Lexbase Social n°845 du 26 novembre 2020 : Santé et sécurité au travail

[Jurisprudence] Préjudice d’anxiété : confirmation de la prescription biennale

Réf. : Cass. soc., 12 novembre 2020, n° 19-18.490, FS-P+B+I (N° Lexbase : A525634G)

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par Christophe Willmann, Professeur à l’Université de Rouen

le 04 Décembre 2020

 


Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit (C. trav., art. L. 1471-1 N° Lexbase : L1453LKZ). L'action par laquelle un salarié, ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 (N° Lexbase : L5411AS9) et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, demande réparation du préjudice d'anxiété, est régie par cette règle de prescription de deux ans. L'arrêté ministériel qui a inscrit l'établissement de Tarascon sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime légal de l'Acaata ayant été publié le 12 octobre 2013, le délai de prescription de l'action du salarié a expiré le 12 octobre 2015.


 

L’Assemblée plénière, par un arrêt rendu en 2019, a profondément bouleversé le régime de la réparation du préjudice d’anxiété, en élargissant le champ des bénéficiaires et surtout, en créant plusieurs régimes juridiques applicables aux différentes catégories de bénéficiaires. Il faut, en effet, désormais distinguer deux modes de réparation du préjudice d’anxiété, distincts quant à leur fondement juridique et quant aux conditions d’ouverture :

  • le « préjudice spécifique d'anxiété », ouvert aux seuls salariés exposés à l’amiante, dont l’employeur a été inscrit sur la liste des établissements classés (loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, art. 41) ;
  • le « préjudice d'anxiété » (ayant perdu, au passage, son caractère de « spécifique »), ouvert aux seuls salariés exposés à l’amiante, dont l’employeur n’a pas été inscrit sur la liste des établissements classés (loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, art. 41), sur le fondement du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (visa des articles L. 4121-1 N° Lexbase : L8043LGY et L. 4121-2 N° Lexbase : L6801K9R du Code du travail) ;
  • le « préjudice d'anxiété » personnellement subi par le salarié, en raison d’une exposition à une substance nocive ou toxique autre que l’amiante, sur le fondement du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (visa des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail).

La doctrine [1] avait fortement réagi à ce bouleversement de la réparation du préjudice d’anxiété, dont il était ressorti de nombreuses interrogations sur ce régime du préjudice d’anxiété, à venir, en cours d’édification. Un certain nombre d’auteurs [2] avaient relevé les difficultés et incertitudes liées à ces complexités introduites par l’Assemblée plénière, puisqu’il faut désormais identifier la catégorie à laquelle appartient un salarié victime d’une exposition à l’amiante/produit nocif, pour connaître (ou anticiper) le régime qui lui sera applicable. La question de la prescription en est une : la solution rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans cet arrêt, apporte une réponse, mais le débat de fond sur la nécessité d’un régime uniforme de la prescription reste ouvert.

Il ressort, de cet arrêt rendu, que la durée de la prescription est fonction de la catégorie à laquelle appartient la victime. Il faut, en effet, distinguer une prescription de l'action « préjudice spécifique d'anxiété » (préjudice initialement reconnu, propre aux salariés dont l’entreprise est classée Acaata) et une prescription de l'action « préjudice d'anxiété » (salariés exposés à l’amiante, dont l’entreprise n’a pas été classée Acaata et salariés exposés à des produits nocifs autres que l’amiante).

I. La durée de la prescription de l'action en réparation du préjudice « spécifique » d'anxiété

Le régime de la prescription de l’action en réparation est une question particulièrement sensible pour les victimes d’une exposition à l’amiante, et quasi systématiquement mise en avant par les employeurs.

Le quantum (durée) de la prescription a évolué à plusieurs reprises, depuis 2008. Ses étapes sont connues (loi du 17 juin 2008 N° Lexbase : L9102H3I ; loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013 N° Lexbase : L0394IXU ; ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN). Ces différentes réformes ont modifié la durée de prescription opposable aux salariés victimes d’une exposition à l’amiante/produit nocif, passant de cinq à deux ans. Dans certaines affaires, le régime applicable était celui d’une prescription de cinq ans, d’autres, deux ans.

