La lettre juridique n°426 du 3 février 2011

La lettre juridique - Édition n°426

Éditorial

"Haro sur le Dalo" : quand une municipalité promeut le droit à la loge organisée

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N3402BRG

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Ah ! Divine impartialité et infinie sagesse des juges administratifs ! Après avoir envoyé aux oubliettes le portrait d'un vieux maréchal hanté par quelque "complot", les magistrats condamnent une municipalité pour avoir subventionné le fonctionnement de plusieurs loges, et pour ne pas avoir démontré l'intérêt local d'un tel engagement municipal au développement d'une obédience maçonnique. La cour administrative d'appel de Marseille, et ce n'en est que plus symbolique, rappelle, ce 6 janvier 2011, après Versailles en 2007, qu'aux termes de l'article L. 2121-29 du Code général des collectivités territoriales, "le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune". Une association ne peut donc recevoir des subventions d'une commune que si cette intervention présente un intérêt local. Le centre culturel bénéficiaire avait bien organisé des conférences et des débats ouverts au public, mais pas durant l'une des années où il avait reçu les deniers municipaux. L'une des associations membres, bénéficiaire contestée de la générosité communale, avait bien pour ambition d'aider ses adhérents à rechercher un emploi (sic), mais il semble qu'au lieu de damer le pion à Pôle emploi, elle organisait essentiellement de nombreuses réunions internes entre les 33 associations membres du centre culturel, regroupant régulièrement ses 1 282 adhérents...

"Errare humanum est" : à grand renfort d'équerre, de compas, de maillet, de ciseau et de fil à plomb, le maire avait sans doute pensé oeuvrer en faveur du droit au logement opposable en subventionnant des loges maçonniques, dont la vocation est, faut-il le rappeler, l'élévation de la condition humaine, le progrès social, le rayonnement de la philosophie des Lumières... de l'art de bâtir certes, mais les esprits plus que les murs. Aussi, les juges l'accusèrent, à demi-mot, d'oeuvrer plus volontiers pour le droit à la loge organisée, en subventionnant le développement des associations elles-mêmes et non leurs actions sociales.

Cultuelles ? Ces associations ne le sont plus, du moins en France ; la plupart d'entre elles relevant d'obédiences libérales ou adogmatiques... et les juges ne s'y sont pas trompés. Avouez que condamner une municipalité pour subvention d'associations que l'on croirait cultuelles, mais dont l'un des prosélytismes les plus fervents est celui de la laïcité, eut été des plus cocasses. Culturelles ? Si la République n'encourage pas elle-même, fut-ce par le truchement de quelques conseils municipaux, le développement des idées républicaines au premier rang desquelles la laïcité, la fraternité ou la liberté, on se demande qui doit être en charge de la propagande de la "pensée éclairée" dans notre société ? Mais, là encore, les juges n'ont pas failli : ce qu'ils sanctionnent n'est assurément pas le fait de subventionner les actions culturelles et sociales des associations, fussent-elles des loges maçonniques ; mais de subventionner et, donc, de participer à l'organisation et au fonctionnement d'une Grande loge, c'est-à-dire la fédération de ses associations en vue de mutualiser leurs ressources spirituelles et pécuniaires, d'influer plus grandement sur le débat social et d'accentuer leur oeuvre philosophique et philanthropique... Comparaison n'est pas raison, mais c'est un peu comme si la puissance publique participait au fonctionnement et à la structuration des églises, de quelque confession que ce soit, et non directement à leurs actions caritatives...

On l'aura compris, tout cela sent inexorablement, et encore de nos jours, le soufre. Et, les magistrats administratifs chargés de veiller à la bonne utilisation des deniers publics ont, nécessairement, maille à partir avec les premiers magistrats municipaux, parfois eux-mêmes cooptés, sur un sujet aussi sensible, aux contours si ambigus. Pourtant, la franc-maçonnerie se veut moins secrète que discrète ; on ne saurait l'accuser d'un ésotérisme d'un autre âge et d'un culte du secret provocateur, quand elle s'affiche régulièrement à la Une des hebdomadaires de tout bord... ou organise des "apéros maçons", réunissant dans un café lyonnais des francs-maçons et des non-initiés pour dialoguer sur des questions de société. C'est que le sujet fait vendre, les non-initiés guettant une nouvelle "affaire des casseroles", un nouveau "Roberto Calvi", le scandale de la LogeP2 made in France... Que Benjamin Franklin, Voltaire, Frédéric II, Goethe, Mozart, Washington, Jules Ferry, Théodore Roosevelt, ou Simon Bolivar furent francs-maçons, soit ! Mais ce qui trouble les foules touche plus directement aux arcanes du pouvoir... Une fusion bancaire quasi-avortée, un préjudice moral de plusieurs millions d'euros, des réseaux fraternels dont l'oeuvre philosophique et philanthropique est parfois difficile à cerner, souvent pour les non-initiés, parfois même pour certains adeptes.

L'attitude prudente des juges administratifs est donc à saluer. Sans condamner le principe existentiel de la franc-maçonnerie et en reconnaissant son rôle social et émancipateur dans une société de progrès, ils condamnent les collusions troubles, à l'heure où l'on parle d'une loi sur la prévention des conflits d'intérêts, sur la déontologie dans la vie publique...

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Arbitrage

[Questions à...] La modernisation du droit français de l'arbitrage - Questions à Emmanuel Gaillard, Professeur de droit à l'Université Paris XII et Avocat responsable du département d'arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling LLP

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 03 Février 2011

Trente ans après la réforme qui avait été introduite par les décrets n° 80-354 du 14 mai 1980 (N° Lexbase : L3453IPL) et n° 81-500 du 12 mai 1981 (N° Lexbase : L3454IPM), le droit français de l'arbitrage s'est offert un toilettage en profondeur, avec la publication au Journal officiel du 14 janvier 2011, du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 (N° Lexbase : L1700IPN). Ainsi que l'explique le rapport remis au Premier ministre, il était, en effet, apparu nécessaire de réformer ce droit, afin, d'abord, de consolider une partie des acquis de la jurisprudence qui s'est développée sur la base de l'ancien texte, ensuite, d'apporter des compléments afin d'en améliorer l'efficacité et, enfin, d'y intégrer des dispositions inspirées par certains droits étrangers dont la pratique a prouvé l'utilité. Le nouveau texte assouplit, ainsi, les règles relatives au compromis d'arbitrage, à l'exequatur et à la notification des sentences arbitrales. Il affirme l'autorité de la juridiction arbitrale, en lui permettant notamment de prononcer à l'égard des parties à l'arbitrage des mesures provisoires ou conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et sûretés judiciaires. Il consacre la place du juge français en tant que "juge d'appui" de la procédure arbitrale. Il clarifie et améliore les règles relatives aux recours en matière d'arbitrage. Pour apprécier la portée de cette réforme d'envergure qui entrera en vigueur au 1er mai 2011, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré l'un des plus grands spécialistes en la matière, Emmanuel Gaillard, Professeur de droit à l'Université Paris XII et Avocat responsable du département d'arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling LLP, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : En quoi la "modernisation" du droit de l'arbitrage vous semblait-elle nécessaire aujourd'hui ? Quelles étaient, selon vous, les limites du dispositif ?

Emmanuel Gaillard : La modernisation du droit français de l'arbitrage répond à un double souci. Le premier est de rendre le droit français plus lisible, spécialement pour les praticiens étrangers. Avec le recul, les 16 articles du décret du 12 mai 1981 sur l'arbitrage international paraissaient excessivement elliptiques, et ce d'autant plus qu'une jurisprudence abondante, toujours très favorable à l'arbitrage, est venue compléter et expliciter ces textes. Comme tout droit jurisprudentiel, le droit français était devenu difficile d'accès.

Le second souci tient au fait que certaines dispositions méritaient d'être amendées et que, s'agissant de l'organisation des voies de recours, les modifications nécessaires ne pouvaient intervenir de manière prétorienne. Pour ne prendre qu'un exemple, la règle selon laquelle le recours en annulation formé à l'encontre de la sentence avait un effet suspensif même en matière internationale n'était plus en phase avec l'esprit de faveur à l'arbitrage du droit français. Les arbitres pouvaient, certes, déclarer leur sentence exécutoire par provision mais cela créait une différence de régime inopportune entre les sentences rendues par des arbitres rompus aux arcanes du droit français et les arbitres moins avertis.

Bien que seules certaines dispositions méritaient d'être amendées de manière criante, la réforme a été l'occasion d'une refonte systématique permettant d'améliorer la rédaction des textes mais aussi de les modifier chaque fois que cela a paru nécessaire. Une refonte globale a ainsi été préférée, à juste titre, à une démarche moins ambitieuse. Le Comité français de l'arbitrage (CFA) se trouve à l'origine de la réforme. C'est lui qui a suggéré une refonte du droit français et qui a élaboré un avant-projet, publié à la Revue de l'arbitrage en 2006 (1). Ce texte a, ensuite, été repris par la Chancellerie dans le contexte de la réflexion globale sur l'influence du droit français dans le monde et l'attractivité de la place de Paris. Il a été amendé par les services de la Chancellerie en étroite coordination avec le CFA et les milieux concernés. C'est ce qui a donné lieu au décret du 13 janvier 2011 (2).

La seule limite de l'exercice tient au fait que la réforme a été réalisée, comme en 1981, par décret. Il n'était donc pas possible de moderniser les textes du Code civil sur l'arbitrabilité et certaines règles relevant du domaine de la loi. C'est la raison pour laquelle le rapport au Premier ministre accompagnant le décret -publié, contrairement à l'usage, pour souligner son importance- relève que la réforme n'entend pas remettre en cause la jurisprudence interdisant aux Etats de se retrancher derrière leur propre droit pour échapper à une convention d'arbitrage librement consentie (Cass. civ. 1, 2 mai 1966, n° 61-12.255 N° Lexbase : A9273GQI) et celle selon laquelle une sentence annulée à l'étranger peut être reconnue en France si elle satisfait aux exigences du droit français (Cass. civ. 1, 29 juin 2007, n° 05-18.053, FP-P+B+I N° Lexbase : A9382DWE). C'est, en revanche, au législateur qu'il appartiendra de se prononcer sur l'opportunité de créer un bloc de compétence en matière d'arbitrage pour éviter les conséquences fâcheuses de l'arrêt rendu par le Tribunal des conflits le 17 mai 2010 (T. confl., 17 mai 2010, n° 3754 N° Lexbase : A3998EXD). Celui-ci consacre, en effet, l'existence de deux droits de l'arbitrage en France, l'un de droit commun, l'autre portant sur certaines matières sensibles de droit public ; ce qui, à terme, ne pourra manquer de porter atteinte à l'attractivité de la place.

Lexbase : Le texte prévoit l'unification du régime juridique de la clause compromissoire et du compromis d'arbitrage. Etiez-vous favorable à cette unification ?

Emmanuel Gaillard : Dès avant la réforme, le régime de la clause compromissoire et celui du compromis d'arbitrage s'étaient singulièrement rapprochés, la jurisprudence utilisant plus volontiers le terme générique de "convention d'arbitrage". J'étais naturellement favorable à ce rapprochement. Vous observerez par ailleurs que les définitions de la clause compromissoire et du compromis (C. pr. civ., art. 1442 nouveau N° Lexbase : L2266IPM) n'ont pas été reprises en matière internationale. Il ne s'agit pas de bannir cette terminologie usuelle mais de marquer le fait qu'en matière internationale il existe d'autres formes de consentement à l'arbitrage, notamment dans le domaine de la protection des investissements. Le consentement de l'Etat et celui de l'investisseur peuvent, en effet, être dissociés. Celui de l'Etat peut figurer dans une loi ou un traité de protection des investissements et celui de l'investisseur n'être donné qu'après la naissance du différend. Il eut été dès lors trop restrictif de limiter, en matière internationale, la convention d'arbitrage aux seules expressions classiques de consentement à l'arbitrage que sont la clause compromissoire et le compromis.

Lexbase : L'un des objectifs était d'améliorer l'efficacité des sentences arbitrales rendues ou reconnues en France. Les nouvelles dispositions adoptées répondent-elles à l'objectif assigné ?

Emmanuel Gaillard : L'objectif consistant à améliorer l'efficacité des sentences me paraît largement atteint. La suppression de l'effet suspensif du recours en annulation en matière internationale (C. pr. civ., art. 1526 nouveau N° Lexbase : L2182IPI) a déjà été évoquée. Les délais de recours ont été considérablement réduits. En particulier, le recours en annulation susceptible d'être formé à l'encontre d'une sentence rendue en France doit l'être dans le mois de la notification de la sentence et cette notification n'est plus nécessairement faite par voie de signification. Les parties sont, en effet, libres de convenir d'autres modes de notification (C. pr. civ., art. 1494 N° Lexbase : L2226IP7 et art. 1519 N° Lexbase : L2200IP8 nouveaux). En cas de simple notification aux parties conformément à leur volonté commune, le délai peut paraître très bref par comparaison à l'ancien système qui faisait courir le délai de la signification de la sentence revêtue de l'ordonnance d'exequatur (C. pr. civ., art. 1486 N° Lexbase : L6451H73 et 1505 N° Lexbase : L6471H7S anciens). Les praticiens de l'arbitrage devront faire preuve d'une vigilance toute particulière sur ce point.

Lexbase : Et s'agissant de l'amélioration des voies de recours ?

Emmanuel Gaillard : L'amélioration des voies de recours est surtout sensible en matière d'arbitrage interne. Le principe ancien selon lequel l'appel était de droit sauf à avoir été écarté par les parties (C. pr. civ., art. 1482 ancien N° Lexbase : L6447H7W) a été inversé. Pour être recevable, l'appel doit avoir été spécifiquement voulu par les parties (C. pr. civ., art. 1489 nouveau N° Lexbase : L2227IP8). Cela paraît beaucoup plus conforme à ce que l'on peut supposer être la volonté des parties qui recourent à l'arbitrage. A quoi servirait, en effet, de recourir à l'arbitrage pour finir devant la cour d'appel ? Le recours en révision, autrefois porté devant la cour d'appel (C. pr. civ., art. 1491 ancien N° Lexbase : L6457H7B), se fera désormais devant le tribunal arbitral lui-même (C. pr. civ., art. 1502, al. 2, nouveau N° Lexbase : L2214IPP). Ce n'est que lorsque le tribunal ne peut être reconstitué que la cour d'appel connaîtra du recours (C. pr. civ., art. 1502, al. 3, nouveau). Encore, en matière internationale, cette exception n'est-elle pas applicable. Cela signifie que, dans une telle hypothèse, un nouveau tribunal arbitral devra être saisi, le recours, même subsidiaire, à la justice étatique paraissant inadapté en matière internationale (v. l'article 1506, 5° nouveau N° Lexbase : L2216IPR qui ne rend applicable en matière internationale que les articles 1502, al. 1 et 2).

Tant en matière interne qu'internationale, les parties peuvent saisir les arbitres d'une demande de rectification d'erreur matérielle ou les inviter à statuer sur un chef de demande qu'ils auraient omis de trancher (C. pr. civ., art. 1485 nouveau N° Lexbase : L2234IPG). De telles demandes doivent toutefois être formées dans le délai de trois mois à compter de la notification de la sentence et doivent, en principe, être tranchées par le tribunal arbitral dans un délai de trois mois (C. pr. civ., art. 1486 nouveau N° Lexbase : L2215IPQ).

En matière internationale, l'innovation majeure consiste à permettre aux parties, par convention expresse, de renoncer à tout recours en annulation contre une sentence rendue en France. Lorsqu'une telle renonciation est intervenue, les juridictions françaises ne seront appelées à connaître de la sentence que si l'une des parties sollicite son exécution en France (C. pr. civ., art. 1522 nouveau N° Lexbase : L2177IPC). La France rejoint ainsi, avec une formulation originale qui ne reprend pas la condition d'absence de partie de nationalité française, la solution retenue en Belgique, en Suède et en Suisse notamment.

Lexbase : La réforme du droit de l'arbitrage prévoit l'intégration de certaines dispositions inspirées par différents droits étrangers. Pensez-vous que cette réforme soit de nature à remettre en cause l'exception française dans le droit comparé de l'arbitrage international ? La conception française de l'arbitrage international, telle que vous la décrivez dans votre ouvrage Aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international (3), garde-t-elle toujours sa spécificité ?

Emmanuel Gaillard : Il n'y a jamais eu à proprement parler d'exception française en matière d'arbitrage. En revanche, la France a été, en 1980-81, l'un des premiers Etats à se doter d'un droit moderne de l'arbitrage. Elle a ensuite été suivie par les Pays-Bas en 1986, la Suisse en 1987 et l'Angleterre en 1996. Tous ces Etats ont repris, à des degrés divers, des dispositions qui ont trouvé leur première expression dans les décrets français. C'est le cas notamment des dispositions relatives au droit applicable et de celles relatives à la formulation des causes d'annulation des sentences. Certaines de ces lois sont allées plus loin. Il était donc naturel que le législateur français emprunte à son tour certaines formules à des lois qu'il avait lui-même largement influencées. C'est tout particulièrement le cas du droit suisse. La formulation du premier cas de recours en annulation lui est due (C. pr. civ., art. 1492-1° N° Lexbase : L2229IPA et art. 1520-1° N° Lexbase : L2175IPA nouveaux). Il en va de même de l'expression "juge d'appui" inventée par la pratique suisse pour désigner le juge chargé d'assister à la mise en place du tribunal arbitral en cas de besoin. Le droit français est, en revanche, le premier à inscrire l'expression dans un texte. La règle permettant aux parties de renoncer aux recours en annulation au siège à été inventée par le législateur suisse mais c'est en réalité une variante du droit belge qui l'avait conçue comme automatique lorsque l'affaire n'avait aucun rattachement avec la Belgique. Le droit français l'a reprise en la modifiant à son tour puisqu'il n'exige pas de condition d'absence de partie française. Les emprunts croisés d'un droit à un autre sont très sains. Ils marquent l'intérêt croissant que chaque législateur porte aux solutions retenues à l'étranger dans un monde globalisé. Tout laisse penser que le décret français du 13 janvier 2011 servira à son tour de modèle, comme cela avait été le cas de celui de 1981. Certaines des règles retenues par le décret de 2011 sont très novatrices. C'est par exemple le cas de celle qui donne compétence au juge d'appui français -le président du TGI de Paris pour toute la France- dès lors qu'une partie se trouve exposée à un "risque de déni de justice" (C. pr. civ., art. 1505-4° nouveau N° Lexbase : L2213IPN). C'est là une compétence universelle subsidiaire en matière d'arbitrage qui ne manquera pas de retenir l'attention, même si cette disposition n'est appelée à jouer que dans des circonstances très exceptionnelles.

Loin de perdre sa spécificité, le droit français constitue, à mon sens, un modèle très abouti. Il repose de manière non équivoque sur la représentation de l'arbitrage qui reconnaît à cette forme de justice privée la qualité d'ordre juridique autonome. Le rapport au Premier ministre donne du reste un coup de chapeau explicite à cette conception de l'arbitrage puisqu'il évoque "l'existence d'un ordre juridique autonome en matière d'arbitrage international" (v. le commentaire de l'article 1511 nouveau). C'est l'une des trois visions de l'arbitrage, la plus progressiste, dont j'avais montré la cohérence dans le cours de La Haye consacré aux "aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international" et je ne peux, là encore, que m'en réjouir.

Lexbase : De manière générale, êtes-vous satisfait de cette réforme ou regrettez-vous certains aspects ?

Emmanuel Gaillard : Le régime issu du décret du 13 janvier 2011 est, à mon sens, excellent et je ne crois pas que l'on aurait pu faire beaucoup mieux. Je reste, en revanche, très préoccupé par les conséquences de l'arrêt du 17 mai 2010 rendu par le Tribunal des conflits et j'espère vivement que le législateur saura intervenir pour créer en la matière un bloc de compétence au profit des juridictions de l'ordre judiciaire, de façon à éviter le développement de deux droits français de l'arbitrage, ce qui, à terme, serait incompréhensible et donc fortement dissuasif pour l'utilisateur étranger.


(1) Rev. arb., 2006.499 avec le commentaire de J.-L. Delvolvé, Président de la Commission d'étude sur la réforme. La sous-commission chargée d'examiner les textes concernant l'arbitrage international était elle-même présidée par P. Mayer.
(2) Pour un premier commentaire, v. E. Gaillard et P. de Lapasse, Le nouveau droit français de l'arbitrage interne et international, D., 2011,153.
(3) E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international, Martinus Nijhoff, 2008.

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Avocats/Institutions représentatives

[Evénement] Rentrée du barreau de Créteil : "Et la montagne se couvrira d'or... quand les hommes oeuvreront ensemble"

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N3421BR7

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par La Rédaction

Le 04 Février 2011

C'est ce proverbe chinois qui, cette année, était le thème de la rentrée solennelle de la Conférence du barreau du Val-de-marne qui s'est déroulée le 27 janvier 2011 dans la salle des assises du palais de justice. L'occasion pour le Bâtonnier Arnauld Bernard de se plier au rituel du discours. Et, c'est avec un extrait de L'exception et la règle de Bertol Brecht, que ce dernier a donné le ton : "A une époque où règne la confusion, où coule le sang, où on ordonne le désordre, où l'arbitraire prend force de loi, où l'humanité se déshumanise, ne dites jamais : 'c'est naturel'. Afin que rien ne passe pour immuable dans la règle trouvez l'abus et partout où l'abus est montré trouvez le remède ; faites en sorte quand vous quitterez ce monde de n'avoir pas seulement été bon mais de quitter un monde bon". Face à un parterre de personnalités, le Bâtonnier est revenu sur quelques points importants touchant à la Profession. La réforme de la carte judiciaire

A l'occasion de ses voeux, le Bâtonnier a souhaité les partager avec ceux que la réforme de la carte judiciaire a laissés "au bord du chemin". Pour mémoire, 22 tribunaux de grande instance ont été supprimés au 31 décembre 2010.

Et, de citer les avocats au barreau de Riom qui sont, aujourd'hui, devenus avocats en résidence à Riom. La formule ne choquera pas les notaires que la loi du 25 ventôse de l'an XI a assignés à résidence et ce jusqu'au lendemain de la dernière guerre ! Ainsi, devaient-ils, à raison de leur qualité d'officier public et ministériel, demeurer dans ou autour de leur étude.

Aujourd'hui et par un curieux retour de l'histoire, ce sont les avocats privés de leurs TGI qui entendent, d'eux-mêmes, demeurer au plus près de leurs clients.

La situation des avocats en Tunisie

A l'instar du Conseil national des barreaux qui avait organisé une conférence de presse sur le sujet le 10 janvier 2011 (lire N° Lexbase : N1554BRY), le Bâtonnier a souligné le courage et l'abnégation des avocats tunisiens que les évènements récents n'ont pas épargnés.

Il a rappelé que "le pouvoir en place jusqu'à la fuite inespérée du président Ben Ali n'a pas hésité à tirer sur ses ressortissants, ni même à traîner au sol jusque dans les prétoires des avocats dont la seule faute fut de prendre la défense de leurs frères à la recherche de pain ou d'un emploi dans un pays qui n'était plus qu'une dictature corrompue à laquelle pourtant notre ancien Garde des Sceaux aujourd'hui chef de la diplomatie française a souhaité proposer une coopération sécuritaire".

Aide juridictionnelle

La question posée par le Bâtonnier est claire et sans équivoque : "Combien de temps pourra-t-on encore supporter l'honteux désengagement de l'Etat pour sa Justice ?"

