La lettre juridique n°340 du 5 mars 2009

La lettre juridique - Édition n°340

Éditorial

Responsabilité des avocats : "savoir pour prévoir, afin de pouvoir"*

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce que l'on ignore... voilà toute la politique" (Beaumarchais, Le Mariage de Figaro).

Mais si en politique, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent, il en va tout autrement en matière juridique où l'on sait que la responsabilité des "Hommes de loi" est régulièrement mise à l'épreuve, celle des avocats plus que toute autre. Non pas que l'on puisse reprocher à un avocat de ne pas avoir gagné un procès, mais l'on verra, de plus en plus souvent, un client engager la responsabilité d'un avocat estimant que ce dernier n'aura pas accompli toutes les diligences requises, ou plus singulièrement, n'aura pas fait état du droit positif en la matière et de la dernière jurisprudence en particulier ; à la manière de ces médecins dont la responsabilité est engagée en vertu de l'état de la connaissance scientifique au moment des faits.

L'actualité judiciaire nous en a proposé un exemple topique très récemment. Dans un arrêt du 5 février 2009, sur lequel revient, cette semaine, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, la première chambre civile de la Cour de cassation retient qu'engage sa responsabilité l'avocat qui méconnaît l'évolution de la jurisprudence tendant à un renforcement des exigences de motivation de la lettre de licenciement pour motif économique.

On sait que la notion de motif économique de licenciement recouvre trois éléments qui, une fois réunis, vont déterminer le régime applicable au licenciement pour motif économique : une situation économique ou technologique, des conséquences sur le poste du salarié et l'impossibilité de reclasser ce dernier. A défaut de l'un de ces éléments, auxquels il faut ajouter une rédaction millimétrée de la lettre de licenciement, le licenciement prononcé sera dépourvu de cause réelle et sérieuse. Aux causes légales expresses du licenciement -difficultés économiques et mutations technologiques- le juge a adjoint deux autres hypothèses qui permettent de fonder un licenciement pour motif économique. La première consiste dans la réorganisation afin de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise. La seconde est afférente à la cessation d'activité, en dehors de toute difficulté économique, lorsqu'elle n'était pas liée à la faute ou à une légèreté blâmable de l'employeur. L'extension des cas d'ouverture de la procédure de licenciement pour motif économique n'est donc pas allée sans contrepartie pour le salarié victime du licenciement, puisqu'elle s'est accompagnée d'une lecture exégétique du formalisme de la notification de licenciement. La lettre de licenciement doit, donc, impérativement contenir l'énoncé précis des causes économiques prévues par la loi, mais aussi leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié concerné. Par conséquent, la seule référence à une "cause économique" ou à la "suppression d'emploi" ne suffit pas. Un formalisme, donc, auquel l'avocat doit impérativement se conformer s'il ne souhaite pas voir sa responsabilité engagée vis-à-vis de son client (entreprise).

Ainsi, si l'obligation de résultat en la circonstance demeure une utopie (gageons), l'obligation de moyen contraint le professionnel du droit à la meilleure information et à une formation continue. Le législateur s'est emparé du second sujet, tant est si bien que les avocats sont "invités" à suivre vingt heures annuelles de formation juridique ou para-juridique, sous peine de sanctions édictées par leurs Ordres. En revanche, en ce qui concerne l'information juridique la plus claire, la plus réactive et la plus "opérationnelle" qui soit, rien n'est véritablement organisé par les pouvoirs publics à l'attention des avocats. Et chacun sait que, si le service public du droit, par le biais de Légifrance, assure une documentation brute minimale pour les citoyens (sic), nous sommes loin de la complétude et du décryptage nécessaire à l'exercice serein et éclairé de la profession d'avocat. A-t-on vu, excepté dans Le malade imaginaire, un quidam se décréter médecin avec succès ? "Mieux vaut ne rien savoir que beaucoup savoir à moitié", nous enseigne Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra).

C'est éminemment le rôle des éditeurs juridiques de pourvoir à cette information essentielle et complète : mais à quel prix ? Et surtout, comment assurer un égal accès de la profession à un socle minimal de sources brutes et d'informations doctrinales ? C'est le choix opéré par certains éditeurs, dont les éditions juridiques Lexbase, et un nombre croissant de Bâtonniers conscients qu'il est temps d'organiser un véritable "service public" de l'information juridique à l'adresse des avocats, à travers le site des Ordres ou des Carpa. Il n'est pas de raisons déontologiques ou financières qui fassent que les cordonniers soient systématiquement les plus mal chaussés ! Voilà l'engament nouveau des responsables locaux de la profession d'avocat, car "conjecturer et savoir exactement sont choses différentes" (Eschyle, Agamemnon).

*Beaumarchais, Le Barbier de Séville

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Droit international privé

[Jurisprudence] Exequatur : entre contrôle de la motivation et pouvoir de révision, la voie est étroite

Réf. : Cass. civ. 1, 14 janvier 2009, n° 07-17.194, Société Agrogabon, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3397ECS)

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par Sandrine Sana-Chaillé de Néré, Professeur, Université Montesquieu-Bordeaux IV, membre du CERDAC

Le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 janvier 2009 mérite une attention particulière non pas tant pour les réponses qu'il apporte que pour les difficultés qu'il met en lumière. Nous sommes ici, pourtant, sur un terrain classique du droit international privé -l'exequatur- terrain déjà largement balisé même si des évolutions récentes en ont, certes, modifié le paysage (1). Plus précisément, la question était celle du rôle du juge de l'exequatur et de l'interdiction traditionnelle qui lui est faite de réviser la décision judiciaire étrangère. Cette interdiction est, aujourd'hui, perçue comme un acquis de notre droit international privé et la concision de l'arrêt de cassation, comme la formule lapidaire de son dernier motif, laissent penser qu'en effet, il n'y a pas lieu de s'attarder sur ce point qui ne fait pas de difficulté. En réalité, la situation est bien plus complexe et c'est l'intérêt de l'arrêt commenté que d'en apporter la démonstration. A la suite d'un différend commercial, une société gabonaise a obtenu du tribunal de première instance de Libreville la condamnation d'un couple domicilié en France au paiement d'une somme de près de 99 000 francs CFA correspondant à une marchandise impayée. La juridiction a, également, validé les voies d'exécution pratiquées par la société créancière. C'est de ce jugement rendu le 21 juin 1995 qu'était demandé l'exequatur au président du tribunal de grande instance de Meaux. Par une ordonnance datée du 18 avril 2007, celui-ci refusa l'exequatur, estimant que les voies d'exécution ont été entreprises sur le fondement d'une créance certaine, liquide et exigible correspondant à des factures impayées, mais sans que soient précisées les circonstances et justifications contractuelles de cette créance et sans que la requérante produise les justifications de la créance dont elle souhaitait poursuivre l'exécution en France. L'ordonnance est cassée au visa de l'article 34 de la Convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963 pour la raison qu'en statuant ainsi, le juge de l'exequatur aurait procédé à la révision au fond de la décision étrangère et, par conséquent, violé l'accord international.

Adopté par l'arrêt "Parker" en 1819 (2), le principe de la révision au fond des jugements étrangers a, d'abord, été conçu comme un moindre mal par rapport à la solution antérieure dite de la "théorie du juge naturel" (3). Ce pouvoir de révision permettait au juge français requis de procéder à un nouvel examen du litige, tant sur les faits que sur la manière dont le droit avait été appliqué par le juge premier saisi, et de n'accorder l'exequatur que lorsque la décision étrangère s'avérait conforme à ce qu'aurait lui-même décidé le juge français. Notons bien, cependant, que ce "pouvoir de révision" était en réalité assez mal dénommé puisqu'il ne s'agissait pas, in fine, pour le juge français de "réviser" l'affaire, au sens de lui donner une nouvelle solution. Il s'agissait seulement, à l'issue de cet examen, de décider d'accorder ou non l'exequatur. Mais, en toute hypothèse, le juge de l'exequatur avait, pour prendre sa décision, la possibilité d'émettre une appréciation sur l'ensemble des éléments en litige et sur la manière dont le juge étranger avait statué.

Cette approche, qui s'est révélée au fil des décennies plutôt inadaptée, a tout de même survécu à titre de régime de droit commun jusqu'en 1964, date du célèbre arrêt "Munzer" ayant mis un terme au pouvoir de révision du juge français de l'exequatur (4). Dans le cadre conventionnel, en revanche, la France avait, dès avant cette date, renoncé à ce pouvoir de révision. La Convention franco-gabonaise d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition, signée un an avant l'arrêt "Munzer" et applicable en l'espèce, en est une illustration (5). Son article 34 énonce les conditions auxquelles une décision rendue dans l'un des Etats parties doit être considérée par les juridictions de l'autre Etat comme revêtue de l'autorité de la chose jugée et, à ce titre, recevoir l'exequatur. Ces conditions sont au nombre de cinq et supposent que la décision émane d'une juridiction compétente, qu'elle ait fait application de la loi compétente selon les règles de conflit de l'Etat requis, qu'elle soit passée en force de chose jugée et soit susceptible d'exécution, que les parties aient été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes et qu'enfin la décision ne contienne rien de contraire à l'ordre public de l'Etat requis et n'entre pas en contradiction avec une décision prononcée dans cet Etat. L'article 37 de cette même convention, non cité au visa du présent arrêt, indique explicitement que le président du tribunal de grande instance se borne à vérifier si la décision dont l'exequatur est demandé remplit les conditions prévues à l'article 34. C'est dire on ne peut plus clairement que le juge requis n'a pas la possibilité d'étendre son contrôle au delà des conditions limitativement énumérées et celles-ci ne lui permettent pas de procéder à un réexamen au fond de l'affaire qui lui est soumise.

Si l'arrêt commenté se situe donc dans le cadre d'une convention bilatérale, le raisonnement qui le sous-tend est celui-là même qui, depuis 1964, innerve également le droit commun. Les difficultés qu'il soulève peuvent donc être appréhendées sur un plan beaucoup plus général que celui de cet accord liant la France et le Gabon.

Parce qu'il énonce limitativement les conditions auxquelles l'exequatur était désormais soumis, l'arrêt "Munzer" est habituellement présenté comme ayant mis un terme au pouvoir de révision du juge de l'exequatur. Mais il suffit de se pencher un peu sur cette question pour comprendre qu'elle n'est pas, en réalité, entourée de la plus grande clarté. "Une certaine confusion" semble même "régner sur la portée de la suppression du pouvoir de révision" (6). En effet, malgré l'apparente fermeté de l'interdiction posée, on doit constater qu'en procédant au contrôle des conditions posées par l'arrêt "Munzer", le juge est parfois naturellement et inéluctablement porté à examiner le fond de l'affaire. Ce qui conduit un auteur à l'aveu suivant : cette appréciation du jugement étranger "suscite souvent la question de savoir si l'on n'aboutit pas à ressusciter le pouvoir de révision" (7). L'interdiction de la révision au fond du jugement étranger lors de l'instance en exequatur n'est donc pas dépourvue d'ambiguïté et chacun s'accorde à dire qu'en toute hypothèse, cette interdiction ne saurait paralyser le contrôle des conditions requises pour que le jugement puisse être intégré dans l'ordre juridique français. Tout est donc question de limite entre ce qui relève de l'examen légitime de la décision étrangère et ce qui ressortit à une sorte d'intrusion excessive dans le raisonnement du juge étranger et qui relève alors de la révision prohibée.

Dans l'arrêt qui nous occupe, cette difficulté semble encore aggravée par le fait que la critique formulée par le juge français à l'encontre de la décision étrangère pour refuser l'exequatur ne semble pas découler d'un examen excessif du fond de l'affaire. Cette critique repose plutôt, même si le terme n'est pas utilisé, sur un défaut de motivation. La Cour de cassation relève, en effet, que "pour refuser l'exequatur [...], l'ordonnance attaquée retient que cette décision se borne à affirmer que les voies d'exécution ont été entreprises sur le fondement d'une créance certaine, liquide et exigible, correspondant à des factures impayées, sans préciser les circonstances et justifications contractuelles de cette créance et que la société s'abstient de produire les justifications de la créance dont elle entend poursuivre l'exécution en France". C'est donc bien un manque de justifications qu'invoque le juge français pour refuser l'exequatur de la décision gabonaise. On retrouve même, dans la formule du juge, les deux aspects, désormais classiques, du refus d'exequatur pour manque de motivation que sont, d'une part, les lacunes de la décision elle-même et, d'autre part, l'absence de documents équivalents fournis par les parties pour pallier ce défaut (8). Le juge de Meaux reproche, en effet, au jugement gabonais de ne pas préciser les circonstances et justifications contractuelles de la créance, reproche qu'il adresse ensuite à la demanderesse qui s'est elle-même abstenue de produire de telles justifications.

Même si le refus d'exequatur ne se fonde pas expressément sur le défaut de motivation, c'est donc bien de cela qu'il s'agit. L'exigence de motivation fait d'ailleurs partie des conditions de l'exequatur. Même si elle n'est pas énoncée en tant que telle par l'arrêt "Munzer", on s'accorde à y voir l'une des manifestations de l'ordre public procédural dont le respect doit être vérifié par le juge requis. Plus largement, c'est là une condition nécessaire pour que le juge puisse mener à bien son contrôle, non pas tant, d'ailleurs, que ce soit la motivation elle-même qui soit contrôlée mais parce que l'absence de motivation prive le juge des moyens de vérifier les autres conditions. Du reste, et par faveur pour l'exequatur, la jurisprudence accepte que l'absence de motivation puisse être suppléée par "la remise de documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante" (9). C'est là une chance donnée à celui qui réclame l'exequatur de corriger un défaut de la décision litigieuse.

C'est donc sur le terrain du défaut de motivation que s'est placé le juge de l'exequatur. On peut alors être surpris que ce soit sur celui de la révision au fond que la cassation est prononcée. Mais, comme on l'a dit plus haut, le contrôle des conditions posées par l'arrêt "Munzer" exige parfois un examen relativement poussé de la décision étrangère. C'est vrai, en particulier, de la condition relative à l'ordre public international auquel ressortit l'exigence de motivation. Dès lors, si, pour contrôler le respect de l'ordre public, l'exigence de motivation est poussée trop loin, le juge de l'exequatur tombe dans le piège de la révision au fond.

Il faut bien reconnaître, cependant, que la mesure de ce qui est acceptable et de ce qui est excessif est, ici, bien difficile à réaliser. Tout dépend des circonstances de fait et, plus encore, de la manière dont les jugements étrangers sont rédigés. On constate, en l'espèce, qu'exiger des précisions sur une créance contractuelle déclarée certaine, liquide et exigible, dépasse ce à quoi le juge est autorisé. Cela peut sembler sévère et confirme, en tout état de cause, que la frontière est bien mince entre le contrôle de la décision elle-même et le réexamen prohibé du fond de l'affaire (10).


(1) Cass.civ. 1, 23 mai 2006, n° 04-12.777, M. Jean-Michel Prieur c/ Mme Anne Danielle de Montenach, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6654DP7), D., 2006, p. 1846, note Audit, JDI, 2006, p. 1377, note Chalas ; Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 05-14.082, M. André Cornelissen, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2537DUI), D., 2007, p. 1115, note d'Avout et Bollé.
(2) Cass. civ., 19 avril 1819, Parker ; B. Ancel et Y. lequette, Grands arrêts de la jurisprudence de droit international privé, n° 2.
(3) Hudault, Sens et portée de la compétence du juge naturel dans l'ancien droit français, Rev. Crit. DIP, 1972, p. 27 ; M.-L. Niboyet et G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ, n° 644.
(4) Cass. civ., 7 janvier 1964, n° 62-12.438, Munzer c/ Dame Munzer (N° Lexbase : A1009AUW), Rev. Crit. DIP, 1964, p. 302, note Batiffol ; JDI, 1964, p. 302, note Goldman.
(5) Convention du 23 juillet 1963 d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition.
(6) P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, p. 268.
(7) B. Audit, Droit international privé, p. 394.
(8) Cass. civ. 1, 9 octobre 1991, n° 90-13.449, Société Polypetrol c/ Société générale routière (N° Lexbase : A5204AH9), Rev. Crit. DIP, 1992, p. 516, note Kessedjian, JDI, 1993, p. 157, note Huet ; Cass. civ. 1, 28 novembre 2006, deux arrêts, n° 04-19.031, Société Union Discount Limited, F-P+B (N° Lexbase : A7709DSC) et n° 04-14.646, Mme Micheline Masson, FS-P+B (N° Lexbase : A7692DSP), JDI, 2007, p. 141, note Cuniberti et p. 543, note Peroz et, tout récemment, Cass. civ. 1, 22 octobre 2008, n° 06-15.577, Société The Society of Lloyd'S, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9277EAT), D., 2009, p. 59, note Motte-Suraniti.
(9) Jurisprudence précitée.
(10) Dans l'affaire précitée du 22 octobre 2008, la Cour de cassation a au contraire estimé que les juges d'appel ont eu raison de refuser l'exequatur d'une décision de la High Court de Londres alors qu'étaient produits un certain nombre de documents -en particulier l'acte d'assignation-, considérés comme équivalents à la motivation dans d'autres espèces.

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Rel. individuelles de travail

[Questions à...] Rupture conventionnelle, rupture d'un commun accord et licenciements économiques... Questions à Maître Stéphanie Stein, Avocat associée du cabinet Eversheds

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par Fany Lalanne - Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Lorsque l'employeur et le salarié souhaitent, d'un commun accord, mettre un terme au contrat de travail les liant, ils peuvent, aujourd'hui, recourir à la nouvelle rupture conventionnelle, issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, de modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) (1), mode de rupture ouvert à tous les salariés, y compris les salariés protégés, résultant d'une convention dont la validité est soumise à homologation par la Direction départementales du travail, de l'emploi et de la formation (DDTEFP). Son avantage est certain, le salarié percevant une indemnité spécifique et des allocations chômage. Parallèlement, et sous certaines conditions, subsiste la rupture d'un commun accord, rupture de droit commun, en application de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). Si le recours à la rupture d'un commun accord du contrat de travail est consacré par la jurisprudence depuis 2003 (2), elle n'a jamais été expressément reconnue par les textes comme mode de rupture du contrat de travail. Et, avec la récente consécration législative de la rupture conventionnelle comme nouveau mode de rupture amiable (3), d'aucuns anticiperont la chronique d'une mort annoncée (4). Pour autant, dans un contexte économique de crise, l'ambiguïté mérite d'être soulevée lorsque l'on sait que la nouvelle rupture conventionnelle ne peut pas intervenir lorsque le contrat de travail est rompu dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) ou d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) (C. trav., art. L. 1237-16 N° Lexbase : L8479IAB). Par ailleurs, question de circonstances, ou non, la Chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à préciser, ces dernières semaines, le régime de la rupture amiable pour motif économique (5). Est-ce à dire que le PSE ne serait plus à la mode et que les PDV (plans de départ volontaires) auraient, au contraire, le vent en poupe ? Force est de constater que la rupture conventionnelle connaît un certain succès. Et à la question de savoir si ce nouveau mode de rupture sera utilisé aux lieu et place de la procédure de licenciement économique, la réponse semble s'imposer d'elle-même. Gageons que, dans un contexte juridique encore flou, les juges sauront rester vigilants.

Pour faire le point sur cette épineux imbroglio, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Stéphanie Stein, associée du cabinet Eversheds, qui a accepté d'apporter certains éclaircissements utiles dans un contexte de crise où les licenciements économiques se multiplient et où les entreprises risquent d'être tentées de multiplier les ruptures à l'amiable et autres PDV.

Lexbase : Rappelons, pour commencer les grandes caractéristiques de la rupture conventionnelle du contrat de travail.

Maître Stéphanie Stein : La rupture conventionnelle est un peu ce que tout le monde attendait. C'est un outil juridique efficace qui permet aux entreprises de sortir des licenciements mal utilisés. Elle répond à une demande très forte face à une situation juridique qui, si elle était bien réelle, ne trouvait -jusqu'alors- pas de réponse. Au risque de rappeler une évidence, il faut, en effet, souligner que la volonté commune de mettre un terme au contrat de travail peut exister.

