La lettre juridique n°175 du 7 juillet 2005

La lettre juridique - Édition n°175

Table des matières

Action collective : avant l'heure, ce n'est pas l'heure...

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N6366AIM

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 07 Octobre 2010


L'avènement de l'action collective ou class action est à peine annoncé que la Cour de cassation a dû, dernièrement, serrer le frein de la titrisation de la simple action en justice. En effet, si l'apport en jouissance d'une action en justice moyennant l'attribution de parts sociales est plus que douteux sur le terrain du droit des sociétés, cet apport s'avère impossible sur celui de la procédure civile. Chacun conviendra que "nul ne peut agir en justice s'il n'a pas un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention" et, conformément à l'adage "nul ne plaide par procureur", un plaignant ne peut saisir les tribunaux au nom d'un autre s'il n'a pas reçu au préalable un mandat officiel de sa part. Ces principes fondamentaux de la procédure civile contraignent à la personnalisation de l'action en justice ; personnalisation qui est en inadéquation avec la mise en commun pour une exploitation en jouissance de cette action. La décision de la Cour suprême n'est donc pas surprenante. Mais, en serait-il de même après l'extension des class actions ? Si la Commission transversale du CNB sur la "Class Action à la française" relève les avantages majeurs que représente la class action par rapport aux actions individuelles ou associatives, à savoir faciliter l'accès à la justice et la moralisation du comportement des acteurs économiques ainsi que participer à la bonne administration de la justice, d'autres, comme Mathieu Laine, avocat et délégué général de l'Institut Turgot, critiquent violemment l'introduction dans le paysage juridique français d'un système de plainte en nom collectif ayant joué, aux Etats-Unis, pays initiateur d'une telle mesure, le rôle particulièrement nocif d'accélérateur du processus de judiciarisation des relations économiques en incitant les consommateurs à s'engager dans un consumérisme judiciaire aussi ruineux qu'excessif (Les Echos du 6 avril 2005). Mais au-delà du débat sur la class action à la française, le Président du Conseil national des barreaux rappelle qu'"il faut donner aux consommateurs les moyens de faire respecter leurs droits : aujourd'hui, ils sont démunis parce que, pris séparément, aucun des préjudices dont ils sont victimes n'est suffisamment important pour couvrir les frais d'une action en justice". Dans cette perspective, la communautarisation des risques et profits liés à ces actions collectives semble inévitable et l'avenir de la jurisprudence ici rapportée plus que compromis. Les éditions juridiques Lexbase vous proposent de lire, cette semaine, le point de vue de Jean-Philippe Dom, Maître de conférences à l'Université de Caen, En attendant la class action : l'action en justice n'est pas susceptible d'apport en jouissance.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ne fixe pas les limites du litige prud'homal

Réf. : Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-42.804, Société Dépannage Côte d'Azur Transports (DCAT) c/ M. Jean-Pierre Rosso, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8388DII)

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N6328AI9

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation a consacré, en juin 2003, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail comme un nouveau mode de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié (Cass. soc., 25 juin 2003 N° Lexbase : A8977C8Y ; N° Lexbase : A8976C8X ; N° Lexbase : A8978C8Z ; N° Lexbase : A8975C8W ; N° Lexbase : A8974C8U). Largement pratiquée dans les entreprises, la prise d'acte n'est soumise à aucun régime juridique propre dans le Code du travail et la Haute juridiction doit aujourd'hui, au fil des arrêts, préciser quelles en sont les règles applicables. Dans cet arrêt en date du 29 juin 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation indique que la lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture ne fixe pas le cadre du litige et que le juge peut fonder sa conviction sur des éléments qui n'y figurent pas mais que le salarié invoque lors de l'instance (1). Cette solution est parfaitement justifiée, tellement justifiée même qu'on se demande pourquoi elle ne vaut que pour la lettre de prise d'acte (2).
Décision

Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-42.804, Société Dépannage Côte d'Azur Transports (DCAT) c/ M. Jean-Pierre Rosso, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8388DII)

Rejet (cour d'appel d'Aix-en-Provence,17ème chambre sociale, 20 février 2003)

Textes concernés : NCPC, art. 4 (N° Lexbase : L2631ADS)

Mots-clefs : rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié ; prise d'acte ; lettre ; limites du litige.

Lien bases :

Résumé

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Faits

1. M. Rosso, engagé le 13 février 1987 en qualité de chauffeur routier par la société Dépannage Côte d'Azur transports, a adressé à son employeur le 12 juillet 1996 une lettre de démission fondée, notamment, sur le fait que ses compléments de salaire et de congés payés ne lui avaient pas été réglés pour l'année 1995.

2. Moyens du demandeur : la société Dépannage Côte d'Azur transports fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que M. Rosso avait été licencié sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen, que la lettre de démission fixe les termes du litige ; qu'en reprenant des éléments non précisés dans la lettre de démission pour considérer que l'employeur n'avait pas respecté ses obligations contractuelles alors que les éléments invoqués par le salarié dans la lettre de démission n'étaient pas démontrés, la cour d'appel a violé l'article 4 du Nouveau Code de procédure civile.

Solution

1. "L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; [...] le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit".

2. Rejet

Commentaire

1. La portée de la lettre de prise d'acte

  • L'absence de formalisme de la prise d'acte

La prise d'acte du contrat de travail s'analysant plus comme un comportement du salarié que comme un véritable acte juridique dont les formes et le régime seraient encadrés, elle n'est logiquement soumise à aucune exigence de forme. Elle peut donc n'être que verbale, ou résulter de tout comportement du salarié manifestant sa volonté de rompre le contrat de travail tout en en imputant la responsabilité à son employeur.