Il a rappelé, à cet égard, une lettre du 13 janvier dernier rédigée par la Confédération nationale des avocats (CNA) et appelant à une grande coordination nationale. En effet, selon la CNA, la profession est particulièrement inquiète de l'avenir qui sera réservé à la fois à la réforme de la garde à vue et à la rémunération des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle. Le syndicat a rappelé qu'aux termes d'un protocole signé par les représentants de la profession et la Chancellerie, le 18 décembre 2000, des engagements fermes avaient été pris et n'ont jamais été tenus. A cet égard, depuis le 15 décembre 2010, de nombreux barreaux français se mobilisent et, par différents moyens d'action, interpellent les pouvoirs publics pour que les obligations de l'Etat soient respectées et que les avocats puissent dignement assister et défendre tous nos concitoyens quel que soit l'état de leur fortune. L'objectif de cette grande coordination est d'envoyer un signe fort afin de faire comprendre que tous les avocats quels que soient leur mode d'exercice, leurs spécialités, la taille de leur cabinet, sont unis pour défendre l'accès de tous à la justice et la défense pour tous d'une même notion de liberté.

Pour Arnauld Bernard, il n'est pas concevable, alors que tous les avocats s'acquittent, pour leurs clients du secteur que l'on appelle encore libre, d'un droit de plaidoirie, fût-il de 8,84 euros, que l'Etat, quant à lui, s'en affranchisse brutalement dans le cadre "hypocrite d'une loi de finances scélérate qui va donc contraindre les avocats du secteur dit assisté, à puiser dans leurs indigents émoluments, une dîme nouvelle dont une part non négligeable alimentera au surplus la compensation nationale".

Il estime qu'il y a là une incontestable rupture d'égalité.

Ainsi, selon lui le doute est permis : la profession peut-elle encore croire dans les promesses qui sont faites selon lesquelles l'Etat abondera à hauteur du différentiel de TVA les dotations que les barreaux reçoivent pour régler aux avocats les missions d'aide juridictionnelle qu'ils remplissent et dorénavant taxables à 19,60 % ? Ou, au contraire, faut-il craindre que les Ordres, sur leurs fonds propres, n'aient finalement à supporter ce différentiel ?

Garde à vue

Sujet phare du moment, le Bâtonnier de Créteil ne pouvait passer sous silence la réforme de la garde de vue actuellement en cours d'examen. Le projet de loi adopté en première lecture le 25 janvier dernier ne fait pas l'unanimité de la profession, en témoigne la motion adoptée par le barreau de Paris (lire N° Lexbase : N1767BRU). Maître Arnauld Bernard rappelle que, "malgré la victoire remportée sur le tapis vert du Conseil constitutionnel, et les coups portés à notre système de rétention d'un autre âge par les plus hautes instances juridictionnelles européennes et mêmes nationales, il s'en est fallu de peu pour que l'audition libre ne voit le jour".

Si la présence de l'avocat tout au long de la garde à vue était prochainement légalisée, se pose néanmoins la question de savoir si l'espoir d'assister à un recul du nombre de ces gardes à vues qui n'a cessé de croître ces dernières années est permis.

Dans un récent aveu à la presse, le ministre de la Justice et des Libertés déclarait viser 300 000 gardes à vue de moins. Or, le Bâtonnier relève que sur la base des chiffres connus, il en resterait donc 500 000, "chiffre encore impressionnant pour un texte qui s'annonçait avant l'été comme voulant précisément limiter cette mesure". Afin de mieux saisir la teneur du problème, il a ramené ce chiffre à l'échelle de son barreau. En 2009, le barreau du Val-de-Marne a recensé 21 617 gardes à vue pour un effectif moyen de 470 avocats. En comptant sur un groupe de défense pénale déjà fort de 140 avocats rompus à cet exercice, la moyenne s'établit à 154 gardes à vue par an et par tête soit 13 par mois ou encore plus finement 4 à 5 par semaine. Rappelant que la population pénale locale est éligible à 80 % à l'aide juridictionnelle, il soulève l'évidence que jamais ne pourra être assurer une assistance digne de ce nom sans un budget singulièrement revu à la hausse et dans des proportions qui n'auront rien à voir avec les quelques dizaines de millions d'euros proposés.

L'ouverture des tribunaux correctionnels aux jurés populaires

Lancée à l'automne dernier et appelée de ses voeux par le Président de la République, l'ouverture des tribunaux correctionnels aux jurés populaires ne fait pas, là encore, l'unanimité de la Profession. L'avocat général Philippe Bilger faisait part, il y a peu, de son impression  : cette réforme répondait à une pulsion présidentielle ; "rien de ce qui concerne la magistrature n'est profondément pensé". Concrètement, il s'agirait de tirer au sort sur les listes électorales des citoyens qui seraient associés aux magistrats de souche. Pour Arnauld Bernard, il semblerait que "nos gouvernants ou ceux qui réfléchissent pour eux n'aient réellement perdu la notion de ce que juger était un métier". Et de se demander ce que fera un juré populaire face à un dossier technique tel qu'un dossier d'espionnage industriel supposé dans lequel il faudra se prononcer sur la régularité d'une enquête privée avancée comme mode de preuve par une partie à laquelle son contradicteur opposera la réponse de la dénonciation calomnieuse et ses méandres jurisprudentiels.

D'où, face à tous ces constats, la volonté de la Profession de se retrouver au sein d'une représentation nationale suffisamment forte pour porter sa voix mais aussi comprise de sa base qui ne s'y reconnaît plus guère.

Le Bâtonnier souhaite que les consultations actuellement demandées aux Ordres aboutissent à une vraie refonte du Conseil national des barreaux qu'il appelle de ses "prières".

Et de garder l'espoir que la montagne se couvrira bientôt d'or...

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Collectivités territoriales

[Questions à...] Le maire et les propriétaires indélicats - Questions à Arnaud Le Gall, avocat spécialiste en droit public au barreau de Caen et Maître de conférences à l'Université de Caen

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N1806BRC

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 10 Mars 2011

Il arrive fréquemment que les maires se retrouvent dans des situations difficiles du fait de propriétaires qui n'entretiennent pas leur bien. La situation se complexifie encore lorsque l'identité de ces derniers n'est pas connue avec certitude où qu'il existe un doute sérieux sur la qualité de la personne qui se prévaut de ce titre. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le maire, s'il n'est pas entièrement désarmé devant ces situations, n'est pas, pour autant, en mesure de faire cesser tous les troubles qui peuvent apparaître. Le respect du droit de propriété s'impose, en effet, aux collectivités territoriales. Cette contrainte est absolument nécessaire, on ne peut qu'en convenir, mais on comprendra également, surtout lorsque le propriétaire n'est pas identifié, qu'on puisse s'agacer devant l'impuissance de l'exécutif communal, souvent d'ailleurs mal ressentie par les victimes des nuisances. Pour faire le point sur cette problématique, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Arnaud Le Gall, avocat spécialiste en droit public au barreau de Caen et Maître de conférences à l'Université de Caen. Lexbase : Dans quels cas le pouvoir de police administrative générale du maire lui permet-il d'intervenir ?

Arnaud Le Gall : Le maire peut intervenir en cas d'urgence pour faire cesser les troubles. Cette intervention doit avoir pour finalité d'assurer un des objectifs prévus à l'article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3470ICI), à savoir le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. L'article L. 2212-4 de ce code (N° Lexbase : L8694AAA) s'applique, en effet, en cas de danger grave ou imminent. Par ailleurs, le Conseil d'Etat admet l'intervention du maire sur le fondement de ses pouvoirs de police administrative générale, quelle que soit la cause du danger, en présence d'une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent (CE 4° et 5° s-s-r., 10 octobre 2005, n° 259205, Commune de Badinières N° Lexbase : A0028DLM) (1). Néanmoins, il convient d'insister sur cette condition d'urgence : les pouvoirs de police prévus à l'article L. 2212-2 sont insuffisants pour permettre au maire de faire cesser une situation latente ne présentant pas de danger immédiat mais dont les conséquences sont susceptibles d'occasionner des gênes, voire des préjudices manifestes.

Les possibilités d'intervention du maire au titre de ses pouvoirs de police administratives sont donc un peu paradoxales. Elles sont finalement très importantes au vu des décisions qu'il peut prendre dans l'urgence. En revanche, elles sont partiellement contradictoires avec l'un des aspects essentiels du pouvoir de police du maire qui recouvre, en effet, une dimension importante de prévention des troubles. L'élu se trouve donc parfois encombré par des pouvoirs qu'il peut mettre en oeuvre uniquement dans des situations que, précisément, il cherche à éviter, et que ses pouvoirs de police ne peuvent empêcher.

Lexbase : Quelles sont les dispositions législatives qui encadrent cette intervention ?

Arnaud Le Gall : On peut recenser, sans prétendre à l'exhaustivité, plusieurs dispositions législatives qui permettent à l'exécutif communal d'intervenir sur des propriétés privées en cas de carence de la part des propriétaires.

- Les articles L. 2213-30 (N° Lexbase : L8716AA3) et L. 2213-31 (N° Lexbase : L8717AA4) du Code général des collectivités territoriales permettent au maire de combattre la présence de mares ou de plan d'eau susceptibles de porter atteinte à la salubrité publique. Toutefois, le maire ne dispose pas de pouvoirs directs : dans les deux cas (les mares communales, d'un côté, et les plans d'eau et fossés à eaux stagnantes situés sur les terrains privés, de l'autre), les dispositions de ce code lui permettent seulement d'actionner le préfet qui, seul, et après enquête publique ou mise en demeure du propriétaire, peut ordonner les travaux nécessaires ou la suppression de la mare.

- La procédure d'abandon manifeste d'une parcelle est prévue aux articles L. 2243-1 (N° Lexbase : L2087G98) à L. 2243-4 du Code général des collectivités territoriales. Elle permet à la commune d'exproprier des immeubles manifestement non entretenus. Cette procédure présente, cependant, deux lacunes. D'une part, elle ne concerne que les parcelles situées à l'intérieur du périmètre d'agglomération d'une commune ce qui exclut, pour les communes rurales, une part essentielle de leur territoire. D'autre part, il s'agit d'une véritable expropriation avec toute la lourdeur et tous les coûts qu'implique cette procédure. On rappellera, en particulier, que l'acquisition forcée de l'immeuble doit avoir pour objectif, soit la construction de logements, soit tout objet d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement. Il convient, enfin, de souligner qu'il ne s'agit pas d'une procédure destinée à faire face à un péril (CE 4° et 5° s-s-r., 11 mai 2007, n° 284681, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1246DW3). Elle est donc d'application limitée.

- Les dispositions de l'article L. 151-36 du Code rural (N° Lexbase : L4023HWW) permettent aux collectivités de faire procéder à des travaux nombreux tels que ceux relatifs au curage des fossés ou au débroussaillement, mais ces travaux doivent s'inscrire dans un programme et sont, en principe, pris en charge par les personnes publiques en question. Les personnes privées concernées peuvent être appelées à contribuer au coût de ces travaux, mais elles peuvent, également, exiger l'acquisition de leur bien immobilier par la personne publique, si le montant de la participation aux travaux qui leur est demandé dépasse le tiers de la valeur du bien.

- L'article L. 322-1 du Code forestier (N° Lexbase : L9351AE3) permet au préfet, indépendamment des pouvoirs du maire, d'édicter toutes les mesures nécessaires pour prévenir et lutter contre les feux de forêt. A ce titre, il peut, notamment en cas de carence des propriétaires, faire procéder à des travaux de débroussaillage sur une distance maximale de 50 mètres autour des habitations. Toutefois, cette possibilité est réservée aux zones particulièrement exposées aux feux de forêt. Elle n'est donc pas d'application générale. Cet article permet aussi au préfet de faire procéder d'office à des travaux de nettoyage après une coupe de bois.

- L'article L. 2213-25 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8711AAU) permet, enfin, au maire, en cas d'inaction du propriétaire mis en demeure, de faire procéder d'office à certains travaux dans une perspective de protection de l'environnement. Cet article dispose que "faute pour le propriétaire ou ses ayants droit d'entretenir un terrain non bâti situé à l'intérieur d'une zone d'habitation ou à une distance maximum de 50 mètres des habitations, dépendances, chantiers, ateliers ou usines lui appartenant, le maire peut, pour des motifs d'environnement, lui notifier par arrêté l'obligation d'exécuter, à ses frais, les travaux de remise en état de ce terrain après mise en demeure. Si, au jour indiqué par l'arrêté de mise en demeure, les travaux de remise en état du terrain prescrits n'ont pas été effectués, le maire peut faire procéder d'office à leur exécution aux frais du propriétaire ou de ses ayants droit. Si le propriétaire ou, en cas d'indivision, un ou plusieurs des indivisaires n'ont pu être identifiés, la notification les concernant est valablement faite à la mairie. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article".

Chargé de l'élaboration de ce décret, le ministère de l'Ecologie, à l'occasion de plusieurs réponses à des questions parlementaires (QE n° 9678 de M. Vachet Léon, JOAN du 23 décembre 2002, p. 5076, réponse publ. 14 avril 2003, p. 2950, 12ème législature N° Lexbase : L3451IPI), a fait valoir les difficultés rencontrées quant à la définition des notions de "terrain non bâti" et de "motifs d'environnement", ainsi que le souci du respect de la propriété privée et de l'articulation avec d'autres dispositifs juridiques. Toutefois, le Conseil d'Etat a considéré que ce pouvoir de police du maire est applicable même sans décret d'application (CE 4° et 5° s-s-r., 11 mai 2007, n° 284681, précité). Le juge administratif a, également, apporté quelques précisions sur le contenu de l'expression "motifs d'environnement" : il a, ainsi, été jugé qu'une végétation abondante et vigoureuse, ainsi que la présence d'engins de chantier détériorés et abandonnés depuis de nombreuses années sur des parcelles pouvaient être considérés comme un motif d'environnement au sens de l'article L. 2213-25 précité (CAA Nancy, 1ère ch., 17 janvier 2008, n° 06NC01005 N° Lexbase : A1400D4M). Cet article demeure, cependant, insuffisant pour permettre à l'exécutif communal d'agir pour le bien commun, en particulier à cause de la condition de distance posée par le texte. Une décision ne respectant pas cette condition serait, ainsi, illégale. Cette hypothèse aurait, d'ailleurs, l'inconvénient de voir le fauteur de troubles obtenir gain de cause devant le juge administratif. Ce ne serait pas la première fois.

Lexbase : Que se passe-t-il en cas d'impossibilité d'identifier le propriétaire ?

Arnaud Le Gall : En dehors des hypothèses qui viennent d'être rappelées, et dont certaines prévoient ce cas de figure, on se trouve dans le vide juridique le plus total. La situation est d'autant plus complexe que si, en écartant le respect du droit de propriété, on peut admettre la légitimité de l'intervention publique destinée à faire cesser le trouble (mais non sa légalité puisqu'il y a violation du droit de propriété), on met à la charge de la collectivité le coût financier de l'intervention puisqu'il sera impossible de récupérer le coût des travaux sur un propriétaire inexistant. Le propriétaire non identifié n'entamera pas d'action en justice, mais il fera tout de même supporter son incurie à la collectivité.

Lexbase : Quelle est la position du juge administratif ? A-t-il développé une jurisprudence plutôt favorable à la collectivité publique ou au respect de la propriété privée ?

Arnaud Le Gall : La jurisprudence administrative sur ce sujet est finalement assez rare. Le Conseil d'Etat a estimé qu'un maire qui a été dans l'impossibilité d'obtenir l'accord des propriétaires pour faire cesser, par un autre moyen, le danger pour la santé publique que constituait une mare, peut légalement ordonner la suppression de cette dernière (CE, 25 novembre 1958, Epoux Gauthier, Rec, p. 523). La déclaration de parcelle en l'état d'abandon n'a donné lieu qu'à une jurisprudence limitée dont on ne peut pas dire qu'elle soit favorable à l'une ou l'autre partie : le juge vérifie essentiellement si les critères légaux sont remplis sans se poser en protecteur de la propriété individuelle (voir, par exemple, CAA Nancy, 1ère ch., 22 juin 2006, n° 04NC000546 N° Lexbase : A5238DQ3).

Le Conseil d'Etat a, également, estimé que les procès-verbaux provisoires et définitifs par lesquels le maire constate l'état d'abandon manifeste d'une parcelle ne constituent que de simples mesures préparatoires à la décision éventuelle du conseil municipal de déclarer cette parcelle en l'état d'abandon manifeste et de procéder à son expropriation. Ces actes ne portent, par eux-mêmes, aucune atteinte directe au droit de propriété (CE 4° et 5° s-s-r., 18 février 2009, n° 301466, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2533ED8). Le refus du maire d'appliquer la procédure prévue à l'article L. 2213-25 du Code général des collectivités territoriales est soumis au contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (CE 4° et 5° s-s-r., 11 mai 2007, n° 284681, précité). L'application de cette procédure conduit le juge administratif, là encore, à vérifier si les conditions posées par la loi ont été respectées par la collectivité, tout en ne s'érigeant pas en protecteur de la propriété privée (CAA Nancy, 1ère ch., 11 février 2010, n° 09NC00279 N° Lexbase : A9276GQM ; CAA Nancy, 1ère ch., 17 janvier 2008, n° 06NC001005 N° Lexbase : A1400D4M).

Il faut, en effet, rappeler que ce rôle est dévolu au juge judiciaire en cas de voie de fait. Or, l'intervention d'une personne publique sur une propriété privée est, par nature, susceptible de constituer une voie de fait. En effet, celle-ci implique la réunion de deux conditions : d'une part, l'atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, et, d'autre part, la réalisation manifestement insusceptible de se rattacher à ses pouvoirs. Dans le cas de figure qu'on évoque ici, la première condition est presque systématiquement remplie. La collectivité pallie la carence du propriétaire, non seulement en pénétrant de force sur le fond privé, mais, également, en agissant sur la cause des troubles, ce qui implique nécessairement bien plus qu'une simple violation de propriété. Et c'est aussi cet aspect de l'intervention qui risque de constituer également le second critère : il n'entre pas dans les attributions normales de l'administration de procéder, de force et en dehors des cas prévus par la loi, à des travaux quelconques sur des propriétés privées.

La voie de fait relève de la compétence des juridictions judiciaires qui ont tendance à avoir une conception relativement extensive de cette notion, même si le Tribunal des conflits censure les appréciations qu'il juge abusives. Le juge civil est, en effet, compétent pour assurer la réparation des préjudices, mais aussi pour faire cesser le trouble en adressant des injonctions à la personne publique. La voie de fait supprime toutes les questions préjudicielles, ce qui permet au juge judiciaire de se prononcer sur la légalité des décisions administratives en cause.


(1) Lire Ch. De Bernardinis, Vers une harmonisation des régimes de police administrative ? A propos de la démolition d'un immeuble menaçant ruine, Lexbase Hebdo du 18 janvier 2006 - édition publique (N° Lexbase : N3116AKM).

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Droit pénal fiscal

[Chronique] Chronique droit pénal fiscal - Février 2011

Lecture: 17 min

N3380BRM

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par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise

Le 02 Février 2011

Droit pénal fiscal. Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en droit pénal fiscal réalisée par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise. Cette chronique traite particulièrement du contentieux des visites domiciliaires (Cass. com., 9 novembre 2010, n° 09-17.210, F-P+B et Cass. com., 7 décembre 2010, n° 09-70.996, FS-P+B) et des sanctions susceptibles de s'appliquer dans le cadre de poursuites pénales en matière fiscale et, notamment, des personnes solidairement responsables avec le redevable au paiement de l'impôt (Cass. crim., 19 mai 2010, n° 09-83.970, FS-P+F) et de l'affichage et de la publication de la décision de condamnation (Cons. const., décision n° 2010-72/75/82 QPC, du 10 décembre 2010). I - Procédure
  • Visite et saisie domiciliaires : conditions de mise en oeuvre et appel de l'ordonnance (Cass. com., 9 novembre 2010, n° 09-17.210, F-P+B N° Lexbase : A9009GGR et Cass. com., 7 décembre 2010, n° 09-70.996, FS-P+B N° Lexbase : A9175GMR)

A - Titulaire du droit de recours contre l'ordonnance d'autorisation

Aux termes de l'article 164 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 (N° Lexbase : L7358IAR), l'article L. 16 B II du LPF (N° Lexbase : L0549IHS) prévoit les modalités du recours contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui doit mentionner les délais et voies de recours. Ainsi, l'appel, non suspensif devant le premier président de la cour d'appel territorialement compétente, contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) est ouvert à certaines personnes. Les titulaires à titre principal du recours contre l'ordonnance du JLD (les appelants) sont exclusivement l'occupant des locaux visités (domicile ou local professionnel du contribuable concerné ou tout autre lieu où les pièces et documents sont susceptibles d'êtres détenus) et l'auteur présumé des agissements dont la preuve est recherchée par la mise en oeuvre de la procédure de visite et de saisie. Aux termes même de l'instruction, cet appel contre l'ordonnance du JLD institué par la loi du 4 août 2008, ne vise qu'à contrôler la légitimité de l'atteinte au domicile subie par les personnes visitées (instruction 1er avril 2009, BOI 13 K-4-09, n° 20 et n° 21 N° Lexbase : X6048AEQ).

De même, des mesures transitoires ont été prévues dans le cadre de la loi du 4 août 2008. Ainsi, les contribuables relevant de certaines situations spécifiques peuvent faire appel contre l'ordonnance du JLD ayant autorisé la procédure de visite et de saisie. Parmi ces situations, aux termes de l'article 164 d du 1 du IV de la loi du 4 août 2008, "est concerné le contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de visite et de saisie réalisée avant le 6 août 2008 suivie d'une procédure de contrôle visée aux articles L. 10 (N° Lexbase : L4149ICN) à L. 47 A du LPF, pour laquelle des impositions ont été établies ou des rectifications ne se traduisant pas par des impositions supplémentaires (remise en cause de déficits ou de crédits de TVA) ont été effectuées et fondées à partir des éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une procédure de visite et de saisie, dès lors que ces impositions ou ces rectifications, à la date du 6 août 2008 :

- font l'objet d'une réclamation ou d'un recours contentieux devant le juge de l'impôt, à l'exception des affaires dans lesquelles des décisions sont passées en force de chose jugée (c'est-à-dire que l'arrêt de la cour administrative d'appel a été rendu) ;

- ou sont encore susceptibles de faire l'objet d'une réclamation ou d'un recours contentieux devant le juge de l'impôt (tant que les délais d'introduction des réclamations ne sont pas expirés)" (instruction du 1er avril 2009, BOI 13 K-4-09, n° 86 et n° 87).

Par un arrêt du 7 décembre 2010, la Cour de cassation a eu l'occasion de souligner qu'en application de l'article 164 IV 1 d de la loi du 4 août 2008, un appel de l'ordonnance et un recours contre les opérations de saisie peuvent être formés lorsqu'à partir d'éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une procédure de visite et de saisie, des impositions ont été établies ou des rectifications effectuées, et qu'elles sont susceptibles de faire l'objet à la date de l'entrée en vigueur de la loi, d'une réclamation ou d'un recours contentieux devant le juge.

B - Conditions de mise en oeuvre des saisies

La décision de la Chambre commerciale du 9 novembre 2010 précise que l'article L. 16 B du LPF ne soumet l'inventaire des pièces saisies par l'administration à aucune forme particulière.

