La lettre juridique n°663 du 14 juillet 2016

La lettre juridique - Édition n°663

Affaires

[Brèves] Publication de la loi "création" au Journal officiel

Réf. : Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016, relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (N° Lexbase : L2315K9M)

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N3748BWQ

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Le 15 Juillet 2016

La loi "création" a été publiée au Journal officiel du 8 juillet 2016 (loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016, relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine N° Lexbase : L2315K9M). Elle permet d'"affirmer et garantir la liberté de création" et de "moderniser la protection du patrimoine". Le principe de liberté de création est inscrit dans la loi et devient une liberté publique. Dans le secteur du spectacle vivant, la loi organise la collecte des données de billetterie et ouvre ainsi la voie à la mise en place d'un observatoire de la création artistique et de la diversité culturelle. Dans le domaine de la musique, un code des usages, visant à clarifier la rémunération des artistes, sera créé. Un médiateur de la musique pourra être saisi en cas de litige par les producteurs, éditeurs ou artistes. La loi vise aussi à favoriser l'accessibilité aux livres pour les personnes handicapées en levant les obstacles à l'adaptation des ouvrages. Concernant le patrimoine, la loi intègre les modalités de gestion des biens classés au patrimoine mondial de l'Unesco dans le droit national. Les règles de conservation et de mise en valeur qu'impose ce classement devront désormais être prises en compte dans l'élaboration des documents d'urbanisme. En outre, la loi crée la notion de "sites patrimoniaux remarquables" pour les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public. Un plan de sauvegarde et de mise en valeur peut être établi sur tout ou partie du site patrimonial remarquable. Le périmètre de protection des abords des monuments historiques, fixé à 500 mètres actuellement, pourra être revu à la baisse ou à la hausse, avec l'accord de l'architecte des bâtiments de France (ABF). Par ailleurs, la loi crée un label dédié au patrimoine d'intérêt architectural récent (biens de moins d'un siècle qui ne peuvent être reconnus "monuments historiques") pour faire en sorte que leur modification ou destruction ne se fasse sans concertation préalable avec les services chargés de la protection du patrimoine. Une Commission nationale du patrimoine et de l'architecture est créée, elle se substitue à la Commission nationale des monuments historiques. En matière d'urbanisme, le seuil rendant obligatoire l'intervention d'un architecte est fixé à 150 m2 (hors bâtiments agricoles). L'intervention d'un architecte et d'un paysagiste sera obligatoire sur les projets de lotissements, au motif de lutter contre "la France moche". Les modalités de mise en oeuvre des quotas de diffusion de chansons francophones sur les radios sont précisées. Le texte prévoit que les dix chansons françaises les plus diffusées ne pourront pas représenter plus de la moitié des oeuvres francophones et au-delà de ce seuil elles ne seront plus comptabilisées.

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Avocats/Accès à la profession

[Point de vue...] Fusion des juristes d'entreprise avec la profession d'avocat : le serpent de mer fait son retour !

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N3677BW4

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par Jean-Paul Lévy, ancien membre du conseil de l'Ordre, ancien membre du Conseil national des barreaux

Le 14 Juillet 2016

Depuis bientôt vingt ans un spectre hante le monde des juristes, un serpent de mer qui ressurgit périodiquement peuplant les songes de certains de visions cauchemardesques, alors que d'autres le contemplent sous de riantes couleurs. Ce monstre porte un nom : la fusion des juristes d'entreprise avec la profession d'avocat. Il a plusieurs têtes, telle l'Hydre de l'Herne, cercle Montesquieu, AFJE, ACE, etc.. Au gré des commissions ("Attali"), des missions ("Darrois"), des projets de loi ("Macron II", "J21 - La justice du 21ème siècle"), il apparaît puis disparaît pour réapparaître encore ici sous la forme d'un amendement retoqué par une Garde des Sceaux, ce jour-là plus attentive au secret professionnel qu'à la poésie de René Char (amendement "Frassa", Sénat 5 novembre 2015) puis là encore tout récemment, bien vite repris par son promoteur à la faveur d'un cavalier législatif dans le projet de loi "transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique" !

Qu'importe si la profession d'avocat, première concernée, n'en veut pas.

Elle l'a pourtant signifié on ne peut plus nettement l'année dernière puisque le Conseil national des barreaux avait, dans son assemblée générale du 30 mai 2015, dit non à la reconnaissance d'un "legal privilege" couvrant les avis, consultations et correspondances émis par les juristes d'entreprise, considérant qu'elle aboutirait à la reconnaissance d'une nouvelle profession réglementée et à l'affaiblissement du secret professionnel de l'avocat au préjudice des entreprises et des particuliers.

Le Conseil national a d'ailleurs repoussé, dans son assemblée générale des 11 et 12 mars 2016, les propositions d'un groupe de travail créé en son sein pour trouver des solutions alternatives car fondées "sur un démembrement des attributs de l'avocat" (cf. communiqué du 6 juillet 2016).

Qu'importe si la Cour de justice de l'Union européenne depuis le 14 septembre 2010, avait bien précisé dans l'arrêt "Akzo Nobel" (CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550 /07 P N° Lexbase : A1978E97) que "l'avocat interne, en dépit du fait qu'il soit inscrit au barreau et soumis aux règles professionnelles, ne jouit pas à l'égard de son employeur du même degré d'indépendance qu'un avocat exerçant ses activités dans un cabinet externe".

La Haute juridiction européenne allait plus loin "considérant que la situation juridique actuelle au sein des Etats membres ne justifie pas d'envisager un développement de la jurisprudence dans le sens d'une reconnaissance aux avocats internes du bénéfice de la protection de la confidentialité". Cette décision s'inscrivait dans le droit fil de l'arrêt "AM & S" qui avait souligné le manque d'indépendance professionnelle du juriste salarié (CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79 N° Lexbase : A5944AUP, Gaz. Pal., 2005, n° 49, p. 57 et note G. Canivet).

Qu'importe si le Président du Conseil national des barreaux, le Bâtonnier Pascal Eydoux rappelle fort justement aux juristes d'entreprise que "le secret professionnel n'est pas un droit mais une obligation. L'avocat a l'obligation de respecter le secret professionnel. Pour le juriste d'entreprise le bénéfice du secret professionnel ou du 'legal privilege' serait un droit et pas une obligation. C'est un concept que les juristes d'entreprise ont du mal à appréhender" (P. Eydoux, Le CNB au service de tous les avocats, Affiches Parisiennes, 12 avril 2016).

Puisque la profession d'avocat ne veut pas de la fusion, on va la lui imposer, dernier épisode d'un mauvais feuilleton né en réalité de la volonté des directeurs juridiques de se voir reconnaître le titre d'avocat à l'instar des "in-house counsels" des compagnies d'outre-Atlantique. Dépités de voir leurs homologues américains revendiquer leur appartenance au barreau (ce qui est une réalité aux Etats-Unis ou au Canada), les juristes d'entreprise ont donc imaginé lancer une vaste campagne de lobbying en direction des patrons et des parlementaires. Ils sont relayés, hélas, par certains membres du barreau d'affaires qui leur viennent en appui à front renversé, dénonçant une prétendue anomalie française, et voulant dès à présent, au nom d'"intérêts de l'entreprise" considérer "les juristes d'entreprise comme nos confrères" pour renforcer " la compétitivité du droit français et une meilleure image de la profession" (B. de Moucheron, S. Puel, O. Cousi et A. Boulanger in Le monde, 10 mars 2015).

Il n'est pas jusqu'à un membre en fonction du conseil de l'Ordre des avocats de Paris qui ne chante les louanges d'un tel projet (T. Montéran, Du juriste en entreprise à l'avocat en entreprise, Gaz. Pal., 7 juin 2016, 266, n° 4). Cet article est lui-même publié dans un blog dont l'auteur a lui-même exercé des fonctions ordinales et siège encore au Conseil national.

Plus près de nous encore, l'ACE (Avocats conseils d'entreprises) lance un communiqué de victoire le 30 juin 2016 pour se féliciter de l'amendement "Frassa" au projet de loi "Sapin II", "créant le statut de juriste admis au barreau", ultime avatar de la fusion rêvée.

Telle Carthage devant être détruite, la fusion doit être faite car, nous disent ses thuriféraires, elle répond à la demande des entreprises et des juristes avec l'appui du cercle Montesquieu et de l'AFJE : ce qui est, d'une part, un amalgame hâtif qui n'est pas démontré, et, d'autre part, une capitulation en rase campagne de la profession ; belle indépendance que celle d'un barreau qui serait inféodé aux volonté des entreprises et de ses prescripteurs.

Les mêmes ajoutent qu'elle renforcerait la compétitivité des entreprises françaises et la profession d'avocat qui en sortirait plus pléthorique qu'elle ne l'est encore : nos confrères en difficulté apprécieront...

Bien plus, le "Grand projet" soulagerait une formation professionnelle qui n'est plus financée qu'à fonds perdus : on ne voit rien dans l'amendement "Frassa" qui n'aborde cette question et le MEDEF ne s'est engagé à rien sur ce sujet.

Enfin, "last but not least" le juriste d'entreprise inscrit au Barreau, ferait bénéficier son employeur du secret ou, du moins, du "legal privilege" et serait astreint à la même déontologie.

On renverra les tenants de cette brillante proposition aux citations des arrêts "Akzo Nobel" et "AM & S" de la Cour de justice de l'Union européenne rappelées plus haut mais surtout aux obstacles accumulés contre le secret professionnel de l'avocat par la Chambre criminelle et par la Cour européenne des droits de l'Homme qui vient dans un arrêt du 16 juin 2016 de prendre une position éminemment restrictive (CEDH, 16 juin 2016, Req. 49176/11 N° Lexbase : A1124RTS) sur les écoutes incidentes.

Gageons que l'arrivée du "legal privilege" nous compliquera un peu plus la tâche, diluant encore un peu l'identité professionnelle des avocats, et justifiant enfin le projet de certains de voir disparaître un secret professionnel que ne pourra plus légitimer ni l'indépendance, ni la protection de la vie privée.

newsid:453677

Avocats/Statut social et fiscal

[Brèves] Protection de la collaboratrice enceinte : interprétation stricte du RIN

Réf. : Cass. civ. 1, 29 juin 2016, n° 15-21.276, FS-P+B (N° Lexbase : A1924RW8)

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N3554BWK

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Le 14 Juillet 2016

D'abord, l'article 14-4 du RIN -désormais article 14-5-3 (N° Lexbase : L4063IP8)- n'exclut pas la protection de la collaboratrice libérale ayant déclaré son état de grossesse au cours de la période d'essai. Ensuite, si ce contrat devait être rompu, ce ne serait qu'en cas de manquement grave aux règles professionnelles non lié à l'état de grossesse. Enfin, les juges doivent examiner tous les manquements allégués afin de savoir si le manquement grave est caractérisé. Tels sont les apports d'un arrêt rendu le 29 juin 2016 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 29 juin 2016, n° 15-21.276, FS-P+B N° Lexbase : A1924RW8). En l'espèce une avocate avait conclu avec une SCP un contrat de collaboration libérale avec effet au 11 mars 2013, prévoyant une période d'essai de trois mois et un délai de prévenance de huit jours en cas de rupture pendant la période d'essai. Le 9 avril 2013, insatisfaite de la qualité des prestations de sa collaboratrice, la SCP lui a fait part de son intention de rompre le contrat, puis a accepté de différer sa décision d'une quinzaine de jours pour permettre à l'avocate de faire la preuve de sa compétence. Informée, le 12 avril 2013, de l'état de grossesse de sa collaboratrice la SCP lui a notifiée la rupture de la période d'essai, par lettre du 29 avril 2013. La collaboratrice a saisi le Bâtonnier, qui a rejeté ses demandes. La cour d'appel ayant condamné la SCP à payer une certaine somme, elle a formé un pourvoi, auquel la Haute juridiction accède en énonçant la solution précitée (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E3165E4Y).

newsid:453554

Baux d'habitation

[Brèves] Obligation de présenter une offre de relogement au locataire âgé disposant de faibles ressources : l'exception prévue pour le bailleur âgé, ne s'applique pas lorsque le bailleur est une SCI familiale, même si l'associé bénéficiaire de la reprise est âgé

Réf. : Cass. civ. 3, 7 juillet 2016, n° 14-29.148, FS-P+B (N° Lexbase : A0059RXH)

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N3760BW8

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Le 15 Juillet 2016

En vertu de l'article 15-III de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L8461AGH), "le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé à l'égard de tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources [...], sans qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans [certaines] limites géographiques. [...] Toutefois, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa". Le bailleur, personne morale, ne peut se prévaloir au profit de l'un de ses associés de la dispense d'offre de relogement réservée par l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989 au bailleur personne physique. Telle est la précision apportée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 juillet 2016 (Cass. civ. 3, 7 juillet 2016, n° 14-29.148, FS-P+B N° Lexbase : A0059RXH). En l'espèce, une SCI, propriétaire de deux appartements donnés à bail à Mme J., lui avait délivré deux congés pour reprise au profit de l'un de ses associés ; Mme J. avait contesté la validité des congés au motif qu'aucune offre de relogement ne lui avait été proposée. La SCI faisait grief à l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 27 mai 2014, n° 13/08309 N° Lexbase : A8794MNZ) d'annuler les congés, faisant valoir notamment que, en vertu de l'article 13 a) de la loi de 1989, les dispositions de l'article 15 de la même loi peuvent être invoquées lorsque le bailleur est une société civile constituée exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus, par la société au profit de l'un des associés. En vain. L'argument est écarté par la Haute juridiction qui approuve la cour d'appel ayant exactement retenu que la bailleresse, personne morale, ne pouvait se prévaloir au profit de l'un de ses associés de la dispense d'offre de relogement réservée par l'article 15-III de la loi du 6 juillet 1989 au bailleur personne physique et constaté que la locataire, qui était âgée de plus de 70 ans et dont les ressources étaient inférieures à une fois et demie le montant annuel du salaire minimum de croissance, n'avait bénéficié d'aucune offre de relogement ; la cour d'appel avait déduit, à bon droit, de ces seuls motifs, que les congés étaient irréguliers et devaient être annulés.

newsid:453760

Collectivités territoriales

[Brèves] Illégalité de la délibération d'un conseil municipal portant création d'une "garde" composée de citoyens volontaires bénévoles

Réf. : TA Montpellier, 5 juillet 2016, n° 1506696 (N° Lexbase : A4266RWW)

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N3705BW7

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Le 14 Juillet 2016

La délibération d'un conseil municipal portant création d'une "garde" composée de citoyens volontaires bénévoles est illégale. Telle est la solution d'un jugement rendu par le tribunal administratif de Montpellier le 5 juillet 2016 (TA Montpellier, 5 juillet 2016, n° 1506696 N° Lexbase : A4266RWW). Un conseil municipal a décidé la création d'une "garde", composée de citoyens volontaires bénévoles chargés d'assurer des gardes statiques devant les bâtiments publics et des déambulations sur la voie publique et devant alerter les forces de l'ordre en cas de troubles à l'ordre public ou de comportements délictueux. Le tribunal, annulant cette délibération, fait application d'une jurisprudence constante, selon laquelle la police administrative constitue un service public qui, par sa nature, ne saurait être délégué (CE 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary). Il juge ainsi que les tâches de surveillance des bâtiments publics et de la voie publique sont partie intégrante, dans les communes, de la police municipale et doivent être exercées par le maire ou par des agents placés sous son autorité, sous le contrôle du représentant de l'Etat ; le conseil municipal ne pouvait en conséquence légalement confier à des particuliers les missions de surveillance de la voie publique ou des bâtiments publics. Il enjoint en conséquence à la commune de mettre fin à la mise en place opérationnelle de cette "garde" et à toute mesure d'information et de publicité la concernant.

newsid:453705

Concurrence

[Brèves] Pouvoirs d'accès et de communication des enquêteurs de l'Autorité de la concurrence et du ministère de l'Economie en matière d'enquêtes simples de concurrence : conformité à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2016-552 QPC, du 8 juillet 2016 (N° Lexbase : A7660RWM)

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N3756BWZ

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Le 14 Juillet 2016

Dans une décision du 8 juillet 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L2045KGT) dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX), qui fixent les pouvoirs d'accès et de communication des enquêteurs de l'Autorité de la concurrence et du ministère de l'Economie en matière d'enquêtes simples de concurrence (Cons. const., décision n° 2016-552 QPC, du 8 juillet 2016 N° Lexbase : A7660RWM). Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 4 mai 2016 par la Cour de cassation (Cass. com., 4 mai 2016, n° 15-25.699, F-D N° Lexbase : A3489RNK ; lire N° Lexbase : N2787BW7) d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 450-3 et L. 464-8 (N° Lexbase : L4973IUQ) du Code de commerce, la société requérante contestant notamment l'absence de voies de recours contre les mesures prévues par ces dispositions. Le Conseil constitutionnel a relevé que les demandes de communication d'informations et de documents formulées sur le fondement du quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du Code de commerce ne sont pas en elles-mêmes des actes susceptibles de faire grief. En outre, si une procédure est engagée contre une entreprise à la suite d'une enquête administrative pour pratique anticoncurrentielle ou si une astreinte ou une sanction est prononcée à l'encontre d'une entreprise, la légalité des demandes d'information peut être contestée par voie d'exception. Enfin, en cas d'illégalité, un recours indemnitaire est possible. Ainsi, les dispositions contestées ne portent donc pas atteinte au droit des personnes concernées de faire contrôler par les juridictions compétentes la régularité des mesures d'enquête et elles ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif.

newsid:453756

Contrat de travail

[Jurisprudence] "Confusion d'intérêts, d'activités et de direction" : une appréciation toujours aussi restrictive du coemploi

Réf. : Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 14-27.266, FS-P+B (N° Lexbase : A0107RXA)

Lecture: 13 min

N3699BWW

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

Le 14 Juillet 2016

En mars 2009, la société Continental a fermé l'usine de production de pneumatiques pour véhicules de tourisme, située à Clairoix, en Picardie : l'affaire des "Conti" a eu en son temps, un fort retentissement médiatique (1), devenu judiciaire. Un certain nombre de juridictions ont été saisies : le tribunal correctionnel de Compiègne, en 2009 (2) (certains salariés et syndicalistes avaient saccagé la sous-préfecture de Compiègne le 21 avril) ; le conseil de prud'hommes de Compiègne (CPH Compiègne, 30 août 2013 n° 11/00488 N° Lexbase : A9599KKQ) (3), invalidant le licenciement des 682 salariés pour défaut de motif économique et condamnant solidairement la société mère de droit allemand "Continental Aktiengesellschaft" (AG) et sa filiale, considérées comme co-employeurs ; la cour administrative d'appel de Douai (vingt-et-un arrêts, CAA Douai, 22 mai 2014 dont n° 13DA00694 N° Lexbase : A7158MQ8) (4), confirmant l'annulation en première instance du licenciement pour motif économique d'anciens salariés protégés ; le Conseil d'Etat, rejetant le pourvoi et confirmant l'arrêt de la cour adminstrative d'appel de Douai (CE, 4° s-s., 27 janvier 2016, n° 384221, inédit N° Lexbase : A4444N7Q) (5) ; la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 juillet 2016 (6), confirmant que le licenciement en 2010 des salariés n'a pas de motif économique ; écartant la qualification de coemployeur à la société allemande Continental AG, attribuée par les juges du fond (CA Amiens du 30 septembre 2014, 550 arrêts dont n° 13/05602 N° Lexbase : A5615MXA). Le volet "motif économique", qui n'est pas le plus délicat, ne mérite donc que d'être mentionné, pour mémoire. La Cour de cassation confirme l'analyse des juges du fond, selon lesquels la société Continental France ne justifiait ni de difficultés économiques, ni d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité de la division "Passenger and Light Truck Tire" du groupe Continental auquel elle appartenait. La mesure de réorganisation constituée par la fermeture de l'établissement de Clairoix et la suppression de l'ensemble des emplois n'ont répondu qu'à un souci de rentabilité du secteur pneumatique du groupe. En conséquence, les licenciements ne reposent pas sur une cause réelle et sérieuse.
L'arrêt rapporté présente un intérêt certain, en sa dimension "coemploi", laquelle n'est toujours pas clarifiée, la Cour de cassation maintenant sa jurisprudence "Molex" (Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-15.208 à n° 13-21.153, FS-P+B N° Lexbase : A2662MTR) et refusant, à ce stade, de consacrer les nombreuses propositions doctrinales (7). La Cour de cassation prend donc toujours en compte, pour apprécier l'existence d'un coemploi de :

- l'anormalité des relations entre un groupe et sa filiale ("au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer") ;

- l'existence entre le groupe et sa filiale, d'une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

Résumé

Hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur à l'égard du personnel employé par une autre que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

Le fait que la politique du groupe déterminée par la société mère ait une incidence sur l'activité économique et sociale de sa filiale, et que la société mère ait pris dans le cadre de cette politique des décisions affectant le devenir de sa filiale et se soit engagée à garantir l'exécution des obligations de sa filiale liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois ne peuvent suffire à caractériser une situation de coemploi.

Commentaire

I - Coemploi, fondé sur le lien de subordination

En 2014 (arrêt "Molex") (8), la Cour de cassation a strictement encadré l'appréciation de la situation de la société mère par rapport à sa filiale, excluant donc l'appréciation de la relation salariés/société mère (d'où la formule "hors état de subordination").

