La lettre juridique n°273 du 20 septembre 2007

La lettre juridique - Édition n°273

Éditorial

Responsabilité civile médicale : l'équilibre jurisprudentiel face à l'argutie du sieur Argan

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


En matière de responsabilité médicale, comme en médecine expérimentale, cela fait longtemps que les préceptes de Claude Bernard sont de rigueur : "il ne suffit pas de dire : je me suis trompé ; il faut dire comment on s'est trompé". La mise en oeuvre de la responsabilité du médecin suppose que soient établis, traditionnellement, le préjudice subi par la victime, la faute du médecin et le lien de causalité entre la faute et le préjudice. Cette exigence du caractère causal de la faute est souvent rappelée et opposée aux victimes qui mettent en cause la responsabilité civile des praticiens ou des établissements. Et toute la difficulté de la jurisprudence en la matière sera de trouver l'équilibre entre la faute et l'incertitude intrinsèque de la guérison. En effet, la médecine n'est pas une science exacte et un médecin, s'il doit tendre vers l'impossible, ne peut s'y sentir, à proprement parler, tenu. Cet équilibre réside le plus souvent dans ce lien causal qu'il est de plus en plus difficile de démontrer, sauf à force d'expertise. C'est tant vrai en matière d'aggravation prétendue du préjudice, d'erreur de diagnostic, comme de manquement à l'obligation d'information. "Dieu vous ordonne-t-il de tenter l'impossible ?" écrivait Racine dans son Athalie. A fortiori les juges, dans leur sagesse infinie, auront choisi de prendre en compte les difficultés du diagnostic, afin de déterminer si une faute médicale peut être ou non caractérisée. Pour autant, ils prendront soin d'enterrer définitivement le bon mot de Boileau qui écrivait, aux fins de provocation, "la preuve qu'il ne fut jamais mon médecin, c'est que je suis encore en vie", tant l'opinion d'antan se montrait plus sceptique face aux "Messieurs Purgon" que devant la maladie elle-même. La Haute juridiction confirme régulièrement l'obligation de sécurité de résultat en matière d'infections nosocomiales, refusant par là même de limiter la responsabilité des professionnels de santé chez qui les patients entendent obtenir guérison, ou à défaut réconfort, et non de nouvelles pathologies. Les éditions juridiques Lexbase vous proposent, cette semaine, un panorama de responsabilité civile médicale courant sur la période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007, sous la plume de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut des Assurances de Bordeaux.

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Responsabilité

[Jurisprudence] Retour sur la portée des précisions apportées par l'Assemblée plénière à la mise en oeuvre de la responsabilité générale du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil

Réf. : Cass. Ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141, Société La Sauvegarde c/ M. Frédéric Marcos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9647DW9)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'occasion avait été donnée avant l'été, à la faveur d'un important arrêt rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 29 juin 2007, d'insister sur l'importance du contentieux intéressant la responsabilité du fait d'autrui (1). Manifestement, en effet, à supposer même que l'on s'en tienne à la seule responsabilité délictuelle et, donc, qu'on laisse de côté les discussions relatives à la responsabilité que le débiteur encourt, sur le terrain contractuel, par le fait d'un tiers qui aurait participé à l'inexécution dans la mesure où, à nos yeux en tout cas, ce n'est pas à proprement parler une responsabilité du fait d'autrui qui est alors mise en cause mais, fondamentalement, la responsabilité personnelle du débiteur (2), les interrogations demeurent pour le moins nombreuses. Toujours est-il que, par cet arrêt, l'Assemblée plénière avait, pour censurer des juges du fond, rappelé que "les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion, dès lors qu'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés", pour finalement décider qu'en statuant comme elle l'a fait, "alors qu'elle était tenue de relever l'existence d'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu commise par un ou plusieurs joueurs, même non identifiés, la cour d'appel a violé le texte susvisé". Au plan des principes, avait-on fait remarquer, l'arrêt confirme certainement l'existence d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS) et, plus particulièrement, d'une responsabilité des associations sportives pour les dommages causés par leurs membres. Il n'est pas question de revenir ici à nouveau sur ce point, et l'on renverra le lecteur aux observations que l'on avait pu faire à cet égard ainsi qu'aux références citées. Tout au plus peut-on se permettre de faire valoir que le postulat de départ pourrait être, lui, discuté, en l'occurrence le principe même de l'application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil aux associations sportives. D'abord, en effet, contrairement aux hypothèses dans lesquelles il s'agissait de désigner un responsable pour le dommage causé par des handicapés mentaux ou par des mineurs délinquants ou en danger, aucune nécessité sociale ne justifiait sérieusement d'admettre une responsabilité du fait d'autrui en dehors des cas spéciaux du Code civil applicable aux associations sportives d'autant que, comme on l'a fait remarquer, en pleine possession de leurs moyens physiques et mentaux, les sportifs ne sont soumis à aucune incapacité juridique ou restriction de liberté (3). Ensuite, plus techniquement, faire jouer ici une responsabilité du fait d'autrui en faisant valoir que "c'est l'activité supposée dangereuse des auteurs de dommages qui désigne naturellement pour en répondre ceux qui ont un pouvoir d'encadrement de ce type d'activité" (4) nous paraît recéler une part d'artifice, du moins si l'on pense que l'on "exagère" là le pouvoir prêté aux associations sportives "d'éduquer leurs sociétaires et de les inciter à modérer l'expression de leur passion" (5). Enfin, et à supposer que l'on persiste à considérer qu'un tel pouvoir sur autrui existe effectivement, on éprouvera alors quelques difficultés à expliquer que l'hypothèse ne relève pas de l'alinéa 5 de l'article 1384 et, donc, de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés tant, quoi qu'on en dise, l'appréciation faite par la jurisprudence du rapport de préposition dans ce domaine est extensive (6).

Mais l'essentiel n'est sans doute pas là, l'apport de l'arrêt de l'Assemblée plénière se situant ailleurs : il confirme l'orientation prise par la Cour de cassation depuis quelques années sur la question de savoir si, pour que l'association puisse être déclarée civilement responsable, il faut qu'une faute puisse être imputée à l'auteur du dommage. Après, en effet, s'être un temps abstenue de se prononcer, la Cour a fini par nettement subordonner la mise en oeuvre de la responsabilité des associations sportives du fait de leurs joueurs au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil à l'existence d'une faute caractérisée de l'un d'entre eux (7). Et l'on s'est déjà expliqué sur les raisons qui conduisent la jurisprudence à exiger, s'agissant de la responsabilité des associations sportives, que la faute de l'auteur du dommage soit une faute "caractérisée", l'exigence d'une faute qualifiée se justifiant par les nécessitées de l'activité sportive qui risquerait de se trouver paralysée par une application pure et simple du droit commun. Cette question n'appelle, en tant que telle, pas d'observations particulières tant il s'impose, s'agissant du fait sportif, de ne réserver la qualification de faute qu'à des comportements impossibles à rattacher à la pratique loyale du sport.

Tout cela est, à vrai dire, parfaitement entendu. C'est, en revanche, la portée de la solution qui doit être discutée. Il faut dire qu'une certaine confusion règne : alors, en effet, que la Cour de cassation a, sur le terrain de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés, adopté la même solution, au moins dans le domaine du sport, et ainsi exigé, même après l'arrêt "Costedoat" (8), la preuve d'une faute commise par le préposé pour engager la responsabilité du commettant (9), elle a, au contraire, décidé, levant définitivement les incertitudes générées par l'arrêt "Fullenwarth" (10) que, pour que la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur (11). Aussi bien se demande-t-on si les solutions retenues sur le fondement des alinéas 1er et 5 de l'article 1384 -responsabilité générale du fait d'autrui et responsabilité des commettants du fait de leurs préposés- ont une portée générale ou bien, au contraire, si elles ne valent que pour l'hypothèse particulière de dommages causés à l'occasion d'activités sportives jugées potentiellement dangereuses, auquel cas le glissement réalisé sur le terrain de l'alinéa 4 de l'article 1384 "d'une responsabilité de l'anormalité" vers une "responsabilité de la normalité" (12) déborderait du seul cadre de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs. Le caractère hautement discutable de la solution retenue en matière de responsabilité parentale, dont la démonstration a été suffisamment bien faite pour ne pas avoir à être reprise ici, affectant profondément la structure et les fondements de cette responsabilité devenue une garantie objective au profit des tiers (13), ne peut qu'inciter à souhaiter que l'exigence d'une faute de l'auteur du dommage ne soit pas, pour l'application des alinéas 1er et 5 de l'article 1384, cantonnée au seul cas des accidents sportifs. Décider du contraire pourrait bien finir par entraîner la responsabilité civile, à supposer que ce ne soit pas déjà le cas, "dans une spirale d'objectivation excessive et dévastatrice" (14). Techniquement incohérente en ce qu'elle conduit à traiter différemment la réparation du dommage selon qu'il est causé par un mineur ou par un adulte, notamment, d'ailleurs dans la pratique d'une activité sportive (15), substantiellement aberrante en ce qu'elle désigne les parents responsables de tout dommage causé par un acte pourtant objectivement correct et normal de l'enfant, et fondamentalement inquiétante en ce qu'elle témoigne d'une profonde désaffection de notre société pour la famille (16), c'est bien plutôt la solution permettant à la victime d'un dommage causé par un mineur de rechercher la responsabilité des parents de celui-ci en l'absence de fait générateur de responsabilité imputable à l'auteur direct qui mériterait d'être abandonnée. C'est que, comme on l'a justement relevé, un élément d'incohérence ayant été introduit dans un ensemble cohérent, il semble de bonne méthode de rechercher le rétablissement de la cohérence dans la suppression de cet élément et non dans la remise en cause de l'ensemble (17).


(1) Voir nos obs., L'exigence d'une faute imputable à l'auteur du dommage est une condition de mise en oeuvre de la responsabilité du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7911BBM).
(2) Comp. G. Durry, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, Resp. civ. et assur. 2000, n° 11 bis, p. 63.
(3) Voir not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, spéc. n° 853, p. 825.
(4) P. Jourdain, La responsabilité du fait d'autrui à la recherche de ses fondements, in Etudes à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, PUB, 2003, p. 67 et s., spéc. p. 73.
(5) G. Durry, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, préc., spéc. p. 65 ; Comp., du même auteur, Rapport de synthèse, in Le préjudice, Resp. civ. et assur. 1998, p. 32.
(6) Voir not., Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2005, n° 570, p. 296, et les références citées.
(7) Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 02-13.653, M. Jean-Philippe Le Grouiec c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2103DA7), Bull. civ. II, n° 356 ; JCP éd. G, 2004, II, 10017, note J. Mouly ; RTDCiv. 2004, p. 106, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222, Comité régional de rugby du Périgord d'Agenais c/ M. Frédéric Marcos, FS-P+B (N° Lexbase : A2031DC9), Bull. civ. II, n° 232 ; Cass. civ. 2, 21 octobre 2004, n° 03-17.910, Association sportive Bleuets Labatutois section rugby c/ Groupama (CRAMA) du Sud-Ouest, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6522DDW), Bull. civ. II, n° 477 et nos obs., La Cour de cassation enfonce le clou et réaffirme l'exigence d'une faute de l'auteur du dommage pour engager la responsabilité du fait d'autrui, Lexbase Hebdo n° 141 du 4 novembre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N3374ABL) ; adde, Ch. Radé, La résurgence de la faute dans la responsabilité civile du fait d'autrui, Resp. civ. et assur. 2004, chron. 15.
(8) Cass. Ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres (N° Lexbase : A8154AG4), Bull. civ. n° 2 ; JCP éd. G, 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau.
(9) Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.653, Société Olympique de Marseille c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Nantes, FS-P+B (N° Lexbase : A8470DBC), Bull. civ. II, n° 194., RTDCiv. 2004, p. 517, obs. P. Jourdain.
(10) Cass. Ass. plén., 9 mai 1984, n° 79-16.612, Fullenwarth c/ Felten (N° Lexbase : A7229AYE), Bull. civ. n° 4 ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 208 et les références citées.
(11) Cass. civ. 2, 10 mai 2001, n° 99-11.287, M. Arnaud X c/ Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF) et autres, publié (N° Lexbase : A4300ATG), Bull. civ. II, n° 96 ; JCP éd. G, 2001, II, 10613, note J. Mouly ; D. 2001, p. 2851, rapp. P. Guerder, note O. Tournafond ; D. 2002, Somm. p. 1315, obs. D. Mazeaud ; Rép. Defrénois 2001, p. 1275, note E. Savaux ; RTDCiv. 2001, p. 601, obs. P. Jourdain ; Cass. Ass. plén., 13 décembre 2002, n° 01-14.007, M. Michel Minc, publié (N° Lexbase : A4228A4D), Bull. civ. n° 4, D. 2003, p. 231, note P. Jourdain.
(12) Selon la formule évocatrice de C. Grare, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle, préf. Y. Lequette, Dalloz, 2005, n° 65, p. 51.
(13) Voir not. F. Leduc, Le spectre du fait causal, Resp. civ. et assur. 2001, chron. 20 ; H. Groutel, L'enfant mineur ravalé au rang de simple chose ?, Resp. civ. et assur. 2001, chron. 18 ; P. Jourdain, La responsabilité à la recherche de ses fondements, préc. ; Ph. Brun, Le nouveau visage de la responsabilité du fait d'autrui (Vers l'irresponsabilité des petits ?), et J.-C. Saint-Pau, Responsabilité civile et anormalité, in Etudes à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, op. cit., p. 105 et s. et p. 249 et s..
(14) P. Jourdain, note sous Cass. Ass. plén., 13 décembre 2002, préc..
(15) J. Mouly, Les paradoxes du droit de la responsabilité civile dans le domaine des activités sportives, JCP éd. G, 2005, I, 134.
(16) Voir not. H. Lécuyer, Une responsabilité déresponsabilisante, Dr. fam. mars 1997, p. 3 ; D. Mazeaud, Famille et responsabilité, in Etudes offertes à P. Catala, Litec, 2001, p. 569 et s..
(17) Voir, en ce sens, F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., p. 313.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Les limites du pouvoir normatif de la convention collective

Réf. : Cass. soc., 12 septembre 2007, n° 06-42.496, Société La Montagne, FS-P+B (N° Lexbase : A2199DY4)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

L'article L. 131-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4692DZS) détermine le champ ouvert à la négociation collective par référence aux salariés et à "l'ensemble de leurs conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail et de leurs garanties sociales". Classiquement, le rôle des partenaires sociaux est dominé par le principe de faveur, la convention collective devant reconnaître aux salariés de nouvelles prérogatives ou améliorer les dispositions légales ou réglementaires existantes. Les conventions collectives peuvent, parfois, comporter un certain nombre d'obligations professionnelles mises à la charge des salariés. La jurisprudence les tolère mais exerce sur ces conventions un contrôle vigilant, comme le montre un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 12 septembre 2007. Cette décision confirme que certaines dispositions conventionnelles ne peuvent créer d'obligations qu'à la charge des parties contractantes et ne seront pas opposables aux salariés (1). Cette solution, parfaitement justifiée, préserve les droits fondamentaux des salariés (2) tout en faisant produire un effet minimum à l'accord collectif (3).
Résumé

La clause par laquelle les parties signataires d'un accord collectif s'engagent à renoncer à toute réclamation concernant la période antérieure à la date de signature de l'accord ne peut engager que les seules parties à l'accord et ne saurait interdire aux salariés de faire valoir en justice les droits qu'ils ont acquis par application de la loi.

1. Dualité des effets de la convention collective

  • Principes légaux

L'article L. 135-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5715ACN) fixe les rapports entre les conventions collectives applicables dans l'entreprise et les contrats individuels de travail des salariés. Ce texte dispose que "lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables".

L'employeur peut être lié par les clauses d'une convention collective de trois manières : soit comme partie à un accord d'entreprise, soit comme adhérent d'une organisation patronale signataire d'un accord collectif conclu à un niveau territorial autre que l'entreprise au sein de la branche, de la profession ou de l'interprofession, soit, encore, en tant qu'entreprise entrant dans le champ d'application d'un accord étendu.

