La lettre juridique n°864 du 6 mai 2021

La lettre juridique - Édition n°864

Droit des biens

[Jurisprudence] La confirmation du retour à une appréciation stricte de la bonne foi en matière de construction sur le terrain d’autrui

Réf. : Cass. civ. 1, 15 avril 2021, n° 20-13.649, FS-P (N° Lexbase : A80884PA)

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N7423BYL

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par Séverin Jean, Maître de conférences, UT1 Capitole, IEJUC EA 1919

Le 06 Mai 2021


 


Mots-clés : propriété • construction sur le terrain d’autrui • autorisation • bonne foi • démolition

La seule autorisation de construire sur le terrain d’autrui ne caractérise pas la bonne foi du tiers constructeur au sens de l’article 555 du Code civil.


 

La question de la propriété de la construction sur le terrain d’autrui n’est que peu débattue dans la mesure où l’article 552 du Code civil (N° Lexbase : L3131ABL) consacre la règle selon laquelle la propriété du sol s’étend à ce qui s’y incorpore (superficies solo cedit dit-on) ; sauf à pouvoir, pour le tiers-constructeur, invoquer utilement la prescription acquisitive du terrain et partant, de la construction. En revanche, le contentieux est plus nourri lorsqu’il s’agit de se demander si le tiers-constructeur est en droit d’obtenir une indemnité pour la construction réalisée sur le terrain d’autrui conformément à l’article 555 du Code civil (N° Lexbase : L3134ABP). Pour ce faire, encore faut-il démontrer sa bonne foi comme en témoigne l’arrêt du 15 avril 2021 commenté.

En l’espèce, un père, avec l’autorisation de sa fille, construisit une maison sur le terrain de cette dernière. Après avoir quitté les lieux, le père, sur le fondement de l’article 555 du Code civil, assigna alors sa fille afin d’obtenir une indemnité pour la construction réalisée et financée par ses soins. La cour d’appel de Poitiers, par un arrêt du 22 octobre 2019 [1], rejeta sa demande et ordonna la démolition de la maison aux frais du père, au motif principal que l’autorisation de construire, donnée par sa fille, n’était pas suffisante à conférer au père la qualité de tiers-constructeur de bonne foi ouvrant droit à l’indemnité sollicitée. Le père forma alors un pourvoi en cassation au moyen, d’une part, que l’autorisation litigieuse présumait la bonne foi peu important l’existence d’un titre translatif de propriété dont le père ignorait le vice, et d’autre part, que cette même autorisation constituait une renonciation tacite de sa fille à se prévaloir de son droit à la démolition de l’ouvrage édifié. La Cour de cassation devait finalement se demander si l’autorisation de construire, donnée par la propriétaire d’un terrain (la fille), était suffisante pour caractériser la bonne foi du tiers-constructeur (le père) en l’absence de titre translatif de propriété dont ce dernier ignorait le vice. Les magistrats du Quai de l’Horloge confirmèrent la décision des juges du fond en procédant en deux temps. Si le père – tiers-constructeur – dispose bien d’une autorisation de construire sur le terrain de sa fille, cette dernière ne constitue pas un titre translatif de propriété. Or, la bonne foi de l’article 555 du Code civil – celle qui autorise le tiers-constructeur à revendiquer une indemnité – ne s’entend que par référence à l’article 550 du même code (N° Lexbase : L3124ABC) : « est de bonne foi (…) [celui qui] possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices ». Par conséquent, la Cour de cassation ne pouvait, à bon droit, que conclure à l’absence de qualité de tiers-constructeur de bonne foi du père de sorte que non seulement la demande d’indemnisation du père devait être rejetée, mais la démolition de la maison pouvait également être ordonnée.

La solution de la Cour de cassation s’inscrit, en première intention, dans sa jurisprudence constante en matière de contentieux relatif à la construction sur le terrain d’autrui et, plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de caractériser la bonne foi du tiers-constructeur de l’article 555 du Code civil. En effet, la jurisprudence a pris l’habitude d’énoncer que la bonne foi de l’article 555 du Code civil s’entend par référence à l’article 550 du même code, lequel exige de se comporter comme un propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété [2]. En d’autres termes, le tiers-constructeur se comporte comme un propriétaire parce qu’il jouit d’un titre translatif de propriété dont il ignore le vice, et c’est précisément parce qu’il est dans l’ignorance du défaut de son titre qu’il se comporte comme un propriétaire et qu’il s’en prévaut pour faire valoir sa bonne foi. L’arrêt commenté est ici en parfaite adéquation avec ce principe, dans la mesure où le fait de se comporter comme un propriétaire – et donc être considéré comme de bonne foi – trouve sa source dans l’existence d’un titre translatif de propriété. Or, de toute évidence, le père – tiers-constructeur – n’en dispose pas comme a pu le constater la cour d’appel. Toutefois, on a pu douter ces derniers temps [3] d’une définition unique de la bonne foi en matière de construction sur le terrain d’autrui puisque quelques jurisprudences, relativement récentes, ont étendu la bonne foi à l’hypothèse où le tiers-constructeur avait été autorisé à construire par le propriétaire du fonds. Ainsi, il a été jugé en 2013 que le consentement donné par des propriétaires à l’édification de constructions sur des terrains donnés à bail conduit à retenir la bonne foi des tiers-constructeurs [4]. Plus récemment, la même chambre de la Cour de cassation a eu l’occasion d’énoncer « que celui qui construit sur le terrain d’autrui avec l’autorisation du propriétaire est présumé de bonne foi » [5]. En l’espèce, le moyen développé par le tiers-constructeur s’inscrit pleinement dans ce mouvement jurisprudentiel qui, pour une partie de la doctrine, semblait augurer un revirement de la jurisprudence ou, à tout le moins, une extension de la bonne foi en matière de construction sur le terrain d’autrui. Pourtant, cet apparent relâchement de l’appréciation de la bonne foi doit être largement relativisé dans la mesure où les décisions les plus récentes, dont celle commentée, reviennent à une appréciation stricte de la bonne foi. En effet, la Cour de cassation, par un arrêt du 26 mars 2020, l’exprime sans le moindre doute : « le terme de bonne foi employé par l'article 555 du Code civil s'entend par référence à l'article 550 du même code et ne vise que celui qui possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore le vice » (nous soulignons) [6]. Dès lors, l’arrêt du 15 avril 2021 n’est qu’une confirmation de la stricte appréciation de la bonne foi en matière de construction sur le terrain d’autrui. Par conséquent, bien que la jurisprudence se soit assouplie à plusieurs reprises, le retour systématique, pour retenir la bonne foi du tiers-constructeur, à l’exigence d’un titre translatif de propriété doit conduire à la prudence lorsqu’il s’agit de solliciter l’indemnité de l’article 555 du Code civil en s’appuyant sur la seule autorisation de construire donnée par le propriétaire du fonds.

Le régime juridique de la construction sur le terrain d’autrui peut paraître excessif en ce qu’il organise un régime du « tout ou rien », soit parce que la bonne foi du tiers-constructeur oblige le propriétaire du fonds à conserver la construction et à indemniser le tiers-constructeur, soit parce qu’a contrario, la mauvaise foi de ce dernier peut conduire à la démolition de l’ouvrage à ses frais. En revanche, on ne peut que saluer la Cour de cassation qui offre, par cet arrêt, une définition uniformisée de la bonne foi focalisée sur l’exigence d’un titre translatif, qu’il soit réel ou putatif [7], permettant de fonder la croyance erronée du tiers-constructeur. En effet, il est certain que l’autorisation donnée par le propriétaire du fonds ne transfère aucunement la propriété dudit fonds. Sans doute, peut-on regretter, voire arguer à l’avenir comme en matière d’empiètement [8], que la sanction retenue – la démolition aux frais du tiers-constructeur – est disproportionnée lorsque le tiers-constructeur a obtenu l’accord du propriétaire du fonds pour construire sur le terrain de ce dernier. Cela étant, il ne faudrait pas oublier que l’ouvrage demeure édifié sur la propriété d’autrui de telle façon que le propriétaire du fonds, au nom de l’exclusivisme de la propriété, doit retrouver son bien dans son état initial. Dès lors, la sévérité de la position de la Cour de cassation tient davantage au refus de prendre compte l’autorisation de construire donnée par le propriétaire du fonds au tiers-constructeur lorsqu’il s’agit d’envisager une indemnisation, plutôt qu’à l’admission automatique de la démolition de l’ouvrage réalisé sur le terrain d’autrui. Pour autant, des solutions sont envisageables selon la finalité poursuivie. La première, lorsqu’il est question d’assurer une indemnité au tiers-constructeur, tient au fait que l’article 555 du Code civil n’est pas d’ordre public de sorte qu’il est parfaitement possible d’y déroger en recourant, selon la formule consacrée et constante de la Cour de cassation, à une convention réglant le sort des constructions [9]. Cela étant, l’autorisation de construire donnée par le propriétaire du fonds ne peut être assimilée à une telle convention dans la mesure où la seule autorisation ne règle aucunement le sort des constructions. Aussi, pour échapper à l’article 555 du Code civil, il conviendra, par convention, de veiller à bien prévoir le sort (et l’éventuelle indemnité) des constructions dès lors qu’un tiers (celui qui n’est pas propriétaire du fonds) envisage de construire sur le terrain d’autrui. La seconde, lorsqu’il est question d’assurer au tiers-constructeur la jouissance de la construction et qui peut parfaitement se combiner avec la première, tend à envisager un démembrement de propriété. En effet, on aurait pu imaginer que la fille confère à son père l’usufruit sur l’ouvrage édifié tout en conservant la nue-propriété [10]. Ce montage aurait permis au père de jouir de la maison qu’il avait construit à ses frais sur le terrain de sa fille tout en assurant à cette dernière qu’elle en retrouve un jour la pleine propriété. En somme, si l’appréciation de la bonne foi en matière de construction sur le terrain est stricte, il n’en demeure pas moins que des solutions peuvent être mobilisées pour prévenir ce type de contentieux.

 

[1] CA Poitiers, 22 octobre 2019, n° 17/03454 (N° Lexbase : A3209ZSN).

[2] Cass. civ. 3, 17 novembre 1971, n° 70-13.346 (N° Lexbase : A9115CH3) ; Cass. civ. 3, 29 mars 2000, n° 98-15.734, publié au bulletin (N° Lexbase : A5494AWE) ; Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 98-18.857 (N° Lexbase : A9120AGU) ; Cass. civ. 3, 15 juin 2010, n° 09-67.178, F-D (N° Lexbase : A1115E3P).

[3] Cela étant, ce fût déjà le cas avant. En ce sens : Cass. civ. 3, 3 mai 1983, n° 81-14.989, publié au bulletin (N° Lexbase : A8717CEL) (l’autorisation de solliciter un permis de construire donnée par le propriétaire d’un terrain à une personne souhaitant l’acquérir devait conduire à retenir la bonne foi de cette dernière) ; Cass. civ. 3, 3 octobre 1990, n° 88-18.415, publié au bulletin (N° Lexbase : A3921AHP) (un locataire/tiers-constructeur avait été qualifié de bonne foi en raison de l’autorisation donnée par le bailleur de construire sur son terrain).

[4] Cass. civ. 3, 17 décembre 2013, n° 12-15.916, FS-P+B (N° Lexbase : A7627KSB). Cela étant, il convient de nuancer cette décision dans la mesure où une transaction avait été conclue entre les bailleurs et les preneurs. En ce sens, voir notre commentaire : De la construction sur le terrain d’autrui : l’étonnante bonne foi ?, Lexbase Droit privé, janvier 2014, n° 556 (N° Lexbase : N0439BUS).