Or, avant la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, aucun régime juridique ne répondait vraiment à cette situation : la rupture d'un commun accord existait, mais elle n'ouvrait pas droit aux indemnités de chômage. La rupture conventionnelle répond à cette attente. Bien utilisée, elle est efficace. Attention, il ne s'agit pas d'un outil "magique". Ce mode de rupture du contrat ne permet pas d'éviter les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), mais répond à une demande spécifique et vient combler un vide juridique. Relativement facile d'utilisation, elle est adaptée à une situation où il existe une volonté commune des parties de rompre le contrat de travail.

Lexbase : La rupture conventionnelle marque-t-elle la fin de la rupture d'un commun accord ?

Maître Stéphanie Stein : Oui et non. La volonté des parties est, maintenant, encadrée par la rupture conventionnelle. L'article L. 1237-16 du Code du travail précise que ce nouveau mode de rupture ne peut pas être utilisé lorsque le contrat de travail est rompu dans le cadre d'un PSE ou d'un plan de GPEC. La rupture d'un commun accord subsiste dans ces cadres particuliers. L'arrêt rendu le 11 février 2009 (6) par la Cour de cassation confirme une jurisprudence constante depuis 2003 (7) : en cas de suppression de postes, la rupture d'un commun accord doit s'inscrire dans le cadre d'un PSE et ne saurait exister en dehors.

Lexbase : Peut-on, alors, parler de rupture conventionnelle pour motif économique ?

Maître Stéphanie Stein : Non. En cas de licenciement économique, la procédure à mettre en oeuvre est celle du PSE (8). Les textes sont très clairs à ce sujet. La rupture conventionnelle est "exclusive" du licenciement, elle ne peut donc s'y substituer. Si l'entreprise souhaite des départs en raison de difficultés économiques, elle doit mettre en place un PSE, qui peut, lui, prévoir la rupture d'un commun accord.

Sur le plan juridique, la réponse ne souffre donc d'aucune ambiguïté : la rupture conventionnelle n'est pas faite pour être utilisée dans le cadre de licenciements pour motif économique, elle doit répondre à une situation individuelle.

Maintenant, avec la crise économique, les licenciements se multiplient. Les partenaires sociaux ne veulent pas toujours être impliqués dans des plans sociaux, ce qui est compréhensible. Les employeurs recherchent des solutions alternatives à la mise en place d'une procédure longue et coûteuse. Dans ce contexte, la rupture conventionnelle donne l'impression trompeuse de leur offrir une autre voie, puisque les salariés pourraient partir "librement", et l'entreprise ferait l'économie de la procédure de consultation et des obligations de reclassement (9). Ce détournement de l'objectif de la rupture conventionnelle est à proscrire absolument. Même si, dans un premier temps, cette solution peut sembler acceptable dans l'entreprise, les risques associés sont très conséquents.

Un conseil de prud'hommes pourrait annuler des ruptures conventionnelles conclues, au lieu de faire des licenciements économiques, en raison d'une fraude ou d'un vice de consentement (l'erreur), le salarié arguant de sa méprise quant aux conséquences de son acceptation. Or, qui dit annulation dit réintégration. On risque donc se trouver devant le même schéma qu'Alcatel, en 2004, qui avait vu la cour d'appel de Versailles annuler ses transactions pour défaut de PSE (10).

Lexbase : Et les plans de départ volontaire ne pourraient-ils pas constituer une alternative ?

Maître Stéphanie Stein : C'est effectivement la bonne réponse lorsque l'on ne veut pas parler de licenciement, mais de rupture d'un commun accord. L'entreprise peut le proposer, le problème étant... qu'il n'y a pas nécessairement assez de volontaires. De plus, le PDV est aussi lourd à mettre en place juridiquement que le PSE. L'avantage que le PDV présente s'apprécie au regard de la gestion des ressources humaines. C'est humainement plus acceptable.

Pour résumer, la rupture conventionnelle est un outil adapté à une situation individuelle. Quand l'entreprise connaît des difficultés économiques et veut supprimer des postes, au moins 10 salariés dans une entreprise de 50 salariés et plus, il faut mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi. Celui-ci ouvre diverses alternatives : la branche "PDV" ; la branche "licenciement pur et simple" et la branche "départ anticipé", dans la cadre d'une rupture d'un commun accord.

Lexbase : Quels sont les inconvénients de la rupture conventionnelle ?

Maître Stéphanie Stein : La longueur de la procédure. En pratique, le temps de voir le salarié, de prévoir un rendez-vous au minimum, voire plusieurs, de lui remettre les documents et de signer la convention, il faut compter une quinzaine de jours. Ensuite, il y a un délai de rétraction à respecter, qui est de 15 jours calendaires. On est donc déjà à un mois. Il faut ajouter les 15 jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, nécessaires à l'homologation, ce qui fait plus d'un mois et demi entre la décision de la rupture et l'effectivité de celle-ci. Le danger est que les parties soient tentées de vouloir antidater la convention de rupture, ce qui est interdit et fortement déconseillé.

Le système reste donc perfectible, mais il n'en est pas moins efficace.

Lexbase : Contre d'éventuelles dérives, la convention de rupture doit être homologuée par la DDTEFP, qui vérifie le libre consentement des parties et contrôle les éléments fondant l'accord du salarié. Pensez-vous que ce contrôle puisse s'avérer réellement efficace ?

Maître Stéphanie Stein : Les entreprises sont prudentes sur la rupture conventionnelle. Jusqu'à présent, il apparaît qu'elles voulaient l'utiliser à propos. J'observe même, parfois, une prudence exagérée, la rupture conventionnelle étant comprise par les entreprises comme un outil servant uniquement au salarié. Pour beaucoup d'entre elles, la rupture n'est valable que si c'est le salarié qui fait la démarche. Ce qui est faux. Il faut que les deux parties soient d'accord, le fait que le salarié ait pris l'initiative de la demande de la rupture ne change rien. L'employeur peut donc être demandeur, puisque la rupture conventionnelle reste avant tout une rupture d'un commun accord.


(1) Lire les obs. de S. Tournaux, Article 5 de la loi portant modernisation du marché du travail : la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5222BGI).
(2) Cass. soc., 2 décembre 2003, 2 arrêts, n° 01-46.176, M. Eric Baracassa c/ Société Etienne Lacroix tous artifices, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3401DA9) et n° 01-46.540, Crédit lyonnais c/ M. Christian Marais, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3402DAA) et les obs. de Ch. Radé, Le triomphe de l'accord de rupture amiable du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 98 du 11 décembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9941AAG).
(3) C. trav., art. L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et s., issus de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, de modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B).
(4) G. Couturier, SSL, 2 juin 2008, n° 12356, p. 39.
(5) Voir, par exemple, Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 07-15.019, Société Jean Caby, venant aux droits de la société par actions simplifiée Imperator, FS-P+B (N° Lexbase : A8971EBU) et les obs. de S. Tournaux, L'obligation de proposer une convention de reclassement personnalisé en cas de résiliation amiable fondée sur un motif économique, Lexbase Hebdo n° 334 du 21 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3522BIB).
(6) Cass. soc., 11 février 2009, n° 08-40.095, Mme Sophie Toulet, FS-P+B (N° Lexbase : A1380EDH) et les obs. de Ch. Radé, Rappels sur une espèce en voie de disparition : la rupture amiable du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 339 du 26 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5759BI7), qui affirme, de son côté, que "l'arrêt, qui vise, pour la première fois, la question de la rupture négociée dans le cadre du PSE, pour suggérer qu'il pourrait être validé, tombe donc à pic pour montrer l'articulation avec la loi du 25 juin 2008 : si un PSE ou un accord de GPEC existent, alors les parties, qui ne peuvent emprunter la voie de la rupture conventionnelle, peuvent tout de même rompre d'un commun accord le contrat de travail, dans les conditions fixées par la Cour de cassation depuis 2003".
(7) Cass. soc., 2 décembre 2003, 2 arrêts, n° 01-46.176 et n° 01-46.540, préc..
(8) C. trav., art. L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) : "Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, lorsque le projet de licenciement concerne dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre".
(9) Cette obligation, d'origine jurisprudentielle, a été introduite dans le Code du travail par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9) (C. trav., art. L. 1233-4 [LXB= L1105H9S] : "le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient").
(10) Voir, notamment, CA Versailles, 6ème ch., 9 novembre 2004, n° 04/02518, Bruno Baldin et autres c/ SA Alcatel Câble France (N° Lexbase : A6586DGZ). Rappelons que, le 9 novembre 2004, la cour d'appel de Versailles, aux termes de six arrêts, ordonnait la réintégration de quelques 170 salariés d'Alcatel.

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - mars 2009

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N7705BI9

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Seront traités ce mois-ci, d'une part, un jugement du tribunal de grande instance de Douai, du 6 janvier 2009, qui revient sur la notion de fraude à l'assurance vie, et, d'autre part, un arrêt rendu par la Cour de cassation, le 28 janvier dernier, et promis au Rapport annuel, sanctionnant l'assureur dommages-ouvrage qui contrevient aux dispositions de l'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP).
  • On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même ! (à propos du TGI de Douai du 6 janvier 2009, n° RG 06/01032 N° Lexbase : A3678EDL)

Bien avant les rédacteurs du Code civil, nos plus grands juristes se défiaient des assurances vie parce qu'ils craignaient que celles-ci n'incitent des tiers bénéficiaires, peu scrupuleux et impatients, à abréger les jours de ceux de qui ils devraient tout (1).... C'était au temps -selon une formule quasi consacrée depuis, même s'il y a déjà quelques décennies- où l'assurance vie, dite de nos jours traditionnelle ou de forme classique, épousait le modèle de la stipulation pour autrui modelée, à dire vrai dans cette principale perspective à la fin du XIXème siècle (2), et où un tiers bénéficiaire recueillait du promettant un bien ou une somme d'argent que lui avait remis un stipulant. C'était aussi du temps où les stipulants, confiants, avaient pour habitude d'indiquer -oh grossière erreur- à ces mêmes bénéficiaires qu'ils venaient de se voir attribuer cette qualité.

De nos jours, si d'autres hypothèses de contrats d'assurance vie ont été inventées, cette formule initiale perdure. Et quelles que soient leurs formes, ces contrats -on le sait- ont été admis et jugé valables, a fortiori après la loi du 13 juillet 1930, car le législateur a pris des précautions pour que le ou les bénéficiaires ne soient pas tentés de porter atteinte à la vie de l'assuré. Il a décidé, à l'article L. 132-24 du Code des assurances (N° Lexbase : L4426H9S), que le bénéficiaire ayant donné la mort à son bienfaiteur est en quelque sorte indigne (3). Plus exactement, le texte énonce que "le contrat d'assurance cesse d'avoir effet à l'égard du bénéficiaire qui a été condamné pour avoir donné la mort à l'assuré". Prétendre que, désormais, tout va bien dans le meilleur des mondes serait irréaliste car, c'était à prévoir, l'homme est un loup pour l'homme, et celui-ci continue d'essayer de détourner les sommes d'argent versées sur les contrats d'assurance vie.

Simplement, de nouvelles techniques ont été imaginées par des bénéficiaires toujours plus ingénieux et retors. On le sait aussi, les tentatives de fraude à l'assurance se sont multipliées, surtout au cours de ces dernières décennies, justifiant la création de l'Agence de lutte contre la fraude à l'assurance (ALFA) (4). Celle-ci fournit ainsi, hélas, pour qui ne s'intéresse pas aux arrêts des cours d'appel relatifs à l'assurance, des exemples de manoeuvres destinées à recueillir de l'assureur des sommes non dues. Peut-être connaît-on davantage les cas de fraude aux assurances de dommages ; pourtant, les assurances vie ne sont pas en reste. Parmi celles-ci, l'affaire ayant donné lieu à la décision du tribunal de grande instance de Douai, le 6 janvier dernier, retient l'attention en raison non pas de la qualité du fraudeur, le conjoint de l'assuré, mais de sa candeur, fausse ou réelle. Car, en pratique, ce sont souvent ces conjoints -informés au premier chef de l'existence ou plutôt de l'inexistence d'un contrat d'assurance vie conclu en leur faveur ou en faveur de personnes proches- qui peuvent être tentés de suppléer à ce qu'ils considèrent comme une lacune de leur "cher et tendre".

C'est ce à quoi avait sans doute songé une femme qui n'a rien trouvé de plus efficace que de signer elle-même le contrat d'assurance vie à son profit, ainsi que celui de proches, qu'elle aurait bien voulu que son époux contracte. Et ce, semble-t-il, sans la moindre hésitation, peut-être avec ce visage angélique et innocent dont certains savent si bien se parer dans de telles circonstances : on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même... mais n'extrapolons pas trop tout de même. Ajoutons juste que, dans le cas présent, les "manipulations" ou "l'opération" -non pas chirurgicale celle-là- auraient pu rester ignorées puisque l'assureur avait été tout aussi peu scrupuleux, ou tout au moins avait fait preuve d'un manque de rigueur et de professionnalisme peu admissibles, pour employer des termes encore nuancés.

Pour être plus précis, il convient d'indiquer que cet époux avait été hospitalisé en raison d'une affection si grave qu'elle l'empêchait d'écrire comme de s'exprimer et a, ensuite, donné lieu à une mise sous sauvegarde de justice. Au cours de cette période, sa femme a donc souscrit un contrat d'assurance vie en faisant précéder sa propre signature de la mention "lu et approuvé", dans lequel son mari était désigné, en toutes lettres, comme souscripteur. Par ailleurs, étaient nommés, comme tiers bénéficiaires, tout d'abord elle-même épouse de l'assuré et souscripteur, ensuite sa soeur et son frère par parts égales à défaut d'héritiers. Ces points ne pouvaient être contestés car leur rédaction ne comportait aucune ambiguïté ; en outre, le tribunal disposait de lettres explicites de l'épouse de l'assuré relatant, sans réserve, le déroulement des opérations réalisées par ses propres soins, si l'on ose dire. Bien entendu, aucune des parties en présence ne se plaçait sur le terrain de la fraude car, bien entendu, elles n'y avaient pas intérêt ; elles ne soulevaient pas non plus l'exception de nullité qui ne pouvait davantage leur convenir. Le tribunal de grande instance de Douai a bien compris l'enjeu et a déclaré le contrat d'assurance nul.

L'affaire pouvait donc paraître ne présenter aucune difficulté. Certes, d'aucuns objecteront que la partie du Code des assurances comprenant les règles relatives aux assurances sur la vie et opérations de capitalisation ne fournit pas directement et de manière explicite d'indications sur le sujet de droit ayant le pouvoir de signer le contrat d'assurance vie. Cela étant, la réponse est simple à trouver, eu égard tant au fondement juridique sur lequel repose les assurances vie, la stipulation pour autrui, qu'à l'article L. 132-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L7215IC9). C'est le stipulant et assuré qui dispose d'un tel droit. Et nul ne peut se substituer à lui. En effet, rappelons que la désignation du bénéficiaire est un droit personnel du stipulant. Quand bien même n'en serait-on pas convaincu qu'il suffit de se tourner vers la théorie générale des obligations. Et là, aucun doute n'est permis : sauf à avoir été institué mandataire. Or, le jugement prend bien le soin, à juste titre, d'indiquer que l'épouse ne disposait d'aucun mandat, d'aucune procuration établie par son mari.

Et quand bien même un tel mandat général aurait-il été signé par le mari à sa femme, que la condition désormais exigée par la Cour de cassation n'aurait pas été satisfaite. En effet, l'intérêt de la présente décision est aussi de confirmer les conclusions qui pouvaient être dégagées de l'arrêt de la Cour de cassation, en date du 5 juin 2008, ayant pris le soin d'indiquer que "la faculté de désignation du tiers bénéficiaire (et de rachat) d'un contrat d'assurance vie est un droit personnel du souscripteur qui ne peut-être exercé par son mandataire qu'en vertu d'un mandat spécial prévoyant expressément cette faculté conformément à l'article L. 132-9 du Code des assurances" (Cass. civ. 2, 5 juin 2008, n° 07-14.077, FS-P+B N° Lexbase : A9314D8H). Cette évolution de la Cour de cassation par rapport à une période antérieure nous semble fort souhaitable. La solution inverse risquerait de créer une permissivité dangereuse en ce qu'elle pouvait inciter des individus malhonnêtes à profiter de l'état de faiblesse ou de l'ignorance d'autrui.

Il faut veiller, sous des formes modernes, à ne pas faciliter le jeu des fraudeurs, sous des formes diverses et variées. On sait qu'en France, hélas, un dossier sur cinq comporte une forme de fraude à l'assurance, certes plus ou moins étendue et trouvant peut-être davantage à se nicher au sein du droit des assurances de dommages. Il convient, cependant, de ne pas déplacer plus encore cette pratique choquante sur le terrain des assurances vie qui n'ont jamais été épargnées. Nous serions même tentés de dire qu'une vigilance accrue est de rigueur car les sommes en jeu peuvent être supérieures à celles rencontrées, en moyenne, dans le domaine des seules assurances de dommages.

En outre et surtout, la désignation bénéficiaire est un acte d'une gravité considérable, que l'on ne peut comparer qu'à l'acte d'aliénation. Par conséquent, des précautions particulières s'imposent. L'ensemble de ces arrêts et décisions atteste aussi de la considération que tous les magistrats accordent à ces contrats d'assurance vie. Chacun a bien compris que des sommes élevées peuvent y figurer, ou tout au moins des sommes qui, pour l'assuré, représentent l'essentiel d'une vie de labeur, de sacrifices et de projets mûrement réfléchis. Il ne faut pas mettre à mal ces efforts de prévoyance par un laxisme malvenu et choquant. Que les magistrats soient sensibilisés à ce qu'ils sont susceptibles de rencontrer de plus en plus au cours de ces prochaines années est rassurant et le gage aussi du sérieux et de la solidité de ce type d'épargne.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP)

  • Sanction de l'assureur dommages-ouvrage contrevenant à l'article L. 242-1 du Code des assurances : la troisième chambre civile maintient sa rigueur ! (Cass. civ. 3, 28 janvier 2009, n° 07-21.818, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A6775ECW)

Ceux qui suivent la jurisprudence de la troisième chambre civile ne seront nullement surpris par cet arrêt du 28 janvier 2009, largement diffusé et promis au Rapport annuel. Celle-ci a, au fil des années, construit un véritable droit spécial de l'assurance construction, spécialement de l'assurance dommages-ouvrage. L'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP), en son alinéa 1er, impose la souscription d'une assurance dommages-ouvrage à "toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction".

L'assurance dommages-ouvrage, assurance de préfinancement, "prend effet après l'expiration du délai de garantie de parfait achèvement visé à l'article 1792-6 du Code civil (N° Lexbase : L1926ABX). Toutefois, elle garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque :
Avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations ;
Après la réception, après mise en demeure restée infructueuse, l'entrepreneur n'a pas exécuté ses obligations".

En l'espèce, le maître de l'ouvrage, un office public HLM, confronté à des désordres apparus avant réception, a résilié le marché et déclaré le sinistre à son assureur dommages-ouvrage. Celui-ci doit se conformer aux exigences de l'alinéa 3 de l'article L. 242-1, qui impose à l'assureur un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat.

Lorsqu'il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, l'assureur présente, dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d'indemnité, revêtant le cas échéant un caractère provisionnel et destinée au paiement des travaux de réparation des dommages. En cas d'acceptation, par l'assuré, de l'offre qui lui a été faite, le règlement de l'indemnité par l'assureur intervient dans un délai de quinze jours. Lorsque l'assureur ne respecte pas ces délais ou propose une offre d'indemnité manifestement insuffisante, l'assuré peut, après l'avoir notifié à l'assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L'indemnité versée par l'assureur est alors majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal.

