lexbase Hebdo n° 307 du 5 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N2135BG8) ; Cass. soc., 21 mars 2012, n° 10-27.425, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4239IG4), v. nos obs., Primes de pause et assiette du Smic : errare humanum est, perseverare..., Lexbase Hebdo n° 480 du 5 avril 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1212BT3).
(3) Cass. soc., 28 octobre 2009, n° 08-41.953, FS-P+B (N° Lexbase : A6145EMK), Bull. civ. V, n° 238.
(4) Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-42.716, FS-P+B (N° Lexbase : A3054EQ8), Bull. civ. V, n° 9.
(5) Cass. soc., 26 mars 2008, n° 05-41.476, FS P+B+R+I (N° Lexbase : A5897D7K) et nos obs., Temps de trajet et d'habillage : la Cour de cassation veille au grain, Lexbase Hebdo n° 300 du 9 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6475BEK), BICC, 2008, n° 1198, JCP éd. G, 2008, II, 10100, note D. Corrignan-Carsin, RDT, 2008, p. 395, obs. M. Véricel, JSL, 2008, n° 234, note G. Vachet ; Ass. plén., 18 novembre 2011, n° 10-16.491, préc. ; Cass. soc., 5 avril 2012, n° 10-30.035, F-D (N° Lexbase : A1068IIE) ; Cass. soc., 16 mai 2012, n° 10-26.317, F-D (N° Lexbase : A7066ILB) ; Cass. soc., 30 mai 2012, n° 11-16.765, F-D (N° Lexbase : A5370IMT).
(6) Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-44.343, FS-D (N° Lexbase : A0446ESC).

Décision

Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-15.696, FS-P+B (N° Lexbase : A4920IXI)

Rejet, CPH Montbrison, sect. industrie, 14 février 2011

Texte concerné : C. trav., art. L. 3121-3 (N° Lexbase : L0293H9Q)

Mots-clés : habillage, compensation, conditions

Liens base : (N° Lexbase : E0284ETP)

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