En d'autres termes, en application de cette jurisprudence "Molex" (préc.), il n'y a pas lieu d'établir l'existence d'un contrat de travail entre le salarié et le coemployeur, en application du droit commun (critères habituels de qualification : lien de subordination juridique, prestation de travail et rémunération), s'il existe entre la société mère et sa filiale, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

Bref, si une société du groupe exerce une autorité directe sur les salariés d'une autre, qui deviennent alors ses subordonnés, la Cour de cassation en tire toutes les conséquences, en termes de qualification de coemployeur, qui sera alors retenue (9).

La Cour de cassation a reconnu l'existence d'un "coemploi" :

- s'agissant d'un salarié, dont l'activité principale consistait à assurer des cours aux stagiaires des entreprises clientes de la société L. ; recevait des instructions directement de cette société concernant notamment les plannings d'intervention et les méthodes de travail, tout en continuant à travailler pour le compte de l'association R.. M. X se trouvait placé sous la subordination de la société L. et de l'association R., lesquelles avaient eu, à son égard, la qualité d' "employeurs conjoints" (10). Il faut relever au passage que la Cour de cassation n'utilise pas l'expression "coemploi" mais "employeurs conjoints" ;

- les juges du fond doivent rechercher si, pendant toute la durée de la relation contractuelle, Mme X n'avait pas, en fait, travaillé dans un lien de subordination avec la société E. de sorte que les deux sociétés avaient la qualité d' "employeur conjoint" (11).

En l'espèce, dans l'arrêt rapporté, les demandeurs (salariés) n'ont pas mis en avant cette forme juridique de coemploi, fondée sur les relations entretenues entre la maison mère et l'un de ses filiales ; mais la seconde forme de coemploi, reposant sur le critère de la confusion d'intérêts et de l'immixtion dans la gestion économique et sociale.

II - Coemploi, hors existence d'un lien de subordination, fondé sur une confusion d'intérêts et de l'immixtion dans la gestion économique et sociale

Pour attribuer la qualité de coemployeurs, les juges apprécient l'existence d'une confusion d'intérêts, d'activité et de direction entre les sociétés, critère retenu par la Cour de cassation en 2004 (12), confirmé depuis en 2011 (13) et repris dans toutes ses décisions ("Molex", préc. ; arrêt rapporté).

La difficulté de l'analyse est double : elle tient à la notion elle-même, délicate à appréhender (confusion d'intérêts, d'activité et de direction : quelle "confusion", selon quel mode d'analyse, le droit du travail, le droit des sociétés ou le droit civil ?) ; elle tient ensuite à sa combinaison avec d'autres critères (la Cour de cassation, en 2004 et en 2011 (14), s'en tenait seulement à cette exigence de "confusion d'intérêts, d'activité et de direction entre les sociétés" ; mais depuis la jurisprudence "Molex" (15), plusieurs critères cumulatifs sont exigés.

La situation de coemploi est caractérisée (depuis la jurisprudence "Molex") : s'il existe une confusion d'intérêts, d'activités et de direction ; si cette triple confusion se manifeste par une immixtion dans la gestion économique et sociale de la filiale (ou, plus largement, de l'une des sociétés appartenant à un même groupe) ; si cette triple confusion dépasse ("au-delà") la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer. L'arrêt rapporté reprend intégralement cette analyse, qui n'est ni renouvelée ni amendée ni infléchie.

A - Le critère de la confusion (intérêts, activité et direction entre les sociétés)

La Cour de cassation, depuis 2004 (Cass. soc., 9 juin 2004, n° 01-43.802, F-D, préc.), exige, pour caractériser le coemploi, une triple confusion, portant sur les intérêts, l'activité et la direction entre les sociétés. Cette triple confusion a été constatée dans certaines décisions ; pas d'autres.

1 - Jurisprudence reconnaissant une confusion d'intérêts

La confusion des intérêts, activité et direction entre les sociétés est retenue, sur la base d'éléments variables : même siège social ; mêmes dirigeants et administrateurs ; unité de direction (absence d'autonomie industrielle, commerciale et administrative de la filiale ; choix stratégiques et de gestion décidés par la société mère).

Casuistique jurisprudentielle. La jurisprudence a admis, dans un certain nombre d'affaires, l'existence d'une confusion d'intérêts :

- les deux sociétés ont eu longtemps le même siège social ; elles avaient les mêmes dirigeants et administrateurs. Le salarié, a été engagé par la société S., puis employé et finalement licencié par la société I.. La cour d'appel a retenu, entre ces deux sociétés, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction (16) ;

- les sociétés C. et S. formaient un ensemble uni par la confusion de leurs intérêts, de leurs dirigeants, de leurs activités et de leurs moyens d'exploitation (on n'en saura pas plus) (17).

- il existait entre les sociétés composant le groupe J. une unité de direction sous la conduite de la société J. AG ; les décisions prises par J. AG ont privé la société M. de toute autonomie industrielle, commerciale et administrative, au seul profit de la société mère du groupe ; J. AG a repris tous les brevets, marques et modèles de la société M. et bénéficié de licences d'exploitation ; les choix stratégiques et de gestion de la société d'Argentan étaient décidés par J. AG, laquelle assurait également la gestion des ressources humaines de la filiale et a imposé la cessation d'activité, en organisant le licenciement des salariés et en attribuant elle-même une prime aux salariés de la société M. ; le dirigeant de la société M. ne disposait plus d'aucun pouvoir effectif et était entièrement soumis aux instructions et directives de la direction du groupe, au seul profit de celui-ci. Bref, il existait ainsi, entre la société M. et la société J. une confusion d'activités, d'intérêts et de direction conduisant cette dernière à s'immiscer directement dans la gestion de la société M. et dans la direction de son personnel (18) ;

- la société B. n'était qu'un simple établissement de la société L., sans réelle autonomie financière et de gestion. Il existait entre elles une confusion totale d'activité, d'intérêts et de direction. Le seul cadre à l'effectif de la société B., sous l'autorité duquel se trouvaient les salariés, recevait ses ordres de la société L. et les transmettait directement à ses chefs d'équipe. Il n'avait aucun pouvoir pour leur donner directement des instructions. Toute la gestion du personnel était faite par la société L.. Au final, cette société avait un pouvoir de direction et de contrôle sur l'ensemble des salariés de la société B.. Ils étaient à son égard en état de subordination (19) ;

- le fait que les sociétés X et Y aient le même dirigeant, signant les contrats de travail, avec des locaux à la même adresse, avec des activités similaires et complémentaires, les contrats de travail prévoyant tous que le salarié doit rendre des comptes et recevoir des instructions des mêmes personnes (20) ;

- les sociétés S. et So. avaient une activité complémentaire, un même siège social et les mêmes dirigeants (21) ;

Contentieux "Conti". La confusion des intérêts, activité et direction entre les sociétés a été retenue en première et seconde instance. En première instance, le CPH avait admis l'existence d'un coemploi avec la maison mère, suscitant déjà plusieurs critiques (22). En appel, les juges du fond ont retenu la qualification de "coemploi", au vu de ces différents éléments :

- la société mère Continental AG exerçait un contrôle étroit et constant sur la société Continental France, filiale détenue à 100 %, qui, bien que disposant de dirigeants propres, était dépourvue d'autonomie réelle, les choix stratégiques ainsi que les décisions importantes en matière de gestion économique et sociale étant prises au niveau de la direction de la société mère et les autres, étroitement contrôlées, devant être avalisées et répondre à des critères imposés ;

- la société mère définissait et imposait à sa filiale ses choix et orientations économiques en fonction de ses intérêts et de ceux du groupe, en termes commerciaux (de produits, volumes de production, clients et prix, des ratios de performance opérationnelle et les objectifs à atteindre sous la menace de se désengager financièrement vis-à-vis de sa filiale) ;

- la société mère définissait et imposait à sa filiale ses choix et orientations économiques en fonction de ses intérêts et de ceux du groupe dans le domaine de la gestion des ressources humaines (où pour l'exécution des contrats de travail des salariés de la société Continental France, le seuil de déclenchement de l'attribution de certaines primes ou avantage était fonction d'indicateurs de performance déterminés par le groupe). Les décisions de restructuration et de fermeture de l'établissement de production de Clairoix (suppression de plus de mille cent salariés) ont été prises, pour des raisons de pure stratégie industrielle destinées à améliorer les performances du groupe dans le secteur considéré, au niveau de la société mère et imposées à la société Continental France chargée de la mettre en oeuvre sous le contrôle étroit ;

- la société mère, assumant sa décision tant devant les salariés de sa filiale que des autorités politiques françaises, s'est fortement impliquée dans la procédure de licenciement économique collective ; élaboration des différents accords de méthode ; engagement de sa part quant à l'exécution par la société Continental France de ses obligations ; gestion de l'ensemble des procédures de reclassement.

2 - Jurisprudence niant l'existence d'une confusion d'activités, d'intérêts et de direction

La confusion des intérêts, activité et direction entre les sociétés n'a pas été retenue par la Cour de cassation dans de nombreuses décisions, spécialement depuis son arrêt "Molex" de 2014 (préc.). N'ont pas été appréciés comme pertinents : une équipe dirigeante identique ; la prise de décisions de la société mère dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de ces filiales.

N'ont pas été jugés suffisants pour retenir la qualité de coemployeur le fait que :

- ait été constituée une équipe dirigeante identique ; la société mère a, d'une part, pris dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de ces filiales, d'autre part, fourni les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la cessation d'activité des sociétés (23). Le contexte est spécifique, en ce que le groupe de sociétés comprend une filiale en cessation d'activité ou en liquidation judiciaire ;

- les employeurs successifs appartiennent au même groupe ; la salariée y a accompli les mêmes tâches pour les mêmes clients, avec les mêmes interlocuteurs ; les relations avec la société S. ont immédiatement succédé à celles avec la société G. ; les changements de raison sociale des sociétés et la proximité des dénominations ou noms commerciaux utilisés ne sont pas des motifs permettant de caractériser une confusion d'intérêts, d'activité et de direction (Cass. soc., 6 juillet 2011, n° 09-69.689, F-P+B N° Lexbase : A9572HU3) ;

- ait été constituée une équipe dirigeante identique (Cass. soc., 9 juin 2015, n° 13-26.558 à n° 13-26.566, F-D N° Lexbase : A8840NKM) ;

- la société mère ait pris dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de ces filiales, et fourni les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la cessation d'activité des sociétés (Cass. soc., 9 juin 2015, n° 13-26.558 à n° 13-26.566, F-D, préc.) ;

- les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et soient en étroite collaboration avec la société mère (Cass. soc., 10 décembre 2015, n° 14-19.316, FS-P+B N° Lexbase : A1886NZU) ;

- la société mère ait pris durant les quelques mois suivant la prise de contrôle de la filiale des décisions visant à sa réorganisation dans le cadre de la politique du groupe, puis ait renoncé à son concours financier destiné à éviter une liquidation judiciaire de la filiale, tout en s'impliquant dans les recherches de reclassement des salariés au sein du groupe (Cass. soc., 10 décembre 2015, n° 14-19.316, FS-P+B, préc.) ;

- les dirigeants de la filiale proviennent du groupe (Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-15.208, dit arrêt "Molex", préc.) ;

- la société mère ait pris dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de la filiale et se soit engagée à fournir les moyens nécessaires au financement des mesures sociales liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois (Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-15.208, dit arrêt "Molex", préc.).

En l'espèce (arrêt rapporté), ne peuvent suffire à caractériser une situation de coemploi, le fait que :

- la politique du groupe déterminée par la société mère ait une incidence sur l'activité économique et sociale de sa filiale ;

- la société mère ait pris dans le cadre de cette politique des décisions affectant le devenir de sa filiale et se soit engagée à garantir l'exécution des obligations de sa filiale liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois.

La solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, depuis son arrêt "Molex" (préc.). La doctrine (24) a opportunément souligné le cadre d'appréciation de la notion de coemploi, qui, en application de cette jurisprudence "Molex", s'est déplacé sur le terrain de la faute de la société mère. Le comportement fautif de la société mère (qui appelle une sanction, celle de la qualification de coemploi) est précisément défini comme la relation nouée entre la société mère et ses filiales, allant au-delà :

- de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe ;

- et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer.

L'arrêt rapporté s'inscrit bien dans cette analyse des relations société mère/filiales, puisque pour la Cour de cassation, les relations décrites relèvent de la nature de ce qui est acceptable (coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe ; l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer) et non pas de ce qui va au-delà.

B - Les effets de la confusion d'intérêts : une immixtion dans la gestion économique et sociale

Pour la Cour de cassation, la constatation d'une confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre les deux sociétés ne suffit pas. Cette confusion doit se manifester par une immixtion dans la gestion économique et sociale de la société mère (ou toute autre société du groupe).

Mais l'exigence cumulative n'est pas avérée. Ainsi, dans un arrêt rendu le 23 septembre 2015 (25), la Cour de cassation n'a pas fait mention de cette notion d'immixtion. Mais dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation mentionne bien la référence à l'" immixtion dans la gestion économique et sociale " de la société mère à l'égard de sa/ses filiales, sans d'ailleurs s'en expliquer. En l'espèce, la référence est rhétorique, car la Cour de cassation estime non caractérisée la situation de coemploi.

C - Critiques et propositions doctrinales

1 - Critiques doctrinales

La doctrine s'est beaucoup investie dans le champ du coemploi, parce que la Cour de cassation, d'une part, s'est appuyée sur une notion incertaine, "l'anormal" ; et d'autre part, sur celle, tout aussi incertaine et confuse, de " confusion d'intérêts, d'activités et de direction entre les deux sociétés". Ces incertitudes expliquent les divergences d'appréciation entre les juges du fond et la Cour de cassation, pour lesquelles les exemples abondent (26) ; (arrêt rapporté).

La référence à la notion d'immixtion a été critiquée, en ce que l'"énoncé renferme une large part de mystère : l'on imagine difficilement que celui qui est en état de domination [...] ne s'immisce pas ! Ne serait-ce pas plutôt exiger le franchissement d'un certain degré d'immixtion ? Lequel ?" (27) ; car "l'immixtion de la société mère [...] ne saurait suffire à lui conférer la qualité de partie aux contrats de travail des salariés de la filiale [...] seule la fictivité de cette dernière permet d'établir un lien contractuel avec la société mère, en ce qu'elle permet précisément de percer l'écran de la personne morale de la filiale [...], ce n'est pas tant l'immixtion qui justifie la solution que l'apparence qu'elle crée" (c'est nous qui soulignons) (28).

2 - Propositions doctrinales

La notion de coemploi, telle qu'elle se présente, en son indécision notionnelle (sic) a suscité des divergences d'analyse doctrinale :

- le coemploi a été assimilée à l'abus de personnalité morale, "seule la fictivité de [la filiale] permet d'établir un lien contractuel avec la société mère, en ce qu'elle permet précisément de percer l'écran de la personne morale de la filiale" (abandon du critère de l'immixtion, trop flou (29)) ;

- à la gestion de fait. Le coemploi résultant, alternativement (et non cumulativement) d'une fictivité de la filiale (c'est-à-dire, simulation, fraude); d'une confusion des patrimoines ; d'une immixtion dans le contrat de nature à créer une apparence trompeuse (30).


(1) P. Depoorter et N. Frigul, De quoi les Conti sont-ils le nom ?, Radicalisation des luttes sociales et restructurations financières, Travail et emploi, 2014/1, n° 137, p. 148 ; A.-C. Geoffroy et E. Souffi, L'histoire sans fin des Conti et des Fralib, LSM, n° 143, p. 34, juin 2013. V. aussi Les Conti, film de J. Palteau, 2012.
(2) LSQ, n° 184 du 9 septembre 2009.
(3) Questions à Maître Catherine Davico-Hoarau, Lexbase, éd. soc, n° 540, 2013 (N° Lexbase : N8611BT4) ; LSQ, n° 16297 du 4 mars 2013.
(4) LSQ, n° 16598 du 26 mai 2014.
(5) LSQ, n° 16908 du 8 septembre 2015.
(6) LSQ, n° 17119 du 8 juillet 2016.
(7) Licenciements pour motifs économiques et restructuration : vers une redistribution des responsabilités, Sous la direction de Georges Borenfreund et Elsa Peskine, Dalloz, Collection : Thèmes & commentaires, 06/2015 ; travaux de G. Auzero (nombreuses réf., infra), G. Loiseau (JCP éd. S, n° 29, 22 juillet 2014, 1311) et Y. Pagnere (nombreuses réf., infra ; Regard historique sur le coemploi, Dr. soc., 2016, p. 550). V. aussi F. Dumont (La nébuleuse du coemploi, JCP éd. E, 7 mai 2015, n° 1222) ; J.-F. Cesaro (RDT, 2014, p. 661) ; E. Peskine (ibid.).
(8) D. Jacotot, RPC, n° 6, novembre 2014, comm. 170 ; J. Grangé, L'arrêt Molex : le coup d'arrêt au coemploi, SSL, n° 1667, supplément du 9 mars 2015 ; G. Auzero, Coemploi : le rappel à l'ordre de la Cour de cassation, SSL, n° 1667, supplément du 9 mars 2015 ; par G. Loiseau, Le coemploi est mort, vive la responsabilité délictuelle, JCP éd. S, n° 29, 22 juillet 2014, 1311.
(9) Le coemploi n'est ni une "baguette magique", ni une aberration juridique, Entretien avec Pierre Bailly, SSL, n° 1619, supplément du 24 février 2014.
(10) Cass. soc., 17 novembre 2004, n° 02-44.337, F-D (N° Lexbase : A9457DDM).
(11) Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 03-45.394, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9080DI7), Bull. civ. V, n° 244, p. 213.
(12) Cass. soc., 9 juin 2004, n° 01-43.802, F-D (N° Lexbase : A6096DCR), Y. Pagnerre, Dr. soc., 2016, p. 550, préc. : le salarié s'était trouvé dans un lien de subordination envers les sociétés O., P. France et P., lesquelles sociétés constituaient un ensemble uni par la confusion de leurs intérêts, de leurs activités et de leurs directions, a pu décider que ces sociétés avaient la qualité de coemployeurs de l'intéressé.
(13) Cass. soc., 6 juillet 2011, n° 09-69.689, F-P+B (N° Lexbase : A9572HU3), Y. Pagnerre, Dr. soc., 2016, p. 550, préc.. Pour décider que les sociétés P. et G. avaient la qualité de coemployeurs, les juges du fond ont retenu que : les employeurs successifs appartiennent au même groupe ; la salariée y a accompli les mêmes tâches pour les mêmes clients, avec les mêmes interlocuteurs ; les relations avec la société S. ont immédiatement succédé à celles avec la société G. ; les changements de raison sociale des sociétés et la proximité des dénominations ou noms commerciaux utilisés démontrent l'imbrication étroite entre celles-ci qui constituent un seul et unique employeur. En se déterminant ainsi, par des motifs ne permettant pas de caractériser une confusion d'intérêts, d'activité et de direction, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
(14) Cass. soc., 9 juin 2004, n° 01-43.802, F-D, préc. et Cass. soc., 6 juillet 2011, n° 09-69.689, F-P+B, préc..
(15) Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-15.208, FS-P+B (N° Lexbase : A2662MTR), Bull. civ., V, n° 159.
(16) Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-45.341, F-D (N° Lexbase : A5598DMB).
(17) Cass. soc., 27 mars 2008, n° 07-40.229, F-D (N° Lexbase : A6146D7R).
(18) Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 10-22.964, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4638H38) ; Entretien avec P. Bailly, SSL, n° 1619, supplément du 24 février 2014.
(19) Cass. soc., 15 février 2012, n° 10-13.897, F-D (N° Lexbase : A8749ICZ).
(20) Cass. soc., 23 septembre 2015, n° 14-16.538, F-D (N° Lexbase : A8452NPQ) ; G. Auzero, RDT, 2016, p. 27.
(21) Cass. soc., 31 mars 2016, n° 14-17.834, F-D (N° Lexbase : A1453RBG), SSL, n° 1722 du 9 mai 2016.
(22) Questions à C. Davico-Hoarau, Lexbase, éd. soc, n° 540, 2013, préc. D'abord, la rédaction de l'objet social de la maison mère, précisant que la fabrication et la distribution de pneus puissent se réaliser par elles-mêmes ou par l'intermédiaire de filiales, n'implique pas, en soit, a confusion d'activités. Ensuite, il semble y avoir une confusion entre la notion de secteur d'activité qui s'appréhende au niveau du groupe pour apprécier la réalité du motif économique et la notion de coemploi. Enfin, le juge a ajouté un critère capitalistique qui n'a pas lieu d'être : le fait d'être une filiale à 100 % n'est pas un critère du coemploi.
(23) Rev. proc. coll., n° 2, mars 2016, comm. 71, commentaire par D. Jacotot.
(24) S. Béal et C. Terrenoire, Coemploi et groupes de sociétés : des liaisons apaisées ?, JCP éd. E, n° 9, 26 février 2015, 1105. "La [...] Cour de cassation distingue désormais deux degrés de relations entre une holding et ses filiales : premier degré : relation de domination économique des filiales, doublée d'une action de coordination, par la holding, des actions économiques des filiales ; second degré : relation marquée par une "confusion d'intérêts, d'activités et de direction" se traduisant par une immixtion de la holding dans la gestion économique et sociale d'une ou de plusieurs des filiales".
(25) Cass. soc., 23 septembre 2015, n° 14-16.538, F-D (N° Lexbase : A8452NPQ), G. Auzero, RDT, 2016, p. 27, préc..
(26) G. Auzero, Lexbase, éd. soc, n° 638, 2016 (N° Lexbase : N0599BW4).
(27) D. Jacotot, Rev. proc. coll., n° 2, mars 2016, comm. 71, préc..
(28) G. Auzero, La nature juridique du lien de coemploi, SSL, 2013, n° 1600, p. 8. ; Coemploi : en finir avec les approximations !, RDT, 2016, p. 27.
(29) G. Auzero, Le coemploi : en finir avec les approximations !, RDT, 2016, p. 27, préc..
(30) Y. Pagnerre, Coemployeur : tiers ou partie au contrat de travail ?, JCP éd. S, 2015, n° 1436 ; De la fictivité comme critère du coemploi: "certes mais pas que...", RDT, 2016, p. 175.