En outre, et surtout, une jurisprudence très ferme a posé que, lorsque l'assureur ne respecte pas le délai de 60 jours, qualifié de délai préfix (5), il ne peut plus contester ni le principe de sa garantie, ni son étendue. Cette jurisprudence est animée d'une véritable volonté de sanctionner l'assureur en le conduisant à couvrir le sinistre sans qu'il ne puisse, valablement, opposer un argument pour refuser sa garantie.

C'est ainsi que, "si dans le délai de soixante jours, l'assureur n'a pas fait connaître sa décision quant au principe de sa garantie, celle-ci est due" (6). Il en va de même s'il ne motive pas (ou mal) son refus (7) ou s'il l'a fait sans avoir adressé, au préalable, le rapport préliminaire d'expertise (8). De même, l'assureur dommages-ouvrage n'ayant pas respecté les délais de prise de position ne peut plus invoquer le caractère non décennal des désordres déclarés (9). Par ailleurs, "il ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date d'expiration de ce délai" (10).

Il ne peut pas davantage invoquer le défaut d'aléa, comme l'a exprimé cet arrêt aux termes duquel "l'assureur, qui n'avait pas pris position sur le principe de la mise en jeu de la garantie dans le délai légal, d'où il résultait qu'il était déchu du droit de contester celle-ci, notamment en invoquant le défaut d'aléa et le caractère apparent avant la réception des désordres déclarés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé" les articles L. 242-1 et A. 243-1 (N° Lexbase : L6064AB9) du Code des assurances.

C'est donc au prix d'une interprétation extensive de l'article L. 242-1 que la jurisprudence réfute toute possibilité pour l'assureur de se prévaloir de toutes les exclusions ou déchéance de garantie, les non-assurance ou nullité du contrat d'assurance, ainsi que les fins de non recevoir (prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances N° Lexbase : L2640HWP).

Un auteur (11) s'est opposé à cette lecture, qu'il qualifie de piège pour l'assureur, en écrivant : "passe encore que l'apathie de l'assureur l'empêche de se prévaloir à l'égard de l'assuré, des exclusions ou déchéance de garantie, perceptibles dans le délai de soixante jours, mais il nous semble que certaines formes d'exception de non-assurance ou de nullité doivent échapper à la loi d'airain de l'article L. 242-1 du Code des assurances. Ainsi en est-il :
- de la nullité, même relative, de l'assurance de l'article L. 121-15 du Code des assurances (N° Lexbase : L0091AAM) qui sanctionne l'inexistence de l'objet ou de la cause du contrat, à sa formation : articles 1108 (N° Lexbase : L1014AB8) et 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) du Code civil ;
- de la nullité de l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM) qui sanctionne la fraude à l'assurance de l'assuré (fausse déclaration et réticence de l'assuré) ou protège le consentement de l'assureur (article 1109 et suivants. du Code civil N° Lexbase : L1197ABX) ;
- de la faute dolosive de l'assuré de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), contraire à l'essence même de l'assurance (articles 1964 N° Lexbase : L1036ABY et 1104 du Code civil N° Lexbase : L1193ABS) et qui est plus un cas de non-assurance qu'une exclusion de garantie ;
- d'une escroquerie à l'assurance que réprime l'article 313-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2012AMH)"

Ce même auteur estime qu'il n'y a pas lieu de considérer le silence de l'assureur, pendant les 60 jours, comme une acceptation ou une renonciation, sans équivoque de sa part, à se prévaloir d'une exception de nullité du contrat d'assurance.

Dans cet océan de rigueur, la jurisprudence a su, toutefois, restreindre cette lecture au seul champ des garanties obligatoires, jugeant que l'alinéa 3 de l'article L. 242-1 du Code des assurances ne s'applique pas aux garanties facultatives, spécialement à la garantie des dommages immatériels après réception (12). Un arrêt récent (13) a tenu à le rappeler : "Mais attendu que l'article L. 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l'assureur dommages-ouvrage à ses obligations ; qu'ayant constaté que l'assuré fondait sa demande de dommages-intérêts sur la faute en soutenant que la perte locative qu'il avait subie trouvait sa cause dans le retard apporté par l'assureur à l'exécution de son obligation de préfinancement des travaux, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif à l'absence de souscription de la garantie des dommages immatériels, a légalement justifié sa décision".

La rigueur s'applique donc en respectant le champ d'application de l'assurance obligatoire. C'est heureux.

Une doctrine (14) souligne, toutefois, qu'il est artificiel de considérer que la faute de l'assureur (silence pendant le délai de 60 jours) l'empêche d'invoquer toute cause de nullité du contrat pour les garanties obligatoires, visées par l'article L. 242-1, alinéa 1er, du Code des assurances, tandis qu'il pourrait avec succès, le soulever pour les garanties facultatives. Il invoque, à ce titre, l'indivisibilité de la nullité et écarte la jurisprudence qui, pour les polices d'assurance multirisques, analyse la nullité du contrat risque par risque (15).

Cette doctrine plaide donc pour une possibilité, offerte à l'assureur dommages-ouvrage, de soulever, dès qu'il en a connaissance, même au-delà du délai de soixante jours de l'article L. 242-1 du Code des assurances, des causes de non-assurance (nullité ou prescription) s'il prouve qu'il les a ignorées jusque-là, soulignant que le "dogmatisme" de la Cour de cassation "n'a d'autre effet que d'encourager la fraude à l'assurance, jusqu'à effacer l'adage fraus omnia corrumpit, dernier vigile de la loyauté contractuelle dans les conventions" (16), et appelant la Cour de cassation à réviser "sa jurisprudence et [revenir] à une interprétation plus orthodoxe de l'article L. 242-1 du Code des assurances, ou à défaut, que le législateur intervienne pour clarifier la situation" (17).

Cette doctrine va être déçue par cet arrêt du 28 janvier 2009, qui repousse les arguments avancés pour la faire changer de cap.

En l'espèce, l'assureur cherchait à se prévaloir de l'annulation de la police pour fausse déclaration intentionnelle de l'OPHLM, en soutenant l'argument selon lequel "la déchéance ne s'applique qu'aux exceptions de non-garantie prévues par le contrat ; que ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé ; qu'en déclarant l'assureur déchu du droit d'invoquer la nullité de la police pour fausse déclaration intentionnelle, parce qu'il n'avait pas notifié à l'assuré, dans le délai de 60 jours qui lui était imparti, sa décision sur le principe de sa garantie, quand l'exception de nullité invoquée était d'origine légale tandis que l'annulation de la police privait l'assuré du droit de se prévaloir d'une garantie réputée, de par loi, n'avoir jamais existé, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du Code des assurances".

L'argument est net : la déchéance étant, en droit des assurances, une sanction conventionnelle, l'assureur ne pourrait être déchu du droit de soulever la nullité (ou tout autre argument), dès lors que la sanction se fonde sur la loi et non le contrat.

L'argument est balayé par la Cour de cassation qui approuve "la cour d'appel [d'avoir] exactement retenu que cet assureur, qui s'était ainsi privé de la faculté d'opposer à l'assuré toute cause de non garantie, ne pouvait plus invoquer la nullité du contrat".

La leçon est claire : l'assureur fautif s'est privé de la possibilité d'opposer à l'assuré toute cause de garantie, quelle qu'en soit la source. Voilà qui évitera toute controverse autour de sanctions légales "incorporées" dans les contrats d'assurance lorsque les assureurs, par un procédé qui n'ajoute rien à la clarté et que ceux-ci devraient bannir, stipulent des causes de non-garanties (clauses de déchéance ou exclusions de garantie) déjà prévues par le Code des assurances !

Cette jurisprudence prive donc l'assureur du droit d'agir et cette impossibilité d'agir profite à l'assuré. Il est bien difficile de contredire la doctrine selon laquelle cette rigueur peut profiter à un assuré qui ne la mérite pas, surtout s'il a commis une faute intentionnelle (lors de la déclaration ou au moment du sinistre)... Se consolera-t-on de cette constatation d'avoir un effet partagé par toute sanction privative du droit d'agir, et qu'en d'autres domaines, la privation est encore plus radicale (chacun se souvient, en droit des personnes et de la responsabilité civile, de la privation, par la loi du 4 mars 2002 -loi n° 2002-303, relative aux droits des malades N° Lexbase : L1457AXA-, du droit d'invoquer le préjudice d'être né, même si l'on sait que la Cour européenne des droits de l'Homme puis nos juridictions -Cour de cassation et Conseil d'Etat- ont combattu en privant cette loi d'application immédiate aux procès en cours...) ?

L'arrêt examiné nous semble également intéressant à un second titre. Les lecteurs de cette chronique auront, le mois dernier (18), compris que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation souhaite voir évoluer le régime de l'exception de nullité. Un arrêt du 4 décembre 2008 (19) énonce que "la nullité fondée sur les dispositions de l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM), peut être soulevée par voie d'exception pendant le délai de la prescription biennale nonobstant l'exécution du contrat d'assurance". L'application de l'adage quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum (l'action est temporaire mais l'exception est perpétuelle et survit à l'extinction de l'action par la prescription) au contrat d'assurance en ressort transfigurée.

D'une part, l'exception de nullité devient recevable malgré l'exécution du contrat ("nonobstant l'exécution du contrat", précise l'arrêt). On notera ici que la Cour de cassation n'a fait aucune référence à une exécution partielle, ce qui signifie qu'elle n'entend pas restreindre sa solution à cette seule hypothèse, qui devrait valoir y compris en cas d'exécution totale.

D'autre part, l'abolition du critère de l'absence d'exécution est contrebalancée par l'abandon du caractère perpétuel de l'exception de nullité qui doit, "être soulevée pendant le délai de la prescription biennale".

Reste à apprécier l'exacte portée de cette décision, qui sonne comme un effet indirect de la réforme de la prescription opérée par la loi du 17 juin 2008 (loi n° 2008-561 N° Lexbase : L9102H3I) et de sa volonté d'abréger les délais. On peut s'interroger sur le point de savoir si ces enseignements devraient être restreints au contrat d'assurance, voire aux seuls contrats à exécution successive, voire aux seuls contrats soumis à de courtes prescriptions. On peut également se demander si cet arrêt porte une remise en cause totale de la maxime quae temporalia ou bien s'il faut, par une lecture plus conciliante, considérer que si "la nullité fondée [...] peut être soulevée par voie d'exception pendant le délai de la prescription biennale nonobstant l'exécution du contrat d'assurance", en revanche, l'exception de nullité demeurerait perpétuelle lorsqu'aucune exécution n'aurait eu lieu.

Reste enfin à vérifier si l'évolution ainsi amorcée par la deuxième chambre civile sera suivie par d'autre chambres de la Cour régulatrice. C'est ici que l'arrêt examiné de la troisième chambre civile du 28 janvier 2009 prend tout son sens. En effet, le demandeur au pourvoi invoquait "que la prescription biennale prévue en matière d'assurance est applicable à l'action en nullité du contrat d'assurance, qu'elle soit intentée en demande ou opposée en défense, de sorte que la cour d'appel en écartant la prescription opposée par l'OPHLM à la demande de l'Auxiliaire a violé l'article L. 114-2 du Code des assurances".

La troisième chambre civile repousse cette thèse d'une soumission de l'exception de nullité à la prescription biennale en approuvant les juges du fond d'avoir, "ayant relevé que la demande en nullité de contrat présentée en défense par l'Auxiliaire était qualifiée d'exception de nullité, [...] exactement retenu que cette exception n'était pas atteinte par la prescription".

Sans doute n'était-il pas question ici d'une quelconque exécution, même partielle, par l'assureur dommages-ouvrage. Il n'en demeure pas moins que la troisième chambre civile marque son attachement à l'analyse traditionnelle de la maxime quae temporalia. Au gré de la lecture qu'on aura de l'arrêt du 4 décembre 2008, on y verra donc un conflit de chambres ou on s'autorisera une lecture combinée.

Il faudra donc demeurer vigilants et attendre les prochains arrêts. Pour ce qui est de la lecture très sévère pour l'assureur dommages-ouvrage de l'article L. 242-1 du Code des assurances, en revanche, la jurisprudence est plus que jamais fixée. Le salut ne pourra venir que du législateur, même si, sur ce point, le rapport "Mercadal" n'incite pas à l'évolution (20)...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Traité de droit des assurances, sous la direction de J. Bigot, Les assurances de personnes, Tome IV, n° 66, p. 35.
(2) Traité de droit des assurances, préc., n° 345, p. 314, par L. Mayaux.
(3) Traité de droit des assurances, préc., n° 337, p. 301, par L. Mayaux.
(4) V. Nicolas in Traité de droit des assurances, Le contrat d'assurance, Tome III, n° 1425, p. 1029.
(5) Cass. civ. 3, 18 février 2004, n° 02-17.976, Commune de Lyon, prise en la personne de son maire en exercice c/ Compagnie Assurances générales de France (AGF) IART, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3076DBK), RGDA, 2004, p. 441, note J. Beauchard.
(6) Cass. civ. 1, 13 novembre 1997, n° 95-19.979, Compagnie Cigna France, compagnie d'assurances c/ Société Mildis et autres, inédit (N° Lexbase : A7884CSS), RCA, 1997, comm. n° 35.
(7) Cass. civ. 1, 10 janvier 1995, n° 93-12.127, Compagnie UAP-Vie c/ Société Axa assurances (N° Lexbase : A6288AHD), RCA, 1995, comm. n° 115.
(8) Cass. civ. 1, 18 décembre 2002, n° 99-16.551, GAN incendie accidents c/ Centre hospitalier régional universitaire de Nîmes, F-P+B (N° Lexbase : A4851A4G), Gaz. Pal., spécial assurances, n° 36, 22 juillet 2003, p. 24.
(9) Cass. civ. 3, 3 décembre 2003, n° 01-12.461, Mme Claudine Debart, épouse Tixier Lamaison c/ Compagnie d'assurances Mutuelles du Mans, FP-P+B+I (N° Lexbase : A3589DA8), Bull. civ. III, n° 214, Defrenois, 2005, 70, note Périnet-Marquet : "l'assureur dommages-ouvrage qui n'a pas pris position sur le principe de mise en jeu de sa garantie dans les délais prévus aux articles L. 242-1 et A. 243-1 de l'annexe II du Code des assurances est déchu du droit de contester celle-ci, notamment en contestant la nature des désordres déclarés par l'assuré".
(10) Cass. civ. 3, 26 novembre 2003, n° 01-12.469, M. Patrice Chassagne c/ Société Axa assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A3093DAS), Bull. civ. III, n° 207.
(11) M. Périer, RGDA, 2006, 1er avril 2006, n° 2006-2, p. 445 et s.. Cet auteur reprend ses idées dans son ouvrage, J. Bigot et M. Périer, Risques et assurances construction, L'argus Editions, 2007.
(12) Cass. civ. 1, 18 février 2003, n° 99-12.203, Compagnie ICS assurances c/ M. Yves Dupouy, F-D (N° Lexbase : A2013A7P), RGDA, 2003, 311, note H. Périnet-Marquet ; Resp. civ. et assur., 2004, comm. n° 147 ; Cass. civ. 3, 12 janvier 2005, n° 03-18.989, Société Gan assurances IARD c/ Mme Hélène Etcheverry, FS-P+B (N° Lexbase : A0281DGI), RGDA, 2005, 459, note M.-L. Pagès-de Varenne.
(13) Cass. civ. 3, 7 mars 2007, n° 05-20.485, SCI Lam, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6576DU4), Bull. civ. III, n° 32.
(14) M. Périer, op. et loc. cit..
(15) Cf., en dernier lieu, Cass. civ. 1, 3 janvier 1996, n° 93-18.812, M. Di Meglio c/ Les Assurances mutuelles de France (N° Lexbase : A9416ABD), Bull. civ. I, n° 3, RGDA, 1996, 74, rapport P. Sargos, Resp. civ. et assur., 1996, comm. n° 101 ; Cass. civ. 1, 2 juillet 1996, n° 94-13.940, M. Enrique Esteves c/ Société Union des assurances de Paris incendie accidents UAP et autres, inédit (N° Lexbase : A3887CLK), RGDA, 1997, 115, note J. Landel, Resp. civ. et assur., 1997, comm. n° 367, note H. Groutel ; mais contra, Cass. civ. 1, 3 juillet 1990, n° 87-17.172, SA Rhin et Moselle c/ SA Quiri, inédit (N° Lexbase : A8963CLK), JCP éd. G, 1991, II 21643, note J. Bigot ; Cass. civ. 1, 19 mai 1992, n° 89-17.425, Compagnie Euravie, compagnie européenne d'assurance sur la vie, société anonyme c/ M. Raymond Rodier et autres, inédit (N° Lexbase : A9438CWH), RGAT, 1992, 536, note J. Landel ; H. Groutel, De la nullité du contrat à la nullité des assurances dans les polices tous risques, Resp. civ. et assur., 1992, chron. n° 28 ; Cass. civ. 1, 3 mai 1995, n° 93-11.575, Société d'assurance crédit des entreprises c/ Société Négoce fer acier (N° Lexbase : A5054AC8), RGAT, 1995, note L. Mayaux.
(16) M. Périer, RGDA, 2006, 1er avril 2006, n° 2006-2, p. 445.
(17) Ibid..
(18) Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - février 2009, Lexbase Hebdo n° 336 du 5 février 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N4840BI4).
(19) Cass. civ. 2, 4 décembre 2008, n° 07-20.717, Société Ben's garage du stade, F-P+B (N° Lexbase : A5243EBS).
(20) Là-dessus, cf. J. Bigot et M. Périer, Risques et assurances construction, préc., spéc., p. 281.

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Licenciement

[Jurisprudence] L'avocat doit être au fait de l'évolution de la jurisprudence

Réf. : Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 07-20.196, M. Pierre Laschon, membre de la SCP Bodin et Laschon, F-P+B (N° Lexbase : A9489ECG)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Un avocat averti en vaut deux ! Telle pourrait être la morale d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 février 2009 et qui confirme, dans une affaire particulière, que l'avocat est censé connaître les évolutions de la jurisprudence et qu'il engage sa responsabilité professionnelle s'il ne se montre pas suffisamment clairvoyant (I). C'est pour avoir méconnu les circonvolutions de la jurisprudence en matière de motivation de la lettre de licenciement pour motif économique et, singulièrement, l'obligation de mentionner, sur la lettre, les incidences des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise sur l'emploi supprimé, qu'un avocat a été, dans cette affaire, condamné (II).
Résumé

Ne constituait ni un revirement, ni même l'expression d'une évolution imprévisible de la jurisprudence, l'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 30 avril 1997 (1) imposant la mention, dans la lettre de licenciement, des incidences des difficultés économiques sur l'emploi supprimé, dans la mesure où la jurisprudence avait procédé à un renforcement des exigences de motivation de la lettre de licenciement pour motif économique et qu'à cette période, déjà, il était fait obligation à l'employeur d'y énoncer de manière suffisamment précise le motif économique fondant le licenciement, sous peine de voir le congédiement jugé sans cause réelle et sérieuse.

Dans ces conditions, commet une faute l'avocat qui rédige, le 27 décembre 1996, une lettre de licenciement qui se borne à invoquer la disparition d'une branche d'activité de l'entreprise, sans faire état de la suppression du poste jusque-là occupé par ce salarié.

Commentaire

I - L'avocat doit connaître et anticiper les évolutions prévisibles de la jurisprudence

  • Le devoir d'efficacité des actes juridiques

Comme tout professionnel du droit, rédacteur d'actes juridiques, l'avocat est contractuellement tenu d'un devoir d'efficacité des actes juridiques qu'il rédige ou pour lequel il conseille son client. A ce titre, il doit, tout comme le notaire, connaître parfaitement l'état du droit positif et, notamment, les dernières évolutions de la jurisprudence (2).