Lorsqu'une convention est déclarée applicable dans l'entreprise, ses dispositions s'appliquent à tous les salariés, quelle que soit la date de conclusion de leur contrat de travail, mais ne modifient en rien le contenu propre de ces contrats de travail. L'accord collectif s'appliquera alors de manière concurrente avec le contrat de travail, les dispositions effectivement applicables étant celles qui apparaissent comme étant les plus favorables au salarié.

  • Difficultés liées aux clauses porteuses d'obligations pour les salariés

Si l'application de ce schéma aux obligations mises à la charge des employeurs par les accords collectifs ne fait pas difficulté, nombreux sont les auteurs qui contestent qu'un accord collectif puisse mettre à la charge des salariés des obligations professionnelles absentes du contrat de travail, qu'il s'agisse d'une période d'essai, d'un préavis de démission, d'une interdiction de cumul d'emploi, d'une obligation de dédit-formation, d'une obligation de confidentialité, de mobilité ou de non-concurrence. Pour ces auteurs, un accord collectif ne pourrait, en effet, qu'améliorer le sort du salarié mais jamais lui imposer de nouvelles obligations, le silence du contrat de travail garantissant au salarié, en quelque sorte, l'absence d'obligations supplémentaires ; sans relais dans le contrat de travail, les dispositions conventionnelles ne seraient donc pas opposables au salarié qui pourrait revendiquer le strict respect de son contrat (1).

Cette thèse n'a jamais été consacrée en tant que telle par la jurisprudence qui ne considère comme contractuel que ce qui est effectivement voulu comme tel par les parties (2). La jurisprudence fait, ainsi, produire effet aux accords collectifs qui mettent à la charge des salariés de nouvelles obligations professionnelles et leur en impose le respect, à condition toutefois qu'ils aient été informés de ces dispositions au moment de leur embauche (3), ce qui rend inopposables les obligations conventionnelles apparues dans le statut collectif applicable au salarié postérieurement à son embauche (4).

  • Limites tenant au respect de l'ordre public

Ce pouvoir d'imposer aux salariés des contraintes supplémentaires n'est toutefois pas sans limites, et la jurisprudence a parfois pu considérer que certains engagements conventionnels ne valaient pas au-delà des parties contractantes à l'accord, c'est-à-dire qu'ils ne pouvaient être opposés aux salariés.

Il s'agit, ici, classiquement, de respecter les limites fixées par l'ordre public (5). Selon la définition que le Conseil d'Etat a pu en donner, il s'agit de questions qui "débordent le domaine du droit du travail", ainsi que des "avantages ou garanties échappant, par leur nature, aux rapports conventionnels" (6). D'une manière synthétique, l'accord collectif ne peut porter atteinte ni aux droits fondamentaux des salariés, ni au fonctionnement des institutions publiques ni, encore, à la liberté du commerce et de l'industrie.

C'est ce qui a été jugé en 1995 à propos des clauses des accords imposant aux salariés le respect de procédures préalables au déclenchement d'une grève, seul le législateur ayant été habilité, par le Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), à réglementer l'exercice du droit de grève, à l'exclusion, donc, des partenaires sociaux (7).

C'est, également, ce qui a été jugé dernièrement à propos d'un accord de fin de conflit excluant le paiement des jours de grève, la Cour de cassation ayant considéré qu'un tel accord n'était pas de nature à empêcher les salariés de réclamer à leur employeur une indemnité compensant le préjudice subi en raison de la perte de leur rémunération pendant la durée du conflit (8).

  • Limites tenant au respect du principe de non-discrimination syndicale

A l'inverse, les parties contractantes ne peuvent pas toujours limiter la portée de leurs engagements aux seuls signataires. Il en va ainsi lorsque pareille limitation serait constitutive d'une discrimination syndicale. Il a été jugé que le bénéfice d'avantages conventionnels, en matière de droit syndical, ne pouvait pas être réservé aux seuls syndicats signataires, mais devait être, au contraire, ouvert à tous les syndicats représentatifs de l'entreprise (9) ; les syndicats non signataires doivent, toutefois, pour en bénéficier, se plier, en contrepartie, aux conditions posées par l'accord (10).

  • Caractère mixte de l'accord

L'accord collectif présente ainsi une nature mixte, mise en évidence par Paul Durand (11), certaines de ses dispositions présentant un caractère simplement contractuel et ne s'imposant qu'entre les parties contractantes, d'autres présentant un caractère plus réglementaire car créant des obligations à l'égard des tiers, c'est-à-dire de salariés ni présents, ni représentés personnellement à la négociation de l'accord (12).

C'est bien cette distinction entre les dispositions contractuelles, qui n'engagent que les signataires, et les dispositions réglementaires, qui sont susceptibles d'être opposées aux salariés, qui se trouve reprise dans cet arrêt en date du 12 septembre 2007.

2. La confirmation de la nature mixte de la convention collective

  • Les faits de l'espèce

Cette affaire concernait l'accord cadre du 8 novembre 1999 sur les droits d'auteur dans la presse quotidienne régionale, conclu pour mettre un terme à des conflits importants entre photographes et directions des quotidiens à propos des droits d'auteurs. L'accord prévoyait les modalités de rémunération pour l'avenir et stipulait que les parties signataires s'engageaient à renoncer à toute réclamation concernant la période antérieure à la date de signature.

Un photographe du quotidien régional "La Montagne" avait engagé une action prud'homale tendant au paiement de dommages et intérêts pour violation de ses droits patrimoniaux d'auteur résultant de nouvelles exploitations et cessions de ses oeuvres photographiques sans son autorisation préalable ni versement d'une rémunération complémentaire.

La cour d'appel lui avait donné raison, nonobstant la renonciation prévue par la convention collective, ce que contestait, bien entendu, son employeur. Pour obtenir la cassation de l'arrêt d'appel, elle faisait notamment valoir que "la renonciation à toute réclamation au titre de droits antérieurs [était] stipulée, [et] que, dans cette hypothèse, [...] le salarié est de toutes façons réputé avoir renoncé à toute réclamation à ce titre".

  • La solution retenue

Tel n'a pas été l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et affirme, bien au contraire, que "la clause par laquelle les parties signataires d'un accord collectif s'engagent à renoncer à toute réclamation concernant la période antérieure à la date de signature de l'accord ne peut engager que les seules parties à l'accord et ne saurait interdire aux salariés de faire valoir en justice les droits qu'ils ont acquis par application de la loi".

En d'autres termes, seuls les salariés peuvent, à titre individuel, renoncer à faire valoir leurs droits en justice, et non les partenaires sociaux dans le cadre d'un accord collectif.

  • Le fondement de la solution

Si l'énoncé de la solution est clair, son fondement n'est guère explicite, même si une lecture attentive de la décision livre d'intéressants enseignements.

En premier lieu, la solution protège le droit d'accès au juge, dont on sait qu'il constitue une garantie fondamentale du justiciable, notamment dans le cadre de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), rappelée dernièrement par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation pour écarter l'application immédiate d'un revirement de jurisprudence en matière de prescription (13).

En second lieu, faire application d'une renonciation conventionnelle porterait atteinte aux droits acquis du salarié et violerait un autre principe fondamental, celui du droit de propriété, protégé par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9).

C'est donc bien parce que la convention collective portait atteinte à deux droits fondamentaux du salarié qu'elle ne saurait produire d'effet au-delà des parties contractantes.

3. La mise en évidence de l'effet interprétatif du grief de nullité

  • Une solution protectrice des intérêts des salariés

Cette solution semble donc justement protéger les intérêts des salariés qui ne peuvent perdre leurs droits que dans le cadre d'une renonciation individuelle.

Il semble, toutefois, étrange de ne pas considérer que la renonciation, organisée par la convention collective, soit simplement privée d'effet à l'égard des salariés ou, pour reprendre une expression utilisée pour les accords relatifs à l'exercice du droit de grève, "inopposable". En portant atteinte aux libertés fondamentales des salariés, ces accords devraient être nuls puisque contraires à des dispositions d'ordre public.

  • L'effet interprétatif du recours à l'ordre public

Le choix d'une simple inopposabilité est toutefois judicieux. Ces accords sont, en effet, rédigés d'une manière telle qu'il est délicat de déterminer, à s'en tenir à leur lettre, s'ils s'adressent uniquement aux parties contractantes, qui renoncent conventionnellement à toute action ou intervention en justice sur les sujets visés, ou plus largement aux salariés qui entrent dans son champ d'application.

En se référant à l'inopposabilité de l'accord, la Cour fait, en réalité, produire aux droits fondamentaux mis en cause non pas un effet d'annulation, mais un simple effet interprétatif qui permet de faire produire à l'accord un effet utile compatible avec le respect de l'ordre public.

Ce faisant, les juges sauvent une partie de l'accord, en en limitant la portée aux seuls signataires, tout en préservant les intérêts fondamentaux des salariés.


(1) Thèse développée, notamment, par G. Couturier, Droit du travail. 2/ Les relations collectives de travail, Puf droit social, 2ème éd. 1994, p. 468.
(2) Jurisprudence particulièrement nette en matière de rémunération. Lorsque l'employeur se contente d'appliquer au salarié les dispositions du statut collectif, la rémunération n'est pas contractuelle et peut, ainsi, varier en même temps que le statut collectif : Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-42.261, M. Olivier Régis Beaumanoir c/ Mutuelle du Mans assurances-vie, F-D (N° Lexbase : A7323A3M).
(3) Il s'agit d'une simple information et certainement pas d'une contractualisation de ces obligations qui conservent leur fondement contractuel. Pour la période d'essai : Cass. soc., 29 mars 1995, n° 91-44.562, Société Pierre Ucko c/ M. Perrin, publié (N° Lexbase : A0914ABH) ; Dr. soc. 1995, p. 454, rapp. J.-M. Desjardins ; D. 1996, p. 127, note G. Pignarre.
(4) Cass. soc., 27 juin 2002, n° 00-42.646, Fédération française des Maisons des jeunes et de la culture c/ M. André Corcoral, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0076AZT) : salarié engagé antérieurement à l'entrée en vigueur de la convention collective prévoyant la clause de mobilité.
(5) C. trav., art. L. 132-4 (N° Lexbase : L5683ACH).
(6) CE Contentieux, 22 mars 1973, n° 310.108, Extension des conventions ou accords collectifs du travail, représentation du personnel, exercice du droit syndical, extension des conventions ou accords collectifs, légalité - Conditions (N° Lexbase : A3303DYY).
(7) Cass. soc., 7 juin 1995, n° 93-46.448, Transports Séroul c/ M. Beillevaire et autres, publié (N° Lexbase : A2101AA3) ; RJS 1995, n° 933, chron. J. Déprez, p. 564-565 ; Dr. soc. 1996, pp. 37 42, chron. Ch. Radé ; D. 1996, p. 75, note B. Mathieu ; Cass. soc., 12 mars 1996, n° 93-41.670, M. Berthelot et autres c/ Laiterie coopérative de l'abbaye, publié (N° Lexbase : A2055AAD).
(8) Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-44.776, Société Autogrill Paris Saint-Lazare, FS-P+B (N° Lexbase : A0602DW9) : "le mouvement de grève ayant été notamment motivé par le non-paiement des heures supplémentaires et donc, à l'évidence, par un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, le juge des référés a exactement décidé que l'obligation de l'employeur au paiement des provisions sollicitées n'était pas sérieusement contestable, nonobstant le protocole d'accord de fin de grève" ; lire nos obs., Grève et paiement des salaires, Lexbase Hebdo n° 259 du 10 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0493BBU)
(9) Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-23.078, Union nationale des syndicats CGT-Cegelec c/ Société Cegelec et autres, publié (N° Lexbase : A4696AT4) : Dr. Soc. 2001, p. 821, chron. G. Borenfreund ; D. 2002, Jurispr. p. 34, note F. Petit.
(10) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 01-10.027, Fédération des employés et cadres CGT -Force ouvrière c/ Société Axa France assurances, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7524BSH) ; lire les obs. de G. Auzero, Consécration jurisprudentielle des accords collectifs de groupe, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7327AAM).
(11) Paul Durand, Le dualisme de la convention collective, RTD civ. 1939, p. 353.
(12) G. Borenfreund, Les syndicats bénéficiaires d'un accord collectif, Dr. soc. 2001, p. 821.
(13) Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, Société La Provence c/ Mme Véronique Danve, P+B+R+I (N° Lexbase : A0788DTD) ; D. 2007, p. 835, note P. Morvan ; JCP éd. G, 2007, II, 10040, note E. Dreyer.
Décision

Cass. soc., 12 septembre 2007, n° 06-42.496, Société La Montagne, FS-P+B (N° Lexbase : A2199DY4)

Rejet (CA Riom, 4ème chambre sociale, 14 mars 2006)

Texte concerné : C. trav., art. L. 135-2 (N° Lexbase : L5715ACN)

Mots-clefs : accords collectifs ; engagement des parties signataires ; portée ; salariés.

Lien bases :

newsid:294690

Immobilier et urbanisme

[Jurisprudence] L'étendue de la nullité de l'acte authentique n'ayant pas été signé par l'ensemble des parties contractantes

Réf. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2007, n° 06-10.362, Mme Irène Perret, épouse Mol, FS-P+B (N° Lexbase : A2963DXZ)

Lecture: 3 min

N2984BCI

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

L'absence de signature par toutes les parties contractantes d'un acte authentique emporte la nullité absolue de celui-ci et de celui qui le rectifie. Tel est l'enseignement qui ressort d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 12 juillet 2007. En l'espèce, suivant acte notarié dressé le 5 juillet 1975 par un notaire, deux couples constituant une indivision se sont portés acquéreurs chacun pour moitié de biens immobiliers appartenant aux consorts R.. L'acte notarié n'a pas été signé par l'un des couples acquéreurs. Le même notaire a établi, le 8 janvier 1976, un nouvel acte, passé entre les seuls acquéreurs indivisaires aux fins de rectification du précédent, pour préciser que seuls les époux ayant signé l'acte étaient acquéreurs des immeubles vendus. Un différend est né quant à la propriété des biens immobiliers. La partie non signataire de l'acte initial se prévalait de la nullité de celui-ci et de l'acte rectificatif du 8 janvier 1976.

La cour d'appel n'a pas fait droit à ses prétentions. Elle relève que l'absence de signature de l'acte du 5 juillet 1975 ne le rendait pas nul pour autant dans la mesure où, précisément, l'acte rectificatif du 8 janvier 1976, qui faisait un tout avec le premier puisqu'il le précisait, révélait qu'une erreur matérielle avait été commise dans le document initial.

En réalité, précise la cour d'appel, ce qu'avaient accepté les époux non signataires du document initial en apposant leur signature sur le second document, faisait qu'il n'était pas nécessaire qu'ils interviennent dans le premier acte et le signent puisqu'ils n'y étaient pas parties.

La Cour de cassation censure l'arrêt rendu par la cour d'appel de Chambéry au visa des articles 1317 du Code civil (N° Lexbase : L1428ABI), 11 et 23 du décret du 26 novembre 1971, relatif aux actes établis par les notaires dans leur rédaction alors applicable (décret n° 71-941 N° Lexbase : L8530HBK).

Elle indique que l'acte de vente passé le 5 juillet 1975, n'étant pas signé par l'un des couples partie à l'acte comme acquéreurs indivis, est, comme celui qui le rectifie, nul, de nullité absolue.

Cet arrêt rappelle le principe de nullité des actes authentiques non signés par l'ensemble des parties contractantes. Cette solution n'est pas nouvelle (voir, notamment, Cass. civ. 1, 6 juillet 2004, n° 02-13.237, Société Union bancaire du Nord c/ Société civile professionnelle (SCP) Eric Lemoine et Anouk El-Andaloussi, FS-P+B N° Lexbase : A0203DDU, Bull. civ. I, n° 201).

La nullité encourue est une nullité absolue (voir, dans le même sens, Cass. civ. 1, 2 juin 1993, n° 91-14.591, M. Asdrubal et autre c/ Mme David et autres N° Lexbase : A3652ACA, Bull. civ. 1, n° 196). Elle peut, donc, être invoquée par toute personne y ayant un intérêt dans un délai de trente ans : la prescription abrégée de cinq ans prévue par l'article 1304 du Code civil (N° Lexbase : L1415ABZ) a, en effet, été écartée par la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 29 novembre 1989, n° 88-13926, M. Simon c/ M. Litvinoff, publié N° Lexbase : A5096CKX, Bull. civ. I, n° 368).

