La lettre juridique n°323 du 23 octobre 2008

La lettre juridique - Édition n°323

Éditorial

Les symptômes, la fièvre et le traitement : quand l'Etat Providence gendarme le système bancaire

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N4850BH4

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Les symptômes : été 2007, les créances douteuses de l'immobilier aux Etats-Unis conjuguées à une baisse de ce marché provoquent l'effondrement de diverses banques et une baisse des cours d'actions ; c'est la crise dite des "subprimes".

La fièvre : du 6 au 10 octobre 2008, c'est le krach des bourses mondiales, le marché interbancaire est totalement paralysé par des taux d'intérêts très élevés et une méfiance généralisée qui empêche les banques de se prêter des fonds entre elles. Elles peinent à déterminer quelle part de leurs actifs est contaminée par ces subprimes.

Le traitement : en Europe, le sommet de l'Eurogroupe, réuni le 12 octobre 2008, donne jour à un plan d'action commun pour venir en aide aux établissements en difficulté sous forme de garantie des crédits interbancaires et d'injection de capital. Sa traduction législative ne s'est pas faite attendre, la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 est parue au Journal officiel du lendemain et ne vise, ni plus ni moins, qu'au financement, non pas de l'Etat, mais de l'économie ! "Dans les grandes crises, le coeur se brise ou se bronze" écrivait Balzac, dans La Maison du chat-qui-pelote.

Sur la forme, il s'agit d'une loi de finances rectificative, LOLF oblige, puisque la garantie de l'Etat ne peut être octroyée que par une loi de finances. Il s'agit, sans doute, de la loi de finances la plus courte de tous les temps, puisque, à l'habituelle surenchère pléthorique des mesures temporaires et permanentes, cette loi préfère six articles dont, d'ailleurs, seul le sixième mérite une attention toute juridique et sur lequel revient, cette semaine, Alexandre Bordenave, Juriste, Chargé d'enseignement à l'ENS de Cachan.

Pour autant, l'article 3 de la loi ne saurait être négligé, car il tend à ouvrir des crédits supplémentaires au budget général, notamment pour couvrir l'augmentation du coût de la dette. Autrement dit, il prévoit, d'ores et déjà, le creusement de la dette nationale consécutif aux aides que devra distribuer l'Etat en vue de soutenir l'activité économique. Exit les voeux pieux des programmes présidentiels de 2007, la real politik refait surface en matière économique.

L'article 6 de la loi, donc, prévoit deux types de mesures, d'application "temporaire" (sic) : une mesure destinée à réinjecter des liquidités dans l'économie et une autre destinée à renforcer les fonds propres des organismes financiers. Concrètement, il crée d'abord une société de refinancement chargée de lever des fonds sur les marchés financiers via l'émission d'obligations garanties par l'Etat à hauteur 320 milliards d'euros. Le produit de ces émissions obligataires lui permettra de prêter aux banques sur la base de conventions entre l'Etat et ces établissements. Ces prêts seront rémunérés. Les actifs de ces banques serviront de contreparties aux prêts consentis par cette société de refinancement, dans une mesure plus large que dans le dispositif actuel de refinancement des établissements bancaires par les banques centrales. Ensuite, il crée une structure qui permettra, comme la première, de lever des financements, avec la garantie de l'Etat, mais pour prendre des participations en fonds propres ou quasi-fonds propres, à hauteur de 40 milliards d'euros.

Outre le mécanisme de financement, plusieurs questions proprement juridiques demeurent en suspens, naturellement, à la suite du vote en deux jours d'une telle disposition d'envergure.

Tout d'abord, si la seconde structure est une société dont l'Etat est l'unique actionnaire, s'agit-il d'une quasi-société, ou d'une société relevant du secteur public, ce qui aurait une incidence sur les critères "maastrichtiens" de la dette ? Ensuite, quelles seront les modalités de gouvernance de la société de refinancement qui sera une société de droit commercial sans participation majoritaire de l'Etat, pour des raisons de comptabilité "maastrichtienne" -une nouvelle fois- ? Il est exposé dans les motifs de la loi que les parlementaires doivent être étroitement associés à ce mécanisme, mais plutôt dans le cadre d'un comité de suivi qu'au sein du conseil d'administration. Or, c'est ce conseil d'administration qui va examiner la qualité des différents actifs apportés par les banques en contrepartie des refinancements. Quid d'une minorité de blocage, de l'attribution d'actions à droit de vote privilégié, du rôle d'un commissaire du Gouvernement ? Enfin, l'article 6 semble donner à l'Etat une garantie de "super premier rang". Comment peut-on créer une garantie rétroactive sur des titres antérieurs ? Quel va être le mécanisme de cession des créances ?

Il est prévu que les établissements passent une convention avec l'Etat, qui fixe les contreparties accordées en termes de garanties et qui précise leurs engagements quant à des règles éthiques conformes à l'intérêt général. C'est donc bien le droit contractuel qui devrait régir les relations plus que particulières que vont entretenir les banques et cette société de refinancement, mais sur la base d'une certaine "moralisation" des comportements bancaires.

1866, faillite de la maison d'escompte Overend & Gurney due à un défaut de paiement de la Mid-Wales Railway Company. Il en résulte un krach boursier de grande ampleur suivi d'une panique bancaire qui entraîne une crise de liquidités, une série de faillites en chaîne.

1882, le cours des titres de la banque Union Générale s'effondre provoquant sa faillite et une crise boursière et bancaire de grande ampleur essentiellement circonscrite à la France. L'Union Générale avait fondé un développement fulgurant sur des investissements hasardeux, notamment dans les mines, les assurances et les sociétés foncières, en particulier en Russie, en Autriche-Hongrie et dans les Balkans, et la spéculation boursière.

1966, les banques américaines sont à court de réserves dans un contexte où la Réserve Fédérale conduit une politique restrictive afin de contenir l'inflation. La crise se traduira par une chute des cours boursiers, une baisse des liquidités et une hausse des taux d'intérêts provoquant un fort ralentissement de l'activité économique.

Outre la référence à "29'", c'est à ces trois crises que s'apparente la crise financière actuelle. Mais, la différence majeure réside en une réaction politique sans précédent dans les jours qui ont suivi le krach. "Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise" (Jean Monnet).

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Bancaire

[Textes] Perspectives juridiques variées sur le marché du crédit

Réf. : Loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008, de finances rectificative pour le financement de l'économie (N° Lexbase : L6270IBT)

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N4874BHY

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par Alexandre Bordenave, Juriste, Chargé d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan

Le 07 Octobre 2010

Il est des champs disciplinaires qui ne franchissent qu'imparfaitement les frontières ou la barrière des langues. Ce que les anglo-saxons appellent "Law and Economics", et que nous traduisons pauvrement par "économie du droit" ou "analyse économique du droit" en est un bel exemple : la discipline est timidement accaparée par les économistes et trop souvent ignorée par les juristes, alors même qu'elle contient des grilles d'analyse pertinentes. Son objet est d'appliquer la théorie économique à l'étude de la formation, de la structure, du processus et de l'impact économique du droit des institutions (1).
Parmi les théories propres au "Law and Economics", la théorie du contrat ouvre un univers entier de perspectives susceptibles d'être mobilisées, eu égard à tel ou tel phénomène. Presque naturellement, c'est le cas en matière de droit bancaire et financier (2). En effet, le marché du crédit est un terrain idéal pour faire se confronter concepts juridiques et théories économiques. De discussion de salon, le sujet devient quasiment d'intérêt public dans une période marquée par un sévère resserrement de crédit (3), concomitamment à une crise de liquidité d'ampleur. Nous nous proposons ici, sans prétendre à aucune exhaustivité dans l'approche, d'investiguer brièvement en la matière afin de constater que, sur le marché du crédit, le droit peut être, tour à tour, un risque à gérer et une opportunité à saisir en invitant les banquiers (4) à s'intéresser aux projets de leurs clients emprunteurs (I) et en leur donnant les moyens de se refinancer, même en période troublée (II).

I - L'association du banquier aux projets du client

Ne le perdons pas de vue : l'air du temps est à la finance solidaire (5), et dans une moindre mesure au solidarisme contractuel. Sans prendre parti sur ces questions, plusieurs décisions rendues en 2008 par la Cour de cassation invitent le banquier à s'intéresser aux projets de son client : en dépend ainsi la possibilité ou non d'annuler le contrat sur le terrain de la cause (A) ou de sanctionner le professionnel du crédit en raison de l'inexécution de son devoir de conseil (B). Dans une perspective économique, cela ajoute au risque dont le banquier doit tenir compte dans son activité et influe donc sur le marché du crédit.

A - Sur la cause du contrat de crédit

Après l'arrêt posant le principe selon lequel "le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat réel" (6), la Cour de cassation avait cru bon devoir aller jusqu'à juger que la cause du contrat de prêt réside dans le profit attendu par l'emprunteur, associant ainsi très étroitement le banquier au projet de son client (7).

Les deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 19 juin 2008 (8) ont sonné le glas de cette dernière approche, clairement trop subjective. Le parti pris est celui d'un retour à la jurisprudence de l'an 2000 : lorsqu'il est consenti par un professionnel, le contrat de prêt est un contrat consensuel (n° 06-19.753), ce qui n'est pas le cas lorsque le prêteur n'a pas pour profession l'octroi de financements (n° 06-19.056). Notons que le "clair-obscur" créé par les deux décisions est toujours chose bonne à prendre pour le commentateur en quête de sens. Compte tenu des règles attrayant au monopole bancaire (9), on peut légitimement en conclure (comme auparavant) que, dans leur immense majorité, les contrats de prêt soumis au droit français sont des contrats consensuels.

Ces deux décisions interpellent surtout en ce qu'elles recourent à la cause de l'obligation de l'emprunteur :

- dans le contrat de prêt "réel", celle-ci réside dans "la remise de la chose" ;
- dans le contrat de prêt "consensuel", il s'agit de l'obligation dont est débiteur le prêteur. Cela revient purement et simplement à affirmer que la raison pour laquelle l'emprunteur s'engage à restituer les sommes prêtées est que le prêteur a contracté une obligation de les lui remettre.

Certainement inspiré par la jurisprudence de 2006 (précitée), dans la seconde espèce (n° 06-19.753), l'établissement de crédit plaidait que les fonds prêtés n'avaient pas reçu l'affectation convenue entre les parties et que, partant, le contrat était dépourvu de cause et était donc nul. Ce n'est pas ainsi que l'entend la Cour de cassation, s'appuyant sur le fait relevé par la cour d'appel que "l'utilisation [des sommes prêtées] par les emprunteurs, décidée postérieurement à l'exécution de son obligation par [le prêteur], était sans incidence sur la cause de l'obligation". C'est d'ailleurs cohérent avec la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation selon laquelle la cause doit s'apprécier seulement au moment de la formation du contrat (10). En bref, la cause du contrat de prêt conclu avec un professionnel réside dans la remise des fonds et se fige au moment de la conclusion du contrat, à moins que les parties n'aient souhaité faire entrer dans le champ contractuel les motifs "économiques" de l'opération.

Sans prendre part à un débat enivrant sur la nécessité d'unifier l'analyse de la cause du contrat de prêt (11), nous nous contenterons de remarquer que, le 19 juin 2008, la Cour de cassation n'a pas renoncé à inciter les banquiers, même à titre simplement subliminal, à rechercher les motifs de leurs clients à l'occasion de l'emprunt, ce à quoi les invite aussi un arrêt rendu trois mois plus tard.

B - Un peu de méthode dans l'octroi des crédits !

Dans la seconde espèce tranchée par la Cour de cassation le 19 juin 2008 (n° 06-19.753), l'un des arguments du pourvoi tenait à l'absence de mise en garde de l'emprunteur par le prêteur : l'argument fit d'ailleurs mouche puisqu'il constitue le seul motif de cassation relevé par les juges suprêmes. Il est exact que le discours sur le non-respect de son obligation de mise en garde par le prêteur est devenu un classique des prétoires. L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 septembre 2008 en témoigne, lui aussi (12).

Sur le fond, cette décision n'a rien de novateur : elle ne fait que s'inscrire dans la continuité d'une longue série d'arrêts relatifs au devoir de mise en garde du banquier (13). En revanche, cette décision prend tout son sens eu égard à la pédagogie dont elle fait preuve vis-à-vis des juges du fond (et, par conséquent, des établissements de crédit).

Il est inutile de s'appesantir sur des faits tristement banals ; non, ce qui a rendu l'arrêt commenté digne de la mention F-P+B+I, c'est son allure de vade-mecum. Désormais, il semble que, confronté à des faits l'amenant à se poser la question du devoir de mise en garde du banquier à l'occasion de l'octroi d'un prêt, tout bon juriste doit raisonner en deux temps :

1- Les emprunteurs étaient-ils des "emprunteurs avertis" ?

Dans les faits de l'espèce, les emprunteurs "envisageaient de créer un village de vacances". Partant, il était possible de les qualifier de professionnels... ce qui n'implique pas nécessairement qu'ils étaient des emprunteurs avertis. A la manière des raisonnements tenus s'agissant de l'application des règles relatives aux clauses abusives (14), la première chambre civile de la Cour de cassation refuse d'assimiler parfaitement l'emprunteur professionnel à l'emprunteur averti (15). La ligne de départ se trouve -aujourd'hui- entre celui qui est rompu aux techniques bancaires et celui qui les ignore. C'est au demeurant pleinement cohérent avec l'approche retenue pour la définition de l'investisseur qualifié : une personne morale (par essence, professionnelle) n'est pas nécessairement un investisseur qualifié, mais une personne physique peut l'être (16). Avouons le plaisir certain qu'il y a à constater que droit de la consommation, droit bancaire et droit financier s'entendent sur les principes d'appréhension du discernement des sujets de droit.

2 - Le banquier s'est-il correctement acquitté de son devoir de mise en garde ?

Si la réponse apportée à la première question est positive (et seulement dans ce cas (17)), alors il convient de s'interroger sur la bonne exécution par le banquier de son devoir de mise en garde. Dans l'arrêt qui nous intéresse, il apparaît que les juges du fond s'étaient contentés de considérer à cet égard que l'établissement de crédit en cause avait renseigné les emprunteurs sur les "charges du prêt". C'est évidemment insuffisant : le devoir de mise en garde va plus loin qu'une simple obligation d'information sur les charges du prêt (qui, au demeurant et pour l'essentiel, sont déjà l'objet de l'obligation de préciser "dans tout document constatant un contrat de prêt" le taux effectif global (18)). La Cour de cassation l'exprime en des termes limpides : le banquier dispensateur de crédit doit remplir son devoir de mise en garde en prenant en ligne de compte "les capacités financières" de l'emprunteur et le "risque de l'endettement né de l'octroi du prêt", ce qui implique en conséquence de se renseigner précisément sur l'emprunteur et son projet. Une fois encore, le juge fait du banquier un personnage nécessairement curieux. Peut-être cette soif de curiosité se trouvera-t-elle plus aisément rassasiée lorsque le Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (19) aura été remplacé par un fichier positif regroupant les encours de prêt des clients des établissements de crédit.