Décision

Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 14-27.266, FS-P+B (N° Lexbase : A0107RXA)

Cassation, CA Amiens du 30 septembre 2014, 550 arrêts, dont n° 13/05602 (N° Lexbase : A5615MXA)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B).

Mots-clés : coemploi ; caractérisation ; politique du groupe déterminée par la société mère ; incidence sur l'activité économique et sociale de sa filiale ; décisions affectant le devenir de sa filiale ; engagement à garantir l'exécution des obligations de sa filiale liées à la fermeture du site ; situation de coemploi (non).

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Contrat de travail

[Brèves] Pas d'application des mentions obligatoires du contrat de travail à durée déterminée à la promesse d'embauche

Réf. : Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 15-11.138, FS-P+B (N° Lexbase : A9940RW3)

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Le 16 Juillet 2016

Les dispositions de l'article L. 1242-12 du Code du travail ne s'appliquent pas à une promesse d'embauche. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 juillet 2016 (Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 15-11.138, FS-P+B N° Lexbase : A9940RW3).
En l'espèce, une salariée est engagée par la société X, qui appartient au groupe Y, d'abord en contrat à durée déterminée du 2 décembre 1991 au 25 février 1992 en qualité de sténo-dactylo pour remplacer une salariée en congé-maternité, puis selon contrat à durée indéterminée pour occuper un emploi de secrétaire commerciale standardiste. Elle a, en dernier lieu, occupé des fonctions de technico-commerciale. La société X a engagé une procédure de licenciement économique. La salariée ayant accepté un contrat de sécurisation professionnelle, elle a par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçu notification de son licenciement.
La salariée saisit la juridiction prud'homale pour notamment obtenir le paiement d'une indemnité de requalification de son contrat à durée déterminée. La cour d'appel condamne l'employeur à lui verser l'indemnité de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée au motif que la promesse d'embauche qui constituait le contrat était taisant sur la qualification professionnelle de la salariée remplacée et qu'il n'y avait pas possibilité de régulariser le contrat de travail à durée déterminée.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse et annule l'arrêt d'appel au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), ensemble l'article L. 1242-12 du Code du travail (N° Lexbase : L1446H9G), et considère que le contrat de travail à durée déterminée, qui avait été régulièrement produit aux débats, comportait une signature pour la salariée et que les dispositions de l'article L. 1242-12 du Code du travail ne s'appliquent pas à une promesse d'embauche. La cour d'appel a ainsi violé les textes susvisés (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7764ESD).

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Contrôle fiscal

[Brèves] La présence du supérieur du vérificateur à l'entretien avec l'interlocuteur départemental ou régional n'est pas de nature à entacher la procédure d'irrégularité

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 6 juillet 2016, n° 393033, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6122RWN)

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N3711BWD

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Le 19 Juillet 2016

Les dispositions de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié assurent à ce dernier la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, avec un fonctionnaire de l'administration fiscale de rang plus élevé (interlocuteur départemental ou régional). Cette garantie doit pouvoir être exercée par le contribuable dans des conditions ne conduisant pas à ce qu'elle soit privée d'effectivité. Ainsi, la circonstance que le supérieur hiérarchique du vérificateur ayant conduit la vérification de comptabilité soit présent à l'entretien avec l'interlocuteur départemental ou régional n'est pas de nature, à elle seule, à entacher la procédure d'irrégularité. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 6 juillet 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 6 juillet 2016, n° 393033, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6122RWN). En l'espèce, la société requérante critiquait la circonstance que l'interlocuteur départemental l'avait reçue en présence du supérieur hiérarchique du vérificateur, dont la participation aurait privé d'objectivité le recours qu'elle avait sollicité. Pour la Haute juridiction, qui a donné raison à l'administration, en relevant que la société ne remettait pas en cause l'impartialité de l'interlocuteur départemental lors de l'entrevue accordée à son gérant, la cour administrative d'appel ne s'est pas méprise sur la portée des écritures de la société (CAA Lyon, 30 juin 2015, n° 13LY02094 N° Lexbase : A5772NQT). Dès lors, la garantie prévue par la charte n'avait pas été méconnue du seul fait de la présence du supérieur hiérarchique du vérificateur lors de l'entrevue entre la société et l'interlocuteur départemental. En 2008, le Conseil d'Etat avait déjà plus largement admis que la présence d'un tiers lors de l'entretien avec l'interlocuteur départemental n'était pas constitutive d'une irrégularité (CE 3° et 8° s-s-r., 14 avril 2008, n° 301163 N° Lexbase : A9522D7S) .

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Fiscalité financière

[Jurisprudence] Plus-value de cession de titres : la règle PEPS au-delà du réel

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 8 juin 2016, n° 381289, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7230RSL)

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N3734BW9

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par Jean-Marie Garinot, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne (CREDIMI)

Le 14 Juillet 2016

Le Conseil d'Etat vient de se prononcer sur la méthode d'évaluation à mettre en oeuvre en cas de cession de titres de même nature acquis à des dates différentes générant une plus-value imposée selon l'article 39 duodecies du CGI (N° Lexbase : L3833KWU). Il considère que, même si les titres sont numérotés (donc identifiés), la règle "premier entré, premier sorti" doit s'appliquer lors de la détermination du prix d'acquisition, donc de la plus-value (CE 9° et 10° ch.-r., 8 juin 2016, n° 381289, mentionné aux tables du recueil Lebon). Cette décision vient préciser la portée du 6 de l'article 39 duodecies du CGI, relatif aux plus-values des professionnels. Selon ce texte, en cas de plus-value de cession de titres acquis à des dates différentes, "Pour l'application du présent article, les cessions de titres compris dans le portefeuille sont réputées porter par priorité sur les titres de même nature acquis ou souscrits à la date la plus ancienne". Or, comme l'illustre le présent arrêt, il était possible de considérer que, lorsque les titres sont numérotés, donc individualisés, il convient de calculer la plus-value en tenant compte de leur date effective d'acquisition. En l'espèce, le contribuable avait acquis, en 1999, la majorité des parts d'une EARL, ultérieurement transformée en société civile. En 2005, cette société civile a procédé à une augmentation de capital, intégralement souscrite par le contribuable, lequel a immédiatement cédé les parts nouvellement acquises à une autre société civile. La cession s'était opérée le jour même, au prix de souscription, aucune plus-value effective n'ayant été dégagée. A l'occasion d'une procédure de vérification, l'administration a considéré que la cession intervenue en 2005 devait être réputée avoir porté sur les parts les plus anciennes, c'est-à-dire celles acquises en 1999. Fort logiquement, le service a donc conclu à la réalisation d'une plus-value imposable et a procédé aux rectifications subséquentes. Dès lors que le contribuable exerçait son activité professionnelle au sein d'une société de personnes, la plus-value devait être considérée comme une plus-value professionnelle, soumise aux dispositions de l'article 39 duodecies précité. En d'autres termes, il convenait donc de savoir si la règle "PEPS" posée par cet article constitue une présomption simple ou une présomption irréfragable.

Par un arrêt du 17 avril 2014 (1), la cour administrative d'appel de Nancy s'est rangée à l'opinion de l'administration et a jugé que "les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé relèvent du régime des plus-values professionnelles défini à l'article 39 duodecies du code général des impôts ; que si l'acte de cession des parts sociales de la SCEV en date du 5 juillet 2005 à la société holding créée par le requérant retrace les origines des titres et détaille les numéros des parts cédées, cette numérotation des parts ne saurait toutefois, à elle seule, faire échec à la présomption instituée par les dispositions précitées du 6° de l'article 39 duodecies du CGI, alors qu'il n'est pas établi que les parts souscrites le 5 juillet 2005 seraient d'une autre nature et conféraient d'autres droits que celles qui composaient le capital lors de la création de la SCEV le 5 mai 1999". Autrement dit, les juges du fond ont considéré la présomption posée par l'article 39 duodecies comme irréfragable et ont estimé que seuls la cession de titres d'une autre nature ou conférant d'autres droits que les titres d'origine pouvait faire échec à l'application de la règle PEPS.

Saisi d'un pourvoi, le Conseil d'Etat confirma l'arrêt d'appel et jugea que "le législateur a entendu fixer, sous la seule réserve des dérogations prévues au même article, la règle selon laquelle, lorsqu'un contribuable [...] cède des valeurs mobilières [...] ces cessions sont réputées porter sur les titres de même nature acquis ou souscrits à la date la plus ancienne, quelle qu'en soit la date d'acquisition effective" et que "la cession litigieuse devait être réputée porter sur des titres de portefeuille, au sens et pour l'application du 6 [de l'article 39 duodecies], et que la numérotation des parts [...] n'était pas de nature à faire obstacle à l'application de la règle analysée ci-dessus, alors même qu'une telle numérotation aurait permis d'établir la date exacte d'acquisition et le coût réel d'acquisition de chacun des titres cédés". La numérotation des parts sociales permettant d'en retracer l'origine avec certitude, le principe posé par le Conseil d'Etat peut, à première lecture, sembler particulièrement rigoureux pour le contribuable (I). Le présent arrêt invite par ailleurs à s'interroger sur l'utilité de la numérotation des titres (II).

I - L'apparente rigueur de la présomption posée par l'article 39 duodecies

La numérotation des parts sociales, dont on peine à trouver le fondement légal, constitue d'un véritable habitus pour les praticiens. Cette pratique présente l'avantage d'identifier les titres et de les individualiser, ce qui permet d'établir de façon certaine leur origine de propriété, ainsi que leurs date et prix d'acquisition. Il n'est dès lors pas étonnant que le contribuable ait soutenu que les parts sociales cédées étaient celles reçues en contrepartie de l'augmentation de capital réalisée en 2005 et non celles acquises en 1999. Ce raisonnement se comprend d'autant mieux que la méthode PEPS constitue à l'origine une règle comptable permettant d'évaluer un ensemble d'éléments identiques dont on peut malaisément retracer la date d'acquisition, tel que le stock. Or, précisément, la numérotation des titres permet de déterminer avec exactitude leur date d'acquisition, de manière à calculer la plus-value véritablement réalisée lors de la cession.

Néanmoins, comme le souligne le Conseil d'Etat, l'article 39 duodecies, 6 du CGI précise que les cessions de titres sont "réputées" porter sur les titres les plus anciens. La présomption posée par ce texte présente donc un caractère irréfragable et, comme telle, trouve à s'appliquer même si elle ne correspond pas à la réalité de l'opération. Le raisonnement du Conseil d'Etat doit être approuvé en ce qu'il est fait une exacte application de la lettre de la loi. De surcroît, rien, dans les travaux préparatoires, ne laisse à penser que le législateur aurait entendu faire de cette règle une présomption simple. La solution paraît donc également conforme à l'esprit de la loi, même si elle peut sembler d'une particulière rigueur puisque la cession avait bel et bien, dans les faits, porté sur les titres nouvellement souscrits et comme telle, n'avait généré aucune plus-value véritable.

On relèvera par ailleurs que les juges du Palais-Royal n'ont pas repris les développements des juges du fond relatifs à la l'inapplicabilité de la règle PEPS lorsque les titres cédés sont d'une autre nature que les autres titres possédés par le contribuable. Selon la doctrine administrative, "En ce qui concerne la définition des titres de même nature, ces titres s'entendent de ceux qui sont émis par une même collectivité et confèrent à leurs détenteurs les mêmes droits au sein de la collectivité émettrice, sans qu'il y ait lieu, en principe, de distinguer selon le régime fiscal auquel ces éléments ont été soumis" (2). S'il semble évident que, pour être de même nature, les titres doivent être émis par la même société, la précision relative aux droits conférés par ceux-ci suscite plusieurs questions. On sait en effet que les actions de préférence peuvent conférer des prérogatives particulières, de nature politique ou patrimoniale. Ces préférences peuvent tantôt être relativement mineures (ex. : droit à l'information selon une périodicité renforcée), tantôt être réellement discriminatoires (ex. : privation du droit de vote). Dès lors, suffit-il de conférer à une catégorie d'actions un droit particulier pour qu'il soit fait échec à la règle PEPS ? Bien que la jurisprudence ne se soit, à notre connaissance, jamais prononcée, une lecture stricte de la doctrine administrative inviter à formuler une réponse positive.

Le principe posé par le Conseil d'Etat, qui a évidemment vocation à s'appliquer aux actions (lesquelles peuvent être numérotées, même si la pratique n'est pas courante), comme la numérotation des titres, ne sont toutefois pas privés de tout intérêt.

II - Les intérêts de la numérotation des titres

Comme l'ont récemment montré le Professeur Mortier et Monsieur Saint-Amand (3), la numérotation des titres, y compris des actions, est possible. En effet, même si les actions sont fongibles en ce qu'elles confèrent des droits identiques par catégorie, rien n'interdit de les individualiser en les numérotant. La fongibilité caractérise en effet des biens pouvant être pris les uns pour les autres, rien ne s'opposant à ce que ces biens soient par ailleurs des corps certains, individualisés (4). Selon ces auteurs, la numérotation des titres facilite, par exemple, le suivi des cessions dans le cadre des pactes Dutreil et permet de procéder plus aisément à des démembrements de propriété, en séparant les actions dont la propriété est démembrée des actions détenues en pleine propriété.

Par ailleurs, s'agissant des plus-values imposées sur le fondement de l'article 150-0 D du CGI (N° Lexbase : L3820KWE), la doctrine administrative (5) opère une distinction selon que les titres sont "identifiables" et selon qu'ils sont "fongibles". Le service considère que les titres ressortant de la première catégorie sont ceux pour lesquels le cédant connaît, à la date de leur cession et pour chacun d'entre eux, leur date et leur prix d'acquisition. A l'inverse, et conformément au 3 de l'article 150-0 D, l'administration considère que, pour les titres qu'elle qualifie de fongibles, il convient de déterminer la plus-value en utilisant la méthode du coût moyen pondéré et, par exception, la méthode PEPS. On observera que la doctrine administrative considère que les titres fongibles ne sont pas identifiables, ce qui est critiquable, et que, sur le fondement de l'article 150-0 D, elle considère que, lorsque les titres sont identifiables, il convient de retenir le prix et la date d'acquisition véritables. Quoi qu'il en soit, la numérotation des titres est susceptible de présenter, dans cette hypothèse, un véritable intérêt puisqu'elle permet de bénéficier de cette doctrine administrative.

En outre, le principe posé par le Conseil d'Etat peut s'avérer favorable pour le contribuable en cas de baisse de la valeur des titres entre la date d'acquisition des titres anciens, celle de l'acquisition des titres nouveaux et celle de la cession. Dans cette optique, il sera en effet possible de dégager une moins-value fiscale plus importante. Enfin, comme l'ont souligné des auteurs (6), la règle posée par la jurisprudence "Quéméner" (CE 3° et 8° s-s-r., 16 février 2000, n° 133296, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0346AUD), selon laquelle le prix de revient des titres de sociétés de personnes doit être apprécié distinctement en fonction de leur date d'acquisition, ne paraît nullement remise en cause.


(1) CAA Nancy, 17 avril 2014, n° 12NC01928 (N° Lexbase : A0376MMU).
(2) BOI-BIC-PVMV-30-30-10, n° 110 (N° Lexbase : X6565ALQ).
(3) R. Mortier et J. Saint-Amand, Pourquoi la numérotation d'actions est possible, JCP N, 2015, n° 44, 1191, et Pourquoi la numération d'actions est utile, JCP N, 2015, n° 44, 1192.
(4) A. Laude, La fongibilité : diversité des critères et unité des effets, RTD Com., 1995, n° 14, p. 307.
(5) BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-20 n° 50 et s. (N° Lexbase : X5915ALN).
(6) Fr. Lefebvre, actualité du 23 juin 2016.

newsid:453734

Fiscalité immobilière

[Brèves] Application de la jurisprudence "Quéméner" pour éviter une double imposition ?

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 6 juillet 2016, n° 377904, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6113RWC)

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N3718BWM

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Le 15 Juillet 2016

La jurisprudence "Quéméner" (CE 3° et 8° s-s-r., 16 février 2000, n° 133296, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0346AUD) ne peut trouver à s'appliquer que pour éviter une double imposition d'une société qui réalise une opération de dissolution. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 6 juillet 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 6 juillet 2016, n° 377904, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6113RWC). Selon la jurisprudence "Quéméner", dans le cas où une société vient à retirer de l'actif de son bilan, à la suite d'une cession ou de la dissolution sans liquidation avec confusion de patrimoine prévue à l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM), les parts qu'elle détenait jusqu'alors dans une société de personnes, le résultat de cette opération doit être calculé, en retenant comme prix de revient de ces parts leur valeur d'acquisition, majorée en premier lieu, d'une part, de la quote-part des bénéfices de cette société revenant à l'associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d'application du régime visé ci-dessus, d'autre part, des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société et ayant donné lieu de la part de l'associé à un versement en vue de les combler, puis minorée en second lieu, d'une part, des déficits que l'associé a déduits pendant cette même période, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif et, d'autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société et ayant donné lieu à répartition au profit de l'associé. Cette règle a pour objet d'assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale et trouve notamment à s'appliquer à la quote-part de bénéfices revenant à l'associé d'une société soumise à ce régime lorsque ces bénéfices résultent d'une réévaluation des actifs sociaux, qu'elle soit opérée par l'administration fiscale dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle et ait pour effet d'accroître rétroactivement la base d'imposition de la société au titre de la période d'imposition close par la dissolution de la société et l'annulation consécutive des parts détenues par l'associé ou que cette réévaluation intervienne au moment de la dissolution de la société soumise au régime spécifique. Au cas présent, la Haute juridiction a donné raison à l'administration. En effet, les règles précitées ne devaient pas conduire à majorer le prix d'acquisition des parts de SCI du montant du bénéfice tiré de la réévaluation des immeubles inscrits à leur actif au motif que l'écart de réévaluation avait été fiscalement appréhendé par les sociétés requérantes, car, en l'espèce, la plus-value avait déjà été imposée au nom des sociétés au titre de l'annulation des titres des SCI .

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Procédure civile

[Brèves] Demande de rétractation d'une ordonnance sur requête : moment d'appréciation de l'existence du motif légitime

Réf. : Cass. civ. 2, 7 juillet 2016, n° 15-21.579, FS-P+B (N° Lexbase : A0081RXB)

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N3737BWC

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Le 16 Juillet 2016

La demande de rétractation d'une ordonnance sur requête, rendue sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49), ne tendant qu'au rétablissement du principe de la contradiction, le juge de la rétractation qui connaît d'une telle demande doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. Telle est la substance d'un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 7 juillet 2016 (Cass. civ. 2, 7 juillet 2016, n° 15-21.579, FS-P+B N° Lexbase : A0081RXB ; il convient de préciser que le juge ne doit pas se fonder sur un moyen de preuve illicite : Cass. civ. 2, 17 mars 2016, n° 15-11.412, F-P+B N° Lexbase : A3461Q8P). En l'espèce, M. Alain X exerçait une activité d'expertise comptable dont étaient salariés son fils, M. Arnaud X et la compagne de ce dernier, Mme Y. M. Alain X. a cédé son cabinet à la société C., constituée notamment de M. Arnaud X et de Mme Y. La société C., se plaignant d'un détournement de clientèle de la part de M. Alain X et de la société V, dont le gérant associé est M. Arnaud X, a saisi le conseil régional de l'Ordre des experts-comptables. Une ordonnance du 16 décembre 2011, rendue sur requête de ce conseil, a désigné un huissier de justice pour procéder à une mesure de constat. Une ordonnance de référé du 16 avril 2013 a rétracté l'ordonnance sur requête et annulé les procès-verbaux de l'huissier de justice. MM. Alain X, Arnaud X et la société V ont ensuite fait grief à l'arrêt (CA Aix-en-Provence, 2 avril 2015, n° 14/00743 N° Lexbase : A8882NEP) de rejeter leurs demandes. Ils ont argué qu'en refusant de rétracter l'ordonnance sur requête datée du 16 décembre 2011, qui a autorisé l'huissier de justice à se rendre dans les locaux de la société V, bien qu'elle ait constaté qu'à la date à laquelle le juge a rendu son ordonnance, ces locaux étaient loués à la société C. depuis le 1er décembre 2011, la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses constatations et aurait violé l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49), et 1er du protocole additionnel n° 1 de la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9). Enonçant le principe susvisé, la Haute juridiction rejette leur pourvoi : ayant relevé qu'il résultait des pièces que la date de prise d'effet du bail, contractuellement fixée au 1er décembre 2011, n'était pas la date de l'entrée effective du preneur dans les lieux qui n'était intervenue qu'en février 2012, faisant ainsi ressortir qu'il n'y avait pas eu erreur du juge des requêtes quant à la personne supportant l'exécution de la mesure, la cour d'appel a pu en déduire la légitimité de la mesure de constat (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E0711EUU et N° Lexbase : E1665EU9).