A. La prescription de cinq ans

Initialement, la Cour de cassation avait retenu une prescription de cinq ans, par référence à l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), applicable aux éléments de fait de l’espèce [3], pour la réparation du préjudice d'anxiété des salariés éligibles à l'Acaata, conformément à la ligne jurisprudentielle suivie jusqu’alors [4].

La doctrine [5] était fortement partagée, entre les partisans d’une prescription courte, de deux ans (majoritaire) [6] et ceux d’une prescription plus longue de cinq ans (minoritaire) [7].

B. La prescription de deux ans

En 2013, les partenaires sociaux [8] avaient proposé une réforme des délais de prescription (art. 26, « Délais de prescription »). Sans préjudice des délais de prescription plus courts, fixés par le Code du travail, ils avaient suggéré qu’aucune action ayant pour objet une réclamation portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail ne soit engagée devant la juridiction compétente au-delà d’un délai de 24 mois.

Mais les partenaires sociaux avaient retenu une autre durée de prescription, pour les demandes de salaires (visées à l’article L. 3245-1 du Code du travail N° Lexbase : L0734IXH), lesquels se prescrivent par 36 mois si elles sont formées en cours d’exécution de contrat. Si la demande est formée dans le délai de 24 mois suivant la rupture du contrat, la période de 36 mois susvisée s’entend à compter de la rupture du contrat. Ces dispositions conventionnelles ont inspiré le législateur, qui les a reprises, dans le cadre de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 [N° Lexbase : L0394IXU).

1) La réforme législative

La loi du 17 juin 2008 a instauré, à l’article 2224 du Code civil, un nouveau délai de prescription extinctive de droit commun de cinq ans, au terme duquel l’action n’est plus recevable : « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (art. 21 ; C. trav., art. L. 1471-1) [9] a profondément réformé le régime de la prescription, dans le champ des rapports de travail, en réduisant à deux ans la prescription des actions portant sur l’exécution et la rupture du contrat de travail, par dérogation au principe de prescription extinctive de droit commun de cinq ans, fixé à l’article 2224 du Code civil (le délai de droit commun était jusqu’alors de trente ans). Désormais, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Des exceptions ont été aménagées : ce nouveau régime ne s’appliquait pas aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1 (discrimination), L. 1152-1 (harcèlement moral) et L. 1153-1 (harcèlement sexuel) ni aux délais de prescription plus courts déjà prévus dans le Code du travail [10].

Cet article L. 1471-1 du Code du travail a ensuite été modifié par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (art. 6 et art. 10) et la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 (art. 11) [11], en précisant la notion de départ de la prescription. Désormais, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

2) La consécration judiciaire

Le régime de la prescription a été modifié, très substantiellement, par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, mais selon des modalités assez complexes, puisqu’un régime transitoire a été mis en place (loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, art. 26, II) selon lequel « les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure » [12], dans le strict respect des règles civilistes (C. civ., art. 2222, al. 2 N° Lexbase : L7186IAE) [13]. La difficulté essentielle a porté sur le champ d’application dans le temps de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, affectant directement le régime de la prescription des salariés souffrant d’un préjudice d’anxiété.

1ère hypothèse : publication de l’arrêté ministériel inscrivant une entreprise sur la liste des établissements permettant le bénéfice de l'ACAATA, postérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. L’arrêt rapporté confirme la solution acquise, selon laquelle toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. En l’espèce, l'arrêté ministériel qui a inscrit l'établissement de Tarascon sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime légal de l'ACAATA a été publié le 12 octobre 2013, postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Le nouveau régime de la prescription issue de cette loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 s’est donc appliqué : la victime du préjudice d’anxiété était soumise à une prescription de deux ans. Le délai de prescription de l'action du salarié a donc expiré le 12 octobre 2015 : la demande introduite postérieurement à cette date est prescrite. Dans cette affaire, la Cour de cassation a visé l'article L. 1471-1 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, c’est-à-dire dans sa rédaction initiale, issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Or, l'article L. 1471-1 du Code du travail, en sa version première, issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, prévoyait déjà que toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