La nullité d'un titre authentique résultant du défaut de signature de l'une des parties affecte l'ensemble des conventions qu'il renferme (Cass. civ. 1, 10 mai 2005, n° 03-20.769, FS-P+B N° Lexbase : A2282DID, Bull. civ. I, n° 207) : la nullité d'un acte notarié de prêt a pour effet de retirer à ces actes leur caractère de titre authentique et exécutoire en ce qu'ils constataient également les cautionnements litigieux et les garanties hypothécaires consenties au créancier.

Etait-il possible, comme cela a été le cas dans l'espèce commentée, de rectifier l'acte entaché de nullité ? C'est la stratégie qu'avait mise en oeuvre le notaire qui, craignant -vraisemblablement- que sa responsabilité ne soit engagée (voir, en ce sens, Cass. civ. 1, 6 juillet 2004, préc.), a cru bon d'établir un acte rectificatif uniquement entre les époux acquéreurs aux fins d'écarter les époux non signataires de l'acte initial, qui renonçaient, ce faisant, à la propriété des biens immobiliers (il est précisé dans l'arrêt qu'aux termes de la rectification, seuls les époux signataires étaient acquéreurs des immeubles vendus par les consorts R., les époux non signataires "devant être exclus de cette acquisition").

La "rectification" d'un acte nul n'est pas une notion juridique : elle semble être au croisement de la confirmation (acte juridique par lequel une personne qui peut demander la nullité d'un acte renonce à se prévaloir des vices dont celui-ci peut être entaché : F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., n° 398), de la régularisation (acte consistant à valider un acte initialement nul en lui apportant l'élément qui lui fait défaut : ibid.) et de la réfection (acte résultant d'un nouvel accord des volontés, analogue à celui qui avait donné naissance au contrat primitif mais échappant à la cause de nullité qui l'affectait).

Cette "rectification" est d'autant plus surprenante dans la mesure où le notaire rédacteur d'acte semble être intervenu seul en l'espèce et devait donc être le conseil de toutes les parties. Or, l'acte rectificatif a écarté purement et simplement les époux non signataires de la vente initialement conclue à laquelle ils étaient pourtant initialement parties... Il est vraisemblable qu'en signant l'acte rectificatif, les époux non signataires n'aient pas compris la portée de leur engagement : si tel avait été le cas, le litige sur la propriété des biens vendus n'aurait pas donné lieu à l'arrêt commenté.

Ce faisant, le notaire, dont la responsabilité n'était pas en cause, en l'espèce, risque fort de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée. Cela sera, toutefois, l'objet d'une autre instance judiciaire.

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Urbanisme

[Doctrine] L'usage de la notion de marché pertinent en contentieux de l'urbanisme commercial

Lecture: 29 min

N4682BCE

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par Fabrice Senanedsch, Avocat à la cour d'appel de Montpellier, CGCB et associés

Le 07 Octobre 2010

Envisagé comme un outil d'aménagement harmonieux du territoire et de protection des petites entreprises contre ce qu'il est, désormais, convenu d'appeler "la grande distribution", le droit de l'équipement commercial, devenu droit de l'urbanisme commercial, n'était originairement qu'un cousin relativement éloigné du droit de la concurrence stricto sensu. Il se rattachait plutôt à une autre branche de la liberté d'entreprendre qu'est la liberté d'établissement. Ce rameau de la liberté d'établissement, sans que cela ait été forcément prévu par les travaux parlementaires relatifs à la loi dite "Royer" (1) a, par la suite, été utilisé par les exploitants d'équipements commerciaux en place pour lutter contre l'implantation de nouveaux concurrents sur leur zone de chalandise. C'est ainsi que les exploitants d'équipements commerciaux sont devenus de fins gourmets du contentieux administratif en général et du recours pour excès de pouvoir contre les décisions des commissions d'équipement commercial (CDEC ou CNEC) en particulier, ajoutant le droit de l'urbanisme commercial à leur arsenal de réponse dans la guerre les opposants à leurs concurrents directs ... ou indirects. C'est, donc, aujourd'hui à double titre que le droit de l'urbanisme commercial est, comme le fait remarquer Rémy Schwartz dans ses conclusions sous l'arrêt "Caen Distribution" (2), "irradié par le droit de la concurrence" :

- en tant que branche du droit administratif, le droit de l'urbanisme commercial subi les conséquences de l'entrée du droit de la concurrence dans la sphère de la légalité dont le juge administratif est chargé d'assurer le respect.
Sur le fondement des principes du droit de la concurrence, le juge administratif doit, en effet, désormais, veiller à ce que les décisions de l'autorité administrative ne permettent pas aux opérateurs économiques d'abuser nécessairement d'une position dominante ou même, hypothèse plus rare, ne les mettent pas en mesure de constituer des ententes prohibées (3) ;

- en tant qu'outil de nuisance à l'implantation d'enseignes concurrentes, le droit de l'urbanisme commercial impose au juge administratif de se livrer à un contrôle en matière de droit de la concurrence de plus en plus fin, non plus seulement limité au comportement de l'administration, mais également à celui du pétitionnaire de l'autorisation délivrée par une CDEC et même, dans une certaine mesure, du demandeur au recours pour excès de pouvoir.

Que l'on pense, en effet, seulement à l'ampleur du contrôle exercé par le juge administratif sur la définition de la zone de chalandise (4) ou encore à l'utilisation dans le cadre du contrôle des effets positifs du projet de la notion de modernisation de l'appareil commercial (5), on ne peut que constater à quel point le contrôle du juge administratif est aujourd'hui fin sur des questions de pur droit de la concurrence.

Les conséquences de l'introduction du droit de la concurrence dans le champ du contrôle exercé par le juge administratif en la matière sont, toutefois, encore largement incertaines tant il est vrai que le séisme né de la rencontre de ces deux champs du droit n'a, sans doute, pas encore produit tous ses effets.

Face à cette matière juridique en pleine fusion, l'amateur de contentieux administratif dispose de la possibilité d'user à bon escient de certaines notions de droit de la concurrence dont l'utilisation par le juge administratif n'a pas encore été ici poussée à son paroxysme.

Tel est le cas, en premier, de la notion de "marché pertinent".

Cette notion est, sans aucun doute, l'élément clef permettant au juge de la concurrence, qu'est en premier chef le Conseil de la concurrence, d'exercer son contrôle.

Il est, à cet égard, classique de préciser que cette notion purement économique a été reçue et quelque peu simplifiée par le droit, il est, également, habituel de donner une définition en deux temps de cette notion :

- une définition fonctionnelle : "le marché pertinent regroupe l'ensemble des produits et/ou des services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auxquels ils sont destinés" (6) ;

- une définition géographique : le territoire sur lequel s'échangent ces biens et services considérés comme interchangeables ou substituables, apprécié comme regroupant des entreprises évoluant dans un cadre concurrentiel suffisamment homogène et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.

Cette notion est très utile au Conseil de la concurrence pour apprécier l'existence d'une pratique anticoncurrentielle sur un marché donné (en rapportant, notamment, la pratique au poids de l'opérateur économique qui en est l'auteur, sur ce marché), mais également l'impact de cette pratique sur ledit marché (et donc le seuil du contrôle communautaire).

Le juge administratif, et plus particulièrement le Conseil d'Etat, est également parfaitement habitué à faire usage de la notion de "marché pertinent" lorsqu'il agit en tant qu'autorité de contrôle des décisions du ministre de l'Economie en matière de concentration (7) ou dans le cadre de son contrôle des abus de position dominante automatiques (8).

Pourtant, alors même que le droit de l'urbanisme commercial est irradié à double titre par le droit de la concurrence, il n'existe, à notre connaissance, qu'une seule décision du Conseil d'Etat évoquant la notion phare de cette branche du droit qu'est "le marché pertinent".

Cette décision est le désormais célèbre arrêt "Caen Distribution" (préc.) qui pose l'obligation pour les CDEC et la CNEC de prendre en compte le droit de la concurrence dans le cadre de l'octroi des autorisations d'équipement commercial.

L'absence d'utilisation formelle de la notion ne signifie, toutefois, en aucune manière que le juge administratif n'utiliserait pas, d'ores et déjà et de façon habituelle, la notion de marché pertinent dans le cadre de son contrôle.

Il y fait des références cachées.

Ces références cachées permettent ainsi aux requérants, mais également aux défendeurs attentifs de faire état de moyens innovants, fondés en la matière et susceptibles d'assurer une victoire déterminante.

Ces moyens innovants peuvent être utilisés au stade de la recevabilité du recours pour excès de pouvoir (I), mais, également, au stade de l'analyse de la légalité de la décision de CDEC ou de CNEC attaquée (II).


I. De l'usage de la notion de marché pertinent au stade de la recevabilité du recours pour excès de pouvoir

L'usage de la définition fonctionnelle de la notion de "marché pertinent" est particulièrement utile au juge administratif afin de déterminer l'existence d'un intérêt à agir suffisant de la part du demandeur.
Celui-ci en fait un usage implicite de plus en plus fin à travers l'analyse de la qualification de "concurrent du projet" du requérant (A). Reste à s'interroger sur l'intérêt que les parties peuvent trouver de l'usage que fait le juge de cette notion (B).

A. La réception par le juge administratif de la notion de marché pertinent au stade de l'analyse de l'intérêt à agir du demandeur

Il est particulièrement classique de rappeler que l'intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir ne s'apprécie pas de la même manière à travers l'ensemble des branches du droit administratif français.

Si, en effet, le principe reste que le recours pour excès de pouvoir est ouvert de façon très large à l'ensemble des personnes ayant un intérêt légitime à solliciter l'annulation d'une décision administrative réglementaire ou individuelle leur faisant grief, l'ampleur et les caractéristiques de cet intérêt sont appréciées différemment par le juge (et, désormais, par le législateur) en fonction de la branche du droit administratif dans lequel celui-ci se situe.

Ainsi, par exemple, en matière de recours contre les autorisations d'urbanisme, le juge administratif considère qu'ont principalement intérêt à agir les voisins du projet autorisé par la décision attaquée et les associations de protection de l'environnement et d'un urbanisme de qualité (9).

Cet état de fait explique pourquoi les simples concurrents d'un magasin ne présentent pas, en tant que tels, un intérêt à agir suffisant pour agir contre le permis de construire afférent audit magasin (10).

Ils doivent, également, cumuler la qualité de voisin du projet.

En matière de droit de l'urbanisme commercial, le Conseil d'Etat a limité différemment l'intérêt à agir contre les décisions des CDEC et de la CNEC, en considérant que sont seules recevables à critiquer, devant le juge de l'excès de pouvoir, de telles décisions, les personnes exploitant un établissement concurrent ou disposant d'un projet suffisamment sérieux d'établissement concurrent (11) mais, également, les associations de consommateurs et/ou de commerçants locaux.

Notons que l'intérêt à agir des communes voisines, soucieuses de protéger leurs artisans de l'évasion commerciale entraînée par la réalisation d'un projet commercial a, également, été admis par le Conseil d'Etat, même si cet état du droit tend à remettre en cause le principe de spécialité des personnes publiques (12).

La qualité de voisin n'est, en tout état de cause, pas suffisante en matière d'urbanisme commercial pour conférer au requérant un intérêt à agir.

En d'autres termes, le Conseil d'Etat considère que la légitimité de l'intérêt à solliciter l'annulation d'une autorisation d'équipement commercial se rapporte à un intérêt soit associatif, soit de nature commerciale et patrimoniale.

Mais, bien plus, le Conseil d'Etat va, exception faite des associations et des personnes publiques, jusqu'à subordonner l'existence de cet intérêt à la qualité de concurrent du projet du requérant.

La jurisprudence récente du Conseil d'Etat est, à cet égard, particulièrement représentative du niveau de contrôle opéré sur cette qualité de concurrent.

Le Conseil d'Etat a ainsi pu, par exemple, juger que :

"Considérant que la société Pradel Horticulture, qui exploite une jardinerie à proximité du lieu d'implantation du projet [magasin bricolage - jardinerie] autorisé par la décision attaquée, a intérêt à l'annulation de cette décision qu'en revanche M. A, qui exploite à Bagnères-de-Luchon un magasin sous l'enseigne A Vidéoshop [videoclub], ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête" (13) ;

Ou encore que :

"Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la Société Coco Fruits exploite un magasin de produits alimentaires situé dans la zone d'attraction du projet autorisé par la décision attaquée ; qu'elle justifie ainsi, alors même que l'extension projetée du magasin à prédominance alimentaire à l'enseigne E. Leclerc ne porterait que sur son offre de produits non alimentaires, d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de cette décision" (14) ;

Ou encore que :

"Considérant que les sociétés Etablissements Grassot SA S et Jardivil exploitent chacune une jardinerie susceptible d'être concurrencée par la création, à l'enseigne Botanic, d'une surface de vente de 8 700 m², sur le territoire de la commune de Francheville (Rhône), qui a été autorisée le 23 octobre 2001, au profit de la SCI de la Francoa, par la commission nationale d'équipement commercial ; qu'elles justifient, par suite, d'un intérêt leur donnant qualité pour demander au juge de l'excès de pouvoir l 'annulation de cette décision" (15).

La notion de concurrent est, donc, utilisée par le Conseil d'Etat de manière parfaitement usuelle. Pourtant, la Haute juridiction administrative n'en donne à aucun moment une quelconque définition juridique.

Faut-il penser que cette absence de définition répond à une quelconque utilité et, notamment, à une volonté du Conseil d'Etat de ne pas se lier les mains sur cette notion ? Ceci a, en effet, pour avantage de lui permettre de répondre au cas par cas à la question de l'analyse de l'intérêt à agir d'un concurrent.

A notre sens, le Conseil d'Etat est parfaitement conscient, de par sa grande habitude de l'usage du droit de la concurrence, de ce que cette notion se rattache à une définition précise parfaitement connue.

En d'autres termes, s'il ne fournit pas de définition de la notion de concurrent, c'est tout simplement parce que celle-ci est parfaitement saisie par le droit de la concurrence, qui la définit comme recouvrant l'ensemble des opérateurs agissant en tant qu'offreurs sur un même marché pertinent donné.

En utilisant expressément le terme de concurrent, le Conseil d'Etat ne peut, donc, qu'être conscient qu'il mobilise une notion juridique parfaitement connue et susceptible d'une appropriation par le droit de la concurrence à travers les méthodes de détermination du marché pertinent.

Autrement dit, en utilisant la notion de concurrent, le Conseil d'Etat invite nécessairement les requérants à n'exercer de recours pour excès de pouvoir contre les autorisations CDEC que dans l'hypothèse où ils proposent leurs produits ou services sur le même marché pertinent que celui sur lequel agira l'exploitant du projet autorisé.

Pour autant, l'analyse de la jurisprudence récente sur l'intérêt à agir en matière d'équipement commercial démontre que le contrôle opéré par le juge administratif sur la notion de concurrent est encore quelque peu grossier, n'atteignant pas, loin s'en faut, la complexité d'analyse du marché pertinent utilisée par ailleurs par le Conseil d'Etat, notamment, en matière de contrôle des concentrations).

Le juge administratif semble se contenter de raisonner par grands secteurs d'activités (alimentaire, non alimentaire, bricolage, jardinerie...), plutôt que de s'interroger sur la substituabilité dans l'esprit du consommateur entre l'offre du projet litigieux et celle du requérant.

C'est en cela que l'on peut parler d'évolution inachevée de la pénétration du droit de la concurrence dans le droit de l'urbanisme commercial ; ce n'est pourtant, à notre sens, qu'une question de temps avant que le juge administratif ne procède à une analyse fine du marché pertinent du projet autorisé avant de statuer sur l'intérêt à agir du requérant.

Cette ultime évolution découle, en effet, de deux séries de facteurs.

- Tout d'abord, la baisse tendancielle de l'accessibilité des recours : le juge administratif apparaît aujourd'hui victime de son succès ; de plus en plus de recours sont déposés, encombrant d'autant son rôle et générant des retards préjudiciables à la qualité de la justice.

