La lettre juridique n°311 du 3 juillet 2008 : Rémunération

[Jurisprudence] La rémunération, toujours et encore plus contractuelle !

Réf. : Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.910, Société Corporate Express, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2113D97)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

En ces temps de pouvoir d'achat menacé, l'attention portée à la rémunération du salarié ne cesse de s'accroître. Alors qu'est actuellement mis sur pied un avant-projet de loi sur les revenus du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation n'a pas l'intention de demeurer en reste. Par un arrêt frappé du sceau "P+B+R+I", la Cour décidait, le 18 juin dernier, que "le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail". Cette décision, de la plus haute importance, impose à l'employeur de fournir au salarié les éléments nécessaires à ce calcul, sans pouvoir lui opposer l'intérêt de l'entreprise pour garder le silence (I). En outre, elle confirme avec force le rôle central et essentiel que tient la rémunération dans la relation contractuelle de travail, ce qui ne manque pas de contraster avec le mouvement de "décontractualisation" subi par d'autres éléments, jusqu'ici considérés comme contractuels (II).
Résumé

Le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail.

Commentaire

I - L'information du salarié quant aux modalités de calcul de sa rémunération

  • Le mode de calcul de la rémunération

La rémunération du salarié constitue la contrepartie de la prestation de travail à laquelle celui-ci s'engage par la conclusion du contrat de travail (1). En ce sens, conformément à la théorie générale des obligations et, spécialement, à l'article 1129 du Code civil (N° Lexbase : L1229AB7), le salaire constitue l'objet de l'obligation de l'employeur et doit, en conséquence, être déterminé ou déterminable.

La rémunération et son mode de calcul sont, le plus souvent, décidés par fixation pure et simple dans le contrat de travail. Le renvoi aux grilles conventionnelles de salaire est des plus fréquents et exclut la plupart des difficultés relatives à la détermination du mode de calcul de la rémunération.

  • Les conditions d'une variabilité de la rémunération

Cependant, la Cour de cassation décide, depuis fort longtemps, que la rémunération peut comporter une partie variable (2), à condition, toutefois, que l'ensemble de la rémunération ne puisse être inférieur aux minima légaux ou conventionnels (3). Les clauses du contrat de travail qui organisent de tels modes de rémunération sont appelées clauses de variation ou clauses de variabilité de la rémunération (4). Elles sont strictement encadrées car, contrairement aux règles gouvernant la détermination du prix dans les contrats de distribution (5), la jurisprudence refuse que la modification de la rémunération puisse être décidée unilatéralement par l'employeur (6). Les éléments entrant dans le mode de calcul de la rémunération doivent, par conséquent, être objectivement déterminés par le contrat de travail.

Si l'objectivité des éléments de calcul de la variation de la rémunération permet d'éviter que la variation de la rémunération soit soumise à la potestativité de l'employeur, il restait, encore, à savoir si le salarié devait être en mesure de vérifier que le mode de calcul accepté avait bien été respecté.

  • En l'espèce : information quant aux variations induites par le mode de calcul de la rémunération

Dans cette affaire, deux salariés, relevant du statut des VRP, étaient rémunérés de manière variable, selon un mode de calcul passablement complexe, le salaire de base et les commissionnements y afférent étant directement dépendants du pourcentage du chiffre d'affaires de l'entreprise et du nombre ou de la hauteur des commandes passées. Se prévalant de l'impossibilité de vérifier la justesse du commissionnement versé par rapport à celui qui est effectivement dû, les deux salariés avaient pris acte de la rupture de leur contrat de travail.

Le conseil de prud'hommes, comme la cour d'appel, avait estimé que la rupture du contrat de travail produisait les effets d'un licenciement. Le précieux communiqué diffusé sur le site de la Cour de cassation précise que les juges du fond avaient jugé que le salaire constitue un "élément essentiel du contrat de travail" et que "l'un des droits fondamentaux du salarié était de connaître les bases de calcul de sa rémunération" (7).