Il ressort du texte même (LPF, art. L. 16 B IV) qu'"un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l'opération et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents de l'administration des impôts. Un inventaire des pièces et documents saisis lui est annexé s'il y a lieu. Le procès-verbal et l'inventaire sont signés par les agents de l'administration des impôts et par l'officier de police judiciaire ainsi que par les personnes mentionnées au premier alinéa du III ; en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal. Si l'inventaire sur place présente des difficultés, les pièces et documents saisis sont placés sous scellés. L'occupant des lieux ou son représentant est avisé qu'il peut assister à l'ouverture des scellés qui a lieu en présence de l'officier de police judiciaire ; l'inventaire est alors établi".

Les moyens invoqués par les requérants soulignaient que l'administration ne pouvait saisir que les documents de nature à apporter la preuve des agissements frauduleux dont la recherche a été autorisée par l'autorité judiciaire. En principe, il appartient au juge lui-même, saisi de la régularité des opérations, de contrôler la conformité des saisies opérées à l'objet de l'autorisation. Dans le cadre de ce contrôle, celui-ci peut, le cas échéant, être amené à ordonner la restitution des pièces ou à interdire leur utilisation lorsque celles-ci sont sans lien avec la recherche des infractions. Ainsi, le rapport entre les pièces saisies et la fraude présumée à l'origine de l'autorisation de mettre en oeuvre le droit de visite et de saisie se révèle un élément fondamental du déclenchement de la procédure. Pour ce faire, l'article L. 16 B IV du LPF exige qu'un inventaire des pièces et documents saisis soit établi. Cet inventaire, signé par les agents de l'administration des impôts et par l'officier de police judiciaire ainsi que par l'occupant des lieux, son représentant ou les témoins, est annexé au procès-verbal des opérations. L'inventaire peut être différé jusqu'à ouverture des scellés lorsque, en raison des difficultés de l'inventaire sur place, les pièces et documents ont été placés sous scellés.

Ce document revêt une importance particulière puisque l'original est, dès qu'il est établi, adressé au juge qui a autorisé la visite et qu'une copie est remise à l'occupant des lieux ou à son représentant (LPF, art. L. 16 B V). Le motif de ces obligations repose essentiellement sur la volonté d'éviter toute confusion quant à l'origine des pièces et toute manipulation. Une copie est également adressée représentant par lettre recommandée avec avis de réception à l'auteur présumé des infractions visées. L'article L. 16 B du LPF ne soumet l'établissement de l'inventaire des pièces et documents saisis à aucune forme particulière. Dès 1998, la Chambre commerciale avait eu l'occasion de préciser que l'inventaire est régulier, dès lors que l'ensemble des documents appréhendés, s'ils ont été regroupés dans des chemises sous des titres divers, ont été compostés individuellement et par page par les agents de l'administration habilités à cet effet (Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-30.076 N° Lexbase : A7783CXK). Ainsi, la Cour de cassation n'impose pas la mention, une par une, des pièces objets de l'inventaire de saisie. Elle a, par ailleurs, précisé qu'un document non inventorié n'est pas de nature à vicier la saisie des autres pièces (Cass. com., 12 janvier 1999, n° 97-30.031 N° Lexbase : A8699AHN).

L'administration ne peut appréhender que les documents se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie domiciliaire. Toutefois, il ne lui est pas interdit de saisir des documents, pour partie, utiles à la preuve des agissements retenus (Cass. com., 12 novembre 1996, n° 94-13.943 N° Lexbase : A2057CSY).

Dans la décision du 9 novembre 2010, il était question de se s'interroger sur la précision de l'acte d'inventaire rédigé. Selon la Haute juridiction, l'article L. 16 B du LPF ne soumet pas l'inventaire à une forme particulière. L'inventaire en cause regroupait, sous des titres divers, les documents qui avaient été tous individuellement identifiés à l'aide d'un composteur et ainsi l'inventaire apparaissait comme suffisamment précis.

Il convient, malgré tout, d'analyser le procès verbal d'inventaire, puisque dans le cadre d'une contestation relative à la régularité des opérations, le requérant qui soutient que la saisie effectuée n'a pas respecté le principe de proportionnalité par rapport au but poursuivi, découlant de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (droit au respect de la vie privée et du domicile N° Lexbase : L4798AQR), doit préciser les pièces dont l'appréhension aurait conféré à la saisie un caractère massif et indifférencié prohibé par ce texte. Même si le juge n'a pas à rechercher si les inventaires étaient suffisamment précis ni, le cas échéant, à les faire préciser, il devra, s'il en est saisi, s'interroger sur le caractère disproportionné des saisies (Cass. com., 2 juillet 1996, n° 93-20.725 N° Lexbase : A3859CLI ; Cass. com., 8 février 2000, n° 98-30.103 N° Lexbase : A5772CPH).

A ce stade, il convient de souligner la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, précisant que l'ingérence dans le domicile dans le cadre d'une visite domiciliaire, doit demeurer proportionnée au but poursuivi et être exempte de tout excès (CEDH, 29 novembre 1993, Req. 86/1991/338/411 N° Lexbase : A6546AWD et CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334/407 N° Lexbase : A6542AW9). Les opérations relatées dans le procès-verbal de clôture ne doivent pas dépasser le cadre fixé par l'ordonnance d'autorisation (CEDH, 16 octobre 2008, Req. 10447/03 N° Lexbase : A7387EAT).

II - Sanctions

Au-delà des peines principales susceptibles d'être prononcées dans le cadre du délit de fraude fiscale, le législateur a prévu, également, des sanctions complémentaires comme la publication et l'affichage du jugement. Par ailleurs, la poursuite du délit peut comporter à l'égard des personnes condamnées d'autres conséquences comme la solidarité.

A - Peines complémentaires : affichage et publication du jugement

  • QPC : les modalités de publication et d'affichage du jugement de fraude fiscale déclarées contraires à la Constitution (Cons. const., décision n° 2010-72/75/82 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7111GMC)

Le Conseil constitutionnel vient de déclarer contraire à la Constitution l'article 1741, alinéa 4, du CGI (N° Lexbase : L1670IPK). Aux termes de cet article, "le tribunal ordonnera dans tous les cas la publication intégrale ou par extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l'affichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile ainsi que sur la porte extérieure de l'immeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables. Les frais de la publication et de l'affichage dont il s'agit sont intégralement à la charge du condamné".

Nous avions, déjà, eu l'occasion de souligner qu'il s'agissait d'une question prioritaire de constitutionnalité transmise par un jugement du tribunal correctionnel de Vienne en date du 29 juin 2010, dans la procédure suivie du chef de fraude fiscale. La Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question suivante (Cass. crim., 5 octobre 2010, n° 10-90.097, F-D N° Lexbase : A3909GBE) : "Les dispositions de l'article 1741, alinéa 4, du Code général des impôts portent-elles atteinte aux principes de la nécessité et de l'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) en ce qu'elles imposent, de manière automatique, la publication et l'affichage aux frais du condamné, d'un éventuel jugement de condamnation, sans que le juge ait expressément prononcé une telle peine complémentaire au regard des circonstances propres à l'espèce ?".

Après avoir rappelé que le principe d'individualisation des peines découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, en ce que "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires [...]", le juge constitutionnel souligne qu'en instituant une peine obligatoire de publication et d'affichage du jugement de condamnation pour des faits de fraude fiscale, l'article 1741 du CGI, en son alinéa 4, vise à renforcer la répression de ce délit en assurant à cette condamnation la plus large publicité. En effet, le tribunal ordonne dans tous les cas la publication intégrale ou par extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l'affichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile ainsi que sur la porte extérieure de l'immeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables. Il s'agit, là, d'une peine complémentaire obligatoire, le juge étant tenu d'ordonner la publication et l'affichage sans en fixer la durée prévue par le texte (Cass. crim., 23 février 1972, n° 71-90.912 N° Lexbase : A6568CI4, Bull. crim., 1972, p. 173, n° 73 ; Cass. crim., 17 novembre 1976, n° 75-90.564 N° Lexbase : A9149CHC, Bull. crim., 1976, p. 838, n° 329).

C'est justement sur cette obligation faite au juge d'ordonner, d'une part, la publication du jugement de condamnation au Journal officiel et, d'autre part, l'affichage du jugement sans varier ni la durée de l'affichage fixée à trois mois, ni les modalités de celui-ci, que le juge constitutionnel constatera l'atteinte portée au principe d'individualisation des peines en déclarant contraire à la Constitution cette disposition. La faculté qu'avait le juge prononçant la sanction de décider d'une publication et d'un affichage de façon intégrale ou par extraits a été considérée comme insuffisante au respect des exigences découlant du principe d'individualisation des peines.

Pour la doctrine, l'individualisation de la peine doit intégrer des mesures de resocialisation afin de prévenir toute rechute dans la criminalité (cf. Marc Ancel, La défense sociale nouvelle, 3ème éd., Cujas, 1981), la pièce maîtresse de ce dispositif d'individualisation est la création du juge de l'application des peines, chargé de suivre le délinquant après sa condamnation. Dans cette perspective les articles 132-21 du Code pénal (N° Lexbase : L3759HGC) et 702-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9382IE9) prévoient que les juges aient la faculté de relever en tout ou partie les condamnés des interdictions, déchéances, incapacités ou mesures de publication résultant de leur condamnation sans être tenus de motiver leur décision par des motifs spéciaux (Cass. crim., 13 janvier 1992, n° 91-83.219 N° Lexbase : A3180CSL). L'article 702-1 du Code de procédure pénale prévoit que les mesures de publication et d'affichage sont susceptibles d'être relevées, le contribuable devant présenter sa demande sur ce dernier fondement. A ce stade, il convient de souligner que l'individualisation de la sanction doit non seulement être prise en compte lors de son exécution, mais également au stade du prononcé de la peine. Le juge doit pouvoir tenir compte des circonstances très diverses comme l'âge du délinquant, de sa qualité de récidiviste ou de délinquant primaire, de son état d'esprit ou encore des mobiles qui ont poussé l'individu à agir.

Quelle que soit l'école de pensée, positiviste ou de défense sociale nouvelle, la réaction de la collectivité contre le délinquant ne repose nullement sur des considérations morales. Si l'utilité de la sanction domine, il conviendra au juge du fond de s'interroger sur l'impact de la fraude au regard du caractère informationnel de l'affichage et de la publication sans considération infamante. Par exemple, une fraude relative à un montage carrousel en matière de TVA susceptible d'entraîner la participation de tiers à leur insu, nécessiterait une large infirmation. Dans d'autres cas, la publication et l'affichage ne comporterait qu'un caractère infamant s'éloignant du respect de la personne et du principe de légalité et de nécessité de l'intervention judiciaire. Ainsi, quelle que soit la conception adoptée, le juge doit avoir la faculté de prononcer ou non la peine complémentaire.

B - Obligation solidaire pour le paiement des droits fraudés

  • Fraude fiscale : principe de solidarité soulevé en appel (Cass. crim., 19 mai 2010, n° 09-83.970, FS-P+F N° Lexbase : A0239EZU)

La décision rendue par la Chambre criminelle, le 19 mai 2010, relative à une fraude fiscale classique en matière de TVA par minoration du chiffre d'affaires déclaré, mérite d'être soulignée à double titre. Elle confirme, dans un premier temps, sans ambiguïté, la nature juridique de cette sanction pour ensuite préciser l'impact de l'action de l'administration fiscale. En effet, la Chambre criminelle affirme que la solidarité prévue par l'article 1745 du CGI (N° Lexbase : L1736HNM) est une mesure à caractère pénal qui peut être prononcée par la cour d'appel même en l'absence d'appel de l'administration fiscale. Ainsi la cour d'appel justifie sa décision qui, sur les seuls appels du ministère public et du prévenu infirmant le jugement ayant relaxé partiellement ce dernier et limité la solidarité au montant de la fraude retenue, déclare le prévenu coupable de tous les faits de fraude fiscale visés à la prévention et dit qu'il sera solidairement tenu, avec le redevable légal de l'impôt, au paiement de l'ensemble des impôts.

Sur cette sanction qui n'avait pas été clairement définie, les auteurs y voyaient une voie d'exécution supplémentaire accordée à l'administration en cas de faute pénale.

Elle constitue une mesure pénale et non pas une réparation civile. La confusion trouvait son origine dans le caractère particulier des poursuites par l'administration fiscale. La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que "la constitution de partie civile devant les juridictions correctionnelles, dans les poursuites exercées pour les infractions visées au CGI, fondée sur les dispositions de l'article L. 232 du LPF (N° Lexbase : L2500HZM), permet à l'administration des impôts de suivre la procédure et d'y intervenir dans l'intérêt du fisc, mais ne lui ouvre pas le droit de demander, pour la réparation du préjudice causé au Trésor public par la fraude, une réparation distincte de celle qui est assurée par les majorations et amendes fiscales" (Cass. crim., 17 avril 1989, n° 88-81.189 N° Lexbase : A8489CHU).

Selon l'article 1745 du CGI, tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741 (N° Lexbase : L1670IPK), 1742 (N° Lexbase : L1734HNK) ou 1743 (N° Lexbase : L1735HNL) du CGI, peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes.

Les personnes tenues par la solidarité édictée par l'article 1745 du CGI sont tous les auteurs, coauteurs ou complices d'une même infraction qui ne sont pas le redevable légal de l'impôt fraudé, en l'espèce il s'agissait du gérant d'une SARL. La Cour de cassation a, d'ailleurs, eu l'occasion de préciser que, lorsque le redevable légal de l'impôt fraudé est une personne morale, la solidarité n'est encourue par le dirigeant poursuivi pénalement que dans la mesure où ce dernier avait la direction de la société au sein de laquelle la fraude fiscale a été perpétrée (Cass. crim., 6 avril 1987, n° 85-96.581 N° Lexbase : A0042AAS, Bull. crim., n° 157, p. 425). Il va de soi que la solidarité ne peut être prononcée si le prévenu a cessé ses fonctions au moment des faits poursuivis (Cass. crim., 2 mars 1987, n° 85-93.947 N° Lexbase : A6799AA3, Bull. crim., n° 101, p. 277). De même, l'administration ne peut exercer les droits découlant de la solidarité pour le recouvrement des impôts fraudés et des pénalités y afférentes que si cette solidarité a été ordonnée par le juge pénal dans le cadre d'une condamnation devenue définitive prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 du CGI (Cass. crim., 8 décembre 1980, n° 79-94.929 N° Lexbase : A8500AX4, Bull. crim., 1980, p. 868, n° 337). Les travaux préparatoires de la loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959 (N° Lexbase : L3443IP9), d'où est issu l'article 1745 du CGI, mentionne que seul le juge pénal peut décider s'il y a lieu de déclarer le prévenu, solidaire pour le paiement de l'impôt fraudé et des pénalités. Le juge répressif apprécie souverainement et de manière autonome la solidarité issue de l'article 1745 du CGI (Cass. crim., 22 décembre 1986, n° 85-91.140 N° Lexbase : A6784AAI, Bull. crim., 1986, p. 998, n° 382 ; Cass. crim., 10 juin 1987, n° 86-94.488 N° Lexbase : A8419AA3, Bull. crim., 1987, p. 653, n° 239 ; Cass. crim., 16 novembre 1992, n° 91-83.504 N° Lexbase : A4277CUX). En effet, l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la décision pénale, ne fait pas obstacle à ce que le juge pénal déclare, sur le fondement de l'article 1745 du CGI, le dirigeant de fait solidairement responsable du paiement des impôts et pénalités et cela même si le prévenu ne pouvait pas être solidairement tenu, sur le fondement de l'article L. 267 du LPF (N° Lexbase : L0567IHH).

Sur le caractère purement pénal des poursuites en matières de fraude fiscale, la jurisprudence en a déduit qu'en l'absence de recours du ministère public, l'administration fiscale est sans qualité pour remettre en cause ce qui a été jugé sur l'action publique et que, par voie de conséquences, sont irrecevables ses appels d'ordonnance de non-lieu, de jugements de relaxe, ses pourvois d'arrêts de non-lieu ou de relaxe (en dernier lieu, Cass. crim., 16 juin 2010, n° 09-86.536 N° Lexbase : A5071E8C). Au regard de la solidarité issue de l'article 1745 du CGI, il avait été jugé (Cass. crim., 18 septembre 2002, n° 01-87.824 N° Lexbase : A9642AZ7, Bull. crim., n° 168), qu'elle ne pouvait être prononcée par les juridictions répressives qu'à la requête de l'administration fiscale, partie civile, créant un doute supplémentaire sur la nature juridique de la disposition.

Dans l'affaire "Manzoni", seuls le prévenu et le ministère avaient interjeté appel du jugement de condamnation qui avait rejeté la demande de solidarité émanant de l'administration fiscale. La cour d'appel avait à son tour prononcé la solidarité, mais la Cour de cassation a censuré cette décision en soulignant que les juges ne pouvaient pas réformer les dispositions d'un jugement au profit de l'administration qui n'apparaissait pas en appel.

Sur cette base, le demandeur au pourvoi de la décision commentée en a logiquement déduit, sur le fondement des articles 509 (N° Lexbase : L3901AZI) et 515 (N° Lexbase : L3906AZP) du Code de procédure pénale, qu'en l'absence de recours de cette administration, la solidarité ne pouvait être étendue au-delà de ce qu'avaient retenu les juges du tribunal correctionnel. La décision rendue le 19 mai 2010 contrecarre la position initialement admise en soulignant que la solidarité énoncée à l'article 1745 du CGI est une mesure pénale pouvant être prononcée par le juge répressif indépendamment de toute demande ou de tout recours de l'administration fiscale.

Dans le cadre de ce caractère pénal, il convient de souligner que le juge du fond dispose d'un pouvoir souverain d'appréciation pour prononcer la solidarité demandée par l'administration fiscale sans avoir à motiver spécialement cette décision (Cass. crim., 6 avril 1987, n° 85-96.581 N° Lexbase : A0042AAS, Bull. crim., 1987, p. 425, n° 157 ; Cass. crim., 10 juin 1987, n° 86-94.488 N° Lexbase : A8419AA3, Bull. crim., 1987, p. 653, n° 239). En revanche, et conformément au principe issu de l'article 480-1 ancien du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3881AZR) selon lequel, il ne peut y avoir condamnation solidaire que pour un même délit ou des délits connexes, la solidarité de l'article 1745 du CGI, ne peut être prononcée pour des faits distincts (Cass. crim., 10 janvier 1973 N° Lexbase : A8573CGM, n° 71-93.351, Bull. crim., 1973, p. 36, n° 14).

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Fonction publique

[Doctrine] Le manquement à l'obligation de réserve constaté à l'égard du gendarme ne justifiait pas une radiation des cadres

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 338461, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7698GPS)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 04 Février 2011

Chef d'escadron de la gendarmerie nationale, M. X est, également, docteur en science politique et chercheur associé au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP). La double appartenance à des composantes différentes de l'Etat et du secteur public n'est pas susceptible, a priori, de faire naître des conflits d'intérêts mais il semble aujourd'hui qu'il soit très difficile d'être militaire et chercheur à la fois, lorsque l'on souhaite parler de ce que l'on connaît. Deux conceptions de la fonction publique s'opposent ici : l'une privilégiant l'obligation de réserve, l'autre ce que l'on peut qualifier de "devoir de parler" (1). L'intéressé a fait, jusqu'à la décision commentée, l'objet de plusieurs épisodes contentieux. La première affaire concerne un blâme prononcé le 7 février 2002 après la publication d'un article tirant les enseignements de la grogne des gendarmes à la fin de l'année 2001 (2). La même année, M. X publie une étude sur une expérience de commandement par objectifs réalisée dans une compagnie de gendarmerie, analysant, notamment, les effets des choix de management. L'auteur est ensuite sollicité par différents médias pour revenir sur son analyse. Il reçoit le jour même l'ordre verbal de ne plus communiquer avec les médias, puis est sanctionné par un blâme pour "avoir, sans autorisation de sa hiérarchie, accordé des entretiens à plusieurs médias nationaux à propos de sujets sensibles d'actualité, tels ceux se rapportant à la lutte contre la délinquance" (3). M. X saisit aussitôt le Conseil d'Etat d'une demande de référé-liberté, puis de référé-suspension qui sont toutes les deux rejetées (4). Les recours pour excès de pouvoir formés par l'intéressé contre l'ordre verbal, qualifié de mesure d'ordre intérieur, et contre le refus du ministre d'accueillir son recours administratif échouent également (5). Le blâme est, en revanche, annulé pour vice de procédure (6). Saisissant la Cour européenne des droits de l'Homme, M. X invoque l'article 10 de la Convention (N° Lexbase : L4743AQQ) à l'encontre de l'interdiction de communiquer avec les médias. Tout en rappelant que "l'article 10 ne s'arrête pas aux portes des casernes", la Cour prend en considération le caractère limité de l'interdiction de communiquer avec les médias et considère que les propos tenus par M. X peuvent "porter atteinte à la crédibilité [du] corps militaire, et à la confiance du public dans l'action de la gendarmerie elle-même" (7). A la suite d'une nouvelle critique de la politique du Gouvernement en matière de gendarmerie nationale lors d'interventions à la radio puis dans un éditorial publié en novembre 2007, il reçoit l'injonction de respecter son devoir de réserve puis un nouveau blâme en décembre 2007, pour "manquement à son obligation de discrétion professionnelle et à son devoir de réserve". M. X demande une nouvelle fois l'annulation de la sanction, annulation, une nouvelle fois, rejetée (8). A la suite de la rédaction d'un énième article dans lequel il critiquait la politique gouvernementale de rattachement de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur (9), le Président de la République l'a radié des cadres par mesure disciplinaire par un décret du 12 mars 2010. Le juge des référés du Conseil d'Etat a, le 30 mars 2010 (10), rejeté la demande de suspension de l'exécution de ce décret mais, le 29 avril 2010, les sages du Palais-Royal ont partiellement suspendu le décret, en tant que celui-ci avait eu pour effet de priver l'intéressé de sa rémunération et de la jouissance de son logement de fonction (11).

Tranchant définitivement le litige dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat reconnaît au fond, dans un premier temps, le caractère fautif des propos tenus par M. X, car les interventions médiatiques reprochées au gendarme "excédaient les limites que les militaires doivent respecter en raison de la réserve à laquelle ils sont tenus à l'égard des autorités publiques". Ces propos critiquaient, en effet, "directement la politique d'organisation des deux grands services français dédiés à la sécurité publique au moment même où celle-ci était en débat devant le Parlement". Il écarte comme causes exonératoires, d'une part, le "rang modeste dans la hiérarchie militaire" que l'officier occupe et, d'autre part, l'invocation par le requérant de sa deuxième casquette de chercheur car cette qualité de "collaborateur à des travaux du CNRS", avec l'accord de sa hiérarchie, ne lui "confère pas le statut de chercheur et ne lui permet, en tout état de cause, pas de se prévaloir de la liberté d'expression reconnue aux universitaires".

Toutefois, dans un second temps, relève le Conseil d'Etat, la sanction prononcée -la plus lourde- était "manifestement disproportionnée", eu égard aux propos tenus "qui expriment une critique de fond présentée comme une défense du corps d'appartenance de l'intéressé et formulée en termes mesurés, sans caractère polémique" et aux états de service du requérant ("excellente manière de servir"). Le Conseil d'Etat mentionne expressément que l'autorité disciplinaire avait à sa disposition "un éventail de sanctions de natures et de portées différentes", notamment la possibilité de prendre, au sein même du troisième groupe de sanctions, une mesure de "retrait d'emploi allant jusqu'à douze mois" en vertu des dispositions de l'article L. 4138-15 du Code de la défense (N° Lexbase : L2612HZR).