2ème hypothèse : publication de l’arrêté ministériel inscrivant une entreprise sur la liste des établissements ouvrant au bénéfice de l'ACAATA, antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Quel sera le régime de la prescription, si l’arrêté ministériel qui a inscrit une entreprise sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime légal de l'ACAATA, est antérieur à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ? La Cour de cassation, très logiquement, s’en est tenue au régime applicable antérieurement à loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, c’est-à-dire le droit commun, défini à :

  • l'article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L7209IAA), selon lequel toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ;
  • l’article 2224 (N° Lexbase : L7184IAC), selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l’espèce, la Cour de cassation a décidé que les salariés ont eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété à compter de l'arrêté ministériel du 24 avril 2002 ayant inscrit le site de Saint-Just-en-Chaussée sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre du régime légal de l'ACAATA, à une période où ils y avaient travaillé. Le régime de la prescription applicable était donc fixé par l'article 2262 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à la loi nº 2008-561 du 17 juin 2008), l'article 26, II, de cette même loi et l'article 2224 du Code civil. Il en ressort que, par application de ces dispositions, les actions personnelles ou mobilières se prescrivaient par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En 2019, la Cour de cassation [14] s’était prononcée exactement dans le même sens, invoquant les mêmes dispositions à l’appui de sa solution, la prescription quinquennale. Les salariés ont eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété dès l'arrêté ministériel du 30 septembre 2005 ayant inscrit l'établissement sur la liste permettant la mise en œuvre du régime légal de l'ACAATA.

3) Le débat doctrinal

La question de la durée de la prescription a beaucoup été débattue par la doctrine. Il n’est peut-être pas utile de revenir sur les arguments invoqués, critiques à l’égard de la solution retenue par la Cour de cassation, de prescription biennale :

  • par définition, une telle prescription, courte, restreint considérablement la durée d'action des demandeurs [15] ;
  • cette prescription courte introduit une différence de traitement avec les victimes de discriminations, de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, lesquels bénéficient d'une prescription quinquennale [16] ;
  • cette prescription courte n’est pas cohérente avec l'action en réparation du préjudice d'anxiété de droit commun [17], fondée sur la responsabilité extracontractuelle, soumise à une prescription décanale.

D’autres arguments peuvent être mis en avant :

  • les conditions de mise en œuvre de la réforme des prescriptions par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (art. 21 ; C. trav., art. L 1471-1 ; supra) sont particulièrement difficiles à apprécier, s’agissant plus précisément de l’intention des partenaires sociaux et du législateur, ainsi que des objectifs poursuivis. La lecture de l’étude d’impact laisse le lecteur perplexe et songeur, aucun élément de réflexion n’ayant été formalisé [18] ; celle des travaux parlementaires [19], peu documentée ni argumentée, tout autant. L’hypothèse avancée par la doctrine [20] est que la diminution des délais de prescription pour agir en justice a été présenté comme la contrepartie des garanties que la loi du 14 juin 2013, issue de l'ANI du 11 janvier 2013, devait apporter aux salariés (ex., accords de maintien de l'emploi). On est loin des effets d’une courte prescription sur le droit à réparation du préjudice d’anxiété !
  • surtout, le débat sur l’appréciation (critique ou non) que l’on peut formuler à l’égard d’une prescription courte n’a pas beaucoup de sens, du point de vue de la Cour de cassation, tenue d’appliquer les textes, au moment où le droit positif est en vigueur. Les effets de cette application dans le temps peuvent être extrêmement dommageables à l’égard des victimes d’une exposition à l’amiante/produit nocif, écartées du fait des règles de la prescription, d’une action en réparation pour préjudice d’anxiété. Il n’en reste pas moins vrai que les textes s’imposent à la Cour de cassation, laquelle ne jouit d’aucune liberté d’action quant à la question du champ d’application dans le temps des textes (en l’espèce, le régime de la prescription).

II. La durée de la prescription de l'action « préjudice d'anxiété »

A. Les demandeurs non bénéficiaires du dispositif Acaata

Pour les demandeurs non bénéficiaires du dispositif Acaata, le délai de prescription est de deux ans, par référence à l'article L. 1471-1 du Code du travail, prescription biennale qui s’applique aux actions fondées sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité [21].