Afin de réduire l'encombrement des juridictions, plusieurs solutions ont, d'ores et déjà, été mises en oeuvre par le législateur (voir l'exemple de la loi n° 2006-872, du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement N° Lexbase : L2466HKK, à propos du recours des associations contre les permis de construire), par le pouvoir réglementaire (voir, notamment, le décret n° 2003-543 du 24 juin 2003, imposant par principe le ministère d'avocat devant la cour administrative d'appel N° Lexbase : L6539BHN), et même par le Conseil d'Etat lui-même (à cet égard, la tentative manquée de reporter sur la CNEC l'entier contentieux des recours contre les décisions de CDEC n'est qu'un autre exemple de la volonté de limiter le recours au juge administratif) (16).

Or, l'utilisation d'une analyse fine du marché pertinent pour la détermination de la qualité de concurrent du projet du requérant est de nature à réduire l'accessibilité du recours pour excès de pouvoir.

Elle sera, donc, nécessairement encouragée par le Conseil d'Etat.

En effet, la simple lecture du rapport public du Conseil de la concurrence pour 2001 révèle à quel point la finesse d'analyse de la substituabilité et de l'interchangeabilité permet de parvenir à des marchés pertinents de plus en plus étroits au regard de critères tels que la fonction et l'utilisation des produits proposés, la nature du produit, le mode de distribution, l'environnement juridique, les différences d'effets de gamme (17)...

Par conséquent, toute analyse fine du marché pertinent du projet litigieux par le juge administratif conduira nécessairement à une réduction de son champ et à une réduction du nombre de concurrents et de requérants potentiels.

- Ensuite, le respect du principe d'intelligibilité et de clarté de la norme juridique qui impose, désormais, une forme d'harmonisation dans l'utilisation des notions de droit.

Il serait, à cet égard, que peu intelligible que l'usage de la notion de concurrent par le juge administratif, agissant en tant que juge de la concurrence (dans le cadre, notamment, du contrôle des décisions de concentration) lui impose une analyse différente que celle ayant trait à la même notion, mise en oeuvre par la même juridiction mais agissant en matière d'équipement commercial.

Une harmonisation de la notion de concurrent par la jurisprudence entre les différentes branches du droit administratif sera, donc, nécessairement à prévoir.

Reste à s'interroger sur la conséquence pratique d'une telle harmonisation pour les parties à un litige en matière d'urbanisme commercial.


B- De l'intérêt pratique de l'usage de la notion de marché pertinent au stade de l'analyse de la recevabilité du recours


Au stade de la recevabilité du recours, l'analyse du marché pertinent n'a, bien sûr, d'intérêt que pour le défendeur, titulaire d'une autorisation d'équipement commercial.

Pour lui, la stratégie contentieuse consiste à tenter d'écarter au plus vite un recours pour excès de pouvoir qui a pour effet de lui interdire, de facto, d'exploiter son établissement.

Pour cela, il peut être tenté de permettre au juge administratif d'évacuer très vite le contentieux en fondant son argumentation sur le défaut d'intérêt à agir d'un requérant qui prétend à la qualité de concurrent de son projet.

Des exemples concrets de l'utilisation de la notion, à ce stade, peuvent être utilement envisagés :

Prenons l'hypothèse d'un magasin du secteur "autres commerces de détail" au sens de l'article 18-5 du décret du n° 93-306 du 9 mars 1993 (décret n° 93-306 du 9 mars 1993, relatif à l'autorisation d'exploitation commerciale de certains magasins de commerce de détail et de certains établissements hôteliers, aux observatoires et aux commissions d'équipement commercial N° Lexbase : L7475A4M).

Cette catégorie vise les magasins de commerce de détail spécialisés dans un secteur particulier, tel que le bricolage ou le jardinage par exemple.

A ce titre, envisageons l'hypothèse d'un magasin de bricolage d'une grande enseigne bénéficiant d'une autorisation d'équipement commercial faisant l'objet d'un recours pour excès de pouvoir de la part de plusieurs requérants :

- Le premier serait un magasin de commerce de détail à prédominance alimentaire situé dans la même zone géographique. Ce magasin dispose-t-il d'un intérêt à agir suffisant pour agir contre l'autorisation de notre grande enseigne de bricolage au seul motif qu'il dispose d'un rayon important proposant à sa clientèle des articles dits de bricolage (peinture, matériaux, outils, décoration...) ?

Pour répondre à cette question, il faut, en application de la jurisprudence précitée, s'interroger sur le point de savoir si la Grande Surface Alimentaire (GSA) agit, au moins pour partie, sur le même marché pertinent que notre Grande Surface de Bricolage (GSB).

Autrement dit, le rayon spécialisé en bricolage d'une GSA est-il substituable à une GSB ?

La réponse à cette question nous est tout simplement fournie par la Commission européenne agissant comme juge de la concurrence dans le cadre de son contrôle des concentrations.

Dans une affaire Leroy Merlin / Brico du 13 décembre 2002 Case n° COMP/M.2898, la Commission rappelle que,

"dans ses décisions antérieures, la Commission, sans se prononcer sur une exacte définition des marchés de la vente au détail de produits de décoration, bricolage et jardinage, a considéré qu'il était concevable de segmenter ce secteur selon :

i)les groupes de produits [...], ii) les canaux de distribution :

- Grandes Surfaces de Bricolage ("GSB"),
- Grande Surfaces Alimentaires ("GSA"),
- magasins spécialisés dans un seul type de produits, magasins de proximité (ex : bazar)
".

La Commission explique ensuite la raison pour laquelle les magasins de type GSA ne peuvent être considérés comme évoluant sur le même marché pertinent que les GSB :

"ces grandes surfaces ne mettent pas à la disposition de leur clientèle un personnel spécialisé destiné à la conseiller et s'adressent en général à une clientèle de consommateurs dont la présence est motivée principalement par les linéaires en alimentaires. Sur chacune des neuf familles de produits, les GSB sont en mesure de proposer un large référencement que ne peuvent pas proposer les GSA, les magasins de proximité et que ne peuvent offrir que certains magasins spécialisés mais sur un nombre de gammes restreint. Ces magasins spécialisés ne sont pas d'ailleurs tous organisés sur le mode du libre service, critère important utilisé par la Commission dans la distribution alimentaire. Les GSB appartiennent, de plus à des réseaux nationaux développant, dans une certaine mesure, des politiques de promotion et de prix nationales".

Ce même raisonnement a été suivi par le ministère de l'Economie et des Finances dans le cadre du contrôle du projet d'acquisition de la société française Tabur SA par la société M. Bricolage SA. (BOCCRF N° 19 du 31 décembre 2002).

Dans sa réponse au conseil de la société Mr Bricolage, le ministre précise, dans un raisonnement quelque peu long, mais parfaitement éclairant, que "la pratique décisionnelle des autorités de concurrence communautaires distingue plusieurs canaux de distribution d'articles de bricolage (cf. note 2), à savoir le commerce de détail, le commerce de gros et les grandes surfaces de bricolage (GSB) [...].

Au sein de la catégorie des magasins offrant une surface de vente réservée au bricolage supérieure à 300 m², il y a également lieu de distinguer les grandes surfaces spécialisées dans le bricolage du rayon bricolage des grandes surfaces alimentaires (GSA) ou des grandes surfaces spécialisées dans la jardinerie ou encore du rayon libre service des négociants en matériaux de construction.

En premier lieu, en ce qui concerne les grandes surfaces alimentaires de type hypermarché (GSA), force est de constater qu'elles disposent souvent de rayons réservés à la vente d'articles de bricolage d'une surface exceptionnellement supérieure à 300 m². Toutefois, il ressort des tests de marché que la surface dédiée au rayon bricolage est rarement supérieure à 3 % de la surface totale du magasin et que cette proportion aurait tendance à se réduire depuis quelques années. Alors que le secteur du bricolage a progressé de 4,4 % en 1999, de 3 % en 2000 et de 3,4 % en 2001, le chiffre d'affaires des rayons bricolage des GSA a décru de 1 % en 1999, de 2,3 % en 2000 et de 2,1 % en 2001.

Par ailleurs, les GSA gèrent en moyenne 8 000 références d'articles de bricolage tandis que les GSB proposent entre 45 000 et 70 000 références d'articles de bricolage dans leurs magasins, ce qui démontre une forte asymétrie dans l'offre faite aux consommateurs dans les deux types de grandes surfaces. En outre, plusieurs réponses aux tests de marché soulignent qu'une "distinction doit être faite en fonction des besoins de la clientèle, qui se répartissent entre les articles de bricolage de dépannage, dont le consommateur a besoin rapidement (ex., ampoules), et les articles d'équipement comportant les produits de décoration et les produits d'aménagement d'intérieur et d'extérieur". A ce titre, il est à noter que les principaux fournisseurs des GSA sont précisément essentiellement des fabricants de produits consommables (piles, ampoules électriques, etc.). Il faut, enfin, souligner que les GSB proposent généralement des services complémentaires (conseils, ateliers de découpe, stages d'initiation au bricolage, livraison ou mise à disposition de véhicule de transport, etc.) que les GSA ne proposent pas. L'achat dans une GSB ou dans une GSA ne peut donc être considéré comme équivalent aux yeux de la clientèle.

Par conséquent, il convient de constater que les GSA et les GSB ne se situent pas sur le même "marché pertinent".

Cette analyse du marché du bricolage devra nécessairement être reprise à son compte par le Conseil d'Etat, dans le cadre de son analyse de l'intérêt à agir contre une autorisation d'équipement commercial obtenue par une enseigne de bricolage.

Les GSA, quels que soient la taille et le nombre de références proposées par leur rayon spécialisé en bricolage, ne peuvent être considérés comme substituables à un projet de GSB dans la mesure où, dans l'esprit du consommateur, un tel rayon sera toujours considéré comme une sorte d'offre d'appoint par rapport à l'offre source que constitue le GSB.

Ainsi, dans notre hypothèse, le GSA, aussi grand soit-il, ne pourra que voir son recours pour excès de pouvoir rejeté pour défaut d'intérêt à agir, faute pour lui de présenter la qualité de concurrent du projet attaqué.

- Plus complexe pourrait être l'hypothèse d'un second requérant, une jardinerie-animalerie, proposant des produits identiques à notre GSB.

Une telle enseigne, située dans la zone de chalandise, a-t-elle intérêt à agir contre le GSB ?

L'analyse du marché pertinent devra ici être réalisée au regard du critère de "groupe de produits".

Reprenons la décision précitée de la Commission européenne Leroy Merlin / Brico du 13 décembre 2002 Case n° COMP/M.2898.

Dans cette affaire, la Commission rappelle que, "dans ses décisions antérieures, la Commission, sans se prononcer sur une exacte définition des marchés de la vente au détail de produits de décoration, bricolage et jardinage, a considéré qu'il était concevable de segmenter ce secteur selon :

ii) les groupes de produits :

- décoration,
- revêtements de murs, sols carrelage,
- outillage,
- quincaillerie et rangement,
- électricité et luminaires,
- équipements sanitaires,
- matériaux de construction,
- menuiserie,
-jardinage
"[...].

La Commission ajoutant que :

"l'enquête menée par la Commission a confirmé que c'est une répartition du marché par groupe de produits qui est généralement considérée comme la meilleure".

Dans sa lettre, en date du 10 février 2003, au conseil de la société Leroy Merlin, dans le cadre de cette même concentration, le ministre de l'Economie a été amené, sur le fondement de cette décision de la Commission, à considérer que "les grandes surfaces spécialisées dans la jardinerie vendent très peu (1 500 unités), voire pas du tout, d'articles de bricolage, ou alors très orientés sur l'extérieur de la maison ou le petit outillage de jardinage, ce qui représente là encore une très faible part de la gamme de produits proposés par les GSB. Elles ont, donc, été également exclues du marché pertinent".

L'analyse de ces éléments démontre, donc, que le seul fait pour les magasins de jardinage de proposer des articles pour partie comparables à ceux des GSB n'est pas de nature à permettre de considérer que ces deux types de magasins sont substituables dans l'esprit du consommateur et, partant, que leurs exploitants agissent sur le même marché pertinent.

L'effet de gamme dont dispose un GSB, lui permettant de proposer un large panel de produit d'extérieur et d'intérieur, justifie que ce type de magasins soit considéré comme non substituable à de simples jardineries proposant, pour partie seulement, des articles de bricolage.

Il est, d'ailleurs, à noter que corrélativement l'effet de gamme des produits présentés dans une jardinerie-animalerie interdit de considérer qu'un GSB pourrait agir sur le même marché pertinent que ladite jardinerie.

En conclusion, poursuivant la prise en compte du droit de la concurrence dans le champ de son contrôle, le juge administratif devrait prochainement avoir l'occasion de rejeter comme irrecevable, car déposé par une personne ne justifiant pas d'un intérêt à agir suffisant, le recours pour excès de pouvoir d'une jardinerie dirigé contre l'autorisation d'exploiter une enseigne de bricolage.

Mais l'intérêt de la notion de marché pertinent en matière d'urbanisme commercial apparaît, également, au stade de l'analyse de la légalité de la décision de CDEC ou de CNEC attaquée.


II. De l'usage de la notion de marché pertinent au stade de la légalité de la décision de CDEC ou de CNEC


Impliquant une définition en deux temps, à la fois fonctionnelle puis géographique, la notion de marché pertinent peut être utile à plusieurs stades en matière d'analyse de la légalité d'une décision de CDEC ou de CNEC.

Nous présenterons, ici, les deux domaines dans lesquels le recours à cette notion est le plus évident :

- la détermination de la zone de chalandise (A)
- la lutte contre les abus de position dominante (B)


A. Marché pertinent et zone de chalandise


La zone de chalandise constitue indiscutablement le pendant, en droit de l'urbanisme commercial, de celle de marché pertinent en droit de la concurrence, dans son acception géographique.

Cette notion désigne, en effet, un ensemble de lieux où résident des consommateurs susceptibles, de par sa proximité, sa taille et, dans une moindre mesure, sa spécificité, d'être attirés par les produits ou les services d'une enseigne commerciale. Une zone de chalandise ne comprend, donc, en principe, qu'uniquement des enseignes interchangeables dans l'esprit du consommateur.

Or, la notion est au coeur du contrôle opéré par les CDEC et la CNEC et, par conséquent, par le juge administratif quant au respect par le projet concerné des principes énoncés par la loi dite Royer (loi n° 73-1193, 27 décembre 1973, d'orientation du commerce et de l'artisanat N° Lexbase : L6622AGD).

Elle permet, en effet, de déterminer, au regard de l'analyse de la densité commerciale de la zone concernée, si le projet autorisé est de nature à causer un risque d'écrasement du petit commerce et/ou de gaspillage de l'équipement commercial.

Par conséquent, et eu égard à la proximité des notions de zone de chalandise et de marché pertinent, il pourrait être tentant d'envisager l'application par le juge administratif d'une analyse économique de la zone fondée sur le critère de substituabilité dans l'esprit du consommateur.

Pourtant, l'étude de la jurisprudence et de la doctrine administrative démontre qu'une telle analyse n'a pas encore été poussée très loin par le juge administratif, notamment, en ce qui concerne la question du tracé de la zone de chalandise.

Le Conseil d'Etat, depuis son très célèbre arrêt "Guimatho" (18), considère que le critère principal permettant de tracer une zone de chalandise est le temps d'accès au site en véhicule particulier. C'est ainsi qu'en application de cette jurisprudence, les pétitionnaires de projet s'attachent à dessiner une zone de chalandise en traçant des courbes isochrones dont les rayons couvrent des zones situées à 10, 15, 30, voire 45 minutes de temps de trajet depuis le magasin dont l'autorisation est sollicitée (19).

Monsieur le commissaire du Gouvernement R. Schwartz a, ainsi, pu rappeler "qu'une zone de chalandise ne peut être dessinée qu'en fonction du temps d'accès au site en voiture par les consommateurs" (20).

Pourtant, la pratique montre que les demandeurs d'une autorisation d'exploitation commerciale excluent fréquemment de la zone de chalandise du magasin concerné des zones relativement proches du site intéressé, mais dotées d'équipements commerciaux de nature à dissuader leurs habitants de fréquenter le magasin projeté :

- soit parce que les dimensions de ces équipements ou de l'ensemble commercial auquel ils appartiennent sont nettement plus importantes que celles du magasin envisagé ;

- soit parce que ces équipements ont la même enseigne que celle du magasin envisagé.