Ici, la Haute juridiction reproche à l'arrêt d'appel de n'avoir fait preuve ni de méthode, en ne se posant pas la question du caractère "averti" ou non des emprunteurs, ni de rigueur en limitant trop le devoir de mise en garde du banquier. Comme le Professeur Legeais (20), nous sommes d'avis que la prochaine transposition de la Directive 2008/48/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs (N° Lexbase : L8978H3W) et l'introduction en droit français d'un "devoir d'éclairer", dont seraient débiteurs les établissements de crédit à l'occasion d'opérations de prêt, risque de légèrement dégrader la situation de ces derniers, les amenant peut-être à se montrer encore plus prudents (21) en octroyant des prêts.

Le droit peut aussi jouer le rôle d'aiguillon du marché du crédit en lui offrant des solutions nouvelles.

II - Refinancer les établissements de crédit pour relancer le crédit

La faillite de la banque américaine Lehman Brothers, en septembre dernier, a aggravé le phénomène de credit crunch généré à l'été 2007 par la crise des subprimes en gelant, de facto, le fonctionnement du marché interbancaire.

Le marché interbancaire est le marché sur lequel les banques dites de "second rang" empruntent à court terme pour faire face à leurs contraintes de refinancement. Dans la sphère réelle, l'absence de marché interbancaire contribue à la raréfaction du crédit : peinant à se refinancer, les établissements de crédit se montrent réticents à prêter.

Cette crise s'est révélée être une puissante "force créatrice du droit" : législateurs et régulateurs se sont mobilisés avec une réactivité rare pour trouver les solutions adéquates à cet inquiétant état de fait. C'est vrai tant au niveau européen (A) qu'au niveau français (B).

A - Les mesures prises par la Banque centrale européenne

La Banque centrale européenne (BCE) est l'incarnation de l'idée chère aux économistes Finn Kydland et Edward Prescott selon laquelle il n'est de pouvoir monétaire efficace car crédible que de pouvoir indépendant : aussi, le droit communautaire a-t-il fait de la BCE une institution indépendante (22) chargée de définir et mettre en oeuvre "la politique monétaire de la Communauté (23). C'est à ce titre que la BCE est responsable de ce qu'il est convenu d'appeler (au sens large) les "opérations de politique monétaire" (24) (ou d'open market), parmi lesquelles les plus appréciées par les opérateurs sont généralement les opérations de prêts garantis. Ces dernières sont des prises ou des mises en pension de titres, à savoir des cessions temporaires à titre de garantie de prêts consentis par la BCE.

Les "opérations de politique monétaires" sont ouvertes aux "contreparties éligibles", soit, à titre principal, les établissements de crédit au sens des articles L. 511-1 (N° Lexbase : L9477DYN) et suivants du Code monétaire et financier qui remplissent les principales conditions suivantes :

- établissement en France métropolitaine ;
- assujettissement au régime des réserves obligatoires (25) ;
- et une situation financière ne suscitant aucune réserve.

En la matière, le nerf de la guerre est souvent constitué par la question des actifs pouvant être remis en garantis. Une attitude plus ou moins libérale en la matière influence les conditions de refinancement des banques commerciales. Par principe, les critères que doivent remplir les actifs éligibles mis en pension par les contreparties éligibles sont les suivants :

- il doit s'agir de titres de créance (comme des obligations ou des billets de trésorerie) portant intérêt ;
- les titres de créance en question doivent être prioritaires en cas d'émissions multiples ou "tranchées", admis sur un marché réglementé, faire l'objet d'une notation minimum et transférables par inscription en compte, sur un compte ouvert dans les livres de l'Eurosystème ;
- quant aux actifs auxquels sont adossés lesdits actifs, ils doivent avoir été valablement acquis selon le droit d'un Etat membre et se trouver hors de portée du cédant et de ses créanciers (y compris en cas d'insolvabilité du cédant), et ils ne doivent pas être composés de titres indexés sur un risque de crédit (26) ou de créances similaires résultant du transfert du risque de crédit via des dérivés de crédit (27).

Il revient à la BCE de procéder à l'évaluation des différents actifs disponibles sur le marché, avant de les inscrire ou non sur la liste des actifs éligibles (28). Le 17 octobre 2008, pour remédier à la crise de liquidité, le Conseil des Gouverneurs de la BCE (29) a décidé d'assouplir jusqu'à la fin de l'année 2009 les critères d'éligibilité en acceptant en garantie :

- les titres de créance émis au sein de la zone euro mais libellés en dollars américains, en livres sterling ou en yens (30) ;
- les titres subordonnés mais garantis (31) ;
- et des titres dont la notation est BBB- (32).

B - Les mesures françaises

Au plan juridique, l'action entreprise par la France face à la crise bancaire se trouve inscrite dans la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008, de finances rectificative pour le financement de l'économie, et plus précisément à l'article 6 de cette dernière qui prévoit trois dispositifs d'intervention publique.

1 - Le premier dispositif s'articule autour de la mise en place d'une "société de refinancement" (loi n° 2008-1061, art. 6 II, A). Manifestement, il s'agit d'une structure ad hoc. Sans être une société étatique, sans même que la composition de son capital soit prévue par la loi, elle est inféodée aux pouvoirs publics :

- ses statuts et dirigeants sont agréés par arrêté du ministre de l'Economie (33) ;
- et un commissaire du Gouvernement assiste aux séances de son organe d'administration avec un droit de veto sur certaines décisions.

Par ailleurs, ce n'est pas un établissement de crédit mais :

- cette société est soumise au contrôle de la Commission bancaire ;
- et elle peut bénéficier des garanties financières de l'article L. 431-7-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2814G94).

L'idée principale est d'organiser, jusqu'au 31 décembre 2009 (loi n° 2008-1061, art. 6, II, C), l'émission par ce véhicule de titres (en particulier des obligations) bénéficiant, à titre onéreux, de la garantie de l'Etat dans la limite de 360 milliards d'euros (loi n° 2008-1061, art. 6, V) et pour une durée de cinq ans (34). Le produit de ces émissions doit permettre à la société de refinancement d'octroyer des crédits aux établissements de crédit agréés en France, en contrepartie d'un transfert de propriété à titre de garantie avec un surdimensionnement de certains actifs présentant un très faible risque de défaut ou garantis (35). Enfin, cette société de refinancement a la possibilité d'acquérir temporairement des titres émis par les établissements de crédit bénéficiaires pour un montant égal au principal, intérêts et accessoires du prêt consenti.

Outre quelques "exotismes" de rigueur (telle que l'obligation pour les établissements bénéficiant de prêts accordés par l'entité de conclure avec l'Etat une "convention précisant les engagements des établissements et de leurs dirigeants sur des règles éthiques conformes à l'intérêt général" : loi n° 2008-1061, art. 6, II, A), la structure ressemble à s'y méprendre à une méta-société de covered bonds (36), preuve qu'une bonne idée est toujours prompte à être recyclée.

2 - Le deuxième dispositif prévoit le recours à la jeune société de prise de participations de l'Etat, ayant pour objet d'apporter des fonds éligibes aux "Tier One" et "Tier Two" (au sens de la réglementation dite "Bâle II") (37) aux "organismes financiers" (38) en ayant besoin. Cette solution a déjà bénéficié à Dexia et, encore plus récemment, à six groupes bancaires français.

3 - Enfin, la loi autorise, en cas d'urgence, le ministre de l'Economie à accorder la garantie directe de l'Etat à titre onéreux aux emprunts souscrits par les établissements pour les besoins de leur refinancement.

Voici donc brossées quelques modestes perspectives sur quelques interactions particulières que la sphère juridique a entretenu cette année avec le marché du crédit. Au plan épistémologique, elles soulignent la place que pourrait prendre plus systématiquement dans le droit français le "Law and Economics". Au plan méthodique, elles mettent en évidence la complexité qui existe à légiférer à bon escient dans une matière technique, souvent difficilement apprivoisable. Au plan normatif, elles laissent espérer les meilleurs résultats pour une approche et une loi volontaristes, mais aussi une prochaine réflexion sur les fondamentaux du système financier international. A l'heure où l'on parle d'un "épisode 2" pour la conférence de Bretton Woods, souvenons-nous du Cid : "à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire" (39) ; ceux qui réussiront ici seront assurément glorieux !


(1) N. Mercuro, S. Medema, Economics and the Law, From Posner to Post-Modernism, Princeton University Press, 1997, p. 3.
(2) Même si, reconnaissons-le, ce n'est pas le champ de prédilection du "Law and Economics" qui lui préfère souvent le droit de la concurrence.
(3) Credit crunch, en anglais. Il s'agit d'une "raréfaction de l'offre de crédit [due] à une réticence raréfaction des banques à prêter mais [qui] ne se traduit pas par une hausse des taux débiteurs" : M. Yuan et C. Zimmermann, Etranglement du crédit, prêts bancaires et politique monétaire : un modèle d'intermédiation financière à projets hétérogènes, Actes du colloque de la Banque du Canada, 1999.
(4) Terme non juridique mais représentant à proprement parler une figure incontournable du marché du crédit.
(5) Dont la finance islamique est une émanation : A. Bordenave, Les "charmes exotiques" de la loi de modernisation économique, Lexbase Hebdo n° 315 du 31 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N7052BGB).
(6) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-21.422, Société UFB Locabail c/ M. Bermond, ès qualités de liquidateur de la société Sanlaville et autres (N° Lexbase : A3516AUR), Bull. civ. I, n° 105, D., 2000, jur. 482, note S. Piedelièvre, D., 2002, somm. 640, obs. D. R. Martin.
(7) Cass. civ. 1, 5 juillet 2006, n° 04-12.588, Mme Pierrette Poulin, veuve Falcucci, F-P+B (N° Lexbase : A3632DQL), Bull. civ. I, n° 358, D., 2007, jur. 50, note J. Ghestin, D., 2007, pan. 759., obs. D. R. Martin.
(8) Cass. civ. 1, 19 juin 2008, deux arrêts, n° 06-19.056, M. Jean-Claude Bonnet, FS-P+B (N° Lexbase : A2145D9C) et n° 06-19.753, Mme Michèle Hirskowitz, épouse Feige, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2147D9E), F. Chenede, La cause de l'obligation dans le contrat de prêt réel et le contrat de prêt consensuel, D., 2008, 2555.
(9) C. mon. fin., art. L. 511-5 (N° Lexbase : L9481DYS) : "il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel".
(10) Cass. civ. 1, 16 décembre 1986, n° 85-14.386, Mlle Maucuer c/ Mme Albouys et autres (N° Lexbase : A6511AAE), Bull. civ. I, n° 306.
(11) A propos duquel F. Chenede, op. cit..
(12) Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 07-17.270, M. et Mme X c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord Midi-Pyrénées, F-P+B+I (N° Lexbase : A3910EA3).
(13) Sur lesquels la littérature est devenue extrêmement volumineuse, notamment, F. Boucard, Le devoir de mise en garde du banquier à l'égard de l'emprunteur et de sa caution, présentation didactique, Revue de Droit Bancaire et Financier, septembre-octobre 2007, p. 24, D. Tricot et H. Causse, Le devoir de mise en garde du banquier, Revue de Droit Bancaire et Financier, novembre-décembre 2007.
(14) Pour une application très explicite de cette position jurisprudentielle, on pourra utilement se référer à Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n° 02-13.285, Syndicat départemental de contrôle laitier de la Mayenne c/ Société Europe computer systèmes (ECS), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2950DHQ).
(15) Cf., notamment, Cass. com., 8 janvier 2008, n° 06-17.659, Société Bellevue, F-D (N° Lexbase : A2645D3D), JCP éd. G., 2008, II, 10055.
(16) C. mon. fin., art. D. 411-1 (N° Lexbase : L5867HZC).
(17) Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts, n° 05-21.104, Epoux X. c/ Société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre-Est (CRCAMCE) (N° Lexbase : A9645DW7) et n° 06-11.673, Mme Régine X., épouse Y. c/ Société Union bancaire du Nord (UBN) (N° Lexbase : A9646DW8), JCP éd. E, 2007, 2015, note D. Legeais, R. Routier, Devoir de mise en garde : les précisions de la Chambre mixte, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7831BBN).
(18) C. consom., art. L. 313-1 (N° Lexbase : L1517HIZ) ; C. mon. fin., art. L. 313-4 (N° Lexbase : L6403DIY).
(19) C. consom., art. L. 333-4 (N° Lexbase : L2423IBD) et s..
(20) D. Legeais, Etendue du devoir de mise en garde du banquier prêteur à l'égard d'emprunteurs non avertis, JCP, éd. E, 2008, 2245.
(21) Tout particulièrement dans un contexte économique généralement déprécié.
(22) TUE, art. 107 ; Protocole sur les statuts du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne, art. 7.
(23) Idem, art. 3.
(24) Cf. Modèle de Banque Centrale Correspondante (MBCC), décembre 2006 ; décision n° 2007-05 du 7 décembre 2007 du Comité monétaire du Conseil général de la Banque de France, relative aux instruments et procédures de politique monétaire et de crédit interjournalier de la Banque de France.
(25) Lequel est fixé par l'article 19.1 du Protocole sur les statuts du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne.
(26) Plus clairement (espérons-le) des credit linked notes : M. Jeantin, P. Le Cannu, T. Granier, Droit commercial - Instruments de paiement et de crédit Titrisation, n° 755, p. 480.
(27) A propos desquels : A. Gauvin, Droit des dérivés de crédit, Revue Banque Editeur, 2003.
(28) Liste des actifs éligibles.
(29) Le Conseil des Gouverneurs est l'organe de décision principal de la BCE : Protocole sur les statuts du système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, art. 10.
(30) En temps normal, seuls les titres libellés en euros sont admis.
(31) Ce qui, à titre exceptionnel, contredit ce qui a été exposé plus haut.
(32) A l'exception des titres adossés à des actifs (ou asset-backed securities), souvent émis à l'occasion d'opérations de titrisation dont la BCE a malheureusement appris à se méfier, dont la notation ne peut être inférieur à A.
(33) Les statuts ont fait l'objet d'un arrêté du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi le 20 octobre 2008 (arrêté portant agrément des statuts de la société de refinancement des activités des établissements de crédit N° Lexbase : L6291IBM) .
(34) L'idée étant de fournir aux établissements de crédit des solutions de refinancement à moyen et long termes, le refinancement à court terme étant correctement assurée par les opérations de politique monétaire que nous avons décrites plus avant.
(35) Cf. arrêté du 20 octobre 2008 relatif aux mobilités d'admission en sûreté des éléments d'actifs mobilisés par les établissements de crédit (N° Lexbase : L6292IBN).
(36) Qui ont fleuri sur le marché ces dernières années.
(37) C'est-à-dire des fonds propres réglementaires. Outre des prises de participation en capital, il peut s'agir de titres subordonnés constituant du quasi-capital, tels les titres subordonnés à durée indéterminée.
(38) Ce qui implique que le législateur va, ici, un peu plus loin que dans la première solution. Sans doute a-t-il voulu ménager les hypothèses de difficultés auxquelles feraient face une compagnie d'assurance.
(39) Corneille, Le Cid, Acte II, scène 2, le comte de Gormas s'adressant à Don Diègue.