Cet épilogue à la troisième affaire était attendu, compte tenu de la suspension des effets les plus dommageables (privation de rémunération et obligation de libérer le logement de fonction) de cette décision prononcée en avril 2010 (12). Mais on attendait peut-être plus de la part du Conseil d'Etat dans l'exercice et l'intensité du contrôle opéré, notamment dans le contrôle de l'adéquation de la faute à la sanction prononcée où le juge s'est, jusqu'à présent, toujours limité au contrôle de la disproportion manifeste et où il n'a jamais explicitement consacré le contrôle normal d'une sanction infligée à un agent public (II). La décision relance aussi le débat récurrent sur la liberté d'expression des militaires, l'absence de liberté collective d'expression et le caractère plus que limité de la liberté individuelle d'expression étant de plus en plus aujourd'hui sujettes à caution (I).

I - Une décision qui relance le débat sur la liberté d'expression des militaires

La décision du Conseil d'Etat reconnaît une faute du gendarme dans l'insoumission d'ordre intellectuel. La question se pose pourtant aujourd'hui de savoir si celle-ci constitue nécessairement une menace pour la discipline militaire. Si le Conseil d'Etat a répondu par l'affirmative, cette limite excessive à la liberté d'expression individuelle des militaires apparaît, néanmoins, de moins en moins justifiée (A), d'autant plus si on fait le parallèle avec le fait que les modes d'expression collectifs ne sont toujours pas reconnus (B).

A - Des limites excessives à la liberté d'expression individuelle qui apparaissent de moins en moins justifiées

M. X a contesté, avec d'autres chercheurs, le rapprochement entre police et gendarmerie au motif, d'une part, qu'il serait fondé uniquement sur des raisons gestionnaires et, d'autre part, qu'il mènerait à la disparition programmée de la gendarmerie sans qu'on le dise ouvertement, alors que celle-ci offrirait aux citoyens une meilleure protection de "proximité". Pour le Conseil d'Etat, c'est une critique directe de la politique d'organisation des deux grands services français dédiés à la sécurité publique, au moment même où celle-ci était en débat devant le Parlement. Cette critique excède les limites que les militaires doivent respecter en raison de la réserve à laquelle ils sont tenus à l'égard des autorités publiques et est, ainsi, de nature à justifier le prononcé de l'une des sanctions disciplinaires prévues par les articles L. 4137-1 (N° Lexbase : L2593HZ3) et L. 4137-2 (N° Lexbase : L6134IAG) du Code de la défense. La circonstance qu'il occuperait un rang modeste dans la hiérarchie militaire ne saurait en aucun cas l'exonérer de sa responsabilité quant aux propos ainsi tenus.

Peu importe, de même, la qualité que le militaire a pu revendiquer pour justifier ses propos. L'intéressé a signé l'article en qualité de chercheur associé au CNRS. Pour le Conseil d'Etat, cette "association" n'est pas en mesure de le protéger contre les mesures disciplinaires dès lors que son rattachement statutaire, à titre principal, reste à la gendarmerie. La circonstance qu'il collabore, avec l'accord de sa hiérarchie, à des travaux du CNRS ne lui confère pas le statut de chercheur et ne lui permet pas de se prévaloir de la liberté d'expression reconnue aux universitaires. Un chercheur associé peut donc être sanctionné pour le contenu du résultat de ses recherches. Et avec lui, de fait, l'ensemble de ses collaborateurs, ainsi que le laboratoire d'accueil s'il y a absence de respect des règles afférentes au statut principal.

Si l'obligation de réserve a un caractère plus ou moins flou et présente certains dangers pour les libertés, la question se pose de savoir si une telle critique, publiquement exprimée, constitue un manquement à l'obligation de réserve. La thèse de la faute disciplinaire découle de ce que le statut de militaire (à savoir le Code de la défense) impose une limitation drastique de la liberté d'expression au nom du principe de subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil. Le nouveau statut des militaires français issu de la loi du 24 mars 2005 (loi n° 2005-270, portant statut général des militaires N° Lexbase : L1292G8D) est fréquemment présentée comme libéralisant l'expression des militaires. Pourtant, derrière la suppression de l'autorisation préalable requise auparavant pour les militaires souhaitant aborder des questions politiques ou internationales, les mécanismes verrouillant toute expression critique des militaires sont maintenus et même renforcés, grâce à la mise en place de nouvelles sanctions disciplinaires (13). L'expression individuelle reste tributaire de l'autolimitation des militaires et du risque de sanctions encouru par ceux qui s'expriment. Les débats sur la Défense nationale restent d'ailleurs rares et les militaires y contribuent peu, le faisant le plus souvent dans des revues spécialisées ou sous couvert d'anonymat. L'insoumission d'ordre intellectuel constitue-t-elle nécessairement une menace pour la discipline militaire ? La question des limites du devoir de réserve reste entière en la matière, tant la jurisprudence se fait rare. Il est donc peut-être temps de changer les logiques retenues au sein des armées sur ces questions.

B - Des modes d'expression collectifs qui ne sont toujours pas reconnus

A défaut de liberté individuelle d'expression, la liberté d'expression collective doit-elle être accordée aux militaires ? L'examen du droit interne apporte une réponse négative à cette question même si une majorité de la doctrine, s'appuyant, notamment, sur le contexte européen, appelle à une évolution. Malgré les règles contraires en la matière, certains militaires se sont constitués en associations de défense de leurs intérêts ce qui a permis au Conseil d'Etat de rappeler, par deux arrêts, l'interdiction faite à des militaires d'adhérer à des groupements professionnels (14), cette adhésion contrevenant par son existence même à l'article L. 4121-4 du Code de la défense (N° Lexbase : L2546HZC). La doctrine adversaire de l'interdiction (15) s'appuie classiquement sur plusieurs arguments juridiques.

D'abord, certaines armées étrangères, notamment européennes (comme en Allemagne ou au Royaume-Uni), ont acquis le droit de se syndiquer. Ensuite, une référence aux textes fondamentaux est constamment mise en avant, comme par exemple, l'alinéa 6 du préambule à valeur constitutionnelle de la Constitution du 27 octobre 1946 qui dispose que "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix". De même, l'article 11, alinéa 1er, de la CESDH (N° Lexbase : L4744AQR) stipule que "toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres les syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts". Enfin, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) à laquelle le Traité de Lisbonne a conféré pleine valeur juridique garantit le droit syndical dans son article 12, alinéa 1er.

Pour autant, la spécificité du métier des armes et les nuances des textes emportent la conviction aujourd'hui. L'atteinte à l'unité et à la neutralité de l'armée, comme le risque permanent de remise en cause de la discipline prédominent. L'adhésion à des syndicats ou à des groupes professionnels ne peut être reconnu en France, dès lors que ceux-ci ont la grève pour mode d'action principal. Le juge administratif a pu considérer, de même, que la liberté syndicale est "un principe général du droit qui s'exprime dans le préambule constitutionnel [et qui] peut être mis en échec par la loi" (16). Les arguments européens sont, également, à nuancer par des régimes dérogatoires qui trouvent à s'appliquer aux forces armées (17). Au final, pourtant, l'expression du mécontentement des gendarmes montre aujourd'hui que ces équilibres ne sont pas suffisants. Le rôle du supérieur hiérarchique et des organes de concertation, déjà prévus par le statut de 1972, est certes confirmé par le statut de 2005 mais, comme peut le noter Hafida Belrhali-Bernad, "si les revendications et critiques ne peuvent s'exprimer de manière adéquate ni par la voie hiérarchique, ni à travers les organes de concertation, quelle soupape de sécurité permettra d'éviter que le mécontentement ne conduise à de nouvelles manifestations collectives ?" (18).

II - Une décision qui relance le débat sur l'instauration d'un contrôle normal des sanctions disciplinaires des agents publics

La jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière s'articule, pour l'essentiel, autour du contrôle restreint de la disproportion manifeste (A) et c'est en ce sens qu'a jugé le Conseil d'Etat en l'espèce, mais, de par l'extension de l'intensité du contrôle des sanctions dans des domaines voisins, la pression se fait aujourd'hui de plus en plus forte pour un passage vers le contrôle normal des sanctions disciplinaires des agents publics (B).

A - Une limitation toujours perceptible au contrôle de la disproportion manifeste

Le statut général de la fonction publique énumère, pour chacune des fonctions publiques, le tableau des sanctions réparties en quatre groupes présentés dans un ordre de gravité croissant allant du simple blâme à la révocation. Toutefois, cette échelle des sanctions est d'une utilité réduite puisqu'elle ne fixe qu'un plancher et un plafond entre lesquels la liberté d'appréciation de l'administration reprend toute sa place. En la matière, c'est la jurisprudence "Lebon" (19) et la technique de l'erreur manifeste d'appréciation qui est appliquée par le juge afin de juguler les distorsions inévitables entre les manquements des agents publics à leurs obligations et les sanctions infligées. Mais la question se pose de savoir quelle est l'effectivité de ce contrôle juridictionnel.

Le juge administratif censure l'erreur manifeste d'appréciation de l'administration uniquement pour les sanctions les plus graves, c'est-à-dire essentiellement celles qui mettent définitivement un terme à la carrière de l'agent public comme la révocation ou le licenciement. Le contrôle exercé par le juge administratif en matière de sanction disciplinaire dans la fonction publique n'est pas à proprement parler un contrôle de proportionnalité, mais plutôt un contrôle de "disproportionnalité". Il ne s'agit pas de vérifier si la sanction prononcée est celle qui correspond le mieux aux faits reprochés à l'agent, mais seulement de s'assurer qu'elle n'est pas inadaptée et que son degré de sévérité présente un caractère raisonnable au regard des circonstances de l'espèce. La technique de l'erreur manifeste apparaît bien comme un contrôle de disproportionnalité et, par un arrêt du 1er février 2006, le Conseil d'État a consacré ce glissement terminologique en jugeant qu'une exclusion définitive du service d'un commissaire de police stagiaire n'était pas "manifestement disproportionnée" (20).

Après avoir, semble-t-il, sérieusement envisagé de passer à un contrôle normal de la gravité des mesures disciplinaires, le Conseil d'État a finalement renoncé dans l'immédiat à une telle évolution au travers de l'arrêt de 2006 précité. Le juge semble exprimer la même prudence et les mêmes doutes à s'immiscer encore un peu plus dans ce que l'on pourrait appeler la "vie intime" des services, spécialement quand cela touche des services comme celui des armées. Sur ce point, l'argument selon lequel le juge de la légalité n'est pas celui de l'opportunité semble toujours d'actualité. De son côté, si le droit européen ne peut s'accommoder de l'absence de tout contrôle juridictionnel, il n'oblige pas pour autant à passer à un contrôle normal. Le juge communautaire n'exerce, de plus, qu'un contrôle restreint sur les sanctions disciplinaires infligées à l'encontre d'agents relevant du statut des fonctionnaires communautaires. Il y a enfin des raisons plus pratiques. L'administration peut d'abord se sentir sous surveillance renforcée du juge et pourrait être définitivement découragée de se lancer dans l'aventure toujours incertaine d'une procédure disciplinaire. Inversement, la mansuétude dont font preuve les organismes de recours dans la fonction publique territoriale et hospitalière pourrait être mise à mal par le juge et les agents feraient, ainsi, les frais d'un contrôle a priori plus protecteur mais finalement devenu plus exigeant (21). Sensible à tous ces éléments, le Conseil d'Etat a donc renoncé au contrôle normal, se contentant du recours à la notion de disproportion manifeste et la substituant à celle d'erreur manifeste, mais dont chacun sait qu'en pratique il ne comporte aucun changement notable dans le travail du juge.

B - Une pression de plus en forte pour un passage au contrôle normal

Il peut sembler opportun d'élever le degré de contrôle du choix de la sanction disciplinaire par l'autorité hiérarchique aujourd'hui. Dans l'affaire du 1er février 2006, le commissaire du Gouvernement identifiait plusieurs raisons susceptibles de justifier le passage à un entier contrôle. L'extension d'un contrôle juridictionnel est d'abord de nature à apporter toujours plus de garanties à ses bénéficiaires et de contribuer, ainsi, à l'amélioration de l'Etat de droit. Par ailleurs, le contrôle du juge n'est jamais figé et, dans d'autres domaines, il est possible d'observer que le contrôle restreint s'est transformé au fil du temps en un contrôle normal même dans certains domaines sensibles (22). Enfin, l'extension du contrôle aurait pu s'inscrire dans l'évolution générale qui se dessine auprès des juridictions constitutionnelle et européenne d'exercer en matière de sanction un contrôle de proportionnalité (23).

Il faut noter, de même, que le choix du degré de contrôle ne repose pas sur des considérations "théoriques" (technicité de la question, caractère sensible de la matière ou encore caractère indéterminé de la notion à mettre en oeuvre), mais bien davantage sur "la liberté du juge administratif". Comme peut le noter Charles Vautrot-Schwarz, "le choix du degré de contrôle n'est aucunement dicté par l'absence ou non de pouvoir discrétionnaire de l'administration ; ce n'est pas non plus la liberté de qualification dont dispose l'administration qui inspire le choix du degré de contrôle : il l'est par rien d'autre que la volonté du juge" (24). En effet, l'audace d'hier est, dans certains cas, au moins devenue aujourd'hui une forme de timidité dans le contexte actuel où les pouvoirs du juge administratif ont été considérablement renforcés et où les exigences des justiciables, stimulées par celles du droit européen, militent pour un contrôle toujours plus approfondi.

Le mouvement est, ainsi, particulièrement spectaculaire en matière de contrôle des sanctions. Il y a d'abord tout un contexte jurisprudentiel qui a fait basculé le contentieux des sanctions infligées par des autorités publiques du champ de l'excès de pouvoir à celui du plein contentieux (25). De même, on voit désormais de plus en plus mal comment justifier que le juge administratif exerce un contrôle entier sur les sanctions infligées par l'administration aux professionnels (26), aux élus (27) ou encore aux sportifs (28), mais pas à ses agents.

Il est difficile de lutter indéfiniment contre le sens de l'évolution jurisprudentielle, la jurisprudence "Lebon" souffrant d'ailleurs déjà d'une récente exception signalée dans ces colonnes (29), où le Conseil d'Etat opère un contrôle entier sur une sanction infligée à un magistrat du Parquet en jugeant que le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, n'a pas, en infligeant une révocation sans suspension des droits à pension, prononcé "une sanction disproportionnée". Le contentieux des sanctions prononcées par l'administration ne cesse donc d'évoluer. Outre l'immense apport de la jurisprudence du 16 février 2009 (30) qui fait du contentieux des sanctions prononcées à l'encontre des administrés un contentieux de pleine juridiction, les autres types de sanctions semblent commencer à bénéficier d'un contrôle plus approfondi de la part du juge de l'excès de pouvoir. Il est, dès lors, tentant d'en conclure que l'abandon de la jurisprudence "Lebon" n'est plus qu'une question de temps même si, en l'espèce, le Conseil d'Etat reste encore sur ses acquis.


(1) Cf. O. Beaud, "Obligation de réserve ou devoir de parler ? Deux conceptions de la fonction publique", AJDA, 2010, p. 865.
(2) Le juge des référés du Conseil d'Etat rejette la demande de suspension de cette sanction en considérant qu'en l'absence de circonstances particulières, la décision infligeant un blâme à un fonctionnaire civil ou militaire ne constitue pas une situation d'urgence : CE, 22 mars 2002, n° 244321 (N° Lexbase : A7454AYQ), AJDA, 2002, p. 531, note M.-C. de Montecler, et CE, 19 mai 2004, n° 245107 (N° Lexbase : A2108DC3).
(3) Le statut des militaires exigeait, en effet, avant la réforme de la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005, portant statut général des militaires (N° Lexbase : L1292G8D) (JO, 26 mars 2005, p. 5098), une telle autorisation lorsqu'un militaire souhaitait s'exprimer sur des questions politiques ou d'ordre international (article 7 de la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires N° Lexbase : L6498AGR) (JO, 14 juillet 1972, p. 7430).
(4) L'ordonnance du 5 février 2003 rejette sa demande de suspension de l'ordre verbal en l'absence de toute atteinte manifestement illégale à la liberté d'expression. Sa demande de référé-suspension est, également, rejetée par une ordonnance du 19 mars 2003 en l'absence d'urgence et d'atteinte manifestement illégale à la liberté d'expression, "compte tenu des obligations qui s'imposent aux militaires" (CE référé, 5 février 2003, n° 253871 N° Lexbase : A9689EX7, LPA, 3 novembre 2003, p. 4, chron. D. Roman, et CE référé, 19 mars 2003, n° 254524 N° Lexbase : A9708EXT).
(5) CE 7° s-s., 7 juin 2006, n° 275601 (N° Lexbase : A8339DPK).
(6) CE 2° et 7° s-s-r., 10 novembre 2004, n° 256573 (N° Lexbase : A8938DDE).
(7) CEDH, 15 septembre 2009, Req. 30330/04 (N° Lexbase : A1847EXP), AJDA, 2009, p. 2484.
(8) A cet égard, M. X expérimente la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité en invoquant la violation de l'article 11 de la DDHC (N° Lexbase : L1358A98) par l'article 4 du nouveau statut général des militaires relatif au devoir de réserve. Cependant, n'étant pas présenté dans un mémoire distinct après le 1er mars 2010, le moyen est irrecevable. De plus, le Conseil d'Etat rejette la requête en annulation en considérant, notamment, que "les interventions médiatiques reprochées [...] excédaient, par leur nature et leur tonalité, les limites que les militaires doivent respecter en raison de la réserve à laquelle ils sont tenus à l'égard des autorités publiques" (CE 2° et 7° s-s-r., 9 avril 2010, n° 312251, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5657EU3, AJDA, 2010, p. 763).
(9) J.-H. Matelly, Ch. Mouhanna et L. Mucchielli, La gendarmerie enterrée, à tort, dans l'indifférence générale, (CNRS, CESDIP), sur le site rue89. Il avait, également, participé le lendemain à une émission de radio sur le même sujet.
(10) CE référé, 30 mars 2010, n° 337955 (N° Lexbase : A5746EUD).
(11) CE référé, 29 avril 2010, n° 338462, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7844EWG).
(12) Ibid..
(13) Sont instituées, notamment, de nouvelles sanctions pécuniaires, comme l'abaissement temporaire ou définitif d'échelon. Voir le nouveau régime des sanctions applicables aux militaires (article 40 et suivants de la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005, précitée).
(14) CE 2° et 7° s-s-r., 26 septembre 2007, n° 263747 (N° Lexbase : A5995DYP), AJFP, 2008, p. 87 ; CE Contentieux, 11 décembre 2008, n° 307403 (N° Lexbase : A7042EBG), n° 307405 (N° Lexbase : A7043EBH) et n° 306962 (N° Lexbase : A7040EBD), DA, 2009, comm. n° 42, S. Damarey.
(15) Voir en sens, notamment, les articles de M. D. Charlier-Dagras, Vers le droit syndical des personnels militaires ?, RDP, 2003, p. 1073, M. Ciavaldini et J. Millet, Liberté d'expression collective des militaires : état du droit et développements jurisprudentiels récents, AJDA, 2009, p. 961, ou encore, J.-H. Mattely, L'incertaine liberté critique du militaire, AJDA, 2005, p. 2156.
(16) CE, sect., 1er décembre 1972, n° 80195 (N° Lexbase : A1393B7Q), Rec. CE, p. 751.
(17) L'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000 (N° Lexbase : L8117ANX), sur la portée des droits, stipule que "dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui", ce qui permet d'autoriser dans chacun des Etats membres des limitations au droit d'association des militaires. De même, l'alinéa 2 de l'article 11 de la CESDH (N° Lexbase : L4744AQR) stipule que "l'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat".
(18) H. Belrhali-Bernad, Suspension partielle de la radiation d'un chef d'escadron de gendarmerie, DA, juillet 2010, n° 7, comm. n° 113.
(19) CE, sect., 9 juin 1978, n° 5911 (N° Lexbase : A2843AI7), Rec. CE, p. 245, AJDA, 1978, p. 573, concl. B. Genevois.
(20) CE, sect., 1er février 2006, n° 271676 (N° Lexbase : A6404DM7), Rec. CE, p. 38, JCP éd. A, 2006, act. 1369, DA, 2006, comm. 45, LPA, 27 juillet 2006, p. 11, note B. Leplat.
(21) Pour l'ensemble de ces éléments, lire D. Jean-Pierre, Les trente ans de la jurisprudence Lebon, JCP éd. A, 2008, n° 2147, et les conclusions du commissaire du Gouvernement sous l'arrêt 1er février 2006 précité.
(22) Voir, pour le cas de la police des publications étrangères, CE, sect., 9 juillet 1997, n° 151064 (N° Lexbase : A0766AE4), Rec. CE, p. 300.
(23) Lire Les trente ans de la jurisprudence Lebon, précitée.
(24) Ch. Vautrot-Schwarz, La qualification juridique en droit administratif, LGDJ, 2009, p. 508.
(25) CE, Ass., 16 février 2009, n° 274000, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2581EDX), RFDA, 2009, p. 259, concl. C. Legras ; TA Strasbourg, 25 juin 2009, AJDA, 2009, p. 2356, concl. M. Bilocq.
(26) CE Contentieux, 22 juin 2007, n° 272650 (N° Lexbase : A8587DWX), Rec. CE, p. 263, concl. M. Guyomar.
(27) CE 2° et 7° s-s-r., 2 mars 2010, n° 328843, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1656ETI), DA, mai 2010, n° 5, comm. n° 82, F. Melleray.
(28) CE 2° et 7° s-s-r., 2 mars 2010, n° 324439, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6450ESP), AJDA, 2010, p. 664, chron. S.-J Liéber et D. Botteghi, DA, mai 2010, n° 5, comm. n° 82, F. Melleray.
(29) CE 1° et 6° s-s-r., 27 mai 2009, n° 310493 (N° Lexbase : A3389EHY), DA, 2009, comm. 104 et lire nos obs., La consécration de l'exercice d'un contrôle normal du juge administratif sur le choix de la sanction infligée à un magistrat du Parquet, Lexbase Hebdo n° 8 - édition professions (N° Lexbase : N0494BQD).
(30) CE, Ass., 16 février 2009, n° 274000, précité.

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[Questions à...] Condamnation d'un internaute pour téléchargement illégal : première requête devant la Cour européenne des droits de l'Homme - Questions à Maître Nicolas Gallon, Avocat à la cour d'appel de Montpellier

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N1803BR9

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 04 Février 2011

Avant l'entrée en vigueur des lois "HADOPI" (loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet N° Lexbase : L3432IET et loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009, relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet N° Lexbase : L8862IEX), le téléchargement illégal sur internet n'était appréhendé juridiquement que dans le cadre du délit de contrefaçon dont le régime répressif a pu sembler bien souvent disproportionné, le "délinquant" pouvant être condamné à trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende et à verser des dommages-intérêts à la victime (C. prop. intell., art. L. 335-2 N° Lexbase : L1781H3D et s.). C'est sur ce fondement qu'un internaute français a été condamné à deux reprises par les juridictions françaises, en 2008 et 2009, pour avoir téléchargé 13 788 fichiers musicaux et vidéo par l'intermédiaire de logiciels peer-to-peer. Toutefois, considérant que sa condamnation ne respectait pas certains principes consacrés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, il a formé, le 30 novembre 2010, une requête devant la Cour de Strasbourg. Il s'agit là d'une première, puisque la Cour européenne des droits de l'Homme n'avait jusque-là jamais été saisie en ce sens par un justiciable français. Pour faire le point sur cette affaire et nous éclairer sur la requête formée devant la CEDH, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré l'avocat à l'origine de cette procédure, Maître Nicolas Gallon, Avocat à la cour d'appel de Montpellier, qui accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Pouvez-vous nous exposer les faits ayant conduit à la condamnation de votre client par les juridictions répressives françaises ?