Formant un pourvoi en cassation, l'employeur estimait que, sauf abus ou mauvaise foi, les "intérêts légitimes de l'entreprise", lui permettaient de refuser de communiquer aux salariés des données servant de base de calcul à leur rémunération (8). La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi par une décision fardée de nombreux atours démontrant sa plus haute importance (9). Elle décide, en effet, que "le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail", si bien que l'employeur ne pouvait retenir les informations nécessaires au calcul de sa rémunération.

  • Obligation d'informer le salarié et rôle circonscrit de l'intérêt de l'entreprise

Les enseignements les plus directs de cette solution sont multiples.

La Cour de cassation pose, en premier lieu, une obligation d'information à la charge de l'employeur, celui-ci devant mettre le salarié en mesure de vérifier que la rémunération qui lui a été versée correspond bien au mode de calcul établi par le contrat. Dans le cas d'espèce, c'est là une véritable obligation de communiquer aux salariés le chiffre d'affaires de la société. Ce n'est pas la première fois que l'employeur se voit imposer une obligation d'information à l'égard du salarié. On se souviendra, singulièrement, de l'obligation d'information de l'employeur en matière d'usage des NTIC dans l'entreprise (10) ou de celle visant à s'assurer que le salarié a eu connaissance de l'existence d'une convention collective et qu'il ait été mis en mesure d'en prendre connaissance pour que les sujétions contenues dans cette convention lui soient opposables (11). Il y a là une volonté de transparence absolue en matière de rémunération, qui trouve sa justification la plus aboutie dans le rôle central que souhaite donner la Cour de cassation à la rémunération dans le contrat de travail (12).

En second lieu, la Chambre sociale replace les "intérêts légitimes de l'entreprise" à leur juste place. Le moyen de l'employeur arguant de l'intérêt de l'entreprise pour refuser de communiquer au salarié les éléments nécessaires à la vérification de la justesse du calcul de sa rémunération est vigoureusement repoussé. En d'autres termes, la possibilité de connaître le calcul de sa rémunération n'est pas une simple liberté qui s'accommoderait d'un contrôle de nécessité et de proportionnalité sur le modèle de celles encadrées par l'article L. 1121-1 du Code du travail . Il s'agit d'un véritable droit, ce que confirme le communiqué de la Cour de cassation relatif à cet arrêt, lequel précise que les salariés disposaient d'un "droit élémentaire de connaître les bases de calcul de son salaire" (13).

Au-delà de l'arrêt lui-même, c'est sur le communiqué de la Cour de cassation qu'il est indispensable de se pencher tant celui-ci comporte -une fois n'est pas coutume- de nombreux enseignements sur les fondements profonds de cette solution.

II - La rémunération confirmée dans son statut d'élément essentiel du contrat de travail

  • La place centrale de la rémunération dans le contrat de travail

Si la simple lecture de l'arrêt permet seulement de relever que l'intérêt de l'entreprise ne suffit pas à priver le salarié du droit de se voir communiquer les informations nécessaires à la vérification du montant de sa rémunération, il en va bien autrement du communiqué de la Cour de cassation.

Ne se contentant pas de classer ce droit parmi les "droits élémentaires", les magistrats précisent, encore, que le salaire est "un élément essentiel du contrat de travail" (14). S'il ne faut guère s'étonner que l'existence d'une rémunération soit essentielle, celle-ci étant, d'ailleurs, une caractéristique du contrat à titre onéreux que constitue le contrat de travail, cette qualification d'élément essentiel aura, nécessairement, des répercussions en droit du travail, notamment, en matière de modification du contrat de travail et, par ricochet, de prise d'acte de la rupture du contrat de travail.