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Environnement

[Evénement] L'Europe et les juges nationaux, acteurs incontournables de la défense de l'environnement au sein de l'Union européenne

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N4853BH9

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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques

Le 07 Octobre 2010

Plus que jamais, l'environnement est à l'honneur de l'actualité la plus récente. En témoignent, pour ne citer que quelques exemples, le vote des députés du 21 octobre 2008 approuvant le projet de loi sur la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement ou le remarquable arrêt du Conseil d'Etat du 3 octobre 2008 (CE Contentieux, 3 octobre 2008, n° 297931, Commune d'Annecy N° Lexbase : A5992EA8), par lequel les juges du Palais Royal ont reconnu pleine valeur constitutionnelle à la Charte de l'environnement, dont il est fait référence, depuis la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 (N° Lexbase : L0268G8G), dans le préambule de la Constitution (N° Lexbase : L1356A94) et qui, ainsi que l'énonce la Haute juridiction administrative, est directement invocable par tous les sujets de droit (1). Le Conseil d'Etat, qui, comme l'a démontré cet arrêt, se révèle être un acteur très efficace du droit de l'environnement en France, a choisi de profiter de ce contexte favorable et de la présidence française de l'Union européenne pour tenir, les 9 et 10 octobre 2008, un colloque intitulé "Le juge en Europe et le droit communautaire de l'environnement", au Centre des conférences internationales, avenue Kléber à Paris. Cette manifestation a été organisée en collaboration avec le Conseil national des Barreaux, "Les avocats et l'Europe" (2) et la Direction générale de l'environnement de la Commission européenne ("DG environnement") (3), qui, ce faisant, répond à une nécessité soulignée dans sa communication du 5 septembre 2007, Pour une Europe des résultats application du droit communautaire (COM 2007 - 502 final) : associer plus en amont les Etats membres dans le processus d'amélioration de la norme communautaire (dont 80 % de notre législation applicable en matière d'environnement est issue) dans le cadre, notamment, de l'initiative "Mieux légiférer" (4).

Cette communication insiste, également -et c'est cette même idée qui présidera tout au long de l'événement-, sur le rôle essentiel, outre celui de la Commission, des juges nationaux quant à l'effectivité du droit communautaire au niveau interne (5). En matière d'environnement, il est, d'ailleurs, prévu qu'une communication spécifique sur le rôle du juge national dans l'application du droit communautaire de l'environnement soit diffusée prochainement. Ce rôle sera d'autant plus important que les autres pouvoirs seront réticents à mettre en place une politique concrète de défense de l'environnement, notamment, comme le souligne l'un des intervenants, pour des raisons financières et parce qu'il s'agit d'enjeux à long terme.

Il semble que les magistrats aient pris conscience de leur importance. Plus d'une centaine de juges et d'avocats des vingt-sept Etats membres se sont, en effet, réunis à l'occasion de ce colloque, afin de se livrer à l'exercice voulu par la Commission, dans la poursuite de l'objectif "Mieux légiférer" : "accorder un degré de priorité élevé à l'application du droit, identifier les raisons pour lesquelles sa mise en oeuvre et le contrôle de son application ont pu se heurter à des difficultés et déterminer si l'approche actuelle de la gestion des problèmes d'application et de contrôle de cette dernière peut être améliorée" (6). Cette assistance s'est interrogée aux côtés d'importantes personnalités et d'éminents spécialistes, tels Jean-Marc Sauvé, Vice-Président du Conseil d'Etat, Claire-Françoise Durand, Directrice des services juridiques de la Commission européenne, Corinne Lepage, avocat à la cour et ancienne ministre de l'Environnement, Julio Gracia Burgues, Chef d'unité à la Commission européenne - DG Environnement, Christian Charrière-Bournazel, Bâtonnier du Barreau de Paris, Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, Vassilios Skouris, président de la Cour de justice des Communautés européennes, et bien d'autres encore...

Pour plus d'efficacité dans cette démarche, les thèmes des cinq tables rondes ont été choisis de sorte à "balayer" pratiquement l'ensemble de la matière. Ont, ainsi, été évoqués :

- l'accès à la justice en matière environnementale ;
- le nouveau régime de réparation des dommages environnementaux ;
- l'étendue du contrôle du juge dans les Etats membres ;
- le contrôle du juge en action, la réalisation d'un projet en zone "Natura 2000" ;
- la coopération entre les juges en Europe et les besoins de formation.

L'idée commune aux différentes présentations des intervenants et aux débats y relatifs est que la complexité initiale du droit communautaire de l'environnement et les interrogations qu'il suscite (notamment, en terme d'interprétation) sont renforcées par les régimes disparates des Etats membres de l'Union européenne (disparité due, entre autre, au recours aux Directives, qui, si elles fixent les résultats, laissent les Etats libres de décider des moyens). Et bien que des pistes aient été explorées pour pallier ces lacunes à l'occasion du colloque, force a été de constater que ce sujet, ô combien sensible pour tous, divise chacun. Pour preuve, l'étendue du contrôle du juge dans les Etats membres et le cas plus spécifique de la réalisation d'un projet en zone "Natura 2000" (issue des Directives 79/409 du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages N° Lexbase : L9378AUU -dite Directive "Oiseaux"-, et 93/43 du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages N° Lexbase : L7538AUQ -dite Directive "Habitats"-).

Concernant l'étendue du contrôle du juge dans les Etats membres (sujet traité lors de la troisième table ronde), les présentations des systèmes juridiques de protection de l'environnement de la Pologne et de la Finlande des deux intervenants concernés (Jan Eklund, juge au tribunal administratif de Vasaa, pour la Finlande, et Ryszard Mikosz, professeur de droit public et magistrat, pour la Pologne) ont mis en valeur le fait qu'au sein d'un même territoire, celui de l'Union européenne, cohabitent des régimes de protection de l'environnement si différents, que la question de l'équivalence des garanties qui en découlent se pose.

En Pologne, le tribunal administratif et la Cour suprême administrative exercent un contrôle sur la conformité des actes de l'administration avec la loi et, notamment, ses dispositions relatives au droit de l'environnement. Il n'existe, toutefois, pas de procédure particulière pour encadrer ce contrôle, une loi de 2002 ayant vocation à régir l'ensemble des procédures administratives. Ryszard Mikosz a, en outre, insisté sur les restrictions existantes en matière de preuve, seules les parties étant recevables à demander des preuves complémentaires et la Cour suprême n'étant pas autorisée à entendre des témoins au cours de la procédure. Quant aux procédures d'urgence (comme le référé), elles ne sont pas susceptibles de faire obstacle à l'exécution d'une ordonnance, seul le tribunal administratif pouvant suspendre l'acte, s'il existe un danger très proche dont les conséquences ne seraient pas réversibles. Pour toutes ces raisons, l'orateur conclut à l'insuffisance du contrôle de l'administration par le juge polonais. Tel n'a pas été le sentiment de Jan Eklund concernant le contrôle du juge finlandais en matière d'environnement. En Finlande, les recours contre les actes de l'administration, dont les autorisations, sont susceptibles d'appel devant la cour administrative de Vasaa, compétente pour tous litiges relatifs à l'environnement sur l'ensemble du territoire. Les juges qui connaissent de ces recours sont des juges "techniques" (Jan Eklund est, par exemple, biologiste), qui ne peuvent statuer que sur les affaires ayant trait à leurs spécialités respectives. La législation finlandaise leur impose de faire suffisamment de recherches sur le cas concerné et d'en tirer une évaluation raisonnable sur laquelle fonder leur jugement.

Ce système de spécialisation des juridictions a été plébiscité par le président de la table ronde sur l'étendue du contrôle du juge dans les Etats membres, Georges Ravarani, Président de la cour administrative du Luxembourg, vice-président de la Cour constitutionnelle de Luxembourg, qui  y voit l'avenir du contentieux de l'environnement. En revanche, il a fait l'objet de réserves de la part de Yann Aguila, Conseiller d'Etat (7), qui estime qu'un risque d'endogamie subsiste, entraînant un manque d'impartialité du juge. Selon lui, deux catégories d'incertitudes scientifiques tourmentent le juge : les questions générales qui dépassent le cas qui lui est soumis (telle la problématique des antennes-relais pour les téléphones portables) et qui nécessitent de ce fait une réponse du législateur, et les questions liées à l'espèce pour lesquelles le juge est compétent. Le Conseiller d'Etat est, également, réservé quant à la création d'une ou plusieurs juridictions spécialisées en droit de l'environnement, compte tenu du caractère transversal de cette matière (dont les dispositions en France, outre le Code de l'environnement, sont dispersées dans plus d'une quinzaine de codes).

Ainsi que le souligne Georges Ravarani, cet exemple montre que l'unification du droit de l'environnement au sein de l'Union européenne est très loin d'être réalisée, en raison, notamment, de l'attitude du "chacun pour soi" adoptée par les Etats face à cette problématique transfrontalière majeure.

Ce manque d'unification se retrouve sur un terrain qui ne peut pourtant pas se passer de la pleine collaboration des Etats membres : la protection de la zone "Natura 2000". Il s'agit d'un vaste réseau européen de zones naturelles dans lesquelles la biodiversité est protégée. Cette zone, qui représente près de 18 % du territoire de l'Union européenne, regroupe plus de 200 lieux, 700 espèces animales et 15 000 sites. Le régime fixé pour la protection de ce réseau est fondé sur un système d'autorisation préalable des activités humaines par les Etats membres, l'objectif n'étant pas de les exclure systématiquement, mais, quand cela est possible, de les concilier avec la préservation de la faune, de la flore et de l'habitat naturel. Le réseau "Natura 2000", institué par les Directives "Oiseaux" et "Habitats", peut s'avérer être une "arme redoutable" (ainsi que le qualifiait Stavros Dimas, membre de la Commission chargé de l'environnement) de la défense de l'environnement, à la condition, toutefois, que les Etats jouent le jeu, ce qui est loin d'être encore le cas, ainsi que le déplore Marie-Claude Blin, Chef d'unité adjoint à la Commission européenne, DG Environnement.

L'analyse de l'article 6 de la Directive "Habitats", qui énonce les principes de protection du réseau, démontre à quel point le rôle des Etats en la matière est important, le texte les laissant libres de déterminer les moyens à mettre en place. Le paragraphe 1 de cet article dispose, en effet, que "pour les zones spéciales de conservation, les Etats membres établissent les mesures de conservation nécessaires, impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d'autres plans d'aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées". Le paragraphe 2 de ce même article ajoute que "les Etats membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d'espèce ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées". Le paragraphe 3 met, quant à lui, à la charge des Etats membres, l'obligation d'évaluer les incidences sur le site de tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion de celui-ci, mais susceptible de l'affecter de façon significative, étant précisé qu'aucun accord ne pourra être délivré en cas d'atteinte à l'intégrité du site. Enfin, le paragraphe 4 prévoit un assouplissement, lorsqu'en dépit des conclusions négatives de l'évaluation des incidences, le plan ou projet doit, néanmoins, être réalisé pour des raisons impératives d'intérêt public majeur. Dans ce cas, l'Etat membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour s'assurer que la cohérence globale de "Natura 2000" est protégée, après information de la Commission. Les Etats sont autorisés, dans certains cas, à recueillir l'avis de cette dernière.

Or, Marie-Claude Blin dénonce des retards très fréquents dans la soumission des dossiers à la Commission par les Etats membres. Elle souligne, concernant les demandes d'avis, que celles-ci sont très rares (seuls 10 avis ayant été rendus depuis la mise en place du réseau, notamment, dans les affaires du TGV Est et du port de Rotterdam, affaire pour laquelle la concertation des différents acteurs s'est pourtant révélée redoutablement efficace). Elle regrette, également, les nombreuses polémiques soulevées par les dispositions de l'article 6 de la Directive "Habitats", ainsi que les trop nombreux litiges qui en résultent (sur les 3 000 litiges transmis à la Commission, plus de 30 % ont trait à l'environnement, dont un tiers est relatif à "Natura 2000"). Elle souligne, de façon plus générale, que seuls douze Etats membres se sont mis en conformité avec les dispositions de cet article, que six sont en voie de régulation via des mesures législatives et que neuf Etats membres posent de sérieuses difficultés.

L'importance de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes prend, dans ce contexte, toute son importance, comme le rappelle Jean-Claude Bonichot, Conseiller d'Etat en France et juge à la CJCE. Il souligne que la Cour, dans son interprétation de la Directive, est au plus proche du texte. Ainsi, elle ne laisse aucune marge d'appréciation aux Etats membres concernant le paragraphe 1 de l'article 6 : seul un choix technique leur est laissé, ceux-ci ne pouvant en aucune façon atteindre à la délimitation du site. Le contrôle de la CJCE s'opère tout particulièrement sur les paragraphes 3 et 4 de l'article 6. Concernant le troisième paragraphe, la notion de "plans et de projets" doit être comprise largement, une simple activité étant susceptible d'entrer dans cette qualification. En outre, l'obligation d'évaluation doit s'entendre strictement. Ainsi, dès qu'un risque est probable, l'Etat membre doit l'évaluer, en vertu du principe de précaution (8). Un élément de souplesse a, toutefois, été introduit dans le régime juridique par la CJCE, dans l'arrêt "Commission c/ Autriche" du 23 mars 2006 (9). La Cour a, en effet, décidé que la Directive "Habitats" ne s'applique pas aux projets lancés avant son entrée en vigueur. Jean-Claude Bonichot insiste sur le fait que, dès lors que l'absence de risque n'est pas certaine (la certitude s'entendant, dans cette matière, par l'absence de doute raisonnable), l'Etat ne peut délivrer aucune autorisation, sauf pour les cas entrant dans le champ d'application du paragraphe 4 de l'article 6. Concernant ce dernier paragraphe, pour que ces dispositions trouvent effet, l'absence de solutions alternatives doit être démontrée pour justifier de l'autorisation accordée par l'Etat in fine.

L'apport de la jurisprudence communautaire en la matière est précieux compte tenu des trop nombreuses difficultés d'interprétation du texte, comme l'indique Carlos de Miguel Perales, avocat associé au cabinet Uria & Menéndez et professeur de droit en Espagne. Pour illustrer son propos, il a, notamment, pris pour exemple le concept du "déchet", qui reste encore à éclaircir, malgré une vingtaine de décisions de la Cour de justice sur ce sujet (10). Pour autant, la Directive peut recevoir une bonne application, ainsi que l'a démontré Renate Philipp, juge à la Cour administrative fédérale d'Allemagne, qui a décortiqué la procédure suivie par son pays dans le cadre de la demande d'une autorisation afférente au réseau "Natura 2000".

L'application effective du droit communautaire dans l'ordre interne est, donc, à la portée des Etats membres, malgré la complexité de ces normes et les difficultés d'interprétation qu'elles peuvent susciter. Son application homogène au sein de l'Union européenne l'est, par conséquent, également et représente, comme le souligne Jean-Marc Sauvé, une responsabilité essentielle des juges nationaux. La CJCE a, notamment, statué en ce sens dans son arrêt "Köbler" de 2003 (11) : la responsabilité des Etats membres peut, en principe, être engagée du fait des dommages causés à un particulier par une violation du droit communautaire découlant de la décision d'une juridiction nationale suprême.