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QPC

[Brèves] Renvoi au Conseil constitutionnel de la QPC relative à l'habilitation de la Caisse des dépôts et consignations à conclure des accords collectifs portant sur la désignation et les compétences des délégués syndicaux communs aux agents publics et aux salariés relevant du Code du travail

Réf. : Cass. QPC, 6 juillet 2016, n° 16-12.970, FS-P+B (N° Lexbase : A0088RXK)

Lecture: 2 min

N3757BW3

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Le 19 Juillet 2016

Est renvoyée au Conseil constitutionnel la QPC mettant en cause la conformité de l'article 34 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 (N° Lexbase : L8569AI9), qui habilite la Caisse des dépôts et consignations à conclure des accords collectifs portant sur la désignation et les compétences des délégués syndicaux communs aux agents publics et aux salariés qui relèvent du Code du travail et qui, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-20.837, FS-P+B N° Lexbase : A7610NMS), déroge aux dispositions légales relatives à la détermination de la représentativité syndicale, sans préciser la nature et les conditions des dérogations susceptibles d'être apportées à ces règles légales, ni poser la moindre règle de nature à garantir la légitimité et l'aptitude des syndicats susceptibles d'être considérés représentatifs en vertu de ce dispositif dérogatoire à représenter et à engager l'ensemble des travailleurs de la Caisse des dépôts et consignations, en ce que ce texte ne serait ainsi pas conforme au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail prévu par l'alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) et à l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S). Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 juillet 2016 (Cass. QPC, 6 juillet 2016, n° 16-12.970, FS-P+B (N° Lexbase : A0088RXK).
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction précise que la disposition contestée est applicable au litige, lequel concerne les conditions de détermination de la représentativité d'une organisation syndicale, au sein de la Caisse des dépôts et consignations, instaurées par l'accord du 2 octobre 2001 pris en application de l'article 34 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 qui emporte dérogation aux dispositions d'ordre public absolu de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ). Elle ajoute qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et que la question posée présente un caractère sérieux en ce que l'article 34 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 permet, par accord collectif, de déroger aux dispositions légales d'ordre public absolu relatives à la détermination de la représentativité syndicale, sans préciser l'objet et les conditions des dérogations susceptibles d'être apportées à ces règles légales.

newsid:453757

Responsabilité administrative

[Brèves] Engagement de la responsabilité de l'Etat pour faute simple des services de renseignement

Réf. : TA Nîmes, 12 juillet 2016, n° 1400420 (N° Lexbase : A0181RXY)

Lecture: 1 min

N3728BWY

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Le 14 Juillet 2016

La responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée pour faute simple des services de renseignement dans l'exercice de leur mission de prévention des actions terroristes et de surveillance des individus radicaux ayant abouti à la perte de chance d'éviter le décès d'un militaire. Ainsi statue le tribunal administratif de Nîmes dans un jugement rendu le 12 juillet 2016 (TA Nîmes, 12 juillet 2016, n° 1400420 N° Lexbase : A0181RXY). Durant l'enquête dont l'intéressé a fait l'objet au cours du 1er semestre 2011, avant son départ pour le Pakistan, une quarantaine de mesures de surveillance ont été réalisées sur une période de quatre mois, soit environ une tous les trois jours. Le profil de Y à son retour du Pakistan justifiait un renforcement ou, à tout le moins, le maintien d'une telle intensité de surveillance. Si, ainsi que le soutient le ministre en défense, la surveillance adéquate de Y n'aurait pas nécessairement permis, compte tenu notamment de son mode opératoire, d'éviter ses actions terroristes, le défaut de surveillance a facilité son forfait et empêché la détection de tout signe annonciateur des intentions de l'individu, alors notamment, que quatre jours avant l'assassinat de M. X, il avait déjà fait une première victime. Ainsi, l'absence de toutes mesures de surveillance a compromis les chances d'éviter le décès de M. X, survenu seulement quatre mois après l'entretien de Y dans les locaux de la direction des services de renseignement. Dans les circonstances de l'espèce, la perte de chance d'éviter l'assassinat due à la faute de l'Etat peut être justement fixée à un tiers. Il y a donc lieu de mettre à la charge de l'Etat la réparation de cette fraction des préjudices induits par le décès de M. X (cf. l’Ouvrage "Responsabilité administrative" N° Lexbase : E3802EUD).

newsid:453728

Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de droit des accidents médicaux (avril 2016 - juin 2016)

Lecture: 19 min

N3684BWD

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"

Le 14 Juillet 2016

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver, cette semaine, le panorama de droit des accidents médicaux de Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", traitant de l'actualité d'avril à juin 2016, rendue par les juridictions administratives et judiciaires. Sont abordés dans ce panorama, les derniers arrêts rendus en matière de responsabilité médicale avec faute (obligation d'information, diagnostic médical), les arrêts relatifs aux infections nosocomiales, ainsi que les arrêts concernant l'ONIAM, les vaccinations obligatoires et la procédure. 1. Responsabilité médicale

1.1. Faute médicale

1.1.1. Information

  • Risque grave : commet une faute le médecin qui n'informe pas la parturiente sur le risque connu de rupture utérine, évalué à 1 %, un tel accident, s'il survient, pouvant avoir de très graves conséquences pour l'enfant si une césarienne réalisée en urgence ne permet pas son extraction dans les plus brefs délais (CE 4° et 5° ch.-r., 27 juin 2016, n° 386165, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4258RUA ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5195E7K)

1.1.2. Diagnostic

  • Diagnostic médical : absence de faute en raison des difficultés de poser le diagnostic d'un hématome rétroplacentaire (Cass. civ. 1, 14 avril 2016, n° 15-14.629, F-D N° Lexbase : A6945RI3 ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5290E73)

Les faits. Il s'agissait ici d'une femme admise en urgence en mai 1994 au sein d'une clinique pour y subir une césarienne, à trente-et-une semaines et demie d'aménorrhée, alors qu'elle présentait un hématome rétroplacentaire qui n'avait pas été diagnostiqué. Elle a mis au monde un enfant en état de souffrance foetale subaiguë et de détresse respiratoire qui a conservé d'importantes séquelles. La famille reprochait à l'obstétricien de n'avoir pas diagnostiqué l'hématome rétroplacentaire, ce qui aurait pu le conduire à procéder plus tôt à une césarienne.

La mise hors de cause du praticien. Pour justifier la mise hors de cause du praticien, la cour d'appel, suivie en cela par la Cour de cassation, a retenu plusieurs circonstances que l'on retrouve habituellement : la difficulté du diagnostic (1) ; la difficulté d'interprétation des symptômes présentés dans ces circonstances par la patiente (2) ; la mise en oeuvre des moyens habituels de monitoring du rythme cardiaque du foetus.

  • Diagnostic anténatal : constitue une faute caractérisée au sens de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles, le défaut d'information de l'intéressée sur l'existence d'un risque de pathologie grave du foetus (CE 4° et 5 ° s-s-r., 7 avril 2016, n° 376080, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8776RBN ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5443E7Q

Contexte juridique. La faute caractérisée est exigée par l'article L. 114 -5 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L) lorsque les parents décident d'engager la responsabilité d'un médecin, ou d'un établissement, en raison d'une faute de diagnostic qui les a privés d'une possibilité d'interrompre la grossesse, et uniquement pour la réparation de leurs préjudices moraux.

Le Conseil d'Etat l'a définie en 2011 par référence à "son intensité et son évidence" (3), tout comme après elle la Cour de cassation en 2013 s'agissant d'un radiologue qui n'avait pas détecté une agénésie de l'avant-bras droit et ce alors qu'il avait lui-même admis, dans le compte-rendu écrit de l'échographie, "que les membres étaient visibles avec leurs extrémité'" (4).

Pour déterminer s'il y a eu faute caractérisée ou non, le Conseil d'Etat prend en compte les circonstances du suivi de la grossesse, comme le fait que : la patiente a réalisé l'intégralité de son suivi radiologique et échographique auprès de l'établissement mis en cause pour n'avoir pas diagnostiqué une trisomie 21 (5) ; les clichés permettaient ou non d'identifier l'anomalie (6) ; l'hôpital a assuré un suivi précis et complet (7) ; les actes avaient été réalisés dans les règles de l'art (8) ; la non-réalisation d'examens complémentaires résultait d'un refus du patient ou d'une négligence du médecin (9) ; les informations communiquées par l'équipe médicale étaient péremptoires, ou au contraire prudentes (10) ; les informations communiquées ont été comprises et acceptées par le patient (11) ; ou encore l'acte présentait des difficultés particulières (12).

L'affaire. Dans cette affaire où aucune faute technique caractérisée n'est retenue, le Conseil d'Etat constate que les médecins ont mis en oeuvre tous les moyens de diagnostics pour identifier la pathologie, en vain (13), ainsi que la difficulté particulière de l'examen (14).

Le Conseil d'Etat retient en revanche le défaut d'information comme faute caractérisée et casse sur ce point l'arrêt de la cour administrative d'appel qui l'avait écartée, affirmant que "le défaut d'information de l'intéressée sur l'existence d'un risque de pathologie grave du foetus était constitutif d'une faute caractérisée". Dans des hypothèses antérieures traitées par des juridictions du fond, pareille faute n'avait pas été retenue dans la mesure où les circonstances n'avaient pas conduit le juge à identifier un risque évident dont les parents auraient dû être informés.

Le Conseil d'Etat confirme également dans cette affaire, et de manière incidente, son désaccord sur la portée de l'abrogation de l'alinéa 4 de l'article 1er de la loi "Kouchner" par le Conseil constitutionnel (15). On se rappellera que la Cour de cassation continue de faire application de sa jurisprudence "Perruche" pour tous les enfants nés avant le 7 mars 2002, peu important que leurs parents aient ou non saisi le juge avant cette date (16), alors que le Conseil d'Etat subordonne la maintien de sa jurisprudence "Quarez" à la saisine du juge avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle (17). Ce différend sera tranché prochainement par la Cour européenne des droits de l'Homme qui a été saisie de la conformité de la position adoptée par le Conseil d'Etat à certaines dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, singulièrement de l'article 1er (N° Lexbase : L1625AZ9) de son premier protocole additionnel (18).

1.1.3. Technique médicale

  • Absence de faute : n'est pas fautive la lésion du nerf lingual à l'occasion de l'extraction d'une dent de sagesse, dès lors que les soins ont été conformes aux données acquises de la science, et que, le trajet du nerf lingual étant atypique et variable d'une personne à l'autre et n'étant objectivable ni radiologiquement ni cliniquement, la lésion de ce nerf constituant un risque qui ne peut être maîtrisé et relève d'un aléa thérapeutique (Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 14-27.992, F-D N° Lexbase : A5498RTS ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5289E7Z)

Commentaire. La solution (absence de faute) s'explique ici par les difficultés de l'acte et l'aléa inhérent à la technique cause, et confirme des solutions admises antérieurement (19). Dans ces hypothèses deux possibilités d'action s'offrent aux victimes : soit se fonder sur un éventuel défaut d'information concernant le risque qui s'est réalisé (20), en réclamant la réparation d'une perte de chance d'avoir pu éviter l'accident ; soit agir en réparation au titre de la solidarité nationale, mais à condition de réunir les conditions posées par l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), et relatives à l'imputabilité directe du dommage (établie ici), à l'anormalité et la gravité de celui-ci. C'est sans doute le critère de gravité qui faisait défaut ici.

1.2. Infections nosocomiales

  • Conformité à la Constitution de l'article L. 1142-1, alinéa 2, du Code de la santé publique (Cons. const., décision n° 2016-531 QPC du 1er avril 2016 N° Lexbase : A7045RA8 ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5218E7E)

Contexte. Après la transmission au Conseil constitutionnel de cette QPC mettant en cause la différence de traitement entre victimes d'infections nosocomiales, dans le Code de la santé publique, selon qu'elles ont été soignées par un professionnel exerçant en cabinet (responsabilité pour faute) ou au sein d'un établissement (responsabilité sans faute), on attendait avec curiosité la réponse du Conseil constitutionnel (21), même si le rejet était prévisible compte tenu de la faible intensité du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel en matière civile, singulièrement lorsqu'est en cause le principe d'égalité devant la loi.

On ne sera donc pas véritablement surpris par cette décision, même si l'argumentation retenue est des plus étranges.

Le Conseil considère, en effet, que la différence de traitement litigieuse repose sur une différence de situations, ce qui suffit à ce stade à écarter le grief d'atteinte au principe d'égalité devant la loi sans que ne soit nécessaire l'examen de la justification de la différence.

Mais le Conseil analyse non pas les règles de droit litigieuses au regard de la situation des victimes, ce qui aurait dû être le cas dans la mesure où la QPC avait été posée par l'une d'entre-elles, mais des responsables. Le Conseil considère, en effet, que le risque d'infection est plus élevé chez les praticiens exerçant la médecine de ville "tant en raison des caractéristiques des patients accueillis et de la durée de leur séjour qu'en raison de la nature des actes pratiqués et de la spécificité des agents pathogènes de ces infections", le Conseil relevant par ailleurs les exigences très fortes pesant sur les établissements en matière de prévention des infections.

Si nous comprenons bien l'argument, nous ne comprenons pas en quoi il est de nature à justifier que les professionnels exposant le plus leurs patients à un risque d'infection (les médecins de ville) bénéficient d'un régime de responsabilité pour faute, alors que les établissements, au sein desquels les risques sont réduits, relèveraient d'un régime de responsabilité sans faute, sauf à dire, mais le Conseil ne le fait pas, qu'un régime de responsabilité de plein droit appliqué aux médecins de ville les exposerait (eux et leurs assureurs) à des charges indemnitaires trop importantes compte tenu de la plus forte exposition au risque nosocomial. Il faudrait alors admettre que des considérations tirées des capacités contributives des responsables seraient de nature à être prises en compte pour justifier des différences de traitement entre victimes, ce que le Conseil constitutionnel se refuse généralement à faire (22), sauf à transférer la charge indemnitaire sur les épaules de la solidarité pour respecter l'égalité des victimes devant les charges publiques (23).

  • Aléa nosocomial : une infection nosocomiale, même si elle a pu être provoquée par la pathologie du patient, liée à un aléa thérapeutique, demeure consécutive aux soins dispensés dans l'établissement de santé, ne procède pas d'une circonstance extérieure à l'activité de cet établissement et ne constitue pas une cause étrangère exonératoire de responsabilité (Cass. civ. 1, 14 avril 2016, n° 14-23.909, FS-P+B N° Lexbase : A6889RIY ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5260E7X)

Contexte. La responsabilité de plein droit des établissements pour les infections nosocomiales les moins graves ne cède que devant la preuve d'un cas de force majeure, qui n'est presque jamais admis par les juges.

Le Conseil d'Etat avait pour sa part déjà donné une définition de ce que Pierre Sargos avait qualifié l'"aléa nosocomial" ; il s'agit d'une "circonstance extérieure à l'activité hospitalière", et il a été jugé que tel n'est pas le cas d'une biopsie (24) ni d'une infection favorisée par l'état antérieur de la victime (25).

Jusqu'à présent, la Cour de cassation avait eu l'occasion d'écarter cette cause exonératoire, notamment lorsque le responsable présumé prétendait s'exonérer en invoquant le fait à l'origine de l'accident ayant rendu nécessaire l'opération au cours de laquelle l'infection nosocomiale s'était réalisée (26), ou lorsque l'infection avait pu être contractée dans plusieurs établissements (27), mais sans avoir jamais livré de véritable critère de ce que serait cette "cause étrangère".

C'est désormais chose faite, la première chambre civile de la Cour de cassation reprenant ici fidèlement la formule du Conseil d'Etat, ce dont on ne peut que se réjouir dans l'intérêt bien compris d'une application uniforme des dispositions du Code de la santé publique dans les deux ordres de juridictions (28).

L'affaire. Dans cette affaire, était en cause une cholécystectomie sous coelioscopie réalisée par un chirurgien exerçant son activité à titre libéral, après laquelle la patiente avait présenté un hématome pariétal lombaire et du flanc gauche qui s'était infecté et dont le traitement avait nécessité plusieurs interventions et hospitalisations.

Les juges du fond avaient considéré que le dommage était imputable pour moitié à un aléa thérapeutique lié à l'apparition de l'hématome et pour l'autre moitié à la survenance d'une infection nosocomiale ayant entraîné un déficit fonctionnel permanent de 3,5 %, le chirurgien ayant par ailleurs commis des négligences dans le suivi et la prise en charge de cette infection qui en avaient aggravé les conséquences (pour moitié selon l'évaluation qu'en avait fait la cour d'appel).

En cassation, la clinique invoquait, pour échapper à sa part fondée sur sa responsabilité de plein droit en matière d'infection nosocomiale, le fait que celle-ci était la résultante exclusive de la survenance d'un aléa thérapeutique présentant à son égard les caractères de la force majeure exonératoire. Tel n'est pas l'avis de la première chambre civile de la Cour de cassation qui considère que "même si l'infection avait pu être provoquée par la pathologie de la patiente, liée à un aléa thérapeutique, cette infection demeurait consécutive aux soins dispensés au sein de la clinique et ne procédait pas d'une circonstance extérieure à l'activité de cet établissement".

Ce faisant, la Cour confirme sa propre jurisprudence qui est donc très favorable aux victimes (29) et qui n'est donc pas modifiée par le changement de vocabulaire opéré pour marquer le rapprochement sur ce point des deux Hautes juridictions. Le fait que l'infection soit survenue après un accident médical non fautif est sans incidence sur la responsabilité de la clinique dans la mesure où seule une cause étrangère ayant causé directement l'infection peut être prise en compte, ce qui n'est pas le cas de l'accident médical qui l'a certes favorisée, mais qui ne peut apparaître que comme une cause indirecte, une condition sine qua non, mais certainement pas comme sa cause adéquate.

1.3. Produits de santé

  • Prescription : dès lors qu'un produit dont le caractère défectueux est invoqué a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la Directive 85/374 du Conseil, du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT), mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (N° Lexbase : L2448AXX) transposant cette Directive, l'article 2270-1 doit être interprété dans toute la mesure du possible à la lumière de la Directive ; le délai de prescription de l'article 10 de la Directive court à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ; la date de la manifestation du dommage ou de son aggravation, au sens de l'article 2270-1, interprété à la lumière de la Directive, doit s'entendre de celle de la consolidation, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci (Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-20.022, FS-P+B+I N° Lexbase : A9423RSS ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E3544EUS)

L'intérêt. Cet arrêt, promis à la plus large des publicités, innove s'agissant de l'effet en droit interne de la Directive 85/374. On sait en effet que le juge doit interpréter son droit national à la lumière de la Directive, une fois expiré le délai de transposition, mais pour autant qu'il dispose d'un texte d'appui en droit interne qui le lui permette. Dans une décision rendue en 2012, la Cour de cassation avait considéré que les dispositions des articles 10 (prescription de trois ans) et 11 (extinction après dix ans) n'étaient pas susceptibles de produire d'effet en droit interne tant qu'ils n'avaient pas été transposés, en l'occurrence par la loi du 19 mai 1998 (30).

Sans dire le contraire, la Cour de cassation précise que si le délai de trois ans ne peut produire effet, le régime de la prescription est susceptible de s'imposer au juge lorsqu'il interprète son droit national, singulièrement en ce qu'il identifie le point de départ de la prescription à "compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur".

Fort logiquement, la Cour considère que "la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage", s'agissant du dommage corporel, doit "s'entendre de celle de la consolidation, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage". Cette interprétation à la lumière de la Directive permet donc de dépasser la lettre de l'ancien article 2270-1 du Code civil qui faisait littéralement partir la prescription décennale applicable en matière extracontractuelle depuis 1985 "à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation".

La Cour réalise ici la fusion des dispositions communautaires et nationales, car on sait qu'en droit interne c'est bien la consolidation qui fait partir le délai de prescription. La solution, d'origine prétorienne, a d'ailleurs été consacrée lors de la réforme de la prescription intervenue en 2008 à l'article 2226 du Code civil (N° Lexbase : L7212IAD).

2. ONIAM

  • Aléa thérapeutique : la condition d'anormalité du dommage prévue par l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique, doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ; dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état de santé du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage (Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-16.824, FS-P+B+I N° Lexbase : A9421RSQ ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5227E7Q)

Intérêt. Comme en matière d'infections nosocomiales où la Cour de cassation s'est alignée sur la définition que le Conseil d'Etat donne de la cause étrangère exonératoire (cf. supra), la première chambre civile de la Cour de cassation, dans cette autre décision très largement publiée, reprend à son compte la méthodologie développée par le Conseil d'Etat depuis fin 2014 pour apprécier l'anormalité du dommage qui, avec l'imputabilité directe et la gravité, constitue l'un des critères de compétence de l'ONIAM, au titre du II de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique, lorsque l'accident médical ne résulte pas de l'un des cas relevant du domaine de la responsabilité médicale (31).