La Cour de cassation applique également les solutions dégagées en 2002 au salarié démissionnaire, dès lors que ce dernier mentionne dans la lettre envoyée à l'employeur qu'il le rend responsable de la rupture. Dans cette hypothèse, les juges du fond n'ont pas à déterminer si la volonté du salarié est claire et non équivoque mais, simplement, si les griefs formulés contre l'employeur sont avérés et suffisamment graves pour lui imputer la responsabilité de la rupture. S'ils le sont, la rupture du contrat de travail produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; s'ils ne le sont pas, la rupture sera traitée comme une démission (Cass. soc., 19 octobre 2004, n° 02-45.742, Société Ateliers Industriels Pyrénéens (AIPSA), F-P+B+R+I N° Lexbase : A6216DDL, lire notre commentaire, Autolicenciement et démission : même combat !, Lexbase Hebdo n° 140 du 28 octobre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3313ABC).

  • La confirmation en l'espèce

C'est bien cette solution qui se trouve ici confirmée. Dans cette affaire, le salarié avait, en effet, envoyé à son employeur une lettre qualifiée par lui-même de "démission", dans laquelle il formulait des griefs lui imputant la responsabilité de la rupture (l'employeur ne lui avait pas versé ses compléments de salaire et de congés payés pour l'année 1995).

Les juges du fond, saisis de demandes tendant à la condamnation de l'employeur au paiement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avaient écarté la qualification de démission et avaient fait droit à ses demandes. Cette analyse de la situation se trouve confirmée par le rejet du pourvoi.

  • Une solution logique

Cette solution est parfaitement logique, tant au regard des principes qui gouvernent l'office du juge qu'au regard des règles du droit du travail.

L'article 12, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2043ADZ) dispose, tout d'abord, que le juge "doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée". Les juges prud'homaux ne sont donc pas liés par la qualification de "démission" donnée par le salarié dans la lettre adressée à l'employeur et doivent déterminer si les circonstances qui entourent la rupture doivent être qualifiées de démission ou de licenciement.

Ensuite, on sait que l'article L. 122-14-7, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L5572ACD), dispose que les parties ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles applicables au licenciement. Cette disposition, qui vise à prohiber dans le contrat de travail les clauses de renonciation, peut également être lue comme interdisant d'interpréter les actes et comportements du salarié comme une renonciation implicite à revendiquer, devant le juge, l'application des règles relatives au licenciement. Le fait que le salarié adresse à l'employeur une lettre de démission ne lui interdit donc logiquement pas de saisir, par la suite, le conseil de prud'hommes d'une demande tendant à l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

  • La portée limitée de la lettre de prise d'acte

L'absence de tout formalisme, lorsque le salarié prend l'initiative de rompre le contrat de travail, justifie également la solution issue de l'arrêt concernant les termes du litige.

Dans cette affaire, l'employeur reprochait à l'arrêt qui avait fait droit aux demandes du salarié de lui avoir permis d'invoquer des faits qui n'avaient pas été visés dans la lettre de démission. Il considérait donc que la lettre de démission devait déterminer l'objet du litige et que le juge ne devait former sa conviction qu'au vu de ces seuls éléments.

L'argument visait à traiter la lettre de démission comme la lettre de licenciement, cette dernière étant, de jurisprudence constante, considérée comme fixant pour l'employeur les limites du litige (Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, M. Rogie c/ Société Sermaize Distribution, publié N° Lexbase : A9329AAR, D. 1991, p. 99, note J. Savatier).

Ce moyen de cassation n'a pas été retenu ici, la Cour estimant que "l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige" et que "le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit".

Cette solution nous paraît parfaitement justifiée, tellement justifiée même qu'on ne voit pas pourquoi l'affirmation ne vaudrait que dans le cadre de la démission du salarié !

2. Une affirmation largement justifiée

  • Une solution juridiquement nécessaire

En affirmant que "l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige" et que "le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit", la Cour de cassation adopte une position qui ne peut qu'être approuvée.

Au regard des principes qui gouvernent la conduite du procès, tout d'abord, la solution est parfaitement justifiée.

L'article 4 du Nouveau Code de procédure civile dispose, en effet, que "l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties", précise que "ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense" et ajoute que "l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant". L'objet du litige est donc bien fixé dans le cadre du procès et non pas par les actes que les parties auraient pu réaliser antérieurement.

Par ailleurs, l'article 7 de ce même code (N° Lexbase : L2855AD4) dispose que "le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat" et qu'il peut, "parmi les éléments du débat", "prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions". Ce sont donc les faits qui sont dans le débat qui permettront au juge de se forger une conviction, et il ne saurait logiquement être interdit à une partie d'invoquer devant le juge des faits qui n'auraient pas été visés dans un acte antérieur au procès.

La solution se justifie également pleinement au regard des règles du Code du travail. La démission est, en effet, un acte unilatéral dont le régime juridique est minimaliste. Le salarié n'est pas tenu de la notifier à son employeur, ni d'ailleurs de lui adresser un écrit. Dans ces conditions, il n'est pas possible de lui opposer les termes d'une lettre de démission écrite pour lui interdire de fonder ses prétentions sur des faits qui n'auraient pas été visés, l'essentiel étant que ces faits soient débattus contradictoirement par les parties devant le conseil de prud'hommes.

  • Une solution à généraliser

La solution nous paraît tellement évidente qu'on ne comprend pas pourquoi la Cour de cassation persiste dans le maintien de la jurisprudence initiée en 1987 et considérant que la lettre de licenciement fixe les termes du litige (en ce sens, notre précédente chron. Maladie et motivation de la lettre de licenciement : lorsque la justice se fait... injustice !, Lexbase Hebdo n° 122 du 27 mai 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1722ABE).