[5] Cass. civ. 3, 3 novembre 2016, n° 15-22.692, F-D (N° Lexbase : A9063SEE).

[6] Cass. civ. 3, 26 mars 2020, n° 18-20.202, F-D (N° Lexbase : A60203K8).

[7] Cass. civ. 1, 5 décembre 1960, n° 59-10.820 (N° Lexbase : A86914QX), Bull. civ. I, n° 527 ; Cass. civ. 1, 10 avril 1967, n° 65-12.221, Bull. civ. I, n° 118 ; CA Fort-de-France, 2 juin 1995, n° JurisData : 1995-042007 ; CA Saint-Denis (Réunion), 7 novembre 2008, n° JurisData : 2008-372315.

[8] Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113, FP-P+B (N° Lexbase : A9133SGD) : « Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si un rabotage du mur n'était pas de nature à mettre fin à l'empiétement constaté, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

[9] Cass. civ. 3, 6 novembre 1970, D. 1971, 395.

[10] En ce sens v. Cass. civ. 3, 19 septembre 2012, n° 11-15.460, FS-P+B (N° Lexbase : A2420ITS).  V. notre commentaire, L’accession différée à la fin de l’usufruit, Lexbase Droit privé, novembre 2012, n° 504 (N° Lexbase : N4322BTA).

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Fiscalité des particuliers

[Focus] Déclaration d’impôt sur le revenu 2021 et télétravail : le casse-tête de la déduction des frais professionnels du salarié

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N7383BY4

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par Virginie Pradel, Fiscaliste

Le 05 Mai 2021


Mots-clés : impôt sur le revenu • télétravail • déduction frais professionnels

L’épidémie de Covid-19 a conduit à un accroissement massif et non anticipé du télétravail.

Cet article a vocation à présenter :

  • les choix fiscaux offerts en 2021 au salarié ayant télétravaillé en 2020 afin de déduire ses frais professionnels ;
  • les règles de déductibilité des frais réels.

 

I - Les choix fiscaux offerts au salarié ayant télétravaillé en 2020 afin de déduire ses frais professionnels

Les salariés ont engagé des frais professionnels en 2020, notamment au titre du télétravail à leur domicile. Certains employeurs ont versé à leurs salariés des allocations destinées à couvrir les frais professionnels spécifiques au télétravail. Ces allocations versées en 2020 sont réputées concerner des frais non courants, inhérents à la fonction ou à l’emploi.  

A - Cas dans lequel un salarié a perçu en 2020 une allocation pour frais de télétravail à domicile 

Exemples d’allocations forfaitaires ayant pu être versées par les employeurs :

  • le remboursement sur justificatif des équipements de bureau (écran, caisson de rangement, chaise, bureau)
  • le remboursement d’une partie de l’abonnement internet ;
  • la prime forfaitaire annuelle pour couvrir les frais liés au télétravail ;
  • l’indemnité forfaitaire mensuelle destinée à compenser les frais de connexion internet, d’assurance, d’énergie et d’occupation du domicile à fins professionnelles ;
  • le remboursement du diagnostic électrique du logement.

Hypothèse 1 : le salarié n’opte pas pour la déduction des frais réels en 2021

  • le salarié bénéficie de l’abattement de 10 % au titre des frais professionnels, qui est automatiquement calculé par l’administration sur les montants que le salarié déclare en traitements et salaires ; 
  • le salarié n’a pas besoin de déclarer l’allocation versée qui est exonérée, sous réserve qu’elle soit utilisée conformément à son objet.

L’allocation forfaitaire est réputée utilisée conformément à son objet au minimum à hauteur de 10 euros par mois pour un salarié effectuant 1 jour de télétravail à domicile par semaine.

Ce montant est augmenté de 10 euros par jour de télétravail à domicile hebdomadaire supplémentaire.

Lorsqu’au cours d’un même mois le nombre de jours de télétravail varie, l’allocation forfaitaire est réputée exonérée dans la limite de 2,50 euros par jour de télétravail pour le mois considéré.

L’allocation forfaitaire est présumée exonérée dans la limite mensuelle de 50 euros et dans la limite annuelle de 550 euros.  

Ces règles instituent seulement une présomption d’emploi des sommes correspondantes conformément à leur objet. Elles définissent un montant minimum présumé exonéré. Elles ne plafonnent pas le montant des allocations forfaitaires susceptibles d’être exonérées. Si l’allocation forfaitaire versée au salarié est supérieure à 550 euros en 2020, elle peut donc possiblement être exonérée.

Hypothèse 2 : le salarié opte pour la déduction des frais réels en 2021 

  • le salarié ne bénéficie de l’abattement de 10 % au titre des frais professionnels ;
  • le salarié n’a pas besoin de déclarer l’allocation versée qui est exonérée, sous réserve qu’elle soit utilisée conformément à son objet ;
  • le salarié ne peut pas déduire ses frais professionnels liés au télétravail à domicile ;
  • le salarié peut néanmoins déduire au titre des frais réels, ses autres frais professionnels, non liés au télétravail, à condition de pouvoir les justifier ;
  • le salarié peut toutefois, si le montant des frais qu’il a engagé au titre du télétravail est supérieur à l’allocation versée par son employeur, déduire ces frais au réel. Dans ce cas, l’allocation forfaitaire versée et, en principe, non imposable devient imposable. Elle doit donc être réintégrée dans les traitements et salaires du salarié.

B - Cas dans lequel un salarié n’a pas perçu en 2020 une allocation pour frais de télétravail à domicile

Hypothèse 1 : le salarié n’opte pas pour la déduction des frais réels en 2021 

  • le salarié bénéficie de l’abattement de 10 % au titre des frais professionnels, qui est automatiquement calculé par l’administration sur les montants que le salarié déclare en traitements et salaires ;
  • le salarié ne peut pas déduire les frais liés au télétravail.

Hypothèse 2 : le salarié opte pour la déduction des frais réels en 2021

  • le salarié peut déduire pour 2020, par mesure de tempérament, des frais professionnels liés au télétravail à hauteur de 2,5 euros par jour de télétravail, soit 12,5 euros par semaine ; 50 euros par mois ou 550 euros par an. Le salarié peut également déduire les frais de télétravail qu’il a engagés en 2020 pour leur montant exact si cela est plus favorable et s’il est en mesure de pouvoir justifier de ces frais auprès de l’administration fiscale ;
  • dans la mesure où l’option pour la déduction des frais au réel vaut pour l’ensemble des frais professionnels, le salarié peut aussi déduire de son impôt sur le revenu la totalité de ses frais professionnels (liés au télétravail ou non) à condition de pouvoir les justifier.

II - Les règles de déductibilité des frais professionnels du salarié

A - les principes de déduction des frais professionnels

Les conditions générales de déduction des frais professionnels sont exposées au 1 de l’article 13 (N° Lexbase : L9162LNN) du CGI et au 3° de l’article 83 du CGI (N° Lexbase : L7511LXH[1].

Aucune disposition du CGI ne prévoit une limitation du montant de la dépense au coût le plus économique du service utilisé par le salarié (utilisation des transports en commun au lieu de la voiture personnelle de l’intéressé, usage de la tarification la moins onéreuse, etc.).

Ainsi, un salarié peut déduire le montant des dépenses afférentes à l’usage d’une voiture automobile sans que la marque ou la puissance de cette voiture puisse être contestée par l’administration fiscale.

B - La justification des frais professionnels déduits

Le salarié doit justifier, tant dans leur principe que dans leur montant, les frais réels dont il demande la déduction [2].

La nature des justifications à produire n’est pas précisée par le législateur, la jurisprudence et l’administration fiscale. Le salarié peut donc recourir à tous les moyens de preuve dont il dispose. Le salarié n’est pas astreint à tenir au jour le jour une comptabilité complète de ses dépenses professionnelles ni à la produire.

Les justifications doivent être d’autant plus précises que le montant des dépenses dont la déduction est demandée présente un caractère exceptionnel. Il en est ainsi lorsque ce montant paraît disproportionné eu égard à la nature et à l’important de l’activité exercée, aux obligations professionnelles qu’elle comporte ou au niveau de rémunération perçue.

C - Les frais professionnels pouvant être déduits

Les frais réels déductibles au titre du télétravail sont :

  • les frais de communication (autres que les frais de téléphone portable) : frais d’abonnement, de souscription à une offre internet, de fonctionnement de téléphonie fixe [3] ;
  • les frais de téléphone portable (frais d’abonnement, de communication et d’acquisition de téléphone portable) ; [4]
  • les frais de déplacement entre le domicile et le lieu de travail (avec justification de la nécessité des déplacements entre le domicile et le lieu de travail) [5] ;
  • les frais de fournitures et d’imprimés (cartouches d’encre, ramettes de papier) [6] ;
  • les frais d’acquisition de mobilier (bureau, chaise) et matériel informatique (imprimante) pour les besoins de l’activité professionnelle [7] ;
  • les frais liés à l’utilisation d’un local privé (frais d’électricité, d’eau, de chauffage, d’assurance habitation, de diagnostic de conformité électrique, impôts locaux, etc.).

Les frais doivent être calculés :

  • au prorata de la surface utilisée à titre professionnel par rapport à la surface totale du logement (pour un studio : 50 % de sa surface)
  • au prorata du temps de travail, télétravaillé [8].

Précisions :

  • si le local est à usage exclusivement professionnel (aucune utilisation privative) : le salarié peut déduire à proportion du nombre de jours télétravaillés rapporté au nombre de jours travaillés de l’année ;
  • si le local est à usage mixte (utilisation privative à 50 %) : le salarié peut déduire à proportion du nombre d’heures télétravaillées rapporté au nombre d’heures total de l’année (1 journée entière de télétravail = 12 heures)

Les frais non déductibles au titre du télétravail sont :

  • les frais de repas ;
  • les frais de garde d’enfants.

Les autres frais déductibles, non liés spécifiquement au télétravail, sont :

  • les frais de déplacement de transport du domicile au lieu de travail [9] ;
  • les frais de déplacement pendant les horaires de travail et frais de mission [10],
  • les frais de déménagement [11] ;
  • les frais de double résidence [12] ;
  • les frais de véhicules [13]
  • les frais de repas [14] ;
  • les locaux professionnels [15] ;
  • les frais de formation et de documentation [16] ;
  • les frais vestimentaires [17] ;
  • les cotisations professionnelles [18] ;
  • les frais de garde des enfants [19] ;
  • les frais de réception et de représentation [20] ;
  • les frais médicaux [21] ;
  • les impôts et taxes se rapportant directement à l’activité professionnelle [22].

D - Les modalités déclaratives pour le salarié

Pour opter pour la déduction des frais réels, le salarié doit inscrire le montant de ces frais dans les cases 1AK à 1 DK de sa déclaration de revenus n° 2042.

Pour rappel, la déclaration papier doit être déposée avant le 20 mai 2021 à minuit.

La déclaration en ligne doit, quant à elle, être envoyée :

  • au plus tard le 26 mai 2021 à minuit pour les salariés résidant dans les départements n° 01 à 19 ou hors de France ;
  • au plus tard le 1er juin 2021 à minuit pour les salariés résidant dans les départements n° 20 à 54 (y compris les deux départements de la Corse) ;
  • au plus tard le 8 juin 2021 pour les salariés résidant dans les départements n° 55 à 974/976.
 

[1] BOI-RSA-BASE-30-50-10 (N° Lexbase : X5734ALX).

[2] CGI, art. 83 ; CE Contentieux, 21 juin 1996, n° 157651 (N° Lexbase : A9759ANR).

