La lettre juridique n°311 du 3 juillet 2008 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences

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N4868BGE

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210387-chronique-chronique-en-droit-des-assurances-dirigee-par-b-veronique-nicolas-b-professeur-avec-b-seba
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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Seront traités ce mois-ci, d'une part, la double protection dont bénéficie l'assuré tant par le Code des assurances que par le Code de la consommation et, d'autre part, les règles de la réduction proportionnelle de l'indemnité en cas d'omission ou de déclaration inexacte par l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie.
  • La protection du droit des assurances n'est pas exclusive de celle du Code de la consommation... (Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-21.822, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6678D8T)

Indiquer que l'application du droit des assurances n'est pas exclusive de celle du droit de la consommation n'est pas, de certains points de vue, l'annonce d'une véritable nouveauté. A diverses reprises, on s'en souvient, le législateur a édicté des règles de droit de la consommation applicables à tous les secteurs du droit, qui figuraient déjà, peu ou prou, dans le Code des assurances. De la même manière, on ne compte pas les arrêts de la Cour de cassation qui ont fait application du droit de la consommation. Mais une toute autre perspective s'ouvre lorsque l'on constate que certaines de ces règles se heurtent, en quelque sorte, les unes par rapport aux autres ; en témoigne cette décision en date du 22 mai 2008. Or, en prévoyant que cet arrêt fasse l'objet de la plus large information qui puisse être, la Cour de cassation atteste de sa volonté d'insister encore sur son souci d'offrir une protection efficace au cocontractant de l'assureur ou de tout intermédiaire de ce dernier, comme de donner une certaine suprématie au droit de la consommation (sur les aspects relatifs au droit des contrats de cette décision, lire les obs. de D. Bakouche, Illustration d'une application extensive de la protection des consommateurs, Lexbase Hebdo n° 310 du 6 juin 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N3807BG4).

Certes l'arrêt émane de la première chambre civile de la Cour de cassation et d'aucuns pourraient être tentés de faire observer que la majeure partie du contentieux en assurance n'incombant plus désormais à celle-ci, la portée de la décision devrait être relativisée. Toutefois, la vaste publicité effectuée en l'espèce démontre au moins le souci de cette chambre de rappeler quelle est sa position en ce domaine, puisqu'elle n'avait, récemment, pas eu l'occasion de se prononcer. Plus encore, il semble que cette décision, par sa généralité au regard des faits d'une totale banalité comparés à l'ensemble des litiges rencontrés depuis des années, mérite une attention soutenue. Enfin, les spécialistes n'auront pas manqué de relever que l'analyse de la première chambre civile s'inscrit ainsi plutôt dans la lignée de l'orientation qui semblait majoritaire depuis une longue période.

Grâce à nombre de règles du droit de la consommation, c'est parfois d'une double réglementation dont bénéficie l'assuré en général. Mais pour l'assuré particulier qu'est l'adhérent dans le cadre d'assurances de groupe, c'est davantage d'une protection accrue dont on doit parler. Et chacun en a, désormais, bien conscience, ne serait-ce qu'à l'examen du contentieux récent, sans qu'il soit encore nécessaire d'insister après plus de vingt ans où il occupe une place prépondérante (1) : les assurances de groupe suscitent incompréhension ou mauvaise information (2). Peut-être, le tort provient-il des souscripteurs eux-mêmes dont les connaissances juridiques en matière d'assurance ne seraient pas aussi pointues que dans d'autres cas et cadres. Quoi qu'il en soit, le législateur a instauré des règles dans le Code de la consommation qui contredisent presque parfois celles des articles L. 141-1 et suivants du Code des assurances (N° Lexbase : L2643HWS).