Certes, nous comprenons pourquoi la Cour de cassation retient une telle analyse. Elle oblige ainsi l'employeur à rendre les motifs de la rupture "objectifs" afin de favoriser le contrôle judiciaire, et lui interdit de faire valoir rétrospectivement des motifs qui n'auraient pas été déterminants au moment du licenciement mais qui seraient de nature à convaincre le juge du bien-fondé de la rupture.

Mais rien, ni dans le Nouveau Code de procédure civile, comme nous l'avons montré, ni dans le Code du travail, ne justifie une telle sévérité. Si l'employeur tente de justifier la rupture par un motif qui n'était pas celui indiqué dans la lettre de licenciement, mais que ce dernier repose sur une cause réelle et sérieuse, alors il faut appliquer les sanctions prévues par l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74) et allouer au salarié des dommages-intérêts sanctionnant le seul non-respect de la procédure.

Si l'employeur a omis de viser dans la lettre de licenciement des faits de nature à justifier le licenciement, mais qu'il les fournit devant le juge, alors le licenciement devrait pouvoir être justifié, puisque les faits le démontrent. Tout au plus pourrait-on admettre, dans cette dernière hypothèse, que la rédaction d'une lettre de licenciement ne visant pas les faits pertinents pourrait donner lieu à l'attribution de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure, mais certainement pas pour défaut de cause réelle et sérieuse.

Compte-tenu de l'extrême complexité du droit du travail, cette sévérité de la jurisprudence à l'égard du seul employeur nous paraît bien excessive et participe certainement d'un sentiment de découragement des chefs d'entreprise. Sans aller jusqu'à affirmer que ce sentiment pourrait constituer un frein à l'embauche, car une telle incidence est scientifiquement indémontrable, nous pensons que la Cour de cassation serait bien inspirée, à la suite de cet arrêt, de s'interroger sur l'opportunité d'assouplir sa position sur le sujet, dans le sens d'une meilleure justice.

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Droit financier

[Focus] Alternext (3), marché organisé : vers un nouveau "syndrome du hors cote" ?

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N6336AII

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Le 07 Octobre 2010

Dernier en date des marchés créés par Euronext, Alternext offre, depuis le 17 mai 2005, ses services aux petites et moyennes entreprises (PME) de la zone Euro et a, à cette fin, été doté de règles de fonctionnement qui permettent un accès simplifié, à un coût réduit, aux offres d'investissement. Marché des petites valeurs, il s'inscrit, toutefois, dans une perspective plus vaste, concernant la création d'un marché de capitaux européen unifié. C'est à ce titre qu'il est soumis a des exigences spécifiques, tant en matière d'information que de contrôle des abus de marché. Sans doute est-il, par ailleurs, né sous de bons auspices car, dès sa création, il a dû faire l'objet d'un intérêt particulier de la part de la puissance publique, sans doute parce qu'il offre la double perspective, d'une part, d'offrir de nouvelles sources de financement pour les PME françaises et, d'autre part, d'attirer nombre de sociétés européennes sur la place de Paris. L'annonce, le 20 juin dernier, de l'introduction de mesures fiscales spécifiques à l'investissement dans les PME, conçues explicitement pour inciter le public à investir sur Alternext, atteste, ainsi, du potentiel qu'il présente au plan économique. Pour autant, au-delà de l'aspect conjoncturel de ces dispositions, les innovations juridiques vont bien plus avant que ce seul aspect fiscal. En effet, selon les termes mêmes d'Euronext, Alternext est un marché "régulé". Comment interpréter ce terme ? S'agit-il d'une nouvelle catégorie juridique de marché susceptible de conduire à reconsidérer à la fois l'étagement normatif des règles boursières et la nature des sujétions qui y sont applicables (I) ? Il est difficile d'en juger au premier abord si on s'en réfère à l'organisation contemporaine des marchés, telle qu'elle ressort du cadre posé successivement par la directive sur les services d'investissement (DSI) (directive 93/22/CEE du Conseil du 10 mai 1993 concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP) et par la loi de modernisation des activités financières (MAF) (loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières N° Lexbase : L5893A4Z). Face à l'opposition marchés réglementés/marchés de gré à gré, Alternext prend une place particulière dans l'organisation des marchés boursiers car il présente des caractéristiques hybrides, puisqu'il se trouve -dans une certaine mesure- indirectement placé sous le contrôle de la puissance publique tout en obéissant à un fonctionnement contractuel. Marché organisé, s'il en est, on peut s'interroger sur les implications qu'emportera son fonctionnement quant aux relations juridiques qui s'établiront à l'occasion des opérations (II). Par certains aspects, d'ailleurs, ces incertitudes rappellent celles qui ont marqué le fonctionnement du hors cote dans l'organisation boursière antérieure à la loi MAF.

I - Place d'Alternext dans l'organisation contemporaine des marchés

La place d'Alternext dans l'organisation des marchés, bien qu'étant amenée à évoluer à mesure de l'intégration future des opérations dans un espace européen unifié, impose d'adopter une analyse conforme aux données du droit positif, c'est-à-dire celui qui ressort des dispositions de la loi MAF et de la DSI de 1993 (A). Pour autant, cette analyse théorique est impuissante à traduire la complexité de la pratique boursière (B) qui obéit à une logique propre, détachée des exigences strictement juridiques de l'encadrement des marchés.

A - Place d'Alternext dans la division duale : marchés de gré à gré et marchés réglementés

Il faut rechercher la genèse de la structuration juridique des marchés dans l'aboutissement des négociations DSI qui avait débouché, à l'issue de ce qu'il faut désormais considérer comme un compromis, sur une organisation autour de deux structures : les marchés réglementés et les marchés de gré à gré. Ces derniers, en principe, n'auraient dû être fondés que sur la seule volonté des opérateurs, alors que, pour les premiers, la directive posait, en principe, qu'il s'agissait de marchés placés sous la tutelle des Etats membres, faisant l'objet d'un "fonctionnement régulier", formalisé par un encadrement par des "règles de marché".