[3] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §50 (N° Lexbase : X9394ALI).

[4] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §60.

[5] BOI-RSA-BASE-30-50-30-20 §170 (N° Lexbase : X7907ALG).

[6] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §50.

[7] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §70.

[8] BOI-RSA-BASE-30-50-30-30 §10 à 110 (N° Lexbase : X6410ALY)

[9] BOI-RSA-BASE-30-50-30-20 §1 et s..

[10] BOI-RSA-BASE-30-50-30-20 §240 et s..

[11] BOI-RSA-BASE-30-50-30-20 §270.

[12] BOI-RSA-BASE-30-50-30-20 §280 et s..

[13] BOI-RSA-BASE-30-50-30-20 §370 et s..

[14] BOI-RSA-BASE-30-50-30-20 §550 et s..

[15] BOI-RSA-BASE-30-50-30-30 §1 et s..

[16] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §1 et s..

[17] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §90.

[18] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §100.

[19] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §120.

[20] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §130.

[21] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §210.

[22] BOI-RSA-BASE-30-50-30-40 §200.

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Fiscalité des particuliers

[Brèves] Dispositif « Robien » : la rupture conventionnelle ne constitue pas une exception à la remise en cause de l’avantage fiscal

Réf. : CAA Versailles, 15 avril 2021, n° 19VE02526 (N° Lexbase : A04174QI)

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par Marie-Claire Sgarra

Le 14 Mai 2021

Pour la cour administrative d’appel de Versailles, une rupture conventionnelle n’est pas assimilable à un licenciement et ne permet donc pas d’échapper à la remise en cause de l’avantage fiscal « Robien ».

Les faits

  • Les requérants ont fait l'acquisition d'un logement qu'ils ont loué et pour lequel ils ont opté pour le régime de l'amortissement « Robien ».
  • À la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause les amortissements pratiqués dans le cadre de ce dispositif, pour les années 2005 à 2014, en raison de la vente de ce logement intervenue le 25 février 2014.
  • Les requérants font appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2014.

📌 Le dispositif « Robien ». Le h du 1° du I de l'article 31 du Code général des impôts (N° Lexbase : L6165LUU) accorde une déduction au titre de l'amortissement, sous certaines conditions, aux propriétaires bailleurs de logements neufs ou assimilés dont les revenus tirés de la location sont imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus fonciers.

📌 La remise en cause de l’avantage fiscal. Les déductions pratiquées au titre de l’amortissement font l’objet d’une reprise lorsque le bénéficiaire ne respecte pas son engagement. Il en est notamment ainsi lorsque :

  • le propriétaire du logement, personne physique ou société non passible de l’impôt sur les sociétés autre qu’une SCPI, ne respecte pas l’engagement de louer le logement nu pendant neuf ans à usage d’habitation principale,
  • le loyer excède le plafond autorisé, à un moment quelconque au cours de la période couverte par l’engagement prorogé ou non,
  • le propriétaire du logement le loue à une personne appartenant à son foyer fiscal,
  • le propriétaire du logement, personne physique ou société non passible de l’impôt sur les sociétés, autre qu’une SCPI, cède le logement pendant la période couverte par l’engagement de location,
  • le logement qui fait l’objet de la déduction au titre de l’amortissement est inscrit à l’actif d’une entreprise individuelle au cours de la période de neuf ans,
  • le porteur de parts de la société propriétaire du logement ne respecte pas son engagement de conserver les parts.

📌 Les exceptions à cette remise en cause. Aucune remise en cause de l’avantage fiscal n’est effectuée lorsque le non-respect de l’engagement de location ou de conservation des parts intervient à la suite de l’un des trois événements suivants :

  • le contribuable ou l’un des époux soumis à imposition commune est atteint d’une invalidité correspondant au classement dans la deuxième ou la troisième des catégories prévues à l’article L. 341-4 du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L5080ADI) (invalides absolument incapables d’exercer une profession quelconque et invalides qui sont, en outre, dans l’obligation d’avoir recours à l’assistance d’une tierce personne pour effectuer les actes de la vie ordinaire),
  • le contribuable ou l’un des époux soumis à imposition commune décède,
  • le contribuable ou l’un des époux soumis à imposition commune est licencié.

 

C’est sur cette troisième exception que portait le litige.

Les requérants soutiennent que la rupture conventionnelle du contrat de travail de l’épouse qui traduit une perte d'emploi qu'elle a subie, étant assimilable à un licenciement, lui permet d'échapper à la remise en cause de l'avantage fiscal qui lui a été accordé en raison du non-respect du délai de location de l'immeuble y ayant ouvert droit.

Solution de la cour administrative d’appel :

  • les personnes licenciées s’entendent de celles dont le contrat de travail est rompu à l’initiative de leur employeur,
  • le dispositif de rupture conventionnelle d'un contrat de travail n'est pas assimilable à un licenciement,
  • les salariés rompant volontairement leur relation de travail ne peuvent bénéficier de la dispense de majoration prévue au profit des contribuables licenciés, invalides ou décédés.

 

 

newsid:477365

Formation professionnelle

[Brèves] Modification des modalités de rémunération des stagiaires

Réf. : Décret n° 2021-521, du 29 avril 2021, relatif à la simplification des modalités de rémunération des stagiaires de la formation professionnelle et des stagiaires effectuant divers stages mentionnés à l'article 270 de la loi n° 2020-1721, du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 (N° Lexbase : L3334L4A) et décret n° 2021-522, du 29 avril 2021, fixant les taux et les montants des rémunérations versées aux stagiaires de la formation professionnelle (N° Lexbase : L3325L4W)

Lecture: 3 min

N7371BYN

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par Charlotte Moronval

Le 05 Mai 2021

► Publiés au Journal officiel du 30 avril 2021, deux décrets du 29 avril 2021 apportent des modifications aux modalités de rémunération des stagiaires de la formation professionnelle.

Le décret n° 2021-521 adapte les dispositions règlementaires relatives à la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle ainsi qu'à la prise en charge des frais de transport afin d'en simplifier les modalités. Il prévoit que l'Agence de services et paiement assure le versement de la rémunération pour les bénéficiaires de stages d'accompagnement, d'insertion professionnelle, d'orientation ou d'appui à la définition d'un projet professionnel, de stages d'initiation, de formation ou de complément de formation professionnelle dans le cadre d'un programme national organisé et financé par l'État destiné à répondre à un besoin additionnel de qualification au profit de jeunes âgés de 16 à 29 ans révolus sortis du système scolaire sans qualification ou à la recherche d'emploi disposant d'un niveau de qualification inférieur ou égal au baccalauréat.

Le décret n° 2021-522 simplifie et met en cohérence les modalités de calcul de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle. Il procède également à la revalorisation de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle. Il précise les modalités de rémunération applicables aux jeunes de moins de 30 ans qui effectuent un stage d'accompagnement, d'insertion professionnelle, d'orientation ou d'appui à la définition d'un projet professionnel, un stage d'initiation, de formation ou de complément de formation professionnelle dans le cadre d'un programme national organisé et financé par l'État destiné à répondre à un besoin additionnel de qualification au profit de jeunes sortis du système scolaire sans qualification ou à la recherche d'emploi disposant d'un niveau de qualification inférieur ou égal au baccalauréat.

Le nouveau système prévoit trois catégories de rémunération selon l’âge :

  • 200 € par mois pour tous les stagiaires de la formation professionnelle âgés de 16 à 18 ans (contre 130 € jusqu’à présent) ;
  • 500 € par mois pour tous les stagiaires de la formation âgés de 18 à 25 ans révolus (contre un peu plus de 300 € auparavant) ;
  • 685 € par mois pour tous les stagiaires de la formation de plus de 26 ans (contre une rémunération de 401 € ou 652 € selon les cas, jusqu’à présent).

Enfin, le texte tire les conséquences des modifications apportées par l'article 7 de la loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020, relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » (N° Lexbase : L1024LZX), en précisant que les conseils départementaux peuvent conclure avec un organisme employant ou accompagnant des bénéficiaires de mise en situation en milieu professionnel des conventions l'autorisant à prescrire pour ces bénéficiaires des périodes de mise en situation en milieu professionnel.

→ Ces textes entrent en vigueur au 1er mai 2021.

newsid:477371

Justice

[Tribune] Confiance dans l’institution judiciaire : ou défiance, voire méfiance, dans l’avocat

Lecture: 9 min

N7415BYB

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par Pierre Dunac, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Toulouse

Le 06 Mai 2021


Mots-clés : Tribune • réforme • justice • avocat • secret professionnel • discipline • perquisition


 

La sémantique est importante, à l’instar de la vie politique, l’institution judiciaire, qui en l’occurrence se réduit à l’ordre judiciaire, avait-elle besoin d’une proclamation moralisatrice actant la nécessité de restauration d’une confiance qu’elle n’inspirerait plus ? 

Au demeurant, cette confiance n’était-elle pas largement entamée par les déclarations de ceux-là mêmes qui entendent ou prétendent la restaurer à chaque fois que le fait divers est l’occasion d’un nouveau débat sécuritaire et d’une récupération politique s’exprimant désormais dans la limite de 169 caractères, confinant plus surement à la caricature qu’à la nuance du propos.

Une loi qui semble finalement davantage dictée par les échéances électorales de 2022 que par la volonté d’une véritable réforme de fond qu’exigent désormais les évolutions de notre société.

Une loi de plus, engagée au pas de charge sans même attendre les échéances expérimentales précédemment décidées [1] et aux termes de rapports commandés et finalisés dans des délais particulièrement contraints [2].

Une loi qui, en tout état de cause, ne renforce guère l’indépendance nécessaire de l’avocat, laquelle pourtant signe le degré d’une démocratie sur le baromètre de l’État de droit.

En cela tout d’abord, les dispositions relatives au renforcement de la protection du secret professionnel des avocats ne sont pas à la hauteur des enjeux. 

Le secret professionnel, corollaire de l’indépendance de l’avocat et exigence des libertés individuelles, est ici disloqué.

Peut-être faut-il rappeler à ceux qui croient pouvoir en douter, souvent les mêmes d’ailleurs qui assimilent l’avocat à leurs clients ou à la cause de leurs clients, que le secret professionnel n’est évidemment pas la protection d’une confidentialité permettant de favoriser une conduite illicite.

La protection du secret de la confidence, s’il faut user du pléonasme pour appuyer le propos, participe de la confiance nécessaire du client dans son conseil et défenseur : sans la protection du secret, les fonctions de défense et de conseil n’existent plus. 

Or, alors même que la protection du citoyen contre l’immixtion excessive de l’autorité publique est une garantie fondamentale de l’État de droit, la commission « Mattei » dressait le triste constat de n’avoir « pas atteint de consensus sur le degré de protection du secret professionnel de l’avocat qu’offre le droit positif, en particulier dans le cadre des mesures d’enquête les plus intrusives, et précisément sur l’étendue du secret à l’activité de conseil… ».  

Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire aurait pu être l’occasion de la mise en œuvre des réformes souhaitées unanimement par la profession, mais elle accouche finalement d’un secret professionnel scindé en deux en entérinant le « secret de la défense » plutôt que le « secret professionnel » dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Ce qui constitue, sans contestation possible, une véritable régression au regard des dispositions préexistantes de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 qui protègent au nom du secret professionnel : « que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier ».

On arguera que quelques avancées méritent d’être soulignées, principalement concernant le rôle croissant du juge des libertés et de la détention en matière de décisions coercitives et notamment s’agissant des perquisitions, des réquisitions portant sur données de connexion liées à l’utilisation d’un réseau ou d’un service de communications électroniques (données de trafic ou de localisation), dites « fadettes », et des interceptions téléphoniques.