(1) Cf. Yann Le Foll, Le Conseil d'Etat consacre la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement, Lexbase Hebdo n° 83 du 16 octobre 2008 - édition publique (N° Lexbase : N4739BHY).
(2) Il s'agit d'une entité ad hoc créée pour la durée de la Présidence française de l'Union européenne, qui rassemble de façon informelle le Conseil national des Barreaux, la Conférence des Bâtonniers et le Barreau de Paris.
(3) Cette manifestation a, également, été organisée en partenariat avec l'Association des Conseils d'Etat et des juridictions administratives suprêmes de l'Union Européenne (qui regroupe la CJCE, les Conseils d'Etat et les juridictions administratives suprêmes de chacun des Etats membres de l'Union européenne), le forum des juges de l'Union européenne pour l'environnement, créé en 2004, la Fédération européenne des juges administratifs (FEJA) et la Société française pour le droit de l'environnement (SFDE), fondée en 1974, qui regroupe la communauté des juristes français de l'environnement dans une association à caractère scientifique.
(4) Le programme "Mieux légiférer" est issu de l'accord interinstitutionnel du 23 septembre 2003, qui charge l'Union européenne de se doter d'une stratégie globale, afin d'optimiser la qualité de la réglementation européenne.
(5) "Les juridictions nationales jouent, elles aussi, un rôle essentiel pour garantir le respect du droit, notamment en posant des questions préjudicielles à la Cour de justice".
(6) Communication de la Commission européenne du 5 septembre 2007, Pour une Europe des résultats - application du droit communautaire (COM 2007 - 502 final), préc..
(7) Commissaire du Gouvernement, l'arrêt du Conseil d'Etat du 3 octobre 2008, "Commune d'Annecy" précité, a été rendu sur ses conclusions.
(8) Cf. CJCE, 10 janvier 2006, aff. C-98/03, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A2045DMP).
(9) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-209/04, Commission des Communautés européennes c/ République d'Autriche (N° Lexbase : A6394DN7).
(10) Cf., not., CJCE, 18 décembre 1997, aff. C-129/96, Inter-Environnement Wallonie ASBL c/ Région wallonne (N° Lexbase : A0375AWS), CJCE, 18 avril 2002, aff. C-9/00 (N° Lexbase : A8093AYE) et lire Olivier Dubos, Insaisissables déchets ?, Lexbase Hebdo n° 22 du 24 mai 2007 - édition publique (N° Lexbase : N1708BBU).
(11) CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-224/01, Gerhard Köbler c/ Republik Osterreich (N° Lexbase : A6934C9P).

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - octobre 2008

Lecture: 11 min

N4869BHS

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010



Cette semaine, les droits de la défense sont à l'honneur. La chronique de procédures fiscales vous propose de revenir sur l'article 164 de la loi "LME" qui tire les conséquences de l'arrêt "Ravon" rendu par la CEDH le 21 février 2008, et réforme le régime des recours contentieux concernant les visites domiciliaires. L'analyse du contentieux relatif au contrôle fiscal oblige, également, à revenir sur une série d'arrêts afférents à la mention expresse et au destinataire de la proposition de rectification. Enfin, un arrêt rendu par le Conseil d'Etat, le 6 août 2008, revient sur la garantie du contribuable en cas de demande de l'administration ayant pour objectif de lui faire compléter ses observations. Plus de 20 ans après la loi "Aicardi", l'amélioration du dialogue administration-contribuables mérite, toujours autant, les précisions du juge administratif.
  • Contrôle fiscal : visites domiciliaires (loi n° 2008-776, 4 août 2008, de modernisation de l'économie, loi dite "LME", art. 164 N° Lexbase : L7358IAR)

1. Régime existant avant l'arrêt "Ravon" et l'article 164 de la loi "LME"

Pour détecter les infractions en matière d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés ou de TVA, les agents des impôts peuvent, sous réserve de l'autorisation préalable du juge, procéder à des visites en tous lieux et à des saisies de pièces et documents. Tel est le sens de L'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2901IB3) qui permet à l'administration fiscale, lorsqu'elle soupçonne une fraude en matière d'IR, d'IS ou de TVA, de solliciter une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance, afin de visiter tout lieu et de saisir tout document se rapportant à cette fraude.

Or, dans une décision récente (CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/3, Ravon N° Lexbase : A9979D4D), la Cour européenne des droits de l'Homme a décidé que les voies de recours offertes aux contribuables pour contester la régularité des visites et saisies effectuées sur le fondement de ce texte ne garantissaient pas l'accès à un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).

2. Régime nouveau

La Cour européenne des droits de l'Homme ayant jugé non conforme les voies de recours contre les ordonnances de saisies avec les exigences de la Convention, la loi a mis en place un recours devant le Premier président de la cour d'appel territorialement compétent. Elle prévoit, au lieu et place d'un recours limité au seul pourvoi en cassation, un recours de plein contentieux sur l'autorisation de visite domiciliaire et son exécution. Ce recours est applicable aux ordonnances notifiées ou signifiées à partir du 6 août 2008. Par ailleurs, pour renforcer les garanties des contribuables concernés par les opérations de visites, des dispositions sont introduites dans le texte de l'article L. 16 B.

2.1. Double recours

Il existe, désormais, une double voie de recours consistant, pour la première, en un appel devant le Premier président de la cour d'appel contre, d'une part, l'ordonnance du juge des libertés autorisant la visite et, d'autre part, le déroulement des opérations de visites ou de saisies. Dans les deux cas, l'appel doit être formé par déclaration remise ou adressée au greffe de la cour d'appel territorialement compétente. Il doit être présenté dans un délai de quinze jours à compter de la remise ou de la réception de l'ordonnance et n'est pas suspensif.

La seconde voie de recours est le pourvoi en cassation, dans un délai de quinze jours, contre l'ordonnance rendue par le Premier président.

2.2. Renforcement des droits de la défense

La faculté de faire appel à un conseil, que le texte légal ne mentionnait pas jusqu'à présent, est désormais prévue par la loi. Cette faculté doit être mentionnée dans l'ordonnance autorisant la visite. Par ailleurs, une copie des originaux du procès verbal de visite et de l'inventaire de saisie doit être adressée par lettre recommandée à l'auteur présumé des agissements frauduleux lui-même.

  • Procédure de redressements : garantie en faveur du contribuable en cas de demande de l'administration ayant pour objectif de lui faire compléter ses observations (CE 9° et 10° s-s-r., 6 août 2008, n° 295355, M. Grelineaud N° Lexbase : A0716EAR)

Lorsque le service des impôts invite un contribuable à compléter ses observations en réponse à une proposition de rectification par la production de documents susceptibles de justifier ses dires, il doit être regardé comme lui accordant une prorogation du délai de trente jours prévu à l'article R. 57-1 du LPF (N° Lexbase : L2033IBW) (depuis le 1er janvier 2008 le contribuable bénéficie de trente jours supplémentaires pour répondre s'il en fait expressément la demande dans la délai initial). Cependant, cette prorogation (du délai de trente ou soixante jours) peut être, elle-même, inférieure à trente jours, au motif que ce nouveau délai n'est pas visé par l'article L. 11 du LPF (N° Lexbase : L8436AE8).

1. Domaine de l'article L. 11 du LPF

Le délai de trente jours fixé par cet article s'applique, en principe, à toutes les demandes ou notifications relatives à l'assiette et au contrôle de l'impôt et alors même qu'aucun délai de réponse n'aurait été prévu par les textes en vigueur (Rép. min. Delfosse, JOAN 18 mai 1979, p. 4041). L'exemple le plus connu étant le délai pour répondre à une proposition de rectification. En effet, le texte de l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L5447H9M) ne prévoyant pas de délai spécifique, le délai de droit commun de l'article L. 11 s'applique. De même, lorsqu'elle adresse une demande de justifications sur le fondement de l'article L. 10 du LPF (N° Lexbase : L3904AL8), texte pour lequel aucun délai de réponse n'est prévu, puisque la demande ne présente pas un caractère contraignant, l'administration est tenue de respecter le délai de trente jours avant de mettre en oeuvre la procédure de redressements (CAA Paris, 5ème ch., 8 juin 2000, n° 97PA02186, M. et Mme Boussemart N° Lexbase : A8824BHB ; CAA Bordeaux, 3ème ch., 18 octobre 2005, n° 02BX00139, M. Michel Escartin N° Lexbase : A6063DL7 ; on remarquera, toutefois, que cette jurisprudence n'est pas complètement stabilisée puisque la cour administrative d'appel de Versailles a jugé en sens contraire, cf. CAA Versailles, 3ème ch., 27 juin 2006, n° 04VE01755, Mme Romano Gritti N° Lexbase : A2469DRU). Enfin, une demande de justifications présentée, cette fois, comme contraignante et adressée au contribuable en cours de vérification qui fixe un délai inférieur au délai de l'article L. 11 du LPF entache la procédure d'irrégularité (CAA Bordeaux, 3ème ch., 28 novembre 2006, n° 03BX02381, M. Michel Arnal N° Lexbase : A8133DSZ).

2. Demandes non visées par l'article L. 11 du LPF

Dans l'affaire examinée récemment par le Conseil d'Etat, à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'agent des impôts avait remis en cause par voie de notification de redressements la déduction de certaines charges. Comme la réponse du contribuable était incomplète, le vérificateur avait, par un courrier ultérieur, invité celui -ci à lui fournir des justifications complémentaires. On remarquera que cette démarche, non imposée par les textes en vigueur, a pour objectif de ne pas maintenir des redressements qui, lorsque la preuve du bien fondé de la position de l'entreprise est suffisamment rapportée, auraient été abandonnés dans le cadre du contentieux administratif. Cependant, dans ce courrier, l'inspecteur avait fixé au contribuable un délai d'environ 16 jours. Selon le juge, une telle décision de la part de l'administration, qui avait pour objet de permettre au contribuable d'étayer sa première réponse n'est pas au nombre des actes mentionnés à l'article L. 11 du LPF. Par suite, l'existence d'un délai inférieur au délai commun de trente jours n'avait pas entaché d'irrégularité la procédure d'imposition.

  • Contrôle fiscal : mention expresse (CE 9° et 10° s-s-r., 16 juillet 2008, n° 289948, M. Fournier N° Lexbase : A7308D9K)

Les Sages du Palais-Royal ont prononcé la décharge des intérêts de retard au profit d'un contribuable qui prétendait avoir fait connaître, par une mention expresse, les raisons pour lesquelles il ne mentionnait pas certains revenus. L'intérêt de cette décision réside dans le fait que ni le contribuable, ni l'administration ne produisaient de copie de la déclaration dans laquelle figurait cette mention expresse.

1. La notion de mention expresse

En application de l'article 1727, II-2, du CGI (N° Lexbase : L3243HZ7), l'intérêt de retard n'est pas applicable aux éléments d'imposition pour lesquels le contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées. Autrement dit, la dispense de pénalités est subordonnée à la double condition qu'une indication expresse soit portée sur la déclaration ou l'acte ou sur une note annexe et que cette indication fasse connaître les motifs de droit ou de fait justifiant la position du contribuable. Ainsi, un contribuable qui, dans une note annexée à sa déclaration, indique la liste de ses dépenses personnelles, ventilées en dix-sept catégories et détaillées dans chacune de ces catégories et précise les motifs pour lesquels il a procédé aux déductions correspondantes bénéficie de la dispense d'intérêts (CE Contentieux, 20 mai 1987, n° 48773, Ducoin N° Lexbase : A2444AP9).

La dispense de l'intérêt de retard en cas de mention expresse est susceptible de s'appliquer à toutes les déclarations ou actes comportant des éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt, quelle que soit l'imposition en cause. En revanche, la mention expresse concerne uniquement les contribuables de bonne foi (CE Contentieux, 7 mai 1982, n° 23566 N° Lexbase : A0808ALI).

2. Preuve de la mention expresse

Il appartient, en principe, au contribuable qui invoque l'exonération des pénalités à raison d'une mention expresse de produire une copie de la note explicative qu'il prétend avoir jointe à sa déclaration (Cass. com., 7 décembre 1993, n° 91-22.099, M Bleustein-Blanchet c/ Directeur général des Impôts et autre N° Lexbase : A6647ABS). Bien entendu, il ne saurait lui être imposé de produire l'original qui, lui, est détenu par l'administration. Dans l'affaire examinée récemment par le juge, il résultait de l'instruction que l'administration, qui ne contestait pas avoir reçu la déclaration, n'apportait aucun élément de nature à contredire les affirmations du contribuable selon lequel sa déclaration contenait une mention expresse. De surcroît, elle ne produisait pas l'original. Ces circonstances ont été jugées suffisantes pour décider de la décharge des intérêts de retard.

  • Contrôle fiscal : destinataire de la proposition de rectification (CE 3° et 8° s -s-r., 7 août 2008, n° 289929, M. Trombone N° Lexbase : A0698EA4 ; CAA Paris, 2ème ch., 2 juillet 2008, n° 07PA00527, M. Stéphane Uzan N° Lexbase : A9802D9W)

Deux décisions de la juridiction administrative viennent de rappeler les conditions dans lesquelles une proposition de rectification est considérée comme régulière au motif qu'elle est adressée au destinataire compétent pour la recevoir, c'est-à-dire le contribuable lui-même ou à la personne désignée par lui à cet effet. Ce principe découle des dispositions de l'article L. 57 du LPF. Son application conduit à différencier les personnes morales des personnes physiques.

1. Personnes morales

1.1. Sociétés relevant de l'IS

La proposition de rectification leur est adressée sous leur dénomination ou leur raison sociale, en indiquant la forme de la société. Pour permettre une meilleure identification, la proposition peut, également, comporter la mention du représentant légal, soit le président du conseil d'administration ou du directoire, dans le cas d'une SA, soit le gérant dans le cas d'une SARL.

1.2. Sociétés relevant du régime fiscal des sociétés de personnes

Même si les bénéfices réalisés par une société de personnes sont imposables entre les mains de ses associés pour leur quote-part de droits sociaux, c'est à la société que doivent être notifiés les redressements (Doc. adm. 13 L-1513, du 1er juillet 2002, n° 37). Par ailleurs, sous peine d'irrégularité, une proposition de rectification doit être adressée à chaque associé, à raison de sa quote-part dans les bénéfices sociaux. Cependant, au motif que chacun de ses membres représente la société, le service peut valablement envoyer la proposition à un associé, pour sa quote-part, sans avoir préalablement notifié le redressement global à la société (CE 9° et 10° s-s-r., 14 février 2001, n° 194083, Mme Orsoni N° Lexbase : A8862AQB, pour le cas d'une SCI).

1.3. Société en participation

Si la société a opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés, les propositions de rectification concernant cet impôt lui sont faites sous sa désignation sociale et à l'adresse qu'elle a fait connaître à l'administration fiscale. A défaut d'option pour le régime des sociétés de capitaux, les propositions de rectification en matière d'impôt sur le revenu sont adressées à la société pour l'ensemble des redressements et à chacun des associés indéfiniment responsable et connus du service des impôts pour leur quote-part (Doc. adm. 13 L 1513, du 1er juillet 2002, n° 40 à 42).