La solution s’explique par la périodicité de la solution retenue par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, admettant, par son arrêt rendu le 5 avril 2019, qu’en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998.

Or, le régime de la prescription, à cette date (5 avril 2019), était fixé par l'article L. 1471-1 du Code du travail, modifié par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (art. 10) et sa loi de ratification, la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 (art. 11), selon lequel toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Au final, nécessairement, les demandeurs d’une réparation du préjudice d’anxiété, non bénéficiaires du dispositif Acaata, sont soumis à un régime de la prescription biennale, conformément au droit commun (C. trav., art. L. 1471-1). Par définition, le régime de la prescription quinquennale ne peut pas s’appliquer : lorsque la Cour de cassation (Ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17.442 N° Lexbase : A1652Y8P) leur a reconnu un droit à réparation d’un préjudice d’anxiété, le régime de la prescription quinquennale ne s’appliquait plus et les salariés ne peuvent donc pas, par définition, s’en prévaloir.

B. Les demandeurs exposés à des substances nocives autres que l’amiante

Leur sort s’aligne sur celui des demandeurs non bénéficiaires du dispositif Acaata (supra). En 2019 [22], la Cour de cassation a ouvert la possibilité aux salariés qui justifient d'une exposition à une substance nocive ou toxique autre que l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, d’agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

Là aussi, pour les mêmes raisons, nécessairement, les demandeurs d’une réparation du préjudice d’anxiété pour une exposition à des substances nocives autres que l’amiante, sont soumis au régime de la prescription biennale, conformément au droit commun (C. trav., art. L. 1471-1). Par définition, le régime de la prescription quinquennale ne peut pas s’appliquer. Lorsque la Cour de cassation (Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 17-24.879, FP-P+B N° Lexbase : A0748ZNZ) leur a reconnu un droit à réparation d’un préjudice d’anxiété, le régime de la prescription quinquennale ne s’appliquait plus et les salariés ne peuvent donc pas, par définition, s’en prévaloir.

Conclusion. L’observation a déjà été faite [23] et peut être rappelée : la situation des victimes d’un préjudice d’anxiété varie donc selon l’agent nocif auquel elles ont été exposées (amiante ou autres agents), les caractéristiques de leur employeur (établissement classé ou non, par application du régime spécial fixé à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998).

La réparation du préjudice d’anxiété sera donc différente, dans son fondement juridique, son organisation, ses conditions, son régime probatoire (supra) selon des critères secondaires (le classement de l’entreprise, la nature du produit nocif, amiante ou autres), alors même que la situation des victimes est la même : même détresse face à l’angoisse de la mort, (probablement) mêmes pathologies (cancer) et même gravité du diagnostic.

Sur le terrain probatoire, il faut retenir de l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière (Ass. plén., 5 avril 2019, préc.), de l’arrêt rendu par la Chambre sociale (Cass. soc., 11 septembre 2019, préc.) et de l’arrêt rapporté que la durée de la prescription, deux ans ou cinq ans, est fonction de plusieurs éléments :

  • exposition à l’amiante, dans un établissement classé : prescription de 5 ans ou de 2 ans, en fonction de la date de publication de l'arrêté ministériel qui a inscrit l'établissement sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime légal de l'ACAATA. Cette date de publication détermine le régime applicable (publication de l’arrêté de classement antérieure à la date d’application de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, prescription de cinq ans ; publication postérieure à la date d’application de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, prescription de deux ans) ;
  • exposition à l’amiante, dans un établissement non classé : prescription de 2 ans ;
  • exposition à des substances nocives autres que l’amiante : prescription de 2 ans.