Nicolas Gallon : Mon client a été poursuivi pour avoir, courant 2005, représenté ou diffusé des oeuvres de l'esprit sur internet par l'intermédiaire de logiciels dits de "peer-to-peer". Il s'agissait plus précisément de fichiers musicaux ou vidéo, en nombre conséquent puisque les poursuites faisaient état de 13 788 fichiers.
Dans un premier temps, il a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Nîmes, la procédure ayant abouti à une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et à une ordonnance du 18 juin 2005 qui, sur l'aspect pénal a condamné mon client à une amende de 5 000 euros assortie de sursis. A la suite de cette condamnation, le tribunal a renvoyé l'affaire sur les intérêts civils devant le tribunal correctionnel. La SACEM s'est, alors, constituée partie civile et a demandé la réparation de son préjudice, dans la mesure où plusieurs titres téléchargés étaient des fichiers musicaux. Elle a obtenu gain de cause par une décision du tribunal correctionnel de Nîmes du 3 juillet 2007 et mon client a été condamné à lui verser 1 000 euros en réparation du préjudice matériel et 500 euros en réparation de son préjudice moral ; il a également été condamné à publier, bien sûr à ses frais, un communiqué relatif à sa condamnation dans deux journaux ou magazines au choix de la SACEM.
Toutefois, cette dernière, insatisfaite de cette condamnation, a interjeté appel. La cour d'appel de Nîmes, le 9 mai 2008 (CA Nîmes, 9 mai 2008, n° 08/00411 N° Lexbase : A7406GQD), a confirmé la condamnation et l'a augmentée, puisqu'elle a accordé 6 894 euros à la SACEM à titre de dommages-intérêts pour le préjudice matériel, évalué en fonction du nombre de fichiers téléchargés (0,50 euros par fichier). Cette condamnation est acquise et définitive mais n'a, pour l'instant, jamais été exécutée par mon client qui n'a jamais eu de demandes en ce sens de la part de la SACEM.

Lexbase : Une procédure a été initiée en parallèle par une autre société de gestion des droits d'auteur...

Nicolas Gallon : Tout à fait ! Il s'agissait plus précisément de la SDRM. Alors que la SACEM a pour fonction de collecter les droits au bénéfice des auteurs en ce qui concerne la représentation de l'oeuvre, c'est-à-dire sa communication au public, la SDRM collecte les sommes au titre de la reproduction de l'oeuvre c'est-à-dire lorsque celle-ci est éditée sur un CD, par exemple, ou bien sur un disque dur, comme c'était le cas dans l'espèce qui nous intéresse. La SDRM est donc intervenue en faisant citer mon client devant le tribunal correctionnel de Nîmes, citation qui a donné lieu à un jugement du 27 juin 2008. Précisons, cela est important, que la SDRM présentait les mêmes demandes que la SACEM, à savoir la réparation de son préjudice matériel, évalué par elle à 0,50 euros par fichier téléchargé, soit 6 894 euros au total et 1 000 euros au titre de son préjudice moral. Mais, cette fois, les juges ont débouté la société de gestion des droits. En effet, le tribunal correctionnel de Nîmes a estimé que l'action publique était éteinte, compte tenu du fait que mon client, le prévenu, avait déjà fait l'objet d'une condamnation, celle qui avait pour origine la plainte de la SACEM, et qu'en application tant du principe non bis in idem que de celui de l'autorité de la chose jugée, la SDRM ne pouvait venir réclamer pour les mêmes faits une nouvelle condamnation.
Mais, la SDRM a interjeté appel de cette décision et la cour d'appel de Nîmes lui a donné raison le 25 juin 2009 (CA Nîmes, 25 juin 2009, n° 09/00555 N° Lexbase : A7407GQE). Elle a condamné mon client à l'indemniser à hauteur des mêmes sommes qu'avait obtenues la SACEM, à savoir 6 894 euros pour le préjudice matériel et 500 euros pour le préjudice moral.
Un pourvoi en cassation a été formé contre cet arrêt. La Cour de cassation a déclaré ce pourvoi irrecevable par arrêt du 1er juin 2010.

C'est dans ce contexte que nous avons formé un recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

Lexbase : Sur quel fondement juridique votre client a-t-il été condamné en 2008 et 2009 ?

Nicolas Gallon : Les deux condamnations ont été prononcées sur la base du délit de contrefaçon. Pour être plus précis, dans le premier cas, c'est-à-dire le contentieux initié par la SACEM, mon client a été condamné pour contrefaçon par représentation d'oeuvres de l'esprit, la cour ayant considéré qu'il avait communiqué les oeuvres sans l'accord des ayants-droit, cette communication ayant été réalisée par la mise à disposition des fichiers via des logiciels de peer-to-peer en laissant libre accès au disque dur de son ordinateur. Aujourd'hui tout cela est bien connu !
Dans le second cas, il s'agissait d'une contrefaçon par reproduction, c'est-à-dire par la fixation matérielle de l'oeuvre par tous procédés permettant de la communiquer au public d'une manière indirecte, à savoir, ici, l'enregistrement des fichiers sur le disque dur.

Lexbase : Vous avez donc déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Quelles violations des dispositions conventionnelles invoquez-vous ?

Nicolas Gallon : C'est en l'état de l'épuisement des voies de recours internes que nous avons en effet saisi, le 30 novembre 2010, la Cour européenne des droits de l'Homme d'une requête se fondant sur la violation par l'Etat français des articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 7 (N° Lexbase : L4797AQQ) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et de l'article de 4 § 1 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
Reprenons, si vous le voulez bien chacun de ces trois points.

Concernant, d'abord, l'article 6, relatif au droit à un procès équitable, la violation de cette disposition tient au fait que ni la SACEM, ni la SDRM n'ont rapporté la preuve qu'elles étaient titulaires de droits sur les fichiers téléchargés. Je m'explique. La SACEM et la SDRM sont des sociétés de gestion collective auxquelles les auteurs concèdent une partie de leur droit en y adhérant. Cette adhésion les investit donc de droits sur les oeuvres. Elles ont dès lors vocation à percevoir des rémunérations au titre de l'utilisation de ces oeuvres et sont fondées à poursuivre en justice les contrefacteurs.
Dans notre affaire, je vous rappelle que mon client a été condamné pour avoir téléchargé 13 788 fichiers et donc contrefait autant d'oeuvres de l'esprit. Or, ni la SDRM, ni la SACEM n'ont rapporté la preuve qu'elles étaient titulaires des droits pour chaque fichier téléchargé, c'est-à-dire que l'auteur de chaque morceau musical était l'un de leurs adhérents. J'en conviens, cela aurait été un travail titanesque ; néanmoins, c'est à celui qui invoque la violation d'un droit de rapporter la preuve du bien fondé et de la recevabilité de sa demande si elle est contestée, ce que ni la SACEM, ni la SDRM ne sont jamais parvenues à faire.

Revenons, ensuite, sur la violation de l'article 7 de la CESDH, qui pose le principe de "légalité des délits et des peines" selon lequel une personne ne peut être condamnée que si au moment où elle a commis les faits, une infraction clairement et précisément définie pénalisait ces faits. Ce deuxième point est, à mon sens, le plus intéressant.
Rappelez-vous que les faits reprochés à mon client datent de juillet 2005. Or à cette époque, aucune disposition législative, ni aucune jurisprudence claire et précise ne prévoyait que le téléchargement dans le cadre du peer-to-peer était illégal. En 2005, nous étions en effet en plein débat et donc en pleine incertitude, tant au niveau de la doctrine que de la jurisprudence, pour déterminer le régime juridique du téléchargement. Les interrogations portaient, plus précisément, sur la question de savoir si le "téléchargeur" pouvait bénéficier de l'exception de copie privée, laquelle autorise un particulier à représenter ou reproduire une oeuvre de l'esprit, ici un fichier musical, sans solliciter l'autorisation des ayants-droit et donc sans s'acquitter de droits, à partir du moment où l'utilisation de l'oeuvre demeure dans le cadre familial (C. prop. intell., art. L. 122-5 N° Lexbase : L3573IE3). Les partisans du téléchargement invoquaient cette disposition et leurs arguments ont même recueilli l'assentiment de certains juges, comme l'illustre, par exemple, un jugement du tribunal correctionnel de Rodez du 13 octobre 2004 (TGI Rodez, 13 octobre 2004, n° 914/2004 N° Lexbase : A4692DIM), confirmé par la cour d'appel de Montpellier le 10 mars 2005 (CA Montpellier, 3ème ch., 10 mars 2005, n° 04/01534 N° Lexbase : A2722DHB), qui a relaxé un téléchargeur sur ce fondement. La Cour de cassation ne s'est prononcée sur ce sujet que le 30 mai 2006 (Cass. crim., 30 mai 2006, n° 05-83.335, F-D N° Lexbase : A9562DPT), soit une année après la commission des faits, arrêt dans lequel elle subordonne l'exception de copie privée à la licéité de la source, et conclut de facto qu'elle ne peut s'appliquer au téléchargement peer-to-peer.
Donc, au moment où les faits litigieux ont été commis par mon client, il existait une véritable controverse juridique sur l'appréhension juridique et pénale du téléchargement. Dès lors, on doit considérer qu'en mai 2005, il n'existait pas de disposition légale ou de jurisprudence claire et précise répondant à la condition d'accessibilité et de prévisibilité posée par l'article 7 de la CESDH.

Enfin, la dernière disposition invoquée est l'article 4 § 1 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme qui consacre la règle non bis in idem.
Comme je vous l'exposais précédemment, mon client a été condamné, dans un premier temps, dans le cadre d'une CRPC pour contrefaçon. La SACEM s'est dès lors constituée partie civile et a obtenu sa condamnation par le tribunal correctionnel de Nîmes, confirmée par la cour d'appel. Puis, dans un second temps, la SDRM a fait citer mon client devant le tribunal correctionnel aux fins de le voir condamné une nouvelle fois pour contrefaçon pour les mêmes faits. Elle a formulé à ce titre des demandes de dommages et intérêts. Le tribunal correctionnel l'a débouté de l'intégralité de ses demandes en application du principe de l'autorité de la chose jugée. Toutefois, la cour d'appel a infirmé ce jugement et fait droit aux demandes de la SDRM.
D'ailleurs, avant que la cour d'appel ne fasse droit aux demandes de la SDRM et condamne en termes identiques mon client, le tribunal correctionnel de Nîmes avait estimé que l'action publique était éteinte, compte tenu du fait qu'il avait déjà fait l'objet d'une condamnation. Il s'agit donc à l'évidence d'une deuxième condamnation qui intervient pour les mêmes faits et qui constitue dès lors une atteinte au principe non bis in idem.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le salarié mis à disposition, membre de l'effectif sans être électeur ?

Réf. : Cass. soc., 19 janvier 2011, n° 10-60.296, F-P+B (N° Lexbase : A2991GQT)

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N3364BRZ

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 03 Février 2011

En 2007, la Chambre sociale de la Cour de cassation jugeait que "les travailleurs mis à disposition d'une entreprise, intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue [...] sont à ce même titre, électeurs aux élections des membres du comité d'entreprise ou d'établissement et des délégués du personnel" (1). Déjà remise en cause par l'article 3 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (2), cette identité de fondement est définitivement mise en cause par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 janvier 2011. En jugeant que l'intégration des salariés mis à disposition dans l'effectif doit être maintenue et produire toutes conséquences alors même que le salarié mis à disposition a fait le choix de voter dans son entreprise d'origine (I), la Chambre sociale assume clairement la dissociation entre appartenance à la collectivité de travail de l'entreprise et qualité d'électeur (II).
Résumé

Les règles de l'article L. 1111-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3822IB8) déterminent les salariés pris en compte dans l'effectif d'une entreprise pour toutes les dispositions de ce code qui se réfèrent à une condition d'effectif. Les salariés mis à disposition qui remplissent ces conditions doivent être comptabilisés pour déterminer si le seuil de onze salariés qui impose l'organisation d'élections des délégués du personnel est franchi, peu important que ces salariés aient choisi d'être électeurs dans l'entreprise qui les emploie.

Commentaire

I - La place des salariés mis à disposition dans la communauté de travail

  • Les salariés mis à disposition : généralités

Le cas des salariés mis à disposition par une entreprise extérieure dans une entreprise dite utilisatrice a fait l'objet d'une véritable "saga" judiciaire et législative (3), dont le dernier acte majeur paraît avoir été dressé par la loi du 20 août 2008 (4).

La loi prend acte d'une décision du Conseil constitutionnel qui avait jugé contraire au droit de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail (5) la volonté du législateur d'exclure purement et simplement les salariés mis à disposition de l'effectif de l'entreprise utilisatrice, sauf à démontrer l'existence d'un lien de subordination juridique (6). Les conditions pour comptabiliser un salarié mis à disposition dans l'effectif et pour qu'il soit électeur ou éligible aux élections professionnelles, sont donc désormais arrêtées.

  • L'intégration des salariés mis à disposition à l'effectif de l'entreprise d'accueil

La loi du 20 août 2008 a ainsi modifié l'article L. 1111-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3822IB8) dont le 2° dispose que "les salariés mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure, qui sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an [...] sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents". Ce critère de présence dans les locaux de l'entreprise depuis au moins un an matérialise l'idée plus générale d'intégration étroite et permanente à la communauté de travail (7).

La règle est relativement simple d'application, même si quelques questions ont déjà pu se poser à son sujet. Ainsi, par exemple, la Chambre sociale a-t-elle dû préciser que sont exclus de l'effectif les salariés qui ne sont pas mis à la disposition exclusive de l'entreprise utilisatrice mais travaillent indifféremment pour plusieurs entreprises (8).

Une circulaire de la Direction générale du travail a, enfin, indirectement apporté une précision d'importance en disposant que, si l'ensemble des conditions sont réunies, les salariés mis à disposition doivent être comptabilisés tant dans l'effectif de l'entreprise d'accueil que dans celui de l'entreprise d'origine (9).

Les règles relatives à l'électorat ou l'éligibilité ont également été redessinées par la loi du 20 août 2008.

  • Le droit d'option électorale du salarié mis à disposition

Pour l'essentiel, le régime de l'électorat et de l'éligibilité des salariés mis à disposition est aujourd'hui établi par les articles L. 2314-18-1 (10) (N° Lexbase : L3815IBW) et L. 2324-17-1 (11) (N° Lexbase : L3756IBQ) du Code du travail.

Pour être électeur aux élections des délégués du personnel ou du comité d'entreprise, le salarié mis à disposition doit, d'abord, remplir les conditions établies par l'article L. 1111-2 du Code du travail, c'est-à-dire être comptabilisé dans l'effectif de l'entreprise utilisatrice. Il doit, ensuite, avoir été présent dans l'entreprise utilisatrice depuis douze mois de manière continue, ce délai étant porté à vingt-quatre mois lorsque le salarié entend être candidat aux élections.

Enfin, et surtout, le second alinéa de chacun de ces textes impose au salarié mis à disposition de faire un choix. Le salarié bénéficie d'une véritable option électorale puisqu'il peut choisir, selon des critères et des modalités qui n'ont pas été établies par le texte (12), entre voter dans son entreprise d'origine ou voter dans l'entreprise utilisatrice (13).

Si le salarié appartient à l'effectif de l'entreprise utilisatrice, qu'il remplit la condition d'ancienneté et qu'il fait le choix de la représentation électorale de cette entreprise, il perd alors la faculté de voter dans son entreprise d'origine quoique, rappelons-le, il persiste à être comptabilisé dans les effectifs de celle-ci.

Si la question, posée dans ce sens, paraît donc relativement claire, elle l'est beaucoup moins lorsque l'on inverse les termes du problème. Ainsi, lorsque le salarié fait le choix de voter dans son entreprise utilisatrice, doit-il continuer à être comptabilisé dans les effectifs de l'entreprise utilisatrice ? C'est à cette question que devait répondre la Chambre sociale de la Cour de cassation.

  • L'espèce

Une union locale CGT avait demandé l'organisation d'élections des délégués du personnel à un syndicat de copropriétaires. L'union locale soutenait que l'effectif de la résidence gérée par le syndicat comptait au moins onze salariés puisqu'elle employait huit salariés et que six autres étaient mis à disposition par une entreprise extérieure pour le service de la cuisine.

Face au silence du syndicat de copropriétaires, l'union locale saisit le tribunal d'instance de Nice pour demander l'organisation de ces élections. Quelques semaines après l'introduction de cette demande, les salariés mis à disposition furent transférés à une nouvelle entreprise de restauration qui avait repris le marché de la cuisine de la résidence. A l'occasion de ce transfert, quatre des salariés mis à disposition indiquèrent par écrit leur volonté de voter pour les institutions représentatives de leur nouvel employeur.

Les juges d'instance décidèrent que le seuil d'effectif de onze salariés avait bien été atteint, tant le 6 avril 2010, date d'introduction de la demande, qu'après le transfert des salariés. Ils condamnèrent ainsi le syndicat de copropriétaires à organiser les élections. Le syndicat introduisit un pourvoi en cassation (14).

Par un arrêt rendu le 19 janvier 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Au soutien de son argumentation, la Cour rappelle d'abord la règle tirée de l'article L. 1111-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3822IB8) aux termes duquel les salariés mis à disposition dans l'entreprise sont pris en compte dans l'effectif à condition d'y être présent depuis plus de douze mois. Jugeant que cette règle générale en matière d'effectif s'applique "pour toutes les dispositions de ce code qui se réfèrent à une condition d'effectif", la Cour en déduit que c'est bien ce mode de calcul qui doit être utilisé pour déterminer, conformément à l'article L. 2312-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2535H9R), si le seuil de onze salariés imposant l'organisation d'élections de délégués du personnel est atteint, peu important que certains d'entre eux aient choisi d'être électeurs dans l'entreprise qui les emploie comme le leur permet l'article L. 2314-18-1 du même code (N° Lexbase : L3815IBW).

II - La dissociation entre qualité d'électeur et prise en compte dans l'effectif

  • Une dissociation justifiée sur le plan technique

Techniquement, la décision est justifiée à au moins deux points de vue.

Le premier tient à la place que la recodification a entendu donner au calcul de l'effectif dans le Code du travail. Consacrer à cette question le chapitre inaugural du code n'était pas seulement question de symbole (15). Les recodificateurs ont, en effet, entendu voir les règles du calcul de l'effectif s'appliquer uniformément à toutes les situations juridiques dans lesquelles l'effectif a une importance. Au-delà de l'affaire sous examen, c'est donc dans toute matière que les salariés mis à disposition devront être comptabilisés, de l'effectif imposant l'organisation d'élections aux exigences liées à un plan de sauvegarde de l'emploi, ou, encore, à l'exigence de l'élaboration d'un règlement intérieur (16). La rédaction de l'article L. 1111-2 du Code du travail ne laisse d'ailleurs aucune place au doute puisqu'il dispose que les règles édictées par ce texte s'appliquent "pour la mise en oeuvre des dispositions du présent code". Il était donc fort logique que les salariés mis à dispositions soient pris en compte pour déterminer si était atteint le seuil de onze salariés impliquant l'organisation d'élections des délégués du personnel (17).

Le second, plus technique, tient aux conditions dans lesquelles l'option électorale du salarié mis à disposition est mise en oeuvre. En effet, la lecture des textes permet de se persuader que l'appartenance à l'effectif de l'entreprise utilisatrice est une condition sine qua non de la faculté d'exercer cette option.

Pour avoir la faculté d'exercer cette option, le salarié doit, selon les termes de l'article L. 2214-18-1, alinéa premier, remplir une "condition de présence dans l'entreprise utilisatrice de douze mois continu". En outre, le même texte précise que l'option ouverte par le second alinéa ne peut s'exercer que si le salarié remplit "les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 1111-2". En somme, si le salarié a bénéficié d'une option entre voter aux élections de l'entreprise utilisatrice et voter aux élections de l'entreprise d'origine, c'est précisément parce qu'il était pris en compte dans l'effectif de l'entreprise utilisatrice. L'argument se retourne alors contre l'auteur du pourvoi qui arguait, justement, que l'exercice de cette option évinçait le salarié mis à disposition de l'effectif de l'entreprise utilisatrice alors même que cette option est en réalité conditionnée par l'appartenance à l'effectif.

Si les arguments textuels inclinent donc à saluer la décision de la Chambre sociale, encore convient-il de s'interroger sur ses fondements théoriques pour pleinement s'en satisfaire.

  • Une dissociation justifiée sur le plan théorique

L'idée qui sous-tendait l'argumentation du demandeur au pourvoi paraît, de prime abord, pleine de bon sens. Le salarié, qui fait le choix de voter dans son entreprise d'origine, s'identifie par cet acte à la collectivité de travail de l'entreprise d'origine pour renier son appartenance à l'entreprise utilisatrice (18). Comme le rappelait Madame Pécaut-Rivolier (19), le concept de "collectivité de travail" n'a pas été évincé par la Cour de cassation, ce malgré les précisions apportées par le législateur aux critères permettant de caractériser l'appartenance à l'effectif de l'entreprise utilisatrice (20).

L'argument doit, néanmoins, être confronté aux fondements, d'une part, de l'intégration du salarié dans l'effectif de l'entreprise utilisatrice et, d'autre part, du bénéfice de l'option électorale. L'intégration à l'effectif de l'entreprise répond effectivement à une idée d'intégration dans une communauté de travail. Au contraire, le fondement de l'option électorale tient, comme l'avait relevé le Conseil constitutionnel, à "éviter ou [à] restreindre des situations de double vote" et constitue justement une exception aux effets de l'intégration à la communauté de travail (21). L'existence de fondements différents justifie alors un traitement différent.

Il est vrai, cependant, que cette décision a pour effet secondaire de dissocier la situation d'appartenance à l'effectif et celle d'électeur ou d'éligible aux élections de l'entreprise. Pour autant, il est certain qu'une telle dissociation existe dans d'autres domaines, sans d'ailleurs que personne se soit jamais ému de cette dissociation. Cela est notamment le cas, depuis bien longtemps, des salariés engagés par contrat de travail à durée déterminée en vue de remplacer un salarié absent. Techniquement, ces salariés ne sont pas comptabilisés dans l'effectif puisque les salariés qu'ils remplacent demeurent partie intégrante de l'effectif (22). Malgré tout, il est de jurisprudence constante qu'ils sont électeurs lorsque sont organisées les élections professionnelles (23). A l'inverse, un salarié engagé depuis moins de trois mois dans une entreprise sera bien comptabilisé dans l'effectif de l'entreprise (24) alors même qu'il ne pourra être ni électeur, ni éligible faute d'une ancienneté suffisante (25).