Dans sa dernière rédaction, en date de 2003 (loi nº 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB), l'article L. 421-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2568DKC), qui transpose ce principe, formalise le contrôle étatique par le mécanisme de la reconnaissance "de la qualité de marché réglementé d'instruments financiers [...] décidée par arrêté du ministre chargé de l'Economie sur la proposition de l'Autorité des marchés financiers". Quant aux conditions de fond, celles-ci figurent, désormais, à l'article L. 421-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6380DI7), qui dispose que "pour être reconnu comme marché réglementé, un marché d'instruments financiers doit garantir un fonctionnement régulier des négociations. Doivent notamment être fixées par les règles de ce marché, établies par l'entreprise de marché définie à l'article L. 441-1 (N° Lexbase : L3163G9Z), les conditions d'accès au marché et d'admission à la cotation, les dispositions d'organisation des transactions, les conditions de suspension des négociations d'un ou plusieurs instruments financiers, les règles relatives à l'enregistrement et à la publicité des négociations. Ces règles sont approuvées par l'Autorité des marchés financiers".

Or, la création d'Alternext répondant au souci de créer un marché dont l'accès et les règles de fonctionnement devaient être adaptées aux PME, sa structure pouvait difficilement adopter le statut de marché réglementé, ce dernier étant soumis à des contraintes très rigoureuses impossibles a priori -notamment au plan financier- à respecter pour des petites entreprises. Le rejet de cette solution aurait donc dû, en théorie, aboutir à faire d'Alternext un marché de gré à gré.

Les analyses de la doctrine ont, sur ce point, été quasi-unanimes, l'année de l'adoption de la loi MAF, le choix offert se résumant, selon celle-ci, en une organisation binaire : "il n'y aura plus d'un point de vue juridique et pratique que deux catégories de marchés : les marchés réglementés et les marchés de gré à gré" (J.-G. d'Hérouville, Les marchés réglementés et de gré à gré, in : La modernisation des activités financières, dir. Th. Bonneau, éd. Joly 1996, n° 80). Au surplus, il apparaît que les opérations de gré à gré devaient constituer le droit commun boursier, le caractère réglementé des opérations relevant de l'exception : "tous les marchés qui ne sont pas réglementés sont de gré à gré ; et seuls sont considérés comme réglementés, ceux des marchés qui auront auparavant été reconnus comme tels". (H. de Vauplane et S. Amadou, Marchés boursiers réglementés et marchés de gré à gré, Dictionnaire Joly Bourse, n° 18).

On sait, toutefois, que cette division juridique n'était, dès cette époque, pas satisfaisante : la scission entre marchés placés sous le contrôle et la tutelle de l'Etat et marchés fondés exclusivement sur le droit des obligations correspondait, certes, à une summa divisio abstraite dans laquelle certains ont pu voir l'illustration de l'opposition traditionnelle entre droits objectifs et subjectifs. Elle laissait peu de place, cependant, à l'expansion des marchés et à la garantie en toute occasion de la sécurité de l'investisseur. Cette dichotomie répondait, par ailleurs, à une logique contestable développée à l'origine par certains négociateurs communautaires, à savoir réserver les marchés de gré à gré aux professionnels et offrir aux épargnants la sécurité des marchés réglementés, logique qui s'est rapidement vue confrontée à trois obstacles majeurs :

- le premier obstacle a été constitué par l'apparition dans les Etats membres de marchés non officiels ou semi-officiels auparavant appelés "organisés". Ces derniers étaient caractérisés, dans l'ancien système, de gestion étatique de la bourse par différents critères : l'absence de tutelle directe de la puissance publique, une structuration autour de règles d'admission et de fonctionnement, et/ou le contrôle des autorités de marché. En France, d'ailleurs, le marché hors cote fournissait une parfaite illustration de ce type d'encadrement plus ou moins informel des opérations réalisées sur des valeurs moyennes ;
- le deuxième obstacle s'est traduit par l'impossibilité de traiter au plan de l'encadrement normatif, la sécurité de l'investisseur de façon unique. L'épargnant n'est assimilable à un consommateur et si certains particuliers s'avèrent parfois désarmés face à la complexité des opérations financières, d'autres sont suffisamment avertis -au sens juridique- pour mesurer toutes les conséquences de leurs choix de placement. Aux premiers répond le souci d'accorder la protection des marchés réglementés, mais les seconds peuvent prétendre à s'engager, en toute connaissance de cause, dans des opérations sur le marché de gré à gré ;
- le troisième obstacle ressort d'un constat pragmatique, qui tient à la fois à la mesure de l'accroissement de la qualité de la régulation boursière et à la force du droit des obligations. L'évolution des marchés boursiers vers une organisation de plus en plus détachée des contraintes étatiques a, en effet, permis de confirmer que, depuis la loi MAF, les gestionnaires de marché étaient en mesure de sécuriser le fonctionnement des opérations boursières sur des fondements contractuels, et ce, sous la garantie du renforcement du contrôle des autorités de marché.

B - Place d'Alternext dans la pratique boursière : les incertitudes liées au caractère organisé du marché

Ainsi, si la doctrine a pu enseigner un temps qu'il n'y aurait plus que deux catégories de marché après la loi de modernisation des activités financières, il s'agissait plus d'une analyse du régime juridique applicable aux marchés qu'à une analyse de la nature de ces derniers. Très vite, en effet, la disparition du marché hors cote (H. Hovasse, Suppression du marché hors-cote, RD bancaire et financier, n° 65, janvier-février 1998, p. 2) a mis en évidence les lacunes de l'organisation de la cote qui ne pouvait offrir de structure d'accueil pour les entreprises moyennes. Un marché, comparable sous certains aspects à l'ancien marché des valeurs moyennes, a donc été créé sous la dénomination de "Marché libre", dénomination qui permettait de souligner sa nature contractuelle. Toutefois, en dépit de ce que suggérait cette appellation, son organisation présentait une structuration incontestable puisqu'il était doté de règles, de procédures d'admission, qu'il était intermédié et que, de surcroît, sa gestion était assurée par la Société des Bourses française qui devait, plus tard, donner naissance à Euronext.