Cette connaissance se vérifie au jour où l'acte est rédigé. Le rédacteur ne saurait donc être condamné parce que l'acte rédigé ne serait pas conforme à des évolutions jurisprudentielles intervenues postérieurement (3). Cette affirmation, qui concernait, dans cette affaire particulière, un notaire (4), vaut pour tous les professionnels du droit, rédacteurs d'actes juridiques, comme l'avocat (5).

L'application de cette règle est, toutefois, délicate, dans la mesure où certaines évolutions jurisprudentielles sont prévisibles, compte tenu de la rédaction des arrêts antérieurs qui peuvent, par exemple, contenir des obiter dictum, des "commentaires" qui les entourent (avis ou rapports publiés par les conseillers à la Cour de cassation, écrits de ces mêmes magistrats) ou, encore, des termes du rapport annuel de la Haute juridiction, qui peut, à cet égard, fournir de précieuses indications. Par ailleurs, certaines décisions présentées comme inédites peuvent s'évincer directement des termes mêmes de la loi ; dans cette hypothèse, l'arrêt ne crée pas, à proprement parler, de solution nouvelle, mais se contente de formaliser une solution qui était manifestement en germe dans le texte lui-même.

  • Du devoir d'efficacité à l'obligation de prudence et d'information

La responsabilité civile du conseil dépendra donc du cas de figure rencontré, sachant que, dans des hypothèses d'incertitudes sur l'évolution de la jurisprudence, la prudence devra l'emporter ; on passera, alors, du devoir de connaissance au devoir de prudence et de l'efficacité des actes juridiques à l'obligation d'informer son client sur les incertitudes de la jurisprudence et les risques pesant sur l'efficacité de l'acte (6). Lorsqu'un doute existe sur l'efficacité d'un acte, l'avocat est tenu d'une obligation de mise en garde de son client (7).

L'existence d'une incertitude juridique ne dispense donc pas l'avocat de son devoir de conseil (8), bien au contraire, et il peut être condamné s'il donne des informations erronées alors que la question juridique était controversée (9).

Lorsque la jurisprudence est incertaine ou qu'une question de droit est débattue, la Cour de cassation considère que le professionnel du droit a "l'obligation de se documenter plus spécialement et, surtout, de porter à la connaissance de ses clients l'existence même de cette controverse ou le caractère incertain de l'acte envisagé" (10).

La Cour de cassation a logiquement tiré les conséquences de cette obligation en termes de responsabilité des conseils. Dans une précédente décision rendue en 2008, la première chambre civile de la Cour de cassation avait, ainsi, relevé qu'un avocat n'était pas fondé à se prévaloir d'un arrêt rendu postérieurement à un acte rédigé par ses soins et annulé, dès lors que la décision litigieuse "n'était ni un revirement, ni même l'expression d'une évolution imprévisible de la jurisprudence, de sorte que la société d'avocats n'était pas fondée à s'en prévaloir pour échapper aux conséquences de sa faute" (11).

  • La confirmation en l'espèce

C'est cette solution qui se trouve confirmée dans cet arrêt en date du 5 février 2009. Selon la première chambre civile, en effet, "l'arrêt rendu par la Cour de cassation en 1997 ne constituait ni un revirement, ni même l'expression d'une évolution imprévisible de la jurisprudence, de sorte que l'avocat ne pouvait s'en prévaloir pour s'exonérer de sa responsabilité".

A s'en tenir, provisoirement, à la seule question de la responsabilité professionnelle de l'avocat, la solution ne prête guère à discussion. La connaissance de l'état du droit positif implique, en effet, non seulement de connaître la loi, mais, également, la jurisprudence qui en précise les contours. Seule l'hypothèse d'un revirement ou d'une évolution imprévisible de la jurisprudence sont, alors, logiquement susceptibles d'expliquer pourquoi un avocat n'a pas pu anticiper pareille évolution.

Reste, alors, à déterminer si, en l'espèce, l'évolution en cause de la jurisprudence était de nature à être prévue par l'avocat, ou non.

II - De l'interprétation d'un arrêt rendu le 30 avril 1997 relatif à la motivation de la lettre de licenciement pour motif économique : revirement, nouveauté ou confirmation ?

  • Le problème

La question au centre du débat est celle de la motivation de la lettre de licenciement pour motif économique. En avril 1997, la Chambre sociale de la Cour de cassation a, en effet, précisé, pour la première fois, le principe selon lequel "la lettre de licenciement donnée pour motif économique doit mentionner les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail" (12). La solution allait, par la suite, être confirmée à de très nombreuses reprises, soit pour sanctionner des lettres ne précisant pas cette incidence (13), soit, au contraire, pour relever leur caractère suffisamment motivé, compte tenu de cette précision (14).

La datation de cette décision suggère que les lettres de licenciement rédigées avant le 30 avril 1997 n'étaient pas soumises à cette exigence particulière et que, dès lors, un avocat qui l'avait ignorée à l'époque ne pouvait se le voir reprocher (15).

  • L'analyse de la décision

L'examen de cette jurisprudence dans le contexte de l'époque conduit, pourtant, à une conclusion logiquement différente.

C'est, tout d'abord, ce que démontre la lecture des commentaires publiés en 1997 après l'arrêt rendu le 30 avril. Non seulement cet arrêt est passé inaperçu dans la plupart des grandes revues juridiques (pas de commentaire dans la revue Droit social, au Recueil Dalloz ou à la Semaine juridique, édition générale), mais, de surcroît, les rares analyses publiées ne soulignent jamais ce que cette décision aurait d'innovant par rapport à l'état du droit antérieur. Ainsi, dans son commentaire publié à la Semaine juridique, édition entreprise, Philippe Coursier ne présente absolument pas cette décision comme une nouveauté (16). Bien au contraire, il écrit, à la fin de son introduction, que "de telles décisions confirment, avec l'arrêt du 30 avril 1997, les exigences de la Chambre sociale quant à l'énoncé d'un motif suffisamment réel".

On remarquera, d'ailleurs, que cette décision, simplement publiée au bulletin de la Cour de cassation (arrêt "marqué" P), n'a pas été mentionnée au Rapport annuel de la Cour de cassation. Or, on sait que la Cour fait toujours figurer au Rapport annuel les revirements de jurisprudence, afin d'en expliciter la portée. Or, tel n'a pas été le cas.

La présentation de l'apport de la décision montre bien que l'affirmation selon laquelle l'employeur doit indiquer l'incidence des difficultés économiques sur le poste de travail supprimé, qui se rattache, à l'évidence, à l'existence du motif, et donc à sa réalité, ne constitue qu'une simple confirmation de solutions existantes.

C'est, d'ailleurs, ce qui apparaît très clairement à la lecture des études publiées à cette époque et consacrées à la question de la motivation des lettres de licenciement.

Ainsi, dans une chronique publiée dans la revue Droit social en juillet 1995, soit quelques mois avant la rédaction des lettres litigieuses, Patricia Pochet dressait une liste de décisions ayant considéré des lettres de licenciement économique comme insuffisamment motivées (17). Or, les exemples choisis montraient que la Cour de cassation avait stigmatisé des lettres insuffisamment motivées qui ne faisaient pas référence aux incidences des difficultés rencontrées par les entreprises sur l'emploi. Certaines décisions refusaient, ainsi, de se contenter de "la simple référence à une suppression de poste" (18).

La mention des incidences des difficultés économiques sur les postes supprimés apparaît, ici, clairement comme un élément nécessaire de la motivation.

D'autres décisions rendues à la même époque montrent, en revanche, que les lettres de licenciement qui font apparaître, à la fois, la nature des difficultés économiques et les incidences sur les emplois répondent parfaitement à l'exigence de motivation. Ainsi, dans un arrêt rendu le 5 octobre 1994 (19), l'employeur avait mentionné, dans la lettre de licenciement, "la nécessité de 'mener une réorganisation impliquant une réduction de nos effectifs'". Cette lettre de licenciement faisait bien référence aux incidences de la réorganisation de l'entreprise sur les effectifs, c'est-à-dire sur les emplois. La cour d'appel avait considéré cette motivation comme insuffisante. Or, l'arrêt a été cassé, la Cour de cassation considérant "qu'il résultait de ses propres constatations que l'employeur ne s'était pas borné à alléguer une cause économique, mais avait précisé un motif fixant les limites du litige, et que, dès lors, il lui appartenait d'apprécier, à la lumière, notamment, des éléments fournis aux représentants du personnel, le caractère réel et sérieux de ce motif". Enfin, dans un arrêt en date du 3 novembre 1994, "le motif énoncé dans la lettre de notification du licenciement" faisait état "de 'la restructuration des services par suite d'une réduction d'activité entraînant une redistribution des postes'" (20). La cour d'appel avait considéré cette lettre comme suffisamment motivée et la Cour de cassation a confirmé son analyse : "la cour d'appel, qui s'est fondée sur le motif précisément énoncé dans la lettre de notification du licenciement, a examiné le bien-fondé de celui-ci à la date de la rupture". Ici aussi, la lettre de licenciement faisait bien référence à la nature des difficultés économiques ("réduction d'activité") et à ses conséquences sur les postes de travail ("entraînant une redistribution des postes") et satisfaisait donc à l'exigence légale de motivation.

Dans ces conditions, il apparaissait logique de considérer que l'obligation fait à l'employeur de mentionner sur la lettre de licenciement l'incidence des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise sur l'emploi supprimé semblait logiquement découler des termes mêmes de la loi.

Un autre élément a, d'ailleurs, certainement dû peser dans le débat. Même si le texte de la lettre de licenciement litigieuse n'est pas repris dans l'arrêt, ce qui est logique, il ressort clairement de l'attendu que cette lettre de licenciement semblait insuffisamment motivée, y compris au regard de la jurisprudence existante en décembre 1996, et même en faisant abstraction de la solution formulée à partir de l'arrêt rendu en avril 1997.


(1) Cass. soc., 30 avril 1997, n° 94-42.154, Société Technique méthode gestion c/ Mme Cornelis et autre (N° Lexbase : A4092AAS).
(2) Cass. civ. 1, 15 octobre 1985, n° 84-12.309, Monsieur Marchand c/ Madame Noël (N° Lexbase : A5508AAA), Bull. civ. I, n° 257.
(3) Cass. civ. 1, 25 novembre 1997, n° 95-22.240, Banque immobilière européenne c/ M. X et autres (N° Lexbase : A0801ACN), Bull. civ. I, n° 328 ; JCP éd. N, 1998, jur. p. 893, note C. Géraud ; JCP éd. G, 1998, I, n° 23, obs. G. Viney ; RTD Civ., 1998, p. 367, n° 4, obs. P. Jourdain ; Petites affiches, du 12 octobre 1998, p. 7, note M.-P. Blin-Franchomme ; RTD Civ., 1998, p. 210, obs. N. Molfessis.
(4) Egalement, Cass. civ. 1, 25 mai 2005, n° 03-20.712, M. Hervé Lemau de Talancé de Sirvinges c/ SCP Pecquenard Godard Saval Durand et Vuillemin, FS-D (N° Lexbase : A4209DIQ) : "l'analyse du notaire, à la date de l'établissement de la déclaration de succession, conforme au droit civil, ne comportait aucune erreur au regard de la position habituelle de l'administration fiscale en la matière, jugeant, ainsi, que le risque d'un redressement ne pouvait être décelé à cette date et, d'autre part, souverainement estimé qu'il n'était pas démontré que la SCP eût ensuite été avertie de la position défavorable adoptée par le service compétent, en temps utile pour lui permettre de conseiller ses clients avant l'expiration du délai imparti pour l'exercice d'un recours, la cour d'appel a pu juger que le notaire n'avait commis aucune faute".
(5) CA Paris, 29 mars 1999, D., 1999, IR, p. 120 ; CA Paris, 9 décembre 2002, Gaz. Pal., 2003, 1, 1023.
(6) S'agissant des conséquences financières d'une lettre de licenciement : Cass. civ. 1, 13 mars 1996, n° 93-20.578, Société Michel Niarquin c/ La Mutuelle du Mans et autre (N° Lexbase : A9463AB4), Bull. civ. I, n° 132.
(7) CA Paris, 29 septembre 1981, Gaz. Pal., 1982, 1, 124.
(8) Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-21.407, Société Ariane et autre c/ Recette Principale des Impôts d'Anglet et autres (N° Lexbase : A0784ACZ), Bull. civ. I, n° 362.
(9) CA Dijon, 17 mai 1939, Gaz. Pal., 1939, 2, 133.
(10) CA Amiens, 29 janvier 1959, JCP éd. N, 1959, II, 11212 ; Trib. civ. Seine, 22 avril 1953, JCP éd. N, 1953, II, 7656 ; Cass. civ. 1, 17 février 1971, n° 69-10.310, TS Raphaël Cornille et cie c/ Dame Blondel (N° Lexbase : A8142CHZ), Bull. civ. I, n° 52 ; Cass. civ. 1, 27 mars 1973, n° 71-11.972, Roques c/ Consorts Brunet (N° Lexbase : A1695CKY), Bull. civ. I, n° 114 ; Cass. civ. 1, 6 décembre 1978, n° 77-10.801, Broquisse, Monassier c/ Sellier, Labbé et Cie (N° Lexbase : A3920CGB), Bull. civ. I, n° 380.
(11) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 06-17.080, Société Fidal, FS-D (N° Lexbase : A7013D8A).
(12) Cass. soc., 30 avril 1997, n° 94-42.154, Société Technique méthode gestion c/ Mme Cornelis et autre (N° Lexbase : A4092AAS) : "selon l'article L. 122-14-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5567AC8), l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement ; que, en application de l'article L. 321-1 du même code (N° Lexbase : L8921G7K), est un motif économique le motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail consécutives à des difficultés économiques, des mutations technologiques, ou une réorganisation de l'entreprise ; qu'il en résulte que la lettre de licenciement donnée pour motif économique doit mentionner les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail ; que l'énoncé d'un motif imprécis équivaut à une absence de motif".
(13) Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 95-42.148, Société Chaussures Bally France, société en nom collectif c/ Mme Claudine Ferreira (N° Lexbase : A8776AG7) ; Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-43.600, Société anonyme Castrol France c/ Mme Nadine Léonardi (N° Lexbase : A8322AHP) ; Cass. soc., 17 janvier 2001, n° 98-45.014, M. Georges Sammut (N° Lexbase : A9436ASB) ; Cass. soc., 11 juin 2002, n° 00-40.214, M. Christian Menut c/ Société SBGC, FS-P+B (N° Lexbase : A9089AYB) ; Cass. soc., 11 juin 2002, n° 00-40.625, Mme Anita Hureau c/ Société Etablissements Dakomex, FS-P+B (N° Lexbase : A9094AYH) ; Cass. soc., 2 juillet 2002, n° 00-43.592, Société Lermite c/ M. Marcel Dauve, F-D (N° Lexbase : A0513AZZ) ; Cass. soc., 12 octobre 2004, n° 02-45.143, M. Bernard Millasseau c/ Société Bernard traiteur, F-D (N° Lexbase : A6096DD7) : "Attendu qu'en cas de licenciement pour motif économique, la lettre de licenciement doit préciser la raison économique et son incidence sur l'emploi du salarié ou sur son contrat de travail ; qu'à défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse" ; Cass. soc., 5 avril 2005, n° 02-45.784, Société BEMO (Banque de l'Europe méridionale) c/ M. Joseph Obegi, F-D (N° Lexbase : A7515DHS) ; Cass. soc., 8 novembre 2005, n° 03-40.197, M. Olivier Martin c/ Société Proteg sécurité, F-D (N° Lexbase : A5085DLW) ; Cass. soc., 1er avril 2008, n° 06-44.134, Société Informatis technology service, FS-D (N° Lexbase : A7670D79).
(14) Cass. soc., 4 mars 2003, n° 01-40.122, Société Francem c/ M. Patrice Degrande, F-D (N° Lexbase : A3834A77) ; Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-40.233, M. Patrick Jeanne, F-D (N° Lexbase : A5023DWX) ; Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-41.401, M. Eric Lecomte, F-D (N° Lexbase : A5038DWI) ; Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-43.916, M. Gilles Marocco, F-D (N° Lexbase : A6636DYG) ; Cass. soc., 12 février 2008, n° 06-45.938, M. Mikaël Boucher, F-D (N° Lexbase : A9283D4L).
(15) CA Bordeaux, 1ère ch., sect. A, 20 mars 2006, n° 04/04013, SA Guy Couach c/ Lassabe (N° Lexbase : A8318D4T).
(16) JCP éd. E, 1997, II, 1005.
(17) Les apports de la jurisprudence récente relative à la lettre de licenciement, p. 655 s., sp. p. 658.
(18) Cass. soc., 29 juin 1994, n° 93-43.526, M. Pascal Garrait c/ SA Polo Ralph Lauren management services et autres (N° Lexbase : A4025AAC), RJS, 8-9/94, n° 971, p. 577 : "en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la lettre de licenciement n'énonçait comme seul motif que 'suppression de poste', sans préciser les motifs économiques ou de changement technologique invoqués par l'employeur pour justifier cette suppression, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
(19) Cass. soc., 5 octobre 1994, n° 92-45.105, Société Castel frères c/ Mme Rideller et autres (N° Lexbase : A1083ABQ), Bull. civ. V, n° 257.
(20) Cass. soc., 3 novembre 1994, n° 93-42.331, M. André Didou c/ Société anonyme Le Floch (N° Lexbase : A2549AGI).


Décision

Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 07-20.196, M. Pierre Laschon, membre de la SCP Bodin et Laschon, F-P+B (N° Lexbase : A9489ECG)

Rejet, CA Poitiers, 3ème ch. civ., 6 juin 2007

Textes concernés : C. civ., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) ; C. trav., art. L. 122-14-2 (N° Lexbase : L4708DCD) et L. 321-1 (N° Lexbase : L3765HNR), dans leur rédaction issue de la loi n° 89-549 du 2 août 1989, modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion (N° Lexbase : L7352HUT)

Mots clef : avocat ; responsabilité civile ; devoir d'efficacité ; licenciement pour motif économique ; motivation ; incidence des difficultés économiques sur l'emploi supprimé

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Urbanisme

[Jurisprudence] La dépénalisation des travaux entrepris postérieurement à la suspension du permis de construire

Réf. : Ass. plén., 13 février 2009, n° 01-85.826, M. Dominique Pessino (N° Lexbase : A1394EDY)

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N7704BI8

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par Frédéric Dieu, Rapporteur public près la cour administrative d'appel de Marseille

Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt en date du 13 février 2009, la Cour de cassation, dans sa formation la plus solennelle, est revenue sur la solution qu'elle avait adoptée sept ans plus tôt (Cass. crim., 6 mai 2002, n° 01-85.826, Pessino Dominique N° Lexbase : A8423AYM), laquelle avait considéré que le sursis à exécution du permis de construire équivalait à une interdiction de construire dont la méconnaissance était, en conséquence, passible de poursuites pénales. Il est vrai qu'entre temps, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) avait condamné la position retenue par la Cour de cassation en considérant que celle-ci avait méconnu le principe de légalité des délits et des peines (CEDH, 10 octobre 2006, Req. 40403/02, Pessino c/ France N° Lexbase : A6913DRH, AJDA, 2007, p. 1257, note Trémeau et Carpentier, Dalloz, 2007, p. 124, note Roets). La CEDH avait, en effet, relevé que le "manque de jurisprudence préalable" en ce qui concernait "l'assimilation entre sursis à exécution du permis de construire et interdiction de construire" rendait, pour le moins, difficilement prévisible le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation par l'arrêt du 6 mai 2002. La condamnation prononcée par la CEDH valait, cependant, pour la seule espèce jugée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 2002 : elle lui imposait donc seulement de revoir sa solution pour cette espèce, et non d'opérer un nouveau revirement de jurisprudence. En effet, la sanction de la CEDH était justifiée non pas par le caractère erroné (au fond) de la position retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (assimilation entre sursis à exécution du permis de construire et interdiction de construire), mais par le caractère imprévisible de cette position pour le titulaire du permis de construire, imprévisible en ce qu'elle constituait, selon la CEDH, une position nouvelle de la part de la Cour de cassation, à rebours de la position habituelle de celle-ci. C'est dire que la CEDH n'a pas entendu contraindre la Chambre criminelle de la Cour de cassation à infirmer en principe et au fond la solution adoptée le 6 mai 2002, mais a seulement souhaité l'obliger à ne pas faire subir au requérant le changement de position opéré en 2002.