Dans le cadre des perquisitions au cabinet ou au domicile de l’avocat, le projet de loi instaure un recours suspensif contre la décision du juge des libertés et de la détention devant le premier président de la cour d’appel. 

S’agissant des écoutes téléphoniques et des fadettes, la décision autorisant l’interception ou la réquisition sera prise, non plus par le juge d’instruction, mais par le juge des libertés et de la détention au terme d’une ordonnance motivée devant faire état des raisons plausibles de soupçonner que l’avocat a commis ou tenté de commettre une infraction qui fait l’objet de la procédure. 

Enfin, qu’il s’agisse d’une mesure de perquisition, d’une interception de ligne téléphonique ou d’une réquisition de factures détaillées, le Bâtonnier devra obligatoirement en être informé. 

Cependant, ici encore, le projet est en demi-teinte.

Certes le projet de loi précise que « lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe contre celui-ci des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure ». 

Mais est-ce là une réelle avancée ? Tout citoyen est en droit d’être à l’abri de mesures intrusives alors même que rien ne permet de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction.

Pour autant, la première phrase du 1er alinéa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale demeurant, n’est manifestement pas supprimée la possibilité de perquisitionner un cabinet d'avocat ou son domicile lorsque l'avocat n'est pas mis en cause.

Par ailleurs, si le projet de loi exige tant en ce qui concerne la perquisition, que l’interception de ligne téléphonique ou la réquisition de factures détaillées de l’avocat que « des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure », nous sommes ici au niveau d’acception le plus bas de la justification de pareilles investigations.

En matière de préservation du secret professionnel de l’avocat, secret, rappelons-le, qui n’est pas un privilège qui permettrait à l’avocat d’échapper à sa responsabilité pénale, mais qui demeure l’ultime protection des droits de la défense, il était légitime d’espérer le choix d’un niveau supérieur d’exigence, moins empreint de subjectivité, telle que l’existence préalable d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de l’avocat, comme auteur ou comme complice, à la commission d’une infraction.

Au-delà, le projet de loi n’apporte aucune réponse efficace aux interceptions téléphoniques dites « incidentes », voire « sauvages », de conversations pourtant protégées par le secret, mais néanmoins écoutées, et parfois même retranscrites en procédure, moyennant l’interception des communications du client de l’avocat. 

Sachons-le ou redisons-le, le téléphone demeure donc le meilleur ennemi de la protection du secret professionnel. 

Il nous reste à espérer désormais que les parlementaires seront, eux, à la hauteur des enjeux en inscrivant définitivement dans la loi que l’indépendance de l’avocat, garantie par le secret professionnel, n’est pas un privilège, mais bien un principe essentiel de l’État de droit et de notre démocratie. 

Autre source de déception sinon de déconsidération, les modifications de la procédure disciplinaire envisagée par ce projet de loi à la faveur notamment de l’insertion au sein de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 d’un nouvel article 22-3 prévoyant que « par dérogation aux articles 22-1 et 22-2, le conseil de discipline est présidé par un magistrat du siège de la cour d’appel, désigné par le premier président, lorsque la poursuite disciplinaire fait suite à une réclamation présentée par un tiers ou lorsque l’avocat mis en cause en fait la demande. » 

Comment interpréter cette nouvelle disposition autrement que comme la manifestation d’une défiance à l’égard des avocats ?

En effet, comment ne pas entendre que lorsque la réclamation d’un tiers est à l’origine de la poursuite disciplinaire, l’impartialité ne serait pas garantie aujourd’hui, et ne pourrait l’être que par la présidence rassurante d’un magistrat du siège ?

Relent désagréable d’une justice, conçue peut-être, mais surtout de plus en plus vécue, comme le théâtre d’un rapport de force, où l’avocat, défenseur par définition des intérêts particuliers de son client, serait caricaturalement incapable d’être impartial, le principe d’impartialité n’étant accessible qu’à la magistrature quand bien même serait-elle debout.

Désormais, au premier degré comme au second, la juridiction disciplinaire des avocats sera donc présidée dans de nombreux cas par un magistrat de l’ordre judiciaire, qui plus est exerçant au sein de la cour d’appel dans le ressort de laquelle l’avocat exerce aussi, ce qui n’est pas non plus de nature à renforcer l’indépendance nécessaire de l’avocat. 

L’idée initiale d’un échevinage permettant une meilleure connaissance de la déontologie de l’avocat est dévoyée et le projet de loi est, à cet égard encore, une motion de défiance à l’égard de l’avocat.

Il ne s’agit pas ici de prétendre que la tâche soit aisée, mais entre confiance, défiance et méfiance, ce projet de loi, pour l’heure, illustre une regrettable paronomase.

 

[1] Nous pensons aux cours criminelles.

[2] Rapport « Perben » et Commission « Mattei ».

newsid:477415

Justice

[Brèves] Open data des décisions de justice : le calendrier est (enfin) publié !

Réf. : Arrêté du 28 avril 2021 pris en application de l'article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives (N° Lexbase : L3302L43)

Lecture: 2 min

N7387BYA

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par Marie Le Guerroué

Le 05 Mai 2021

► L’arrêté relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives a été publié au Journal officiel du 29 avril 2021 ; le texte très attendu établit le calendrier des dates de mise à la disposition du public et de délivrance des copies sollicitées par les tiers, des décisions de justice pour chacun des ordres administratif et judiciaire, des trois niveaux d'instance et des matières civile, commerciale, sociale et pénale.

  • Un arrêté particulièrement attendu

Le 21 janvier dernier, le Conseil d’État avait enjoint au garde des Sceaux de prendre, dans un délai de trois mois, l'arrêté prévu à l'article 9 du décret du 29 juin 2020 (N° Lexbase : L5271LXI) et de fixer le calendrier de mise à la disposition du public des décisions de justice (CE 9° et 10° ch.-r., 21 janvier 2021, n° 429956, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A30794DE). 

  • Un calendrier détaillé et progressif
Pour l'ordre administratif  
Décisions du Conseil d'État  30 septembre 2021
Décisions des cours administratives d'appel  31 mars 2022
Décisions des tribunaux administratifs 30 juin 2022

 

Pour l'ordre judiciaire (contentieux civils, commerciaux et sociaux)  
Décisions rendues par la Cour de cassation  30 septembre 2021
Décisions rendues par les cours d'appel  30 avril 2022
Décisions rendues par les conseils de prud'hommes 30 juin 2023
Décisions rendues par les tribunaux de commerce 31 décembre 2024
Décisions rendues par les tribunaux judiciaires 30 septembre 2025

 

Pour les contentieux pénaux relevant de la compétence de l'ordre judiciaire  
Décisions rendues par la Cour de cassation  30 septembre 2021
Décisions rendues par les juridictions de premier degré en matière contraventionnelle et délictuelle 31 décembre 2024
Décisions rendues par les cours d'appel en matière contraventionnelle et délictuelle 31 décembre 2025
Décisions rendues en matière criminelle 31 décembre 2025

 

  • Entrée en vigueur

L'arrêté est entré en vigueur le 30 avril 2021.

Pour aller plus loin :

  • Sur le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives :

- Y. Le Foll, A. Léon et M. Le Guerroué, Open Data des décisions de justice : le décret est publié !, Lexbase Avocats, juillet 2020 (N° Lexbase : N3908BYE).

  • Sur la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC) :

- P. L. Boyer, «Dites : article 33» - Docteur Knock, Mister Data. L’Open data des décisions de justice dans la loi «Justice 2018-2022», Lexbase Avocats, avril 2019 (N° Lexbase : N8479BXC) ;

- E. Le Quellenec, Loi "Justice" : évolution ou révolution numérique pour les avocats ?, Lexbase Avocats, avril 2019 (N° Lexbase : N8474BX7).

 

 

 

newsid:477387

Procédure civile

[Brèves] Quid du défaut de mention de l’organe représentant une personne morale dans l'acte introductif ?

Réf. : Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 19-25.449, F-D (N° Lexbase : A80464PP)

Lecture: 2 min

N7405BYW

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 05 Mai 2021

► Le défaut de mention dans un acte de procédure de l'organe représentant légalement la personne morale constitue un vice de forme, la nullité de cet acte étant subordonnée à la preuve d'un grief que le juge doit constater.

Faits et procédure. Dans cette affaire, le Syndicat général agroalimentaire CFDT d'Ile-et-Vilaine (le syndicat) contestant la licéité du nouveau système d’évaluation du personnel, a assigné une société à jour fixe devant le tribunal de grande instance, en vue de faire interdire un dispositif d'entretien de développement individuel des salariés et annuler les entretiens déjà réalisés depuis sa mise en place. La nullité de la requête à fin d'être autorisée à assigner à jour fixe, ainsi que la nullité de l'assignation à jour fixe ont été soulevées par la défenderesse.

Le tribunal a rejeté l’exception de nullité et énoncé que la procédure d’évaluation des salariés était illicite et interdit l’usage de ce dispositif.

Le pourvoi. Le syndicat fait grief à l’arrêt (CA Rennes, 11 octobre 2019, n° 18/04272 N° Lexbase : A9560ZQ7), d’avoir déclaré irrecevable son action et de dire n’y avoir lieu d’examiner les demandes au fond.

En l’espèce, la cour d’appel, pour énoncer cette solution, a retenu que la requête à fin d’assignation à jour fixe et l'assignation délivrée par le demandeur sont nulles, du fait qu’elles ne portent pas mention de la personne ou de l'organe le représentant.

Solution. Énonçant la solution précitée au visa de l’article 114 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1395H4G), la Cour de cassation censure le raisonnement des juges d’appel, énonçant que ces derniers avaient privé leur décision de base légale, en se prononçant sans constater l’existence d’un grief subi par la société défenderesse.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La forme des actes de procédure, La nullité pour vice de forme, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase (N° Lexbase : E1151EU8).

 

newsid:477405

Procédure pénale

[Brèves] Conditions indignes de détention : les détenus condamnés ne bénéficiaient d’aucun recours effectif

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-898 QPC, 16 avril 2021 (N° Lexbase : A55204P7)

Lecture: 4 min

N7249BY7

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par Adélaïde Léon

Le 05 Mai 2021

► Dans une décision sobrement référencée « Conditions d'incarcération des détenus II », le Conseil constitutionnel vient étendre aux détenus condamnés la solution dégagée dans sa décision du 2 octobre 2020 par laquelle la Haute juridiction avait fait obligation au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge pour qu’il soit mis un terme à des conditions de détention indignes.

Rappel de la procédure. Le Conseil constitutionnel avait été saisi par le Conseil d’État (CE 5° et 6° ch.-r., 27 janvier 2021, n° 445873, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A57954DY) d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 707 (N° Lexbase : L0664L4D), 720-1 (N° Lexbase : L4478K9Q), 720-1-1 (N° Lexbase : L0645LT3), 723-1 (N° Lexbase : L7687LPE), 723-7 (N° Lexbase : L7687LPE), et 729 (N° Lexbase : L7698LPS) du Code de procédure pénale.

Motifs de la QPC. Il était reproché au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence en ne prévoyant pas de procédure imposant au juge de faire cesser des conditions indignes de détention auxquelles seraient exposées des personnes condamnées. Cette carence et les dispositions litigieuses méconnaitraient le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, celui de prohibition des traitements inhumains et dégradants ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif.

Étendue de la QPC. Le Conseil constitutionnel a considéré que la QPC portait sur le paragraphe III de l’article 707 du Code de procédure pénale relatif au retour progressif à la liberté des condamnés incarcérés en exécution d’une peine privative de liberté.