Au demeurant, les auteurs ne s'y étaient pas trompés dès 1996 : la structuration des opérations boursières, faisant fi de la logique juridique, ne pouvait s'accommoder longtemps d'une division pouvant apparaître comme étant arbitraire face à la réalité économique. En atteste cette opinion émise dès après le vote de la loi MAF, selon laquelle "diverses initiatives privées de réglementation sont apparues, et se multiplieront probablement sur les marchés de gré à gré, tendant à transformer certains compartiments de ces marchés en marchés organisés, susceptibles de concurrencer les marchés réglementés nationaux" (J.-G. d'Hérouville, op. cit., n° 89).

Alternext vient donc opportunément compléter l'activité du marché libre sous une forme à la fois plus structurée pour le grand public et résolument orientée vers le financement des PME européennes. Sa création semble démontrer que la véritable structure des marchés boursiers s'oriente, comme mécaniquement, dans le sens d'une architecture triptyque, entre marchés réglementés, organisés et de gré à gré, ce qui n'est pas sans poser des problèmes pratiques qu'il convient maintenant de souligner.

La question est, ainsi, celle du rattachement d'Alternext à la catégorie intermédiaire des marchés organisés, conclusion à laquelle la doctrine se rattachait auparavant majoritairement s'agissant du marché hors cote.

Qu'en est-il actuellement ? Nous avons évoqué la distinction retenue, tant au plan communautaire qu'au plan du droit interne : en principe, en dehors du marché de gré à gré, les marchés sont réglementés, c'est-à-dire placés sous la tutelle de l'Etat, ce qui entraîne, au plan normatif, l'approbation des règles de marché par la puissance publique, cette approbation étant destinée à leur conférer une valeur normative. A ce titre, les règles de marchés réglementés s'inscrivent indiscutablement dans une hiérarchie des normes, leur place dans cette hiérarchie devant être appréciée en considération de la place qu'occupe l'arrêté ministériel qui "reconnaît" le marché réglementé et valide ses règles, les insérant ainsi dans ce qu'on représente traditionnellement -à tort ou à raison- depuis Kelsen comme une pyramide des règles de droit.

Cette représentation a toutefois ses limites, ainsi qu'en atteste la doctrine qui a souligné à maintes reprises la difficulté à reconnaître la force normative des règles d'un marché non réglementé dont les sujétions (on peut raisonnablement penser que la qualification de "normes" doive être écartée) s'apparentent à des réglementations privées. Sans nul doute, ces règles sont obligatoires pour ceux qui les acceptent, notamment comme c'était le cas pour le marché libre à l'occasion de leur admission en tant que membre du marché et comme c'est maintenant le cas pour Alternext. Qu'en est-il, toutefois, lorsque ces règles n'ont pas été acceptées et qu'une opération se déroule pourtant sur le marché ? Qu'est-il susceptible d'advenir, en outre, lorsque les règles du marché entrent en conflit avec d'autres règles ? Doit-on, dans ce dernier cas, risquer de traiter différemment les acteurs du marché en dérogeant aux règles privées pour appliquer à un opérateur ou une opération des normes extérieures quitte à risquer d'introduire une inégalité de traitement entre les investisseurs ou les intermédiaires ? Qu'en est-il des sanctions ?

Ces interrogations peuvent se résumer en une double question : quelle est la valeur des réglementations boursières privées et comment doit-on traiter les conflits de règles ? Ces différentes questions ne sont pas nouvelles puisqu'on peut en retrouver les racines dans l'histoire même de la bourse, lorsque, dès le début du XIXème siècle, se sont constituées spontanément, en marge des marchés officiels, ce que l'on a appelé les opérations de "coulisse" (P.-J. Lehman, Histoire de la bourse, Puf 1997, coll. "Que sais-je ?", p. 19). Il apparaît, toutefois, que des modifications récentes des règles boursières ont eu pour objet de répondre à ces préoccupations et de lever ainsi, pour les praticiens, certaines incertitudes. Rien ne démontre, cependant, que les solutions apportées seront suffisantes pour résoudre tous les problèmes qui seront susceptibles de se poser.

II - Conséquences juridiques de la reconnaissance des systèmes multilatéraux de négociation organisés

Le lancement du marché Alternext coïncide avec la création d'une nouvelle catégorie de structure juridique : les systèmes multilatéraux de négociation "organisés" (A), qui prennent cette dernière qualité à trois conditions : l'approbation des règles du système par l'AMF, l'adoption d'un mécanisme de garantie de cours et l'application des dispositions relatives aux abus de marché. Pour autant, la création de ce nouveau type de structure laisse subsister des ambiguïtés quant à sa nature et quant à la place que ses règles sont susceptibles de prendre dans la réglementation boursière (B).

A - Les systèmes électroniques de négociation "organisés", nouvelle catégorie de marché ?