L'utilisation de ces éléments pouvait permettre d'introduire dans le tracé de la zone de chalandise une véritable analyse de la substituabilité des enseignes qui y étaient inclues, puisqu'elle tendait à nécessiter une analyse de l'attitude du consommateur plus que de sa seule proximité.

Sans doute soucieux d'éviter le recours à une analyse trop complexe et emprunte de subjectivité, le Conseil d'Etat a récemment souhaité interdire le recours à de telles pratiques.

Le Conseil d'Etat, dans ses décisions "Société Jesda" (CE 4° et 5° s-s-r., 10 novembre 2004, n° 263446, Société JESDA et autres N° Lexbase : A9003DDS) et "Société Bricomuret" (CE 4° et 5° s-s-r., 10 novembre 2004, n° 263206, Société Bricomuret et autres N° Lexbase : A9001DDQ) du 10 novembre 2004, considère que "la zone de chalandise de l'équipement commercial faisant l'objet d'une demande d'autorisation, qui correspond à la zone d'attraction que cet équipement est susceptible d'exercer sur la clientèle, est délimitée en tenant compte des conditions d'accès au site d'implantation du projet et des temps de déplacement nécessaires pour y accéder".

Le même raisonnement est appliqué dans l'arrêt "Bricorama" du 1er avril 2005 (CE 4° s-s., 1er avril 2005, n° 265495, Société Bricorama France N° Lexbase : A4393DH8).

Même si l'on peut comprendre le souci du Conseil d'Etat d'avoir recours à un critère unique de tracé de la zone de chalandise, cette jurisprudence n'est pas parfaitement satisfaisante si l'on souhaite voir dans cette notion une application de la définition géographique de la zone de chalandise.

En effet, le critère de substituabilité, dans l'esprit du consommateur, ne peut être ramené à la seule proximité d'une enseigne ; il est, également, nécessaire d'y intégrer d'autres variables tirées en particulier de la spécificité de l'enseigne ou du secteur concerné.

A ce titre, et paradoxalement, l'application du critère de substituabilité devrait normalement conduire à exclure d'une zone de chalandise un magasin de même dimension et de même enseigne que le projet, mais situé plus loin.

En effet, dans ce cas, le magasin plus éloigné ne pourra plus faire partie de la liste de choix dont le consommateur dispose pour faire ses achats ; il ne sera plus interchangeable avec les autres magasins de cette liste faute de présenter une spécificité propre.

Résumé de façon triviale, le consommateur pourrait se demander : "pourquoi aller plus loin pour trouver exactement la même chose qu'à côté de chez soi ?".

Il semble, toutefois, que, malgré les effets d'annonces, les règles de tracé de la zone de chalandise ne puissent pas encore répondre à l'unique critère du temps d'accès en véhicule particulier ; une part d'analyse de substituabilité, aussi mince soit-elle, reste d'actualité.

Cet état du droit traduit bien la proximité récurrente des notions de marché pertinent et de zone de chalandise.

Un exemple jurisprudentiel récent, et étrangement peu connu, permet, par exemple, de déceler la permanence du critère de la spécificité des équipements inclus dans la zone.

Dans cette affaire, une enseigne nationale bien connue souhaitait réaliser à Flourens, commune située à environ 15 minutes de voiture à l'est de Toulouse, un magasin de commerce de détail alimentaire de 2 240 m² de surface de vente.

La zone de chalandise, de 20 minutes, tracée avait, dans la logique de l'application du critère de substituabilité, exclu les ensembles commerciaux de Toulouse (11 748 m²) et de Saint-Orens (14 610 m²), pourtant situés à seulement 15 minutes du site.

Se départissant d'une conception stricte du tracé de la zone de chalandise par application du seul critère du temps d'accès en véhicule particulier, le Conseil d'Etat a pu juger que :

"considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de ses demandes d'autorisation en vue de la création d'un ensemble commercial et d'une station service à Flourens (Haute-Garonne), la société Hellau a produit une étude d'impact dans laquelle elle a délimité une zone de chalandise s'étendant d'ouest en est de Flourens à Caraman ; que, si la délimitation retenue par le pétitionnaire conduisait à exclure des communes distantes de dix à vingt minutes du site du projet, situées à l'est de l'agglomération toulousaine, les services instructeurs ont rectifié cette zone pour y inclure les communes de Balma et Pin-Balma, voisines de Flourens ; qu'en outre, eu égard aux caractéristiques du projet, le pétitionnaire a pu légalement ne pas inclure dans la zone de chalandise certaines communes situées à l'est de Toulouse" (21).

Cette décision permet de réintroduire une part d'analyse de substituabilité dans les règles afférentes au critère de substituabilité dans l'esprit du consommateur.

Ici, il était impensable de considérer que les consommateurs de Toulouse-Est ou même de Saint-Orens seraient attirés par le petit magasin de 2 241 m² de surface de vente et situé en rase campagne, du pétitionnaire.

La taille et la spécificité des enseignes situées à proximité de leur domicile faisaient obstacle à ce qu'un banal petit magasin de campagne soit intégré à la liste des établissements dans lesquels ils pourraient choisir de faire leurs courses alimentaires.

Le Conseil d'Etat a, ainsi, considéré que c'était à bon droit que la CNEC avait validé l'exclusion de ces commerces de la zone de chalandise du projet.

Reste que, dans la majeure partie des cas, le critère du temps d'accès en véhicule particulier est parfaitement suffisant pour permettre la mise en oeuvre de la substituabilité et, partant, la définition du marché pertinent.

C'est la raison pour laquelle il ne faut pas attendre que les principes dégagés dans les arrêts "Jesda" et "Bricomuret" soient remis en cause de façon explicite ; l'analyse de la substituabilité ne peut exister que marginalement dans le tracé de la zone de chalandise.

B. Marché pertinent et contrôle des effets du projet sur la concurrence

Suivant en cela une jurisprudence parfaitement établie et faisant du droit de la concurrence un élément du champ de la légalité soumis au contrôle de l'administration, le Conseil d'Etat, dans son célèbre arrêt "Caen Distribution" (préc.), a imposé aux CDEC et à la CNEC de prendre en compte les effets des autorisations accordées sur la concurrence.

Si l'on ajoute à ce nouvel état du droit la circonstance que les effets positifs sur la concurrence constituent un élément compensateur d'un éventuel dépassement des densités commerciales moyennes, il apparaît que la notion de marché pertinent est intéressante à double titre, s'agissant du contrôle des effets du projet sur la concurrence.

  • L'usage de la notion de marché pertinent peut permettre d'interdire un projet ne présentant pas de risque au regard de la densité commerciale :

Depuis l'arrêt "Guimatho" (préc.), il est classique de considérer qu'un projet sera systématiquement autorisé par la CDEC si la densité commerciale moyenne de la zone de chalandise dans laquelle il évolue ne dépasse pas les densités nationales et départementales.

Tel est, en effet, le critère exclusif permettant de déterminer l'existence d'un risque de gaspillage de l'équipement commercial ou d'écrasement du petit commerce que la loi "Royer" a pour objet de prévenir.

Aujourd'hui, un projet qui n'induit aucun risque d'écrasement du petit commerce ou de gaspillage de l'équipement commercial pourra tout de même être refusé ou son autorisation pourra être annulée par le juge administratif.

Il suffira pour cela de démontrer que l'autorisation accordée, ou sur le point d'être accordée, est de nature à permettre au pétitionnaire d'abuser nécessairement de sa position dominante sur le marché pertinent c'est-à-dire sur la zone de chalandise.

En stratégie contentieuse, cet état du droit est intéressant tant pour le pétitionnaire en état de position dominante que pour le requérant :

- Pour le requérant, cette situation permet d'envisager l'annulation d'une décision de CDEC octroyée dans une situation d'absence de risque d'écrasement du petit commerce ou de gaspillage de l'équipement commercial.

La seule exigence sera de démontrer que l'autorisation attaquée créera ou confortera la position dominante du groupe ou de l'enseigne sur la zone de chalandise dont le pétitionnaire abusera alors nécessairement.

Cette démonstration imposera, toutefois, de mettre en oeuvre une analyse fine du marché pertinent afin de restreindre ou d'étendre, selon les cas, au maximum la zone de chalandise et de présenter, ainsi, au juge administratif une situation dans laquelle l'enseigne ou le groupe du projet autorisé représente plus de 50 % de la surface de vente totale de la zone.

- Pour le pétitionnaire en situation de position dominante sur une zone de chalandise et souhaitant créer une nouvelle enseigne, le risque de refus de l'autorisation sollicitée devra être anticipé.

C'est ainsi qu'il pourrait être envisageable pour celui-ci de créer une société civile immobilière agissant en tant que promoteur du projet sans révéler à la commission que l'enseigne choisie pour l'exploiter fait partie du même groupe que celui qui occupe ou occupera sur la zone de chalandise une position dominante (22).

Reste que l'expérience montre que tant les CDEC que la CNEC sont peu enclines à croire sur sa simple bonne foi le promoteur de ce qu'aucune enseigne de son groupe n'exploitera effectivement le magasin...

Il est, donc, très important pour chacune des parties de bien prendre en compte cette dimension de l'analyse du marché pertinent dans le cadre du contentieux relatif à l'autorisation d'équipement commercial.

  • L'usage de la notion de marché pertinent peut imposer d'autoriser un projet présentant un risque au regard de la densité commerciale.

Il est, également, classique de pronostiquer qu'un projet induisant un risque de gaspillage de l'équipement commercial ou d'écrasement du petit commerce sera très certainement refusé ou que son autorisation sera annulée par le juge administratif.

Tel ne sera le cas que dans l'hypothèse où le projet est susceptible d'être en quelque sorte "rattrapé" eu égard, notamment, à ses effets positifs sur la concurrence existante dans la zone de chalandise.

Envisageons l'hypothèse d'une enseigne dont les magasins représentent 60 % de la surface de vente totale présente sur une zone de chalandise totalement saturée au regard de la comparaison des densités commerciales moyennes ; en vertu des principes ci-dessus énoncés, un projet concurrent pourrait parfaitement être autorisé, dans la mesure où il permet de lutter contre la position dominante d'un groupe ou d'une enseigne existante.

Cette perspective est très intéressante dans la mesure où elle permet de compenser le principal défaut de la loi "Royer" tenant au maintien en place des équilibres et de la répartition des marchés entre les grandes enseignes nationales.

Elle est d'ailleurs appliquée de façon non négligeable par plusieurs CDEC.

Mais il est très important pour le promoteur d'un tel projet concurrent de ne pas commettre d'erreur sur l'analyse de la position dominante de l'enseigne ou du groupe dominant ; cette position n'est décelable que sur la seule zone de chalandise dudit groupe ou de ladite enseigne, et non sur celle du projet.

En effet, l'analyse du caractère dominant de la position occupée par un opérateur économique s'effectue toujours dans le cadre du marché pertinent sur lequel il évolue et non dans le cadre de celui du projet concurrent.

Cette différence est extrêmement importante. Ce n'est, ainsi, pas parce que, sur la zone de chalandise du projet concurrent, une enseigne ou un groupe dispose d'une position dominante que ledit projet pourra être autorisé.

Ainsi, le simple fait pour un petit magasin d'une surface de vente inférieure à 1 000 m² d'évoluer sur une zone de chalandise dans laquelle il n'existe qu'une seule enseigne ou qu'un seul groupe n'est pas suffisant pour permettre de l'autoriser, si cette enseigne ou ce groupe dispose de magasins de plus de 5 000 m², par exemple, évoluant, ainsi, pour sa part, sur une zone de chalandise plus vaste et plus concurrentielle.

Les promoteurs de projets sont, ainsi, invités à apprécier de façon particulièrement circonstanciée les caractéristiques concurrentielles, non pas seulement de leur propre zone de chalandise mais, également, nouveauté induite par la prise en compte du droit de la concurrence, de celle de leurs concurrents potentiels directs.

***

L'usage de la notion de marché pertinent dans le droit de l'urbanisme commercial démontre bien à quel point le droit de la concurrence irradie de toute part cette sphère du droit administratif très spécifique.

Mais d'autres notions de droit de la concurrence pourront sans doute être utilisées par le juge administratif afin de contrôler les décisions des CDEC et de la CNEC ; on peut penser, par exemple, aux notions d'effet de gamme, d'installations essentielles ou encore de marché aval et amont...

Il appartient aux plaideurs de faire preuve d'imagination afin de mettre en mesure le juge administratif d'aller jusqu'au bout du contrôle exercé en matière de droit de la concurrence sur les autorisations CDEC.

Fabrice Senanedsch,
Avocat à la cour d'appel de Montpellier,
CGCB et associés
http://cgc-avocats.com/


(1) Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, relative à l'orientation du commerce et de l'artisanat ("loi Royer" N° Lexbase : L6622AGD), publiée au Journal officiel de la République française du 30 décembre 1973.
(2) CE 4° et 6° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 227838, SA Caen Distribution (N° Lexbase : A2403C9U), AJDA, 10 novembre 2003, p. 2036.
(3) Cette insertion du droit de la concurrence dans la sphère du droit public peut être précisément datée par deux arrêts : CE sect., 8 novembre 1996, n° 122644, Fédération française des sociétés d'assurance (N° Lexbase : A1517APU), Rec. CE 1996, p. 441 et CE sect., 3 novembre 1997, n° 169907, Société Million et Marais (N° Lexbase : A5178ASL), Rec. CE 1997, p. 406. Ces arrêts posent, en droit public interne, les bases de l'application de la théorie de l'abus automatique.
(4) CE 4° et 6° s-s-r., 19 juin 2002, n° 222213, Syndicat intercommunal de défense de l'artisanat et du commerce (N° Lexbase : A9805AYS), LPA, 12 novembre 2002, n° 226, p. 11 ou CE 4° et 5° s-s-r., 11 février 2004, n° 242160, Société Etablissements Grassot SA et Société Jardivil (N° Lexbase : A3390DB8).
(5) Cette notion est, d'ailleurs, le pendant du critère compensatoire des ententes ou des abus de position dominante qui s'attache au "progrès économique" (v., C. com., art. L. 420-4 N° Lexbase : L6586AIR).
(6) Définition donnée par la Commission européenne, JOCE C-372 du 9 décembre 1997.
(7) L'exemple le plus intéressant de l'usage de cette notion par le Conseil d'Etat réside, sans doute, dans l'affaire de la fusion Coca-Cola/Orangina (CE, 9 avril 1999, n° 201853, Société The Coca-Cola Company N° Lexbase : A4738AUZ, RFDA, 1999, p. 787, concl. Stahl et CE 3° s-s., 6 octobre 2000, n° 216645, Société Pernod-Ricard N° Lexbase : A9635AHC, Rec. p. 397).
(8) CE contentieux, 26 mars 1999, n° 202260, Société EDA (N° Lexbase : A3525AXT), Rec. Page 95, avec les conclusions de J.-H. Sthal, ou encore, CE contentieux, 22 novembre 2000, n° 223645, Société L&P Publicité (N° Lexbase : A9638AHG).
(9) Notons, cependant, que le législateur est récemment venu limiter l'intérêt à agir de telles associations, puisque le nouvel article L. 600-1-1 du Code de l'urbanisme, introduit par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L1047HPH), dispose qu'"une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire".
(10) Solution classique, voir, par exemple, CE contentieux, 5 octobre 1979, n° 05727, SCI Adal d'Arvor (N° Lexbase : A3817B7I), p. 365.
(11) Voir, pour un exemple, CE contentieux, 1er avril 1996, n° 112696, M. Gout et Union des commerçants d'Oloron-Sainte-Marie (N° Lexbase : A8558ANB).
(12) Voir, par exemple, en ce sens, CE 4° s-s., 28 juin 2006, n° 276005, Association en toute franchise Haute-Garonne c/ Commission nationale d'équipement commercial (N° Lexbase : A0877DQK).
(13) Voir, en ce sens, CE 4° s-s-r., 26 avril 2006, Société Top Distribution bricolage c/ Commission Nationale d'Equipement Commercial (N° Lexbase : A2014DPB).
(14) CE 4° et 5° s-s-r., 28 septembre 2005, Société Sumidis ; Société Coco Fruits c/ Commission Nationale d'Equipement Commercial (N° Lexbase : A6102DK9).
(15) CE 4° et 5° s-s-r., 11 février 2004, Etablissements Grassot SA et Jardivil (N° Lexbase : A3390DB8).
(16) CE contentieux, 24 février 2006, n° 278220, Leroy Merlin (N° Lexbase : A4916DNE), sur des conclusions contraires du Commissaire du Gouvernement M. Yves Struillou, le Conseil d'Etat, après de nombreux arrêts des juridictions de fond jugeant le contraire, considère que le recours devant la juridiction administrative contre une autorisation d'équipement commercial ne doit pas faire l'objet d'un recours administratif préalable devant la CNEC.
(17) Il est possible de retrouver ce rapport sur le site internet du Conseil de la concurrence.
(18) CE contentieux, 27 mai 2002, n° 229187, SA Guimatho (N° Lexbase : A8248AY7).
(19) En principe, la taille de la zone de chalandise doit nécessairement dépendre de la taille et des caractéristiques du projet. En pratique, un petit magasin d'alimentaire devrait avoir une zone de chalandise infiniment moins étendue qu'une grande enseigne de bricolage. Dans les faits, il existe un certain flou entretenu par les DDCCRF sur la question de la taille de la zone de chalandise.
(20) CE 4° et 5° s-s-r., 11 février 2004, n° 242160, Société Etablissement Grassot (N° Lexbase : A3390DB8), AJDA 2004, p. 1651.
(21) CE 4° s-s., 28 juin 2006, n° 276005, Association en toute franchise Haute-Garonne c/ Commission Nationale d'Equipement commercial (N° Lexbase : A0877DQK).
(22) Cette possibilité n'est ouverte qu'aux projets ayant une surface de vente inférieure à 1 000 m² pour lesquels l'article 18-1 du décret du 9 mars 1993 n'exige pas la présentation d'une étude d'impact dans le dossier de demande renseignant notamment le nom de l'enseigne.