[1] Ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17.442 (N° Lexbase : A1652Y8P), C. Courcol-Bouchard, premier avocat général, Avis ; C. Vieillard, Rapport. D. Asquinazi-Bailleux, Préjudice d'anxiété des travailleurs d'établissements non classés : l'avancée jurisprudentielle, Dr. social, 2019, 456 ; D. Asquinazi-Bailleux, Dr. soc., 2019, 539 ; J.-S. Borghetti, RDC, 2019, 13 ; C.-É. Bucher, AJ Contrat, 2019, 307 ; X. Aumeran, Préjudice d'anxiété des travailleurs : un nouveau départ, JCP S, 2019, n° 16, 1126 ; M. Bacache, D., 2019, 2058 ; M. Bacache, Le préjudice d'anxiété lié à l'amiante : une victoire en demi-teinte, JCP G, 2019, n° 508 ; M. Bacache, Chronique Responsabilité civile, JCP G, 2019, n° 15, doctr. 407  ; P. Brun, Responsabilité civile (novembre 2018 - octobre 2019), D., 2020 p. 40 ; D. Castel, JA, 2019, n° 598, p. 11 ; N. Dedessus-Le-Moustier, Réparation du préjudice d'anxiété des salariés exposés à l'amiante, JCP G, 2019, n° 16, 423 ; J. Frangié-Moukanas, Deux régimes juridiques pour le préjudice d'anxiété, SSL, 2019, n° 1857 ; B. Gauriau , Regards sur l’anxiété, JCP S, 2019, n° 16, 1120 ; P. Jourdain, Préjudice d'anxiété des travailleurs de l'amiante : l'extension de la réparation à tous les salariés, D., 2019, 922 ; M. Keim-Bagot, La cohérence retrouvée du préjudice d'anxiété, SSL, 2019, n° 1857 ; G. Pignarre, RDT, 2019, 340 ; F. Quinquis, La prévention des risques au cœur du préjudice d'anxiété, SSL, 2019, nº 1857 ; V. Roulet, Gaz. Pal., 2019, n° 353, p. 64 ; nos obs., Préjudice d’anxiété : un revirement de jurisprudence… anxiogène, RDSS, 2019, 539 ; J. Frangie-Moukanas, Préjudice d’anxiété : le revirement de jurisprudence décrypté, LSQ, 12 avril 2019, n° 17796.

[2] M. Keim-Bagot, Une nouvelle phase du contentieux sur le préjudice d'anxiété, SSL, 2020, n° 1925 ; nos obs., L’angoisse du salarié face à la mort, Dr. social, 2020, p. 883.

[3] Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388, FS-P+B (N° Lexbase : A88913CB) ; J. Icard, Bull. Joly Travail, mars 2020, n° 1137, p. 13 ; JSL, 23 mars 2020, n° 494 ; Rec. Dalloz, 2020, p. 288 ; S. Mraouahi, Préjudice d'anxiété : (re)précisions sur le régime de la prescription de l'action en réparation, RDT, 2020 p. 205.

[4] Cass. soc., 14 décembre 2017, n° 16-20.244, F-D (N° Lexbase : A1239W8E) ; Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-19.263, FS-P+B (N° Lexbase : A9287M3D).

[5] S. Mraouahi, Préjudice d’anxiété : (re)précisions sur le régime de prescription de l’action en réparation, RDT, 2020, p. 205 ; J. Icard, La prescription en droit du travail. Étude d'actualité des relations individuelles du travail, RJS, 05/19, note sous Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388 ; J. Icard, Bull. Joly Travail, mars 2020, p. 13 ; J. Frangié-Moukanas, Deux régimes juridiques pour le préjudice d'anxiété, SSL, 2019, n° 1857, p. 10.

[6] Pour une prescription de 2 ans : J. Frangié-Moukanas, Deux régimes juridiques pour le préjudice d'anxiété, SSL, 2019, n° 1857, p. 10 ; J. Icard, La prescription en droit du travail. Étude d’actualité des relations individuelles de travail, RJS, 05/19 ; même auteur, Bull. Joly Travail, mars 2020, n° 1137, p. 13 ; V. aussi, De quelques précisions relatives au régime du préjudice d'anxiété, Bull. Joly Travail, octobre 2019, n° 1126, p. 19 ; L. de Montvalon,  (Con)naissance d'un préjudice d'anxiété lié à une exposition à l'amiante et point de départ du délai de prescription, Cah. Lamy CE, 2015, n° 144.