La première chambre civile de la Cour de cassation a donc tranché dans le sens de la protection effective des adhérents de contrats d'assurance de groupe. En l'espèce, la société Cetelem avait consenti des prêts aux époux P. et à M. P. lui-même. Ce dernier avait adhéré au contrat d'assurance de groupe que la société Cetelem avait souscrit auprès de la compagnie d'assurances Cardif assurances risques divers. Ce contrat couvrait le risque d'invalidité permanente et totale. Quelques temps plus tard, M. P. a été déclaré inapte au travail et même placé en retraite anticipée. Il a alors sollicité de l'assureur la prise en charge du remboursement du solde de ses prêts. N'ayant pas obtenu satisfaction, il a assigné tant l'assureur que l'organisme de crédit, Cetelem.

L'adhérent aurait pu agir sur le fondement des articles L. 141-1 et suivants du Code des assurances. Devant la cour d'appel, c'est en s'appuyant sur les articles du Code de la consommation que le litige prospère. M. P. s'étant vu refuser la prise en charge du remboursement du solde du prêt, tente de démontrer que la clause du contrat d'assurance était abusive. Or, la cour d'appel avait considéré que cette clause, figurant dans un contrat conclu entre l'assureur et Cetelem, prêteur de deniers, ne permettait pas à l'adhérent de bénéficier des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6478ABK). La réaction de la Cour de cassation était donc à peu près certaine. De fait, elle écarte l'argument du pourvoi en commençant par rappeler, avec précision, le mécanisme juridique sur lequel repose l'assurance de groupe (3).

Et la Cour de cassation de poursuivre -longuement, avons-nous envie de préciser- , grâce à un moyen relevé d'office après avis donné aux avocats, en s'appuyant aussi sur l'article L. 133-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6646ABR) qui n'existait pas dans la loi du 10 janvier 1978. Selon ce dernier, "les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s'interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel". Or, l'assureur avait refusé sa garantie en arguant d'une clause dans le contrat d'assurance en vertu de laquelle aucune prise en charge de l'invalidité permanente et totale ne pouvait intervenir "dès la fin du mois où survenait l'un des trois événements suivants : liquidation de toute pension de retraite, départ ou mise en préretraite, cessation d'activité professionnelle".

Le moins que l'on puisse constater c'est que le libellé de l'arrêt n'était pas d'une limpidité totale. Deux interprétations au moins étaient envisageables. Essayant d'y voir plus clair et de simplifier, il nous semble que les deux conceptions retenues dans l'arrêt seraient les suivantes. Ou bien, la prise en charge ne pouvait être sollicitée après que l'assuré ait perçu une pension de retraite : c'est l'analyse de la cour d'appel. Ou bien, la clause ne pouvait être interprétée ainsi puisque l'invalidité était à l'origine de la décision de placer l'assuré en retraite anticipée : c'est la position de la Cour de cassation. En tous les cas l'interprétation des clauses contractuelles en assurances de groupe ne répond pas à seule logique des articles 1156 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1258AB9), mais aussi de celles du Code de la consommation. Si ces solutions ne sont pas tout à fait novatrices (I), elles constituent tout de même un renforcement indubitable de la protection des adhérents de contrats d'assurances de groupe grâce au droit de la consommation venant reléguer au second plan le droit des assurances lui-même (II)

I - L'absence de complète nouveauté de certains aspects de la décision

Tout d'abord, la Cour de cassation rappelle que l'assurance de groupe repose sur une stipulation pour autrui voulue et conclue entre l'assureur et le souscripteur, en l'espèce un organisme de crédit : la société Cetelem. Pour autant, elle crée "un lien contractuel direct, de nature synallagmatique, entre l'adhérent et l'assureur" (4). Et la Cour de cassation de préciser, de manière claire et nette ici, que les stipulations de ce lien contractuel relèvent des dispositions de l'article L. 132-1 du Code des assurances, "notamment"... pourrions-nous ajouter aux propos de la Cour suprême. Par conséquent, en refusant d'en faire application la cour d'appel a violé ce texte. Rappelons que cet article, issu de la loi n° 78-23 du 1er janvier 1978, sur la protection et l'information des consommateurs, a été modifié par la loi n° 95-96 du 1er février 1995 (N° Lexbase : L2605DY7). Relatif aux clauses abusives, il s'applique dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels. Or, il est inutile d'insister sur le fait que l'assureur est un professionnel, l'organisme de crédit aussi, tandis que l'assuré comme l'adhérent d'une assurance de groupe n'ayant pas, sauf exception cette qualité, sont au contraire considérés comme profanes.