Toutefois, plutôt que de cantonner cette obligation à la seule espèce, la Cour de cassation a adopté une solution générale prenant le contrepied de la solution adoptée en 2002 puisque c'est désormais donc un principe, valable pour l'avenir, que "la poursuite de travaux malgré une décision de la juridiction administrative prononçant le sursis à exécution du permis de construire n'est pas constitutive de l'infraction de construction sans permis" prévue à l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3514HZ8). La position retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dont l'on peut raisonnablement penser qu'elle est transposable aux hypothèses dans lesquelles le juge administratif a prononcé la suspension du permis de construire (puisque le référé-suspension a succédé au sursis à exécution), si elle peut s'autoriser de l'autonomie des qualifications (et, en particulier, des infractions) pénales par rapport aux qualifications opérées par le juge administratif, est, cependant, peu cohérente avec la jurisprudence de ce dernier, au point qu'elle le contraindra peut-être à la modifier, puisque l'on peut penser que, eu égard à son caractère solennel, la solution rendue par l'arrêt du 13 février 2009 devrait figer pour longtemps la jurisprudence du juge judiciaire.

I - Loin d'être une solution d'espèce et une réponse à la CEDH, l'arrêt du 13 février 2009 procède à la dépénalisation des travaux effectués postérieurement à la suspension du permis de construire

A - L'arrêt du 13 février 2009 fait suite à l'invalidation (contestable) par la CEDH d'un arrêt du 6 mai 2002...

1 - La sanction par la CEDH du caractère imprévisible du revirement de jurisprudence opéré, selon elle, par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 2002

Par un jugement en date du 11 octobre 1993, le tribunal administratif de Nice avait ordonné le sursis à exécution du permis de construire accordé à une société civile immobilière (SCI). Toutefois, malgré cette décision, cette société avait continué l'exécution des travaux, provoquant, ainsi, l'engagement d'une action pénale à son encontre. Par un arrêt en date du 3 juillet 2001, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait confirmé la condamnation du requérant, gérant de la SCI, à une amende de 1 500 euros après l'avoir déclaré coupable du délit d'exécution de travaux sans permis de construire. C'est cet arrêt qu'a confirmé l'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 6 mai 2002, cette dernière estimant que la cour d'appel avait justifié sa décision au regard des articles L. 421-1 (N° Lexbase : L3419HZN) et L. 480-4 du Code de l'urbanisme, "le constructeur ne [pouvant] se prévaloir d'aucun permis de construire lorsque l'exécution de celui-ci a été suspendue par une décision du juge administratif". La Cour de cassation avait, ainsi, qualifié d'infraction pénale la réalisation de travaux postérieurement au sursis à exécution du permis de construire.

Les infractions pénales en matière d'urbanisme sont prévues par les articles L. 480-2 (N° Lexbase : L3512HZ4), L. 480-3 (N° Lexbase : L3513HZ7) et L. 480-4 du Code de l'urbanisme. En vertu du premier de ces articles, l'interruption de travaux régulièrement entrepris peut être ordonnée par le juge d'instruction saisi de poursuites, ou par le tribunal correctionnel. En vertu de l'article L. 480-3, la continuation des travaux, nonobstant pareille décision d'interruption, est constitutive d'un délit. Enfin, en vertu de l'article L. 480-4, constitue une infraction pénale l'exécution de travaux en méconnaissance des obligations imposées, à savoir la demande, l'obtention, et le respect d'un permis de construire préalablement délivré. Précisons que cette dernière infraction est qualifiée par la Cour de cassation d'infraction continue non successive, qui se perpétue pendant l'exécution des travaux et cesse à leur achèvement (1). C'est précisément cette infraction que, dans l'arrêt du 6 mai 2002, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a regardé comme constituée dans le cas où le constructeur avait poursuivi ses travaux après le sursis à exécution de son permis de construire.

Le titulaire de ce permis a, cependant, saisi la CEDH en faisant valoir que la qualification pénale opérée par la Cour de cassation contredisait la position habituelle de celle-ci, qui excluait de qualifier d'infraction pénale la construction postérieurement au sursis à exécution du permis. Se fondant sur les stipulations de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L4797AQQ) ("nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise" : la notion de "droit national" inclut la jurisprudence nationale), la CEDH a retenu l'objection du titulaire du permis et estimé que l'arrêt du 6 mai 2002 constituait un revirement de jurisprudence qui était imprévisible pour ce dernier, qui ne pouvait donc "savoir que, au moment où il les [avait] commis, ses actes pouvaient entraîner une sanction pénale" (§ 36) : le revirement de jurisprudence était donc imprévisible et in malam partem, c'est-à-dire défavorable au requérant. La CEDH a relevé, à cet égard, que le Gouvernement français n'avait pas été en mesure de "produire des décisions des juridictions internes [...] établissant qu'avant l'arrêt rendu [le 6 mai 2002], il [avait] été jugé explicitement que le fait de poursuivre des travaux malgré un sursis à exécution émis par le juge administratif à l'encontre du permis de construire constituait une infraction pénale" (§ 34).

L'on voit donc que le démenti apporté par la CEDH à la solution rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 mai 2002 portait sur le caractère imprévisible (pour le requérant titulaire du permis de construire) de cette solution, et non sur son caractère erroné, notamment au regard des dispositions de l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme. Autrement dit, dans l'arrêt du 20 octobre 2006, la CEDH n'a nullement jugé que la poursuite de travaux malgré le sursis à exécution du permis de construire ne constituait pas, par principe, une infraction pénale au sens de cet article. C'est, ainsi, seulement dans le cadre du pourvoi formé par le titulaire du permis de construire, et donc pour ce dernier spécifiquement, que la CEDH a jugé que la qualification d'infraction pénale n'était pas applicable car contraire aux stipulations de l'article 7 de la CESDH.

2 - L'arrêt de la CEDH, d'ailleurs contestable, nécessitait seulement d'écarter en l'espèce la qualification d'infraction pénale

C'est de manière quelque peu contestable que la CEDH a considéré que la solution rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 mai 2002 constituait un revirement de jurisprudence imprévisible pour le requérant titulaire du permis de construire. En fait, la Cour de cassation n'avait jamais pris parti sur ce sujet, puisque si elle avait rejeté, le 9 novembre 1993 (Cass. crim., 9 novembre 1993, n° 93-80.025, Le Gac Joseph et autres N° Lexbase : A4894CQC), le pourvoi formé contre un arrêt de cour d'appel qui avait exclu la qualification d'infraction pénale pour les travaux réalisés après le sursis à exécution du permis de construire (CA Rennes, 10 décembre 1992), c'était au motif que ce pourvoi était irrecevable, et non au motif que la solution rendue par la cour d'appel était justifiée au fond. Ainsi, contrairement à ce qu'a estimé la CEDH, la Chambre criminelle de la Cour de cassation n'avait nullement confirmé et repris à son compte le raisonnement de la cour d'appel de Rennes.

En jugeant, dans l'arrêt du 6 mai 2002, que la poursuite de travaux était passible de poursuites pénales, la Chambre criminelle n'est donc pas revenue sur une solution antérieure contraire adoptée par elle, de sorte qu'il n'y pas eu, en 2002, "revirement de jurisprudence mais seulement invalidation par la Cour de cassation de la position prise antérieurement par une juridiction du fond dans une autre affaire" (note Trémeau et Carpentier sous CEDH, 10 octobre 2006, Req. 40403/02, Pessino c/ France, précité, AJDA, 2007, p. 1257). Au total, jusqu'à l'intervention de l'arrêt du 6 mai 2002, la question de savoir si le fait de construire en dépit du sursis à exécution du permis de construire était, ou non, constitutif d'une infraction pénale, n'était donc pas tranchée. Cet arrêt a donc plutôt constitué une interprétation judiciaire nouvelle, c'est-à-dire une solution inédite ne venant contredire aucune solution antérieure.

Quoiqu'il en soit, en le qualifiant de revirement de jurisprudence imprévisible et défavorable au titulaire du permis de construire qui avait fait l'objet d'un sursis à exécution, la CEDH en a seulement conclu que la qualification d'infraction était, en l'espèce et donc pour les seuls travaux qui avaient été réalisés par ce dernier, impossible. Le nécessaire respect de la chose jugée par la CEDH obligeait donc seulement la Cour de cassation à démentir la qualification d'infraction pénale pour ce requérant et ces travaux. En revanche, il ne l'obligeait nullement, comme elle l'a pourtant fait dans l'arrêt du 13 février 2009, à refuser cette qualification pour tous les travaux qui ont été, et qui seront exécutés dans ces conditions. C'est donc motu proprio, de sa propre initiative, que l'Assemblée plénière de la Cour de cassation est passée de l'espèce particulière au principe général, adoptant une solution beaucoup plus large d'un point de vue matériel et temporel.

Certains commentateurs de l'arrêt de la CEDH (Trémeau et Carpentier, précité) avaient estimé que la solution de la CEDH devait "demeurer sans suite, puisque l'arrêt de 2002 constitue aujourd'hui le précédent qui auparavant faisait défaut". En effet, cette solution n'interdisait nullement à la Cour de cassation, à l'occasion d'une autre affaire, postérieure à celle jugée le 6 mai 2002, de persister à qualifier d'infraction pénale la poursuite de travaux malgré le sursis à exécution du permis, puisqu'une telle qualification, similaire à celle adoptée à cette dernière date, n'aurait alors plus été imprévisible et contraire aux stipulations de l'article 7 de la CESDH. Ce n'est pourtant pas la voie qu'a choisie la Cour de cassation, puisque celle-ci a profité de l'occasion (et de l'espèce) qui lui était donnée par la sanction de la CEDH pour opérer, cette fois, un véritable revirement de jurisprudence par rapport à l'arrêt du 6 mai 2002. De manière donc quelque peu paradoxale et, peut-être, ironique, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a profité de la sanction par la CEDH de son revirement de jurisprudence "imprévisible" pour opérer un véritable revirement de jurisprudence, contrairement à celui du 6 mai 2002.

B - ...mais dépasse cette origine circonstancielle pour ôter en principe tout caractère délictuel à la réalisation de travaux postérieurement à la suspension du permis de construire

1 - La jurisprudence judiciaire qualifie de délit de construction sans permis, et donc d'infraction pénale, la poursuite de travaux postérieurement à l'annulation, au retrait ou à la péremption du permis de construire

Il ne fait d'abord guère de doute que l'annulation d'un permis de construire prononcée par le juge administratif entraîne pour le titulaire de ce permis l'obligation de cesser tous travaux sur la construction incriminée, le permis annulé étant censé n'être jamais intervenu. La continuation de travaux dans cette hypothèse constitue donc une infraction pour défaut de permis de construire au sens de l'article L 480-4 du Code de l'urbanisme et impose au maire, qui, nous le verrons, a compétence liée pour ce faire, de prendre un arrêté interruptif de travaux (QE n° 16758 de Mme Zimmermann Marie-Jo, JOAN du 21 avril 2003 p. 3095, réponse publ. 7 juillet 2003, p. 5411, 12ème législature N° Lexbase : L9767ICQ). La même qualification pénale s'applique, bien entendu, dans le cas où les travaux ont été effectués sans permis de construire (2). Le délit de construction sans permis prévu à l'article L. 480-4 est, également, caractérisé lorsque les travaux ont été réalisés avant que le permis délivré eût été délivré (Cass. crim., 27 janvier 1987, n° 85-96.263, T. M N° Lexbase : A8744C3A, RDI, 1987, p. 393), ou après que la demande de permis a été refusée (Cass. crim., 20 mars 2001, n° 00-82.868, Hugonnot Michel N° Lexbase : A5278CXR, Bull. crim. n° 73, RDI, 2001, p. 508). Soulignons, d'ailleurs, que dans ce dernier cas, il importe peu que la décision de refus de permis soit illégale puisque cette prétendue illégalité ne peut enlever aux faits leur caractère punissable, né de l'entreprise de travaux sans permis.

En outre, et cela illustre également l'autonomie du droit pénal par rapport au droit administratif (autonomie sur laquelle nous reviendrons), l'existence d'une voie de recours devant le juge administratif contre un refus de permis de construire est sans incidence sur l'exercice de poursuites pour défaut de permis, le délit prévu à l'article L. 480-4 étant caractérisé, dès lors que la construction a été édifiée sans qu'un permis ait été préalablement accordé (Cass. crim., 6 octobre 1993, n° 92-85.984, Bournier Daniel N° Lexbase : A3677CGB, Bull. crim. n° 280). L'on voit donc que, sur ce point, l'autonomie du droit pénal par rapport au droit administratif se manifeste dans la temporalité propre de ce droit et de la qualification de l'infraction pénale par rapport à l'intervention du juge administratif. Par ailleurs, est qualifiée de délit de construction sans permis et donc d'infraction pénale, l'entreprise de travaux alors que le permis de construire est périmé ou caduc, du fait de l'expiration du délai prévu à l'article R. 421-32 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2457HPP) (3). Enfin, il faut souligner que l'article L. 480-4 du même code ne vise pas seulement le délit de construction sans permis mais, également, le délit de construction en méconnaissance du permis régulièrement délivré (Cass. crim., 28 avril 1997, n° 96-84.343, Iemmolo Benoît N° Lexbase : A5921C43, Construction-Urbanisme, 1998, n° 34, observations Etchegaray), cette méconnaissance résidant, notamment, dans l'exécution de travaux différents de ceux autorisés par le permis (Cass. crim., 23 octobre 1990, n° 89-80.426, Roux Philippe N° Lexbase : A2900CZG).

L'autonomie de la qualification pénale se traduit, en outre, par l'autorité dont est revêtue cette qualification par rapport à l'action de l'administration, autorité que le juge administratif fait respecter à cette dernière. En effet, en application des dispositions de l'article L. 480-2, alinéa 3, du Code de l'urbanisme, il appartient au maire d'ordonner l'arrêt des travaux entrepris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 480-4 du même code. Autrement dit, le maire a compétence liée pour ordonner l'interruption des travaux, dès lors que le délit de construction sans permis ou en méconnaissance du permis est caractérisé. Il est remarquable, à cet égard, que le juge administratif ait pour mission d'imposer à l'administration la soumission à la qualification d'infraction pénale et donc, concrètement, l'interruption des travaux dans une telle hypothèse (4). Il est, également, remarquable que, ce faisant, le juge administratif soit conduit à mettre ses pas dans ceux du juge judiciaire pour s'assurer que l'intéressé n'avait pas d'autorisation d'urbanisme lorsqu'il a entrepris les travaux litigieux : en effet, la légalité de l'arrêté municipal d'interruption des travaux est subordonnée à la condition que l'exécution des travaux dont l'interruption est demandée ait été constitutive d'une infraction pénale (CE 16 avril 1982, n° 25057, Ministre de l'Environnement c/ Germond N° Lexbase : A1206ALA). C'est ainsi que le juge administratif impose à l'administration l'interruption des travaux lorsque le permis a été rapporté (5), ou lorsqu'il est devenu caduc (6).

Dans ce cadre, le juge administratif se fait lui-même le garant de l'autonomie matérielle et temporelle du droit pénal en jugeant, comme la Chambre criminelle de la Cour de cassation, que l'arrêté d'interdiction des travaux ne peut intervenir qu'à la suite d'infractions commises lors de la réalisation des travaux, et non pour des motifs tirés de l'illégalité du permis ayant autorisé ces travaux (CE, 14 décembre 1981, n° 15498, SARL European Homes N° Lexbase : A7293AKC, au Recueil, p. 471). A cet égard, l'appréciation portée par le juge pénal s'impose au maire, immédiatement ou par le biais du juge administratif, que cette appréciation conduise à la qualification d'infraction pénale ou non. Ainsi, dès lors que l'infraction n'est pas retenue, l'arrêté d'interdiction des travaux est jugé dépourvu de base légale par le juge administratif (7). De même, le maire est tenu de rapporter son arrêté interruptif de travaux si le parquet a classé sans suite les poursuites pour construction sur le fondement d'un permis périmé (CE, 23 juin 2004, n° 238438, Ministre des transports N° Lexbase : A7722DCY, Construction-Urbanisme, 2004, n° 177, note Rousseau).

Au total, l'on voit donc que le juge administratif, en se prononçant sur la légalité de l'arrêté d'interruption des travaux, fait application de son pouvoir d'appréciation dans les mêmes conditions que le juge pénal, et plus particulièrement à propos de la même matière. En effet, comme ce dernier, le juge administratif doit apprécier si les travaux ont été réalisés sans permis de construire, en vertu d'un permis rapporté ou caduc, ou encore en méconnaissance d'un permis régulièrement délivré. C'est en fait le but et l'objet assignés à ce pouvoir d'appréciation qui distingue l'office des deux juges. En effet, pour le juge pénal, cette appréciation décide de la qualification, ou non, d'infraction pénale ; pour le juge administratif, cependant, cette appréciation décide de la légalité ou de l'illégalité de la décision d'interruption des travaux prise par le maire.

2 - Désormais, la jurisprudence judiciaire se refuse à retenir une telle qualification en ce qui concerne les travaux réalisés postérieurement à la suspension du permis

L'arrêt du 13 février 2009 pourrait, cependant, briser cette harmonie entre les jurisprudences respectives du juge pénal et du juge administratif. En effet, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation affirme dans cet arrêt, après avoir rappelé que la loi pénale est d'interprétation stricte, que "la poursuite des travaux malgré une décision de la juridiction administrative prononçant le sursis à exécution du permis de construire n'est pas constitutive de l'infraction de construction sans permis" prévue par l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme. En outre, de manière significativement pédagogique, l'arrêt reproduit le moyen soulevé par le conseil du requérant titulaire du permis de construire suspendu (ou plutôt objet du sursis à exécution), moyen retenu par la Cour. La reproduction et l'examen de ce moyen permettent d'expliciter la position adoptée par celle-ci. Selon ce moyen, la construction malgré le sursis à exécution du permis ne caractérise ni l'infraction de l'article L. 480-3 (construction en méconnaissance d'un arrêté interruptif de travaux), dès lors qu'aucun arrêté de ce type n'avait en l'espèce été pris avant la réalisation des travaux, ni l'infraction de l'article L. 480-4, "dès lors que la juridiction administrative n'avait pas, au moment de la continuation des travaux, annulé le permis de construire sur le fondement duquel ceux-ci ont été entrepris".

Ainsi donc, selon l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, le sursis à exécution (ou la suspension) du permis de construire n'a ni pour objet, ni pour effet, de faire disparaître ce permis et il ne peut, en conséquence, équivaloir à une construction en l'absence de permis. Seule l'annulation du permis de construire peut, en effet, faire disparaître (d'ailleurs rétroactivement) le permis. Autrement dit, seul un jugement d'annulation du permis par le juge administratif peut imposer au juge pénal de caractériser l'infraction pénale. Dit encore plus brutalement, cela signifie que la décision de suspension du permis de construire prise par le juge administratif ne s'impose pas au juge pénal. C'est qu'en effet, à strictement parler, suspendre n'est pas annihiler.