L'affaire. Un patient avait subi en avril 2008 une intervention chirurgicale destinée à remédier à des troubles du membre supérieur gauche, imputables à des lésions anatomiques, à la suite de laquelle il avait présenté un déficit complet du biceps, entraînant un taux d'atteinte permanente de 30 %.

L'intéressé contestait le refus de condamnation de l'ONIAM, fondé sur le défaut d'anormalité du dommage, mais en vain. Pour la Cour de cassation, en effet, "le patient présentait une pathologie dont l'évolution devait conduire à une invalidité importante, que l'intervention chirurgicale, rendue nécessaire par cette pathologie, n'avait que des objectifs limités et visait surtout à éviter une aggravation de l'état de santé de l'intéressé". Le premier critère, fondé sur l'existence d'effets notablement plus graves que ceux qui résultaient de l'évolution naturelle de la maladie, n'était donc pas réuni (32).

Le second critère, qui s'applique de manière subsidiaire lorsque le premier n'est pas caractérisé et qui tient à la faiblesse de la probabilité du risque qui s'est réalisé, n'était pas vérifié non plus, les juges du fond, s'appuyant sur le rapport d'expertise qui doit donc être précis sur ce point (33) ; cette opération comportait en effet "un risque d'échec important et d'aggravation de cet état d'une fréquence de survenue de 6 à 8 %" (34), ce qui excluait donc définitivement le caractère d'anormalité.

Ce faisant, la Cour de cassation s'inscrit ici dans le prolongement de solutions admises par les cours administratives d'appel qui ont considéré comme faible un pourcentage de risque n'excédant pas 2% (35), mais non faible celui avoisinant 5% (36), voire dépassant ce seuil (37) compte tenu notamment de l'état de santé de la victime favorisant la réalisation de ce type de risques (38).

  • Mesures sanitaires d'urgence : la réparation incombant à l'ONIAM bénéficie à toute victime, c'est-à-dire tant à la personne qui a subi un dommage corporel du fait de l'une de ces mesures qu'à ceux de ses proches qui en subissent directement les conséquences, même en l'absence de décès de la victime principale (CE 4° et 5 ° ch.-r., 27 mai 2016, n° 391149, inédit N° Lexbase : A0384RRN ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5260E7X)

3. Procédures

3.1. Juridiction compétente

  • Recours de l'hôpital public contre le fournisseur de produits de santé en vertu d'un marché public : considérant que, selon l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001, les marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs de sorte que les litiges nés de leur exécution relèvent de la compétence du juge administratif ; que constitue un tel litige, l'action en garantie engagée par le service public hospitalier à l'encontre d'un producteur auquel il est lié par un contrat administratif portant sur la fourniture de produits dont la défectuosité de l'un d'eux a été constatée et le contraint à indemniser le patient de ses conséquences dommageables ; que cette action peut être fondée sur les stipulations du contrat, sur les vices cachés du produit en application des articles 1641 (N° Lexbase : L1743AB8) à 1649 du Code civil ou encore sur les règles issues de la Directive précitée, telle qu'elle a été interprétée par l'arrêt de la CJUE du 21 décembre 2011 (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10 N° Lexbase : A6909H8E) (T. confl., 11avril 2016, n° 4044 N° Lexbase : A6728RC8 ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5267E79)

3.2. Prescription

  • Point de départ : la consolidation de l'état de santé de la victime d'un dommage corporel fait courir le délai de prescription pour l'ensemble des préjudices directement liés au fait générateur qui, à la date à laquelle la consolidation s'est trouvée acquise, présentaient un caractère certain permettant de les évaluer et de les réparer, y compris pour l'avenir (CE 4° et 5° ch.-r., 1er juin 2016, n° 382490, inédit N° Lexbase : A7427RRI ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5410E7I)
  • Aggravation : si l'expiration du délai de prescription fait obstacle à l'indemnisation de ces préjudices, elle est sans incidence sur la possibilité d'obtenir réparation de préjudices nouveaux résultant d'une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à la date de consolidation (CE 4° et 5° ch.-r., 1er juin 2016, n ° 382490, inédit N° Lexbase : A7427RRI ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5410E7I)
  • Aggravation : le délai de prescription de l'action tendant à la réparation d'une aggravation court à compter de la date à laquelle elle s'est elle-même trouvée consolidée (CE 4° et 5° ch.-r., 1er juin 2016, n° 382490, inédit N° Lexbase : A7427RRI ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5410E7I)

3.3. Recours des organismes payeurs

3.3.1. Recours des caisses de Sécurité sociale

  • Infections nosocomiales : lorsque le degré de gravité des dommages résultant de l'infection nosocomiale excède le seuil prévu à l'article L. 1142-1-1, c'est seulement au titre d'une telle faute qu'une caisse de Sécurité sociale ayant versé des prestations à la victime peut exercer une action subrogatoire contre l'établissement où l'infection a été contractée (Cass. civ. 1, 1er juin 2016, n° 15-17.472, FS-P+B+I N° Lexbase : A2666RR8 ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5414E7N)

Cadre juridique. La loi "About" du 31 décembre 2002 a modifié le régime originel d'indemnisation des dommages résultant d'infections nosocomiales contractées en établissements pour imposer une action directe contre l'ONIAM en cas de décès ou de taux d'APIPP supérieur à 25 %, et en limitant les hypothèses de recours de l'Office à la seule hypothèse d'une faute établie à la charge de l'établissement (39).

Se fondant sur les règles de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L1282I7M) fondant le recours des caisses de Sécurité sociale sur la subrogation dans les droits de la victime, la Cour de cassation avait, en 2014, écarté toute hypothèse d'un recours des caisses contre les établissements pour les dommages les plus graves relevant de l'ONIAM, après avoir observé que les victimes ne pouvaient agir directement contre l'établissement, privant ainsi la caisse de tout droit acquis par subrogation, et que le Code de la santé publique n'avait pas prévu de droit à recours pour les caisses, dans cette hypothèse, contrairement à l'ONIAM (40).

En février 2016, le Conseil d'Etat devait juger différemment en admettant le recours des caisses, dans les mêmes conditions que le recours de l'ONIAM, c'est-à-dire en cas de faute de l'établissement (41).

Cette différence d'approche pouvait s'expliquer par la culture propre au Conseil d'Etat qui fonde habituellement les recours des personnes publiques sur des droits d'action directe, mais semblait peu compatible avec le fondement subrogatoire du recours des caisses.

Le Conseil d'Etat avait également considéré que l'ONIAM intervenait en tant que responsable substitué aux établissements, pour les dommages les plus graves, ces établissements ne pouvant dès lors pas véritablement apparaître comme irresponsables, mais seulement protégés d'une action directe des victimes par une sorte d'immunité provisoire cédant au stade du recours (42).

On sait toutefois que même la Cour de cassation a pu également considérer que certaines interdictions d'agir n'instauraient pas de véritable irresponsabilité pour leurs bénéficiaires, mais seulement une immunité procédurale relative et temporaire, et que cette immunité pouvait donc céder au stade du recours lorsque le tiers agissant avait un intérêt supérieur à agir et que le recours s'exerçait contre l'assureur du responsable (43).

Appréciation. Peu compatible en la forme avec le caractère subrogatoire du recours des caisses, la solution finalement admise vise à faire en sorte que les établissements ne "profitent" pas outre mesure de l'arrangement apporté à leur situation (et à celle de leurs assureurs) par la loi "About", en échappant ainsi totalement au recours des caisses. La solution semble donc juste sur un plan économique, et souligne de nouveau la nécessité de repenser le fondement des recours qui devraient être fondés sur des droits d'action directe sans référence à la subrogation.

3.3.2. Recours de l'ONIAM

  • Contaminations transfusionnelles : si les victimes de contamination, dont l'origine transfusionnelle est considérée comme établie, sont indemnisées par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, peu important la provenance des produits sanguins contaminés, les créances des tiers payeurs ne peuvent être mises à la charge de l'ONIAM que si l'établissement de transfusion sanguine ayant fourni ces produits est identifié et si les dommages subis peuvent être couverts par une assurance souscrite par celui-ci (Cass. civ. 1, 14 avril 2016, n° 15-16.592, FS-P+B N° Lexbase : A7023RIX ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5414E7N)
  • Reprise des obligations de l'EFS : l'ONIAM, substitué à l'EFS dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du Code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable et peut, lorsqu'il a indemnisé une victime et, le cas échéant, remboursé des tiers payeurs, directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'EFS ; cette action s'exerce en lieu et place de l'EFS, venant lui-même aux droits et obligations des assurés, qu'il substitue dans les procédures en cours, et se trouve donc soumise à la prescription biennale prévue par l'article L. 114-1 du Code des assurances (Cass. civ. 1, 29 juin 2016, n° 15-19.751, FS-P+B N° Lexbase : A1945RWX) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5414E7N)

(1) Voir antérieurement Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.020, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4082I3L), Lexbase, éd. priv., 2013, n° 513 (N° Lexbase : N5381BTH) ; D., 2013, pp. 681-685, note S. Porchy-Simon (diagnostic anté-natal).
(2) Voir antérieurement Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-12.300, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5897KAN) : dentiste.
(3) CE Contentieux, 13 mai 2011, n° 329290 (N° Lexbase : A8726HQA).
(4) Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n ° 12-14.020, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4082I3L), et nos obs., in Pan, Lexbase, éd. priv., 2013, n° 523 (N° Lexbase : N6596BTH) ; D., 2013, pp. 681-685, note S. Porchy-Simon. Egalement Cass. civ. 1, 14 novembre 2013, n° 12-21.576, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6213KPS) et nos obs., in Pan, Lexbase, éd. priv., 2013, n° 549 (N° Lexbase : N9560BTA) : RCA, 2014, étude 2, S. Hocquet-Berg ; Droit de la famille et des personnes, 15 février 2014, n° 2, p. 1, note A. Batteur ; Journal de droit de la santé et de l'Assurance maladie, n° 1-2014, note M. Bacache.
(5) CE, 4° et 5° ch. r-., 19 octobre 2007, n° 292062 (N° Lexbase : A7892DYX) : réponse négative, pas de faute.
(6) CE, 4° et 5°ch. r-., 19 octobre 2007, n° 292062 (N° Lexbase : A7892DYX) : réponse négative, pas de faute ; CE, Contentieux, 13 mai 2011, n° 317808 (N° Lexbase : A8711HQP) : clichés normaux : pas de faute.
(7) CE, 5° s-s., 18 juillet 2011, n° 328881 (N° Lexbase : A3149HWK) : faute admise.
(8) CE, 4° et 5° ch. r-., 31 mars 2014, n° 345812 (N° Lexbase : A6400MIU) : "absence de contrôle visuel direct du membre supérieur droit lors de la réalisation des échographies, notamment celle de la vingt-deuxième semaine d'aménorrhée, soit que ce membre n'ait fait l'objet d'aucun contrôle, soit qu'il ait été confondu avec le membre supérieur gauche" -faute caractérisée.
(9) CE, 4° et 5° ch. r-., 19 octobre 2007, n° 292062 (N° Lexbase : A7892DYX) : refus de la patiente, pas de faute.
(10) CE, Contentieux, 13 mai 2011, n° 329290 (N° Lexbase : A8726HQA) : prudentes ; pas de faute.
(11) CE, Contentieux, 13 mai 2011, n° 317808 (N° Lexbase : A8711HQP) : information claire et bien comprise sur les risques ; pas de faute.
(12) CE, 4° et 5° ch. r-., 31 mars 2014, n° 345812 (N° Lexbase : A6400MIU) : "il ne résulte en outre pas de l'instruction, notamment des comptes rendus mentionnés ci-dessus, que la réalisation des examens échographiques sur Mme A. aurait présenté des difficultés particulières" : faute caractérisée.
(13) "Les médecins des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg avaient mis en oeuuvre avec diligence tous les moyens disponibles sans parvenir à identifier une pathologie du foetus".
(14) "L'expert indiquait notamment que l'absence de détection, lors des échographies, de la fente labiale et de la malposition des pieds trouvait son origine dans la difficulté particulière de ces examens du fait de l'immobilité du foetus et de l'insuffisance du liquide amniotique".
(15) Cons. const., décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, (N° Lexbase : A8019EYN).
(16) Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-27.473, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2913H8E) et nos obs. in Pan, Lexbase, éd. priv., 2012, n° 472 (N° Lexbase : N0096BTQ) ; JCP éd. G, 2012, p. 72, note P. Sargos ; RDA, 2012, comm. 20, obs. F. Melleray ; RFDA, 2012, p. 364, rapport P. Chevalier.
(17) CE, 5° et 4° ch. r-., 31 mars 2014, n° 345812, mentionné (N° Lexbase : A6400MIU) et nos obs., in Pan, Lexbase, éd. priv., 2014, n° 583 (N° Lexbase : N3658BUZ).
(18) Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 31 mars 2014, préc..
(19) Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n ° 07-13.080, FS-P+B (N° Lexbase : A3976EAI) et nos obs., in Pan, Lexbase, éd. priv., 2009, n° 345 (N° Lexbase : N0099BKU) : la lésion du nerf tibial constituant un risque inhérent à l'intervention de réparation du talon d'Achille, et les techniques de réparation chirurgicale utilisées étant conformes aux données acquises de la science, ce dommage survenu s'analyse en un aléa thérapeutique, des conséquences duquel le médecin n'est pas contractuellement responsable.
(20) Ainsi CE, 5° s-s., 13 février 2015, n° 366133 (N° Lexbase : A0268NCW) et nos obs., in Pan, Lexbase, éd. priv., 2015, n° 611 (N° Lexbase : N7014BUC) : lésion du nerf laryngé.
(21) Cass. civ. 1, 6 janvier 2016, n° 15-16.894, FS-P+B (N° Lexbase : A3885N3B), nos obs. in Pan, Lexbase, éd. priv., 2016, n° 642 (N° Lexbase : N1136BWY).
(22) S'agissant de la réparation des dommages imputables à la rupture fautive du contrat de travail, le Conseil constitutionnel a refusé de prendre en considération le critère de l'effectif de l'entreprise, considéré comme non pertinent au regard de l'objet de la norme ; or, on sait que ce critère de l'effectif masque un critère de capacité financière de l'entreprise : Cons. const., décision n° 2015-715 DC, du 5 août 2015 (N° Lexbase : A1083NNG), Lexbase éd. soc., 2015, n° 623, comm. A. Fabre (N° Lexbase : N8672BUQ).
(23) Sur cette jurisprudence initiée en 1982 par le Conseil constitutionnel, voir notre étude : Liberté, égalité, responsabilité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 16, 2004, pp. 111-122.
(24) CE, 5° s-s., 29 décembre 2014, n° 367312, inédit (N° Lexbase : A8317M8K) et nos obs., in Pan, Lexbase éd. priv., 2015, n° 612 : l'hôpital est responsable des conséquences d'une infection par un staphylocoque à coagulase négative qui s'est déclenchée moins de quarante huit heures après la réalisation d'une biopsie, acte invasif qui ne pouvait être regardé comme une circonstance extérieure à l'activité hospitalière, quand bien même les complications survenues au lendemain de cet acte invasif auraient été favorisées par l'état initial de la patiente.
(25) CE 4° et 5° ch.-r., 17 février 2012, n° 342366 (N° Lexbase : A8545ICH) ; CE 5° s-s., 4 juillet 2012, n° 341418 (N° Lexbase : A4697IQZ) ; CE 4° et 5° ch.-r., 12 mars 2014, n° 358111 (N° Lexbase : A9171MGR).
(26) Cass. civ. 1, 1er juillet 2010, n° 09-69.151, F-P+B+I (N° Lexbase : A5815E3R), Lexbase éd. priv., 2010, n° 415 et nos obs., in Pan (N° Lexbase : N4537BQ4) : "la circonstance qu'une faute, commise antérieurement, ait rendu nécessaire l'intervention au cours de laquelle celle-ci a été contractée, si elle est susceptible, le cas échéant, de faire retenir la responsabilité de son auteur à l'égard de la victime, ne saurait, dès lors qu'il n'est pas allégué qu'elle aurait rendu l'infection inévitable, constituer une cause étrangère, seule de nature à exonérer l'établissement des conséquences de la violation de son obligation de résultat" : la solution est rendue sur la base du droit antérieur.
(27) Dans ce cas là tous sont tenus in solidum : Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-67.011, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1110E3I).
(28) Faut-il souligner que cette volonté de rendre des décisions en des termes communs est favorisée par la circulation des magistrats, d'une Haute juridiction à l'autre, ce qui est le cas de Mme Duval-Arnould qui fut dans un premier temps en charge du contentieux médical à la Cour de cassation en qualité de conseiller référendaire, puis qui fut nommée en service extraordinaire au Conseil d'Etat, et qui y conserva ce même contentieux, avant de revenir à la Cour de cassation, dans la même chambre et pour le même contentieux, cette fois-ci en qualité de Conseiller. C'est elle qui a rapporté dans cette affaire.
(29) On se rappellera que la Cour de cassation refuse de considérer qu'une victime pourrait voir son droit à indemnisation diminué sous prétexte qu'elle aurait refusé le traitement proposé par la clinique pour juguler l'infection : Cass. civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-21.180, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3900M9C), Lexbase éd. priv., 2015, n° 605 et le comm. (N° Lexbase : N6342BUG).
(30) Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, n° 11-17.738 (N° Lexbase : A6301ITK), RCA, 2012, comm. 338, obs. A. Guégan ; Cass. civ. 1, 15 mai 2015, n° 14-13.151, FS-P+B (N° Lexbase : A8773NHE) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" (N° Lexbase : E0412ERP).
(31) CE 4° et 5° ch.-r., 12 décembre 2014, n° 365211 (N° Lexbase : A6170M7N) ; CE 4° et 5° ch.-r., 12 décembre 2014, n° 355052 (N° Lexbase : A6155M74), et nos obs., in Pan, Lexbase, éd. priv., 2015, n° 599 (N° Lexbase : N5649BUR) ; CE, 5° et 4 °, s-s-r.,15 avril 2015, n° 370309, inédit (N° Lexbase : A9515NGI) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" (N° Lexbase : E5439E7L) ; CE, 5°et 4° s-s-r., 29 avril 2015, n° 369473, publié (N° Lexbase : A3367NH8) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" (N° Lexbase : E5439E7L).
(32) Il le sera rarement, à ce titre, lorsque le pronostic vital du patient était engagé avant l'opération, et qu'il meure pendant celle-ci : CAA Paris, 8ème ch., 6 juin 2016, n° 14PA01390 (N° Lexbase : A2548RS8). Pour d'autres hypothèses où ce premier critère n'est pas rempli : CAA Douai, 2ème ch., 22 septembre 2015, n° 14DA00298 (N° Lexbase : A7468NQN) ; CAA Bordeaux, 2ème ch., 6 octobre 2015, n° 13BX03267 (N° Lexbase : A0792NTI) ; CAA Lyon, 6ème, 5 novembre 2015, n° 14LY01478 (N° Lexbase : A8476NWT) ; CAA Nantes, 3ème ch., 21 janvier 2016, n° 15NT01276 (N° Lexbase : A2064N7L) ; CAA Nancy, 3ème ch., 7 avril 2016, n ° 15NC00134 (N° Lexbase : A7257RIM) ; CAA Paris, 8ème ch., 14 avril 2016, n° 15PA01689 (N° Lexbase : A6409RLX) ; CAA Lyon, 6ème, 12 mai 2016, n° 14LY03878 (N° Lexbase : A4942RQ4) ; CAA Paris, 8ème ch., 23 mai 2016, n° 14PA04835 (N° Lexbase : A7787RQH). Quelques décisions le retiennent : CAA Lyon, 6ème, 8 octobre 2015, n° 15LY00378 (N° Lexbase : A5421NUC) ; CAA Marseille, 2ème ch., 17 mars 2016, n° 14MA03363 (N° Lexbase : A3854RAY) : "l'intervention non fautive a entraîné pour Mme F. une cécité complète de l'oeil droit avec paralysie oculomotrice et déformation du creux temporal droit alors que le déficit antérieur de l'acuité visuelle de cet oeil était relativement stabilisé".
(33) Lorsqu'il ne l'est pas, la juridiction ne peut trancher sur ce point et sollicite une nouvelle expertise pour mesurer la "faiblesse" du risque : CAA Paris, 8ème ch., 6 juin 2016, n° 14PA01390 (N° Lexbase : A2548RS8).
(34) Pour d'autres exemples de risques importants : CAA Paris, 8ème ch., 23 mai 2016, n° 14PA04835 (N° Lexbase : A7787RQH) (décollement de la rétine).
(35) CAA Lyon, 6ème, 5 novembre 2015, n° 14LY01478 (N° Lexbase : A8476NWT) : 0,5 à 0,8% ; CAA Paris, 8ème, 14 avril 2016, n° 15PA01689 (N° Lexbase : A6409RLX) : "perforation de l'estomac au cours de la pose de l'anneau gastrique effectuée le 4 avril 2003 est de l'ordre de 0,3 % à 2 % des interventions de ce type".
(36) Pour un risque de 5 % considéré comme non faible : CAA Lyon, 6ème ch., 12 mai 2016, n° 14LY03878 (N° Lexbase : A4942RQ4). Pour l'affirmation que "la survenance de ce dommage, qui constitue une complication classique des traitements chirurgicaux de la main" : CAA Bordeaux, 2ème ch., 6 octobre 2015, n° 13BX03267 (N° Lexbase : A0792NTI). Ou que la réalisation est "fréquente" : CAA Douai, 2ème ch., 22 septembre 2015, n° 14DA00298 (N° Lexbase : A7468NQN).
(37 ) CAA Nantes, 3ème ch., 21 janvier 2016, n° 15NT01276 (N° Lexbase : A2064N7L) : 15%
(38 ) CAA Nancy, 3ème ch., 7 avril 2016, n° 15NC00134 (N° Lexbase : A7257RIM).
(39) C. sant. pub., art. L. 1142-1-1 (N° Lexbase : L1859IEL).
(40) Cass. civ. 1, 9 avril 2014, n° 13-16.165, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0787MKD).
(41) CE 4° et 5° ch.-r., 17 février 2016, n ° 384349 (N° Lexbase : A4131PLL) et nos obs in Pan, Lexbase, éd. priv., 2016, n° 650 (N° Lexbase : N2115BWA).
(42) Il l'avait fait pour appliquer la prescription décennale à l'action dirigée contre l'ONIAM, et ce pour échapper à la prescription quadriennale à l'époque applicable : CE, 4° et 5° s-s-r., 23 juillet 2014, n° 375829 (N° Lexbase : A7337MUB).
(43) Recours du commettant contre l'assureur du préposé : Cass. civ. 1, 12 juillet 2007, n° 06-12.624, F-P+B (N° Lexbase : A2981DXP) : JCP éd. G., 2007, II, 10162, note S. Hocquet-Berg ; D., 2007. 2908, note S. Porchy-Simon et obs. J. Penneau, D., 2008, 506 ; RCA, 2007, comm. 334, obs. H. Groutel ; RTDCiv., 2008, p. 109, obs. P. Jourdain.