1.4. Transformation de sociétés

S'il y a création d'un être moral nouveau, l'ancienne et la nouvelle société font l'objet de propositions de rectifications séparées. Dans le cas contraire, la société est désignée par sa nouvelle dénomination sociale pour l'ensemble des redressements (Doc. adm. 13 L 1513, du 1er juillet 2002, n° 48 et 49). Dans l'affaire portée devant la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 2ème ch., 2 juillet 2008, n° 07PA00527, M. Stéphane Uzan), la transformation d'une SNC en SARL n'ayant pas entrainé la création d'une personne morale nouvelle en vertu de l'article 1844-3 du Code civil (N° Lexbase : L2023ABK), l'administration était en droit d'adresser la notification de redressements au représentant de la SARL.

1.5. Liquidation de sociétés

La proposition de rectification concernant une société en liquidation amiable doit être adressée au liquidateur (Doc. adm. 13 L 1513, du 1er juillet 2002, n° 47). En cas de redressement et de liquidation judiciaires, même si la personnalité morale de la société subsiste, elle ne peut plus, à compter de l'intervention du jugement ordonnant la liquidation ou la cession totale de ses actifs, être représentée que par le liquidateur et non par son gérant. Par suite, c'est le liquidateur qui est l'interlocuteur de l'administration. Pour autant, la procédure n'est pas irrégulière si, outre la notification des redressements au liquidateur, le service adresse également au contribuable une notification dans laquelle il est fait expressément référence à la notification expédiée au liquidateur (CE 3° et 8° s-s-r., 7 août 2008, n° 289929, M. Trombone, préc.).

2. Personnes physiques

Le destinataire est identifié par l'indication de ses nom, prénom, profession et adresse. On remarquera qu'une erreur quant au prénom n'emporta aucune conséquence dès lors que le document mentionne sans ambiguïté le nom, la profession et l'adresse du contribuable.

2.1. Contribuables mariés

L'administration a l'obligation de suivre la procédure de rectification avec le titulaire des revenus qu'elle contrôle. Elle doit, donc, adresser la proposition de rectification à l'époux ayant perçu les revenus en cause.

2.2. Femme mariée

La désignation d'une femme mariée ou veuve par le nom de son mari n'entache pas d'irrégularité la procédure (Cass. com., 17 mars 2004, n° 02-19.276, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6335DBA). En effet, la règle de l'article 4 de la loi du 6 fructidor qui fait défense à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens autrement que par leur nom de famille et prénom portés dans leur acte de naissance n'est pas prescrite à peine de nullité des actes.

2.3. Majeur en tutelle ou en curatelle

Lorsque la proposition de rectification concerne les revenus d'un majeur en tutelle, elle doit être adressée à son tuteur et à l'adresse de ce dernier.

En revanche, lorsque le contribuable est placé sous le régime de la curatelle, la proposition de rectification est faite directement au contribuable, mais une copie est adressée pour information au curateur (Doc. adm. 13 L 1513, du 1er juillet 2002, n° 57 et 58).

2.4. Décès du contribuable

Par application des dispositions de l'article 204, 2, du CGI (N° Lexbase : L3739HL3), la proposition de rectification peut être valablement envoyée à l'un quelconque des ayants droits ou des signataires de la déclaration de succession.

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Libertés publiques

[Jurisprudence] La caricature des attentats du World Trade Center ne fait pas rire la CEDH

Réf. : CEDH, 2 octobre 2008, Req. 36109/03, Leroy c/ France (N° Lexbase : A5370EA7)

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par Cédric Tahri, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

"On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui" (1). Telle est la leçon que nous inspire l'arrêt rendu le 2 octobre dernier par la Cour européenne des droits l'Homme. En l'espèce, M. L., ressortissant français, est dessinateur et collabore à ce titre avec différentes publications locales, dont l'hebdomadaire basque Ekaitza. A la suite des événements du 11 septembre 2001, il a remis à la rédaction d'Ekaitza un dessin symbolisant l'attentat contre les tours jumelles du World Trade Center avec une légende pastichant le slogan publicitaire d'une marque célèbre, "Nous en avions rêvé... le Hamas l'a fait". Ce dessin a été publié deux jours plus tard et a suscité de vives émotions parmi les lecteurs du journal. Le procureur de la République de Bayonne a alors fait citer l'auteur du dessin et le directeur de la publication devant le tribunal correctionnel du chef de complicité d'apologie du terrorisme Le jugement, entrepris le 8 janvier 2002, a conclu à la culpabilité des prévenus. Il a été confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Pau en date du 24 septembre 2002. Les juges du fond ont, notamment, relevé qu'en faisant une allusion directe aux attaques massives dont le quartier de Manhattan avait été le théâtre, en attribuant ces événements à une organisation terroriste notoire, et en idéalisant ce funeste projet par l'utilisation du verbe "rêver", donnant une valorisation non équivoque à un acte de mort, le dessinateur justifiait le recours au terrorisme, adhérant par l'emploi de la première personne du pluriel ("Nous") à ce moyen de destruction, présenté comme l'aboutissement d'un rêve et en encourageant, en définitive, indirectement le lecteur potentiel à apprécier de façon positive la réussite d'un fait criminel. M. L. a donc formé un pourvoi en cassation, mais celui-ci a été rejeté le 25 mars 2003 (Cass. crim., 25 mars 2003, n° 02-87-137 N° Lexbase : A8176EA3). La Haute juridiction a, en effet, considéré que la motivation de la cour d'appel était pertinente et suffisante pour démontrer qu'elle avait correctement apprécié les faits et caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit d'apologie du terrorisme. Par ailleurs, elle a estimé que les juges du fond avaient bien démontré que le délit entrait dans les exceptions prévues par le paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme .

En conséquence, M. L. a déposé une requête, le 12 novembre 2003, auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme, en alléguant, essentiellement, que sa condamnation pour complicité d'apologie du terrorisme avait entraîné une violation des articles 10 (I) et 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR) de la Convention (II).
Cependant, les juges strasbourgeois n'ont suivi que partiellement cette argumentation.

I - La non-violation de l'article 10 de la CESDH

Aux termes de l'article 10 de la CESDH, "1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. [...] 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire".

Une liberté d'expression protégée. A la lecture de cet article, force est de reconnaître l'importance attachée à la liberté d'expression. Elle constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun (2). Elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de "société démocratique".

Une liberté d'expression encadrée. Néanmoins, comme le précise l'article 10, la liberté d'expression n'est pas absolue car elle doit être conciliée avec d'autres impératifs, tels que l'ordre public ou la vie privée des individus. Ces restrictions, appréciées strictement, sont caractérisées par leur nécessité (3). L'adjectif "nécessaire", au sens de l'article 10 § 2, implique l'existence d'un "besoin social impérieux". Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour juger de l'existence d'un tel besoin, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions appliquant celle-ci. Dans l'exercice d'un tel contrôle, la Cour doit examiner l'ingérence opérée par l'Etat à la lumière de l'ensemble de l'affaire. Il lui incombe de déterminer, notamment, si l'ingérence attaquée était "proportionnée aux buts poursuivis" et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent "pertinents et suffisants" (4). Ainsi, les juges strasbourgeois doivent rechercher si un juste équilibre a été respecté entre le droit fondamental d'un individu à la liberté d'expression et le droit légitime d'une société démocratique de se protéger contre les agissements d'organisations terroristes (5).

Le problème général des caricatures. La caricature est une "forme d'expression artistique et de commentaire social [qui] par ses caractéristiques intrinsèques d'exagération et de distorsion de la réalité, [...] vise naturellement à provoquer et à susciter l'agitation" (6). Si un tel mode d'expression suppose un certain degré de provocation, il n'en demeure pas moins qu'il relève des dispositions protectrices de l'article 10 de la Convention (7). En conséquence, toute atteinte au droit d'un artiste de recourir à la caricature doit être examinée avec une attention particulière (8). Ce principe a aussi été rappelé par les juges français, notamment lors de l'affaire dite "des caricatures du prophète Mahomet" : "toute caricature s'analyse en un portrait s'affranchissant du bon goût pour remplir une fonction parodique et ce genre littéraire participe à la liberté d'expression. Il y a lieu d'examiner chaque fois si le dessin litigieux revêt un caractère injurieux au sens de la loi sur la presse et quelles personnes il vise, puis de déterminer si le prononcé d'une sanction constituerait une atteinte excessive à la liberté d'expression ou au contraire serait proportionné à un besoin social impérieux. Pour ce faire, il convient d'analyser le dessin en lui-même ainsi que le contexte dans lequel il a été publié par le journal" (9). Toutefois, l'auteur d'une caricature qui se prévaut de sa liberté d'expression assume, selon les termes du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention, des "devoirs et responsabilités". Comme l'a justement indiqué le professeur Bernard Teyssié, "l'outrage ne saurait impunément avancer sous le masque de la caricature" (10), ce qui justifie la sanction des excès les plus criants (11).

Le problème particulier de la caricature des attentats du 11 septembre. En l'espèce, la Cour européenne des droits de l'Homme a considéré que la condamnation du requérant s'analysait en une ingérence dans son droit à la liberté d'expression. Mais cette ingérence a été jugée proportionnée aux buts légitimes poursuivis, à savoir le maintien de l'ordre public et la prévention du crime. En effet, la Cour a relevé que le dessin et sa légende -fortement teintés d'antiaméricanisme- avaient été publiés deux jours après les évènements du 11 septembre, alors que le monde entier était sous le choc de la nouvelle. Cette dimension temporelle ne pouvait être ignorée de son auteur qui, de surcroît, affichait une solidarité morale avec les terroristes. Par ailleurs, les juges européens ont estimé qu'un tel message pouvait attiser les violences au pays basque, région politiquement sensible où l'hebdomadaire est diffusé. Par conséquent, la Cour a jugé "pertinents et suffisants" les motifs retenus par les juridictions internes pour condamner le requérant et a conclu à la non-violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

II - La violation de l'article 6 § 1 de la CESDH

Aux termes de l'article 6 § 1 de la Convention, "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [...] par un tribunal [...] qui décidera [...] du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle". Sur le fondement de cet article, le requérant a allégué une violation de son droit à un procès équitable, dans la mesure où il n'avait pas eu communication du rapport du conseiller rapporteur devant la Cour de cassation.

Le rapport du conseiller rapporteur. Le rapport du conseiller rapporteur est fait à l'audience et est essentiellement oral, tout comme les réquisitions de l'avocat général (12). Il se compose de deux volets : le premier contient un exposé des faits, de la procédure et des moyens de cassation ; et le second, une analyse juridique de l'affaire et un avis sur le mérite du pourvoi. Si le rapport prend la forme d'un écrit, et même s'il figure au dossier, il appartient à son auteur et ne constitue pas une pièce de la procédure (13). Il en résulte que, dans le cadre d'un pourvoi en cassation contre une décision pénale, aucune disposition légale n'impose au conseiller rapporteur de communiquer à quiconque son projet de rapport. Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation (15) et la Cour européenne (15).

L'égalité dans la communication du rapport du conseiller rapporteur. Dans la pratique, il arrivait très fréquemment que le premier volet du rapport du conseiller rapporteur ne soit pas transmis aux requérants ou à leurs conseils alors qu'il était communiqué à l'avocat général (16). Le déséquilibre ainsi créé, faute d'une communication identique du rapport aux conseils des requérants, ne s'accordait pas avec les exigences du procès équitable. Dans un arrêt "Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ France" rendu le 31 mars 1998, les juges strasbourgeois ont donc posé le principe selon lequel, dès lors que l'avocat général se voyait communiquer ce rapport, les parties devaient également bénéficier de cette communication (17). Cette solution a été maintes fois confirmée depuis cette date (18), même si la Cour européenne n'a jamais précisé la mise en oeuvre de ce principe (19).

Une communication du rapport modernisée. Depuis le 1er février 2003, la Cour de cassation a mis en place de nouveaux dispositifs pour les affaires dispensées de la représentation obligatoire. Désormais, les parties reçoivent, dès la formation du pourvoi, une note explicative sur ce recours les informant qu'elles peuvent obtenir à leur demande, auprès du service d'accueil de la Haute juridiction, tout renseignement sur le déroulement de la procédure. Cette note rappelle, notamment, que les requérants peuvent, à leur demande, librement consulter le rapport du conseiller rapporteur et s'enquérir de la date d'audience.

Une communication du rapport perfectible. Dans notre affaire, la Cour a constaté que le requérant avait été seulement informé des conclusions de l'avocat général. Il n'a pas eu connaissance de la date du dépôt du rapport du conseiller rapporteur et de la possibilité de le consulter, ce qui constituait bien une violation des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention. Il y a là un dysfonctionnement flagrant des services judiciaires qui, nous l'espérons, n'est que ponctuel.