[7] Pour une prescription de 5 ans : M. Keim-Bagot, Préjudice d'anxiété : de nouvelles précisions, Bull. Joly Travail, septembre 2020, n° 1134, p. 37 ; M. Keim-Bagot, Préjudice d'anxiété : quand le droit rime enfin avec justice, SSL, 2020, n° 1894, 10 févr. 2020.

[8] Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 - Pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés

[9] Ch. Boillot, Sécurisation de l'emploi et prescriptions des actions en justice dans la loi du 14 juin 2013, Cah soc. Barreau, juillet 2013 p. 317 ; B. Gauriau, La diminution des délais de prescriptions, Dr. social, 2013, p. 833.

[10] Notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67 N° Lexbase : L2155KGW), L. 1234-20 (N° Lexbase : L8044IA8), L. 1235-7 (N° Lexbase : L7304LHY) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9), ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5 (N° Lexbase : L5913LBM).

[11] Ch. Boillot, La réduction et l'harmonisation des délais de prescription de la rupture du contrat par les ordonnances du 22 septembre 2017, Cah soc. Barreau, janvier 2018, p. 53 ; D. Baugard, Prescriptions et pouvoirs du juge judiciaire, Dr. social, 2018 p. 59.  

[12] Illustration très pédagogique de J. Icard dans le Bulletin Joly Travail, mars 2020, n° 3, p. 13.

[13] Selon lequel, en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (C. civ., art. 2222, al. 2 N° Lexbase : L7186IAE).

[14] Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 18-50.030, FP-P+B (N° Lexbase : A4707ZNN) ; Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388, FS-P+B (N° Lexbase : A88913CB).

[15] M. Keim-Bagot, Une nouvelle phase du contentieux sur le préjudice d'anxiété, SSL, 2020, n° 1925, préc..

[16] D. Asquinazi-Bailleux, Quel point de départ et quelle prescription pour l'action en réparation d'un préjudice d'anxiété hors établissement classé ?, JCP S, 2020, 3026.

[17] P. Jourdain, Les préjudices d'angoisse, JCP G, 2015, doctr. 739.

[18] Projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, Etude d’impact, 5 mars 2013, Partie V - Dispositions diverses issues de l’accord du 11 janvier 2013, 1. Développer la conciliation aux prudhommes et poser des règles de prescription, p. 142-143. Une seule phrase, dans le « 1.1. Etat du droit et nécessité de légiférer » (« En matière de prescription, le délai de prescription des actions en paiement ou en répétition du salaire est aujourd’hui de cinq ans (C. trav., art. L. 3245-1). Les partenaires sociaux ont souhaité revoir ce délai », p. 142) et une phrase aussi dans le « 1.2. Objectifs poursuivis par la mesure » (« Le projet de loi ramène ce délai à trois ans, conformément à la volonté des partenaires sociaux. Il institue par ailleurs un délai de prescription de deux ans pour les autres actions portant sur l’exécution du contrat de travail ou portant sur sa rupture, sans préjudice des délais plus courts actuellement prévus par le Code du travail et en prévoyant des exceptions à ce délai », p. 142-143).

[19] J.-M. Germain, Rapport n° 847, Assemblée Nationale, 27 mars 2013, tome I, p. 391 ; C. Jeannerot, Rapport Sénat, 11 avril 2013, au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, p. 38 (encore plus indigent, sur ce point précis de la prescription) ; G. Gorce, Avis Sénat, n° 494, 10 avril 2013, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, p. 38 (plus détaillé et plutôt argumenté).

[20] B. Gauriau, La diminution des délais de prescriptions, Dr. social, 2013, p. 833, préc. ; J. Icard, La prescription en droit du travail, RJS, 2019, préc..

[21] Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-25.352, FS-P+B (N° Lexbase : A11103RK), JSL, 12 octobre 2020, n° 505.

[22] Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 17-24.879, FP-P+B (N° Lexbase : A0748ZNZ), D., 2019, 1765 ; ibid. 2058, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; JCP G, 2019, n° 1024, obs. M. Bacache ; ibid. n° 1173, obs. C. Bloch ; RTD civ., 2019, p. 873, note P. Jourdain.

[23] Nos obs., L’angoisse du salarié face à la mort, Dr. social, 2020, p. 883.

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