Décision. Les dispositions litigieuses sont déclarées contraires à la Constitution.

Le Conseil énonce qu’il se déduit de la lecture combinée du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU) et de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) qu’il appartient aux autorités judiciaires et administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes condamnées soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. En outre, le Conseil précise qu’il incombe au législateur de garantir aux personnes condamnées la possibilité d’exercer devant le juge un recours permettant qu’il soit mis fin aux conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine.

La Haute juridiction constate ensuite que ni les dispositions du Code de justice administrative ni les dispositions dénoncées du Code de procédure pénale ne permettent de saisir un juge afin qu’il soit mis fin à des conditions indignes de détention.

Le Conseil affirme que le III de l’article 707 du Code de procédure pénale méconnait les exigences constitutionnelles précitées et le déclare contraire à la Constitution.

Les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité. S’il était important de reconnaitre que les détenus condamnés ne disposaient d’aucun recours effectif pour faire cesser leurs conditions indignes de détention, la déclaration d’inconstitutionnalité ici faite a un impact limité puisque, comme le précise le Conseil, les dispositions concernées ne sont plus en vigueur dans leur rédaction contestée.

La loi n° 2021-403 du 8 avril 2021, tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention (N° Lexbase : L9830L3H) est en effet venu ajouter au III de l’article 707 du Code de procédure pénale une référence à l’article 803-8 du Code de procédure pénale lequel créé une procédure visant à faire reconnaitre et cesser l’existence de conditions indignes de détention affectant tant les détenus provisoires que les personnes condamnées.

Notons que les praticiens semblent encore sceptiques sur l’efficacité de l’article 803-8 du Code de procédure pénale et attendent que la pratique apporte la preuve de l’efficacité réelle de cette nouvelle procédure.

Pour aller plus loin :

  • v. A. Morineau, Huit ans de bataille pour la dignité des personnes détenues, de la CEDH au Conseil constitutionnel, Lexbase Pénal, novembre 2020 (N° Lexbase : N5309BYB) ;
  • v. M. Giacopelli, Le raz de marée du principe de dignité, Lexbase Pénal, novembre 2020 (N° Lexbase : N5183BYM).

 

newsid:477249

Régimes matrimoniaux

[Brèves] Récompense due à un époux, par la communauté, au titre de l’encaissement de deniers propres sur un compte joint : précisions concernant le montant de la récompense !

Réf. : Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 19-20.591, F-D (N° Lexbase : A81264PN)

Lecture: 4 min

N7428BYR

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 06 Mai 2021

► Sauf preuve contraire, l'encaissement, sur un compte joint, de deniers propres par la communauté, à défaut d'emploi ou de réemploi, ouvre droit à récompense ;

Pour calculer le montant de cette récompense, il n’y a pas lieu de faire application des règles de l’article 1469 du Code civil, mais donc de retenir le montant nominal des deniers encaissés.

Si le principe de la présomption d’un droit à récompense, en cas d’encaissement de deniers propres par la communauté, est acquis depuis 2005, la question relative au montant de cette récompense demeurait en suspend (cf. J. Casey, Sommaires de jurisprudence - Droit des régimes matrimoniaux (juillet - décembre 2019), obs. n° 4, Lexbase Droit privé, mars 2020, n° 816 N° Lexbase : N2559BYG), et l’arrêt rendu le 14 avril 2021 semble apporter une réponse claire.

S’agissant de la présomption d’un droit à récompense, la Cour suprême rappelle en effet dans cet arrêt que, « selon l’article 1433 du Code civil (N° Lexbase : L1561ABG), il incombe à celui qui demande récompense à la communauté d'établir que les deniers provenant de son patrimoine propre ont profité à celle-ci. Sauf preuve contraire, le profit résulte notamment de l'encaissement de deniers propres par la communauté, à défaut d'emploi ou de réemploi » (cf. Cass. civ. 1, 8 novembre 2005, deux arrêts, n° 03-14.831, FS-P+B+R N° Lexbase : A5066DL9, et n° 03-15.384, FS-P+B N° Lexbase : A6912DG4 ; et plus récemment : Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 18-26.807, F-D N° Lexbase : A3977ZUT).

S’agissant du montant de cette récompense, la question se posait de savoir s’il y a lieu de retenir :
1°) le montant nominal des deniers encaissés ;
2°) ou bien de faire application des règles de l’article 1469 du Code civil (N° Lexbase : L1606AB4 lesquelles conduisent à retenir la plus faible des deux sommes entre la « dépense » faite et le profit subsistant, sauf si la dépense était nécessaire auquel cas il s’agit obligatoirement du montant de cette dépense).

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 14 avril 2021, c’est précisément cette seconde modalité de calcul qui avait été retenue par la cour d’appel de Caen.

En effet, après avoir, tout d’abord, exactement énoncé (selon les termes de la Cour de cassation), que l'encaissement par la communauté de fonds propres pose le principe d'une présomption de profit de la communauté pouvant être détruite par la preuve contraire, les juges d’appel avaient, ensuite, limité le droit à récompense de l’époux à la somme de 184 622,70 euros, après avoir constaté que la communauté avait encaissé des deniers propres de celui-ci pour une somme de 456 663,09 euros.

La cour d’appel avait retenu que la notion de profit devait s'analyser à la lecture de l'article 1469 du Code civil, que le profit subsistant est celui qui peut être quantifié au moment de la liquidation de la communauté se traduisant par un accroissement du patrimoine de celle-ci, que, dès lors, il y avait lieu de dire que le financement de voyages d'agrément, dépenses non nécessaires, pouvant être qualifiées de contribution aux charges du mariage au sens de l'article 214 du Code civil (N° Lexbase : L2382ABT), n'avaient en toute hypothèse entraîné aucun accroissement du patrimoine de la communauté et que l’ex-épouse démontrait l'absence de profit subsistant pour la communauté de l'encaissement de fonds propres du mari par la communauté.

Mais c’est alors que la Cour régulatrice vient censurer le raisonnement, relevant qu’il ressortait des constatations de la cour d’appel que la preuve n’était pas rapportée de ce que les deniers propres du mari, déposés sur un compte joint, n’avaient pas été utilisés dans l'intérêt commun, et qu’elle n’avait donc pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations.

On comprend donc que, dès lors que n’est pas rapportée la preuve de l’absence d’un profit de la communauté (preuve de l’absence d’utilisation dans l’intérêt commun des deniers en cause), la récompense est due, et ce pour le montant nominal des deniers encaissés ; et ce, peu important la preuve de l’absence d’un profit subsistant (à savoir un accroissement de patrimoine).

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Santé et sécurité au travail

[Le point sur...] Quel avenir pour le préjudice d'anxiété ?

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N7392BYG

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par Dominique Asquinazi-Bailleux, Professeur des Universités, Université Jean Moulin-Lyon 3

Le 05 Mai 2021

 


Mots-clés : préjudice d'anxiété • réparation • preuve • exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave • délai de prescription • point de départ

S’interroger sur l’avenir du préjudice d’anxiété conduit à constater que sa réparation est conditionnée à la preuve d’une exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave pour les salariés non éligibles à l’ACAATA. Les notions de nocivité des substances et de gravité de la pathologie ne sont pas encore cernées. Plus encore, une approche individualisée de l’anxiété est discutable, spécialement pour les salariés des sous-traitants. Ne faut-il pas alors déduire de l’exposition fautive la réalité du préjudice ? Enfin, l’avenir du préjudice d’anxiété est tributaire des délais de prescription de l’action. Même si la prescription écourtée est corrigée par un point de départ retardé, son avenir est à rechercher dans l’impossibilité d’agir en justice des travailleurs écartés de l’action avant le revirement de 2019.  

Cet article est issu du dossier spécial « Le préjudice d'anxiété », publié le 6 mai 2021 dans la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N7427BYQ)


 

Longtemps réservée aux salariés éligibles à l’ACAATA, c’est-à-dire à ceux exposés à l’amiante dans un établissement classé, la réparation du préjudice d’anxiété a connu une avancée notable ces dernières années. D’abord, l’Assemblée plénière a reconnu une possible réparation sur le terrain de la responsabilité contractuelle pour tous les travailleurs exposés à l’amiante quand bien même ils n’auraient pas travaillé dans un des établissements visés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 [1].  Elle reconnaît que « tout salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement à son obligation de sécurité ».  En l’absence de risque professionnel déclaré, une voie de réparation d’un préjudice d’anxiété a ainsi été ouverte à tous les travailleurs exposés, au cours de leur vie professionnelle, à des substances nocives ou toxiques sans mesure de protection adaptée. Dans ce prolongement, la Chambre sociale réactive l’obligation de sécurité au profit des mineurs du charbon de Lorraine [2].  La cour d’appel de Douai [3], sur renvoi, après avoir détaillé l’insuffisance des mesures de protection face à l’exposition à des pathologies particulièrement graves, reconnait l’existence d’un préjudice personnellement subi par chaque salarié qu’elle évalue forfaitairement à la même somme pour chacun des mineurs. Cette ouverture de la réparation à des expositions autres que l’amiante interrogeait sur le maintien d’un régime spécifique de réparation adossé à l’ACAATA. Dans un arrêt ayant eu l’honneur de sa lettre sociale, la Cour affiche le maintien d’un régime dérogatoire [4]. En effet, le juge tire de l’éligibilité à l’ACAATA et du classement de l’établissement un triple régime de présomption : une présomption d’exposition à l’amiante, une présomption de manquement à l’obligation de sécurité- même si le juge a renoncé à s’en servir de fondement - et enfin l’existence d’un préjudice moral d’anxiété susceptible de réparer l’ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance du risque de développer une maladie grave.

De ce contentieux, il est permis de déduire l’existence de deux régimes de réparation du préjudice d’anxiété : un régime spécifique adossé au dispositif de l’ACAATA et un régime de droit commun n’offrant aucune présomption. Au-delà de ces différences de traitement fort discutables, de nombreuses incertitudes méritent d’être relevées et discutées.  Au-delà, c’est le devenir du préjudice d’anxiété qui est en débat. Son avenir est sans doute tributaire de l’appréciation que les juges du fond porteront sur les conditions de mise en œuvre de la responsabilité patronale, (I.) mais également sur les délais de prescription de l’action en réparation (II.).

I. L’avenir du préjudice d’anxiété bridé par les conditions de la responsabilité patronale

L’acceptation de la réparation du préjudice d’anxiété des travailleurs exposés à l’amiante dans un établissement non classé, relevait du bon sens tant il était injuste que les salariés de sous-traitants ou mis à disposition soient évincés. La preuve que l’amiante est un matériau reconnu hautement cancérigène n’est plus à rapporter [5]. Plus compliquée est la situation des travailleurs exposés à des substances nocives ou toxiques autres que l’amiante. Il leur appartient d’établir l’exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave (A.) et de rapporter la preuve d’un préjudice d’anxiété personnellement subi (B.). 

A. L’exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave

Dans un premier temps, les demandeurs doivent établir la nocivité des substances auxquelles ils ont été exposés. Relèvent bien sûr de la littérature médicale l’appréciation de la toxicité d’un produit ou d’un matériau, mais pas uniquement. En effet, l’employeur doit chaque année mettre à jour le document unique d’évaluation des risques lequel est obligatoire dans toutes les entreprises (C. trav., art. L. 4121-3 N° Lexbase : L9296I3P et R. 4121-1 N° Lexbase : L9062IPC). Il s'agit de lister les risques qu'un équipement, un procédé ou un produit peut causer à la santé des utilisateurs. Autrement dit, l’employeur doit inventorier les dangers des outils ou matériaux qu’il utilise. Les risques doivent être recensés selon des critères propres à l'entreprise (fréquence d'exposition, gravité par exemple), puis classés. Des normes ISO sur la santé et la sécurité au travail accompagnent aujourd’hui les opérateurs économiques qui fabriquent, par exemple des robots. Autrement dit, la prévention des risques est souvent introduite dès la phase de conception.