Que les assurances de groupe, notamment, reposent sur une stipulation pour autrui, la solution apparaît acquise depuis un certain temps désormais. La véritable question a plutôt été de savoir si cette seule assise juridique suffit à expliquer l'ensemble du mécanisme mis en oeuvre. Il n'est plus vraiment contesté, aujourd'hui, que les assurances de groupe supposent au moins une stipulation pour autrui voire deux ou trois, ou, plus exactement encore sur un contrat pour autrui et une stipulation pour autrui (5). Mais laissons ces considérations sur la nature juridique de l'opération, théoriques et techniques. Encore qu'il ne soit pas innocent et neutre de constater le soin que prend la première chambre civile de la Cour de cassation à rappeler ce point. Peut-être est-ce en raison de l'absence d'occasions récentes s'étant présentée à la deuxième chambre civile pour le confirmer.

Que le Code de la consommation s'applique aussi dans le cadre des assurances de groupe emprunteurs, là encore la solution n'est pas tout à fait nouvelle. Ce n'est certes pas le cas de toutes les dispositions du Code de la consommation ; néanmoins certaines d'entre elles vont même jusqu'à s'opposer au régime édicté par le législateur en matière d'assurances de groupe (6). On songe notamment à la présomption de mandat instituée par l'article L. 141-6 du Code des assurances (N° Lexbase : L2648HWY) en ce qui concerne justement l'information précontractuelle de l'adhérent. Ainsi, dans la présente affaire, la Cour de cassation considère que le Code de la consommation doit, en quelque sorte, prévaloir sur les règles du droit des assurances de groupe emprunteurs. Mais l'analyse ne surprend qu'à demi puisque des décisions antérieures le laissaient entendre.

En effet, à plusieurs reprises la Cour de cassation a admis que le Code de la consommation pouvait être invoqué pour permettre à l'assuré insatisfait d'obtenir réparation. Ainsi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt en date du 25 janvier 2007, que la cour d'appel avait violé l'article L. 312-9 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6771ABE) (Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 05-19.700, FS-P+B N° Lexbase : A6827DTZ). Selon ce texte, créé par la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993, "lorsque le prêteur offre à l'emprunteur ou exige de lui l'adhésion à un contrat d'assurance collective qu'il a souscrit en vue de garantir en cas de survenance d'un des risques que ce contrat définit, soit le remboursement total ou partiel du montant du prêt restant dû, soit le paiement de tout ou partie des échéances dudit prêt, les dispositions suivantes sont obligatoirement appliquées. 1° Au contrat de prêt est annexée une notice énumérant les risques garantis et précisant toutes les modalités de la mise en jeu de l'assurance...." (7).

Mais surtout, le 5 juillet 2006, la première chambre civile avait mis en oeuvre l'article L. 132-1 du Code de la consommation relatif au concept d'abus de puissance économique dans le cadre d'un contrat d'assurance (Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 04-10.273, FS-P+B N° Lexbase : A3619DQ4). D'après ce texte, modifié par une ordonnance n° 2001-741 en date du 23 août 2001, "dans les contrats conclu entre professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties". La première chambre civile confirme donc l'analyse qu'elle avait déjà adoptée. Elle persiste et signe et va même au-delà avec le second moyen développé, pour ne pas dire imposé...manière de renforcer la portée de ses propos. Or, c'est sans doute ce dernier qui retient davantage l'attention.