(1) Pierre Desproges.
(2) V. CEDH, 29 février 2000, Req. 39293/98, Fuentes Bobo c/ Espagne (N° Lexbase : A7715AWN), D., 2001, p. 574, note J.-P. Marguénaud et J. Mouly.
(3) V. CEDH, 25 novembre 1999, Req. 23118/93, Nilsen et Johnsen c/ Norvège (N° Lexbase : A7462AWB) ; CEDH, 23 septembre 1994, Req. 36/1993/431/510, Jersild c/ Danemark (N° Lexbase : A6641AWU).
(4) V. CEDH, 7 juin 2007, Req. 1914/02, Dupuis et autres c/ France (N° Lexbase : A8532DWW), D., 2007, p. 2506, note J.-P. Marguénaud (Constitue une ingérence disproportionnée dans leur droit à la liberté d'expression, non nécessaire dans une société démocratique, la condamnation pour recel du secret de l'instruction ou du secret professionnel, de journalistes auteurs d'un ouvrage sur un système illégal d'écoutes téléphoniques et d'archivage organisé au sommet de l'Etat français, ayant visé de nombreuses personnalités sur plusieurs années) ; CEDH, 22 février 1989, Req. 13/1987/136/190, Barford c/ Danemark (N° Lexbase : A6476AWR).
(5) V. CEDH, 25 novembre 1997, Req. 69/1996/688/880, Zana c/ Turquie (N° Lexbase : A7554AWP). Ce souci d'équilibre se trouve également dans les dispositions de la loi française sur la presse du 29 juillet 1881. V aussi. G. Cornu, Droit civil. Les personnes, Montchrestien, 13ème éd., 2007, n° 30, p. 67 : "Trouver le juste équilibre entre deux principes d'égale valeur est le juste programme mais le rude défi de la jurisprudence".
(6) V. CEDH, 25 janvier 2007, Req. 68354/01,Vereinigung Bildender Künstler c/ Autriche (version anglaise, uniquement disponible).
(7) Comp. Cass. civ. 1, 13 janvier 1998, n° 95-13.694, M. X c/ Société Jag (N° Lexbase : A1813AC7) : la caricature "n'est licite, selon les lois du genre, que pour assurer le plein exercice de la liberté d'expression".
(8) V. CEDH, 25 janvier 2007, préc..
(9) V. TGI Paris, 17ème ch., 22 mars 2007, Société des habous et des lieux saints de l'islam et autres c/ Philippe Val (N° Lexbase : A9257DUE), Dr. Pénal, 2007, comm. 66, obs. Lepage ; ibid., 2007, Chron. 1, obs. Mouysset, JCP éd. G, 2007, II, 10079, note Derieux.
(10) V. B. Teyssié, Droit civil. Les personnes, Litec, 7ème éd., 2002, n° 36, pp. 44-45.
(11) Ass. plén., 16 février 2007, n° 06-81.785, Consistoire central union des communautés juives de France c/ M. Dieudonné M'Bala M'Bala, P+B+R+I (N° Lexbase : A2277DUU), JCP éd. G, 2007, II, 10047, note E. Derieux (propos d'un humoriste dirigés contre la communauté juive et constitutifs d'une injure publique à caractère racial) ; Cass. crim., 11 juillet 2007, n° 06-86.024, Procureur général près la cour d'appel de Paris, FS-D (N° Lexbase : A8873D87) (texte comportant des propos diffamatoires à l'égard des forces de police). Comp. Cass. civ. 1, 14 novembre 2006, n° 05-15.822, Société GIP, FS-P+B (N° Lexbase : A3641DSN), JCP éd. G, 2007, II, 10041, note Ph. Malaurie (affiche publicitaire détournant la Cène de Léonard de Vinci) ; Cass. crim, 14 février 2006, n° 05-81.932, F-P+F+I (N° Lexbase : A4337DNX), AJ pénal, 2006. 219, obs. P. Rémillieux (prospectus représentant une religieuse et un angelot dans le cadre d'une campagne de lutte contre le sida).
(12) V. C. proc. pén., art. 602 (N° Lexbase : L4433AZ9).
(13) V. QE n° 20817 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat 15 décembre 2005 p. 3209, réponse publ. 12 octobre 2006 p. 2611, 12ème législature (N° Lexbase : L6354IBX).
(14) V. Cass. crim, 6 mars 2001, n° 00-87.321 (N° Lexbase : A2874AY4), Bull. crim. n° 58.
(15) Le conseiller rapporteur peut ne rien communiquer avant l'audience, v. CEDH, 17 février 2005, Req. 42758/98, K. A. et A. D. c/ Belgique (N° Lexbase : A7519DGL).
(16) Le second volet du rapport comportant l'avis du conseiller rapporteur est réservé au délibéré. Il n'est communiqué ni aux parties, ni au parquet général. Cette pratique est conforme aux prescriptions de l'article 6 § 1 de la Convention, v. CEDH, 2 novembre 2004, Req. 69225/01, Fabre c/ France (N° Lexbase : A6896DDR), JCP éd. G, 2005, I, 103, n° 6, obs. Sudre.
(17) V. CEDH, 31 mars 1998, Req. 21/1997/805/1008, Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ France (N° Lexbase : A2965AUD), D., 1998. Somm. p. 366, obs. Baudoux, Procédures, 1998, n° 177, obs. Buisson, JCP éd. G, 1999, I, 105, obs. Sudre, RTDCiv., 1998, p. 511, obs Marguénaud.
(18) CEDH, 22 mai 2008, Req. 24252/04, Beloff c/ France (N° Lexbase : A7266D8M) ; CEDH, 6 décembre 2007, Req. 38615/02, Ledru c/ France, (N° Lexbase : A9935DZY) ; CEDH, 24 mai 2006, Req. 55917/00, Bertin c/ France (N° Lexbase : A6665DPK) ; CEDH, 1er février 2005, Req. 59477/00, SCP Huglo, Lepage et Associés Conseil c/ France (N° Lexbase : A7026DGC), Gaz. Pal., 15 mars 2007, n° 74, p. 7, note J.-G. M. ; CEDH, 1er avril 2004, Req. 65110/01, Quesne c/ France (N° Lexbase : A6549DB8), JCP éd. G., 2004, II, 10126, note Starck et Bernadet ; CEDH, 27 novembre 2003, Req. 48943/99, Slimane Kaïd c/ France (N° Lexbase : A2975DAG), JCP éd. G, 2004, I, 107, n° 6, obs. Sudre ; CEDH, 14 octobre 2003, Req. 53892/00, Lilly France c/ France (N° Lexbase : A8180C9T), Bull. inf. C. cass., 15 novembre 2003, n° 1350 ; CEDH, 25 janvier 2000, Req. 29507/95, Slimane Kaïd c/ France (N° Lexbase : A7302AWD), D., 2000, Somm. 186, obs. Fricero.
(19) V. Rép. Ministérielle précitée : "la Cour européenne des droits de l'Homme n'ayant pas prescrit de modalités particulières pour cette communication, il est admis qu'elle puisse revêtir la forme d'une mise à disposition du rapport le temps nécessaire à son recopiage".

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Social général

[Panorama] Panorama des arrêts inédits rendus par la Cour de cassation - Semaine du 13 octobre 2008 au 17 octobre 2008

Lecture: 4 min

N4875BHZ

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Le 07 Octobre 2010

Retrouvez, chaque semaine, une sélection des arrêts inédits de la Cour de cassation, les plus pertinents, classés par thème.
  • Clause de mobilité

- Cass. soc., 14 octobre 2008, n° 07-43.071, Société Otis, FS-D (N° Lexbase : A8138EAN) : la mise en oeuvre de la clause de mobilité doit être conforme à l'intérêt de l'entreprise. La bonne foi contractuelle étant présumée, il incombe au salarié de démontrer que la décision de l'employeur a été prise, en réalité, pour des raisons étrangères à son intérêt ou que la clause a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle .

- Cass. soc., 14 octobre 2008, n° 07-40.345, Société Sodexaub, FS-D (N° Lexbase : A8126EA9) : après avoir relevé qu'il ressortait des termes mêmes de la lettre de l'employeur que la mutation de la salariée avait été, en réalité, décidée en raison de ses problèmes relationnels avec son supérieur hiérarchique, la cour d'appel a retenu que l'employeur avait imposé cette mutation pour la sanctionner d'un comportement fautif alors qu'il n'était nullement avéré que celle-ci était à l'origine des difficultés relationnelles invoquées puisqu'aucune procédure disciplinaire n'avait été engagée à son encontre. Elle a donc pu en déduire qu'en utilisant la clause de mobilité de manière abusive, l'employeur avait manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail et que sa résiliation était intervenue à ses torts .

- Cass. soc., 14 octobre 2008, n° 07-41.454, M. Stéphane Trassart, FS-D (N° Lexbase : A8132EAG) : lorsqu'elle s'accompagne d'une modification de tout ou partie de la rémunération du salarié, la mise en oeuvre de la clause de mobilité suppose, nonobstant toute clause contractuelle contraire, que le salarié l'accepte. En se déterminant comme elle a fait, sans rechercher si les propositions de mutation qui avaient été faites au salarié n'avaient pas pour effet une diminution de la partie variable de sa rémunération contractuelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision .

  • Contrats à durée déterminée d'usage successifs

- Cass. soc., 14 octobre 2008, n° 07-41.287, Mme Jeanne Benard, F-D (N° Lexbase : A8131EAE) : la seule qualification conventionnelle de "contrat d'extra" n'établit pas qu'il puisse être conclu dans le secteur de l'hôtellerie-restauration des contrats à durée déterminée d'usage successifs pour ce type de contrat, pour tout poste et en toute circonstance. Par ailleurs, il appartient au juge de rechercher si, pour l'emploi considéré, il est effectivement d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée et de vérifier si le recours à des contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi .

  • Accord de fin de conflit

- Cass. soc., 15 octobre 2008, n° 07-40.259, Mme Rabia Tassa, F-D (N° Lexbase : A8124EA7) : le moyen, en ce qu'il se fonde sur un protocole de fin de conflit, par lequel la salariée aurait obtenu une prime de fin d'année, manque par le fait qui lui sert de fondement, dès lors que ledit protocole comporte seulement la stipulation selon laquelle "une prime de fin d'année sera négociée en fin d'année 2002" .

  • Principe "à travail égal, salaire égal"

- Cass. soc., 15 octobre 2008, n° 07-40.064, Société Véolia propreté, F-D (N° Lexbase : A8121EAZ) : s'il appartient au salarié, qui invoque une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence .

  • Prime/Preuve de paiement

- Cass. soc., 15 octobre 2008, n° 07-41.215, Société TNS, F-D (N° Lexbase : A8130EAD) : l'employeur peut rapporter la preuve du paiement d'une prime dont la mention ne figure pas au bulletin de paye .

  • Contrat de travail/Mention de la durée hebdomadaire/Répartition de la durée du travail

- Cass. soc., 15 octobre 2008, n° 06-46.382, Mme Sophie Gandon, F-D (N° Lexbase : A7988EA4) : selon l'article L. 212-4-3 (N° Lexbase : L7888HBR), devenu l'article L. 3123-14 (N° Lexbase : L3882IBE) du Code du travail, le contrat écrit du salarié doit mentionner la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Il en résulte que l'absence d'écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l'emploi est à temps complet et il incombe, alors, à l'employeur de rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, et, d'autre part, que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur .

  • Avancement/Refus/Pouvoir d'appréciation des juges du fond

- Cass. soc., 15 octobre 2008, n° 06-46.106, Société d'économie mixte d'équipement du Pays d'Aix (SEMEPA), F-D (N° Lexbase : A7987EA3) : la cour d'appel qui a constaté, d'une part, que l'employeur ne rapportait pas la preuve d'éléments objectifs pertinents justifiant le refus d'avancement sollicité par le salarié et, d'autre part, que ce refus n'était pas sans lien avec la procédure que ce dernier avait engagée dans un contexte de revendication syndicale, à la suite de l'installation de caméras dans ses différents parkings, a pu décider que le salarié devait être reclassé .

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Rémunération

[Jurisprudence] Chose promise, chose due ! Nouvelles précisions jurisprudentielles relatives au régime des primes versées en vertu d'un engagement unilatéral de l'employeur

Réf. : Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-40.709, Mme Martine Barbier épouse Pellen, FS-D (N° Lexbase : A4985EAU)

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N4820BHY

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Même lorsqu'il n'y est pas contraint, l'employeur peut décider d'accorder à ses salariés des avantages supplémentaires en matière de rémunération. S'il peut, en principe, déterminer librement les conditions d'attribution de ces avantages, c'est à la condition de le faire de manière précise et objective et de mettre les salariés en mesure de vérifier que ce qui a été promis a effectivement été payé ; à défaut, ce qui n'était pas dû le deviendra ! C'est cette (étrange) morale qui semble animer la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt inédit rendu le 24 septembre 2008, dans une affaire où un employeur s'était cru, sans doute, dans la position favorable de celui qui donne, alors que rien ne l'y oblige (I). Après avoir rappelé que l'employeur devait déterminer avec précision, et selon des données objectives, les conditions d'attribution des primes promises (II), la Cour de cassation neutralise les conditions, pourtant, valables lorsque les salariés n'ont pas été mis en mesure, faute d'informations suffisantes fournies par l'employeur, de vérifier que les conditions d'attribution avaient été, ou non, effectivement remplies (III).
Résumé

Lorsqu'elle est payée en vertu d'un engagement unilatéral, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement. Seule une clause précise définissant objectivement l'étendue et les limites de l'obligation souscrite peut constituer une condition d'application d'un tel engagement. Il en résulte que le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues.

La cour d'appel qui a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments qui lui étaient soumis, constaté que l'employeur avait subordonné le bénéfice de la partie variable de la rémunération à la réalisation d'objectifs dont il n'a jamais été prétendu qu'ils auraient été portés, à un moment ou à un autre, à la connaissance des salariés et vérifiables par ceux-ci, en a exactement déduit que ces conditions n'étaient pas opposables aux salariés.

Commentaire

I - Le régime des primes versées en vertu d'un engagement unilatéral de l'employeur

  • Prolégomènes sur les engagements unilatéraux de l'employeur

Alors que le droit civil n'a pas consacré l'engagement unilatéral de volonté comme source à part entière d'obligation, le droit du travail lui reconnaît une certaine valeur contraignante. L'employeur qui n'est soumis à aucune obligation légale, réglementaire, conventionnelle ou usuelle peut valablement s'engager unilatéralement à accorder au salarié des avantages particuliers. Ces derniers pourront les refuser et l'employeur ne pourra jamais imposer unilatéralement d'obligations supplémentaires aux salariés. Par ailleurs, et pour être valable, l'engagement unilatéral ne doit pas déroger aux dispositions applicables dans l'entreprise en vertu de la loi, d'un règlement ou d'une disposition conventionnelle, à moins que ce ne soit dans un sens plus favorable aux salariés (1). Il résulte de ce qui précède que, à condition de satisfaire à cette double condition, l'employeur peut valablement conditionner l'octroi de l'avantage à certaines conditions qui pourront en restreindre la portée.

Pour être valables, ces conditions d'application sont elles-mêmes soumises à certains éléments de validité.

Certaines d'entre elles résultent directement de l'application des règles du droit commun des contrats. Il en va, ainsi, de la prohibition des conditions purement potestatives, présente dans l'article 1174 du Code civil (N° Lexbase : L1276ABU), mais, également, de l'exigence de précision de l'objet présente à l'article 1129 du même code (N° Lexbase : L1229AB7).

D'autres résultent de principes plus spécifiques au droit du travail, comme l'application du principe de non-discrimination ou d'égalité de traitement, qui peuvent, par leur application, conduire le juge à neutraliser l'application d'une condition illicite et, partant, à élargir le champ d'application de l'engagement unilatéral (2).

Ce sont ces principes qui se trouvent illustrés de manière particulièrement explicite par cet arrêt inédit rendu le 24 septembre 2008 par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

  • L'engagement unilatéral passé au crible du droit commun

Dans cette affaire, la société Lucent technologies France a introduit en 1998, pour ses ingénieurs et cadres, une nouvelle structure de rémunération composée, d'une part, d'un salaire de base et, d'autre part, d'une part variable, appelée Short-Term Incentive (STI), calculée en pourcentage du salaire de base. Cette part variable était constituée pour moitié de la prime "Lucent" ou résultat financier par action, correspondant aux performances du groupe par rapport aux objectifs de l'exercice déterminés en matière d'augmentation de gain par action, et, pour une autre moitié, de la prime de l'unité, calculée au niveau international en fonction des résultats de chaque division opérationnelle du groupe par rapport à ses objectifs de résultat d'exploitation. Dans une note datée du 15 janvier 1998, il était indiqué que la prime "Lucent" n'était pas garantie si l'entreprise n'atteignait pas ses objectifs de croissance de gain par action déterminés par le conseil d'administration de la société mère américaine au début de chaque année et ne pouvant être rendus publics compte-tenu de la réglementation boursière américaine. De même, n'était pas garantie la prime de l'unité si celle-ci n'atteignait pas ses objectifs. Or, pour l'année 2000, aucune de ces primes n'avait été versée compte tenu de la non-atteinte des objectifs. En 2001 et 2002, les critères d'attribution du STI ont été modifiés par la direction du groupe et des versements partiels ont été effectués.