Pour que la nocivité d’un produit soit reconnue, les juges vont exiger un certain degré d’exposition, autrement dit que les seuils acceptables aient été dépassés. À cet égard, la cour d’appel d’Aix-en-Provence refuse de prendre en compte une exposition à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (agents CMR) si le salarié n’a pas été exposé de manière continue en dépassement des seuils admissibles [6]. Il appartient au demandeur de démontrer que l’obligation de sécurité et de protection de la santé a été violée.  Les articles L. 4121-1 (N° Lexbase : L8043LGY) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L6801K9R) du Code du travail qui lui servent de fondement énumèrent les actions et mesures de prévention à mettre en œuvre, compte tenu des risques encourus par les salariés. L’obligation de sécurité oblige l’employeur à, d’une part, évaluer les risques encourus par ses salariés et, d’autre part, prendre des mesures efficaces d’éradication de ceux-ci ou tout au moins d’atténuation de ceux-ci. La responsabilité patronale est donc subordonnée à la démonstration de l’insuffisance des mesures de prévention face à des substances nocives ou toxiques.

Cela étant, le salarié doit encore établir qu’il court un risque élevé de développer une pathologie grave. Se pose alors la question du seuil de gravité de la pathologie et du seuil d’exposition. Concernant l’amiante, la gravité des pathologies engendrées n’est plus à démontrer. En France, entre 2000 et 2008, 13 075 cancers (plèvre, bronches, poumons, péritoine, péricarde) liés à l’inhalation de poussières d’amiante ont été reconnus comme maladies professionnelles [7]. Des recherches sont conduites sur les cancers du larynx ou des ovaires consécutivement à une exposition à l’amiante. D’autres pathologies pleurales et pulmonaires non cancéreuses sont également inventoriées (plaques pleurales, asbestose, pleurésies et des fibroses pleurales). Nombreux cancers sont identifiés consécutivement à l’exposition à la silice, aux hydrocarbures aromatiques polycycliques contenus dans les huiles de vidange et carburants, aux cambouis, au goudrons et bitumes, à la sciure de bois, au chrome VI, aux rayons ionisants, aux nanoparticules, aux pesticides, à la chlordécone. Il peut s’agir également de maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer. La notion de gravité implique-t-elle que la pathologie soit mortelle ou tout au moins gravement invalidante ? La mention de la pathologie dans un tableau des maladies professionnelles peut-elle devenir une exigence ? La réponse doit être négative même si l’inscription d’une pathologie dans un tableau implique la plupart du temps un degré de gravité qui devrait être suffisant pour générer une anxiété de l’avoir contractée. Heureusement, certaines pathologies, quoique graves ou invalidantes se soignent très bien [8]. À cet égard, « les affections respiratoires aigües liées à une infection au SARS-CoV2 » [9], ne pourraient-elles pas provoquer une angoisse pour les travailleurs obligés de travailler en première ligne. Il s’agit au premier chef des soignants - les seuls mentionnés dans les tableaux - mais également de tous ceux invités à demeurer sur le terrain (caissiers, agents de propreté, policiers, enseignants, pharmaciens, travailleurs des crématorium/funérarium…). En définitive, ces professionnels, dans l’attente d’un vaccin libérateur [10], vivent avec l’anxiété d’être contaminés ou de contaminer leurs proches. La gravité de la Covid-19 se mesure aux nombres quotidiens de morts, à l’incertitude des séquelles conservées, au phénomène des variants. Néanmoins, l’anxiété générée par cette pandémie dépasse la sphère du travail ce qui rend sa prise en compte aléatoire et discutable.

B. Le préjudice d’anxiété personnellement subi  

Comme le souligne un auteur [11], le préjudice perd son caractère « spécifique » lorsqu’il répare l’anxiété développée hors établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998. En revanche, il requiert une appréciation in concreto au travers l’expression d’un préjudice « personnellement subi ». C’est dire que la preuve de l’anxiété sera appréciée en la personne de chaque demandeur.  L’approche objective de ce préjudice avait conduit les juges du fond à ne plus exiger pour ceux éligibles à l’ACAATA, la preuve d’une inquiétude permanente face au risque de développer une maladie mortelle [12] ; preuve rapportée par des contrôles ou examens médicaux réguliers. Qualifié de préjudice moral, le préjudice d’anxiété est supposé réparer un risque d’atteinte à l’intégrité physique du travailleur [13]. Il caractérise « une angoisse du salarié face à la mort » [14] dont la preuve n’est pas si évidente [15]. Se référer à des examens médicaux de suivi d’expositions aux substances nocives peut être un élément de preuve. Pour autant, les preuves médicalisées sont à proscrire pour certains auteurs [16] dans la mesure où l’anxiété de certains salariés pourraient finir par glisser dans le giron des maladies professionnelles. Le dernier alinéa de l’article L. 461-1 (N° Lexbase : L8868LHW) permet la reconnaissance au titre du régime complémentaire des pathologies psychologiques. La crise sanitaire, liée à la Covid-19, montre bien que la santé mentale de certaines personnes est affectée alors même qu’elles n’ont pas contracté le virus. L’intensité de l’anxiété [17] ou encore le tableau des symptômes marque la frontière entre la pathologie et le dommage moral.

Pour l’heure, le régime juridique des risques professionnels n’est pas retenu. Le conseil de prud’hommes conserve sa compétence pour apprécier ce préjudice moral découlant de la mauvaise exécution du contrat de travail. Sa preuve est à établir à partir de témoignages de collègues de travail, de proches, de l’inventaire des décès survenus dans la même entreprise du fait de l’exposition aux mêmes substances toxiques, de l’identification des maladies professionnelles survenues. La victime doit faire état d’éléments qui l’affectent personnellement. Rappelons que les salariés de sous-traitant ou mis à disposition sur un site classé amiante sont soumis aux conditions de la responsabilité. Ils ont la lourde charge d’établir la réalité de leur anxiété alors que sur le même site, d’autres travailleurs profitent d’une présomption. Cette différence de traitement est pour le moins inacceptable. Il appartient au juge de corriger ce fait en s’engageant sur la voie de la reconnaissance d’un préjudice moral d’exposition. Autrement dit, retenir un préjudice moral « nécessairement subi » du fait de l’exposition fautive à des substances nocives faisant courir le risque de développer une grave maladie. Que signifierait la preuve de la violation de l’obligation de sécurité et de protection de la santé [18] si elle ne s’accompagne pas d’une réparation pour la victime ? Pareillement, le régime de la prescription de l’action interroge tant il conditionne l’effectivité de la réparation.

II. L’avenir du préjudice d’anxiété bridé par les règles de prescription

Comme un auteur a pu le souligner fort justement [19], le régime de la prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété est tributaire de la catégorie à laquelle appartient la victime. Ce constat invite à revenir tant sur les délais de prescriptions applicables que sur le point de départ de chacune d’entre elles (A.). Plus encore, le revirement de jurisprudence réalisé par l’Assemblée plénière dans son arrêt du 2 avril 2021 [20], au-delà de l’action qu’elle offre aux demandeurs de l’espèce, interroge sur la possibilité d’une interruption du délai de prescription (B.).

A. Une prescription écourtée corrigée par un point de départ « glissant »

C’est à l’occasion d’un contentieux avec l’AGS que la Cour de cassation a retenu que le préjudice d’anxiété était né à la date à laquelle les salariés avaient eu connaissance de l’arrêté ministériel d’inscription de l’activité de réparation et de construction navale sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre de l’ACAATA [21]. À l’époque où n’étaient recevables que les salariés éligibles à l’ACAATA, la prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété était soumise au droit commun, soit trente ans réduit à cinq ans par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. Aux termes de l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». La prescription de droit commun de cinq ans a pu jouer au bénéfice de salariés qui avaient été exposés à l’amiante plus de trente ans auparavant mais dont l’établissement avait été tardivement classé [22]. En outre, la loi de 2008 organisait une période transitoire.  Quoi qu’il en soit, le droit commun de la prescription n’a plus à jouer depuis la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (N° Lexbase : L0394IXU) qui a ajouté l’article L. 1471-1 (N° Lexbase : L1453LKZ) dans le Code du travail [23]. Aux termes de ce texte, plusieurs fois modifié, « toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son droit ».

L’application d’une prescription biennale ne s’imposait pas à l’évidence, spécialement lorsque la responsabilité de l’employeur est mise en jeu en application des règles de droit commun [24]. Nombreux auteurs, estimaient qu’au-delà des périodes transitoires, il convenait d’appliquer à l’action en réparation du préjudice d’anxiété, la prescription biennale [25]. C’est la position retenue par la Chambre sociale, d’abord à propos de salariés exposés à l’amiante dans un établissement non classé [26], puis à l’égard de ceux exposés dans un établissement classé, postérieurement à la loi du 14 juin 2013 [27]. Cette prescription abrégée n’est guère satisfaisante comparée à la situation des victimes de harcèlement moral, harcèlement sexuel, ou même de discriminations qui profitent de la prescription de droit commun de cinq ans (C. trav., art. L. 1471-1, al. 3).

Restait en débat le point de départ de cette prescription abrégée. Concernant les salariés exposés à l’amiante dans un établissement classé, la modification de l’arrêté initial d’inscription de l’établissement ne permet pas le report du délai de prescription [28]. Cette solution est peu convaincante puisque l’arrêté rectificatif modifie les périodes d’exposition couvertes. N’est-ce pas reconnaître une certaine incertitude quant à la connaissance de l’exposition ? Pour les salariés de sous-traitant ou mis à disposition dans un établissement classé, la position des juges n’est pas encore connue. Il est vraisemblable qu’ils soient rattachés à la catégorie de ceux éligibles à l’ACAATA avec un point de départ de prescription à la date de classement de l’établissement. Il en sera sans doute ainsi alors même qu’ils doivent user du droit commun de la responsabilité contre leur employeur. Aujourd’hui, leur action en réparation a de forte chance d’être prescrite alors même qu’ils sont autorisés à agir.

En revanche, pour les salariés exposés à l’amiante hors établissement classé, l’arrêt rendu le 8 juillet 2020 [29] apporte un correctif important à cette prescription abrégée en reportant son point de départ à la fin de l’exposition au risque. Il est vrai que plus une prescription est courte, plus son point de départ est essentiel. Le législateur a fait le choix d’un point de départ « glissant » en le soumettant à la connaissance du risque à l’origine de l’anxiété. Ce point de départ s’apparente à celui formulé en matière de reconnaissance des maladies professionnelles. Sur le fondement des articles L. 431-2 (N° Lexbase : L5309DYB) et L.461-1 du Code de la Sécurité sociale, la prescription biennale ne commence à courir qu’à partir de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle [30]. En toute hypothèse, la prescription ne court qu’à compter de la cessation du travail en raison de la maladie constatée (CSS., art. L. 461-5, dern. al. N° Lexbase : L8865LHS). Comme en matière de maladie professionnelle, la prescription de l’action en réparation du préjudice d’anxiété ne peut commencer à courir tant que le demandeur est exposé au risque. Il peut en être ainsi jusqu’à la rupture de son contrat de travail.