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut des Assurances de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver le nouveau panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, consacré essentiellement à la responsabilité médicale pour faute et aux infections nosocomiales. En matière de faute, la jurisprudence récente de la Cour de cassation précise que la faute médicale doit ainsi être distinguée de la simple erreur commise par le médecin, qui n'engage sa responsabilité que si cette erreur présente une certaine gravité. De même les Hauts magistrats rappellent que la mise en cause de la responsabilité du médecin suppose que soient établis, le préjudice subi par la victime, la faute du médecin et le lien de causalité entre la faute et le préjudice. Cette exigence du caractère causal de la faute est souvent rappelée et opposée aux victimes qui mettent en cause la responsabilité civile des praticiens ou des établissements. Enfin, concernant la réparation du préjudice consécutif à un manquement à l'obligation d'information en matière médicale fait classiquement difficulté, la jurisprudence impose, depuis 2004, l'application de la théorie de la perte de chance de s'être soustrait au préjudice qui s'est finalement réalisé. En matière d'infections nosocomiales, l'auteur revient sur la différence entre le régime légal, issue de la loi du 4 mars 2002, au terme duquel le médecin n'est donc plus responsable qu'en raison de sa faute prouvée, et le régime jurisprudentiel qui continue, depuis 1999, à mettre à la charge du professionnel une obligation de sécurité de résultat. I - Responsabilité pour faute médicale

A - Caractère de la faute médicale

Principe. L'exigence d'une faute est une constante du droit de la responsabilité médicale qui a résisté aux changements de fondements intervenus au vingtième siècle et figure aujourd'hui comme principe à l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8853GT3).

Erreur et faute. La Cour de cassation affirme, depuis l'arrêt "Mercier" rendu en 1936 et de manière constante, que le médecin doit "sinon bien évidemment, de guérir le malade [...] du moins de lui donner des soins, non pas quelconques [...] mais consciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science" (1).

Le simple fait que les soins n'aient pas permis de guérir le malade ne suffit donc pas à engager la responsabilité du médecin, ou de l'établissement de soins, encore faut-il prouver que ce dernier a bien commis une faute.

Dégagé dans le cadre de la responsabilité contractuelle fondée sur l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), ce principe demeure dans la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 (N° Lexbase : L1457AXA) qui a réaffirmé, en créant un article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique, que "hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute".

La faute médicale doit, ainsi, être distinguée de la simple erreur commise par le médecin, qui n'engage sa responsabilité que si cette erreur présente une certaine gravité (2).

Prise en compte des difficultés du diagnostic. La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt inédit rendu le 31 mai 2007, que les juges du fond ne doivent pas confondre erreur et faute médicale et qu'ils doivent prendre en compte, pour juger le comportement du médecin, notamment les difficultés du diagnostic : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-12.641, M. Gérald Bureau, F-D (N° Lexbase : A5130DWW).

Dans cette affaire, un médecin généraliste, appelé au chevet d'un patient âgé de 75 ans qui présentait des troubles digestifs, avait posé le diagnostic de gastro-entérite virale et prescrit un traitement en conséquence ; trois jours plus tard, en l'absence d'amélioration, le médecin avait ordonné une prise de sang ; informé d'une forte fièvre de son patient, le médecin conseillait le lendemain une l'hospitalisation sans délai ; le patient devait malheureusement décéder quelques heures plus tard d'un choc sceptique.

Alors que le tribunal de grande instance avait mis hors de cause le médecin généraliste, la cour d'appel allait le condamner en raison d'une faute commise dans le diagnostic ayant fait perdre au patient une chance de survie.

Cet arrêt est cassé, la première chambre civile de la Cour de cassation reprochant à la cour d'appel de ne pas avoir recherché "comme elle y était invitée, si le diagnostic de la pathologie ayant entraîné l'issue fatale était difficile à établir", après avoir affirmé que "ne commet pas de faute le médecin qui ne peut poser le diagnostic exact lorsque les symptômes rendent ce diagnostic particulièrement difficile à établir".

Comme nous l'avions indiqué lors du précédent panorama, la Cour de cassation se montre plus indulgente en matière de diagnostic qu'en matière de gestes chirurgicaux où elle admet plus volontiers qu'une simple maladresse permette de condamner son auteur (3).

B - Nécessité d'établir le caractère causal de la faute médicale

Principes. La mise en cause de la responsabilité du médecin suppose que soient établis, comme d'ailleurs cela doit l'être d'une manière générale, le préjudice subi par la victime, la faute du médecin et le lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Cette exigence du caractère causal de la faute est souvent rappelée et opposée aux victimes qui mettent en cause la responsabilité civile des praticiens ou des établissements.

Application au cas d'aggravation prétendue du préjudice. Ainsi, un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 31 mai 2007 fait application de ce principe dans une affaire où une victime réclamait en justice un complément d'indemnisation à la suite de ce qu'elle considérait être une aggravation de son état de santé postérieure à l'offre provisionnelle qui lui avait été faite par l'assureur : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-16.398, Mme Catherine Paquis, épouse Ley, F-D (N° Lexbase : A5170DWE).

Celle-ci prétendait, en effet, que la nouvelle opération qu'elle avait dû subir l'avait privée d'une chance de trouver un emploi. La cour d'appel l'avait déboutée de cette demande, après avoir relevé, à la suite de l'expert, que son taux d'incapacité permanente partielle ne s'était pas aggravé à la suite de cette nouvelle intervention. Le pourvoi dirigé contre cet arrêt est rejeté, la Cour de cassation le considérant comme suffisamment motivé.

Application au cas d'erreur de diagnostic. Un autre arrêt inédit rendu le 28 juin 2007 conduit à une solution comparable s'agissant des conséquences d'une erreur de diagnostic commise par un médecin : Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-17968, n° 06-17.968, M. Pascal Leprêtre, F-D (N° Lexbase : A9486DWA).

Dans cette affaire, un patient âgé de 82 ans s'était plaint brutalement de violentes douleurs abdominales. Son médecin traitant l'avait adressé à la clinique pour une suspicion d'appendicite où le patient avait été examiné, le praticien ayant réalisé l'examen ayant exclu le diagnostic d'appendicite aiguë, tout en prescrivant plusieurs examens. Le lendemain, le patient a été victime d'un malaise, associé à une forte chute de tension, et avait dû subi une appendicectomie. L'appendice s'était révélé sain tandis que l'état du patient avait continué à se détériorer. Transféré en urgence au centre hospitalier, il avait été de nouveau opéré, le chirurgien constatant la rupture d'un volumineux anévrisme de l'aorte abdominale. Le patient était décédé quelques jours plus tard. Ses héritiers considéraient qu'une faute de diagnostic avait été commise et que ce retard avait fait perdre au patient une chance d'éviter le décès, mais la cour d'appel les avait déboutés de l'ensemble de leurs demandes.

Le pourvoi contre cet arrêt est ici rejeté, la Cour de cassation considérant "que, se fondant sur le rapport d'expertise, l'arrêt, qui retient que si le diagnostic avait été posé plus tôt grâce aux résultats de l'échographie abdominale, l'anévrisme n'aurait pu être opéré en raison de son volume, de sa localisation et de l'âge du patient", les juges du fond ayant valablement pu "en déduire, sans dénaturer le rapport d'expertise ni se contredire, l'absence de lien causal entre le retard de diagnostic et le décès du patient".

Application au cas de manquement à l'obligation d'information. Une part très importante de ce contentieux concerne les préjudices consécutifs à un manquement à l'obligation d'information (4).

On sait, depuis le second arrêt rendu dans l'affaire "Hédreul" en 2000, que les juges du fond sont invités à apprécier le caractère causal de la faute "en prenant en compte l'état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, les effets qu'aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus". Lorsqu'ils considèrent que le manquement à l'obligation d'information n'a pas été déterminant dans le choix opéré par le patient, alors ils le déboutent de ses demandes car il ne peut relier le préjudice qui s'est finalement réalisé à la faute constatée, celle-ci ayant été sans incidence réelle sur le choix qui se serait imposé à lui.

Nouvelles illustrations. C'est ce que confirment de nouveaux arrêts inédits de la première chambre civile de la Cour de cassation rendus le 31 mai 2007 : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 03-19.365, M. Hammou Jaafar, FS-D (N° Lexbase : A5085DWA).

Dans une première affaire, un gynécologue avait, compte tenu des résultats d'une échographie de contrôle laissant supposer un poids élevé du foetus et de l'hypertension artérielle de la mère, obtenu l'accord de celle-ci pour un accouchement par césarienne. Ressentant les premières contractions et après une nouvelle échographie, ce même médecin avait pris la décision de pratiquer l'accouchement par les voies naturelles, sans l'accord de la patiente sur l'abandon du recours à la césarienne initialement prévue. L'enfant était né, au terme d'un accouchement compliqué par une dystocie des épaules ayant provoqué une paralysie du plexus brachial droit, aggravée d'une paralysie du nerf phrénique droit. Les parents avaient, donc, mis en cause la responsabilité civile de ce médecin, mais avaient été déboutés par la cour d'appel pour qui "l'information complète de [la mère] ne lui aurait pas offert les arguments d'un choix autre que celui retenu par [le médecin]". Cet arrêt est, ici, confirmé par le rejet du pourvoi, la cour d'appel ayant "exactement déduit" de ces éléments "qu'il n'existait pas de lien de causalité entre les manquements allégués et les préjudices subis".

Si la solution peut se comprendre, d'un strict point de vue juridique, il est tout de même paradoxal, et en toute hypothèse assez frustrant pour les victimes, de les débouter de leur action, sous prétexte qu'ils auraient, de toute façon, suivi le médecin dans son choix s'ils avaient été informés de l'alternative thérapeutique qui s'offrait à eux, tout en reconnaissant que le médecin a commis une faute, celui-ci n'étant "pas dispensé de cette information sur la gravité du risque par le seul fait que l'intervention serait médicalement nécessaire" (5).

Il nous semble que, lorsque la faute n'a pas été déterminante du consentement, il conviendrait de réparer au moins le préjudice moral consécutif au non-respect du droit de consentir, de manière éclairée, aux soins, en détachant ce préjudice du préjudice corporel final, et ce, contrairement à ce que juge aujourd'hui la Cour de cassation (cf. infra) (6).

Pouvoir d'appréciation des juges du fond. Les juges du fond disposent ici d'une large marge d'appréciation de l'existence du lien de causalité, la Cour de cassation se contentant d'un simple contrôle disciplinaire.

C'est ce que montre clairement un autre arrêt rendu le même jour que le précédent, mais aboutissant au contraire à la condamnation du médecin : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-18.262, M. André Gabriel, F-D (N° Lexbase : A5174DWK).

Dans cette affaire, une patiente avait été victime d'un accident vasculaire cérébral à la suite d'un examen artériographique. Elle avait obtenu en référé la désignation d'un expert et au vu du rapport d'expertise l'allocation d'une provision, ce qui fut confirmé en appel.

La Cour de cassation confirme ces décisions et rend ici un arrêt de rejet. La cour d'appel avait, en effet, considéré, "en se fondant sur les constatations de l'expert, que prévenue des risques accrus du fait de ses antécédents, la patiente aurait pu préférer ne pas effectuer l'examen".

Importance de l'expertise médicale. On le voit ici, même si l'expertise ne lie jamais le juge qui la demande, celle-ci constitue un élément important de la motivation de la solution retenue.

Un autre arrêt inédit rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 juin 2007 permet de s'en convaincre : Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-15.540, Mme Nathalie Rabiller, F-D (N° Lexbase : A9465DWH).

Dans cette affaire, un patient prétendait souffrir, aux lendemains d'une intervention chirurgicale à la main, de l'avant-bras gauche. Le juge des référés avait condamné le chirurgien à payer une provision à la victime après avoir affirmé que "en principe, étant donné qu'il s'agit d'une paralysie partielle, le diagnostic de compression au moment ou dans les suites immédiates de l'intervention est le plus probable". Or, l'arrêt est cassé au double visa des articles 1147 du Code civil, et 809, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC). Après avoir rappelé le principe selon lequel "l'auteur d'une faute ne peut être condamné à réparation que si sa faute a contribué de façon directe à la production du dommage dont la réparation est demandée", la Cour de cassation constate "qu'il résulte de ses propres constatations que les avis divergents et hypothétiques des experts n'établissaient pas l'existence d'un lien entre le préjudice subi et la cause alléguée, ce dont il résultait que l'obligation était sérieusement contestable" et, donc, que "la cour d'appel a violé les textes susvisés".

C - Evaluation du préjudice consécutif à un défaut d'information

Situation du problème. La réparation du préjudice consécutif à un manquement à l'obligation d'information en matière médicale fait classiquement difficulté. On sait que deux thèses se sont affrontées, tant en doctrine qu'en jurisprudence. Pour certains, le préjudice résultant du défaut d'information ne pourrait constituer qu'un préjudice moral, échappant au recours des tiers payeurs, distinct du préjudice corporel qui s'est finalement réalisé et qu'il conviendrait d'évaluer de manière autonome. Pour d'autres, ce préjudice ne constituerait qu'une fraction du préjudice final qui ne pourrait donc être évalué qu'en prenant en compte l'étendue de ce dernier tout en l'affectant d'un pourcentage de réduction dans le cadre de l'application de la théorie de la perte de chance.

Le débat a été définitivement tranché par la Cour de cassation qui impose, depuis 2004, l'application de la théorie de la perte de chance de s'être soustrait au préjudice qui s'est finalement réalisé (7).

Méthode d'évaluation imposée. C'est bien ce que confirme un nouvel arrêt inédit rendu le 28 juin 2007 par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui permet de bien comprendre ce que sont précisément les attentes de la Haute juridiction : Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-13.859, Mme Nicole Ropars, épouse Caurret, F-D (N° Lexbase : A9437DWG).

Dans cette affaire, un anesthésiste n'avait pas suffisamment informé le patient concernant l'opportunité de l'intervention et les risques de la survenance d'événements graves. La cour d'appel avait bien constaté l'existence d'une faute mais avait refusé de faire droit à la demande d'expertise portant sur l'étendue des préjudices économiques, matériels et moraux soufferts en conséquence de la réalisation du risque anesthésique non signalé. Elle avait, au contraire, choisi d'évaluer le préjudice résultant de la perte d'une chance d'avoir pu se soustraire au dommage de manière forfaitaire et considéré que ce préjudice n'était pas d'ordre économique et ne concernait pas l'état de dérèglement mental grave du patient, provoqué par les suites anesthésiques exemptes de toute faute. En d'autres termes, il s'agissait d'un préjudice autonome étranger au préjudice résultant de l'accident médical.