II - La solution retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, logique eu égard au principe d'autonomie du droit pénal, semble, cependant, difficilement cohérente avec la jurisprudence administrative

A - Une solution logique eu égard au principe d'autonomie du droit pénal

1 - L'autonomie du droit pénal en matière de rétroactivité des décisions de justice

En matière d'appréciation de la validité des autorisations de construire, appréciation nécessaire à la qualification, ou non, d'infraction pénale, le juge pénal s'affranchit du principe général de rétroactivité des décisions d'annulation prononcées par le juge administratif. Il est vrai que cette liberté prise par le juge pénal trouve, désormais, des échos dans la liberté qu'a instaurée et prise le juge administratif et qui tend, dans certains cas, à ôter à la règle jurisprudentielle nouvelle toute application et effet rétroactifs (CE, 16 juillet 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation N° Lexbase : A4715DXW, au Recueil, AJDA, 2007, p. 1577, chronique Lenica et Boucher). Il faut, toutefois, souligner que le juge pénal n'a pas attendu la décision "Tropic Travaux" pour refuser tout effet rétroactif aux décisions d'annulation du permis de construire prises par le juge administratif. Selon le juge pénal, en effet, l'annulation du permis ne rend pas illégaux, en particulier au regard des dispositions de l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme, les actes de construction réalisés antérieurement à cette annulation (Cass. crim. 15 février 1995, n° 94-80.738, L'association des amis de Saint-Palais N° Lexbase : A5155CT4, DA, 1995, n° 315, Defrénois, 1996, n° 9, p. 597).

Ainsi, le principe d'autonomie du droit pénal fait échec à l'effet rétroactif attaqué à la décision d'annulation prise par le juge administratif, car les éléments constitutifs de l'infraction pénale s'apprécient "au temps de l'action", c'est-à-dire au temps de la construction. Autrement dit, selon la logique pénale, lorsque le constructeur est titulaire d'un permis de construire, il ne peut y avoir infraction en ce qui concerne les travaux réalisés sous couvert d'un permis en vigueur au moment des faits, c'est-à-dire de la construction, même si ce permis a ensuite été annulé. Précisons que cette mise en échec du caractère rétroactif des décisions d'annulation prises par le juge administratif de l'excès de pouvoir ne saurait, cependant, s'appliquer dans des hypothèses où le permis sur le fondement duquel a été entreprise la construction a été obtenu par fraude (Cass. crim., 4 novembre 1998, n° 97-82.569, Jacquemard Jean-Marie N° Lexbase : A1046CGT, Bull. crim., n° 286), ou dans des cas où le pétitionnaire fait preuve d'une mauvaise foi patente, c'est-à-dire dans des cas où l'illégalité du permis délivré était évidente (Cass. crim., 15 novembre 1995, n° 94-85.414, Mazzacurati Bruno N° Lexbase : A8982ABB, DA, 1996, n° 189).

A l'inverse, mais toujours dans un esprit d'autonomie par rapport à l'effet normalement rétroactif des décisions d'annulation prises par le juge administratif, et à l'effet parfois rétroactif des décisions prises par l'autorité administrative elle-même, le juge pénal considère que la régularisation des travaux (entrepris sans permis) a posteriori, par le moyen d'un permis de construire rétroactif, laisse subsister l'infraction pénale de construction sans permis (8). Précisons, à cet égard, que la délivrance d'un permis de régularisation, si elle est impuissante à faire disparaître le délit de construction sans permis visé à l'article L 480-4, permet, en revanche, au titulaire du permis d'échapper aux mesures de restitution prévues à l'article L. 480-5, à savoir celles qui tendent à la mise en conformité des lieux ou ouvrages avec les règlements, voire à la démolition ou à la remise en état des lieux (Cass. crim. 15 novembre 2005, n° 04-80.034, Construction-Urbanisme, 2006, n° 52, note Cornille). De même, lorsque les travaux ont été exécutés à une époque où le permis de construire était frappé d'annulation, le délit de construction sans permis est caractérisé même si, ultérieurement, le juge administratif a lui-même réformé son annulation et, ainsi, remis rétroactivement en vigueur le permis initialement annulé (Cass. crim., 27 juin 2006, n° 05-83.070, F-P+F N° Lexbase : A4699DQ4, Construction-Urbanisme, 2006, n° 229, note Durand).

Au total, l'on voit donc que le principe d'autonomie du droit pénal conduit le juge pénal à opposer à la fiction juridique de la disparition ou de la remise en vigueur rétroactives du permis la réalité juridique et matérielle qui prévalait au moment des travaux en cause.

2 - La solution rendue par l'arrêt du 13 février 2009 semble conforme à la lettre des dispositions de l'article L 480-4 du Code de l'urbanisme

Nous l'avons vu, l'infraction pénale prévue par l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme n'est caractérisée que dans les cas où les travaux en cause ont été entrepris sans permis, sur le fondement d'un permis annulé (au moment des travaux), retiré ou périmé, ou enfin en méconnaissance d'un permis régulièrement délivré. En bref, il n'y a infraction que si, au moment de la réalisation des travaux, le constructeur n'avait pas ou plus de permis, ou que s'il disposait d'un permis qui ne l'autorisait pas à réaliser ces travaux. Ainsi que le souligne la doctrine, les incriminations visées par les articles L. 480-3 et L. 480-4 du Code de l'urbanisme concernent ainsi soit l'absence de permis, soit la contravention à la décision d'interruption, "mais non la méconnaissance du sursis à exécution, lequel ne vaut pas annulation et n'emporte pas, par lui-même, interruption des travaux" (G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail, Chronique de droit pénal juin 2006 - novembre 2006, Dalloz, 2007, p. 399). D'ailleurs, dans son arrêt du 20 octobre 2006, la CEDH elle-même avait relevé que l'analyse du Code de l'urbanisme semblait montrer que le prononcé du sursis à exécution d'un permis de construire était, en ce qui concernait ses conséquences pénales, clairement assimilable à une "décision judiciaire ou un arrêt ordonnant l'interruption des travaux" au sens des dispositions de l'article L. 480-3. Autrement dit, la CEDH avait écarté la qualification d'infraction pénale au regard de ces dispositions.

La solution retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans l'arrêt du 13 février 2009 n'est donc guère surprenante au regard de la lettre des dispositions des articles L. 480-3 et L. 480-4 du Code de l'urbanisme. Elle est même la seule solution pleinement respectueuse de l'autonomie du droit pénal et du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, laquelle ne saurait être interprétée de manière extensive afin d'élargir le champ d'application de l'infraction pénale. Or, force est de constater qu'en jugeant, par l'arrêt du 6 mai 2002, que la construction réalisée en dépit du sursis à exécution du permis de construire était constitutive du délit de construction sans permis au sens de l'article L. 480-4, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait adopté une interprétation extensive de la notion de construction sans permis, et donc une interprétation et une application extensives de l'infraction pénale prévue par cet article.

B - Une solution qui semble, cependant, difficilement compatible avec la jurisprudence administrative

1 - L'autorité attachée aux décisions de suspension doit logiquement contraindre le bénéficiaire du permis suspendu à interrompre les travaux

On le sait, le juge des référés ne prend que des décisions à caractère provisoire, décisions qui, dans le cas des sursis à exécution et, désormais, des référés-suspension, cessent de recevoir effet dès lors que le juge du fond, juge de l'excès de pouvoir qui doit obligatoirement être saisi parallèlement à l'engagement de la procédure d'urgence, rend sa décision. Les décisions prises par le juge des référés n'ont donc pas, au principal, l'autorité de la chose jugée. Il n'en demeure pas moins que ces décisions sont immédiatement exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires. En conséquence, lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension (soit par l'aboutissement du recours au fond, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3060ALW), l'administration ne peut légalement reprendre la même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés a pris en considération pour prononcer cette suspension (9). Ajoutons qu'en matière d'urbanisme, la suspension du permis de construire par le juge administratif des référés s'accompagne de la transmission d'une copie de son ordonnance au Procureur de la république près le tribunal de grande instance territorialement compétent (CJA, art. R. 522-14 N° Lexbase : L7157HZ4), ce qui pourrait (ou aurait pu, puisque l'arrêt du 13 février 2009 ne l'a pas retenu) signifier que la poursuite des travaux postérieurement à la suspension du permis est bien une infraction).

L'on sait, également, que, selon la jurisprudence administrative, le juge de l'urgence, contrairement au juge de l'injonction, peut toujours apprécier l'opportunité de prononcer le sursis à exécution (et désormais la suspension) de la décision contestée, et ce même si les conditions présidant au sursis ou à la suspension sont remplies (10). Relevons, en effet, qu'aux termes de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), le juge des référés "peut ordonner" la suspension. Dès lors que le juge des référés n'est jamais tenu de prononcer le sursis à exécution ou la suspension, l'on peut penser que lorsqu'il prononce ces mesures, c'est qu'il les estime nécessaires dans les circonstances de l'espèce et qu'il veut, ainsi, contraindre l'administration, pour le moins, à réexaminer la situation de l'administré, que la suspension vise l'autorisation accordée à celui-ci (comme dans le cas d'une délivrance de permis de construire) ou le refus qui lui a été opposé. En bref, la suspension a pour seul effet de ressaisir l'administration et, dans le cas de la suspension d'un permis de construire, elle lui permet, éventuellement, de délivrer un permis modificatif purgé des défauts (relevés et sanctionnés par le juge des référés) du permis initial.

Dès lors que la suspension d'une décision administrative emporte la suspension de ses effets, la décision de suspension du permis de construire, qui fait perdre à ce permis son caractère exécutoire, est, par elle-même, suffisante à interrompre la construction entamée (11). Ainsi que le soulignait F. Lamy dans ses conclusions sous la décision précitée "Ouatah", "le sursis à exécution, ou, si l'on se réfère à l'article L. 521-1 [du Code de justice administrative], la suspension de l'exécution d'une décision administrative, lorsqu'elle est exécutoire, est en soi une injonction : injonction de ne pas faire et plus précisément de ne pas exécuter". Il est donc clair, pour la jurisprudence administrative, que la suspension du permis de construire entraîne ipso facto l'arrêt immédiat des travaux. Il est vrai que le juge des référés peut expliciter cet automatisme en assortissant la décision de suspension d'une injonction tendant à l'arrêt immédiat des travaux. Toutefois, outre que le prononcé d'une telle injonction est subordonné à la présentation de conclusions en ce sens par le requérant (sous peine pour le juge de statuer ultra petita), il a été jugé que le prononcé d'une telle mesure d'injonction n'était pas nécessaire (CAA Nantes, Plénière, 26 juin 1996, n° 96NT00565, District de l'agglomération nantaise N° Lexbase : A5255BH4, BJDU, 1996, p. 355, conclusions Isaïa).

Ajoutons, enfin, que si la suspension ne peut être prononcée que si les travaux sont en cours et ne sont donc pas achevés (12), l'achèvement des travaux au mépris du sursis à exécution prononcé par le juge de l'urgence ne fait pas obstacle à un appel contre la décision ayant prononcé le sursis (CE, 25 mars 2002, n° 221853, SEM Saint-Martin et autres N° Lexbase : A4076AYM, Construction-Urbanisme, 2002, n° 160, note Benoît-Cattin). Cette solution, évidemment transposable en cas de suspension du permis, démontre que la jurisprudence administrative est soucieuse de préserver l'autorité et l'utilité des décisions de suspension prononcées par le juge des référés.

Au total, il nous semble que la jurisprudence administrative conduit, dans le cas où un permis de construire a été suspendu, à imposer au titulaire de ce permis de cesser immédiatement les travaux. La suspension du permis vaut donc interdiction temporaire (jusqu'à l'intervention de la décision du juge du fond ou jusqu'à la modification du permis) de poursuivre les travaux. L'on pourrait donc en conclure que, selon la logique de la jurisprudence administrative, la méconnaissance de cette interdiction doit être passible de poursuites pénales sur le fondement des dispositions de l'article L. 480-3 du Code de l'urbanisme, qui prohibent la construction en méconnaissance d'une décision judiciaire.

2 - L'existence d'une procédure spécifique pour le bénéficiaire d'un permis suspendu désireux de poursuivre les travaux

Ainsi, toujours selon la procédure et la jurisprudence administratives, la suspension du permis de construire contraint le bénéficiaire du permis suspendu, s'il souhaite poursuivre les travaux, à solliciter la délivrance d'une nouvelle autorisation de construire tenant compte des éléments ayant justifié la suspension (CE, 10 mai 1996, n° 140027, SCI Le Rayon Vert N° Lexbase : A8973ANN). Dans ce cadre, le maire ne peut en aucun cas délivrer un permis de construire identique au permis suspendu et faire, ainsi, échec aux effets de la suspension, manoeuvre qui peut être qualifiée de détournement de pouvoir (13). En bref, l'autorisation délivrée postérieurement à la suspension du permis ne peut avoir pour objet, ou pour effet, de faire échec au caractère exécutoire de la décision de suspension. C'est pourquoi, lorsqu'il est saisi, à la suite de la suspension du permis et de la délivrance d'un permis modificatif, d'un référé mesures utiles (CJA, art. L. 521-3 N° Lexbase : L3059ALU) tendant à ce qu'il enjoigne à l'administration d'ordonner l'interruption des travaux, le juge des référés doit examiner si le permis modificatif a remédié aux vices retenus par l'ordonnance de suspension du permis initial (CE, 27 juillet 2006, n° 287836, Ministre des transports c/ Patoulle N° Lexbase : A8058DQI, aux Tables, p. 1112).

La procédure à suivre est donc stricte et complexe pour le titulaire d'un permis suspendu. Il lui appartient de solliciter la délivrance d'un permis modificatif. Dès lors qu'un tel permis lui a été délivré, il lui appartient, alors (ainsi qu'à toute personne intéressée), de saisir à nouveau le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-4 du Code de justice administrative, en faisant état de l'élément nouveau que constitue la délivrance du permis modificatif de régularisation, afin qu'il mette fin à la suspension du permis initial (14).

Ajoutons que lorsque le titulaire d'un permis suspendu a, néanmoins, poursuivi les travaux, le requérant qui a obtenu la suspension peut saisir le juge des référés au titre du référé mesures utiles de conclusions tendant à ce que celui-ci enjoigne au maire de faire dresser un procès-verbal d'infraction, d'édicter un arrêté interruptif de travaux, et d'en transmettre copie au procureur de la République près le tribunal de grande instance territorialement compétent, en application de l'article R. 522-14 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7157HZ4) (CE, 6 février 2004, n° 256719, Masier N° Lexbase : A3537DBM, au Recueil, RDI, 2004, p. 221, note Soler-Couteaux). Dès lors que le juge administratif des référés accepte d'enjoindre à l'administration de faire dresser un procès-verbal d'infraction au titre de la réalisation de travaux postérieurement à la suspension du permis, ne faut-il pas en conclure que, selon lui, ces faits sont constitutifs d'une infraction pénale, et ce contrairement à ce que vient de juger l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ? On le voit, l'intervention de l'arrêt du 13 février 2009 nécessitera, pour le moins, une clarification et une prise de position du juge administratif sur l'effet qui s'attache, selon lui, à la poursuite de travaux en dépit de la suspension du permis de construire.

Par son arrêt du 13 février 2009, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a pris une position contraire en principe à celle adoptée par la Chambre criminelle le 6 mai 2002. Ce revirement de jurisprudence manifeste l'autonomie des qualifications pénales par rapport aux qualifications opérées par l'administration et le juge administratif. Elle est, par ailleurs, tout à fait justifiée au regard du principe d'interprétation stricte de la loi pénale qui interdisait en l'espèce de retenir une interprétation extensive, et constructive (car non prévue par la lettre des articles L 480-3 et L 480-4 du Code de l'urbanisme), de la qualification d'infraction pénale et plus précisément du délit de construction sans permis. La solution retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a vocation à s'appliquer à tous les travaux réalisés en dépit de la suspension du permis de construire et plus généralement à tous les travaux entrepris postérieurement à la suspension d'une autorisation de construire.

La question essentielle que pose cette solution est celle de sa cohérence avec l'esprit de la jurisprudence administrative qui s'attache à préserver et à faire respecter la force exécutoire des décisions de suspension, et qui tend donc à imposer au titulaire d'un permis suspendu l'arrêt immédiat des travaux, permettant, ainsi, à toute personne intéressée de saisir le juge de l'urgence afin qu'il contraigne le titulaire à respecter cette interdiction de construire. Que dire, en outre, du cas où, saisi de conclusions en ce sens, le juge administratif des référés aura assorti sa décision de suspension d'une injonction tendant à l'arrêt immédiat des travaux ? Entre un juge administratif qui exigera l'interruption des travaux et un juge pénal qui refusera toute qualification pénale à la poursuite des travaux, la situation ne sera pas des plus claires pour le titulaire du permis suspendu et pour toutes les personnes intéressées, et l'on peut penser que le premier tirera argument de cette obscurité pour prendre des libertés vis-à-vis de la décision de suspension prise par le juge administratif. On le voit donc, la dualité des ordres de juridiction sera source de confusion. Osons un pronostic : la solennité de l'arrêt rendu le 13 février 2009 par le juge judiciaire devrait contraindre le juge administratif à faire évoluer sa jurisprudence.


(1) Cass. crim., 23 juillet 1973, n° 72-93.696, Baudin (N° Lexbase : A7262CIS), Bull. crim., n° 338 ; Cass. crim., 10 décembre 1985, n° 84-92.105, Potentier, Lelong, Teste et autres (N° Lexbase : A4946AAG), Bull. crim., n° 395.
(2) Cf. par exemple, Cass. crim., 2 octobre 1981, n° 80-94.295, AJPI, 1982, p. 735, chronique Pittard ; Cass. crim., 6 juin 2000, n° 99-83.395, Grzelaczk Philippe (N° Lexbase : A6143CNT).
(3) Cass. crim., 9 mars 1999, n° 97-85.933, Yvon Christian (N° Lexbase : A1981CQG) ; Cass. crim., 20 novembre 2001, n° 01-81.149, Ferrer De Gracia Isabelle (N° Lexbase : A8346CXE).
(4) Cf., pour des cas de construction sans permis, CE Contentieux, 4 janvier 1985, n° 22241, Société Reynoird (N° Lexbase : A3077AMW), au Recueil, p. 2 ; CE 3° et 8° s-s-r., 20 février 2002, n° 235725, M. Plan (N° Lexbase : A1521AYY), BJDU, 2002, p. 175, conclusions Mignon.
(5) CE, 6° et 2° s-s-r., 17 mars 1976, n° 99289, Todeschini (N° Lexbase : A1711B8U), au Recueil, p. 157 ; CE, 11 juin 1993, n° 89119, SA HLM Habitat Mutualité c/ Maire de Grasse (N° Lexbase : A0178ANW).
(6) CE, 28 janvier 1983, n° 25678, Auclair (N° Lexbase : A1898AMA), aux Tables, p. 914 ; CE, 15 avril 1992, n° 67407, SCI Chaptal (N° Lexbase : A6523ARZ), aux Tables, p. 1394.
(7) CE, 22 juillet 1994, Baillère et autres, BJDU, 1995, p. 45, conclusions Arrighi de Casanova ; CE 10 octobre 2003, n° 242373, Commune de Soisy-sous-Montmorency (N° Lexbase : A8439C9G), BJDU, 2003, p. 415, conclusions Glaser : permis jugé non caduc par le juge pénal.
(8) Cass. crim., 3 décembre 1974, n° 73-93.054, Morelli (N° Lexbase : A9437CEA), Bull. crim., n° 359 ; Cass. crim., 19 mars 1992, n° 91-83.290, Barberoux Louis (N° Lexbase : A0288ABB), Bull. crim., n° 121 ; Cass. crim., 18 juin 1997, n° 96-83.082, Leloup Patrick (N° Lexbase : A0221CIZ), Bull. crim., n° 247.
(9) CE Section 5 novembre 2003, n° 259339, Association "Convention vie et nature pour une écologie durable" (N° Lexbase : A1062DAL), au Recueil, p. 440, AJDA, 2003, p. 2253, chronique Donnat et Casas, RFDA, 2004, p. 601, conclusions Lamy.
(10) CE Assemblée, 13 février 1976, n° 99708, Association de sauvegarde du Quartier Notre-Dame (N° Lexbase : A2040AY9), au Recueil, p. 100 ; CE 20 décembre 2000, n° 206745, M. Ouatah (N° Lexbase : A2049AIQ), AJDA, 2001, p. 146, chronique Guyomar et Collin.
(11) CE 16 janvier 1985, n° 57106, Codorniou (N° Lexbase : A3377AMZ), aux Tables, p. 728 ; CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2004, n° 266234, Commune de Vidauban (N° Lexbase : A2428DGZ).
(12) CE 8 août 2001, n° 233970, Association de défense des riverains de l'école normale et autres (N° Lexbase : A1254AWD), RDI, 2001, p. 542, note Soler-Couteaux ; l'existence de travaux suffisant d'ailleurs à caractériser l'urgence : CE, 5 décembre 2001, n° 237294, Société Intertouristik Holidays (N° Lexbase : A7507AXC), DA, 2002, n° 118.
(13) CE, 11 décembre 1991, n° 125745, Association Fouras Environnement Ecologie (N° Lexbase : A0591ARC), aux Tables, pp. 686 et 1263 ; CE 10 juillet 1996, n° 139435, Société Le Saint-Alexis et Commune de Saint-Paul de la Réunion (N° Lexbase : A0666APD), aux Tables, pp. 702 et 1223.
(14) CE, 24 février 2003, n° 248893, Commune de Saint-Bon-Tarentaise (N° Lexbase : A4667A7Y) ; CE, 27 juillet 2005, n° 277612, M. Trautmann (N° Lexbase : A1527DKR) : le bénéficiaire du permis est fondé à demander la fin de la suspension lorsque les prescriptions relatives à l'assainissement, qui ont fondé la décision de suspension, ont été modifiées par un arrêté ultérieur.