Concernant les substances nocives, autres que l’amiante, ce point de départ « instrumentalisé pour répondre à la réduction des délais de prescription », selon un auteur [31] va permettre de différer les demandes de réparation de préjudice d’anxiété. Le demandeur devra donc avoir une connaissance personnelle que l’exposition au produit toxique est susceptible de générer une grave maladie. Comme le souligne Morane Keim-Bagot, la certitude scientifique n’est pas acquise pour de nombreuses substances, ce qui pourrait donner une « longue vie au préjudice d’anxiété » [32].

Sa longévité sera en réalité tributaire de la portée qui sera donnée au revirement opéré, le 2 avril 2021 par l’Assemblée plénière. Par cet arrêt, la Haute assemblée accepte de donner plein effet au revirement de 2019 [33] en cassant l’arrêt de la cour d’appel de renvoi qui s’était pourtant conformé à sa doctrine. Elle autorise ainsi le réexamen de la situation de ceux qui auraient été déboutés sans que leur affaire ait acquis l’autorité de la chose jugée. Il s’agit ici de s’interroger uniquement sur la portée de cette jurisprudence au regard de la règle qui gouverne l’impossibilité d’agir.

B. Une prescription de l’action en réparation suspendue par l’impossibilité d’agir ?

Sans procéder à l’analyse de l’arrêt d’Assemblée plénière dont l’intérêt va au-delà de la question de la réparation du préjudice d’anxiété, il est jugé qu’un changement de norme, tel un revirement de jurisprudence, peut être pris en considération tant qu’une décision irrévocable n’a pas mis un terme au litige. Le juge se doit alors de réexaminer la situation à l’occasion de l’exercice d’une voie de recours. Il s’agit donc d’assurer une égalité de traitement entre des justiciables placés dans une situation équivalente en permettant à une partie de bénéficier de ce changement. La question concernait la différence de traitement entre les demandeurs de réparation d’un préjudice d’anxiété selon qu’ils avaient été exposés à l’amiante dans un établissement classé ou non. L’Assemblée plénière admet la recevabilité du moyen qui critique la cour d’appel de renvoi en ce qu’elle s’est conformée à la doctrine en vigueur au moment de sa saisine (écarter de la réparation les travailleurs non éligibles à l’ACAATA). Il faut noter que le délai de recours était encore ouvert.

Ce qui interroge en l’espèce, c’est l’assimilation de la jurisprudence à une norme. Est-ce que ce changement terminologique peut autoriser une nouvelle interprétation de l’article 2234 du Code civil (N° Lexbase : L7219IAM) ? Aux termes de ce texte, « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Autrement dit, n’est-il pas possible de convoquer l’adage « contra non valentem agere non currit praescriptio ». À propos des marins ou de leurs ayants droit qui recherchaient la faute inexcusable de l’employeur-armateur, plusieurs années après la reconnaissance de la maladie professionnelle, cet adage n’a pu jouer. Pour autant, ils faisaient valoir qu’avant la décision du Conseil Constitutionnel leur reconnaissant un droit à recours [34], ils ne pouvaient agir. La cour d’appel avait fait droit à leur demande, quitte à donner un effet rétroactif à la décision du Conseil Constitutionnel. Son arrêt est cassé au motif que « l'évolution de la jurisprudence ne constitue pas une impossibilité d'agir suspendant l'écoulement du délai de prescription » [35].

La Cour de cassation entend rappeler que les exigences de sécurité juridique et de prévisibilité du droit peuvent se concilier avec l’évolution de sa jurisprudence [36]. Il est alors possible d’imaginer que cet arrêt d’Assemblée plénière pourrait ouvrir une véritable voie de droit au profit de tous ceux qui ont renoncé par le passé à agir en réparation d’un préjudice d’anxiété et qui sont en apparence prescrits.

 

[1] Cass. ass. plén., 5 avr. 2019, n° 18-17.442 (N° Lexbase : A1652Y8P), JCP S, 2019, 1126, avis av. général C. Courcol-Bouchard et note X. Aumeran ; JCP G, 2019, 508, note M. Bacache ; D. Asquinazi-Bailleux, Préjudice d'anxiété des travailleurs d'établissements non classés, l'avancée jurisprudentielle, Droit social, 2019, p. 456. ; M. Keim-Bagot, Préjudice d'anxiété : la cohérence retrouvée, SSL, 15 avril 2019, p. 3. ; G. Pignarre, La réparation du préjudice spécifique d'anxiété des travailleurs exposés à l'amiante, l'assemblée plénière aurait-elle remporté une victoire…. À la Pyrrhus ?, RDT, 2019, p. 340. ; P. Jourdain, Préjudice d'anxiété des travailleurs de l'amiante : l'extension de la réparation à tous les salariés, D., 2019, p. 922. ; J. Frangié-Moukanas, Deux régimes juridiques pour le préjudice d’anxiété, SSL, 2019, n° 1857 ; V. Roulet, Gaz. Pal., 2019, n° 353, p 64 ; Ch. Willmann, Préjudice d’anxiété : un revirement de jurisprudence …. anxiogène, RDSS, 2019, 539.

[2] Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 17-24.879, FP-P+B (N° Lexbase : A0748ZNZ), Bull. Joly Travail, octobre 2019, n° 1126, p 19, note J. Icard ; D. Asquinazi- Bailleux, L’anxiété des travailleurs exposés à des substances nocives ou toxiques : quel espoir de réparation ?, JCP S, 1282, étude ; X. Aumeran, Le préjudice d’anxiété à l’ère de l’obligation de sécurité de l’employeur, Droit social, 2020, p 58 ; J. Colonna et V. Renaux-Personnic., Le préjudice d’anxiété : saison 2, JCP E, 2019, 1464 ; M. Bacache, Le préjudice d’anxiété : à la conquête de nouvelles expositions professionnelles, JCP G, 2019, 1024.

[3] CA Douai, 29 janvier 2021, n° 20/00255 (N° Lexbase : A26454HG), M. Keim-Bagot, La victoire des mineurs devant la cour d’appel de Douai, SSL, 2020, février 2020, n° 1940, p. 16 ; Bull. Joly Travail, 2021, n° 3, p. 30, obs. D. Asquinazi- Bailleux.

[4] Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 19-12.340, FS-P+B (N° Lexbase : A11263R7), JCP S, 2020, p. 3025, note D. Asquinazi-Bailleux.

[5] L’État a même été jugé responsable de ses carences dans la production de normes pour la période antérieure au décret du 17 août 1977 : CE, 9 novembre 2015, n° 342468, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3631NWE) ; D. actualité, 8 mars 2017, obs. J-M Pastor ; AJDA, 2016, p. 213, note A. Jacquemet-Gauché ; RDSS, 2016, p. 171, note Ch. Willmann. M. Bartolucci, Le préjudice d’anxiété en droit public, RFDA, 2018, p. 153 ; C.-F. Pradel, P. Pradel-Boureux et V. Pradel, Responsabilité de l'employeur et de l'État pour les dommages subis par les salariés exposés à l'amiante, JCP S, 2015, p. 1474 ; Ch. Willmann, Amiante : le Conseil d'État admet un partage de responsabilités État/entreprise, mais pour la période antérieure à 1977 seulement, Lexbase Social, décembre 2015, n° 635 (N° Lexbase : N0296BWU). En revanche, la carence fautive de l’État dans le contrôle de chantiers navals n’est pas causale d’un préjudice d’anxiété : CE., 1° et 4° ch.., 18 déc. 2020, n° 437314, Lebon (N° Lexbase : A71584AD).

[6] CA Aix-en-Provence, 16 janvier 2014, n° 11/08673 (N° Lexbase : A8261KT7) ; CA Aix-en-Provence, 16 janvier 2014, n° 11/08742 (N° Lexbase : A8167KTN).

[7] Rapport EUROGIP 2010 [en ligne].

[8] Ainsi la cataracte due au rayonnement thermique de verre ou de métal porté à incandescence (tableau 71) ou le ptérygion dont sont atteints les verriers travaillant à la main (tableau 71-bis).

[9] Nom donné au tableau 100 pour le régime général et 60 pour le régime agricole par le décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 (N° Lexbase : L1786LYS).

[10] Les partenaires sociaux se sont réunis avec la ministre du Travail, le 20 avril 2021, pour fixer les priorités vaccinales parmi les travailleurs.  

[11] Ch. Willmann, Préjudice d’anxiété : confirmation de la prescription biennale, Lexbase Social, novembre 2020, n° 845 (N° Lexbase : N5462BYX).

[12] Cass. soc., 4 décembre 2012, n° 11-26.293, FS-D (N° Lexbase : A5543IYX) et n° 11-26.294, FS-P (N° Lexbase : A5687IYB), RCA, 2013, étude 3, C. Corgas-Bernard ; JCP S, 2013, n° 1042, note Ph. Plichon ; Cass. soc., 2 avril 2014, n° 12-28.616, FS-P+B (N° Lexbase : A6342MIQ), JCP S, 2014, n° 1271, notre note.

[13] Notre art., Le préjudice moral en droit social, un préjudice à multiples facettes, in « Le préjudice dans tous ses états », dossier, Bull. Joly Travail, février 2021, p. 57.

[14] Ch. Willmann, L’angoisse du salarié face à la mort, Droit social, 2020, p. 883.

[15] En ce sens, M. Bacache, Le préjudice d’anxiété lié à l’amiante : une victoire en demi-teinte, JCP G, 2019, n° 508 ; X. Aumeran, Le préjudice d’anxiété à l’ère de l’obligation de sécurité de l’employeur, préc..  

[16] En ce sens, M. Keim-Bagot, Préjudice d’anxiété : sortir de l’impasse, Cah. soc., mai 2018, p. 13.

[17] Conseil d’orientation sur les conditions de travail, commission des pathologies professionnelles, groupe de travail sur les pathologies psychiques d’origine professionnelle, décembre 2012.

[18] Expression empruntée à la deuxième chambre civile : Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 18-26.677, FS-P+B+I (N° Lexbase : A05523XQ), JCP S, 2020, n° 3070, notre note ; Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 18-25.021, FS-P+B+I (N° Lexbase : A05513XP), JCP S, 2020, 3071, note M. Keim-Bagot.

[19] Ch. Willmann, Préjudice d’anxiété : confirmation de la prescription biennale, Lexbase Social, novembre 2020, n° 845, préc..

[20] Ass. plén., 2 avril 2021, n° 19-18.814 (N° Lexbase : A17864NH), C. Hélaine, Changement de norme et recevabilité d’un moyen de cassation, D. actualité, 9 avril 2021.

[21] Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 12-29.788, FS-P+B (N° Lexbase : A2718MTT), JCP S, 2014, n° 1415, notre note. La garantie de l’AGS ne jouant que pour les sommes dues aux salariés à la date d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, la date de classement de l’établissement est déterminante : Cass. soc., 25 mars 2015, n° 13-21.716, FS-P+B (N° Lexbase : A6608NEH).   

[22] Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-19.263, FS-P+B (N° Lexbase : A9287M3D), JCP G, 2014, n° 1343, note F. Bousez.

[23] J. Icard, La prescription en droit du travail. Etude d’actualité des relations individuelles de travail, RJS, 05/19.

[24] S. Mraouhi, Préjudice d’anxiété : (re) précisions sur le régime de la prescription de l’action en réparation, RDT, 2020, p. 205 ; M. Keim-Bagot, Préjudice d’anxiété : de nouvelles précisions, Bull. Joly Travail, septembre 2020, n° 9, p. 37.   