Cet arrêt est, comme cela était prévisible, cassé, au visa de l'article 1147 du Code civil, la Cour de cassation reprochant aux juges du fond d'avoir ainsi statué "sans évaluer, au préalable, le montant total des préjudices corporels, matériels et moraux subis, pour déterminer et évaluer la perte de chance". Comme le rappelle la Cour à titre liminaire, dans un attendu de principe classique, "déterminée en fonction de l'état de la victime et de toutes les conséquences qui en découlent pour elle, l'indemnité de réparation de la perte d'une chance d'obtenir une amélioration de son état ou d'échapper à la situation qui s'est réalisée doit correspondre à la fraction, souverainement évaluée, des différents chefs de préjudice supportés par la victime".

II - Infections nosocomiales

Régime prétorien. La Cour de cassation a consacré, en 1999, l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, en matière d'infections nosocomiales, qui pèse tant sur le médecin libéral que sur l'établissement (8).

Régime légal. Le régime légal, issu des lois du 4 mars et 30 décembre 2002 (loi n° 2002-1577du 30 décembre 2002, relative à la responsabilité civile médicale N° Lexbase : L9375A8Q), se distingue sensiblement de ces solutions.

En premier lieu, seuls les établissements de santé se trouvent, désormais, soumis à un régime légal de responsabilité sans faute qui ne cède que devant la preuve d'un cas de force majeure ; les médecins ne sont donc plus responsables qu'en raison de leur faute prouvée (9), comme c'était le cas avant 1996 (10).

En second lieu, la responsabilité de plein droit des établissements ne vaut que si la victime n'est pas décédée et présente un taux d'IPP inférieur à 26 %. Dans l'hypothèse contraire, l'article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique impose à l'ONIAM d'indemniser la victime, à charge pour lui de se retourner contre l'établissement, le succès de ce recours étant toutefois subordonné à la preuve d'une faute commise par cet établissement, notamment en cas de non-respect des prescriptions légales ou réglementaires relatives à la prévention des infections nosocomiales.

Tentatives de réinterprétation du droit commun. Les médecins ont donc tout intérêt à se placer dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, ce qui n'est toutefois possible que pour les actes médicaux réalisés à compter du 5 septembre 2001, ou à peser sur la jurisprudence pour que celle-ci, faisant une sorte d'application indirecte immédiate de la loi nouvelle, "déclasse" leur obligation de sécurité de résultat en obligation de moyens et impose à la victime la preuve d'une faute, comme c'était le cas avant 1996 et comme c'est de nouveau le cas lorsque l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique est applicable.

Si certaines cours d'appel se sont montrées sensibles à ces arguments (11), la Cour de cassation n'a pas modifié les solutions dégagées depuis 1999 (12).

Confirmation de l'obligation de sécurité de résultat. Dans un arrêt inédit rendu le 31 mai 2007, la Cour de cassation confirme cette fermeté : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-17.888, Société La Clinique des Franciscaines, F-D (N° Lexbase : A5173DWI).

Dans cette affaire, les juges de la cour d'appel de Nîmes avaient débouté la victime d'une infection nosocomiale de son action, sous prétexte qu'elle n'avait pas prouvé la faute du médecin (13). L'arrêt est logiquement cassé, la Cour indiquant très clairement au double visa des articles 1147 du Code civil et L. 1142-1 du Code de la santé publique, qu'"en statuant ainsi, alors que l'article L. 1142-1 du Code la santé publique n'étant pas applicable en la cause, ce dont il résultait que, s'agissant des conséquences dommageables d'une éventuelle infection nosocomiale, la clinique et le chirurgien étaient, l'un et l'autre, tenus à l'égard de la patiente d'une obligation de sécurité de résultat dont ils ne pouvaient se libérer que par la preuve d'une cause étrangère et non par la preuve d'une absence de faute, la cour d'appel a violé le premier des textes susvisés par refus d'application, et le second par fausse application".

Cette solution est logique car l'application "anticipée" que la cour d'appel de Nîmes prétendait faire de la loi du 4 mars 2002 aboutissait, en réalité, à violer l'esprit de la loi nouvelle, alors même qu'elle prétendait en faire application. Il est, en effet, pour le moins paradoxal d'affirmer qu'il est nécessaire de respecter la volonté du législateur, en ramenant l'intensité de l'obligation de sécurité qui pèse sur le médecin en présence d'une infection nosocomiale d'une obligation de résultat à une simple obligation de moyens. La loi du 4 mars 2002 a, en effet, décidé de limiter son application dans le temps aux seuls actes réalisés à compter du 5 septembre 2001. Si la cour souhaitait respecter la volonté du législateur, alors elle aurait au contraire dû refuser de faire application du nouveau régime de la responsabilité des professionnels libéraux aux actes réalisés antérieurement au 5 septembre 2001. Dans une autre affaire, et alors qu'elle y était pourtant invitée, la cour d'appel de Reims avait, d'ailleurs, très justement affirmé que "ne pas appliquer la jurisprudence qui s'était développée avant cette loi serait priver de toute signification la date du 5 septembre 2001 telle que fixée par le législateur" (14).

Enfin, et c'est là sans doute que le raisonnement pêche le plus, la cour d'appel de Nîmes n'avait semble-t-il pas compris la philosophie même de la loi du 4 mars 2002. L'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique n'a, en effet, allégé le régime de la responsabilité des professionnels libéraux en matière d'infections nosocomiales que parce que les victimes disposent désormais, si elles ne parviennent pas à établir la faute, d'une indemnisation auprès de l'ONIAM, certes limitée aux dommages les plus graves. Or, la cour de Nîmes rompait totalement les termes mêmes de cet équilibre en faisant une application anticipée de ce nouveau régime de responsabilité, sans que la victime ne puisse bénéficier en contrepartie du droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale. Croyant aller dans le sens du législateur, la cour de Nîmes violait au contraire totalement la philosophie de la loi nouvelle.

Tentatives de restriction de la notion d'infection nosocomiale. Face à ce refus catégorique de modifier le régime de la responsabilité des médecins, certains plaideurs ont eu l'idée de tenter de restreindre le champ d'application même de ce régime en soutenant une conception très stricte de l'infection nosocomiale qui se réduirait aux seules infections d'origine exogène, à l'exclusion donc des infections d'origine endogène.

Après de nombreuses juridictions du fond (15), la Cour de cassation a rejeté cette conception très restrictive de l'infection nosocomiale et ne tient pas compte de l'origine du germe en cause dans l'infection (16).

Le Conseil d'Etat a, pour sa part, refusé de considérer comme relevant de ce régime les infections d'origine endogène (17), de telle sorte que l'on pouvait s'interroger sur la pérennité de la jurisprudence de la Cour de cassation, peut-être soucieuse d'harmonisation.

La confirmation d'une conception large. Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 juin 2007, et publié au Bulletin, confirme la conception large de l'infection, la Cour réaffirmant que "la responsabilité de plein droit pesant sur le médecin et l'établissement de santé en matière d'infection nosocomiale n'est pas limitée aux infections d'origine exogène", et "que seule la cause étrangère est exonératoire de leur responsabilité" : Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-10.812, M. François Maucourt, FS-P+B (N° Lexbase : A7882DWT).


(1) Cass. civ., 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier (N° Lexbase : A7395AHD).
(2) Cass. civ. 1, 4 janvier 1974, n° 72-14.161 (N° Lexbase : A7537AHM), Bull. civ. I, n° 4 (erreur de diagnostic). Sur les solutions qui prévalent lorsqu'est en cause la maladresse du geste chirurgical, voir le Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0717BB8).
(3) A propos de deux arrêts rendus le 3 avril 2007 : Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-13.457, Mutuelle d'assurances du corps de santé français (MACSF), F-D (N° Lexbase : A9123DUG) et Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 05-10.515, M. Jean-Baptiste Leblanc, F-D (N° Lexbase : A8931DUC) ; voir Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), préc..
(4) Ce depuis le second arrêt "Hédreul" rendu en 2000 : Cass. civ. 1, 20 juin 2000, n° 98-23.046, Hédreul c/ Cousin (N° Lexbase : A3773AUB), D. 1999, jur. p. 46, note H. Matsopoulou. Dans le même sens, Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 01-00.377, Mme Edith Legros, épouse Riallant c/ M. Francis Duval, FS-P+B (N° Lexbase : A7151A3A), Resp. civ. et assur. 2003, comm. 77 ; RTD civ. 2003, p. n° 4, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 00-15.572, Mlle Corinne Brier c/ Mutuelle complémentaire de la Ville de Paris, F-P (N° Lexbase : A9175A4L), Resp. civ. et assur. 2003, comm. 143. ; CA Paris, 1ère ch., sect. B, n° 2002/06720, Société Le sou médical c/ Madame R. (N° Lexbase : A7006DAQ), Resp. civ. et assur. 2004, comm. 76, obs. Ch. Radé. ; ainsi que les décisions analysées dans le Panorama préc..
(5) Cass. civ. 1, 18 juillet 2000 n° 99-10.886, Mme X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A9593AGE), Resp. civ. et assur. 2000, comm. 336.
(6) Resp. civ. et assur. 2003, chron. 7, Ch. Radé.
(7) Cass. civ. 1, 7 décembre 2004, n° 02-10.957, M. Pierre Pazat c/ Mme Martine Julienne, épouse Huet, F-P+B (N° Lexbase : A3421DEG), Resp. civ. et assur. 2004, comm. 60 ; dernièrement Cass. civ. 1, 13 février 2007, n° 06-12.372, Bruno Franck, F-D (N° Lexbase : A2249DUT), commenté dans le précédent Panorama, préc..
(8) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, trois arrêts, n° 97-14.254 (N° Lexbase : A6656AHY), n° 97-15.818 (N° Lexbase : A6644AHK) et n° 97-21.903 (N° Lexbase : A7452AHH), JCP éd. G, 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos. Pour des applications récentes : CA Paris, 8 décembre 2006, n° 02/05256 (N° Lexbase : A8813DS9).
(9) C. santé publ., art. L. 1142-1.
(10) C'est en effet l'arrêt "Bonnici" qui a reconnu aux victimes le bénéfice d'une présomption simple de faute (Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-16.586, M. Bonnici c/ Clinique Bouchard et autre N° Lexbase : A8567ABW, Bull. civ. I, n° 219 ; Resp. civ. et assur. 1996, chron., 29, par H. Groutel), avant que la Cour de cassation ne consacre, en 1999, l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, c'est-à-dire une responsabilité sans faute.
(11) CA Aix-en-Provence, 10ème ch., 4 mai 2004 (N° Lexbase : A9392DD9) : Resp. civ. et assur. 2004, comm. 343, et les obs. ; CA Caen, 1ère ch., 30 janvier 2007, B. c. / O. (N° Lexbase : A2277DWA).
(12) Cass. civ 1, 18 octobre 2005, n° 04-14.268, M. Jean-Luc Delalande c/ Mme Marie-Claude Bindel, épouse Kraszewski, FS-P+B (N° Lexbase : A0296DLK) ; Cass. civ. 1, 7 février 2006, n° 04-17.097, M. Joël Aknin c/ Mme Iris Amram, F-D (N° Lexbase : A8434DMC) ; Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 04-20.627, M. Jean-Pierre Fargette c/ Société Polyclinique de Keraudren, F-D (N° Lexbase : A7990DNA).
(13) CA Nîmes, 1ère chambre civile, sect. A, 9 septembre 2006.
(14) CA Reims, 22 septembre 2003, Boge Gloaguen c/ Jacob.
(15) CA Montpellier, 1ère ch., sec. B, 15 juin 2004, Polyclinique St-Jean c/ Rault (N° Lexbase : A9275DNT) ; CA Rennes, 8 décembre 2004, : Resp. civ. et assur. 2005, comm. 133, et les obs..
(16) Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-17.491, M. Pierre Lévy c/ Mme Jeanine Rault, FS-P+B (N° Lexbase : A9651DNR), Resp. civ. et assur. 2006, comm. 244 ; RTD civ. 2006, p. 567, obs. P. Jourdain.
(17) CE, 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2006, n° 275700, CHU de Brest (N° Lexbase : A4812DSZ) ; dans le même sens, CAA Nancy, 3ème ch., 25 janvier 2007, n° 06NC00684 (N° Lexbase : A9867DTM).

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales

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N4727BC3

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédures fiscales réalisée par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris. Cette première chronique en la matière nous donne l'occasion d'aborder les thèmes classiques du secret professionnel de l'avocat confronté au pouvoir de vérification de l'administration fiscale, des règles de prescription, de la procédure de redressement, ou encore de l'abus de droit.


  • Secret professionnel et pouvoir de vérification : CAA Lyon, plénière, 26 juin 2007, n° 05LY01861, M. Christian Godefrin (N° Lexbase : A2251DXN)

La procédure d'imposition est irrégulière lorsque le service des impôts utilise les renseignements contenus dans une consultation d'avocat pour déceler des redressements.

Ayant eu connaissance d'une consultation fiscale, émanant d'un avocat, qui préconisait un montage permettant à un contribuable de rapatrier, en franchise d'impôts, des fonds non déclarés à l'étranger, le vérificateur avait remis en cause l'opération réalisée sur le fondement de l'abus de droit. La cour administrative d'appel de Lyon a jugé la procédure irrégulière au motif que la consultation en cause était couverte par le secret professionnel. Cette décision est particulièrement intéressante à un double point de vue. D'une part, elle confirme l'opposabilité du secret professionnel au fisc, d'autre part, elle le fait dans une hypothèse où la consultation rédigée par l'avocat était adressée au comptable du contribuable, sans mention expresse de ce dernier.

1. Opposabilité du secret professionnel

En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci sont couvertes par le secret professionnel (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 66-5 N° Lexbase : L6343AGZ). Ainsi, ce secret pose, en matière fiscale, le problème du conflit entre deux impératifs, un contrôle fiscal efficace et le respect de ce secret. A cet égard, deux points sont à préciser : la connaissance par le service vérificateur d'une information couverte par le secret au cours du contrôle d'un professionnel qui y est astreint, la possibilité de s'opposer à l'exercice du droit de communication au nom de ce même secret. La seule exception au secret vise l'hypothèse où l'avocat aurait participé à la fraude présumée. Dans cette hypothèse, le service est autorisé à saisir les documents de nature à établir la preuve de sa culpabilité (Cass. com., 5 mai 1998, n° 96-30.116, Directeur général des Impôts c/ Société Value Investing Partnerset autres N° Lexbase : A2855ACQ).

1.1. Préservation du secret et contrôle des contribuables qui y sont tenus

Le législateur a harmonisé les obligations comptables des titulaires de bénéfices non commerciaux tout en veillant à concilier les pouvoirs légitimes de l'administration fiscale dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale avec la nécessaire préservation du secret professionnel. Ainsi, les professionnels libéraux adhérents d'une association agréée, astreints au secret sont dispensés de mentionner l'identité de leurs clients sur les documents comptables, sous réserve que ces noms figurent dans un fichier spécifique, couvert, lui, par le secret (instruction du 23 mars 2000, BOI 13 L-3-00 N° Lexbase : X7861AAE).

1.2. Droit de communication de l'administration

L'article 13-0 A du LPF (N° Lexbase : L2551DAQ), concernant les contribuables soumis au secret, précise les limites des demandes d'informations qui peuvent leur être adressées. Ainsi, les agents de l'administration peuvent demander toutes informations relatives au montant, à la date et à la forme des versements afférents aux recettes de toute nature perçues. Cependant, ces interrogations ne peuvent porter ni sur l'identité déclarée par le client, ni sur la nature de la prestation.