II - L'interprétation des clauses contractuelles

En énonçant, dans un attendu qui prend des allures de principe, que "les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s'interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel", la première chambre de la Cour de cassation se conforme à un arrêt identique, rendu quelques temps plus tôt, le 13 juillet 2006 par la deuxième chambre civile (Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-18.104, FS-P+B N° Lexbase : A4624DQC). Celle-ci avait statué, également, en faveur de l'assuré en considérant que l'article L. 133-2, alinéa 2, du Code de la consommation s'appliquait et que les clauses des contrats proposés par des professionnels aux consommateurs devaient être analysées dans le sens le plus favorable à ces derniers.

La Cour de cassation voulait cette décision. Outre le fait d'avoir relevé un moyen d'office, elle impose le fondement juridique en insistant : attendu, selon ce texte (l'article L. 133-2 du Code de la consommation) "applicable en la cause". Or, on ne voit guère dans quelles circonstances cet article ne pourrait pas être mis en oeuvre. Par conséquent, la première chambre civile de la Cour de cassation indique qu'elle s'émancipe, non seulement du Code des assurances et des articles relatifs aux assurances de groupe, mais aussi des dispositions spécifiques à l'interprétation des conventions énoncées aux articles 1156 et suivants du Code civil. Et parmi ces derniers, le principe énoncé en premier selon lequel "on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes" est donc écarté. En revanche, se trouverait ainsi presque réhabilité -car assez peu souvent cité-l'article 1162 du Code civil (N° Lexbase : L1264ABG) en vertu duquel : "dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation". Mais la suprématie du droit de la consommation est telle depuis quelques années qu'elle relègue au second plan tant le droit des assurances de groupe que le droit commun (8)... Les assureurs ne vont pas manquer de méditer la leçon réitérée.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP) 

  • Du bon usage de la règle de réduction proportionnelle de l'article L. 113-9 du Code des assurances (Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 07-13.508, F-P+B N° Lexbase : A5338D89)

La publication de cet arrêt de censure permet de rappeler, aux juges du fond comme à tout juriste conduit à "arpenter " le droit des assurances, les règles de la réduction proportionnelle de l'indemnité en cas d'omission ou de déclaration inexacte par l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie, en application de l'article L. 113-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L0065AAN). Une telle omission ou déclaration inexacte procèdera tantôt d'une erreur commise au moment de la souscription du contrat, qu'on pourrait qualifier d'erreur originelle, tantôt d'une omission ou inexactitude commise à l'occasion d'une modification du risque initial ou de l'ajout d'un risque nouveau, qu'on pourrait qualifier d'erreur subséquente. Il faut alors conjuguer l'article L. 113-9 à l'article L. 113-2-3° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI). Tel était le contexte de l'arrêt étudié, justement rendu au double visa des articles précités.

En l'espèce, une société immobilière est assurée pour les dommages pouvant survenir à son matériel informatique. Bien que l'arrêt ne le spécifie pas, il est probable que la couverture des risques informatiques relevait, ici, d'une garantie incluse dans un contrat couvrant plus généralement les biens de cette société immobilière (9). Les entreprises de taille plus importantes ou celles dont l'utilisation des technologies est plus "cruciale" se voient souvent proposer des polices couvrant spécifiquement les risques d'exploitation informatique (cf. polices "Tous risques informatiques", "globale informatique", etc.). Ces polices ne couvrent pas seulement les dommages matériels directs subis par le matériel informatique (destructions et détériorations accidentelles, tel le bris occasionné par chute, comme dans l'arrêt ici étudié, ou par suite d'un incendie, dégât des eaux, acte de malveillance, vol, rupture d'électricité, etc..), qui se traduisent par des coûts de remplacement du matériel, mais aussi les dommages consécutifs à un dommage matériel direct (tels frais de reconstitution des informations ou les pertes d'exploitation, c'est-à-dire la baisse du chiffre d'affaires subie par l'entreprise assurée suite à la réduction ou même à l'interruption de son activité consécutive à un endommagement de son matériel informatique) (10).