[25] J. Icard, note sous Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388, FS-P+B (N° Lexbase : A88913CB), Bull. Joly Travail, mars 2020, n° 3, p. 13 ; J. Frangié-Moukanas, Deux régimes juridiques pour le préjudice d’anxiété, SSL, 2019, n° 1857, p. 10.

[26] Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-26.585, FS-P+B (N° Lexbase : A11873RE) : JCP S, 2020, n° 3026, notre note.

[27] Ch. Willmann, Préjudice d’anxiété : confirmation de la prescription biennale, Lexbase Social, novembre 2020, n° 845, préc...

[28] Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388, préc., Bull. Joly Travail, mars 2020, n° 3, p. 13, obs. J. Icard ; JCP S, 2020, n° 1084, notre note ; Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 18-50.030, FP-P+B (N° Lexbase : A4707ZNN).

[29] Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-26.585 à n° 18-26.634 et n° 18-26.636 à n° 18-26.665, préc..

[30] Cass. soc., 29 juin 2004, n° 03-10.789, publié (N° Lexbase : A9044DCX) ; Cass. civ. 2, 12 juillet 2006, n° 05-10.556, FS-P+B (N° Lexbase : A4489DQC) ; D. 2006, p. 2727, note Y. Saint-Jours ; Gaz. Pal., 2007, n° spéc., Protection sociale, n° 79, p 15, note M-P. Olive ; Cass. civ. 2, 30 mars 2017, n° 16-13.276, F-D (N° Lexbase : A1000UT9).  

[31] J. Icard, note sous Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388, préc., Bull. Joly Travail, mars 2020, n° 3, p. 13, préc..

[32] M. Keim-Bagot, Préjudice d’anxiété : de nouvelles précisions, Bull. Joly Travail, septembre 2020, p. 37.

[33] Revirement opéré par l’Assemblée plénière le 5 avril 2019, préc., note 1.

[34] Cons. const., décision n° 2011-127 QPC, du 6 mai 2011 (N° Lexbase : A7886HPR) ; JCP E, 2011, n° 1710, obs. A. Bugada ; Droit social, 2011, p. 862, obs. P. Chaumette ; RFD const., 2011, p. 838, note M. Badel.

[35] Cass. civ. 2, 4 avril 2018, n° 17-11.489, F-P+B (N° Lexbase : A4592XKB), JCP E, 2018, n° 45, chr. 1571, n° 18, obs. A. Bugada ; JCP S, 2018, 1188, notre note.

[36] Le communiqué de presse, Cour de cassation [en ligne].  

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Soins psychiatriques sans consentement

[Brèves] Isolement et contention : publication du décret d’application

Réf. : Décret n° 2021-537, du 30 avril 2021, relatif à la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention en matière d'isolement et de contention mis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement (N° Lexbase : Z672451G)

Lecture: 4 min

N7389BYC

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par Laïla Bedja

Le 05 Mai 2021

► Le décret du 30 avril 2021, publié au Journal officiel du 2 mai 2021, organise la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention en matière d’isolement et de contention mis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement.

Ce décret est publié alors que les articles L. 3211-12 (N° Lexbase : L1612LZQ), L. 3211-12-1 (N° Lexbase : L1619LZY), L.  3211-12-2 (N° Lexbase : L1620LZZ), L. 3211-12-4 (N° Lexbase : L1613LZR), L. 3211-12-5 (N° Lexbase : L1621LZ3) et L. 3222-5-1 (N° Lexbase : L1614LZS), pris en application de l’article 84 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 (N° Lexbase : L1023LZW), font l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité portée devant le Conseil constitutionnel (Cass. QPC, 1er avril 2021, n° 21-40.001, FS-P N° Lexbase : A47624NP, n° 21-40.002 N° Lexbase : A47774NA et n° 21-40.003 N° Lexbase : A46994ND, FS-D, lire L. Bedja, Lexbase Droit privé, avril 2021, n° 861 N° Lexbase : N7102BYP).

Cosigné par les ministres des Solidarités et de la Santé et de la Justice, le décret prévoit les obligations d'information pesant sur l'établissement de santé ainsi que la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention (JLD) saisi d'une mesure d'isolement ou de contention prise sur le fondement de l'article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique.

Obligations d’information pesant sur l’établissement

Le médecin qui décide d’une mesure d’isolement ou de contention doit dorénavant informer le JLD en cas de renouvellement exceptionnel des mesures au-delà des durées maximales prévues dans l'article 84. Le patient et les proches de ce dernier devront aussi être informés. Cette information est délivrée par tout moyen permettant de dater sa réception. Le cumul des durées est calculé en additionnant toutes les mesures intervenant à moins de 48 heures de la précédente.

Le médecin délivre également l'information dès que la durée cumulée de plusieurs mesures d'isolement ou de contention atteint sur une période de quinze jours la durée totale de douze heures pour l’isolement et de six heures pour la contention.

La procédure devant le JLD

La demande de mainlevée des mesures d’isolement ou de contention doit être portée devant le JLD dans le ressort duquel est situé l’établissement d’accueil (CSP, art. R. 3211-33).

Requête ou procès-verbal du directeur de l’établissement (CSP, art. R. 3211-34). Lorsqu'elle émane du patient concerné par la mesure d'isolement ou de contention, la requête peut être déposée au secrétariat de l'établissement d'accueil, qui l'horodate. La demande en justice peut également être formée par une déclaration verbale recueillie par le directeur de l'établissement qui établit un procès-verbal contenant les mentions prévues par l'article R. 3211-10. Ce procès-verbal est horodaté et revêtu de sa signature et de celle du patient. Si ce dernier ne peut signer, il en est fait mention.

Le directeur de l’établissement doit informer le patient :

  • de son droit d’être assisté ou représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office ;
  • de son droit d’être entendu par le JLD. Si le magistrat décide de ne pas procéder à son audition au vu de l’avis médical, un avocat représentera le patient.

La requête ou le procès-verbal doit être transmis au greffe du tribunal, par tout moyen permettant de dater sa réception, dans un délai de dix heures. Le directeur y joint :

  • toute pièce que le patient entend produire ;
  • les pièces utiles mentionnées à l'article R. 3211-12 ainsi que les décisions motivées successives relatives aux mesures d'isolement et de contention dont le patient a fait l'objet et tout autre élément de nature à éclairer le juge ;
  • si le patient demande à être entendu par le juge, un avis d'un médecin relatif à l'existence éventuelle de motifs médicaux faisant obstacle, dans son intérêt, à son audition et à la compatibilité de l'utilisation de moyens de télécommunication avec son état mental.

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Successions - Libéralités

[Brèves] Responsabilité du notaire ayant qualifié à tort un legs graduel en legs résiduel : prise en compte de l'incidence fiscale dans l’évaluation du préjudice

Réf. : Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 19-21.290, F-D (N° Lexbase : A80484PR)

Lecture: 5 min

N7402BYS

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 05 Mai 2021

► En condamnant le notaire à verser au légataire une certaine somme en réparation de ses divers préjudices résultant de ce que le notaire avait qualifié à tort le legs litigieux de résiduel, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée par le notaire, si en raison de cette erreur de qualification, l’intéressé n'avait pas bénéficié d’une économie d’impôt venant contrebalancer son préjudice, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil.

Rappel concernant les libéralités résiduelles/graduelles. Pour comprendre la décision rendue le 14 avril 2021, il convient de rappeler le principe et le régime fiscal attaché à chacune de ces libéralités.

La libéralité résiduelle est une opération par laquelle un disposant prévoit dans une donation ou un testament qu'une personne est appelée à recueillir ce qui subsistera du don ou du legs fait à un premier gratifié, à la mort de celui-ci (C. civ., art. 1057 N° Lexbase : L0217HPQ).

Sur le plan fiscal, au moment de la donation, ou du décès du testateur, seul le premier gratifié est redevable des droits de donation ou de succession selon qu'il est question d'une donation ou d'un legs. Au décès du premier gratifié, le second bénéficiaire doit acquitter des droits de mutation à titre gratuit. Si le premier gratifié a donné ou vendu une partie des biens, les droits dus à son décès par le second gratifié ne portent que sur le residuum transmis.

Quant à la libéralité graduelle, il s’agit de la libéralité par laquelle un disposant donne ou lègue des biens ou des droits, à charge pour le donataire ou le légataire de les conserver et de les transmettre à son décès à un second gratifié désigné dans l'acte (cf. C. civ., art. 1048 N° Lexbase : L0208HPE). Il faut comprendre que le dispositif implique une double charge pour le gratifié, de conservation et transmission.

Concernant le régime fiscal, au moment de la donation, ou du décès du testateur, seul le premier bénéficiaire est redevable des droits de donation ou de succession selon qu'il est question d'une donation ou d'un legs ; au décès du premier gratifié, le second bénéficiaire doit acquitter des droits de mutation à titre gratuit.

Ces principes étant rappelés, on comprendra aisément tout l’enjeu de la qualification de la libéralité en cause dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 14 avril 2021.

Faits et procédure. En l’espèce, décédée le 10 février 2010, la défunte avait laissé pour lui succéder son époux, et son fils, en l'état d'un testament daté du 3 décembre 2006, rédigé, au dos d'un tableau, en ces termes « Je soussignée […] veux que ce tableau ainsi que tout ce que je possède […] aillent en direct lègue à mon époux bien-aimé le jour de ma mort. À la mort de celui-ci tout reviendra à mon fils mais pas du vivant de son père. Aucun autre héritier ne pourra justifier de quoi que ce soit ».

Le 5 novembre 2010, le notaire avait établi un acte de partage en considérant que ce testament instituait le mari légataire à titre particulier des biens et droits immobiliers visés dans le testament, notamment, de la pleine propriété d’une maison. Après s'être remarié, le père avait, le 13 septembre 2013, vendu cette maison à son épouse.

Soutenant qu'il avait bénéficié d'un legs graduel de la maison et non d'un legs résiduel, et qu'en conséquence, l'acte de partage était affecté d'une erreur résultant d'une mauvaise interprétation de cette libéralité, le fils avait assigné son père et le notaire afin d'obtenir la nullité de cet acte et la condamnation de ce dernier à réparer le préjudice causé par le manquement à son devoir de conseil.

Décision cour d’appel. Pour condamner le notaire à payer au fils la somme de 102 000 euros au titre de sa perte de chance, la cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 21 juin 2019, n° 17/05252 N° Lexbase : A1899ZGG) avait retenu que le legs était « grevé d'une charge comportant l'obligation pour le légataire de conserver les biens qui en étaient l'objet et, à son décès, de les transmettre au second gratifié désigné dans l'acte, conformément aux dispositions de l'article 1040 du Code civil » (lire C. civ., art. 1048, définition de la libéralité graduelle).

Les juges d’appel ajoutaient que le notaire n'avait pas attiré l'attention du père et du fils sur la différence entre un legs graduel et un legs résiduel et que, faute d'avoir pris en compte l'existence de cette charge grevant le legs, le partage opéré par l'acte du 5 novembre 2010 avait été atteint d'une cause de nullité, de sorte que le manquement du notaire à son devoir de conseil était directement à l'origine de la perte de chance, par le fils, d'hériter de la maison en cause au décès de son père. Ils avaient retenu que ce préjudice pouvait être évalué à 85 % du prix de vente du bien, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise pour estimer la valeur de ses droits en considération de l'existence de la charge grevant le legs.

Cassation. La décision est censurée, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9), sur la question de l’évaluation du préjudice à indemniser ; la Haute juridiction fait droit à l’argument du notaire qui reprochait à la cour de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée, si en raison de l'erreur de qualification du legs, le fils n’avait pas bénéficié d’une économie d'impôt de nature à réduire son préjudice.

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