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Sécurité sociale

[Textes] Le forfait social, où comment lutter contre les "niches sociales"

Réf. : Circulaire n° 2008-387 du 30 décembre 2008, relative à la mise en oeuvre du forfait social (N° Lexbase : L9768ICR) ; lettre-circulaire Acoss n° 2009-014 du 4 février 2009 (N° Lexbase : L9769ICS)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

La loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (N° Lexbase : L2678IC8), en son article 13, a mis en place une nouvelle contribution spécifique, dite "forfait social", due sur certaines formes particulières de rémunération (CSS, art. L. 137-15 N° Lexbase : L2768ICI à L. 137-17, L. 136-1 N° Lexbase : L4609AD3 et L. 242-1 N° Lexbase : L2700ICY ; C. rur., art. L. 741-10 N° Lexbase : L2743ICL). Le taux de cette contribution à la charge des employeurs est fixé à 2 %. L'instauration de cette contribution fait suite aux différents travaux de la Cour des comptes, de l'Assemblée Nationale et du Sénat sur les "niches sociales", lesquels ont mis en évidence la nécessité de mettre en place un prélèvement social adapté sur les formes particulières de rémunération, afin que ce prélèvement ne se concentre pas uniquement sur les salaires. Le rendement de cette contribution est estimé à près de 400 millions d'euros, ce qui correspond à une assiette d'environ 20 milliards d'euros, le Gouvernement n'ayant décidé de soumettre au forfait social qu'une petite moitié des assiettes qui sont actuellement exemptées de cotisations sociales. La direction de la Sécurité sociale du ministère des Affaires sociales (circulaire n° 2008-387 du 30 décembre 2008, relative à la mise en oeuvre du forfait social prévu à l'article 13 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 N° Lexbase : L9768ICR) et l'Acoss (lettre circulaire n° 2009-014 du 4 février 2009 N° Lexbase : L9769ICS) précisent les conditions de mise en oeuvre de cette contribution spécifique, ainsi que ses modalités de recouvrement.

Il faut rappeler, avant de commencer, l'enjeu des "niches sociales", appréhendé au regard du solde déficitaire du budget de la Sécurité sociale. Pour l'année 2009, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base de Sécurité sociale, entre les prévisions de recettes et les objectifs de dépense, le budget est négatif pour la branche maladie (- 3,8 milliards d'euros), vieillesse (- 7,2 milliards d'euros), famille (- 0,5 milliards d'euros), et à l'équilibre pour la branche AT/MP. Toutes branches confondues, les objectifs de dépense dépassent de 11,4 milliards d'euros les prévisions de recette.

I - Les "niches sociales" : état des lieux

A - Niches sociales : mesure de la gravité

L'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale pose le principe de l'universalité de l'assiette des cotisations sociales, en indiquant que sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment, les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire.

Le même article L. 242-1 prévoit, cependant, certaines exceptions, pouvant être regroupées en quatre catégories :

- les dispositifs d'épargne salariale, qui peuvent prendre deux formes : l'actionnariat salarié (stock-options et actions gratuites) et la participation financière (plan d'épargne d'entreprise, plan d'épargne retraite, participation, intéressement) ;

- les aides directes au financement de besoins précis des salariés : titres-restaurant, chèques-vacances, chèque emploi service universel (CESU), chèques-transport ;

- les dispositifs de prévoyance complémentaire et de retraite supplémentaire : depuis la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM), seules les contributions des employeurs à des régimes présentant un caractère collectif et obligatoire sont exclues de l'assiette des cotisations de sécurité sociale, dans certaines conditions ;

- les indemnités versées dans certains en cas de rupture du contrat de travail, à hauteur de la fraction de ces indemnités qui est assujettie à l'impôt sur le revenu.

Bien qu'exclus de l'assiette des cotisations de sécurité sociale, ces rémunérations ou gains particuliers sont, pour la majorité d'entre eux, assujettis à la CSG et à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). L'ensemble de ces niches sociales représente, désormais, une assiette très significative et un manque à gagner réel pour la Sécurité sociale. Les données chiffrées alimentées par les travaux parlementaires (1) donnent la mesure du manque à gagner, en termes de recette estimée, pour la Sécurité sociale en 2009. Selon les données du ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, les "exemptions d'assiette" s'élèveraient à 46,1 milliards d'euros en 2009 (annexe 2). Les pertes de cotisations sociales afférentes représenteraient 9,8 milliards d'euros, avant la mise en place du "forfait social".

De plus, ces niches sociales connaissent un fort développement. Les dispositifs d'exemptions d'assiette se caractérisent par un dynamisme qui se prolonge durablement après la phase de montée en charge. La mise en place des exemptions d'assiette a permis d'inciter les employeurs à l'essor initial de ces dispositifs. Bien après leur création, ils continuent d'évoluer encore nettement plus rapidement que l'assiette des cotisations, quand bien même sont prévues, au niveau de chaque entreprise, des clauses de non-substitution avec des éléments de rémunération existants, lesquelles jouent, surtout, à court terme.

En outre, ces dispositifs ne sont pas équivalents aux exonérations de charges sociales en matière de droits des salariés. En effet, les sommes exclues de l'assiette des cotisations ne sont pas retenues pour le calcul des meilleures années et donc du montant des pensions de retraite. Par ailleurs, à la différence des exonérations de charges sociales, les exemptions d'assiette sont plus concentrées sur les grandes entreprises que sur les petites.

Enfin, ces exemptions d'assiette ne donnent généralement pas lieu à compensation par le budget de l'Etat. Elles sont, de fait, généralement antérieures à la loi n° 2004-810 du 13 août 2004, relative à l'assurance maladie (N° Lexbase : L0836GT7), qui a posé le principe de leur compensation, mais pour les seules mesures instituées postérieurement à la loi.

B - Diversité des réponses

Certaines de ces "exemptions d'assiette" ont été révisées récemment, notamment par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 (loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 N° Lexbase : L5482H3G) :

- l'article 16 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 a, ainsi, institué, à la charge des employeurs et au profit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), une contribution de 50 % sur les avantages de préretraites ou de cessation anticipée d'activité versés à d'anciens salariés (CSS, art. L. 137-10 N° Lexbase : L4465H9A) ;

- l'article 13 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 a créé deux contributions, l'une à la charge des employeurs, l'autre à celle des salariés, sur les stock-options et les actions gratuites, applicables aux options consenties à compter du 16 octobre 2007 (CSS, art. L. 137-13 N° Lexbase : L4300H97).

Est-ce, pour autant, suffisant ? Le modèle de plus en plus universel de couverture des risques sociaux impose que l'ensemble des revenus participent de manière proportionnée à son financement. L'institution du forfait social était, d'ailleurs, appelée de ses voeux par la commission du Sénat qui, en 2007, avait adopté le principe de l'instauration d'une "flat tax" sur l'ensemble des assiettes exemptées.

Fallait-il mettre en place une contribution (le forfait social, en l'espèce) plus ambitieuse ? Certains parlementaires ont regretté que l'intégralité de l'assiette actuellement exemptée de charges sociales et non soumise à un prélèvement spécifique n'ait été retenue pour l'application du forfait social. Au cours des travaux parlementaires (vote de la loi de financement de la Sécurité sociale 2009), le Sénat (2) avait proposé d'étendre l'assiette du forfait social à l'ensemble des assiettes exemptées de cotisations sociales et non soumises, par ailleurs, à une cotisation patronale spécifique, c'est-à-dire pour l'essentiel à diverses aides directes aux salariés (titres restaurant, chèques vacances, avantages du comité d'entreprise, Cesu préfinancé, prime transport) (annexe 3).

II Régime juridique du forfait social

Le législateur a donc apporté une réponse (partielle) à la question des "niches sociales", par la mise en place d'un forfait social, conformément aux recommandations exprimées par la Cour des comptes (Rapport sur la Sécurité sociale, septembre 2007 (3)) et par la mission d'information commune de l'Assemblée Nationale sur les exonérations de charges sociales (rapport juin 2008 (4)).

A - Champ d'application

Sont assujettis à la contribution spécifique de 2 % les rémunérations ou gains répondant au double critère fixé par l'article L. 137-15 du Code de la Sécurité sociale : un critère d'exclusion de l'assiette des cotisations de sécurité sociale (telle que définie aux articles L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale et L. 741-10 du Code rural) ; et un critère d'assujettissement à la CSG (CSS, art. L 136-1).

Ainsi, au 1er janvier 2009, entrent dans le champ du forfait social :

- les sommes versées par l'entreprise au titre de l'intéressement ou de la participation, visées aux articles L. 3312-4 (N° Lexbase : L1077H9R) et L. 3325-1 (N° Lexbase : L1220H93) du Code du travail ;

- les abondements de l'employeur aux plans d'épargne d'entreprise (PEE), aux plans d'épargne interentreprises (PEI) ou aux plans d'épargne pour la retraite collectif (PERCO), visés à l'article L. 136-2, II, 2°, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2714ICI). Les abondements de l'employeur à un PERCO sont soumis au forfait social, y compris le versement initial mentionné à l'article L. 3334-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0844ICA) (dans sa rédaction issue des dispositions de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008, en faveur des revenus du travail N° Lexbase : L0844ICA) et y compris la partie de l'abondement, qui excède 2 300 euros, soumise à la contribution spécifique prévue à l'article L. 137-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0311DP9) ;

- les contributions des employeurs destinées au financement des prestations de retraite supplémentaire mentionnées à l'article L. 136-2, II, 4°, du Code de la Sécurité sociale. Le forfait social s'applique sur la part exclue de l'assiette des cotisations, en application des 6ème et 7ème alinéas de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale. Au-delà des limites fixées par l'article D. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7142HZK), les contributions de l'employeur sont soumises à cotisations sociales dans les conditions de droit commun et ne sont, par conséquent, plus soumises au forfait social ;

- les sommes versées aux sportifs professionnels, pour leur part correspondant à la commercialisation de l'image collective de l'équipe à laquelle le sportif appartient, prévue à l'article L. 222-2 du Code du sport (N° Lexbase : L4333ICH) ;

- les sommes versées au titre de la prime exceptionnelle instaurée à l'article 2 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008, en faveur des revenus du travail ;

S'agissant, plus particulièrement, de l'assujettissement au forfait social des abondements réalisés par les employeurs aux plans d'épargne entreprise (notamment, le PERCO), ainsi qu'aux régimes de retraite supplémentaires, l'instauration du forfait social paraît légitime et raisonnable, eu égard au faible taux de la nouvelle contribution (2 %). Dans la mesure où il s'agit de revenus différés pour le salarié, leur imposition, en l'occurrence au forfait social, évite un effet de substitution aux salaires. Certains sénateurs ont souligné le manque de cohérence de cette mesure avec celles envisagées, dans le même temps, dans le cadre du projet de loi sur les revenus du travail et visant à favoriser le développement de la participation et de l'intéressement.

B Exceptions

Certains éléments de rémunération sont expressément exclus du champ du forfait social par la loi. Il s'agit :

- de l'attribution de stock options et d'actions gratuites. Ces dispositions sont, d'ores et déjà, soumises à une contribution spécifique de 10 %, en application des dispositions de l'article L. 137-13 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4300H97) (circulaire n° DSS/5B/2008/119 du 8 avril 2008, relative à la mise en oeuvre de la contribution patronale sur les attributions d'options de souscription ou d'achat d'actions et sur les attributions gratuites d'actions) ;

- des contributions des employeurs aux prestations de prévoyance complémentaire, visées au 2° de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale. Pour les employeurs de plus de 9 salariés, celles-ci sont, également, assujetties à une contribution spécifique de 8 %, en application des dispositions des articles L. 137-1 (N° Lexbase : L4614ADA) et L. 137-4 (N° Lexbase : L4617ADD) du Code de la Sécurité sociale ;

- de la fraction des indemnités versées dans certains cas de rupture du contrat de travail ou à l'occasion de la cessation forcée des fonctions exclue de l'assiette des cotisations de sécurité sociale et soumise à CSG.

Au 1er janvier 2009, ces indemnités sont les suivantes :
- indemnités de licenciement (5) ;
- indemnités versées dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi (licenciement ou départ volontaire) ;
- indemnités de départ volontaire versées dans le cadre d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ;
- indemnités versées dans le cadre d'une rupture conventionnelle ;
- indemnités de mise à la retraite ;
- indemnités versées à l'occasion de la cessation forcée des fonctions des mandataires sociaux, des dirigeants et des personnes mentionnés à l'article 80 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L1776HLD).

Les dommages et intérêts versés par l'employeur sur décision des tribunaux en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ou irrégulier sont exclus du champ du forfait social au même titre que les indemnités de rupture. Par définition, la fraction de ces indemnités assujetties à cotisations de sécurité sociale et la fraction qui n'est pas soumise à CSG n'entrent pas dans l'assiette du forfait social ;

- de l'avantage résultant de la contribution de l'employeur à l'acquisition de chèques vacances, prévue à l'art. L. 411-9 du Code du tourisme (N° Lexbase : L0070HGP). Contrairement aux autres aides directes consenties aux salariées (titres restaurant, chèques emplois service universel), qui ne sont pas assujetties à la CSG et sont donc exclues du champ du forfait social, les chèques vacances sont, eux, soumis à la CSG et exonérées de cotisations de sécurité sociale et devraient, dès lors, entrer dans le champ du forfait social.

Il faut préciser, enfin, que les règles applicables en matière de recouvrement, de contrôle et de contentieux du forfait social sont celles en vigueur dans le régime général de Sécurité sociale (ou dans le régime agricole pour les employeurs qui en relèvent) pour les cotisations à la charge des employeurs assises sur les rémunérations de leurs salariés et assimilés. Le forfait social doit être déclaré aux mêmes dates que la CSG portant sur les mêmes éléments. L'assiette et le montant de la contribution doivent figurer sur le bordereau récapitulatif des cotisations ainsi que le tableau récapitulatif annuel. Le produit de cette contribution est affecté à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Le forfait social est dû au titre des sommes versées depuis le 1er janvier 2009.


(1) A. Vasselle, Rapport Sénat n° 83, tome VII, 5 novembre 2008, p. 54. V., aussi, J.-J. Jégou, Avis Sénat n° 84, 5 novembre 2008, p. 59.
(2) A. Vasselle, Rapport Sénat n° 83, tome VII, 5 novembre 2008, p. 54, préc..
(3) Rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale de septembre 2007.
(4) Y. Bur, Rapport d'information n° 1001, Assemblée nationale (XIIIème législature).
(5) S'agissant des indemnités versées en cas de rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur ou à l'occasion de la cessation forcée des fonctions des mandataires sociaux et de dirigeants de société ; des indemnités versées à l'occasion d'une rupture conventionnelle de contrat de travail et des indemnités de départ volontaire versées aux salariés dans le cadre d'un accord collectif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ces indemnités ne sont assujetties aux cotisations de sécurité sociale qu'au delà d'un montant supérieur à 6 fois le plafond de la Sécurité sociale, soit environ 200 000 euros. Entre zéro euro et un montant légal ou conventionnel, ces indemnités ne sont assujetties ni la CSG, ni aux cotisations de sécurité sociale ; entre le montant légal ou conventionnel et 200 000 euros, ces indemnités sont assujetties à la CSG et à la CRDS ; au-delà de 200 000 euros, elles sont soumises à la CSG, à la CRDS et aux cotisations de sécurité sociale au même taux que celui s'appliquant sur les salaires.


Annexe 1

(en milliards d'euros)

Dispositifs Assiette exemptée Cotisations équivalentes
Participation financière et actionnariat salarié 20,0 4,0
Dont :
participation 8,7
intéressement 7,9
plan d'épargne en entreprise (PEE) 1,3
stock-options 2,1
Protection sociale complémentaire en entreprise 17,1 3,1
Dont :
prévoyance complémentaire 13,1
retraite supplémentaire 3,8
plan d'épargne retraite collective (Perco) 0,2
Aides consenties aux salariés 5,4 1,7
Dont :
titres restaurant 2,4
chèques vacances 0,3
avantages accordés par les comités d'entreprise 2,6
Cesu préfinancé 0,1
Indemnités de rupture 3,5 0,5
Dont :
indemnités de licenciement 3,2
indemnités de mise à la retraite 0,4
TOTAL 46,1 9,4

(Source : annexe 5 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009)

Annexe 2 : Montant des exemptions d'assiette en 2009

(en milliards d'euros)

Dispositifs Montants des exemptions d'assiette
Participation financière et actionnariat salariés 20
Dont :
Participation 8,7
Intéressement 7,9
Plan d'épargne en entreprises (PEE) 1,3
Stock-options 2,1
Aides directes consenties aux salariés 5,4
Dont :
Titres restaurant 2,4
Chèques vacances 0,3
Avantages accordés par les comités d'entreprise (2004) 2,6
Chèque emploi service universel (2006) 0,1
Prévoyance complémentaire, retraite supplémentaire 17,1
Dont :
Prévoyance complémentaire 13,1
Retraite supplémentaire 3,8
Plan d'épargne retraite collective (PERCO) 0,2
Rupture du contrat de travail (2002) 3,5
Dont :
Indemnités de licenciement 3,2
Indemnités de mise à la retraite 0,4
TOTAL 46,1

(Source : annexe 5 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009)

Annexe 3 : Bilan des modalités actuelles de taxation des différentes assiettes exemptées de charges sociales

(en milliards d'euros)

Assiette 2009 (sommes versées en 2009 au titre résultat 2008) Cotisations de sécurité sociale CSG-CRDS (salariales) Contribution spécifique patronale Total charges sociales actuelles Taux du forfait social Rendement estimé du forfait social
Participation 8,7 0 8 % Non 8 % 2 % 0,174
Intéressement 7,9 0 8 % Non 8 % 2 % 0,158
PEE-Perco + retraite supplémentaire 5,3 0 8 % Non 8 % 2 % 0,106
Prévoyance complémentaire 13,1 0 (plafonné) 8 % 8 % taxe prévoyance (pour les entreprises de + 9 salariés) 16 % Non -
Stock-options et attributions gratuites d'actions 2,1 0 11 % (y compris 2 % capital et 0,3 % CSA) + 1,1 % RSA 10 % (taxe spécifique LFSS 2008) ; s'y ajoute une contribution de 2,5 % du salarié 24,60 Non -
Aides directes aux salariés (titres restaurant, chèques vacances, avantages CE...) 5,4 0 (plafond spécifique à chaque dispositif) 0 (plafond spécifique à chaque dispositif) Non 0 Non -
Indemnités de rupture 3,6 0 en dessous de 200 000 euros 8 % pour partie supérieure à l'indemnité légale ou conventionnelle Non 8 % Non -
Droit à l'image des sportifs 0,1 0 8 % Non 8 % 2 % 0,002
TOTAL 0,438

(Source : Direction de la Sécurité sociale)

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - mars 2009

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédures fiscales, réalisée par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris. Au sommaire de cette chronique, figure d'abord un arrêt du Conseil d'Etat rappelant la distinction entre vérification de comptabilité et contrôle inopiné (CE 3° et 8° s-s-r., 5 février 2009, n° 305917, M. Chang Yuk Wong). En matière de sanctions fiscales, le Conseil d'Etat, dans un arrêt récent du 16 février dernier, vient de faire un pas en avant vers la modulation des sanctions fiscales (CE Contentieux, 16 février 2009, n° 274000, Société ATOM). Par ailleurs, il convient de relever un arrêt relatif à la motivation des sanctions (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2008, n° 292286, M. Flament). Enfin, pour cette première chronique-procédures de 2009, il convenait de revenir sur la refonte de la procédure d'abus de droit consacrée par la loi de finances rectificative pour 2008 (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008).
  • Vérification de comptabilité et contrôle inopiné (CE 3° et 8° s-s-r., 5 février 2009, n° 305917, M. Chang Yuk Wong N° Lexbase : A9335ECQ)

Un simple relevé de prix constitue un contrôle inopiné, qui se distingue de la vérification de comptabilité pour laquelle existent des obligations précises qui sont autant de garanties pour le contribuable.