Comme on l'aura compris, il s'agissait ici d'un sinistre occasionné par la chute d'un matériel informatique dont l'assuré "venait de recevoir livraison". L'assureur a refusé sa garantie au motif que son assuré "ne s'était pas conformée aux dispositions contractuelles qui l'obligeaient, notamment, à informer l'assureur dès que le plafond du matériel assuré était, en raison de l'adjonction d'un matériel supplémentaire, dépassé de 10 %". Chacun perçoit aisément l'économie du contrat d'assurance, qu'on qualifie parfois de contrat "d'extrême bonne foi", en ce qu'il repose sur la loyauté de l'assuré lors de la déclaration initiale (11) comme ultérieure en cas de modification ou d'ajout(s) de risque(s). Si l'article L. 113-2-3° du Code des assurances fait obligation à l'assuré de déclarer toute modification du risque initial ou adjonction de risque(s) nouveau(x) c'est pour permettre à l'assureur de réagir par voie de conséquence, soit par réclamation d'une surprime, soit par une résiliation s'il se refuse à couvrir un tel risque, solutions alternatives envisagées par l'article L. 113-4 (N° Lexbase : L0063AAL) du même code. On constatera que le contrat litigieux précisait bien les conditions dans lesquelles cette obligation de déclaration d'une modification du risque en fixant un seuil de "souffrance" : toute modification par ajout d'un matériel informatique supplémentaire inférieure à 10 % de la valeur des matériels assurés initialement ne nécessitait pas de déclaration modificative. Franchi ce seuil, l'obligation légale s'imposait.

Le Code des assurances a prévu des sanctions qui assortissent un manquement à l'obligation de déclaration du risque : nullité en cas de réticence ou fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré (cf. L. 113-8 [LXB= L0064AAM]) et sanction moindre en cas de bonne foi de l'assuré (laquelle est présumée), l'article L. 113-9 distinguant selon que l'omission ou la déclaration inexacte est constatée avant tout sinistre (auquel cas il est encore temps de réparer cette erreur par maintien du contrat moyennant surprime ou, si mieux n'aime l'assureur, par résiliation du contrat) ou bien après sinistre. C'est alors la règle de la réduction proportionnelle de l'indemnité "en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues" qui trouve à s'appliquer.

L'espèce étudiée se prêtait bien à l'application de ce mécanisme. Or, curieusement, la cour d'appel avait, ici, rendu un arrêt infirmatif reprochant au premier juge une application "non fondée en droit", au motif d'une "absence de souscription de la moindre garantie pour le matériel déclaré endommagé". La Cour de cassation redresse heureusement l'analyse en soulignant "que le contrat d'assurance autorisait l'adjonction d'un nouveau matériel sous réserve d'informer l'assureur du dépassement d'un plafond fixé sur l'année à 10 % du montant déjà assuré". Comment ne pas approuver cette motivation ?

La clause susmentionnée obligeant l'assuré à indiquer à son assureur toute modification qui fasse excéder la valeur des biens assurés de 10 % implique, par nature, qu'un matériel nouveau, par définition non déjà couvert, ne soit pas considéré comme un risque exclu mais comme un risque (informatique) "aggravé". La logique de la cour d'appel équivaut à rayer d'un trait de plume la règle proportionnelle de l'article L. 113-9. Le respect des textes conduit, au contraire, à la solution selon laquelle l'ajout d'un matériel nouveau, excédant le seuil conventionnel, implique que le risque concernant ce nouveau matériel est bien couvert, comme le risque initial qu'il est venu aggravé, mais que l'indemnité due par l'assureur est proportionnellement réduite, à hauteur du prorata entre prime modificative et prime initiale.