Soixante huit salariés de la société Lucent technologies France ont, alors, saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement, notamment, de l'intégralité de leurs parts variables prévues par les documents annuels de fixation de la rémunération, déduction faite des sommes perçues et ce, pour les années 2000 à 2003.

Les salariés avaient intégralement obtenu gain de cause devant les juges du fond, ces derniers leur attribuant même une indemnité compensatrice du droit aux congés payés assise sur l'ensemble des indemnités allouées.

Si, sur ce dernier point, la cassation est prononcée, dans la mesure où les juges du fond n'avaient pas recherché, avant d'attribuer l'indemnité compensatrice du droit aux congés payés, si les sommes déjà versées par l'entreprise ne comprenait pas une compensation du droit aux congés payés, sur le principal, c'est-à-dire sur le principe même de la condamnation de l'employeur à payer les primes litigieuses, les juges du fond sont confirmés par le rejet du moyen.

Or, cette confirmation s'accompagne de l'affirmation de principes qui fixent le régime applicable aux engagements unilatéraux de l'employeur et qui revêtent une importance théorique et pratique extrême.

II - L'obligation de préciser les conditions d'attribution des primes

  • Le principe de la libre détermination des conditions d'attribution

La Cour de cassation commence par indiquer que, "lorsqu'elle est payée en vertu d'un engagement unilatéral, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement".

Cette affirmation est parfaitement légitime.

Lorsque le paiement d'une prime trouve sa source dans une norme étrangère à la volonté de l'employeur (loi, règlement, accord collectif et même usage), c'est cette norme qui détermine elle-même les conditions du bénéfice de la prime, l'employeur étant tenu de s'y conformer. Mais lorsque l'employeur décide, alors qu'il n'y est pas contraint, d'accorder une prime, c'est alors lui qui détermine les conditions d'application et, plus largement, l'étendue de son engagement. Ce qui vaut, d'ailleurs, pour les primes créées ex nihilo par l'employeur vaut lorsque celui-ci s'engage à majorer le montant d'une prime dont le principe et le montant résultent, par ailleurs, d'une source qui s'impose à lui.

Ce n'est donc pas dans le rappel de ce principe que réside l'intérêt de la décision commentée, mais dans les conditions que la Cour de cassation impose à l'employeur pour pouvoir valablement en restreindre la portée.

  • L'exigence de précision et d'objectivité des conditions d'attribution

La Cour de cassation rappelle, tout d'abord, que "seule une clause précise définissant objectivement l'étendue et les limites de l'obligation souscrite peut constituer une condition d'application d'un tel engagement". Ce faisant, la Haute juridiction rappelle que les engagements unilatéraux sont soumis aux conditions générales de validité des obligations conventionnelles, telles qu'elles figurent dans le Code civil. Or, la condition qui peut valablement restreindre le bénéfice d'une obligation doit, non seulement, être définie de manière à être déterminée, à tout le moins déterminable, conformément à l'article 1129 du Code civil, mais, également, ne pas apparaître comme purement potestative, comme le précise l'article 1174 du Code civil.

L'exigence de précision des conditions posées pour restreindre le bénéfice d'un avantage a déjà conduit la Cour de cassation à annuler de nombreuses clauses imprécises, comme des clauses conventionnelles de mobilité qui ne détailleraient pas avec une précision suffisante leur champ d'application géographique ou professionnel (3) ou la clause contractuelle de dédit-formation qui ne préciserait pas ses conditions de mise en oeuvre (4). Dans certaines décisions précédentes, l'exigence de précision avait déjà été consacrée pour paralyser des conditions d'octroi d'engagements unilatéraux par trop imprécises (5).

En faisant référence au caractère objectif de l'étendu et des limites de la condition, la Cour de cassation rappelle, également, la distinction issue du droit civil entre les obligations simplement potestatives, valables parce que soumettant celui qui s'engage à des conditions extérieures à sa seule volonté, de la condition purement potestative, qui doit être annulée dans la mesure où la volonté du débiteur s'exprime de manière purement unilatérale (6).

III - L'affirmation d'un pouvoir de vérification du salarié

De la double exigence de précision et d'objectivité, la Cour de cassation tire une autre obligation, pesant sur l'employeur : "le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues". Ce faisant, la Haute juridiction confirme les termes de décisions précédentes, aux termes desquelles résultait le principe selon lequel "lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire" (7). Cette exigence, directement applicable au calcul de la rémunération, concerne, également, la preuve des heures supplémentaires ; "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit être en mesure de fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié dans la limite de la prescription quinquennale" (8).

Cette solution est pleinement justifiée.

Non seulement, elle semble reposer sur l'exigence de bonne foi qui doit s'imposer aux parties lorsqu'elles sont en possession d'éléments qui conditionnent la bonne exécution du contrat et qui les oblige à les communiquer à l'autre, mais elle répond à une double logique probatoire.

En premier lieu, et même si ce critère n'a pas été systématisé, l'employeur présente une meilleure aptitude à la preuve que le salarié (9). Dans ces affaires, en effet, le montant des primes dépendait de données comptables et financières auxquelles le salarié n'a pas normalement accès et il semblait nécessaire de contraindre l'employeur à les lui fournir pour qu'il puisse s'assurer qu'il avait bien été rempli dans ses droits (10).

En second lieu, l'employeur est débiteur d'une obligation d'exécution du contrat de travail, conformément aux stipulations des parties. Or, l'article 1315, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), oblige tout débiteur à prouver qu'il s'est valablement libéré de son obligation. Dès lors, il est logique, à ce titre, que l'employeur doive, pour prouver qu'il a payé le salaire ou les primes obligatoires, produire les éléments nécessaire au contrôle de la bonne exécution.

La Chambre sociale de la Cour de cassation considère, d'ailleurs, que l'employeur doit, non seulement, "porter à la connaissance" des salariés les données de nature à justifier le montant des primes versées ou les causes de leur non-versement, mais que cette information doit leur permettre de "vérifier" les éléments communiqués. L'employeur ne peut donc pas se contenter de donner des chiffres au salarié qui justifient mathématiquement le résultat, mais il doit leur fournir des documents comptables garantissant l'authenticité et la fiabilité de ces chiffres.

  • Une sanction disproportionnée du non-respect de l'obligation d'information des salariés

La sanction des manquements à cette obligation particulière d'information est, alors, bien sévère, même si les conditions posées par l'employeur sont licites, elles ne peuvent pas être valablement opposées aux salariés qui ont été privés de leur pouvoir de vérification, ces derniers pouvant, alors, réclamer le paiement intégral des primes litigieuses.

Cette solution nous semble excessive par sa généralité.

Sauf si l'employeur a triché en ne respectant pas ses propres engagements et en ne payant pas les primes alors qu'il le devait (mais, dans ce cas, les salariés peuvent en réclamer le bénéfice en justice), le manquement à cette obligation de rendre des comptes peut éventuellement causer un préjudice moral aux salariés, contraints de s'en remettre à la bonne foi de leur employeur. Mais il nous semble que la neutralisation pure et simple de la condition, qui conduit à élargir considérablement le champ de l'engagement, nous semble disproportionnée par rapport à la gravité de la "faute" commise par l'employeur, même si nous comprenons bien que, par sa sévérité, elle est de nature à garantir le respect effectif de l'obligation de rendre des comptes au salarié. Elle pourrait, d'ailleurs, produire l'effet inverse de celui escompté en dissuadant l'employeur de s'engager, alors que rien ni personne ne l'y obligeait, à accorder aux salariés de son entreprise des compléments de rémunération. En ces périodes de vaches maigres, il n'est pas certain que cette solution soit parfaitement opportune...


(1) Cass. soc., 14 juin 1984, n° 82-14.385, SARL Grohe c/ Comité d'entreprise de la Société Grohe (N° Lexbase : A1195AAI), Dr. soc., 1985, p. 192.
(2) Cass. soc., 18 janvier 2000, n° 98-44.745, Société Renault France automobiles c/ M. Fleury et autres (N° Lexbase : A4952AGI), Dr. soc., 2000, p. 436, "si l'employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c'est à la condition que tous les salariés de l'entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l'avantage ainsi accordé, et que les règles déterminant l'octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables".
(3) Cass. soc., 24 janvier 2008, n° 06-45.088, Société Jacobs France c/ M. Didier Thomas, F-P+B ([LXB=1023D4N]) et nos obs., La clause de mobilité de la convention Syntec déclarée hors la loi par la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 291 du 7 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8785BDQ).
(4) Cass. soc., 4 février 2004, n° 01-43.651, M. Olivier Lafontan c/ Société Compagnie aérienne Flandre Air, FS-P+B (N° Lexbase : A2302DBU), RDC, 2004, p. 720 et les obs. de C. Alour, Des conditions de validité de la clause de dédit-formation, Lexbase Hebdo n° 108 du 18 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N0559ABC).
(5) Cass. soc., 1er juillet 1997, n° 94-41.856, M. François Gonnet c/ Société Parfums Christian Dior, société anonyme (N° Lexbase : A7495AYA) : "la cour d'appel, à laquelle il appartenait de déterminer les conditions de son attribution si celles-ci n'étaient pas définies avec une précision suffisante par la convention des parties, a violé les textes susvisés" ; Cass. soc., 27 juin 2000, n° 99-41.926, M. Kbibech et autres c/ Société Sohito Alliance Trois Rivières (N° Lexbase : A5448AGU) : "ne peut constituer une condition d'application d'un engagement unilatéral de l'employeur qu'une clause précise définissant objectivement l'étendue et les limites de l'obligation souscrite ; [...] en statuant comme il l'a fait, alors qu'il avait relevé que l'engagement pris par l'employeur faisait référence à des résultats économiques suffisants, ce qui ne caractérise pas une condition à laquelle était soumise l'obligation, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé" ; Cass. soc., 20 juin 2007, n° 06-42.356, Société Vauban automobile, F-D (N° Lexbase : A8895DWD) : "constitue un engagement unilatéral de l'employeur la note prévoyant le versement d'une prime, seule une clause précise définissant objectivement l'étendue et les limites de l'obligation souscrite pouvant lui permettre de se soustraire à son paiement ; que la cour d'appel, qui a constaté que le salarié avait régulièrement perçu chaque mois une "prime exceptionnelle" de 4 000 francs [environ 609 euros] du mois de mars 1999 au mois d'août 2000, date de la reprise du contrat de travail par la société Vauban automobile, sur la base d'un document ne précisant pas autrement les conditions du versement, a, sans inverser la charge de la preuve, justement considéré qu'il appartenait à l'employeur de justifier qu'il était délié de son obligation ; que le moyen n'est fondé dans aucune de ses deux branches".
(6) Ce texte justifie, ainsi, la nullité des clauses de variation du contrat de travail (Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (GAN Vie) c/ M. Rouillot N° Lexbase : A0505ATU, Dr. soc., 2001, p. 514 ; dans le même sens, Cass. soc., 16 juin 2004, n° 01-43.124, Société Les Biscottes Roger c/ M. Jean Dailliez, FS-P N° Lexbase : A7322DC8, Bull. civ. V, n° 166), lorsque celles-ci ne font pas dépendre la réalisation de la condition d'éléments objectifs, étrangers à la seule volonté de l'employeur (Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-44.467, FS-P N° Lexbase : A7796AXZ, Dr. soc., 2002, p. 358, obs. Ch. Radé (modification du montant de la prime d'un VRP) ; Cass. soc., 2 juillet 2002, n° 00-13.111, M. Robert Saucier c/ Société Fiduciaire juridique et fiscale de France (FIDAL), FS N° Lexbase : A0669AZS, Dr. soc., 2002, p. 998, obs. Ch. Radé, "une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en-dessous des minima légaux et conventionnels") et ce, même si cette nullité a été fondée sur l'interdiction de renoncer au droit, considéré comme étant d'ordre public, de refuser la modification du contrat, par application prétendue de l'article 1134, alinéa 2, du Code civil.
(7) Cass. soc., 18 décembre 2001, n° 99-43.538, M. Gérard Wolff c/ M. Bor, FS-P+B (N° Lexbase : A7229AXZ) ; Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.910, Société Corporate Express, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2113D97) : "le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail ; et attendu que la cour d'appel a constaté que les salariés se trouvaient dans l'impossibilité de vérifier la justesse de leur rémunération faute pour l'employeur de leur en communiquer l'ensemble des bases de calcul et, qu'au surplus, la société n'avait jamais appliqué, dans la réalité, le coefficient multiplicateur unique de marge qu'elle indiquait avoir retenu" et les obs. de S. Tournaux, La rémunération, toujours et encore plus contractuelle !, Lexbase Hebdo n° 311 du 2 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4903BGP).
(8) Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-41.418, M. Didier Segard, FS-P+B (N° Lexbase : A8961D7Z) et les obs. de G. Auzero, De quelques aspects pratiques des litiges relatifs à l'existence et au nombre d'heures de travail, Lexbase Hebdo n° 302 du 24 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7820BED).
(9) Sur ce sujet, lire, dernièrement, RDC, 2008, p. 694, chron. par M. Mekki et C. Grimaldi.
(10) Sous réserve du respect, par ce dernier, et s'il y a lieu, de la nécessaire confidentialité des informations transmises.


Décision

Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-40.709, Mme Martine Barbier épouse Pellen, FS-D (N° Lexbase : A4985EAU)

Cassation partielle, CA Paris, 21ème ch., sect. C, 12 décembre 2006, n° 05/03778, SAS Lucent Technologies France c/ Madame Martine Barbier (N° Lexbase : A6093DXX)

Textes visés : principes applicables aux engagements unilatéraux de l'employeur ; C. trav., art. L. 223-11 (N° Lexbase : L6875HIH), devenu L. 3141-22 (N° Lexbase : L3940IBK)

Mots clef : prime ; engagement unilatéral de l'employeur ; condition ; précision ; information des salariés ; vérification des données communiquées par l'employeur.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Evaluation des salariés : jusqu'où peut-on aller ?

Réf. : TGI Nanterre, 5 septembre 2008, n° 08/05737, Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail Nord et autres c/ Société Wolters Kluwer France (N° Lexbase : A4824EAW)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



A s'en tenir à son seul principe, l'évaluation des salariés apparaît comme une nécessité. Elle est, d'ailleurs, de l'aveu même de la Cour de cassation, inhérente au pouvoir de direction de l'employeur. Pour autant, l'évaluation des salariés ne saurait être abandonnée à toutes les passions et il importe, ici peut-être plus qu'ailleurs, de fixer des limites. Il en va, en effet, de la santé mentale des salariés confrontés à des méthodes d'évaluation susceptibles de les conduire à des extrémités qu'il est impossible de tolérer. Afin d'écarter ce risque il convient, très certainement, d'apprécier, en amont, la licéité des "outils" d'évaluation que les employeurs sont enclins à mettre en place. De ce point de vue, le jugement rendu le 5 septembre 2008 par le tribunal de grande instance de Nanterre apparaît exemplaire.

Résumé

Si l'employeur tient de son pouvoir de direction, né du contrat de travail, le droit d'évaluer le travail des salariés, lorsque la notation a pour effet de justifier des différences de traitement, c'est à la condition que les critères d'évaluation soient objectifs et transparents.