Cette solution renforce, en effet, l'idée selon laquelle la rémunération appartient à ce socle contractuel minimal, mais parfaitement intangible, auquel l'employeur ne saurait apporter la moindre modification sans l'accord du salarié. Si la Chambre sociale avait accepté que l'intérêt de l'entreprise permette à l'employeur de taire certains éléments nécessaires au calcul de la rémunération, elle lui aurait insidieusement permis de modifier unilatéralement ces éléments de calcul sans que le salarié soit en mesure d'en prendre conscience ni, par conséquent, d'obtenir une quelconque forme de remise en état. La protection de l'élément essentiel "rémunération" interdit qu'un tel risque puisse être encouru, sans que la preuve de l'abus ou de la mauvaise foi avancée par l'employeur ne soit nécessaire.

  • Mise en perspective de la rémunération et de l'émergence des clauses informatives

On ne manquera, néanmoins, pas de remarquer qu'une telle volonté de marquer le caractère essentiel de la rémunération dans le contrat de travail contraste singulièrement avec le mouvement inverse que subissent différentes clauses du contrat de travail, lesquelles sont de plus en plus fréquemment qualifiées de simples clauses "informatives" (15). L'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 disposait, comme un constat d'échec, que "le contrat de travail doit déterminer ceux des éléments qui ne pourront être modifiés sans l'accord du salarié" et montrait, ainsi, l'impossibilité, pour les partenaires sociaux, d'identifier, dans la jurisprudence fluctuante, les éléments appartenant toujours à la sphère du contrat de travail de ceux qui pouvaient, voire devaient, en être exclus (16). Certaines voix doctrinales avançaient, quant à elles, qu'il n'y aurait "donc pas d'élément 'contractuels par nature', mais, seulement, des éléments contractualisés par la volonté commune des parties" (17).

L'espèce commentée permet de s'assurer que la rémunération ne devrait pas sortir du socle minimal contractuel et que les clauses contractuelles relatives au montant, au mode ou au calcul de la rémunération devraient rester des "clauses normatives". La question qui reste en suspens est celle de savoir quels autres éléments seront classés parmi ces éléments essentiels car, par une interprétation a contrario, certes un peu rapide, on pourra, probablement, ainsi identifier la somme des éléments, qui ne constitueront que des informations des parties, identifier l'ensemble des clauses informatives du contrat de travail.