On pourra donc légitimement fustiger la cour d'appel. Toutefois le premier reproche à formuler s'adresse à l'assureur qui a refusé, ici, toute garantie, sans proposer, spontanément, à son assuré une indemnité réduite en application de l'article L. 113-9. L'attitude de l'assureur revenait à opposer un refus de garantie alors que l'hypothèse ne relevait nullement d'une fausse déclaration intentionnelle de mauvaise foi de l'assuré propre à conduire à la nullité du contrat en vertu de l'article L. 113-8. L'assureur avait cherché à obtenir un résultat voisin sans avoir à supporter la preuve de la mauvaise foi de l'assuré. Celle de l'assureur ne fait guère de doute...

Au titre des suites de l'arrêt, on signalera qu'il incombera à la cour d'appel de renvoi d'appliquer l'article L. 113-9 et, pour cela, d'établir le ratio déterminé par la prime qui aurait été fixée par rapport à la prime initiale. S'il appartient, en principe, à l'assureur d'arrêter la prime qu'il aurait appliquée si l'assuré avait régulièrement déclaré l'aggravation du risque, c'est, toutefois, au juge de déterminer souverainement le taux de prime qui était dû et de le mettre en rapport avec la prime initiale pour en déduire la réduction proportionnelle (12). On peut, toutefois, penser que si l'assuré ne discute pas le prorata qui en résulte, le juge devrait, en principe, appliquer la réduction telle que déterminée par l'assureur (13).

L'article L. 113-9 du Code des assurances pose sans doute moins de difficultés que son alter ego, l'article L. 113-8, dont les conditions sont à la fois plus nombreuses (mauvaise foi ; changement du risque ou de l'opinion de l'assureur) et plus complexes (cf., notamment l'application aux contrats multirisques (14)) Ce n'est pas pour autant que toute question quant à l'interprétation de cet article ait été résolue. Ainsi, la doctrine s'interroge-t-elle sur le point de savoir si un contrat d'assurance pourrait déroger à l'article L. 113-9, malgré son caractère impératif (n'étant pas visé dans la liste des dispositions supplétives fixée à l'article L. 111-2 du même code), par une clause dite "d'incontestabilité" en vertu de laquelle l'assureur renoncerait à contester les déclarations de son assuré. Bien que la solution soit favorable à l'assuré, sa validité nous semble douteuse car, d'une part, on ne peut renoncer à un droit d'ordre public (même de protection) avant qu'il ne soit acquis et, d'autre part, la jurisprudence a retenu une impossibilité de renoncer de manière anticipée à l'article L. 113-8... (15)