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Sociétés

[Chronique] Chronique de droit des sociétés - Juillet 2016

Lecture: 27 min

N3701BWY

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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et de l'Institut de droit des affaires (IDA), Directeur du Master professionnel Ingénierie des sociétés

Le 14 Juillet 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de droit des sociétés de Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et de l'Institut du droit des affaires (IDA), Directeur du master professionnel Ingénierie des sociétés (1). L'auteur a sélectionné divers textes et plusieurs arrêts. Les textes sont les décrets d'application de loi "croissance" du 6 août 2015 dite "Macron" relatifs aux sociétés commerciales que peuvent désormais créer les professions libérales du droit (art. 63 de ladite loi) ainsi que les SEL et SPFPL que ces mêmes professionnels et d'autres peuvent créer en application de l'article 67 de la loi précitée. Quant aux arrêts, il en a sélectionné plusieurs, tant en droit commun des sociétés qu'en droit spécial. I - Les textes

La loi "Macron" du 6 août 2015 (loi n° 2015-990, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC) a profondément modifié le régime des sociétés d'exercice libéral et des sociétés de participation financière des professions libérales. La mesure phare est la possibilité, désormais offerte aux professions juridiques et judiciaires, de constituer des SEL dont la majorité du capital et des droits de vote peut appartenir à un autre professionnel du droit que la profession objet de la société, qui plus est ressortissant de l'un quelconque des Etats membres de l'UE ou de l'EEE ou de la Suisse. La loi "Macron" a également généré une nouvelle forme de société, la société pluriprofessionnelle d'exercice créant l'interprofessionnalité d'exercice et permettant à des professionnels du droit et à des experts-comptables de s'associer au sein d'une structure d'exercice commune, instituée par l'ordonnance du 31 mars 2016 (ordonnance n° 2016-394 N° Lexbase : L3874K7M) (2).

La loi "Macron" a souhaité également que les professions du droit aient accès directement aux sociétés commerciales, sans passer par les SEL, à l'instar de ce que connaissent déjà les experts-comptables et les commissaires aux comptes. La mesure était cependant soumise à l'adoption de décrets d'application. C'est chose faite avec plusieurs décrets sortis fin juin et début juillet 2016 (3).

En substance, les professions du droit peuvent donc constituer aujourd'hui pour l'exercice de leur activité des sociétés commerciales, à l'exception des SNC et des commandites, compte tenu de la qualité de commerçant des associés, de telles sociétés. Les avocats, notaires, huissiers, commissaires-priseurs judiciaires, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires se trouvent ainsi à égalité avec les experts-comptables et les commissaires aux comptes de ce point de vue là. Ces nouvelles formes de sociétés posent naturellement la question de l'avenir des SEL. En effet, dans la mesure où les professions du droit ont directement accès à certaines sociétés commerciales, existe-t-il encore un intérêt à conserver les SEL ? Nous pensons que oui étant donné les différences de régimes qui existent entre ces deux séries de formes sociétaires. Il était à craindre que les sociétés commerciales soient plus "libérales" que les SEL. Il n'en ait rien apparemment à la lecture desdits décrets. Ainsi, l'article 16 de la loi du 31 décembre 1990 (loi n° 90-1258 N° Lexbase : L3046AIN), qui pose une responsabilité illimitée des associés s'agissant des actes professionnels, même s'il n'est pas repris par les décrets d'application sur les sociétés commerciales semble s'appliquer également dans les SAS, SARL et SA juridiques ou judiciaires à venir. De même, s'agissant de la détention minoritaire du capital et des droits de vote, les SEL admettent la présence d'ayants-droit et d'anciens professionnels, pendant un certain délai. A défaut de précision, l'on ne sait pas si cela est également possible dans les sociétés commerciales.

Par ailleurs, les décrets d'application prévoient des mesures particulièrement importantes en fonction de telles ou telles professions. Ainsi, pour les avocats, il est mis fin à la règle essentielle de l'unicité d'exercice : un avocat peut être associé dans autant de structures qu'il le souhaite mais, surtout, exercer dans autant de structures qu'il le souhaite, ce qui peut poser quelques difficultés en terme d'indépendance et de conflits d'intérêts. La mesure étant prévue dans le décret sur les SEL et SPFPL on peut se demander si les sociétés commerciales de droit commun sont concernées. A la lecture du décret du 25 mars 1993 (décret n° 93-492, pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 90-1258 N° Lexbase : L4321A4S) on peut penser que non puisque ce décret concerne seulement les SEL et SPFPL d'avocats. A la lecture du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197 N° Lexbase : L0285A9G) on peut penser à l'inverse que oui. Quoi qu'il en soit, les avocats, et ce sont les seuls à pouvoir opter pour la fin de l'unicité (4), peuvent par conséquent ne plus être soumis à cette règle de l'unicité d'exercice. Plus précisément, les dispositions des articles 20 et 22 du décret du 25 mars 1993 susvisé, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2016-878 demeurent applicables aux associés des sociétés d'exercice libéral d'avocats constituées avant la date prévue au premier alinéa du présent article. Les associés peuvent néanmoins convenir, à la majorité prévue pour la modification des statuts de la société, que les dispositions nouvelles de ces articles 20 et 22 leur sont applicables. La question peut donc se poser d'une opposition d'associés entre ceux qui souhaitent maintenir l'unicité d'exercice et ceux qui désirent y mettre un terme. En outre, les avocats, et ce quel que soit le mode d'exercice (individuel, SEL, société commerciale, etc.), peuvent à présent exercer à titre accessoire des activités commerciales connexes à leur activité d'avocat (éditions, formations, mise à disposition de locaux...). Il y a de quoi être dubitatif : non seulement les avocats ont toujours pu faire de la formation, avec ou sans numéro d'agrément de formateur ; de plus, la formation ne relève pas du secteur commercial mais il s'agit d'une activité civile (taxation au BNC, sauf naturellement pour la société commerciale organisatrice). De même, les avocats ont toujours pu faire de l'édition ou de la mise à disposition de locaux (selon le mode "locaux contre services" par exemple).

Quant aux notaires (et huissiers et commissaires-priseurs), les modifications sont différentes : si la règle de l'unicité d'exercice professionnel est maintenue pour les officiers ministériels, la SEL peut, en revanche et à présent, détenir un nombre illimité d'offices ministériels. Voilà qui est spectaculaire, à tel point que certains prédisent la disparition du modèle traditionnel, à l'instar de ce qu'a connu, par exemple, le secteur de la biologie médical. Nous ne le pensons pas car il est impossible de comparer et/ou d'assimiler les notaires aux biologistes médicaux. Ce sont deux professions radicalement différentes. Toutefois, il est vrai que cette possibilité offerte aux SEL de détenir un nombre non limitatif d'offices, conjuguée à la liberté d'installation et à la baisse des tarifs, oblige les notaires à envisager une autre manière de travailler. A cet égard, la réforme du droit des obligations (ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK) nous parait plus impacter les notaires que la réforme "Macron". Il faut également noter la simplification et l'accélération des nominations en supprimant l'étape des Chambres et du Procureur, au profit d'une procédure internet directement auprès de la Chancellerie, et, surtout, la suppression des notions de territorialité ou ressort, qui cantonnaient une SEL d'officiers ministériels sur le plan géographique. Les mesures d'offices illimités et de non cantonnement géographique semblent permises uniquement dans les SEL et non dans les sociétés commerciales, ce qui constitue donc une différence majeure. Le choix entre les deux formes devra s'opérer en conséquence de ces nouveautés.

Enfin et contrairement à la SEL, comme pour la SPE qui peut être immatriculée au RCS avant même d'avoir obtenu l'agrément ou d'être inscrite à un tableau ou un ordre (alors que l'exercice proprement dit est quant à lui subordonné à l'agrément ou l'inscription propre à la ou les profession(s) concernée(s)), quelques uns des décrets optent pour la même solution à savoir que se trouve modifier la procédure d'inscription et de contrôle de certaines sociétés de participations financières et suppriment ainsi des dispositions qui pouvaient être regardées comme conditionnant l'immatriculation de la société à son inscription au tableau de chacune des professions réglementées du droit ou du chiffre concernée. La solution vaut pour les SPFPL pluriprofessionnelles (de l'article 31-2 de la loi de 1990) pour lesquelles le décret n° 2016-879 modifie le décret n° 2014-354 (N° Lexbase : L8124IZW), les SPFPL monoprofessionnelles d'avocats (décret n° 2016-878), celles des officiers ministériels (décret n° 2016-880) et celles des conseils en propriété industrielle (CPI). Autrement dit, les SPE et certaines SPFPL peuvent être inscrites au RCS avant même d'avoir été agréées par l'autorité compétente, ce qui semble contraire aux dispositions de l'article L. 123-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5560AIR) qui dispose que nul ne peut être immatriculé au registre s'il ne remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité.

Ne manque plus que le dernier volet qui organisera dans un an l'exercice en commun des professions du droit et des experts-comptables sous couvert des SPE. A noter que les greffiers des tribunaux de commerce ont été oubliés puisqu'à ce jour aucun décret d'application n'a été publié les concernant.

II - Jurisprudence

A - Droit commun des sociétés

1°) Personne morale

  • Dépôt des comptes annuels et saisine d'office du président du tribunal de commerce : conformité à la Constitution (Cons. const., décision n° 2016-548 QPC, du 1er juillet 2016 N° Lexbase : A9975RUY ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1340EU8)

Les dispositions du paragraphe II de l'article L. 611-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L1046KMP), dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010, qui prévoient la saisine d'office du président du tribunal de commerce pour ordonner le dépôt des comptes annuels sous astreinte sont conformes à la Constitution. C'est, à notre connaissance, la première fois que le Conseil constitutionnel rend une telle décision. Il avait été saisi d'une QPC par le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 6 avril 2016, n° 396364, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8817RB8). Les sociétés requérantes soutenaient que les dispositions contestées, en ce qu'elles autorisent le même juge à se saisir d'office de la question du dépôt des comptes, à prononcer l'injonction sous astreinte et à liquider cette astreinte, méconnaissaient le principe d'impartialité des juridictions. Mais le Conseil considère, d'abord, que l'injonction sous astreinte n'est pas une sanction. Il considère, ensuite, que le législateur a, par ces dispositions, poursuivi un objectif d'intérêt général de détection et de prévention des difficultés des entreprises. Enfin, il estime que le prononcé de l'astreinte et sa liquidation sont les deux phases d'une même procédure et la constatation du non-dépôt des comptes présente un caractère objectif.

On rappellera que la Cour de cassation avait déjà été saisie de cette question mais elle avait considéré, dans une première QPC, que ledit texte, s'il emporte des restrictions aux principes de la liberté d'entreprendre et d'égalité devant la loi, répond à un motif d'intérêt général de transparence économique poursuivi par le législateur et ne porte pas une atteinte disproportionnée à ces principes qui aurait pour effet d'en dénaturer la portée (5). La Cour de cassation avait même refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel dans une autre décision (6), le texte répondant à un double motif d'intérêt général de transparence économique et de détection des difficultés des entreprises.

Pour sa part, le Conseil d'Etat a décidé de transmettre. Mais le Conseil constitutionnel n'a pas invalidé la disposition. Si l'on comprend l'objectif et l'atteinte proportionnée, le texte nous paraît peu respectueux des droits de la défense, ne serait-ce que parce qu'il ne prévoit pas d'audition préalable. Surtout, il pose à nouveau la question des saisines d'office dont on sait qu'elles se sont réduites comme une peau de chagrin en matière de procédures collectives, même s'il en subsiste certaines (7).

  • Société inexistante, reprise des actes d'une société en formation et GIE en liquidation judiciaire (Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-20.070 N° Lexbase : A6894RS7 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E6552ADZ et N° Lexbase : E2368ATU)

Bien que non publié au Bulletin, l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 7 juin 2016 est particulièrement intéressant en ce qu'il mêle un problème de reprise des actes d'une société en formation, d'une société inexistante et d'une liquidation judiciaire d'un GIE.

En l'espèce, une EURL en cours de constitution achète plusieurs lots dépendant d'une résidence hôtelière puis les revend à une SARL. Du fait de cette acquisition, ladite SARL adhère automatiquement à un GIE. Or ce GIE se trouve plus tard placé en liquidation judiciaire, si bien que le liquidateur demande l'extension de cette procédure à la SARL. En effet, l'article L. 251-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6486AI3) dispose que les membres du GIE sont tenus des dettes de celui-ci sur leur patrimoine propre. C'était oublier, toutefois, que l'EURL n'était pas immatriculée, ni au moment de l'acquisition ni au moment de la (re)vente de l'immeuble, étant précisé qu'aucune clause de reprise des engagements sociaux n'avait été prévue. Dès lors, faute d'immatriculation et par conséquent de reprise des actes passés alors qu'elle était en formation, l'EURL n'avait pu revendre le bien immeuble. N'ayant aucune personnalité morale, elle n'avait pas la capacité de contracter.

La solution constitue une application de l'adage nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet. L'arrêt d'appel (qui, au contraire, avait retenu l'extension de procédure, se trouve cassé logiquement au visa des articles 1842 du Code civil (N° Lexbase : L2013AB8) et L. 210-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5793AIE). L'acquisition d'un bien par une société inexistante, car non immatriculée au registre du commerce et des sociétés au jour de l'acte de vente, est nulle d'une nullité absolue et ne peut conférer à cette société aucun droit sur le bien. En conséquence de quoi, les juges d'appel qui, pour rejeter l'exception de nullité de la vente conclue entre l'EURL en cours de constitution et la SARL cessionnaire et considérer que cette SARL faisait partie du GIE, dont la liquidation judiciaire devait lui être étendue, auraient donc dû rechercher si les conditions de la nullité de cette vente n'étaient pas réunies, circonstance de nature à permettre au dirigeant de la SARL de soulever l'exception de nullité de la vente survenue à son profit en raison de l'absence de tout droit du vendeur sur le bien cédé. Les conventions souscrites par une société non encore immatriculée au registre du commerce et des sociétés et n'ayant pas la personnalité juridique lui permettant de contracter sont d'une nullité absolue, sans que l'irrégularité des conventions puisse être couverte par des actes d'exécution postérieurs à l'immatriculation de cette société (8).

Si la Chambre commerciale et la troisième chambre civile s'accordent pour considérer comme nuls et d'une nullité absolue les contrats conclus par une société avant qu'elle n'ait acquis la personnalité juridique par son immatriculation, la société, qui était donc inexistante à la date des actes, n'ayant pu se livrer, après son immatriculation, à aucune reprise de ces actes, faute, pour ceux-ci, d'avoir été souscrits par un mandataire pour le compte de la société en formation, la troisième chambre civile est plus souple quant à la possibilité de régulariser l'acte passé à une époque où la société n'avait pas de personnalité morale (9), à condition toutefois que la société se trouve ensuite immatriculée. Or visiblement, en l'espèce, l'EURL n'avait jamais été immatriculée, ce qui explique cette réaction en chaîne : pas d'immatriculation donc pas d'existence, la vente conclue par une société inexistante est nulle, l'adhésion de la SARL au GIE du fait de cette vente tombe également, tant et si bien que l'absence de relations entre eux était de nature à faire obstacle à l'extension de la procédure collective du GIE, sauf à retenir et prouver d'autre élément de confusion des patrimoines.

Une société qui n'a pas -encore- la personnalité morale (parce qu'elle est par exemple en cours de constitution) est une société qui n'existe pas et qui, peut-être, n'existera jamais. Différent est le cas d'une société fictive. La société fictive est en général utilisée pour frauder les droits d'un tiers. Elle peut ainsi n'avoir pour objet que de mettre en commun les bénéfices et les pertes des deux sociétés participantes afin de diminuer l'imposition de l'une (en l'occurrence société mère de l'autre associée) (10), ou encore seulement la volonté de masquer l'existence d'un contrat de travail entre les prétendus associés, dont la participation aux pertes se trouvait fortement limitée, et la société propriétaire des hôtels (11). Les conséquences de la qualification sont différentes : alors que la société sans personnalité morale n'existe pas et que tous les actes qu'elle passe doivent être dès lors annulés, celle fictive tout à l'inverse existe ou plutôt n'est pas nulle. Plaider en effet qu'une société fictive n'existe pas reviendrait à nier ladite fictivité. Ce qui existe en réalité c'est plus la fictivité ou la fraude que la société elle-même. En l'occurrence, la technique de la société fictive avait été utilisée par une société afin de délocaliser un de ses actifs importants -un navire- dans une autre société, le tout dans le but que cet actif soit ne puisse pas répondre des dettes sociales. En d'autres termes, la fictivité était ici synonyme de fraude paulienne.

Dans un arrêt de rejet, publié au Bulletin, la Cour de cassation estime qu'après avoir caractérisé la fictivité d'une société et que le navire dont cette dernière est propriétaire (apparent) appartient en réalité à une autre société, les juges du fond peuvent retenir que ce navire répondra de la dette de cette dernière envers un tiers (Cass. com., 14 juin 2016, n° 14-18.671, F-P+B). En l'occurrence, une société commande à une autre du carburant pour ses navires. Restant impayée de sa créance de fourniture dont elle invoquait le caractère maritime, la société de fourniture obtient, par une ordonnance rendue sur requête le 11 décembre 2013, la saisie conservatoire, dans le port de Nantes, d'un troisième navire appartenant à une société tierce. Cette dernière demande alors la rétractation de l'ordonnance précitée. Déboutée de cette demande par la cour d'appel (CA Rennes, 4 février 2014, n° 14/00063 N° Lexbase : A5704MDM), elle a formé un pourvoi en cassation, faisant essentiellement valoir que le navire dont elle était propriétaire ne pouvait pas répondre de la dette contractée par une autre société.

Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi en raison de la fictivté de cette société. En effet, cette société, propriétaire apparent du navire saisi, n'avait pas d'attache territoriale, n'avait pas d'autre adresse qu'une boîte postale dans l'Etat de Saint-Kitts-et-Nevis et n'exerçait aucune activité réelle. De plus, l'acquisition du navire saisi avait été financée par des deniers fournis par la société débitrice, laquelle, par l'intermédiaire de deux autres sociétés, gérait les relations du navire et avait même effectué des paiements le concernant en se présentant en qualité de propriétaire. La société propriétaire du navire était donc fictive, de sorte que ce dernier, appartenant en réalité à la société qui avait reçu le carburant et qui ne l'avait pas payé, pouvait répondre de la dette de celle-ci envers sa créancière.

En somme, la fictivité tient à ce que la société qu'on pourrait qualifier "d'écran" n'exerce aucune activité réelle et à ce que l'acquisition du navire par celle-ci a été financée par des deniers fournis par la société débitrice. Comme cela a été souligné, la solution n'est pas nouvelle (12). A noter que la théorie de l'apparence est consacrée ou conservée par le nouveau Code civil (C. civ., art. 1156, nouv. N° Lexbase : L0874KZE).

2°) Associés

  • Validité du pacte d'associés, signé par un salarié détenant des titres de la société qui l'emploie (Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-17.978, FS-P+B N° Lexbase : A7018RSQ ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E6310ATU)

La clause, insérée dans un pacte d'actionnaires, imposant la cession des actions du signataire du pacte en cas de cessation du contrat de travail de ce dernier et prévoyant la décote de la valeur des actions en cas de licenciement est valable. Dit autrement, est licite l'engagement d'un actionnaire salarié de céder à un prix minoré ses actions s'il est licencié dès lors qu'il est la contrepartie d'un processus d'intéressement du salarié et que, applicable à tout licenciement, il ne sanctionne pas une faute de celui-ci. Telle est l'importante précision qu'apporte cet arrêt publié au Bulletin car la clause validée ici est fréquente en pratique (13), qui s'inscrit nous semble-t-il dans le courant jurisprudentiel qui tend à valider plus généralement les clauses de good/bad leaver (14). Nous renvoyons au commentaire du Professeur Bernard Saintourens, publié dans ces colonnes (15).