L'arrêté du 15 avril 2005 portant homologation des modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2817G8T) emporte, entre autres dispositions, création d'une nouvelle catégorie de structure : les systèmes électroniques de négociation "organisés". A ce titre, les dispositions qui les régissent et qui sont issues de l'arrêté du 15 avril 2005 emportent un certain nombre de conséquences concernant la nature des marchés qui méritent d'être soulignées. Elles conduisent, d'ores et déjà, à conclure à la nature hybride d'Alternext, double hybridité, d'ailleurs, puisque ce dernier est présenté fonctionnellement -c'est-à-dire à ses participants- comme un marché mais qu'il est, juridiquement, qualifié de système et que ses règles, bien que de nature contractuelle, s'insèrent dans une hiérarchie normative propre à la réglementation boursière. Ce caractère hybride peut s'illustrer en quatre points. Les trois premiers portent sur les systèmes multilatéraux de droit commun, le dernier, sur ceux qui prennent -comme c'est le cas d'Alternext- la qualité de systèmes organisés :

- il convient, en premier lieu, de souligner que dans le règlement général de l'AMF, la définition de ces "systèmes" n'est pas donnée explicitement mais se déduit, de façon indirecte, des termes de l'article 312-2   (N° Lexbase : L4083GUR) qui régit l'activité d'exécution d'ordres pour compte de tiers. Ce dernier dispose, en effet, qu'"exerce [...] une activité d'exécution d'ordres pour compte de tiers le prestataire de services d'investissement gérant un système multilatéral de négociation qui, sans avoir le statut de marché réglementé, apparie des intentions multiples d'achat et de vente portant sur des instruments financiers, conformément à des règles publiées, de telle sorte qu'il en résulte une transaction". On relèvera ainsi, d'une part, que le règlement général ne fait mention de la qualité de "marché" pour ces systèmes et, d'autre part, que leur définition que nous qualifierons de fonctionnelle se trouve réduite à sa plus simple expression : a) appariement des ordres portant sur des instruments financiers, b) conformité de cet appariement à des règles publiées, c) appariement débouchant sur une transaction. On ne trouve pas, ainsi, d'autres exigences fondamentales, ce qui traduit, à notre sens, une prudence de bon aloi face à l'évolution des techniques de transaction, le caractère flou de cette définition permettant a priori d'encadrer les évolutions futures de ces systèmes ;
- on relèvera, en deuxième lieu, que les règles des systèmes sont subordonnées au respect du règlement général de l'AMF qui prévoit, dans sa nouvelle rédaction en date du 15 avril 2005, que le fonctionnement de ces derniers est conditionné à la communication, par les prestataires de services d'investissement agréés pour le service d'exécution d'ordres pour compte de tiers ou les entreprises de marché qui envisagent de les gérer, d'un certain nombre d'informations (RG AMF, art. 521-1 N° Lexbase : L2816G7G). Entre autres données, et indépendamment de nombreuses caractéristiques purement techniques, les règles du système sont communiquées, ainsi que le dispositif mis en oeuvre pour assurer le contrôle du respect de ses règles par les participants. La catégorie d'instruments financiers concernés et les conditions que doivent remplir les émetteurs pour participer au système doivent également être mentionnés, toute donnée dont la conformité est, aux termes de l'article 512-2 du règlement général de l'AMF (N° Lexbase : L2758G7B), vérifiée par le régulateur qui peut demander la modification des règles ou l'adaptation des moyens qu'elle estime nécessaire. Cette vérification de la conformité au règlement suffit-elle pour conférer une portée normative à ces règles ? Nous pensons qu'il est permis d'en douter ;
- cette dernière remarque conduit à souligner un troisième point : celui de la nature contractuelle des relations entre Euronext et les membres des systèmes, non évoquée dans l'arrêté précité. Par un raisonnement a fortiori, on doit, en effet, conclure qu'aucun autre régime que le régime contractuel n'est applicable puisque c'est celui qui est imposé par la loi pour les marchés réglementés qui sont, eux, placés sous une tutelle de la puissance publique plus étroite que ne le sont les systèmes multilatéraux. On rappellera, à ce propos, les termes de l'article L. 421-9 in fine du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9410DY8) qui dispose, pour les marchés réglementés que : "les relations entre une entreprise de marché et une personne mentionnée à l'article L. 421-8 (les membres du marché) sont de nature contractuelle". La consultation des règles de fonctionnement d'Alternext est enfin, sur ce point, suffisamment explicite : l'article 1.1.1, alinéa 4, dispose que "les présentes règles ont valeur contractuelle entre Euronext Paris et, à raison de leur fonction respective fixée par les présentes, les participants directs au marché". Nous ne saurions donc conclure à la qualification de réglementation privée pour les règles de fonctionnement des systèmes multilatéraux de transaction, même si ceux d'entre eux qui sont "organisés" obéissent, comme nous allons le voir, à une procédure d'approbation spécifique ;
- à ce titre, le quatrième et dernier point permet de souligner la dualité du statut des systèmes multilatéraux. Si les articles 521-1 et suivants du règlement général de l'AMF ne disposent que pour les systèmes alternatifs en général, l'arrêté du 15 avril 2005 a introduit une nouvelle notion, qui prend cette fois véritablement figure de statut : celui des "systèmes multilatéraux de négociation organisés". C'est là où le caractère hybride de ces systèmes prend tout son relief car, aux termes de l'article 525-1 du règlement général (N° Lexbase : L4083GUR), sont reconnus comme étant "organisés", les systèmes dont "les règles d'organisation sont approuvées par l'AMF à leur demande, qui se soumettent aux dispositions du livre VI relatives aux abus de marché et qui prévoient un mécanisme de garantie de cours".