La multiplication de critères comportementaux détachés de toute effectivité du travail accompli implique la multiplication de performances à atteindre qui ne sont pas dénuées d'équivoques et peuvent placer les salariés dans une insécurité préjudiciable. Insécurité renforcée par l'absence de lisibilité, pour l'avenir, de l'introduction de nouveaux critères d'appréciation des salariés, ce qui est préjudiciable à leur santé mentale.

Commentaire

I - L'illicéité du dispositif d'évaluation

  • La nécessité d'évaluer les salariés

L'évaluation des salariés apparaît, dans son principe, comme une nécessité, tant pour l'entreprise que pour les salariés eux-mêmes. Pour la première, elle permet, ainsi qu'il a été relevé, de "recruter, motiver, rémunérer, promouvoir, offrir des itinéraires de carrière, écarter aussi quand cela est nécessaire" (1). Quant aux seconds, elle permet de justifier les évolutions de carrière, les promotions et, bien entendu, le cas échéant, les augmentations de rémunération. A ce titre, l'évaluation participe, sans doute, de la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement dans l'entreprise.

Si elle est, ainsi, de nature à satisfaire tant les intérêts de l'entreprise que ceux des salariés, l'évaluation reste, cependant, l'apanage de l'employeur. Plus précisément, et ainsi que l'a admis la Cour de cassation, l'employeur tient du pouvoir de direction né du contrat de travail le "droit d'évaluer le travail de ses salariés" (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-42.368 Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) c/ Mme Colette Kobyla N° Lexbase : A1175AZK). Pour autant, et à l'évidence, l'évaluation des salariés exige, quant à ses méthodes, d'être encadrée. Les abus auxquels elle peut conduire ont été, en leur temps, dénoncés par le rapport de Gérard Lyon-Caen sur les Libertés publiques et l'emploi. Cet important travail a conduit à l'adoption de quelques règles qui sont autant de limites aux techniques d'évaluation que l'employeur peut être conduit à mettre en oeuvre dans son entreprise.

A l'instar des juges du fond, en l'espèce, il convient, à cet égard, de faire mention de l'article L. 1222-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0809H9T), précisant que "les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, à un salarié, ne peuvent avoir pour finalité que d'apprécier ses aptitudes professionnelles" et qu'elles "doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'évaluation de ses aptitudes" et de l'article L. 1222-3 (N° Lexbase : L0811H9W), disposant, en son alinéa 3, que "les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie". On ne saurait, en outre, omettre le fameux article L. 1121-1 du même code (N° Lexbase : L0670H9P), soulignant que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".

Pour sa part, la Cour de cassation s'efforce, également, d'encadrer ces méthodes d'évaluation. Sans doute, cette volonté ne ressort-elle, pour l'heure, que de manière indirecte de sa jurisprudence. En effet, elle résulte principalement des nombreux arrêts rendus sur le principe "à travail égal, salaire égal" et, plus spécifiquement, de l'exigence que la disparité de traitement repose sur des critères objectifs (2). Partant, et l'on s'accordera sur ce point avec les juges du fond, "lorsque la notation a pour objet de justifier des différences de traitement, c'est à la condition que les critères d'évaluation soient objectifs et transparents".

L'intérêt du jugement rapporté est de démontrer que les règles précitées ne permettent pas seulement de contrôler, a posteriori, que les salariés ont été évalués correctement et que les différences de traitement opérées sont licites. Elles autorisent, en amont, une appréciation des outils d'évaluation appelés à être mis en oeuvre dans l'entreprise.

  • Appréciation du dispositif d'évaluation mis en place

L'affaire trouve son origine dans la décision de la société Wolters Kluwer France de mettre en place un nouvel outil d'évaluation de ses salariés, en grande majorité des journalistes dans le domaine juridique et fiscal. Ce nouvel outil prévoit, à l'occasion d'un entretien annuel, une notation sur deux plans : un plan de développement professionnel (PDP) et un plan individuel de développement (PID). S'agissant du premier, il conduit à faire passer le nombre de critères de notation de 3 à 6 par rapport à l'ancien système, tandis que le second innove en créant 6 valeurs d'entreprise déclinées en 12 comportements.

Aucun de ces plans n'a donné satisfaction aux magistrats du TGI de Nanterre qui les ont, à juste titre, déclarés illicites. Ainsi que le soulignent, en préambule, ces derniers "les critères mis en place restent flous et ne permettent pas de savoir si ce sont des compétences et des objectifs concrets qui sont jugés ou si, comme le soutiennent les demandeurs, ce sont des comportements qui sont évalués avec le risque de subjectivité d'une notation basée sur le comportement du salarié devant adhérer à des valeurs de l'entreprise".

Pour ce qui est du "PDP", les juges du fond relèvent que, si le plan précise que la notation pourra comprendre 6 critères maximum au lieu de 3 comme précédemment, il ne dit pas lesquels sont escomptés et ne prévoit aucun "mesurage du travail fait, alors que les objectifs et appréciation des résultats aura un lien avec la rémunération". C'est l'absence de pertinence de la méthode d'évaluation qui est, ici, en cause, mais, également, à notre sens, l'exigence de loyauté dans l'exécution de la relation de travail. Un salarié se doit de savoir en fonction de quels critères il sera jugé et noté, ne serait-ce que pour adapter son activité en conséquence. On ne peut donc tolérer que la notation soit fonction de critères ignorés des salariés ou de critères flous. Il convient, par ailleurs, de remarquer que, pour les juges du fond, l'évaluation paraît nécessairement s'entendre d'un "mesurage du travail fait". Il est difficile de ne pas, là aussi, acquiescer. En effet, comment porter un jugement sur un salarié sans "mesurer" le travail accompli ?

Il convient, maintenant, d'en venir au projet "PDI". Ainsi qu'il est précisé dans le jugement, celui-ci comporte l'évaluation de 3 comportements professionnels principaux : "focus client", "innovation" et "responsabilité", dont chacun se décline en deux comportements a) et b) et s'applique, ensuite, aux managers et aux personnes qui ne le sont pas, soit 12 comportements au total.

Tout d'abord, le "focus client" se définit, notamment, pour les managers, comme "a) n'hésite pas à bousculer le statu quo, à adapter les produits, les comportements et les solutions pour mieux répondre aux besoins des clients. Prend toujours en compte les tendances et les évolutions du marché ainsi que les projections futures" et, pour les non managers, "a) connaît bien ses clients. Comprend les besoins de ses clients internes et/ou externes". En b), le même comportement est retenu et atténué.

Ensuite, le critère "innovation" est défini pour les managers comme "a) A une pensée originale : propose des idées et des solutions innovantes, encourage ce comportement chez les autres" et pour les non managers "a) A une pensée originale : propose des idées et des solutions innovantes". En b), le même comportement est retenu et atténué.

Enfin, le critère "responsabilité" est défini, pour les managers, "a) s'engage à respecter les accords conclus et gère activement la chaîne d'interdépendance en acceptant les responsabilités de son rôle au sein de cette chaîne" et, pour les personnes qui ne le sont pas, "a) assume ses responsabilités pour respecter les engagements pris et accepte de rendre compte". En b), le même comportement est retenu et atténué.

Aucun des ces "comportements professionnels" n'a trouvé grâce auprès des juges du fond. S'agissant du "focus client", ils ont considéré que, "concernant plus particulièrement les journalistes, il est illicite de leur demander de satisfaire leurs clients, alors que ce qui est demandé à un journaliste c'est de délivrer une information exacte, même si elle doit s'inscrire dans une ligne éditoriale particulière à la revue destinée à la recevoir". Pour ce qui est du critère "innovation" les magistrats soulignent que "les idées originales étant rares, ce comportement risque de n'avoir aucun effet sur la notation". Enfin, et surtout, ces derniers relèvent que, "s'il est normal que l'innovation et la responsabilité soient récompensées, il est pour le moins étonnant que tous les critères de comportement dont on voit bien la difficulté à les quantifier, entrent pour 50 % dans la notation finale, de telle sorte qu'en définitive la notation ainsi instituée n'est, ni proportionnée, ni objective, au regard d'une notation impartiale. Et, ainsi que le soulignent les demandeurs, une notation sur des critères aussi vagues ne peut qu'avoir un impact sur les conditions de travail des salariés dont l'importance est établie par le fait que l'évaluation a de nécessaires conséquences sur leur rémunération". Et les magistrats nanterrois de conclure que "la multiplication de critères comportementaux détachés de toute effectivité du travail accompli implique la multiplication de performances à atteindre qui ne sont pas dénuées d'équivoques et peuvent placer les salariés dans une insécurité préjudiciable. Insécurité renforcée par l'absence de lisibilité pour l'avenir de l'introduction de nouveaux critères d'appréciation des salariés ce qui est préjudiciable à leur santé mentale. Par suite le projet "e Valuation" sera déclaré illicite".

Cette décision est révélatrice des dangers, mais aussi des difficultés de l'évaluation. En effet, en adoptant une position extrêmement rigoureuse, on peut être tenté de considérer que seul le travail des salariés doit être évalué et non leur personnalité (3). Pour autant, ce n'est pas exactement ce que dit la loi qui vise l'appréciation des "aptitudes professionnelles" de ces mêmes salariés (C. trav., art. L. 1222-2). En outre, l'évaluation du travail et de ses résultats, emportent celle de la qualité professionnelle, ce qui n'est, sans doute, pas différent d'un jugement sur la personne. Au demeurant, en reconnaissant qu'il est normal que l'innovation et la responsabilité soient récompensées, les juges du fond n'interdisent pas purement et simplement qu'une appréciation soit portée sur le comportement du salarié.

Ce qui est, en réalité, critiquable, c'est de faire de critères de comportement un élément majeur de la notation, ne serait-ce qu'en raison de la difficulté à les quantifier. Ce qui doit, d'abord, compter, c'est l'effectivité et la qualité du travail accompli. Ce n'est que de façon secondaire que doit être pris en compte la façon dont ce travail a été réalisé. Il en va de l'exigence d'objectivité des critères mis en oeuvre. Car, en l'absence de critères objectifs d'appréciation, les salariés se trouvent confrontés à une situation d'insécurité, ce qui est préjudiciable à leur santé mentale. Cette préoccupation, qui est au coeur du jugement rapporté, ne peut qu'être saluée. Elle participe de la problématique du stress au travail dont l'importance n'est plus aujourd'hui à démonter. L'actualité récente a démontré le potentiel destructeur de l'évaluation individualisée des performances (4). Comment tolérer qu'un salarié mette fin à ces jours, consécutivement à un entretien où, officiellement, seul le travail est en cause ? C'est, sans doute, là le signe que c'est la personnalité même du salarié qui a été violemment remise en question à cette occasion.

Replacé dans une telle perspective, le jugement prend un relief particulier en ce qu'il vise, en amont, à préserver la santé mentale des salariés. Seule des méthodes d'évaluation objectives et proportionnées, destinées à apprécier au premier chef le travail accompli, sont de nature à garantir, autant que faire ce peut, que l'intégrité psychique des salariés ne sera pas sacrifiée sur l'autel de la performance.

II - Les obligations de déclaration, d'information et de consultation pesant sur l'employeur

  • Principes

L'employeur, qui envisage de mettre en place dans son entreprise un système d'évaluation des salariés, se doit de respecter un certain nombre d'obligations préalables.

Tout d'abord, il est tenu d'informer et de consulter le comité d'entreprise sur le fondement de l'article L. 2323-32, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L2810H9X). Ensuite, les salariés eux-mêmes doivent être informés, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en oeuvre à leur égard (C. trav., art. L. 1222-3). Enfin, depuis le fameux arrêt "groupe Mornay", rendu le 28 novembre 2007, il est fait obligation à l'employeur de consulter le CHSCT lorsque les techniques d'évaluation sont de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail (5).

Par ailleurs, et dans la mesure où la méthode d'évaluation mise en place conduit à un traitement automatisé de données à caractère personnel, l'employeur est tenu d'en faire déclaration préalable à la Cnil (6). En l'espèce, et à l'exception de cette dernière déclaration (7), l'employeur avait respecté les obligations précitées, seules faisaient difficultés les modalités d'information et de consultation des représentants du personnel.

  • Modalités

En vertu de l'article R. 4614-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8956H9L), l'ordre du jour des réunions du CHSCT est transmis par le président aux membres du comité quinze jours au moins avant la date fixée pour la réunion, sauf cas exceptionnel justifié par l'urgence. Pour n'avoir pas respecté ce délai en l'espèce, et en l'absence d'urgence, l'employeur a commis une irrégularité qui se solde, à juste titre, par l'annulation de la réunion du CHSCT (8).

Par ailleurs, les magistrats accèdent à la requête du comité d'entreprise qui demandait que lui soient communiqués divers documents lui permettant de donner un avis sur les méthodes d'évaluation susceptibles d'être mises en place dans l'entreprise. Là encore, le jugement doit être approuvé. En effet, il résulte de l'article L. 2323-4 du Code du travail (N° Lexbase : L2727H9U), que, "pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur". Faute de telles informations, le comité n'est pas en mesure de donner son avis. Par suite, l'employeur ne saurait considérer que l'absence d'avis vaut avis négatif.


(1) J.-Ch. Sciberras, L'évaluation, enjeu de performance pour l'entreprise et de respect pour les salariés, RDT, 2008, p. 498.
(2) V., par ex., Cass. soc., 9 avril 2002, n° 99-44.534, Groupement d'intérêt économique G 3 M c/ M. Antoine Sirica (N° Lexbase : A4956AY9).
(3) V., en ce sens, Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-42.368, préc..
(4) V., sur cette question, l'intéressant et édifiant article de M. Nicolas Sandret, Le potentiel destructeur de l'évaluation individualisée des performances, RDT, 2008, p. 501.
(5) Cass. soc., 28 novembre 2007, n° 06-21.964, Association pour la gestion du groupe Mornay Europe (AGME) (N° Lexbase : A9461DZG), RDT, 2008, p. 180, note P. Adam. Ainsi qu'il a été relevé, il faut, sans doute, conseiller à l'employeur de consulter d'abord le CHSCT, puis le comité d'entreprise, dont la mission est plus large, le mieux étant, sans doute, d'informer le comité de la saisine du CHSCT (P.-Y. Verkindt, La montée en puissance du CHSCT, SSL, 2007, n° 1332, p. 10).
(6) V., notamment, A. Mole, La Cnil, mode d'emploi, ibid., p. 12.
(7) Omission que les juges du fond ne reprochent pas véritablement à l'employeur, compte tenu du fait que le projet est en cours d'examen.
(8) Si la sanction est justifiée, elle n'aura que peu de conséquences pratiques, dans la mesure où le dispositif d'évaluation sur lequel portait la procédure d'information et de consultation a été déclaré illicite.

Décision

TGI Nanterre, 5 septembre 2008, n° 08/05737, Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail Nord et autres c/ Société Wolters Kluwer France (N° Lexbase : A4824EAW)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P), L. 1222-1 (N° Lexbase : L0806H9Q), L. 1222-2 (N° Lexbase : L0809H9T) et L. 1222-3 (N° Lexbase : L0811H9W)

Mots-clefs : évaluation des salariés ; méthodes ; pertinence et validité

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