(1) Cass. soc., 28 février 2007, n° 06-60.171, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4007DUX) ; RDT, 2007, p. 229, note M.-L. Morin ; D., 2007, pan., note J. Pélissier.
(2) Article 3 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Articles 3 et 4 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : élections professionnelles, Lexbase Hebdo n° 317 du 10 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9823BGW).
(3) Pour une présentation précise et détaillée de cette évolution, v. Y. Pagnerre, G. Saincaize, L'intégration des salariés mis à disposition : nouvelles conditions, nouveaux effets, JCP éd. S, 2009, 1368.
(4) Article 3 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, préc..
(5) Alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L1356A94).
(6) Cons. const., 28 décembre 2006, n° 2006-545 DC, loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social, cons. 28 (N° Lexbase : A1487DTA), cons. 31.
(7) On doit ce concept au Conseil constitutionnel, Cons. const., 28 décembre 2006, n° 2006-545 DC, préc., cons. 29. Il fut ensuite repris à son compte par la Cour de cassation, Cass. avis, 15 janvier 2007, n°007 0002 P (N° Lexbase : A1648GRH), Bull. civ., avis, n° 1 ; Cass. soc., 28 février 2007, n° 06-60.171 (N° Lexbase : A4007DUX).
(8) Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.367, FS-P+B (N° Lexbase : A0686EWC) ; Dr. soc., 2010, p. 720, obs. L. Pécaut-Rivolier.
(9) Circulaire DGT n° 20 relative à la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et du temps de travail (N° Lexbase : L8532IBM), Fiche n° 7, Décompte des effectifs, in fine. Cette interprétation n'en demeure pas moins très contestable car elle implique que l'on puisse être en permanence intégré dans deux communautés de travail différentes... Les salariés mis à disposition auraient donc le don d'ubiquité...
(10) Pour les élections à la délégation du personnel.
(11) Pour les élections au comité d'entreprise.
(12) Présentant quelques réflexions sur ce sujet, v. Y. Pagnerre, G. Saincaize, L'intégration des salariés mis à disposition : nouvelles conditions, nouveaux effets, préc..
(13) La Cour de cassation a eu l'occasion d'apporter une première précision au fonctionnement de ce droit d'option en jugeant que le choix du salarié s'effectue au moment où sont organisées les élections dans l'entreprise utilisatrice, peu important qu'il ait pu voter aux élections précédemment organisées dans son entreprise d'origine. V. Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.400, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7362EXX).
(14) Rappelons à cet égard que les décisions du tribunal d'instance en matière de contentieux électoral sont rendues en premier et dernier ressort, si bien que le pourvoi en cassation constitue l'unique recours envisageable. V. s'agissant des élections des délégués du personnel C. trav., art. R. 2314-27 (N° Lexbase : L0405IAA).
(15) L'histoire tout entière du droit du travail s'inscrit dans une logique de seuils. Ainsi, par exemple, la loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants, considérée comme la première loi moderne du travail, limitait son application aux manufactures de plus de vingt ouvriers.
(16) Il serait aussi fastidieux qu'inutile de rechercher, ici, l'ensemble des dispositions du Code du travail dont l'application est conditionnée par un seuil d'effectif.
(17) L'importance des règles issues de l'article L. 1111-2 du Code du travail est telle que le Conseil d'Etat a jugé qu'il s'agissait là d'une règle d'ordre public à laquelle les partenaires sociaux ne peuvent donc pas déroger. V. CE 1° et 6° s-s-r., 23 décembre 2010, n° 332493, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7023GNG).
(18) La Cour de cassation semblait, d'ailleurs, faire du critère d'intégration étroite et permanente à la communauté de travail une exigence commune à la comptabilisation dans l'effectif et à la faculté d'être électeur dans l'entreprise utilisatrice. V. Cass. soc., 28 février 2007, n° 06-60.171, préc..
(19) Madame Pécaut-Rivolier est conseiller référendaire à la Chambre sociale de la Cour de cassation, précision qui donne un relief certain aux observations que cette magistrate apporte aux arrêts rendu par cette chambre.
(20) Voir obs. préc., note n° 6.
(21) Cons. const., 7 août 2008, n° 2008-568 DC, loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : A8775D9U), consid. 6 et s. D'une manière générale sur cette décision, v. les obs. de Ch. Radé, Commentaire de la décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008, loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : dispositions relatives à la durée du travail, Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1815BHP).
(22) Comme le rappelle, d'ailleurs, le 2° de l'article L. 1111-2 du Code du travail.
(23) V. par ex. Cass. soc., 17 mai 1994, n° 93-60.329 (N° Lexbase : A2602AGH). Dans le même sens pour les salariés autrefois titulaires d'un contrat emploi-solidarité, v. Cass. soc., 8 avril 1992, n° 91-60.264 (N° Lexbase : A3888AAA).
(24) Puisqu'aucune condition d'ancienneté n'est imposée par l'article L. 1111-2 1° du Code du travail, cette affirmation devant cependant être nuancée par l'exigence que les effectifs soient réunis pendant un certain temps, par exemple pendant douze mois en matière d'élection des délégués du personnel (C. trav., art. L. 2312-2 N° Lexbase : L2535H9R).
(25) C. trav., art. L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q).
(26) L'importance de cette considération peut être mieux perçue en tirant une analogie avec les élections politiques. Qui imaginerait un système démocratique dans lequel une personne pourrait voter aux élections municipales de deux communes différentes sous prétexte qu'elle partage sa vie entre deux résidences ou, pire encore, sous prétexte qu'elle est simplement propriétaire de deux biens ?

Décision

Cass. soc., 19 janvier 2011, n° 10-60.296, F-P+B (N° Lexbase : A2991GQT)

Rejet, TI Nice, cont. des élections professionnelles, 11 juin 2010

Textes cités : C. trav., art. L. 1111-2 (N° Lexbase : L3822IB8), L. 2312-2 (N° Lexbase : L2535H9R) et L. 2314-18-1 (N° Lexbase : L3815IBW)

Mots-clés : salariés mis à disposition, effectif, élections des délégués du personnel, qualité d'électeur.

Liens base : (N° Lexbase : E1746ETT)

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Responsabilité

[Chronique] La Chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Février 2011

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N1683BRR

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Le 03 Février 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de responsabilité civile de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette chronique, l'auteur revient, en premier lieu, sur un arrêt rendu le 16 décembre 2010 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui permet de préciser les conditions de la réparation intégrale du préjudice résultant de faits volontaires ou non présentant le caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5612DYI) (Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 09-16.949, FS-P+B). C'est, en second lieu, un arrêt rendu le même jour par la même formation, par lequel la Haute juridiction a décidé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, limitant ou excluant le droit à indemnisation du conducteur victime d'un accident de la circulation, qui a retenu l'attention de l'auteur (Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 10-17.096, FS-P+B).
  • Les conditions de la réparation intégrale du préjudice résultant de faits volontaires ou non présentant le caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 09-16.949, FS-P+B N° Lexbase : A2448GNY)

Le législateur français, sans d'ailleurs attendre qu'une Convention européenne en date du 24 novembre 1983 ne pose le principe d'une indemnisation des dommages consécutifs à une infraction intentionnelle de violence, avait, à la faveur d'une loi du 3 janvier 1977 (loi n° 77-5 N° Lexbase : L8214HI3), mis en place un dispositif d'indemnisation. Réformée par les lois des 2 février 1981 (loi n° 81-82 N° Lexbase : L8215HI4), 8 juillet 1983 (loi n° 83-608 N° Lexbase : L8216HI7), 30 décembre 1985 (loi n° 85-1407 N° Lexbase : L8217HI8), et 6 juillet 1990 (loi n° 90-589 N° Lexbase : L8219HIA), ces dispositions figurent dans le Code de procédure pénale, aux articles 706-3 et suivants (N° Lexbase : L5612DYI). L'occasion avait déjà été donnée d'évoquer ce dispositif d'indemnisation : le lecteur de cette chronique se souvient peut-être qu'avait ici été signalé un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 10 novembre 2009 rendu dans une affaire dans laquelle la victime, blessée dans un accident avec un quad qu'elle avait louée auprès d'une société spécialisée, cherchait à se soustraire à l'application de la loi du 5 juillet 1985 relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9) (1). Et pour cause puisque selon l'article 706-3 du Code de procédure pénale, "toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne", du moins lorsque certaines conditions son réunies, la première d'entre elles étant, précisément, que "ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001 [loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 N° Lexbase : L5178AR9], ni de l'article L. 126-1 du Code des assurances [N° Lexbase : L0938HH9], ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation et n'ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux nuisibles". Par où il apparaissait déjà que, pour que la victime puisse bénéficier du régime d'indemnisation prévu par l'article 706-3 du Code de procédure pénale, certaines conditions doivent être satisfaites. Un arrêt de la même deuxième chambre civile, en date du 16 décembre dernier, à paraître au Bulletin, permet précisément d'y revenir.

En l'espèce, une victime, de nationalité sainte-lucienne, de violences volontaires sur le territoire français dont il est résulté, entre autres séquelles, la perte d'un oeil, avait obtenu d'un tribunal correctionnel la condamnation de l'auteur de ces violences à une peine d'emprisonnement et au versement d'une provision de 30 000 euros. Par jugement du 28 janvier 2005, cette même juridiction avait fixé, après expertise médicale, le montant du préjudice subi par la victime, et avait condamné l'auteur des violences au paiement, sous déduction de la provision allouée, de l'indemnité réparant le préjudice subi. C'est dans ces conditions que, par requête du 7 mars 2005, la victime a saisi une commission d'indemnisation des victimes (CIVI) en vue de son indemnisation par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Mais la cour d'appel de Fort-de-France, pour déclarer cette demande irrecevable, a considéré que la saisine de la CIVI se situait au 4 août 2003 et qu'en s'abstenant de relever appel de l'ordonnance qui a suivi du 13 mai 2004, aux termes de laquelle cette requête était jugée irrecevable faute pour lui de justifier du caractère régulier de son séjour, l'intéressé avait conféré à cette ordonnance qui mettait fin à l'instance un caractère définitif. Dès lors, la cour en déduisait que le 7 mars 2005, date de la seconde requête, ne pouvait être considéré comme le jour de la demande au sens de l'article 706-3 précité. Or, l'appelant n'était en séjour régulier ni le jour des faits, ni à la date considérée par les juges du fond comme celle de sa véritable demande, à savoir le 4 mars 2003. Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 706-3, 3° du Code de procédure pénale. Après, en effet, avoir rappelé, "selon ce texte, que pour obtenir réparation de son dommage, la victime qui a subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction doit, pour obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, être de nationalité française, ou dans le cas contraire, les faits ayant été commis sur le territoire national, être soit ressortissante d'un Etat membre de l'Union européenne, soit, sous réserve des traités et accords internationaux, être en séjour régulier au jour des faits ou de la demande", la Haute juridiction énonce "qu'en statuant [comme elle l'a fait], alors qu'elle constatait qu'à la date de sa requête, le 7 mars 2005, [la victime] séjournait régulièrement sur le territoire français, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Il faut ici redire que l'indemnisation intégrale des victimes prévue par le dispositif des articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale est subordonnée à certaines conditions qui viennent ainsi s'ajouter à celle, déjà évoquée, tenant au fait que les atteintes pour lesquelles une indemnisation est sollicitée n'entrent pas dans le champ d'application d'un des régimes spéciaux énumérés par le texte (2). On passera assez vite, parce qu'elles n'étaient pas discutées dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 16 décembre dernier, sur les conditions matérielles de l'indemnisation : rappelons simplement que, selon l'article 706-3, il faut que le fait dommageable présente le caractère matériel d'une infraction. L'infraction peut être involontaire aussi bien que volontaire. Une indemnisation pourra être demandée, sans qu'aucune condition supplémentaire ne soit exigée du demandeur, lorsque l'infraction aura entraîné la mort de la victime ou une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, ou bien lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-22 (N° Lexbase : L7222IMG) à 222-30 (agressions sexuelles), 225-4-1 (N° Lexbase : L6490H7I) à 225-4-5 (traite des êtres humains) et 227-25 (N° Lexbase : L2395AMN) à 227-27 (atteintes sexuelles) du Code pénal -étant précisé que, pour ces infractions, aucune durée minimum de l'incapacité de travail n'est exigée-. Mais une fois cette première condition, quant au dommage, remplie, encore faut-il, pour que le dispositif légal s'applique, s'assurer que d'autres conditions, personnelles celles-ci, donc tenant à la victime, le sont également. Sous cet aspect, l'article 706-3 précité pose deux exigences. La première, qui renvoie au comportement de la victime, a un caractère négatif en ce sens que la victime ne doit pas avoir perdu ou fait perdre en tout ou en partie, par sa faute, le droit à indemnisation reconnu par la loi. Le dernier alinéa de l'article 706-3 dispose ainsi que : "la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime". La seconde, cette fois propre à la personne de la victime, est énoncée à l'article 706-3, 3°, du Code de procédure pénale qui fait une distinction selon que la personne lésée est ou non de nationalité française.

Si elle l'est, les choses sont assez simples : la victime a droit à une indemnisation quel que soit le lieu de l'infraction. Il n'est donc pas nécessaire que celle-ci se soit produite sur le territoire national. La victime d'un accident survenu à l'étranger peut donc parfaitement prétendre à une indemnisation de la part du Fonds. La jurisprudence a, en cette matière, précisé, d'une part, que c'est au jour des faits qu'il faut se placer pour déterminer si la victime d'une infraction commise à l'étranger a la nationalité française (3) et, d'autre part, que c'est la loi française, en tant que loi d'application nécessaire excluant toute référence à un droit étranger, qui s'applique pour déterminer s'il existe une infraction (4).

Plus complexe est la situation lorsque la victime n'a pas la nationalité française puisque, dans ce cas de figure, il faut, non seulement, que les faits aient été commis en France, mais encore que la victime soit ressortissante d'un Etat membre de la Communauté économique européenne ou bien, sous réserve des traités et accords internationaux, en séjour régulier en France au jour des faits ou de la demande. Sous cet aspect, la Cour de cassation, manifestant une volonté de tempérer la rigueur de ces conditions strictes, a jugé qu'en retenant que la condition d'un séjour régulier s'entendait de la détention d'un titre de séjour régulier permettant à l'étranger, non seulement de vivre en France, mais aussi d'y travailler, une cour d'appel avait ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et, par suite, violé l'article 706-3, 3°, du Code de procédure pénale (5). L'arrêt du 16 décembre va, lui aussi, dans le sens d'un assouplissement : lorsqu'il s'agit de vérifier que la victime qui sollicite d'une commission d'indemnisation des victimes une indemnisation par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions était en séjour régulier en France au jour de la demande, rien n'interdit de retenir la date d'une seconde requête dans l'hypothèse dans laquelle la première aurait été déclarée irrecevable faute pour le demandeur d'avoir alors pu justifier du caractère régulier de son séjour.

  • L'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, limitant ou excluant le droit à indemnisation du conducteur victime d'un accident de la circulation, n'est pas inconstitutionnel (Cass. QPC, 16 décembre 2010, n° 10-17.096, FS-P+B N° Lexbase : A4107GNG)

L'occasion a, à de très nombreuses reprises, été donnée d'insister sur l'importance du contentieux généré par l'application de la loi précitée du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, applicable, aux termes de son article 1er, "même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Les discussions portent, ainsi, régulièrement tant sur le domaine d'application de la loi que sur le régime d'indemnisation qu'elle prévoit et, notamment, sur l'incidence de la faute du conducteur sur la réparation de son dommage. Précisément, l'article 4 de la loi dispose que la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis -et ce contrairement à l'article 3 qui prévoit, lui, que la victime qui n'a pas la qualité de conducteur ne subit pas cette rigueur, seule pouvant lui être opposée sa "faute inexcusable"-. On peut dès lors assez facilement imaginer que des victimes d'accidents de la circulation qui auraient échoué dans leur demande d'indemnisation cherchent à contester le principe même d'une limitation, voire d'une suppression de leur droit à réparation au motif qu'elles auraient, en tant que conductrices, commis une faute au sens de l'article 4 de la loi. Tel est d'ailleurs, dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 16 décembre 2010, ce qu'avait entendu faire un conducteur qui, privé de toute indemnisation en raison de sa faute dans la réalisation de l'accident, contestait la constitutionnalité de ce texte.

En l'espèce, en effet, saisie d'une demande tendant à l'indemnisation d'une victime d'un accident de la circulation impliquant notamment le véhicule qu'elle conduisait, une cour d'appel avait décidé d'exclure l'indemnisation de ses dommages en application de l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (CA Papeete, 12 novembre 2009, n° 40/CIV/06 N° Lexbase : A6252GPA). La victime a alors formé un pourvoi en cassation et déposé, le 6 octobre 2010, un mémoire distinct posant une question prioritaire de constitutionnalité en soutenant que les dispositions de cet article 4 contreviennent à l'article 4 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1368A9K) aux termes duquel "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui", d'où résulte le principe selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, et ensemble, à l'article 16 de la même Déclaration (N° Lexbase : L1363A9D), en ce qu'il garantit le droit à un recours juridictionnel effectif contre l'auteur d'une faute dommageable. Très concrètement, pour soutenir que l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, la victime faisait valoir qu'il permet au juge, dans l'interprétation qu'en donne la Cour de cassation, en cas de faute du conducteur victime, de priver celui-ci de toute indemnisation sans avoir égard aux fautes commises par le conducteur d'un autre véhicule impliqué et d'exonérer par conséquent ce dernier de toute responsabilité. Pour répondre à cette argumentation, la Cour de cassation, après avoir certes relevé, d'une part, que la disposition contestée était applicable au litige et, d'autre part, que la disposition contestée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,décide non seulement que "la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle", mais encore que "la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que l'article 4 de la Déclaration de 1789 ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour des motifs d'intérêt général et de manière non disproportionnée, les conditions d'indemnisation des victimes ; que la loi du 5 juillet 1985 a instauré un droit à indemnisation pour toutes les victimes d'accidents de la circulation et que, pour des motifs d'intérêt général, notamment de sécurité routière, seule la propre faute de la victime conductrice est de nature, sous le contrôle du juge, à limiter ou à exclure son droit à indemnisation ; que dès lors il ne résulte de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 aucune atteinte disproportionnée ni aucune atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif". Elle en déduit donc qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Naturellement, pour saisir la teneur de l'argumentation du demandeur, il faut ici redire que la loi du 5 juillet 1985 a un caractère exclusif. On rappellera, sous cet aspect, que, au lendemain de la promulgation de la loi de 1985, une controverse s'était développée sur l'autonomie de ce texte par rapport au droit commun de la responsabilité civile. Certains avaient, en effet, fait valoir que les règles énumérées aux articles 2 à 6 de la loi n'avaient pas pour objet de limiter les causes d'exonération opposables aux victimes : la victime d'un accident de la circulation devrait ainsi d'abord, pour obtenir la réparation de son dommage, établir que les conditions de la responsabilité civile étaient réunies et ce serait seulement une fois cette preuve rapportée qu'elle serait autorisée à repousser l'objection tirée d'une éventuelle cause d'exonération rendue "inopposable" par la loi (6). D'autres, au contraire, avaient immédiatement considéré que la loi nouvelle avait créé un régime d'indemnisation spécifique ne dépendant en rien du droit commun de la responsabilité civile (7). La jurisprudence devait, finalement, trancher en faveur de l'autonomie de la loi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation décidant, le 4 mai 1987, que "l'indemnisation d'une victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 à l'exclusion des articles 1382 et suivants du Code civil" (N° Lexbase : L1488ABQ) (8). Et la même formation devait, le 14 octobre 1987, censurer une décision qui, pour débouter un passager de sa demande en réparation contre le conducteur, s'était fondée sur l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), "alors qu'à la date de l'arrêt d'appel, la loi du 5 juillet 1985 était entrée en vigueur" (9). Ainsi la Haute juridiction affirmait-elle nettement l'autonomie de la loi, dont le prolongement naturel est son caractère exclusif (10). Cette exclusivité signifie que, dans le domaine propre qui est le sien, la loi exclut en principe l'application du droit commun de la responsabilité, ce qui interdit à la victime d'opter pour ce dernier ou de cumuler les dispositions de la loi et celles du droit commun (11).

On comprend dès lors le sens de l'argumentation de la victime en ce qu'elle contestait, au cas présent, la constitutionnalité de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 : seul applicable lorsqu'un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation à l'exclusion, notamment, de l'article 1382 du Code civil, ce texte peut effectivement conduire, en cas de faute du conducteur victime, à le priver de toute indemnisation sans avoir égard aux fautes pourtant commises par le conducteur d'un autre véhicule lui aussi impliqué dans l'accident. L'article 4 de la loi, en permettant ainsi d'exonérer l'auteur d'une faute de toute responsabilité, serait contraire à la règle, à valeur constitutionnelle, selon laquelle "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". Par où l'on voit bien que, en définitive, ce que conteste fondamentalement le demandeur, c'est bien la neutralisation, par la loi spéciale, de l'article 1382 du Code civil, et ainsi, par suite, l'autonomie de la loi. La question n'était donc pas en tant que telle nouvelle.

Sans grande surprise, la Cour de cassation dit, en l'espèce, n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité : aucune norme à valeur constitutionnelle n'interdit au législateur d'aménager les conditions d'indemnisation des victimes. Or, relevant que, dans le dispositif de la loi du 5 juillet 1985, seule la propre faute de la victime conductrice, pour des motifs d'intérêt général, notamment de sécurité routière, est de nature, sous le contrôle du juge, à limiter ou à exclure son droit à indemnisation, la Cour a pu en déduire "qu'il ne résulte de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 aucune atteinte disproportionnée ni aucune atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif".

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Cass. civ. 2, 10 novembre 2009, n° 08-20.273, FS-P+B N° Lexbase : A1815ENK) et, sur cet arrêt, nos obs. Le transfert de la garde et l'application de la loi du 5 juillet 1985 en matière d'accidents de la circulation, in Chronique de responsabilité civile, Décembre 2009, Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009, édition privée (N° Lexbase : N5811BM8).
(2) Voir supra.
(3) Cass. civ. 2, 12 février 2009, n° 08-12.987, F-P+B (N° Lexbase : A1365EDW), RCA, 2009, comm. n° 136.
(4) Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 06-10.514, F-P+B (N° Lexbase : A7902DTT), Bull. civ. II, n° 18.
(5) Cass. civ. 2, 12 mars 2009, n° 08-10.179, FS-P+B (N° Lexbase : A7149ED7), Bull. civ. II, n° 70.
(6) F. Chabas, Le droit des accidents de la circulation après la réforme du 5 juillet 1985, n° 147 et s..
(7) H. Groutel, Le fondement de la réparation instituée par la loi du 5 juillet 1985, JCP éd. G, 1986, I, 3244 ; note G. Durry, JCP éd. G, 1987, II, 20769.
(8) Cass. civ. 2, 4 mai 1987, n° 85-17.051 (N° Lexbase : A7546AAQ), Bull. civ. II, n° 87.
(9) Cass. civ. 2, 14 octobre 1987, n° 86-14526 (N° Lexbase : A4624CHQ), Bull. civ. II, n° 192.
(10) P.-P. Camproux, La loi du 5 juillet 1985 et son caractère exclusif, D., 1994, Chron. p. 109 ; G. Wiederkher, De la loi du 5 juillet 1985 et de son autonomie, D., 1986, Chron. p. 255.
(11) Cass. civ. 2, 29 janvier 1997, n° 94-21.733 (N° Lexbase : A0165AC4), Bull. civ. II, n° 23 ; Cass. civ. 2, 21 juin 2001, n° 99-15.732 (N° Lexbase : A6421ATY), Bull. civ. II, n° 122 ; Cass. civ. 2, 7 mai 2002, n° 00-20.649, F-P+B (N° Lexbase : A6065AYB), Bull. civ. II, n° 87 (excluant l'application de l'article 1382) ; Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 01-16.067, F-P+B (N° Lexbase : A7275A49), Bull. civ. II, n° 7 (excluant l'application de l'article 1384, alinéa 1er) ; Cass. civ. 2, 8 janvier 2009, n° 08-10.074, F-P+B (N° Lexbase : A1606ECH) (décidant "que l'incendie provoqué par un véhicule terrestre à moteur, ce dernier fût-il en stationnement, est régi par les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, et non par celles de l'article 1384, alinéa 2, du Code civil") ; Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 08-14.224, FS-P+B (N° Lexbase : A0688EIC) (énonçant que "l'indemnisation de la victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions d'ordre public de la loi du 5 juillet 1985" et, par suite, que "la responsabilité [du conducteur] ne pouvait être recherchée sur le fondement des dispositions de l'article 1385 du Code civil").