  • Abus de majorité en cas de vente d'actif social en dessous de sa valeur (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-28.121, F-D N° Lexbase : A0307RRS ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E7954AGP)

L'assemblée générale d'une SCI, qui s'était tenue en présence des quatre associés égalitaires, avait décidé la vente d'un terrain acquis par la SCI et de l'immeuble en cours de construction au prix de 200 000 euros, l'un des associés ayant voté contre cette résolution. Six mois plus tard, ce bien était cédé pour la même somme à une société que les trois associés ayant voté en faveur de la résolution venaient de constituer. Puis l'assemblée générale de la SCI avait décidé la dissolution de cette société. La cour d'appel ayant été jugé que la décision prise par l'assemblée générale de vendre le terrain et l'immeuble était contraire à l'intérêt de la société et caractérisait un abus de majorité, les trois associés majoritaires soutenaient que le prix de vente de l'immeuble avait été fixé en considération du transfert du prêt souscrit par la SCI à l'acquéreur, le procès-verbal de l'assemblée n'en faisant pas mention.

Mais la Cour de cassation rejette leur pourvoi (16) au motif, d'un part, que ce prix ne pouvait pas davantage se justifier par le caractère inachevé de l'immeuble car, même si la construction était en cours au moment de l'assemblée générale, elle était achevée à la date de la vente et, d'autre part, que cette cession, intervenue à un prix très inférieur à la valeur réelle de l'immeuble, s'était faite au détriment de la première SCI, qui avait ainsi été privée de son actif et de l'associé minoritaire dont les parts sociales avaient perdu toute valeur, tandis que les associés majoritaires s'étaient retrouvés, au travers de la nouvelle SCI, seuls propriétaires de l'immeuble. Les trois éléments de l'abus de majorité -décision contraire à l'intérêt social, favorisant les majoritaires, au détriment des minoritaires-, étaient ici réunis.

Rappelons que, pour déterminer si la vente d'un immeuble appartenant à une société immobilière est abusive ou non, les juges recherchent notamment si l'opération risque d'affecter la survie de la société. Tel est le cas, par exemple, de la vente de la totalité des treize studios appartenant à une SCI sans que ne soit prévu le remploi du prix, décidé par l'associé majoritaire préoccupé de réduire la pression fiscale dont il était l'objet (17). Mais tel n'est pas le cas de la cession de la totalité des actifs sociaux d'une SARL (droits au bail, matériel informatique, meubles de bureau) à des tiers, cette cession étant nécessaire compte tenu de la situation financière critique de la société (18).

  • Absence d'abus de majorité en présence d'informations suffisamment claires, spécifiques et circonstanciées relatives à la situation économique de la société (Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-24.913, F-D N° Lexbase : A6977RS9 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E7943AGB)

Le président d'une SAS convoque une assemblée générale mixte avec, notamment, pour ordre du jour la réduction suivie d'une augmentation de capital, destinée à assainir la situation financière de la société. Il joint à la convocation le rapport du président ainsi que le texte des résolutions, lesquelles ont été adoptées par une délibération d'assemblée générale du 14 décembre 2010. Toutefois, soutenant que cette délibération n'avait pas été précédée d'une information conforme aux exigences légales, ce qui caractérisait un abus de majorité, les actionnaires minoritaires de la SAS assignent cette dernier ainsi que les autres actionnaires en nullité et paiement de dommages-intérêts.

Mais la Cour de cassation au final valide l'opération de coup d'accordéon. En effet relève-t-elle, "après avoir constaté qu'était joint à la convocation des actionnaires à l'assemblée générale le rapport du président proposant, à la suite des pertes de l'exercice 2009 et afin d'éviter le risque d'une cessation des paiements, la mise en place d'une restructuration financière destinée au rétablissement des capitaux propres, l'arrêt [d'appel] retient que ce rapport contenait des informations suffisamment claires, spécifiques et circonstanciées relatives à la situation économique de la société ; qu'il ajoute que [les actionnaires minoritaires], auxquels les mêmes explications avaient été ultérieurement réitérées par écrit sans avoir donné lieu à une réplique de leur part, avaient la possibilité de se procurer tout document par la voie de la procédure d'injonction instituée par l'article L. 238-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8353GQG) ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, desquelles elle a pu déduire que l'information communiquée [aux actionnaires minoritaires] leur permettait de se prononcer en connaissance de cause sur l'opération soumise au vote de l'assemblée générale, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé". L'abus de majorité n'était pas caractérisé. La solution est transposable à toutes formes sociétaires.

3°) Liquidation

  • Responsabilité du liquidateur amiable (Cass. com., 21 juin 2016, n° 14-26.370, FS-P+B N° Lexbase : A2399RUE ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E9008AKT et N° Lexbase : E0029A8L)

Dans cet important arrêt, la Cour de cassation refuse de donner la possibilité à l'associé d'une SARL d'exercer l'action sociale ut singuli contre le liquidateur amiable, laquelle est ouverte contre le seul gérant (19). Nous renvoyons au commentaire de Christine Lebel, publié dans ces colonnes (20) .

B - Droit spécial des sociétés

1°) Société pas actions simplifiée (SAS)

  • Statuts de SAS prévoyant qu'un associé doit être salarié de la société et peut être exclu s'il ne l'est plus (CA Versailles, 24 mai 2016, n° 14/03646 N° Lexbase : A2580RQM ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E7533ADD)

Bien que seulement d'appel, cette affaire est intéressante au regard de deux clauses que les statuts d'une SAS appartenant à un groupe stipulaient (21). Ainsi, selon la première clause statutaire, tout associé personne physique doit impérativement et aussi longtemps qu'il détient une ou plusieurs actions avoir la qualité de salarié d'une société du groupe. En vertu de la seconde "tout associé qui n'exercera pas de fonction salariée pourra être exclu sur décision du président" qui désignera alors la personne à qui l'associé sera tenu de céder ses actions. Un associé de la SAS qui était salarié d'une autre société du groupe avait été licencié sans être exclu. Il avait alors demandé à la SAS le rachat de ses actions en soutenant qu'il résultait de la lecture combinée des deux clauses que son exclusion, et donc le rachat de ses actions, constituait une obligation pour la société en cas de perte de la qualité de salarié.

Les juges versaillais jugent au contraire, à juste titre, que les termes clairs de la seconde clause, par l'usage du verbe "pouvoir", ouvrait au président seulement la faculté et non l'obligation d'exclure l'associé et de faire racheter ses actions et que la première clause n'induisait pas nécessairement que la perte de la qualité de salarié impliquait la perte de la qualité d'associé. En effet, la première clause devait se lire au regard des stipulations de la seconde, qui ne lui était pas contradictoire en ce qu'elle précisait les modalités d'exclusion et de cession forcée des actions. Reste à savoir toutefois si l'esprit de la première clause ne devait tout de même pas prendre le pas sur la seconde dans la mesure où il paraissait impératif que l'associé soit nécessairement salarié. Car si la perte de la qualité de salarié n'entraînait pas automatiquement l'exclusion de l'associé concerné, il faut bien avouer alors que tout associé personne physique ne devait pas impérativement être salarié du groupe. Le pourvoi pourrait s'emparer de cette interprétation.

2°) Société en nom commercial (SNC)

  • SNC et préjudice personnel des associés (Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-10.415, FS-P+B N° Lexbase : A2068RWI ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1063AWB)

Parce que les associés de SNC sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales conformément à l'alinéa 1er de l'article L. 221-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5797AIK), il n'est pas toujours aisé de faire le distinguo entre d'un côté les associés et de l'autre la société, juridiquement distincte de ses membres. Et lorsque la question se pose sous l'angle du préjudice personnel des associés, une telle appréciation est encore plus délicate, surtout quand on sait que même dans les sociétés à risque limité il est très difficile pour des associés de faire reconnaître leur éventuel préjudice personnel.

Le présent arrêt confirme le refus quasi-systématique de la Cour de cassation de reconnaître un tel préjudice des associés, malgré la résistance assez forte des juges du fond. En l'espèce une société, qui exploitait un établissement hôtelier au sein d'un immeuble dont elle était propriétaire, a été mise en redressement judiciaire le 16 février 2001. Un jugement du 1er juin 2001 a ordonné la cession de son fonds de commerce à une société et celle de l'immeuble à une autre société constituée sous forme de SNC. Plusieurs recours exercés par la débitrice et par le représentant de ses salariés ont été déclarés irrecevables par la cour d'appel et les actes de cession ont été régularisés les 23 et 24 décembre 2003. Le 12 mars 2008, le représentant des salariés a demandé l'annulation des actes de vente précités et l'un des associés de la débitrice est intervenu pour former la même demande d'annulation. C'est dans ces circonstances que les associés de la SNC cessionnaire de l'immeuble sont également intervenus volontairement pour demander le paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive. Pour condamner l'associé de la débitrice à payer aux associés de la SNC cessionnaire des dommages-intérêts en raison du caractère abusif de son appel, l'arrêt d'appel retient que les associés de la SNC, à ce titre tenues indéfiniment et solidairement des dettes sociales de cette dernière, ont intérêt à agir et à invoquer un préjudice spécial. Or, la mauvaise foi de la société appelante est caractérisée par la multiplicité des procédures introduites à l'encontre de la société cessionnaire pour nuire aux intérêts de cette dernière et de ses associées, décourager tout acquéreur potentiel de l'immeuble et mettre en péril la trésorerie desdites sociétés. Mais sur pourvoi formé par l'associé de la débitrice, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel au visa des articles 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) et 329 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2005H4Z) : "en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser un préjudice personnel des sociétés associées, distinct de celui subi par la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

Ne constitue donc pas un préjudice personnel des associés d'une SNC, distinct de celui subi par cette dernière, le fait pour un tiers d'engager une multitude de procédures à l'encontre de la société pour nuire aux intérêts de cette dernière et de ses associés.

3°) Sociétés des professions libérales

Lorsqu'un notaire se retire d'une SCP, il a droit à percevoir les bénéfices tant que le Garde des Sceaux n'a pas pris d'arrêté en ce sens. Si bien que si, par exemple, l'arrêté n'est pris que deux ans après le retrait, le notaire concerné aura droit aux bénéfices générés par la SCP pendant ces deux années, même si le retrayant n'est pas à l'origine desdits bénéfices. C'est précisément ce qui s'était produit dans l'affaire ayant donné lieu l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 mais 2016. Les associés restants avaient alors imaginé une clause privant le retrayant de sa vocation aux bénéfices. Mais une telle clause a été considérée comme sans cause par la Cour de cassation, selon laquelle la cessation de la participation d'un notaire à l'activité de la SCP dont il se retire ne peut constituer la contrepartie d'une privation de la rémunération afférente à ses apports en capital, de sorte que la clause de l'acte de cession qui prive le cédant de tout bénéfice ou actif quelconque de la SCP est sans contrepartie et, énonçant une obligation sans cause, est nulle (22).

A l'heure de la disparition de la cause, elle reste plus que jamais présente dans ses fonctions. Quant à la vocation aux bénéfices des associés retrayants, s'il est possible de la limiter, il est impossible de la supprimer. La solution aurait été la même dans une SEL, voire dans une SARL, SAS et SA, désormais accessibles aux notaires (et aux autres officiers ministériels). La solution concerne également les héritiers de l'associé défunt.

  • Vocation aux bénéfices de l'ayant-droit de l'associé de SCP décédé (Cass. civ. 1, 1er juin 2016, n° 13-28.851, F-D N° Lexbase : A8568RRR ; cf. les Ouvrages "Droit des sociétés" N° Lexbase : E9423BXB et "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0108EUK)

Dans cet arrêt non publié au Bulletin et qui concernait cette fois-ci une SCP d'avocats, la Cour de cassation estime que l'ayant droit de l'associé décédé n'acquiert pas la qualité d'associé. Pour autant, il conserve, jusqu'à la cession ou au rachat intégral des parts de son auteur, vocation à la répartition des bénéfices, lesquels sont susceptibles de se compenser avec le solde débiteur du compte courant d'associé du défunt. Si l'arrêt confirme une jurisprudence constante, il vient apporter une utile précision concernant la compensation. Nous renvoyons à notre commentaire publié dans Lexbase Professions (23).

  • Recours contre la désignation d'un expert par le Bâtonnier pour l'évaluation des parts sociales de l'avocat associé retrayant (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 15 juin 2016, n° 15/04362 N° Lexbase : A0317RTW ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E9422BXA et N° Lexbase : E9599ASC)

L'affaire, assez complexe, concerne le cas d'un avocat associé qui quitte une structure pour aller exercer dans une autre. Un conflit naît sur le paiement de ses droits sociaux avec la question essentielle de l'expertise de l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L8956I34). On sait que l'ordonnance du 31 juillet 2014 (ordonnance n° 2014-863 N° Lexbase : L1321I4P) a modifié sensiblement sa rédaction principalement afin de respecter l'éventuelle méthode d'évaluation fixée par les parties. Or en l'occurrence une telle méthode avait été prévue. Toutefois, les juges estiment que ledit texte doit être appliqué dans sa version antérieure à la réforme de juillet 2014 (24), si bien que la sentence du Bâtonnier ayant désigné un expert selon ces règles ne peut faire l'objet d'un recours. L'arrêt est donc intéressant en ce qu'il adopte une position originale sur la date d'entrée en vigueur de l'article 1843-4 du Code civil, étant observé toutefois que le litige est antérieur à l'ordonnance du 31 juillet 2014, ce qui explique sûrement cette position. On sait en effet qu'un procès en cours cristallise le droit dans le temps.

  • Article 1843-4 du Code civil, SEL et SCP (Cass. QPC, 16 juin 2016, n° 16-40.018, F-D N° Lexbase : A5585RTZ ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E9597ASA)

C'est une très importante QPC que vient de renvoyer la Cour de cassation au Conseil constitutionnel. Certains plaideurs ont effet soulevé la double interrogations suivante.

D'une part, l'article 1843-4 du Code civil ne précise pas la date à laquelle les droits sociaux cédés doivent être évalués, lorsque les statuts sont silencieux sur ce point. Dans un tel cas, la Cour de cassation juge que la date d'évaluation doit être la plus proche de celle du remboursement de la valeur des droits sociaux et non celle à laquelle l'associé s'est retiré ou a été exclu (25). Une telle solution ne porte-t-elle pas atteinte au droit de propriété garanti par la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 (art. 2 N° Lexbase : L1366A9H et 17 N° Lexbase : L1364A9E) ?

D'autre part, le législateur a fixé une date d'évaluation pour certains cédants et s'en est abstenu pour d'autres. La Cour de cassation traite de manière différente et sans justification les cessions de parts des médecins associés au sein d'une SEL et ceux associés au sein d'une SCP. De telles solutions ne portent-t-elles pas atteinte au principe de l'égalité du citoyen devant la loi ?

On surveillera donc avec beaucoup d'attention la réponse qu'apportera le Conseil constitutionnel à la question de savoir si, dans le silence des statuts et de la convention des parties sur ce point, l'évaluation des droits sociaux cédés doit être effectuée à une date unique pour tous les cédants et pour toutes les sociétés, ou non.


(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) Nos obs., Création de la société pluriprofessionnelle d'exercice, Lexbase, éd. aff., 2014, n° 462 (N° Lexbase : N2246BW4).
(3) JCP éd. E, 2016, act. 591.
(4) Les mandataires et administrateurs judiciaires ne peuvent pas a priori contourner une telle unicité (C. com., art. R. 814-84 N° Lexbase : L2006HZC) sauf à considérer que l'article précité ne concerne pas les sociétés commerciales de droit commun et qu'ainsi une SAS d'administrateur judiciaire ou de mandataire judiciaire pourrait ne pas y être soumise. Si donc deux administrateurs judiciaires ou mandataires judiciaires veulent s'associer au sein d'une structure tout en conservant leur propre structure ils n'ont d'autres choix que d'utiliser le GIE. Il en va de même pour les notaires, huissiers et commissaires-priseurs judiciaires.
(5) Cass. QPC, 15 janvier 2013, n° 12-40.086, F-D (N° Lexbase : A5072I3A).
(6) Cass. QPC, 3 septembre 2013, n° 13-40.033, F-D (N° Lexbase : A5664KKY).
(7) Cons. const., décision n° 2012-286 QPC, du 7 décembre 2012 (N° Lexbase : A4918IYS); Cons. const., décision n° 2014-368 QPC, du 7 mars 2014 (N° Lexbase : A3292MGZ) ; Cons. const., décision n° 2014-399 QPC du 6 juin 2014 (N° Lexbase : A0199MQG), JCP éd. E, 2014, 1333, note A. Cerati-Gauthier. Adde B. Brignon et A. Cerati-Gauthier, Les saisines d'office confrontées aux dernières réformes du droit des entreprises en difficulté, D., 2014, p. 2248.
(8) Cass., com., 21 février 2012, n° 10-27.630 F-P+B (N° Lexbase : A3197IDR), Bull. civ. IV, n° 49, D., 2012, p. 608, obs. A. Lienhard, Bull. Joly Sociétés, juin 2012, p. 472, note B. Dondero, JCP éd. E, 2012, 1249, note R. Mortier, J.-B. Lenhof, Lexbase, éd. aff., 2012, n° 289 (N° Lexbase : N0955BTK), Gaz. Pal., 8 avril 2012, n° 99 à 103, p. 18, note D. Houtcieff, Dr. sociétés, 2012, n° 58, note R. Mortier, Banque et Droit, mars-avril, 2012, 47, obs. M. Storck, RJDA, 2012, n° 499 ; Cass. com., 23 novembre 2010, n° 07-21.936 F-D (N° Lexbase : A7513GLT), Rev. sociétés, 2011, p. 32, obs. A. Lienhard ; Cass. civ. 3, 5 octobre 2011, neuf arrêts, n° 10-12.073, FS-D (N° Lexbase : A6062HY8), n° 10-14.485, FS-D (N° Lexbase : A6063HY9), n° 10-12.072, FS-D (N° Lexbase : A6061HY7), n° 10-12.071, FS-D (N° Lexbase : A6060HY4), n° 10-12.070, FS-D (N° Lexbase : A6059HY3), n° 10-12.069, FS-D (N° Lexbase : A6058HYZ), n° 10-12.067, FS-D (N° Lexbase : A6057HYY), n° 10-12.064, FS-D (N° Lexbase : A6056HYX), n° 09-70.571 (N° Lexbase : A6055HYW), Bull. Joly Sociétés, décembre 2011, p. 948, n° 550, note P. Le Cannu, BRDA, 20/11, n° 4, Gaz. Pal., 12 mai 2012, p. 21, I9846, note B. Dondero, D., 2012. Pan. p. 2690, obs. E. Lamazerolles, Rev. sociétés, 2011, p. 691, obs. S. Prévost, Dr. sociétés, 2012, n° 4, note R. Mortier, RJDA, 2012, n° 52, LPA, 20 février 2012, note Martron, Gaz. Pal., 9-12 mai 2012, p. 21, obs. B. Dondero, Dr. et patr., mai 2012., p. 80, obs. D. Poracchia ; Cass. com., 13 novembre 2013, n° 12-26.158, F-D (N° Lexbase : A6189KPW), Bull. Joly Sociétés, 2014, p. 67, note A. Constantin, Gaz. Pal. 4-6 mai 2014, p. 16, obs. B. Dondero. Adde T. de Ravel d'Esclapon, Société en formation, Joly Sociétés, ES100 ; Ch. Lebel, Les actes conclus avant l'immatriculation de la société, Journal des sociétés, juillet 2012, p. 72.
(9) Cass. civ. 3, 9 octobre 1996, n° 93-10.225 (N° Lexbase : A8610AGY), RJCom., 1998, p. 16, note D. Velardocchio.
(10) CE, 10 mai 1993, n° 95128 (N° Lexbase : A9469AMN), Bull. Joly Sociétés, 1993, p. 799, note Pisani.
(11) CA Paris, 7 juin 2001, RJDA, 2002, no 41 ; Ch. Cutajar, RJDA, janvier 2002, p. 3.
(12) Dalloz Actualité, 4 juillet 2016, note X. Delpech, citant Cass. com., 22 juin 1999, n° 98-13.611, publié (N° Lexbase : A4921AGD), Bull. civ. IV, n° 136 ; D. 2000, p. 389, obs. S. Piedelièvre ; ibid. p. 234, obs. J.-C. Hallouin ; Rev. sociétés, 1999, p. 824, note A. Constantin ; RTDCom., 1999, p. 875, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. p. 903, obs. Y. Reinhard, à propos de la constitution d'une hypothèque maritime sur un navire "appartenant" à une société fictive.
(13) Navis affaires, EFL, 1er juillet 2016.
(14) Cass. com., 3 février 2015, n° 13-28.164, F-D (N° Lexbase : A2468NBZ), Bull. Joly Société, avril 2015, p. 188, note S. Schiller. Adde nos obs., Stock-options, indemnités de départ et promesses de cessions : la protection de la rémunération du dirigeant par le contrat in La protection du dirigeant social, dir. N. Borga, LGDJ, 2016, p. 121.
(15) B. Saintourens, Lexbase, éd. aff., 2016, n° 472 (N° Lexbase : N3418BWI). V. égal., Dalloz Actualité, 27 juin 2016, note X. Delpech.
(16) Navis affaires, EFL, 30 juin 2016.
(17) CA Rennes, 27 mai 2003, n° 01/7028 (N° Lexbase : A9263DNE), RJDA, 1/04 n° 46.
(18) Cass. com., 28 avril 2004 n° 00-12.827, F-D (N° Lexbase : A1538DCX), RJDA 8-9/04 n° 982.
(19) Dalloz Actualité, 12 juillet 2016, note X. Delpech indiquant que la solution n'est pas nouvelle et citant CA Versailles, 19 février 1992, Dr. sociétés, 1993, n° 112, obs. Th. Bonneau.
20) Ch. Lebel, Lexbase, éd. aff., 2016, n° 474 (N° Lexbase : N3778BWT).
(21) Navis affaires, EFL, 11 juillet 2016
(22) Nos obs., JCP éd. E, 2016, 1401.
(23) Nos obs., Lexbase, éd. prof., 2016, n° 220 (N° Lexbase : N3669BWS)
(24) Selon la motivation suivante : "Ainsi les dispositions de l'article 1843-4 du Code civil qui fixent le mode d'évaluation des droits sociaux sont entrées dans le champ contractuel et la modification intervenue postérieurement à l'adoption des statuts par les associés ne peut affecter leurs relations".
(25) Cass. com., 4 mai 2010, n° 08-20.693, FS-P+B (N° Lexbase : A0671EX7).