Ainsi, les systèmes organisés se différencient essentiellement sur trois points des systèmes stricto sensu, et ce, dans un sens qui rapproche leur fonctionnement de celui des marchés placés sous la tutelle de l'Etat. D'abord, la soumission aux règles relatives aux abus de marché place ces systèmes sous un contrôle de l'information et des opérations qui offrent des conditions de sécurité comparables -à défaut d'être équivalentes- à celui qui gouverne les marchés réglementés. On notera, au surplus, que les gestionnaires de marchés sont tenus -aux termes de l'article 525-6 du même règlement- d'alerter l'AMF sur les faits de nature à perturber le fonctionnement du système. Ensuite, la garantie de cours offre aux investisseurs une sécurité accrue proche de celle des marchés réglementés. Enfin, à la différence des systèmes multilatéraux de droit commun, ceux qui sont organisés doivent faire "approuver" leurs règles de fonctionnement par l'AMF, le système ne pouvant exercer d'activité tant que cette approbation n'est pas effective. On comparera utilement cette procédure avec celle qui concerne les systèmes multilatéraux de droit commun, sur lesquels l'AMF n'exerce qu'une sorte de magistrature morale, pour reprendre les termes qu'un auteur avait employé à propos de la défunte COB (M. Guillaumme-Hofnoung, Les actes juridiques de la COB, AJDA, 1982, p. 683). En effet, leur fonctionnement n'est pas subordonné, dans les textes du moins, à l'approbation de l'AMF.

Ces différentes remarques conduisent à envisager différentes hypothèses quant aux difficultés à faire coexister les règles qui gouvernent les systèmes organisés avec d'autres sujétions, qu'il s'agisse de celles qui sont susceptibles de s'attacher à certaines opérations ou de celles qui gouvernent l'exercice de certaines professions réglementées.

B - Les conflits potentiels entre les règles des systèmes électroniques de transaction et les sujétions juridiques externes aux systèmes

Indépendamment de la subordination des règles de fonctionnement des systèmes au règlement général de l'AMF, que nous avons évoquée précédemment, la nature contractuelle de la réglementation d'Alternext suppose que les règles de fonctionnement du marché puissent être écartées lorsqu'elles entrent en contradiction avec des dispositions d'ordre public. Sur ce point, toutefois, l'articulation entre les normes et les règles du droit boursier semble permettre d'écarter la plupart des incompatibilités potentielles. En effet et ce point a déjà été évoqué, les règles du système font l'objet d'un contrôle de conformité avec le règlement général de l'AMF, qui n'est pas sanctionné dans le cas des systèmes de droit commun, mais conditionne, pour les systèmes organisés, le début de toute activité. Quant au règlement général de l'AMF, même s'il s'insère de façon particulière dans la hiérarchie administrative en raison de la qualité d'autorité administrative indépendante de son auteur, il n'en demeure pas moins subordonné aux dispositions émanant du législateur, les compétences propres de l'AMF en matière réglementaire étant, par ailleurs, strictement définies par la loi.

En ce sens, la mise en oeuvre de l'ordre public boursier textuel se trouve garantie, en principe, par l'articulation des processus normatifs et réglementaires. La véritable interrogation porte, cependant, sur la soumission des règles contractuelles à un hypothétique ordre public virtuel, dont l'appréciation de la mise en oeuvre ressortirait au juge ou aux autorités de marché. La question est loin d'être exclusivement théorique car on en trouve une illustration dans la célèbre affaire OCP qui devait en 1993 susciter d'abondants commentaires de la doctrine (v. notamment, CA Paris, 27 avril 1993, JCP. 1993 éd. E, II, p. 457, note A. Viandier ; RJcom., 1993. p. 244, note Ch. Goyet ; Bull. Joly Bourse 1993, p. 396, n° 82 note P. Le Cannu). Nous rappellerons simplement que dans cette affaire, la cour d'appel de Paris avait décidé qu'une convention passée entre l'initiateur d'une offre publique d'achat et sa société cible -acte au demeurant licite- transgressait, cependant, la réglementation boursière dans la mesure où elle avait pour effet de fausser le libre jeu des offres et des surenchères. L'accord passé par les parties avait ainsi porté atteinte à "l'égalité dans la compétition" (A. Viandier, précité) sur le marché.

Devrait-on, dans la lignée de cette jurisprudence, admettre que certains principes boursiers, d'une essence supérieure, puissent justifier une limitation de la liberté contractuelle et, partant, autoriser une restriction au déroulement de certaines opérations ou paralyser l'application de règles de systèmes dont la nature est contractuelle ? La question nous semble encore ouverte tant, à l'époque, la majorité des auteurs avait vu, à travers cette décision, l'émergence d'un ordre boursier spécifique.

La nature contractuelle de la réglementation invite, par ailleurs, à s'interroger sur le traitement d'éventuelles contradictions entre les règles déontologiques et/ou de bonne conduite applicables aux intermédiaires agréés sur Alternext et les règles de fonctionnement de ce marché.

Les notions de règles de conduite, ou de bonne conduite, plus ou moins assimilées à la déontologie, sont, en effet, encore imprécises, ces règles étant parfois présentées comme un ensemble de prescriptions destinées à éviter l'application de règles juridiques en prévenant d'éventuels comportements répréhensibles, et ce, au moyen de l'instauration d'une discipline professionnelle assortie de sanctions.

En théorie, la solution à ce problème trouve sa réponse dans les prescriptions de la DSI qui a dressé une liste des principes applicables aux intermédiaires, principes qui ont été retranscrits le plus souvent à l'identique dans les législations des Etats membres. En l'espèce, l'esprit du texte était suffisamment explicite : ces règles devaient être obligatoires pour leurs destinataires. Il demeure que ce caractère obligatoire a été garanti au sein des Etats membres par des techniques fort différentes. Inscrits dans des textes de valeur normative pour l'essentiel, les principes communautaires ont, en effet, été matérialisés, à certaines occasions, à partir d'autres supports. Sans pouvoir prétendre à l'exhaustivité, nous soulignerons qu'en Allemagne, par exemple, une partie de ces règles relève de l'autodiscipline professionnelle (A. Pezard et G. Eliet, Droit et déontologie des activités financières en Allemagne, Montchrestien 1999) et, qu'en France, le respect de certaines d'entre elles repose -pour les personnes physiques- sur le caractère impératif du règlement intérieur d'entreprise.