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Voir nos obs., Précisions sur les clauses de durée minimum et maximum d'emploi, chron., Recueil Dalloz, 1995, pp. 278 et s..
(2) Voir nos obs., "Lorsque Royal Canin montre les crocs" ou l'importance de la remise de la nnotice d'information en assurances de groupe, note sous Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 07-14.354, Société Royal Canin N° Lexbase : A5357D8W), in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 307 du 5 juin 2008 - édition privée générale.
(3) Sur le plan jurisprudentiel, voir : Cass. civ. 1, 7 juin 1989, n° 87-14.648, Compagnie Via assurances-vie c/ Association de prévoyance des commerçants, artisans, professions libérales, industriels et leurs salariés et autre (N° Lexbase : A9679AAQ), Bull. civ. I, n° 233, p. 155 ; RGAT, 1989, p. 623, note J. L. Aubert. L'arrêt est le premier à indiquer de manière aussi claire et explicite que : "L'adhésion au contrat d'assurance de groupe, bien que conséquence d'une stipulation pour autrui, n'en crée pas moins un lien contractuel direct entre l'adhérent et l'assureur". Puis, sous le visa de l'article 1121 du Code civil (N° Lexbase : L1209ABE) : Cass. civ. 1, 14 novembre 1995, n° 93-15.309, M. Ricord c/ Société de mobilisation et d'avances et autres (N° Lexbase : A7801ABK), Bull. civ. I, n° 404, p. 282. Sur le plan doctrinal, voir : V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, dacty. 1994, LGDJ, 1996, préf. Jacques Héron, spéc. n° 453 et s., p. 199 et s. ; L. Mayaux in Traité de droit des assurances : les assurances de personnes, sous la dir. de J. Bigot, Tome 4, LGDJ, 2007, n° 818 et s., p. 655 et s..
(4) L. Mayaux in Traité de droit des assurances : les assurances de personnes, sous la dir. de J. Bigot, Tome 4, LGDJ, 2007, n° 824 et s., p. 660 et s.. C'est ce que certains auteurs nomment la conception "éclatée" de l'assurance collective. Même si elle n'a pas été adoptée par tous les auteurs, c'est celle qui semble s'imposer en jurisprudence, comme en témoigne le présent arrêt.
(5) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, dacty. 1994, préc., spéc. n° 453 et s., p. 199 et s..
(6) L. Mayaux in Traité de droit des assurances : les assurances de personnes, préc., n° 809, p.645.
(7) Ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001, portant transposition de directives communautaires et adaptation au droit communautaire en matière de droit de la consommation, art. 16 (N° Lexbase : L6478ABK), JORF du 25 août 2001.
(8) Cass. civ. 1, 21 janvier 2003, n° 00-13.342, M. Manuel Cordeiro c/ Société La Préservatrice Foncière assurances (PFA) Vie, F-P+B (N° Lexbase : A7395A4N), Bull. civ. I, n° 19 ; D., 2003, p. 2600, note Claret ; Dr. et patr., mai 2003, p. 112, obs. Chauvel ; RCA, 2003, chron. 13, par G. Courtieu ; RTDCiv., 2003, p. 292, obs. J. Mestre et B. Fages ; RGDA, 2003, p. 442, note J. Kullmann. Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, préc., Bull. civ. I, n° 214 ; CCC, 2006, n° 209, note G. Raymond ; RDC, 2007, p. 347, obs. Fenouillet.
(9) Les mutuelles du Mans, ici concernées, proposent un contrat multirisques professionnels (là-dessus, cf. le site internet de cet assureur).
(10) Là-dessus, cf. Lamy Assurances, 2008, spéc. n° 3424 et s..
(11) Les lecteurs de cette chronique savent, toutefois, que derrière l'obligation de déclaration des risques initiaux se cache, en réalité, une obligation pesant sur l'assureur de se renseigner par un questionnaire circonstancié, toute absence de précision de son questionnaire se retournant contre lui (là-dessus, cf. V. Nicolas, Pas de pitié pour l'assureur n'ayant pas élaboré un questionnaire complet et précis, note sous Cass. civ. 2, 15 février 2007, n° 05-20.865, FS-P+B (N° Lexbase : A2138DUQ), in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 251 du 4 mars 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N2992BA3).
(12) Cf. Cass. civ. 1, 24 juin 2003, n° 98-13.334 ; adde, Cass. civ. 1, 6 juin 2000, n° 97-19.241, M. Moins c/ Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF) (N° Lexbase : A3485AUM), Bull. civ. I, n° 171 ; RGDA, 2000, p. 806, note Favre-Rochex.
(13) Là-dessus, cf. Lamy assurances, 2008, op. et loc. cit..
(14) Pour une présentation des différents mouvements jurisprudentiels qui conduiront à une analyse in concreto par rapport à chaque risque et indépendamment du sinistre, depuis Cass. civ. 1, 3 janvier 1996, n° 93-18.812, M. Di Meglio c/ Les Assurances mutuelles de France (N° Lexbase : A9416ABD), Bull. civ. I, n° 4, RCA, 1996, n° 101, obs. H. Groutel ; JCP éd. G, 1996, p. 77, rapp. P. Sargos, cf. jurisprudence ss L. 113-9 in Code des assurances, Litec, 2ème édition.
(15) Cf. Cass. civ. 1, 20 juin 2000, n° 98-10.655, M. Robert Blanchard et autres c/ Crédit foncier communal d'Alsace et de Lorraine, société anonyme et autres (N° Lexbase : A6572CXP), RGDA, 2000, p. 813, note Favre-Rochex.

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