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Rupture du contrat de travail

[Questions à...] Rupture conventionnelle du contrat de travail : "L'employeur ne doit pas hésiter à recourir à un avocat, en cas de doutes sur les démarches à suivre" - Questions à Maître Xavier Berjot, avocat associé JBV Avocats

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par Sophia Pillet, SGR - Droit social

Le 03 Février 2011

Lorsque l'employeur et le salarié souhaitent, d'un commun accord, mettre un terme au contrat de travail les liant, ils peuvent, depuis la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 de modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) (1), recourir à la rupture conventionnelle. Elle est ouverte à tous les salariés et résulte d'une convention dont la validité est soumise à homologation par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Ce nouveau mode de rupture autonome qui présente tant des garanties pour le salarié qu'une sécurité pour l'employeur s'est très rapidement développé et constitue aujourd'hui un mode de cessation des relations contractuelles privilégié des parties. Lexbase Hebdo - édition sociale a décidé de faire un point sur la rupture conventionnelle et a rencontré Maître Xavier Berjot, avocat associé JBV Avocats afin de discuter de cette question. Ce dernier conseille tant aux salariés qu'aux employeurs d'être prudents dans l'utilisation des ruptures conventionnelles pour éviter tout risque de contentieux éventuel. Lexbase : Trois ans après son entrée en vigueur, la rupture conventionnelle séduit encore et toujours de plus en plus d'employeurs et de salariés comme en témoigne la note d'analyse 198 du Centre d'analyse stratégique (CAS) sur la rupture conventionnelle du contrat de travail, publiée le 27 octobre 2010 (400 000 ruptures homologuées depuis la création de ce dispositif en 2008), particulièrement chez les cadres (39,9 %) du secteur tertiaire (75,6 %). Comment expliquer un tel succès ?

Xavier Berjot : Le franc succès de la rupture conventionnelle réside dans le fait que ce dispositif a répondu à une forte demande de la part des salariés comme des employeurs.

Avant l'entrée en vigueur de la rupture conventionnelle, les salariés désireux de quitter leur entreprise ne disposaient que de la faculté de démissionner (C. trav., art. L. 1231-1 N° Lexbase : L8654IAR), sans pouvoir prétendre aux allocations d'assurance-chômage, sauf cas très particuliers (démission pour non-paiement des salaires, démission motivée par le changement de résidence du foyer, etc.). Par conséquent, certains salariés hésitaient à démissionner, bien que souhaitant quitter leur emploi, ou pouvaient être tentés d'abandonner leur poste, dans "l'espoir" de faire l'objet d'un licenciement.

Du côté de l'employeur, la rupture conventionnelle permet de mettre fin au contrat de travail sans avoir de motif à invoquer, ce qui répond à la demande des employeurs ne disposant pas d'un motif de licenciement à l'égard des salariés concernés, mais qui souhaitent néanmoins s'en séparer. En définitive, tant l'employeur que le salarié peuvent trouver leur intérêt dans la rupture conventionnelle, ce qui explique son succès. C'est d'ailleurs pour cette raison que les partenaires sociaux sont parvenus sans grande difficulté à un consensus en signant l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, ayant notamment élaboré le dispositif de la rupture conventionnelle (C. trav., art. L. 1237-11 N° Lexbase : L8512IAI à L. 1237-16).

Lexbase : L'analyse du CAS a mis en évidence, dans sa note, un certain nombre de dérives des entreprises, en s'appuyant sur les constatations des DIRECCTE, notamment pour éviter la procédure collective de licenciement pour motif économique, la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), de respecter l'obligation de reclassement... Comment y remédier selon vous ?

Xavier Berjot : Si la rupture conventionnelle a pu régler un certain nombre de situations, elle n'est pas pour autant exempte de critiques. Ainsi, certains employeurs peuvent être tentés de contourner les règles applicables au licenciement collectif pour motif économique ou mettre fin au contrat de travail des salariés seniors.

Pour remédier à ces détournements de procédure, il est théoriquement concevable que les DIRECCTE exercent un contrôle plus accru sur les demandes d'homologation présentées par les parties (le plus souvent l'employeur). Cela étant, les unités territoriales des DIRECCTE sont débordées par le grand nombre de demandes d'homologation qui leur parviennent et, le plus souvent, les ruptures conventionnelles font l'objet d'une homologation tacite, à défaut de réponse expresse de la DIRECCTE. Pour cette raison, il est en pratique difficilement envisageable de privilégier la solution d'un contrôle plus accru.

Dans ses trois propositions d'amélioration du dispositif de la rupture conventionnelle, le CAS n'a d'ailleurs pas véritablement trouvé de solution à la question du détournement de procédure. Il envisage la possibilité de prolonger le délai d'instruction en cas de "suspicion de détournement de procédure", mais cette possibilité semble entrer en contradiction avec une autre de ses propositions qui consisterait à généraliser l'homologation implicite. A mon sens, il appartient aux partenaires sociaux de l'entreprise de prendre leurs responsabilités, lorsqu'il apparaît que le dispositif de la rupture conventionnelle masque un licenciement collectif pour motif économique. Notons, tout de même, que les cas de détournement de procédure ne doivent pas faire oublier que, dans la plupart du temps, la rupture conventionnelle est utilisée à bon escient.

Lexbase : Faute de respecter la procédure applicable, l'on constate que de nombreuses demandes de ruptures conventionnelles sont déclarées irrecevables ou refusées par les DIRECCTE ou par les salariés eux-mêmes qui vont alors recourir à d'autres modes de rupture du contrat de travail (prise d'acte). Quels sont les écueils à éviter et comment s'articule la rupture conventionnelle avec les autres modes de rupture du contrat de travail ?

Xavier Berjot : La rupture conventionnelle est un dispositif assez simple, mais qui obéit à un formalisme précis (2). Certaines ruptures ne sont pas homologuées en raison de l'inobservation de ce formalisme (non-respect du délai de rétractation, délai d'instruction trop court, indemnité insuffisante, etc.). Par ailleurs, elles ne peuvent pas être utilisées dans tous les cas où le salarié bénéficie d'une protection particulière (suspension du contrat pour accident du travail, congé de maternité, etc.).

La meilleure solution, pour éviter les écueils de la rupture conventionnelle, est de parfaitement connaître ce dispositif. L'employeur ne doit donc pas hésiter à recourir à un avocat en cas de doute sur les démarches à suivre à l'occasion de la rupture conventionnelle. De même, les salariés ont intérêt à se faire assister pour que leurs droits soient préservés.

Concernant l'articulation de la rupture conventionnelle avec les autres modes de rupture du contrat de travail, il convient de rappeler que celle-ci est un mode autonome de rupture. En particulier, ce dispositif ne doit pas être utilisé à la place d'un licenciement, sous peine de risquer d'être remis en cause devant le conseil de prud'hommes. Par ailleurs, les employeurs doivent être conscients du fait que la rupture conventionnelle n'est pas une transaction et ne les protège pas contre un éventuel litige (3). A titre d'illustration, un salarié peut tout à fait former des demandes de rappel de salaires après une rupture conventionnelle.

Lexbase : Récemment, le conseil de prud'hommes de Rambouillet (4) a jugé que la conclusion d'un accord de rupture conventionnelle supposait au préalable l'absence de litige entre le salarié et l'employeur. Cette solution va à l'encontre de celle rendue par la cour d'appel de Rouen, le 27 avril 2010 (5), qui avait jugé que la rupture conventionnelle conclue dans un contexte de désaccord notamment sur le niveau de rémunération du salarié n'avait pas à être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Que pensez-vous de cette solution ?

Xavier Berjot : En réalité, ces deux décisions ne me paraissent pas contradictoires. En effet, dans son arrêt, la cour d'appel de Rouen a jugé que la rupture conventionnelle conclue dans un contexte de désaccord, notamment sur le niveau de rémunération du salarié, n'a pas à être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse s'il "n'est pas pour autant avéré qu'une situation conflictuelle ait existé entre les parties avant que soit envisagée une rupture conventionnelle et qu'elle ait perduré jusqu'à l'entretien préalable [...]". Il est donc permis de considérer que la solution de la cour aurait été différente si le désaccord entre les parties avait persisté jusqu'à la date de conclusion de la rupture conventionnelle. En d'autres termes, il ne me semble pas possible de déduire de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen que la rupture conventionnelle peut être conclue dans un contexte de désaccord entre les parties. J'ajouterai que les premières décisions concernant la rupture conventionnelle sont très commentées et peuvent donc donner l'impression de déterminer une jurisprudence. Or, il s'agit de décisions rendues par les juges du fond et il convient d'attendre les premières décisions de la Cour de cassation pour voir se dégager une jurisprudence établie sur la rupture conventionnelle.


(1) Lire les obs. de S. Tournaux, Article 5 de la loi portant modernisation du marché du travail : la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5222BGI).
(2) Sur la formation de l'accord de rupture conventionnelle, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(3) Voir, notamment, sur l'articulation entre la rupture amiable et la transaction les obs. de L. Casaux, Rupture amiable du contrat de travail et transaction : une distinction d'ordre public, Lexbase Hebdo n° 423 du 12 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1458BRG).
(4) CPH Rambouillet, 18 novembre 2010, n° 10/00042 (N° Lexbase : A7114GMG).
(5) CA Rouen, 27 avril 2010, n° 09-4140 (N° Lexbase : A1306EXN).

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Sociétés

[Jurisprudence] Droit de vote attaché aux parts sociales ou actions indivises : prééminence de la désignation judiciaire du mandataire

Réf. : Cass. civ. 1, 15 décembre 2010, n° 09-10.140 FS-P+B+I (N° Lexbase : A1859GN8)

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N1799BR3

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine (IRDAP)

Le 03 Février 2011

L'exercice des droits attachés à des parts sociales ou des actions indivises demeure une question délicate et l'on ne peut qu'accueillir avec satisfaction l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 15 décembre 2010, en ce qu'il vient éclairer les conditions de nomination du mandataire chargé d'exercer le droit de vote au nom des indivisaires. La Haute juridiction y affirme qu'en cas de désaccord entre les copropriétaires d'une part sociale indivise sur le choix du mandataire unique qui, selon l'article 1844 du Code civil (N° Lexbase : L2020ABG), doit les représenter, il ne peut être dérogé aux dispositions impératives de ce texte prévoyant la désignation du mandataire en justice.
L'importance de cet arrêt apparaît à plus d'un titre. D'abord, on admettra volontiers que, parmi les diverses prérogatives attachées à la qualité d'associé, l'exercice du droit de vote lors des décisions collectives constitue certainement l'une des plus sensibles et la clarification apportée sur ce point par la première chambre civile est évidemment bienvenue. Ensuite, même si l'affaire portait sur des parts sociales, la position adoptée peut, pour une large part, être étendue à l'hypothèse d'actions indivises, compte tenu de la similitude de rédaction des articles 1844 du Code civil et L. 225-110 du Code de commerce (N° Lexbase : L5981AID). Enfin, la fréquence des situations de droits sociaux indivis (héritiers d'un associé décédé, partenaires d'un Pacs, dissolution d'un régime de communauté...) et les rapports souvent tendus qui existent entre les indivisaires font de la présente décision un facteur de stabilisation dans l'exercice par chaque indivisaire des droits qu'il tient de cette qualité. En l'espèce, et pour s'en tenir à l'essentiel, à la suite du décès d'un associé, l'un des héritiers, ayant recueilli des droits indivis sur les parts sociales que détenait le défunt dans une SCI, entendait faire constater qu'il pouvait exercer les droits attachés aux parts indivises dès lors qu'il avait été désigné, sur le fondement de l'article 815-3 du Code civil (N° Lexbase : L9932HN8), par des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis. La première chambre civile rejette, dans l'arrêt commenté, le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse qui avait écarté une telle demande. La Haute juridiction estime qu'en cas de désaccord entre les copropriétaires d'une part sociale indivise sur le choix du mandataire unique qui, selon l'article 1844 du Code civil, doit les représenter, il ne peut être dérogé aux dispositions impératives de ce texte prévoyant la désignation du mandataire en justice. La Cour de cassation en conclut que, dès lors que la cour d'appel avait constaté l'existence d'un tel désaccord entre les copropriétaires des parts sociales indivises, elle avait fait, à bon droit, application de ce texte en désignant un mandataire tiers pour les représenter.

L'apport de l'arrêt ici examiné peut être mesuré, d'une part, en ce qu'il reconnaît la possibilité d'une désignation conventionnelle du mandataire par accord entre les indivisaires (I), et, d'autre part, en ce qu'il confirme la nécessité d'une désignation judiciaire du mandataire en cas de désaccord entre les indivisaires (II).

I - La possibilité d'une désignation conventionnelle du mandataire par accord entre les indivisaires

A - L'accord dans le cadre du droit de l'indivision

L'article 815-5 du Code civil (N° Lexbase : L9934HNA) dispose que le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité, donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration.

C'est sur ce texte que se fondait, en l'espèce, l'un des indivisaires pour faire valoir qu'il détenait la qualité de mandataire, requise par l'article 1844 du Code civil. Dès lors qu'à propos du choix du mandataire par les indivisaires, ce dernier texte ne pose aucune exigence particulière, les intéressés établissent librement les modalités de cette désignation. En l'espèce, on remarquera que la Cour de cassation ne stigmatise aucunement la référence à l'article 815-5 qu'invoquait le demandeur au pourvoi. C'est seulement parce que, comme nous aurons l'occasion d'y revenir dans la seconde partie de ce commentaire, la décision collective en question laissait subsister au moins une opinion contraire qu'elle considère que seule une nomination en justice est possible.

Si l'aptitude de l'article 815-5 à servir de cadre au choix par les indivisaires du mandataire chargé de les représenter lors des prises de décisions collectives au sein de la société n'est guère contestable (v. P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, Domat, Droit privé, 3ème éd., n° 117 ; M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 23ème éd., n° 337), on ne peut masquer les limites de ce support. En premier lieu, il faut que la fraction des deux tiers des droits indivis soit atteinte. En second lieu, et surtout, le mandataire nommé sur ce fondement ne peut exercer que des actes d'administration. Cette limitation légale des pouvoirs peut s'avérer gênante dans l'exercice du droit de vote au nom des indivisaires. Certaines décisions collectives pourraient dépasser la simple administration des parts indivises pour aboutir à leur disparition. Ainsi en serait-il, notamment, à propos d'une décision de dissolution volontaire ou de réduction du capital avec annulation des parts. Le mandat ainsi conféré ne couvre probablement pas de telles décisions. En définitive, seule une décision prise à l'unanimité des indivisaires et conférant à ce mandataire le pouvoir d'accomplir des actes de disposition sur les parts indivises permettrait à la personne ainsi désignée de prendre part à toutes les décisions collectives, en représentation des droits de vote attachées aux parts indivises. La nomination du mandataire, auquel l'article 1844 du Code civil fait référence, peut donc être effectuée sur la base d'un accord entre les indivisaires représentant les deux tiers des droits indivis et il pourra bien exercer le droit de vote attaché aux parts indivises mais seulement dès lors que les décisions collectives demeurent des actes d'administration.

B - L'accord dans le cadre d'une stipulation statutaire

La place que l'on doit reconnaître aux stipulations statutaires relativement à la participation des associés indivisaires aux décisions collectives n'est pas, à notre avis, totalement élucidée.

Il convient, en premier lieu, de relever que la faculté d'adaptation par voie de stipulation statutaire des règles légales n'est pas ouverte en ce qui concerne les actions émises par les sociétés anonymes ou en commandite par actions. En effet, le dernier alinéa de l'article L. 225-110 du Code de commerce ne prévoit une telle faculté qu'au regard des dispositions du premier alinéa de ce texte, or les règles relatives aux actions indivises figurent dans le deuxième alinéa. Il y a donc, sur ce point, une différence sensible avec le régime applicable aux parts sociales. En revanche, s'agissant des actions émises par les sociétés par actions simplifiées, il est possible d'invoquer les dispositions générales de l'article 1844 du Code civil. En effet, l'article L. 225-110 figure parmi les textes qui sont expressément déclarés inapplicables à la SAS par l'article L. 227-1, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L2477IBD). Il y a donc lieu de revenir, pour le point de droit envisagé, vers le droit commun des sociétés constitué par les dispositions générales contenues au Code civil.

L'alinéa 4 de l'article 1844 du Code civil précise bien que "les statuts peuvent déroger aux dispositions des deux alinéas qui précèdent". Or, l'alinéa 2 de cet article, relatif aux parts sociales indivises, figure bien dans ce périmètre. En l'absence de toute restriction sur ce point, la faculté de dérogation ainsi ouverte doit pouvoir porter sur la totalité de l'alinéa 2 de l'article 1844. On pourrait ainsi considérer que les statuts peuvent opter pour une représentation par plusieurs mandataires, par dérogation à l'unicité posée par ce texte (v. les obs. sous l'arrêt, BRDA, 24/10, n° 1, p. 2). L'idée n'est pas totalement farfelue puisque la nomination de plusieurs mandataires est justement prévue par l'article 815-5 sus-évoquée. Pour autant, en pratique, une telle hypothèse n'apparaît pas très opportune. L'expression du vote, en représentation des parts sociales indivises, doit être unique même s'il émane de plusieurs personnes à la fois. Il faudra donc imaginer qu'entre elles soit établi un mode d'expression du sens du vote (à la majorité ?, à l'unanimité ?). De telles complications conduisent raisonnablement à renoncer à une telle dérogation et à s'en tenir à un représentant unique. Si l'on poursuit l'analyse du texte de l'alinéa 2 de l'article 1844, on ne trouve guère de place pour une dérogation à la délimitation de la catégorie à l'intérieur de laquelle le mandataire doit être choisi. Le texte permettant déjà de le choisir soit parmi les indivisaires, soit en dehors d'eux, on ne voit guère quelle autre catégorie pourrait être sollicitée. Il reste alors à envisager une dérogation aux dispositions contenues dans la deuxième phrase de l'alinéa 2 de l'article 1844. Cette phrase n'envisage la désignation en justice du mandataire qu'en cas de désaccord. On pourrait alors imaginer que les statuts prévoient que la désignation judiciaire sera le mode unique de désignation du mandataire, supprimant ainsi la possibilité d'une désignation conventionnelle par les indivisaires. Cela n'est pas inimaginable mais produirait une lourdeur procédurale pas toujours indispensable. Plus radicalement, mais encore une fois l'alinéa 4 de l'article 1844 ne réduit aucunement le périmètre de la liberté d'aménagement statutaire des dispositions de l'alinéa 2, on pourrait envisager que les statuts écartent, même en cas de désaccord entre les indivisaires, le recours à la désignation judiciaire. Dans un tel cas, le désaccord constaté pourrait trouver d'autres solutions pour aboutir à la désignation du mandataire. Il pourrait, par exemple, être prévu qu'un tiers, identifié dans les statuts, procèdera à cette désignation. Ou bien encore il pourrait être prévu que la désignation résultera d'un accord majoritaire entre les indivisaires. Mais alors, on se trouve contraint par les règles sus-évoquées de l'article 815-5 du Code civil, justiciable des mêmes observations que celles évoquées à ce propos ci-dessus.

L'intervention de l'arrêt ici commenté vient toutefois, semble-t-il, condamner cette dernière hypothèse. Dans la mesure où, dès lors qu'il n'y a pas l'unanimité des indivisaires -et que l'on est donc en présence d'un désaccord-, la Cour de cassation affirme qu'il n'y a d'autre solution que la désignation en justice. Il faut sans doute en conclure qu'une désignation du mandataire reposant sur une simple majorité ne permet pas au mandataire d'exercer le droit de vote attaché aux parts indivises. Seule une désignation judiciaire lui permettrait d'exercer ce droit. La Haute juridiction entend bien, à travers l'arrêt analysé, confirmer la prééminence de la désignation judiciaire en cas de désaccord entre les indivisaires.

II - La nécessité d'une désignation judiciaire du mandataire en cas de désaccord entre les indivisaires

A - Le caractère impératif de la désignation judiciaire

Si l'on suit le raisonnement de l'arrêt de la première chambre civile, dès qu'il est établi que la désignation du mandataire ne résulte pas d'un accord unanime des indivisaires, on est en présence du "désaccord", visé à l'article 1844 du Code civil, emportant l'obligation de se tourner vers le juge pour qu'il procède à la seule désignation valable.

Selon les hypothèses évoquées ci-dessus, le désaccord peut d'abord résulter de ce que le seuil des deux tiers des droits indivis, visé par l'article 815-5 du Code civil, n'a pas été atteint. Les indivisaires ne peuvent, dans un tel cas, désigner valablement un mandataire, même seulement doté du pouvoir d'accomplir des actes d'administration portant sur les parts sociales indivises. Le désaccord peut ensuite être matérialisé par l'absence d'unanimité, requise pour pouvoir donner au mandataire tout pouvoir dans l'exercice du droit de vote attaché aux parts sociales indivises. Dans de tels cas, il ne peut y avoir aucune désignation valable d'un mandataire en-dehors de la désignation par voie judiciaire. L'arrêt commenté pose en effet comme règle que l'article 1844 du Code civil comporte des "dispositions impératives" en ce qu'il prévoit qu'en cas de désaccord des indivisaires sur le choix du mandataire, sa désignation doit avoir lieu "en justice". Cette position est importante puisque qu'elle a pour effet d'ajouter à la liste, toujours instable, des dispositions impératives du droit des sociétés, une fraction de l'alinéa 2 de l'article 1844 du Code civil et ce, alors même que l'alinéa 4 dudit article autorise qu'il soit dérogé aux dispositions de l'alinéa 2, sans aucune restriction.

La question demeure toutefois de savoir si le mandataire désigné en justice dispose automatiquement du pouvoir d'exercer les droits de vote attachés aux parts sociales indivises, non seulement à propos de décisions collectives entrant dans la catégorie des actes d'administration mais également à propos de décisions aboutissant à des actes de disposition desdites parts. Dès lors que le "désaccord" constaté entre les indivisaires matérialise l'absence de consentement unanime pour qu'un mandataire puisse accomplir les actes de disposition, il apparaît logique de considérer que le mandataire nommé par décision de justice soit doté de la plénitude des pouvoirs et qu'il puise exercer le droit de vote attaché aux titres indivis, quel que soit l'objet de la décision, même sur ce vote peut aboutir à la disparition des titres (dissolution, réduction du capital...).