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Urbanisme

[Jurisprudence] Le Conseil d'Etat assouplit le régime des emplacements réservés

Réf. : CE 1° et 6° ch.-r., 20 juin 2016, n° 386978, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6222RTM)

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"

Le 14 Juillet 2016

Dans un arrêt rendu le 20 juin 2016, le Conseil d'Etat indique qu'aucune disposition n'interdit au pétitionnaire de réaliser, sur la parcelle classée en emplacement réservé, d'autres projets compatibles avec sa destination. Il précise ainsi le régime juridique des emplacements réservés, confirme les droits du propriétaire d'un terrain situé en emplacement réservé et étend les possibilités de construction réalisables sur ce terrain. Les emplacements réservés figurent parmi les parents pauvres de la jurisprudence en matière d'urbanisme : avec moins de 80 arrêts du Conseil d'Etat publiés rendus sur le sujet en près d'un demi-siècle, on ne peut pas dire que la jurisprudence fourmille de décisions relatives aux emplacements réservés. D'où l'intérêt de l'arrêt du 20 juin 2016. En l'occurrence, le maire de Saint-Denis avait accordé à la société X, en 2011, un permis de construire portant sur un immeuble de vingt logements et sur des équipements techniques liés au tramway, puis un permis de construire modificatif en 2012 tendant, notamment, à la modification de l'alignement de la façade, à la ventilation haute de locaux techniques de la RATP et à des accès à ces locaux techniques. Le projet litigieux occupait la totalité d'une parcelle qui appartenait au domaine public communal et qui avait été grevée d'une servitude d'emplacement réservé par le plan d'occupation des sols de la commune pour la réalisation d'un poste de redressement de la RATP. Cette parcelle avait fait l'objet d'un déclassement du domaine public communal puis avait été cédée par la commune à la RATP. Saisi de plusieurs recours dirigés contre ces arrêtés municipaux, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les requêtes, décision qui a été confirmée par la cour administrative d'appel de Versailles. Saisi en cassation, le Conseil d'Etat, après avoir rappelé que le classement d'un terrain en emplacement réservé ouvre un droit de délaissement au propriétaire (I), élargit le champ d'application du droit à construire (II)

I - Emplacement réservé et droit de délaissement

La technique de l'emplacement réservé permet à une collectivité de créer une servitude d'intérêt général sur un terrain afin de limiter l'objet et la nature des constructions qui peuvent y être édifiées. Le document d'urbanisme peut ainsi prévoir que certains secteurs seront destinés à recevoir des équipements collectifs : intégrer ces secteurs dans les emplacements réservés permet d'interdire qu'ils soient utilisés d'une manière incompatible avec la destination fixée par le document.

L'article L. 123-1-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8255KGT), dans ses dispositions applicables à la date du permis attaqué, autorisait le règlement du PLU à "fixer les emplacements réservés aux voies et ouvrages publics, aux installations d'intérêt général ainsi qu'aux espaces verts". Cette servitude qui a pour effet de limiter, voire d'interdire, le droit à construire afin d'atteindre l'objectif d'équilibre entre les différentes exigences posées par l'article L. 121-1 alors applicable (N° Lexbase : L3226IQK), peut être supprimée à l'occasion d'une modification du document d'urbanisme (1).

La jurisprudence précise au sujet des dispositions de ces dispositions "qu'il appartient aux auteurs d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan local d'urbanisme de déterminer le parti d'aménagement à retenir sur le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir, et de fixer, notamment, la liste des emplacements réservés pour la création ou l'aménagement des voies et ouvrages publics nécessaires" (2). Le juge administratif n'exerce donc dans ce domaine qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (3). Le maintien d'un classement en emplacement réservé pendant plusieurs années alors que des enquêtes publiques ont été menées pour la réalisation d'un autre projet destiné à remédier aux mêmes difficultés de circulation que celles qui ont motivé le classement en emplacement réservé n'est donc pas illégal (4).

L'emplacement réservé doit être prévu par le règlement et doit figurer sur les documents graphiques annexés au document graphiques. Ainsi, la seule délimitation, sur ces documents d'une zone verte au sein d'une zone à urbaniser ne suffit pas à lui conférer un caractère inconstructible (5). De même, si le règlement du document d'urbanisme peut prévoir une limitation du droit à construire visant des espaces verts à protéger, la création de ces espaces ne peut conduire à instaurer une inconstructibilité absolue, dès lors qu'il ne s'agit pas d'emplacements réservés (6).

Une construction scolaire, de même qu'un parc de stationnement souterrain, constituent donc des ouvrages publics pouvant donner lieu à emplacement réservé (7). De même, une commune peut réserver un emplacement pour la réalisation d'un ascenseur urbain dans le but de faciliter l'accès à un site touristique (8) ou pour réaliser une aire d'accueil des gens du voyage (9).

Une commune, qui peut légalement créer un emplacement réservé sans justifier d'un projet précis (10), n'est cependant pas obligée de prévoir des emplacements réservés aux voies et ouvrages publics (11). En revanche, dès lors que le plan prévoit des emplacements réservés, ceux-ci doivent être respectés, le cahier des charges d'un lotissement ne pouvant, en aucun cas, régir les emplacements réservés pour équipements publics (12).

Il reste que les dispositions du document d'urbanisme prévoyant de telles servitudes ne sont pas opposables à toutes les demandes d'autorisation : dès lors que le Code de l'urbanisme prévoit que l'édification d'une clôture ne peut être refusée que lorsqu'elle fait obstacle à la libre circulation des piétons, la présence de la clôture sur un emplacement réservé voirie ne peut légalement justifier le refus d'autorisation (13). De même, l'instauration d'un emplacement réservé ne peut se substituer à un plan d'alignement nouveau : la délimitation d'un emplacement réservé pour l'élargissement ultérieur de la voie publique ne peut donc avoir les mêmes effets que ceux d'un plan d'alignement (14).

Dans sa version actuelle issue de l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 (N° Lexbase : L2163KIX), l'article L. 151-41 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2598KI3) reprend les trois objets traditionnels des emplacements réservés (voies et ouvrages publics, installations d'intérêt général, espaces verts) et y rajoute un nouvel objectif puisque le règlement peut désormais "délimiter des terrains sur lesquels sont institués [...] 4° Dans les zones urbaines et à urbaniser, des emplacements réservés en vue de la réalisation, dans le respect des objectifs de mixité sociale, de programmes de logements qu'il définit". Les emplacements réservés sont mentionnés sur les documents graphiques du plan, en application, notamment, en l'état actuel du droit, des articles R. 151-34 (N° Lexbase : L0308KWC) et R. 151-38 (N° Lexbase : L0304KW8).

En contrepartie de la servitude provoquée par l'emplacement réservé, le propriétaire peut se voir reconnaître le droit de délaissement prévu par l'article L. 123-17 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8223KGN), dans ses dispositions applicables à l'espèce commentée, qui dispose que "le propriétaire d'un terrain bâti ou non bâti réservé par un plan local d'urbanisme pour un ouvrage public, une voie publique, une installation d'intérêt général ou un espace vert peut, dès que ce plan est opposable aux tiers, et même si une décision de sursis à statuer qui lui a été opposée est en cours de validité, exiger de la collectivité ou du service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé qu'il soit procédé à son acquisition dans les conditions et délais mentionnés aux articles L. 230-1 et suivants". Ce droit de délaissement a été maintenu par le nouvel article L. 152-2 (N° Lexbase : L2607KIE) dans les mêmes termes.

La jurisprudence rappelle donc "qu'en contrepartie de l'institution de ces servitudes d'urbanisme, les propriétaires concernés peuvent, conformément à l'article L. 123-17 du même code, exiger de la collectivité au bénéfice de laquelle leur terrain a été réservé qu'il soit procédé à son acquisition" (15).

L'arrêt du 20 juin 2016 expose de manière plus précise l'articulation des différentes dispositions applicables. L'arrêt énonce à ce sujet : "en contrepartie de cette servitude, le propriétaire concerné par un emplacement réservé bénéficie, en vertu de l'article L. 123-17 du Code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable, d'un droit de délaissement lui permettant d'exiger de la collectivité publique au bénéfice de laquelle le terrain a été réservé qu'elle procède à son acquisition, dans les conditions fixées par les articles L. 230-1 et suivants du même code, faute de quoi les limitations au droit à construire et la réserve ne sont plus opposables".

D'une part, le Conseil d'Etat rappelle ici le principe du droit de délaissement (16) qui justifie, notamment, l'absence d'incompatibilité entre la procédure des emplacements réservés et la CESDH (17). Ce droit est reconnu dans le cadre de plusieurs procédures qui portent atteinte à la propriété privée. Dès lors que la propriété est atteinte dans sa substance, le propriétaire peut exiger du bénéficiaire qu'il procède à l'acquisition totale de son bien. Cette règle n'est cependant pas générale puisqu'elle ne s'applique pas, par exemple, à la servitude de marchepied prévue par les articles L. 2131-2 (N° Lexbase : L3159KG4), L. 2131-5 (N° Lexbase : L4569IQB) et L. 213l-6 (N° Lexbase : L4570IQC) du Code général de la propriété des personnes publiques.

D'autre part, le Conseil d'Etat énonce la sanction qui s'attache au refus de la collectivité de respecter le droit de délaissement. Un tel refus fait disparaître, au profit du propriétaire, les limitations au droit à construire et la réserve elle-même. Ce faisant, le Conseil d'Etat rappelle les termes de l'article L. 230-4 (N° Lexbase : L7427IDG) dans sa rédaction applicable à l'espèce qui prévoyait que les limitations au droit à construire et la réserve n'étaient plus opposables en l'absence de saisine du juge de l'expropriation. On relèvera, à ce sujet que les dispositions actuelles du Code de l'urbanisme relatives au droit de délaissement ne font plus référence à la technique des emplacements réservés.

En rappelant l'existence du droit de délaissement, l'arrêt du 20 juin 2016 n'apporte aucune innovation particulière. Tel n'est pas le cas, en revanche, de la portée du droit à construire que laisse subsister cette technique.

II - Emplacement réservé et droit à construire

L'objet même de l'emplacement réservé est de limiter les droits à construire. La construction est donc interdite sur les terrains, bâtis ou non, inscrits en emplacement réservé par un plan d'occupation des sols (18).

L'ancien article L. 423-1 (N° Lexbase : L5629C8Y) prévoyait que, "lorsqu'un emplacement est réservé par un plan d'occupation des sols rendu public ou un plan local d'urbanisme approuvé, ou un document d'urbanisme en tenant lieu, pour un ouvrage public, une voie publique, une installation d'intérêt général ou un espace vert et que la construction à édifier a un caractère précaire, le permis de construire peut exceptionnellement être accordé, sur avis favorable de la collectivité intéressée à l'opération".

L'actuel article L. 433-3 (N° Lexbase : L8111HE7) confirme que seuls des ouvrages à caractère précaire peuvent être installés sur des emplacements réservés, le bénéficiaire du permis de construire devant enlever sans indemnité la construction et remettre, à ses frais, le terrain en l'état à la première demande du bénéficiaire de la réserve.

C'est ainsi que, hors le cas des constructions conformes à la destination de l'emplacement réservé, seules les constructions présentant un caractère précaire peuvent être légalement autorisées sur un tel emplacement par un permis de construire ou par une autorisation de travaux, avec l'accord de la collectivité intéressée à l'opération (19). Il appartient à l'autorité compétente qui entend autoriser une telle construction de prescrire son édification à une distance minimale de la limite séparative suffisante pour prévenir un empiètement sur l'emplacement réservé et pour que les distances minimales par rapport aux limites parcellaires soient respectées (20).

L'autorité administrative se trouve ainsi en situation de compétence liée lorsque la demande d'autorisation n'est pas conforme avec l'objet de l'emplacement réservé, ce qui rend inopérants les autres moyens susceptibles d'être invoqués par le pétitionnaire (21). Cette situation de compétence liée demeure, y compris lorsque la demande émane de la personne bénéficiaire de la réserve, tant qu'aucune modification du plan d'occupation des sols emportant changement de la destination n'est intervenue (22). La délivrance d'un permis illégal ayant conduit à l'édification d'une maison d'habitation sur un emplacement réservé constitue donc une faute de nature à engager la responsabilité de l'autorité qui a délivré le permis (23).

La restriction du droit à construire se trouve compensée par l'aménagement des règles relatives au coefficient d'occupation des sols. Les surfaces correspondant aux emplacements réservés sont ainsi déduites de la superficie du terrain prise en compte pour le calcul du coefficient d'occupation du sol (24).

La jurisprudence a toujours fait respecter avec une grande rigueur la destination des emplacements réservés.

Un emplacement réservé peut avoir deux destinations dès lors qu'il correspond à cette dualité de destination. Une commune peut ainsi légalement prévoir la réalisation de deux aires de stationnement destinées à être implantées en sous-sol et aménagées en surface comme jardins publics ou autres installations d'intérêt général, les deux emplacements réservés à cet effet correspondant à cette dualité de destination (25). En revanche, une disposition du plan d'occupation des sols prévoyant un emplacement réservé fait obstacle, tant qu'elle reste en vigueur, à la délivrance, dans son emprise, du permis de construire visant un immeuble étranger à l'objet de l'emplacement réservé (26).

Plusieurs considérations ont été jugées inopérantes pour tenter de justifier du non respect de cette destination.

Il s'agit, d'une part, du transfert du terrain dans le patrimoine de la personne bénéficiaire de la réserve. La cession du terrain ne peut pas permettre de passer outre la destination de la servitude. Il a été ainsi jugé que "le transfert dans le patrimoine de la personne bénéficiaire de la réserve de terrains inscrits en emplacement réservé est sans incidence sur la destination prévue par le plan d'occupation des sols ; que, par suite, les seuls ouvrages ou installations dont la réalisation peut, postérieurement à ce transfert, être autorisés sur ces terrains sont ceux qui sont conformes à cette destination" (27).

D'autre part, les considérations matérielles sont également sans incidence sur le respect de la destination de l'emplacement réservé. Il importe peu qu'un projet soit matériellement compatible avec cette destination, dès lors qu'il ne correspond pas à l'objet prévu par le document d'urbanisme. C'est ainsi qu'un emplacement réservé destiné à la construction de bâtiments à usage scolaire ne peut permettre la réalisation d'un parking souterrain, quand bien même celle-ci ne ferait pas obstacle à l'édification ultérieure des bâtiments scolaires (28).

L'arrêt du 20 juin 2016 vient assouplir de manière assez significative cette jurisprudence rigoureuse.

Dans un considérant de principe, le Conseil d'Etat rappelle, dans un premier temps que "l'autorité administrative chargée de délivrer le permis de construire est tenue de refuser toute demande, même émanant de la personne bénéficiaire de la réserve, dont l'objet ne serait pas conforme à la destination de l'emplacement réservé, tant qu'aucune modification du plan local d'urbanisme emportant changement de la destination n'est intervenue". Conformité à la destination et compétence liée de l'autorité administrative : l'arrêt reprend la décision précitée du 14 octobre 1991.

Dans un second temps, le juge de cassation précise toutefois "qu'en revanche, un permis de construire portant à la fois sur l'opération en vue de laquelle l'emplacement a été réservé et sur un autre projet peut être légalement délivré, dès lors que ce dernier projet est compatible avec la destination assignée à l'emplacement réservé".

Il s'agit là d'un assouplissement significatif du régime des emplacements réservés. On notera que le Conseil ne se prononce pas sur la nature et l'étendue de la compatibilité sur laquelle repose cette nouvelle jurisprudence. D'une part, cette décision ouvre la voie à un nouveau contentieux, dès lors que le juge administratif sera nécessairement conduit à délimiter les contours de cette compatibilité. D'autre part, le Conseil d'Etat ne précise pas si cette compatibilité est juridique ou simplement matérielle.

Les faits de l'espèce laissent cependant entendre que cette compatibilité doit être largement entendue. La jurisprudence antérieure écartait, on l'a vu, toute compatibilité matérielle. Or, dans la présente affaire, l'emplacement réservé avait été créé pour la réalisation d'un poste de redressement électrique du tramway. Dès lors que le Conseil considère que la réalisation simultanée d'un immeuble d'habitation de vingt logements constitue un projet compatible avec cette installation technique, il semble raisonnable de conclure que l'appréciation de cette compatibilité est particulièrement généreuse.

Elle ouvre des perspectives financières intéressantes pour les bénéficiaires de ces emplacements qui ont eu, ou qui auront, la possibilité d'acquérir le terrain. Grevé d'une servitude, celui-ci ne peut être évalué selon les critères du marché immobilier local et sa valeur est nécessairement très faible. L'arrêt du 20 juin 2016 ouvre aux bénéficiaires, la possibilité de valoriser leur acquisition, tout en réalisant le projet prévu pour l'emplacement réservé. C'est là une opportunité qui n'échappera pas à tout le monde.

Le Conseil d'Etat confirme ainsi la solution audacieuse retenue par les juges du fond, la cour administrative d'appel ayant fondé son arrêt sur la considération qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'interdisait la réalisation d'un projet compatible avec la destination de l'emplacement réservé et écarte les autres moyens soulevés par les requérants par la traditionnelle formule lapidaire destinée aux moyens qu'il juge insusceptibles de justifier l'annulation de l'arrêt attaqué.


(1) CE, 11 juin 1993, n° 118417 (N° Lexbase : A0157AN7).
(2) CE, 16 mai 2011, n° 324967 (N° Lexbase : A0311HSC).
(3) CE, 19 décembre 2007, n° 297148 (N° Lexbase : A1543D3K).
(4) CE, 16 mai 2011, n° 324967 (N° Lexbase : A0311HSC).
(5) CE, 26 mai 2010, n° 320780 (N° Lexbase : A6903EXX).
(6) CE, 2 juillet 1982, n° 33747 (N° Lexbase : A1317ALD).
(7) CE, 26 octobre 1994, n° 124062 (N° Lexbase : A3053ASU).
(8) CE, 30 juillet 1997, n° 160007 (N° Lexbase : A0858AEI).
(9) CE, 25 mars 1988, n° 54411 (N° Lexbase : A8012APG).
(10) CE, 7 juillet 2008, n° 296438 (N° Lexbase : A6067D9L).
(11) CE, 29 octobre 2012, n° 332257 (N° Lexbase : A1150IWI).
(12) CE, 31 mars 1989, n° 83538 (N° Lexbase : A1912AQU).
(13) CE, 31 juillet 1996, n° 129058 (N° Lexbase : A0131APK).
(14) CE, 12 avril 1995, n° 86981 (N° Lexbase : A3270ANG).
(15) CE, 26 juin 2013, n° 35408 (N° Lexbase : A1994AMS).
(16) CE, 26 juin 2013, n° 353408 (N° Lexbase : A1249KI4).
(17) CE, 19 décembre 2007, n° 297148 (N° Lexbase : A1543D3K).
(18) CE, 29 juillet 1994, n° 127945 (N° Lexbase : A2093ASC).
(19) CE, 16 mai 2011, n° 324967 (N° Lexbase : A0311HSC).
(20) CE, 7 mars 2008, n° 301719 (N° Lexbase : A3859D73).
(21) CE, 27 octobre 1978, n° 06373 (N° Lexbase : A3633AIE).
(22) CE, 14 octobre 1991, n° 92532 (N° Lexbase : A0319B8C).
(23) CE, 30 juin 1976, n° 96295 (N° Lexbase : A0856B9L).
(24) CE, 17 juin 2014, n° 360020 (N° Lexbase : A6259MRA).
(25) CE, 30 juillet 1997, n° 160007 (N° Lexbase : A0858AEI).
(26) CE, 27 octobre 2009, n° 294173 (N° Lexbase : A6003EMB).
(27) CE, 14 octobre 1991, n° 92532 (N° Lexbase : A0319B8C).
(28) Idem.

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