L'intérêt de distinguer un contrôle inopiné d'une vérification de comptabilité réside dans les garanties dont est entourée la seconde. En effet, un contrôle inopiné requalifié par le juge de vérification de comptabilité entraîne sans contestation possible la nullité des rectifications qui en découlent puisque, par hypothèse, aucun délai ne s'est écoulé entre la remise de l'avis de vérification et le début des opérations ayant pour objectif d'examiner sur place la comptabilité. Or, l'une des garanties essentielles accordées à un contribuable soumis à une vérification de sa comptabilité est le respect d'un délai minimum entre la réception de l'avis annonçant le contrôle et le commencement des opérations de contrôle sur place.

1. Définition de la vérification de comptabilité

La vérification de comptabilité est un ensemble d'opérations ayant pour objectif l'examen au fond des documents comptables et de certaines données matérielles et de fait afin de contrôler les déclarations souscrites par un contribuable. Cet examen tend à étudier la régularité, la sincérité et le caractère probant de la comptabilité en procédant à une comparaison entre les écritures comptables et les déclarations déposées (CE Contentieux, 13 mars 1967, n° 62338, RQ Foot-Ball Club de Strasbourg N° Lexbase : A4606AYA). La vérification est qualifiée de "générale" lorsque l'agent des impôts examine la situation fiscale de l'entreprise au regard de tous les impôts dont elle est redevable (impôts directs, TVA, droits d'enregistrement). Elle est qualifiée de vérification "ponctuelle" lorsque seulement certains postes sont examinés ou lorsqu'elle porte sur un seul impôt. Il existe également une vérification diagnostic qui, elle, comporte deux phases. La première, ayant pour but de vérifier si la situation du contribuable est régulière à partir d'un examen rapide des documents comptables. Au terme de cet examen qui dure quelques demi-journées, l'agent des impôts émet un avis sur l'opportunité de poursuive le contrôle de façon plus approfondie. La seconde phase consiste dans la poursuite des opérations.

2. Conditions de l'intervention inopinée des vérificateurs

Un agent des impôts peut parfaitement intervenir au siège d'une entreprise de façon impromptue, à la condition de remettre immédiatement un avis de vérification et de n'effectuer sur le champ aucune opération caractérisant une vérification de comptabilité. Lors de la remise en mains propres de l'avis de vérification, l'agent est autorisé à effectuer des contrôles purement matériels tendant à la constatation des éléments physiques de l'exploitation ou l'existence et l'état des documents comptables. Ces contrôles consistent principalement en un relevé des prix, un inventaire des stocks ou la constatation de l'existence des moyens de production. Ces simples constatations se distinguent de l'examen critique des documents comptables et du rapprochement de ces derniers avec les déclarations souscrites. Ainsi, constitue un contrôle inopiné l'intervention d'un inspecteur qui se limite à effectuer chez un restaurateur un relevé des prix à partir des menus proposés, un arrêté de situation de caisse et un inventaire physique des liquides et solides détenus, sans aucun examen au fond des documents comptables ni rapprochement des constations matérielles avec ceux-ci (Cass. crim., 11 janvier 1993, n° 91-84.706, D N° Lexbase : A2110CRL). Dans l'affaire examinée récemment par les juges du Palais-Royal, le vérificateur avait réalisé, après avoir remis l'avis de vérification, un simple relevé des prix affichés chez l'exploitant d'un commerce d'alimentation de détail, sans examiner les écritures comptables et les déclarations fiscales. Ce qui restait un contrôle inopiné.

  • Sanctions fiscales

- Modulation des sanctions (CE Contentieux, 16 février 2009, n° 274000, Société ATOM N° Lexbase : A2581EDX)

Le Conseil d'Etat vient de faire un pas en avant vers la modulation des sanctions fiscales.

Jusqu'à présent, les juges du Palais-Royal considéraient que la modulation des sanctions fiscales, qui découle des dispositions de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) était assurée par la loi elle-même qui proportionne les pénalités selon les agissements commis par le contribuable (CE Contentieux, 5 avril 1996, n° 176611, M. Houdmond N° Lexbase : A8780ANI). Autrement dit, dès lors que la loi module les taux des pénalités en fonction des infractions, nul besoin n'est de moduler le taux lui-même. En fixant le taux à 3 %, au lieu de 5 %, de l'amende pour non-respect de la loi du 22 octobre 1940, relative aux règlements par chèques (N° Lexbase : L2559ATX), il convient de vérifier si le juge a entendu revenir sur cette jurisprudence.

1. Le débat sur la modulation des sanctions

On sait, d'une part, que la proportionnalité des peines se déduit du droit au procès équitable par un tribunal impartial et indépendant posé par l'article 6 § 1 de la Convention, d'autre part, que la plupart des pénalités fiscales (notamment, CGI, art. 1729,1 N° Lexbase : L4733ICB et 1728 N° Lexbase : L1715HNT) sont considérées comme des sanctions pénales au sens du même article de la Convention. Contrairement à la Cour de cassation, qui juge sans nuance que l'article 6 de la Convention est applicable en matière fiscale (Cass. com., 20 novembre 1990, n° 89-16.473, M Donsimoni c/ Trésorier principal du 11ème arrondissement de Paris N° Lexbase : A4593AC4), le Conseil d'Etat décide que la proportionnalité est respectée dès lors qu'il peut exercer son contrôle sur les faits invoqués ainsi que sur la qualification retenue par le fisc (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juin 2007, n° 270955, Minefi c/ M. Lemarinier N° Lexbase : A8140DWE). Selon le résultat de ce contrôle, le juge maintient la pénalité ou ne laisse à charge du contribuable que les seuls intérêts de retard, simple prix du temps. De surcroît, le fait que le législateur ait prévu plusieurs sanctions selon que le redevable, en matière de TVA a, par exemple, éludé les droits en omettant de souscrire une déclaration ou a éludé les droits en omettant de mentionner des opérations sur une déclaration, permet d'estimer que la loi a assuré la modulation des peines (CE 3° et 8° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 292705, Société SIDEME N° Lexbase : A9658DZQ). Ainsi, est écarté le débat sur la modulation du taux de la pénalité elle-même.

2. Vers la modulation des sanctions ?

Dans sa décision du 16 février 2009, le Conseil d'Etat a, en fonction des circonstances de l'espèce, réduit de 5 à 3 % la pénalité encourue par un contribuable qui, notamment, perçoit de ses clients des espèces d'un montant supérieur à 762 euros. Alors que les infractions avaient été commises entre 1994 et 1996, le juge a considéré que les dispositions nouvelles, issues de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des PME (N° Lexbase : L7582HEK), devaient s'appliquer. Or, l'article L. 112-7 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7116ICK), auquel fait référence l'article 1840 J du CGI (N° Lexbase : L1854HNY), dispose que l'amende est fixée, compte tenu de la gravité des manquements, et "ne peut excéder 5 % des sommes payées en violation des dispositions susmentionnées" (les dispositions visées sont celles de l'article L. 112-6 du Code monétaire et financier).

- Motivation des sanctions (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2008, n° 292286, M. Flament N° Lexbase : A8801EBL)

Dès lors que la motivation des pénalités pour mauvaise foi, par un agent ayant le grade d'inspecteur principal, est intervenue au stade de la proposition de rectification, la procédure concernant ces pénalités est régulière quand bien même la réponse aux observations du contribuable, confirmant l'application de ces pénalités, ne comportait pas, elle aussi, le visa de l'inspecteur principal.

On sait que le fisc ne peut appliquer à un contribuable des sanctions (ce qui ne vise pas l'intérêt de retard, simple prix du temps) sans respecter certaines formalités. La décision d'appliquer les majorations prévues en cas d'insuffisance de déclaration appartient à un agent des impôts ayant au moins le grade d'inspecteur départemental et cette décision doit être motivée.

1. Motivation de la décision d'appliquer les sanctions

Bien que l'administration recommande à ses agents d'informer les contribuables de l'application de l'intérêt de retard, le juge opère une distinction entre les pénalités qui présentent le caractère de simple réparation pécuniaire de celles qui ont le caractère d'une punition.

a) Ainsi, l'intérêt de retard, considéré comme une simple sanction pécuniaire, n'a pas, en principe à être motivé. C'est le prix du temps et le juge, tant administratif que judiciaire, estime que son application n'a pas à être motivée (CE Contentieux, 27 juillet 2001, n° 211758, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Agencinox N° Lexbase : A5514AYU ; Cass. com., 6 mai 1996, n° 94-14.686, Mme Hélène Verbrugghe c/ M. le Directeur général des Douanes et droits indirects et autres N° Lexbase : A5105CNE). Cependant, l'administration conseille à ses agents d'informer le contribuable de son application.

b) Les autres pénalités, comme celles applicables en cas de mauvaise foi, doivent être motivées. En effet, cette obligation de motivation découle de la loi du 11 juillet 1979, relative à l'obligation des actes administratifs (N° Lexbase : L8803AG7). Le juge l'a confirmé pour la majoration pour mauvaise foi (CE 3° et 8° s-s-r., 1er mars 2000, n° 181665, Minefi c/ M. Rousseaux N° Lexbase : A9255AGU), pour la majoration pour défaut de déclaration (CE Contentieux, 17 février 1992, n° 58299, M. et Mme Vermeersch N° Lexbase : A5067AR4), pour la majoration de 10 % pour paiement tardif des impôts recouvrés par le Trésor public (CAA Paris, 2ème ch., 25 avril 2003, n° 99PA03592, Minefi c/ M. et Mme Laporte N° Lexbase : A7638B9R), et même pour la sanction applicable en cas d'abus de droit (CE Contentieux, 10 novembre 1993, n° 62445, M. Christian Gianoli N° Lexbase : A1343AN3).

2. Visa de l'inspecteur départemental

En vertu des articles L. 80 E (N° Lexbase : L7608HEI) et R. 80 E-1 (N° Lexbase : L7599HE8) du LPF, la décision d'appliquer les sanctions qui doivent être motivées est prise par un agent des impôts de catégorie A ayant au moins le grade d'inspecteur départemental. Cette obligation est considérée comme remplie par l'apposition du nom et de la signature de l'agent sur le document de motivation des pénalités. Ainsi, la notification de redressements qui a simplement été visée par l'inspecteur principal (grade supérieur à celui de départemental) est irrégulière dès lors qu'elle ne comporte aucune motivation des pénalités. En revanche, l'inspecteur divisionnaire qui a régulièrement signé la décision, prise dans la notification de redressements, d'appliquer une majoration n'a pas à renouveler cette formalité dans la réponse aux observations du contribuable même si cette majoration a fait l'objet d'une contestation propre dans la réponse du contribuable (CAA Lyon, 4ème ch., 9 octobre 1996, n° 94LY01467, Mme Messina N° Lexbase : A0250AZB). Cette décision vient donc d'être confirmée par la Haute juridiction.

3. Date à laquelle la motivation doit être effectuée

La motivation des sanctions doit intervenir au plus tard avant la mise en recouvrement de ces sanctions. En effet, depuis le 1er janvier 2001, selon l'article L. 80 D du LPF (N° Lexbase : L8025AEX), la motivation est portée à la connaissance du contribuable au moins trente jours avant la notification du titre exécutoire ou de son extrait. Le document qui motive la sanction doit mentionner l'existence du délai de trente jours. Cependant, dans l'hypothèse où, durant ce délai, le contribuable présente des observations, la loi n'impose pas à l'administration de répondre, ce qui signifie que ces observations n'ont pas pour effet d'engager un débat. Bien entendu, selon la doctrine administrative, si ces observations sont fondées, l'administration en tient compte (Doc Adm 13 L 1611 n° 17 du 1er juillet 2002).

  • Refonte de l'abus de droit : prise en compte de la fraude à la loi et rééquilibrage du comité (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008, art. 35 N° Lexbase : L3784IC7)

La loi de finances rectificative pour 2008 a consacré la refonte de l'abus de droit. La nouvelle version de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU), issue de l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008, intègre désormais le concept de fraude à la loi, concept introduit par la jurisprudence.

La nouvelle rédaction est la suivante : "Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles".

La notion de "fraude à la loi" est donc intégrée dans la loi et le champ d'application de la procédure étendu. Par ailleurs, le Comité change de dénomination, sa composition est modifiée et le régime des pénalités est réformé.

1. Légalisation de la notion de "fraude à la loi"

L'administration dispose désormais de l'alternative suivante pour écarter un acte comme ne lui étant pas opposable :

- soit elle invoque le caractère fictif de l'opération (comme auparavant) ;

- soit elle invoque la motivation exclusivement fiscale dans le cadre d'une application littérale des textes ou à l'encontre de l'esprit des textes. Autrement dit, ce critère lui permet de démontrer que, recherchant le bénéfice d'une application littérale d'un texte ou de décisions, à l'encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs, l'acte n'a pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé cet acte, aurait normalement supportées.

On remarquera, alors, que si la jurisprudence sur la fraude à la loi faisait référence à l'application littérale de textes, la nouvelle mouture de l'article L. 64 fait état de l'application littérale de textes ou de décisions. Si la notion de texte, soient les lois, décrets et arrêtés, est claire, il n'en est pas de même s'agissant des décisions. Dans l'attente des précisions que ne manquera pas d'apporter l'administration, la notion de décision devrait viser les décisions ministérielles ayant une portée générale et l'interprétation des textes fiscaux faite dans le cadre des instructions administratives.

2. Extension du champ d'application

Est désormais passible de la procédure d'abus de droit l'ensemble des actes, quel que soit l'impôt contrôlé.

a) Actes visés

Les actes s'entendent de tout document ou événement qui manifeste une volonté de produire des effets de droit. Il s'agit donc d'un acte écrit ou non, bilatéral ou multilatéral, tel un contrat ou une convention.

b) Impôts et taxes

La loi étend le champ d'application de la procédure d'abus de droit de l'article L. 64 du LPF à tout impôt et taxe, y compris les crédits d'impôts jusque-là exclus du champ d'application de l'article. En effet, l'énumération qui figurait jusqu'à présent à l'article L. 64 est remplacée par une définition générale de l'abus de droit qui ne contient aucune limitation quant aux impôts concernés par la procédure. Entrent ainsi dans le champ de la procédure les impôts qui en étaient exclus, c'est-à-dire, les taxes assises sur les salaires, la taxe d'habitation et la taxe foncière.

3. Possibilité de présenter des observations

La loi prévoit, désormais, la possibilité pour le contribuable de présenter des observations. En effet, lorsque le comité est saisi, son président doit inviter le contribuable à présenter ses observations (CGI, art. 1653 E N° Lexbase : L4698ICY). Il existait, déjà, la possibilité d'un droit de réponse pour le contribuable. Cependant, le texte nouveau organise une forme de procédure contradictoire écrite et orale, puisque le contribuable peut se faire représenter ou assister par un avocat. En effet, cette disposition a été présentée lors des débats devant le Sénat comme devant permettre une audition du contribuable et représentant de l'administration.

4. Réforme du comité

Le comité change de dénomination et sa composition est diversifiée

a) Le changement de dénomination du comité

Le changement de dénomination du comité vise à supprimer la référence à la notion de répression et au caractère consultatif. En effet, au lieu de la dénomination "comité consultatif pour la répression des abus de droit", la loi retient désormais la dénomination de "comité de l'abus de droit fiscal". Sur le fond, le comité reste toujours saisi pour avis.

b) La diversification de la composition du comité

Outre un conseiller d'Etat (président de droit du comité), un conseiller à la Cour de cassation, un conseiller-maître à la Cour des comptes et un professeur agrégé des universités en droit ou en sciences économiques (dont la présence initialement supprimée a été réintroduite au cours de la discussion du projet), l'article 1653 C du CGI modifié (N° Lexbase : L4704IC9), précise que le comité comprend également un avocat ayant une compétence en droit fiscal, un notaire, et un expert comptable. Leur nomination par le ministre chargé du Budget intervient sur proposition, respectivement, du Conseil national des barreaux, du Conseil supérieur du notariat et du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables. Une restriction à la possibilité d'être nommé membre du comité est désormais prévue : nul ne peut être membre s'il a été condamné au cours des cinq années passées à une peine d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou de gérer une entreprise.

Pour renforcer l'impartialité du comité, il est également prévu une procédure de prévention des conflits d'intérêts entre les fonctions de membres du comité et les activités professionnelles des personnes qui y siègent (CGI, art. 1653 D N° Lexbase : L4711ICH). A cet égard, tout membre doit informer le président des intérêts qu'il a détenus au cours des deux ans précédant sa nomination, qu'il détient ou vient à détenir ; des fonctions dans une activité économique ou financière qu'il a exercées au cours des deux années précédent sa nomination, qu'il exerce ou vient à exercer ; de tout mandat au sein d'une personne morale qu'il a détenu au cours des deux ans précédant sa nomination qu'il détient, ou vient à détenir. En outre, aucun membre ne peut participer à une délibération concernant une affaire dans laquelle, d'une part, lui-même ou une personne morale au sein de laquelle il a exercé des fonctions ou détenu un mandat au cours des deux ans précédant la délibération, a représenté une des parties intéressées au cours de la même période ou, d'autre part, lui-même ou une personne morale au sein de laquelle il a exercé des fonctions ou détenu un mandat au cours des deux années précédant la délibération, a représenté une des parties intéressés au cours de la même période.

En conclusion, les magistrats, qui étaient majoritaires auparavant, deviennent minoritaires.

5. Réforme du régime des pénalités

La pénalité spécifique de 80 % est désormais modulable et son recouvrement modifié.

a) La modulation du régime des pénalités

La loi introduit une modulation de la pénalité spécifique afin de la conformer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. La pénalité spécifique de 80 % est ramenée à 40 %, s'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale de l'acte constitutif d'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire (CGI, art. 1729 b N° Lexbase : L4733ICB). Sont, par exemple, concernés les actionnaires minoritaires d'une société qui, ayant fait confiance à l'actionnaire majoritaire ou au dirigeant se retrouvent partie à un abus de droit.

b) Le recouvrement des pénalités

Le dispositif nouveau vise à rendre toutes les parties à l'acte solidaires avec le contribuable contrôlé pour le paiement de l'intérêt de retard et des pénalités (CGI, art. 1754 V 1 N° Lexbase : L4624ICA).

6. Entrée en vigueur

Les dispositions nouvelles sont entrées en vigueur à compter du 1er janvier 2009, à l'exception des règles relatives à la composition du Comité de l'abus de droit fiscal, qui n'entrent en vigueur qu'en avril 2009.

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