(1) Sur la rémunération et les règles qui la gouvernent, v., Ch. Radé, Rémunération : mode d'emploi, Lexbase Hebdo n° 133 du 9 septembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2730ABQ).
(2) Cass. soc., 20 février 1992, n° 89-40.154, M. Joseph Rossi c/ Société anonyme Relais d'usine John (N° Lexbase : A9750AYR).
(3) Cass. soc., 19 juillet 1995, n° 92-40.638, Groupement d'intérêt économique (GIE) Cevemi c/ M. Henri de Lavigne (N° Lexbase : A7523AXW).
(4) V., Ch. Radé, Haro sur le contrat. A propos de la prohibition des clauses de variation dans le contrat de travail, Dr. soc., 2001, p. 514 ; E. Dockès, La détermination de l'objet des obligations nées du contrat de travail, Dr. soc., 1997, p. 140.
(5) On se souviendra, pour mémoire, que l'article 1129 du Code civil n'est pas toujours applicable à l'objet de l'obligation de l'une des parties, comme cela est le cas en matière de détermination du prix dans les relations de distribution, depuis le célèbre arrêt de l'Assemblée plénière du 28 février 2002. V., Ass. plén., 1er décembre 1995, n° 93-13.688, Société Le Montparnasse c/ Société GST-Alcatel Bretagne (N° Lexbase : A8251AB9), D., 1996, juris., p. 13, concl. Jéol, note L. Aynès, JCP éd. G, 1996, II, n° 22565, concl. Jéol, note J. Ghestin, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., 2000, par F. Terré et Y. Lequette, n° 151.
(6) Cass. soc., 30 mai 2000, n° 98-44.016, M. Lecur c/ Société Canon France (N° Lexbase : A6683AHY).
(7) Communiqué de la Cour de cassation.
(8) Un second moyen, qui ne sera pas étudié dans le cadre de ce commentaire en raison de son importance secondaire, portait sur un litige entre l'employeur et le salarié relatif au versement d'une indemnité de retour sur échantillonnage, prévue par l'ancien article L. 751-8 du Code du travail (N° Lexbase : L6781AC7, art. L. 7313-11 recod. N° Lexbase : L3170HXP).
(9) Outre son degré de publicité (P+B+R+I) et la diffusion du communiqué de la Cour susvisé, dont le contenu est particulièrement riche, il faut relever que l'arrêt comporte un chapeau posant la règle applicable, ce qui est bien plus coutumier pour les arrêts de cassation que pour les arrêts de rejet.
(10) V., Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-41.802, Compagnie IBM France c/ M. Michel Chatard, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9303DHZ) et les obs. de Ch. Radé, Information des salariés et usage de l'intranet, Lexbase Hebdo n° 166 du 5 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3898AI9).
(11) Sur ce thème, v. X. Carsin, La convention collective source de sujétions pour le salarié, JCP éd. S, 2007, 1015 ; A. Johansson, Les obligations conventionnelles face au silence du contrat de travail, JCP éd. S, 2006, 1304.
(12) V. les développements de la deuxième partie du commentaire.
(13) Communiqué de la Cour de cassation : La terminologie utilisée, ici, par la Cour de cassation est bien incertaine : qu'est-ce donc qu'un droit élémentaire... ? La seule véritable certitude, c'est que l'importance donnée à ce droit est moindre que celle donnée par les juges du fond, qui estimaient qu'il s'agissait là d'un véritable droit fondamental.
(14) Cette expression a, déjà, parfois, été retenue, s'agissant de la rémunération, de l'ancienneté ou de la qualification du salarié. V., par ex., Cass. soc., 8 mars 1995, n° 93-10.584, M. Paul Machet et autres c/ Compagnie nationale Air France, société anonyme et autres, inédit au bulletin (N° Lexbase : A6332CP9), Dr. soc., 1995, p. 508, obs. H. Blaise.
(15) Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, Mme Laetitia Suret c/ Société Coop Atlantique, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6993CK9) ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, Société Résoserv c/ Mme Ariane Queniat, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6994CKA) et les obs. de S. Koleck-Desautel, La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 19 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7795AAX), Dr. soc., 2003, p. 884, obs. J. Savatier, JCP éd. G, 2003, II, 10165, note M. Véricel, D., 2004, p. 89, note C. Puigelier, RDC, 2004, p. 237, obs. J.-P. Chazal, p. 381, note Ch. Radé, RJS, 2004, p. 3, chr. J. Pélissier.
V., plus récemment, Cass. soc., 4 juillet 2007, n° 05-45.688, Société La Halle, F-D (N° Lexbase : A0749DXZ) et les obs. de Ch. Radé, Nouvelle application de la distinction entre les clauses informatives et la clause normative du contrat de travail : l'exemple de la mention du régime de prévoyance ou de retraite, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7909BBK).
(16) V. Ch. Radé, Commentaire des articles 10, 11, 12 et 13 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : clarification des clauses spécifiques du contrat de travail et sécurisation dans sa rupture, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8238BDH).
(17) Ch. Radé, Nouvelle application de la distinction entre les clauses informatives et la clause normative du contrat de travail : l'exemple de la mention du régime de prévoyance ou de retraite, préc..


Décision

Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.910, Société Corporate Express, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2113D97)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. E, 16 février 2007, n° 05/06879, Mme Marlène Obadia et autres c/ SA Corporate Express (N° Lexbase : A1714DY7)

Textes concernés : néant

Mots-clés : rémunération ; variation de la rémunération ; mode de calcul ; obligation de permettre au salarié de vérifier le mode de calcul.

Liens base : et

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