B - Le caractère propre du droit à la désignation judiciaire pour tout indivisaire

Le droit de recourir à la désignation judiciaire est attaché à la qualité d'indivisaire. Aucun paramètre tiré de la proportion de droits indivis détenus n'entre ici en compte. La position est à l'évidence fondée sur la reconnaissance à chaque indivisaire de la qualité d'associé, admise depuis plus de trente ans par la jurisprudence (Cass. com., 6 février 1980, n° 78-12.513 (N° Lexbase : A3458AG8, Rev. sociétés, 1980, p. 521, note A. Viandier ; RTDCom., 1980, p. 353, obs. E. Alfandari et M. Jeantin ; D., 1981, IR, p.36, obs. J.-Cl. Bousquet). Dès lors que la qualité d'indivisaire, attachée à des parts sociales ou des actions, est reconnue à une personne, elle peut invoquer les droits propres attachés à cette qualité. Une distinction est toutefois faite entre les droits qui ne peuvent être exercés que par représentation de l'ensemble des indivisaires et ceux qu'un seul indivisaire peut exercer (v., retenant le droit pour un indivisaire de solliciter la nomination d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée, CA. Paris, 14ème ch., sect. A, 7 janvier 2009, n° 08/14713 N° Lexbase : A1999EDE, Rev. sociétés 2009, p. 631, note L. Godon). La demande de désignation judiciaire du mandataire chargé d'exercer le droit de vote attaché aux parts sociales indivises fait partie de cette dernière catégorie.

Dès lors que l'un des indivisaires est en désaccord avec la désignation d'une personne qui résulterait de la décision des autres indivisaires, il dispose du droit de solliciter la nomination du mandataire par voie judiciaire.

Une distinction doit donc être clairement établie, en prenant appui sur l'arrêt ici commenté. L'indivisaire doit subir, si l'on peut s'exprimer ainsi, la décision de nomination d'un mandataire résultant du vote émanant des deux tiers des droits indivis, prise en application de l'article 815-5 du Code civil. D'une certaine manière, la loi de la majorité s'impose à lui. En revanche, s'agissant de la représentation des indivisaires lors des décisions collectives prises au sein de la société concernée, il lui est possible d'invoquer l'article 1844 du Code civil et, faisant constater le désaccord (qui tient le cas échéant à sa seule opinion), imposer aux autres indivisaires le mandataire nommé en justice. Il pourrait donc y avoir deux représentants de l'indivision : celui valablement nommé par les indivisaires représentants les deux tiers des parts sociales, sur le fondement de l'article 815-5, et qui pourrait accomplir valablement des actes d'administration portant sur les parts sociales indivises, et celui nommé par le juge, sur le fondement de l'article 1844, et qui représenterait l'indivision pour les décisions collectives (qu'elles s'analysent en acte d'administration ou de disposition).

L'arrêt rapporté apparaît donc bien comme renforçant les droits individuels de l'indivisaire lorsque l'indivision porte sur des droits sociaux (v., en ce sens, les obs. d'A. Lienhard, sous l'arrêt commenté, D., 2011, Act., p. 73).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Février 2011

Lecture: 12 min

N3381BRN

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 02 Février 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver une nouvelle chronique d'actualités en matière de TVA réalisée par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne. En matière de TVA, la Cour de justice de l'Union européenne continue son travail d'interprétation au gré des questions qui lui sont soumises. En décembre, elle a précisé le régime particulier applicable aux agences de voyages et organisateurs circuits touristiques, régime qui a fait l'objet de peu de décisions d'où l'intérêt de cet arrêt qui vient rappeler qu'étant dérogatoire, l'application de ce régime doit être limitée en fonction des objectifs du droit communautaire (CJUE, 9 décembre 2010, aff. C-31/10). La deuxième décision commentée est relative à la question des conditions d'assujettissement à la TVA des frais supplémentaires facturés lors de l'usage de certains modes de paiement pour des services de téléphonie mobile. Cette problématique spécifique se rattache à la question plus large de la distinction entre prestation de services accessoire et prestation de services autonome (CJUE, 2 décembre 2010, aff. C-276/09). Enfin, le régime transitoire perdurant, la question de la fraude et de l'évasion fiscales est toujours d'actualité, et la troisième décision permet de mettre en lumière la position originale de la CJUE, quant aux moyens nécessaires pour lutter contre cette fraude (CJUE, 7 décembre 2010, aff. C-285/09).
  • Le régime spécifique des agences de voyages et des organisateurs de circuits touristiques est-il applicable à la vente isolée de billets d'opéra ? (CJUE, 9 décembre 2010, aff. C-31/10 N° Lexbase : A7093GMN)

Cette décision de la CJUE porte sur le domaine d'application de l'article 26 (1) de la 6ème Directive-TVA (2). Cette disposition définit le régime particulier de TVA applicable aux agences de voyages et des organisateurs de circuits touristiques. La spécificité de ce régime est justifiée par le fait que ces opérateurs doivent fournir des prestations de services dispensées par d'autres assujettis qui peuvent être sur le territoire d'autres Etats membres. En effet, les services fournis par les agences de voyages et les organisateurs de circuits touristiques sont souvent composés de prestations multiples. Ainsi, en matière de transport et d'hébergement, ce sont des prestations qui peuvent se réaliser tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Etat membre dans lequel l'entreprise a son siège ou son établissement stable (3).

Cette disposition de la 6ème Directive-TVA met en oeuvre une taxation sur la marge des agences de voyages et des organisateurs de circuits touristiques pour les prestations de services ; cette marge est constituée par la différence entre le montant total à payer par le voyageur hors TVA et le coût effectif, TVA incluse, supporté par l'opérateur pour les prestations de services d'autres assujettis. Ce régime permet une forme de "déduction implicite" (4) de la TVA d'amont supportée dans différents Etats membres qui, sinon, serait très difficilement récupérable dans le cadre de l'application du régime de droit commun de TVA. Ainsi, la Cour considère que ce régime vise "à assurer une déduction simplifiée de la taxe payée en amont, quel que soit l'Etat membre où elle a été perçue" (5), car l'application du régime de droit commun au "lieu d'imposition, la base d'imposition et la déduction de la taxe amont se heurterait, en raison de la multiplicité et la localisation des prestations fournies, à des difficultés pratiques pour ces entreprises qui seraient de nature à entraver l'exercice de ces activités" (6).

Dans l'affaire commentée, il s'agissait d'une société allemande exploitant une agence de voyages. Au cours des années 1993 à 1998, elle avait acheté des billets pour des représentations à l'opéra de Saxe à Dresde. Elle avait revendu ces billets en son nom propre et pour son compte à des clients finaux et des agences de voyages. Ces reventes de billet étaient effectuées soit en liaison avec d'autres prestations, soit de manière isolée.

La société avait considéré que la revente de ces billets effectuée en dehors de toute autre prestation bénéficiait du régime spécifique de l'article 26 de la 6ème Directive-TVA inscrit sous l'article 25 de la loi allemande, relative à la taxe sur le chiffre d'affaires de 1993 (7). Au contraire, l'administration allemande avait estimé que, lorsque la société réalise des reventes de billets sans fournir aucune autre prestation, cette activité relève du droit commun car elle ne présente pas de différence avec l'activité des professionnels de la vente de billets de spectacles.

Dans une décision en date du 11 février 2008, la juridiction allemande (8) a rejeté la demande de la société. Cette dernière a introduit un pourvoi devant la juridiction de renvoi (9) qui a sursis à statuer afin de poser la question préjudicielle suivante : "Le régime particulier des agences de voyages prévu à l'article 26 de la [6ème Directive-TVA] s'applique-t-il aussi à la vente isolée de billets d'opéra par une agence de voyages, sans prestation de services supplémentaire ?" (point 12).

Ce point de droit n'avait jamais été soumis à la CJUE et sa réponse vient préciser les opérations qui peuvent bénéficier du régime spécifique de l'article 26 en décidant qu'il ne pouvait s'appliquer à des opérations de vente isolées de billets d'opéra par une agence de voyages.

Dans un premier temps, le juge communautaire se livre à une interprétation littérale de l'article 26 qui dispose que ce régime particulier s'applique "aux opérations des agences de voyages et des organisateurs de circuits touristiques, dans la mesure où ceux-ci agissent en leur nom propre à l'égard du voyageur et lorsqu'ils utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons et des prestations de services d'autres assujettis". Dès lors une opération ne peut bénéficier de ce régime que si elle vise la réalisation d'un voyage.

Dans un deuxième temps, en se fondant sur des arrêts du 22 octobre 1998 (N° Lexbase : A7502AHC) (10), la CJUE rappelle que, s'agissant d'un régime dérogatoire au droit commun, il ne doit être appliqué que dans la mesure nécessaire pour atteindre son objectif. Or, ce régime ne se justifie que par le caractère particulier de l'activité des agences de voyages, activité qui serait entravée par l'application du régime de droit commun du fait que les prestations de services fournies par ces opérateurs sont dispensées par d'autres assujettis établis sur le territoire d'autres Etats membres.

Enfin, dans un troisième temps, la CJUE précise l'objectif de ce régime particulier qui "est d'adapter les règles applicables au caractère spécifique de l'activité des agences de voyages et des organisateurs des circuits touristiques" (point 17). Dans la décision "Van Ginkel" du 12 novembre 1992, la CJCE avait admis au bénéfice du régime de l'article 26 la fourniture du seul logement en expliquant, notamment, que l'exclusion de cette prestation au motif qu'elle ne comprendrait pas le transport "conduirait à un régime fiscal complexe dans lequel les règles applicables en matière de TVA dépendraient des éléments constitutifs des prestations offertes à chaque voyageur. Un tel régime méconnaîtrait les objectifs de la Directive" (point 23).

De cette décision, le Gouvernement hellénique en déduisait qu'une prestation isolée, quelle qu'elle soit, pouvait bénéficier du régime de l'article 26 de la 6ème Directive-TVA. La CJUE réfute cette analogie entre la fourniture du logement seul dont il est question dans l'affaire "Van Ginkel" et la vente isolée de billets d'opéra. La Cour refuse l'application du régime particulier à "une prestation, dès lors qu'elle n'est pas accompagnée de prestations de voyages, notamment en matière de transport et de logement" (point 22). On peut s'interroger sur l'emploi du terme "notamment", à savoir quelles pourraient être les activités, outre le transport et l'hébergement, susceptibles de bénéficier du régime de l'article 26 ? A tout le moins, il est à présent certain que la vente isolée de billets n'en fait pas partie.

Enfin, la CJUE fonde aussi sa décision sur la distorsion de concurrence qui résulterait du fait qu'une même activité de vente de billets de spectacle serait imposée différemment selon que l'opérateur est ou non une agence de voyages (point 24). Il faut noter que ce souci de ne pas générer de distorsion de concurrence n'était pas évoqué dans l'arrêt "Van Ginkel", et on peut se demander si la fourniture seule d'hébergement par une agence de voyages bénéficiant de l'article 26 et la fourniture de l'hébergement par un assujetti soumis au droit commun n'est pas cause de distorsion de concurrence. A moins de considérer que seules les activités de transport et d'hébergement effectuées isolément puissent bénéficier du régime particulier, ce qui ne fait qu'accentuer le questionnement sur le terme "notamment"...

  • Les conditions d'assujettissement à la TVA des frais supplémentaires facturés lors de l'usage de certains modes de paiement pour des services de téléphonie mobile (CJUE, 2 décembre 2010, aff. C-276/09 N° Lexbase : A4112GMA)

Cette décision porte sur l'interprétation de l'article 13 B, sous d), points 1 et 3 de la 6ème Directive-TVA. Cette disposition prévoit que les opérations de négociations de crédits et les opérations relatives aux paiements et aux virements sont exonérées de TVA. En l'espèce, une société qui fournissait des services de téléphonie mobile proposait à ses clients différents modes de règlement dans le cas où ils ont choisi de payer en fin de période de facturation. Ces modes étaient au nombre de six, lorsque le client optait pour un prélèvement effectué par débit direct ou par virement par le système automatique de règlement interbancaire, la société de téléphonie ne mettait pas de frais supplémentaires à sa charge. En revanche, s'il choisissait de régler sa facture par un des autres moyens (11), il devait payer le mois suivant en sus de sa facture une certaine somme qualifiée par la société de "separate payment handling charge" (12) (SPHC).

Selon la société, ces SPHC doivent être analysés comme la contrepartie d'un service de traitement des paiements effectués à titre onéreux et sont exonérés de TVA par application de l'article 13 B, sous d), points 1 et 3 de la 6ème Directive-TVA. En août 2005, l'entreprise avait demandé à l'administration fiscale britannique le remboursement de la taxe payée en aval au titre de ces SPHC, celle-ci a refusé. La société a porté le litige devant le juge de l'impôt (13) qui a donné raison à l'administration. Elle a, ensuite, interjeté appel devant la juridiction qui pose plusieurs questions préjudicielles. La CJUE résume la totalité des questions préjudicielles posées à celle de savoir si les SPHC constituent la contrepartie d'une prestation de service qui serait distincte de la fourniture de service de téléphonie mobile.

Au terme de sa jurisprudence (14) la prestation accessoire suit le sort fiscal de la prestation principale. Ainsi, en l'espèce, il s'agit de déterminer si les SPHC correspondent à une prestation accessoire à celle de téléphonie mobile, auquel cas ils ne peuvent être exonérés de TVA ou, s'ils représentent le prix d'une contrepartie distincte du service de téléphonie mobile pouvant prétendre à l'exonération prévue à l'article 13 B, sous d), points 1 et 3. Cette question a été abordée, récemment, dans le cadre de la jurisprudence de la CJUE à propos d'opérations très diverses : assurances (15), livraisons et de poses de câbles à fibres optiques (16), bâtiment et sol attenant (17) ou encore de prestations de nettoyage d'espaces communs liés à la location (18). Il ressort de cette jurisprudence que le principe est de considérer chaque opération comme "distincte et indépendante".

Cependant, s'il s'agit d'une opération complexe, la CJUE examine les circonstances et les éléments de l'opération en cause afin de déterminer si la prestation est unique ou si elle est composée de plusieurs prestations. Le caractère distinct et indépendant d'une prestation vis-à-vis d'une autre est examiné au regard du fonctionnement de la TVA et des objectifs de la 6ème Directive-TVA. Ainsi une opération unique au plan économique altère le système de la TVA si elle est artificiellement découpée en plusieurs prestations (19). De même plusieurs prestations ne forment qu'une seule opération si elles ne sont pas indépendantes (20) ; ou encore, si une prestation est accessoire à une opération principale, les deux ne forment qu'une seule opération (21).

Dans l'affaire commentée, la notion d'opération distincte et indépendante relève de la question de savoir si une prestation est accessoire ou non à une autre prestation considérée comme principale. Selon le juge communautaire, le service de téléphonie mobile est la prestation principale, la mise à la disposition par la société requérante "des infrastructures permettant aux clients de payer leur facture ne constitue pas une fin en soi" (point 27). Les différents modes de paiement offerts aux clients en vue de régler leur facture ne sont pas des prestations qui présentent un caractère autonome car les prestations offertes par le fournisseur de services afin que le client puisse payer la prestation de téléphonie mobile ne peuvent être détachées de cette dernière.

Selon la CJUE, peu importe le mode de règlement -pour rappel, l'entreprise opère une distinction entre les modes de paiement soumis aux SPHC et ceux qui ne le sont pas-, car dans tous les cas, il doit exister une démarche du créancier. Cette démarche peut être différente d'un mode de paiement à l'autre, cependant, la qualité de la démarche ne peut influer sur le caractère indépendant ou non de la prestation. En effet, la prestation de service permettant le paiement de la facture n'est pas indissociable de la prestation de téléphonie mobile qui a donné lieu à la facture du client.

L'entreprise entendait, aussi, démontrer que le paiement de la facture de cette téléphonie mobile était une prestation distincte puisqu'elle était indiquée comme telle dans le document contractuel. En conséquence, l'entreprise en déduisait que le client avait bien affaire à deux prestations indépendantes. La CJUE juge que cette mention n'est pas déterminante, car pour le client cela ne signifie pas qu'il achète deux prestations différentes. En effet, pour le client, la prestation de téléphonie ne peut aller sans un mode de paiement, prestation qui n'est donc pas autonome mais accessoire à celle de la fourniture du service de téléphonie mobile.

  • Refus d'exonération de la TVA à l'occasion de livraisons intracommunautaires de biens en cas de participation active du vendeur à la fraude (CJUE, 7 décembre 2010, aff. C-285/09 N° Lexbase : A4955GMH)

La complexité actuelle du régime transitoire de TVA a donné lieu à un fort développement de la fraude et des pratiques abusives ; en conséquence, s'est aussi développée une jurisprudence riche en la matière. Le régime transitoire a été mis en oeuvre principalement pour maintenir la répartition de la souveraineté fiscale entre les Etats membres, ainsi la TVA est perçue dans l'Etat où intervient la consommation finale. A cette fin, a été mis en place un mécanisme dans lequel la livraison de bien est exonérée au sein de l'Etat membre de départ, le droit à déduction est conservé, et la livraison est taxée par l'Etat membre d'arrivée. Trois conditions sont requises pour que l'opération soit considérée comme une livraison intracommunautaire exonérée de TVA (22) :

1) le transfert du bien pour en disposer comme un propriétaire,

2) le déplacement physique des biens d'un Etat membre à un autre,

3) la qualité d'assujetti de l'acquéreur.

En l'espèce était concerné M. R., ressortissant portugais, gérant d'une société allemande dont l'activité était le commerce de voitures de luxe. A compter de 2002, il s'était livré à des manipulations permettant à des distributeurs établis sur le territoire portugais de commettre une fraude à la TVA dans cet Etat membre en dissimulant l'identité des véritables acquéreurs des voitures. M. R. avait été condamné pour fraude fiscale à une peine d'emprisonnement, le tribunal régional de Mannheim (23) avait considéré que l'abus délibéré des règles communautaires justifiait de ne pas admettre l'exonération en Allemagne. En revanche, la juridiction de renvoi avait jugé qu'il s'agissait de livraisons intracommunautaires et donc que les recettes de TVA n'étaient pas en cause en Allemagne, car la TVA était due dans l'Etat membre de réception des biens, c'est-à-dire le Portugal. Ensuite, la Cour fédérale de justice (24) avait considéré que les avantages fiscaux attachés à une opération devaient être refusés s'il s'agissait d'une opération frauduleuse, mais le tribunal des finances de Bade-Wurtemberg (25) soutenait une opinion contraire. En conséquence, la Cour fédérale avait estimé nécessaire le renvoi préjudiciel.

La question qui se pose est de savoir s'il y a lieu de refuser l'exonération de TVA prévue par l'article 28 quater, A, sous a) de la 6ème Directive-TVA (26), dès lors que la livraison intracommunautaire a été réellement effectuée mais que le vendeur s'est livré à des pratiques frauduleuses (27). Cette question est examinée dans une perspective uniquement fiscale, l'aspect pénal ne relevant pas de la Cour de justice.

La CJUE rappelle que la lutte contre la fraude, l'évasion fiscale et les abus éventuels est un des objectifs de la 6ème Directive-TVA ; d'autant plus, qu'à cause du régime transitoire, ces différentes manoeuvres ont connu un essor certain car il est peu aisé pour les administrations fiscales de vérifier si les marchandises ont quitté effectivement le territoire. Cette vérification a principalement lieu grâce aux preuves fournies par les assujettis eux-mêmes. Cependant, ce n'est pas la 6ème Directive-TVA qui prévoit quelles sont les preuves à fournir, leur définition relève de la compétence des Etats membres. Néanmoins, les Etats membres ne peuvent demander des preuves que dans le cadre du respect des principes du droit communautaire.

Or, dans l'affaire commentée, la CJUE admet qu'il s'agit bien d'une livraison intracommunautaire, mais que les preuves fournies à l'administration allemande étaient délibérément inexactes. En présentant de fausses déclarations et de fausses factures, la perception de la TVA devenait impossible et ainsi était compromis le bon fonctionnement du système de TVA. La Cour de justice juge que l'Etat membre de départ peut refuser l'application de l'exonération en se fondant sur des compétences qui lui appartiennent et en poursuivant ainsi la lutte contre la fraude, l'évasion et les éventuels abus. Ce refus d'exonération s'inscrit dans la logique du système de TVA, en effet s'il s'avère que la livraison peut échapper à la taxation dans l'Etat membre de destination, elle doit être taxée dans l'Etat membre de départ.

Il faut noter que la solution de cet arrêt est contraire à celle qui était défendue par l'Avocat général M. Pedro Cruz Villalon dans les conclusions (28). Il semble que la solution dégagée par la CJUE est due, notamment, à la recherche de moyens pour lutter contre la fraude, l'évasion ou encore les abus éventuels en matière de TVA. En effet, l'arrêt rappelle la difficulté pour les administrations fiscales de pouvoir vérifier la réalité des livraisons intracommunautaires (point 42). Alors que l'Avocat général, au contraire, considère que la protection contre la fraude est déjà réalisée "grâce au mécanisme de coopération administrative et d'échange de renseignements" (point 74). Ainsi, il apparaît que la CJUE ne met pas autant d'espoir dans le mécanisme de coopération... le refus d'exonération fondée sur les compétences relevant des Etats en vue de prévenir toute fraude, évasion fiscale ou abus éventuels peut aussi constituer un moyen tout aussi, voire plus, efficace de lutte.


(1) Devenu l'article 306 de la Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ).
(2) Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de TVA : assiette uniforme (N° Lexbase : L9279AU9).
(3) CJCE, 12 novembre 1992, aff. 163/91 (N° Lexbase : A9750AUN).
(4) Note sous CJCE, 19 juin 2003, aff. C-149/01 (N° Lexbase : A8934C8E), RJF, 10/03, n° 1197.
(5) Point 25, CJCE, 19 juin 2003, aff. C-149/01, précité.
(6) Point 14, CJCE, 12 novembre 1992, aff. C-163/91, précité.
(7) Umsatzsteuer 1993, BGBI, 1993, I, p. 565.
(8) Sächsisches Finanzgericht.
(9) Bundesfinanzhof.
(10) CJCE, 22 octobre 1998, aff. C-308/96 (N° Lexbase : A7502AHC).
(11) Paiement par carte de crédit ou carte de débit, par l'intermédiaire d'un tiers agissant en tant qu'agent habilité à recevoir le paiement, par chèque envoyé par courrier ou au guichet d'une succursale de la banque ou d'une autre banque par crédit au compta bancaire de la société. Pour la description de ces différents moyens : point 11.
(12) Frais distincts de paiement.
(13) VAT and Duties Tribunal
(14) A titre d'exemple : CJCE, 21 juin 2007, aff. C-453/05 (N° Lexbase : A8530DWT).
(15) CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/97 (N° Lexbase : A7318AHI).
(16) CJCE, 29 mars 2007, aff. C-111/05 (N° Lexbase : A7809DUR).
(17) CJCE, 19 novembre 2009, aff. C-461/08 (N° Lexbase : A6590ENE).
(18) CJCE, 11 juin 2009, aff. C-527/07 (N° Lexbase : A1894EIY).
(19) CJCE, 22octobre 2009, aff. C-242/08 (N° Lexbase : A2335EMG).
(20) CJCE, 11 juin 2009, aff. C-527/07 (N° Lexbase : A2796EIE).
(21) CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/97 (N° Lexbase : A9190B47).
(22) CJCE, 27 septembre 2007, aff. C-409/04, point 70 (N° Lexbase : A5702DYT).
(23) Landgericht Mannheim.
(24) Bundesgerichtshof.
(25) Finanzgericht Baden-Württemberg
(26) Devenu l'article 138 et l'article 139 de la Directive 2006/112/CE.
(27) Dans cette affaire est aussi examinée la recevabilité de la question préjudicielle, point qui n'est pas abordé dans le cadre de cette présente chronique.
(28) Conclusions présentées le 29 juin 2010.

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