2. La nature des documents couverts par le secret et le destinataire

Il s'agit des consultations juridiques émanant de l'avocat, destinées à ses clients, de l'ensemble des correspondances échangées entre le client et son conseil et même des notes manuscrites de la main de l'avocat destinées à la préparation de la défense de ses clients. La protection est assurée quand bien même les documents protégés seraient saisis en dehors du cabinet de l'avocat (Cass. com., 15 décembre 1998, n° 96-30.082, Directeur général des Impôts c/ M. Hugh Ardoin et autres N° Lexbase : A0156AUC). En revanche, les pièces comptables relatives aux notes d'honoraires peuvent êtres saisies (Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-30.117, Direction nationale des enquêtes fiscales c/ M. André Ardoin et autres N° Lexbase : A0157AUD). Au cas particulier de l'affaire examinée par la cour administrative d'appel de Lyon, la note saisie chez le contribuable était formellement adressée à son comptable et le nom du contribuable n'y était pas mentionné. Cependant, c'est en raison de la coïncidence de la situation familiale du contribuable avec la teneur de la note que le service entendait déceler un abus de droit dans l'opération effectivement réalisée. La cour a considéré, qu'eu égard à cette coïncidence, la note, même adressée au comptable, devait être considérée comme une consultation rédigée par un avocat et destinée en réalité au contribuable. La note en cause était, donc, couverte par le secret professionnel.

  • Prescription

1. Abandon de la prescription décennale : loi n° 2007-1223, du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (N° Lexbase : L2417HY8), publiée au Journal officiel du 22 août 2007

Un amendement, adopté, déposé par le sénateur Marini, prévoit que, dans les cas où il n'est pas prévu un délai de prescription plus court, la durée d'exercice du droit de reprise de l'administration s'exercera jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt. De même, lorsque qu'une succession non déclarée ne relève pas de la prescription abrégée, il ne pourra en résulter une prolongation du délai de six ans mentionné ci-dessus. Les articles L. 186 (N° Lexbase : L8360AED) et L. 181 (N° Lexbase : L8364AEI) du LPF ont donc été modifiés en ce sens. L'article L. 186 est, désormais, ainsi rédigé "Dans tous les cas où il n'est pas prévu un délai de prescription plus court, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt". La dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 181 est ainsi rédigée "En aucun cas il ne peut résulter une prolongation du délai fixé par l'article L. 186". On rappellera que la prescription décennale, dite "prescription longue", s'applique aux droits d'enregistrement et à l'ISF pour l'essentiel, d'une part, en cas d'omission de biens, d'absence de déclaration et, d'autre part, malgré le dépôt de la déclaration, lorsque des recherches sont nécessaires pour déterminer la matière taxable. Par ailleurs, on sait que le fait générateur, c'est-à-dire l'événement qui donne naissance à la créance d'impôt au profit de l'administration, est, soit la date de décès pour les droits de succession, soit la date de l'acte pour les autres droits d'enregistrement, soit le 1er janvier de l'année d'imposition pour l'ISF, soit la date de réalisation de la condition pour les actes affectés d'une telle condition. L'entrée en vigueur de ce nouveau délai est repoussée aux procédures de contrôle engagées à compter du 1er juin 2008. Point d'effet d'aubaine, donc, pour ceux qui avaient négligé leurs obligations déclaratives, déclaration de succession par exemple, entre mai 1998 et décembre 2001.

2. Prescription et redressement de valeur : Cass. com., 30 mai 2007, n° 06-14.236, M. Jean Buffat, F-D (N° Lexbase : A5147DWK)

La Haute juridiction casse et annule une décision de la cour d'appel de Paris qui avait ouvert la voie à l'application de la prescription décennale en matière de contrôle de valeur de biens déclarés, au motif que des recherches étaient nécessaires.

2.1. Prescription décennale et "recherches ultérieures"

La courte prescription (LPF, art. L. 180 N° Lexbase : L8488AE4), dite prescription abrégée, n'est imposée à l'administration que dans l'hypothèse où, au vu du seul acte enregistré ou de la déclaration déposée, sans avoir à effectuer de recherches ultérieures, le service peut constater l'existence du fait juridique imposable.

2.2. Application au contrôle de valeur

Le contrôle de valeur est, en principe, enfermé dans le délai de prescription abrégée puisqu'il ne vise qu'à déceler une éventuelle insuffisance de taxation. Il ne porte que sur la liquidation des droits et non sur l'exigibilité même des droits ou leur nature. Pourtant, la frontière n'est pas solidement établie. Dans cette hypothèse, pour déterminer le montant exact d'un compte bancaire mentionné dans une déclaration de succession, l'administration est en droit d'invoquer la prescription décennale. En effet, le service doit interroger l'établissement bancaire qui tient le compte pour vérifier le montant exact (Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-11.303, Mlle Carrère-Bourdou c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A5541ABT). Plus récemment un arrêt de la cour d'appel de Paris est venu confirmer la "porosité" de la frontière entre liquidation et exigibilité des droits. A défaut d'avoir indiqué, dans une déclaration d'ISF, la méthode retenue pour justifier la valeur de titres de sociétés non cotées, le juge a estimé que la prescription décennale était applicable (CA Paris, 1ère ch., sect. B, 3 mars 2006, n° 04/03456, M. Jean Buffat et autres N° Lexbase : A6128DPN). C'est cet arrêt qui a été cassé et annulé par la Cour de cassation. En effet, le contribuable invoquait, sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L8568AE3), une réponse ministérielle selon laquelle, en matière d'évaluation des biens, le droit de reprise de l'administration est de trois ans, c'est-à-dire la prescription abrégée (RM Charles JO du 2 octobre 1989, n° 12799). Au cas particulier, la réponse, qui visait, au regard de l'ISF, des avoirs non déclarés détenus à l'étranger, précisait, sans ambiguïté, que "le délai de reprise de l'administration s'exerce, notamment en ce qui concerne les éventuelles insuffisances d'évaluation, jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de la déclaration", soit le délai de courte prescription.

  • Procédure de redressement

1. Motivation des redressements : Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-16.860, Directeur général des impôts (N° Lexbase : A3066DXT)

Seuls doivent êtres visés dans la proposition de rectification les textes concernant la cause et les conséquences des redressements.

Contrairement au Conseil d'Etat, la Cour de cassation exige la mention des articles du CGI sur lesquels se fondent les redressements. En effet, on sait que la loi impose aux services des impôts de motiver leurs propositions de rectification de façon à permettre au redevable de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. Alors que le Conseil d'Etat privilégie la "compréhension" des redressements par le contribuable, la Haute juridiction vérifie que sont cités les textes qui concernent la cause et les conséquences des rappels d'impôts.

1.1. Mention des textes

En matière de droits d'enregistrement, domaine de compétence de la Cour de cassation, il est fait obligation à l'administration de citer expressément le ou les textes qui fondent les redressements (Cass. com., 15 décembre 1987, n° 86-15.872, Société Strugo et Cie - Résidence Le grand lièvre N° Lexbase : A3005AXL). En revanche, il n'est point imposé aux services de préciser la teneur complète du texte.

1.2. Mention des textes qui concernent la cause et les conséquences des redressements

La mention des textes vise uniquement ceux qui concernent la cause et les conséquences des redressements. Cette définition vise uniquement les textes sur lesquels s'appuient les redressements. Ainsi, par exemple, en cas de litige sur la valeur d'un dépendant d'une succession, l'article L. 17 du LPF (N° Lexbase : L5557G4L), relatif au pouvoir de rectifier les évaluations, doit être impérativement cité. En revanche, celui qui concerne l'assiette des droits de succession, c'est-à-dire l'article 761 du CGI (N° Lexbase : L8122HLE), n'a pas besoin d'être mentionné dans la proposition de rectification. En revanche, lorsque l'administration entend contester la répartition par parts viriles d'un compte joint entre époux à la suite du décès de l'un d'eux, au motif que seul le défunt aurait alimenté le compte et qu'il dépendrait donc de sa succession pour sa valeur en totalité, elle doit nécessairement citer l'article 753 du CGI (N° Lexbase : L8091HLA). C'est cette notion de cause et conséquence des redressements qui vient d'être invoquée par le juge suprême pour casser une décision de cour d'appel. Au cas particulier, le service contestait la valeur retenue pour la moitié indivise d'un immeuble dépendant d'une succession. Pour déclarer nulle la notification de redressement reçue par l'héritier, la cour d'appel avait considéré que le service aurait dû citer l'article 762 du CGI (N° Lexbase : L8123HLG), concernant la détermination de la valeur de la nue-propriété par rapport à la pleine propriété en fonction de l'âge de l'usufruitier. Pour annuler cette décision, la Cour de cassation a précisé que, dans la mesure où la valeur de la nue-propriété par rapport à la valeur de pleine propriété n'avait pas été remise en cause, ce texte ne concernait ni la cause, ni la conséquence des redressements (Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-16.860, Directeur général des impôts N° Lexbase : A3066DXT).

2. Méthode de reconstitution et renseignements recueillis auprès de tiers : CE 3° et 8° s-s-r., 20 juillet 2007, n° 288145, M. et Mme Desille (N° Lexbase : A4708DXN)

Si l'administration est tenue de mettre à la disposition du contribuable la teneur des renseignements le concernant provenant de tiers qui lui ont permis de reconstituer son chiffre d'affaires, cette obligation ne vise pas les données, utilisées par elle, concernant d'autres personnes.

2.1. Renseignements recueillis auprès de tiers

L'administration subit la double obligation, codifiée à l'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG), d'informer le contribuable sur la teneur et l'origine des renseignements et documents obtenus auprès de tiers et utilisés dans le cadre d'une procédure de rectification, d'une part, et de lui communiquer, sur demande, lesdits documents avant la mise en recouvrement des impositions, d'autre part. Au titre de l'obligation d'information, l'administration doit porter à la connaissance du contribuable la procédure qui lui a permis d'obtenir les renseignements, l'identité des tiers concernés et la nature du document. A cet égard, si l'enquête réalisée auprès des tiers est irrégulière, comme par exemple des renseignements recueillis auprès de particuliers en se prévalant du droit de communication, alors que de simples particuliers n'y sont pas soumis, l'irrégularité de l'enquête entraîne l'annulation des redressements (CE Contentieux, 1er juillet 1987, n° 54222, Marcantetti N° Lexbase : A2364APA). Au titre de l'obligation de communication, elle doit répondre à toute demande expresse écrite formulée par le contribuable (instruction du 21 septembre 2006, BOI 13 L-6-06 N° Lexbase : X7347ADH).

2.2. Reconstitution du chiffre d'affaires

Lorsque l'administration est en droit de rejeter la comptabilité d'une entreprise comme dénuée de caractère probant, le chiffre d'affaires est reconstitué au moyen d'une méthode qui utilise les conditions concrètes de fonctionnement de cette entreprise, et non des éléments étrangers à la gestion de celle-ci. Bien entendu, les pourcentages tirés de monographies professionnelles peuvent êtres utilisés à condition d'être confortés par les constatations faites au sein de l'entreprise. Au cas particulier de l'affaire soumise aux sages du Palais-Royal, pour reconstituer le chiffre d'une entreprise de bar-brasserie, le vérificateur avait relevé les quantités de viandes acquises et, les divisant par celles qui sont utilisées pour la confection des différents plats individuels proposés aux clients, en avait déduit le nombre de plats servis ; ce qui lui permettait de déterminer les recettes réalisées. Pour déterminer les quantités de viandes utilisées pour la confection des plats, le vérificateur s'était fondé, pour la majorité d'entre eux, sur les valeurs ou fourchettes de valeurs fournies par le contribuable lui-même. Cependant, pour certains plats, il a estimé que les quantités étaient trop importantes comparées à celles habituellement appliquées à la profession et à celles qui sont pratiquées par la boucherie. Il avait donc retenu des quantités inférieures. Le contribuable contestait la validité de la notification au motif que le service aurait dû lui indiquer l'origine de tels renseignements. Le juge a décidé que l'obligation faite à l'administration, quand il s'agit de renseignements provenant de tiers et relatifs au contribuable vérifié, ne s'étend pas aux données utilisées par l'administration lorsqu'elle assoit ses redressements "en procédant à une comparaison entre, d'une part, la situation du contribuable et, d'autre part, celle d'une ou plusieurs personnes, celle du secteur d'activité dont le contribuable relève ou encore celle d'un secteur d'activité voisin ou analogue".

Dès lors que la création d'une société ne répond pas au seul objectif de bénéficier du régime d'exonération des entreprises nouvelles, l'abus de droit ne peut être invoqué par le service pour remettre en cause l'absence d'imposition des bénéfices réalisés.

La gérante et associée à 90 % de deux SCI avait créé une EURL pour surmonter l'opposition des autres associés à la réalisation d'opérations commerciales d'achat revente et afin que les deux SCI conservent leur objet civil. A la suite d'une vérification de comptabilité de cette EURL, le service des impôts avait remis l'application de l'exonération prévue à l'article 44 quater du CGI (N° Lexbase : L1509HLH), alors en vigueur. En effet, le vérificateur considérait qu'une telle création constituait un abus de droit, ayant permis l'exonération du bénéfice réalisé lors de la cession d'actifs des deux SCI. On sait que le deuxième alinéa de l'article 44 quater autorise l'administration fiscale à faire usage de la procédure de répression des abus de droit à l'encontre des personnes physiques ou morales qui, par le biais d'une cessation, d'une cession ou d'une mise en location-gérance d'entreprise, auraient établi l'apparence d'une création d'entreprise, cette opération étant principalement inspirée par le désir de bénéficier des dispositions dudit article. Une première analyse pouvait emporter une telle conviction. Cependant, elle ne résistait pas aux conditions requises pour caractériser l'abus de droit.

1. Une "apparence" d'abus de droit

Au cas particulier, une des deux SCI bénéficiait, au moment de la création de l'EURL, société commerciale, d'une promesse de vente portant sur un immeuble entier. Or, cette société civile avait cédé gratuitement cette promesse à la société commerciale. De surcroît, la seconde SCI avait cédé à l'EURL un immeuble qu'elle détenait. Dans la première opération, la société commerciale avait réalisé, en 1987, après avoir acquis l'immeuble objet de la promesse le 14 janvier et l'avoir revendu le 28 août, un profit de 836 000 francs (soit environ 127 000 euros) en moins de 8 mois. Dans la seconde opération, l'immeuble acquis de la SCI le 22 décembre 1987 et revendu le 3 juin 1988, lui avait procuré un profit de 3 700 000 francs (soit environ 564 000 euros). Il était effectivement tentant pour le service vérificateur d'invoquer un abus de droit puisque la création de l'EURL, qui plus est, par la gérante majoritaire des deux sociétés civiles, avait permis de faire échapper à tout impôt un bénéfice très important. L'une des conditions requises pour invoquer l'abus de droit, semblant être remplie. En effet, il pouvait être considéré que la création de la société n'avait été inspirée par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer l'impôt.

2. L'absence de but exclusivement fiscal

L'analyse du service pouvait paraître hâtive. En effet, contrairement à certaines législations européennes qui autorisent la mise en oeuvre de la procédure spécifique lorsque l'économie fiscale est l'un des objectifs de l'opération, l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U) ne peut être invoqué avec succès que si aucun autre motif que l'économie fiscale ne justifie l'opération. Le but poursuivi doit être exclusivement fiscal. Or, au cas particulier, deux motifs, autres que celui de bénéficier du régime des entreprises nouvelles, pouvaient êtres invoqués. D'une part, les associés minoritaires s'opposaient aux opérations envisagées par la gérante. La création de l'EURL était un moyen de surmonter cette opposition. D'autre part, et cet argument pouvait paraître essentiel, la création envisagée, et réalisée, pour effectuer les actes d'achat revente permettait de faire échapper les deux SCI à une imposition à l'IS. En effet, on sait que tout acte de commerce réalisé par une société civile lui fait perdre son régime fiscal de transparence et la soumet, avec toutes les contraintes inhérentes, à l'impôt sur les sociétés.

Le Conseil d'Etat a donc considéré que l'abus de droit ne pouvait pas être invoqué. Il aurait peut-être été plus judicieux pour l'administration de se placer sur le terrain de la cession à vil prix dans le cas de la cession gratuite de la promesse de vente. Mais, là encore, outre un éventuel problème de prescription, il était difficile de se placer sur le terrain de l'acte anormal de gestion, qui, on le sait, ne concerne que les entreprises commerciales et n'a pas été, à ce jour, transposé à l'impôt sur le revenu dû par de simples particuliers gérant leur patrimoine privé. De surcroît, on remarquera que le Conseil d'Etat a posé le principe selon lequel les contestations d'impositions établies sur le fondement de la méconnaissance des conditions légales d'application du dispositif de faveur des entreprises nouvelles ne relèvent pas de l'abus de droit, quand bien même le deuxième alinéa de l'article 44 quater réserve, de façon superfétatoire, l'application de l'article L. 64 du LPF.

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