La soumission aux règles de conduite ou de bonne conduite s'appuyant ainsi sur des fondements juridiques hétérogènes, on peut s'interroger sur la difficulté à traiter des conflits entre ces règles lorsque ces dernières sont de rang, de nature ou de contenus divers, d'autant qu'Alternext affiche résolument sa vocation à devenir un marché d'envergure internationale, ouvert donc a priori a nombre d'intermédiaires relevant d'ordres juridiques différents.

Un exemple pratique de ces difficultés vient d'ailleurs d'être évoqué par certains praticiens à la suite de la création, à l'occasion de la constitution d'Alternext, d'un nouveau type de prestataire de service : le listing sponsor dont les compétences entrent en concurrence avec les prestataires de service d'investissement, notamment pour l'admission des valeurs. Chargé d'accompagner la société qui demande l'introduction sur le marché, cet intermédiaire pourra être issu de cabinets d'audit, d'avocats ou de spécialistes en opérations de haut de bilan.

Or, ces intermédiaires -dont il convient de souligner que leur rôle, au-delà de l'introduction sur le marché et/ou de l'émission est de réaliser un suivi de l'émetteur sur le moyen terme- sont soumis à un ensemble de règles de conduite propres au marché Alternext. Parmi celles-ci figure, au rang des "obligations permanentes" évoquées à l'article 2.2 section 3, l'obligation, en cas de manquement par l'émetteur, "de le rappeler à ses obligations et de lui fournir le conseil nécessaire pour remédier au manquement". Dans ce cas, le listing sponsor est tenu de signaler "parallèlement à Euronext Paris la nature du manquement et les démarches entreprises en réaction". C'est sur ce point que la pratique s'interroge, nous semble t-il avec pertinence (sur ce point, lire G. Hippolyte, Altenext (2), engagements et obligations des Listings sponsors, Lexbase hebdo n° 175 du 7 juillet 2005 - édition affaires N° Lexbase : N6305AID) : qu'en sera-t-il, dans l'hypothèse où le listing sponsor aura la qualité d'avocat, du respect de ses obligations déontologiques et notamment du secret professionnel attaché à l'activité de conseil ? Ce conflit, semble-t-il inédit, entre la réglementation privée et la déontologie obligatoire pourrait éventuellement susciter les premières complications réglementaires qu'ait à connaître Alternext. Incidemment, l'histoire des marchés semble se répéter, qui rappelle par certains aspects l'imbroglio normatif -d'aucuns pourront y voir des délices doctrinaux- qui caractérisait le fonctionnement du hors cote.

Jean-Baptiste Lehnof
Maître de conférences à l'ENS-Cachan
Membre du centre de recherche de droit financier - Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Les enjeux de la réussite de ce marché sont de taille si l'on en juge par les chiffres avancés. Il est susceptible de s'adresser à plus de 1 million de petites et moyennes entreprises dans la zone Euro, 30 % d'entre elles se situant dans des Etats-membres couverts par Euronext à travers ses entreprises de marché filiales. Pour autant, Alternext est un marché français et revêt, à ce titre une importance particulière pour la puissance publique. C'est ainsi que, pratiquement un mois après sa création, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Thierry Breton, a annoncé le 20 juin dernier l'introduction de mesures dédiées aux petites et moyennes valeurs. Ces mesures fiscales porteront en principe, d'une part, sur une exonération des plus-values long terme pour les investisseurs institutionnels, et d'autre part, pour les particuliers, sur un élargissement du champ de la réduction de l'IRPP à hauteur de 25 % du montant investi. Euronext devait souligner, dans un communiqué daté du même jour, que ces mesures contribuaient à "créer un cercle vertueux où les allègements fiscaux accordés aux investisseurs renforcent l'attrait des sociétés cotées, la liquidité de leurs titres en bourse et leur capacité de levée de capitaux, accélérant en conséquence leur taux de croissance". Quant à la taille des sociétés concernées, les PME ont été définies comme ayant un effectif inférieur à 250 personnes et un chiffre d'affaire inférieur à 50 millions d'euros.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Profits et social sont eurocompatibles selon la CJCE

Réf. : CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise (N° Lexbase : A3971DIW)

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N6142AIC

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

Peut-on faire des profits, notamment par la récupération de TVA, en fournissant des prestations d'assistance sociale ? Cette question en soulève une autre : suis-je ou non redevable de la TVA, c'est-à-dire un assujetti non exonéré de TVA ? Telle est la question que doit se poser tout assujetti désireux de récupérer la TVA d'amont. La qualité de redevable de la TVA présente, en effet, l'avantage d'autoriser la déduction de la TVA versée aux fournisseurs (sixième directive-TVA, art. 17 § 2 N° Lexbase : L9279AU9 transposé sous l'article 271 du CGI N° Lexbase : L5840DI7). Perdre cette qualité par suite d'une réforme exonérant son activité peut susciter la contestation sur le terrain de la légalité. Telle était la situation soumise à la CJCE le 26 mai 2005.
La société de personnes Kingscrest exploite des foyers d'hébergement et de soins au Royaume-Uni. Kingscrest poursuit un but lucratif, se distinguant ainsi du "charity", constituée exclusivement à des fins caritatives et sans but lucratif. Selon la décision de renvoi, il n'est pas contesté que les prestations fournies par Kingscrest sont des "prestations de services à caractère social", au sens du droit britannique (§ 16). Avant le 21 mars 2002, les prestations fournies par Kingscrest étaient soumises à la TVA car l'exonération des services à caractère social était réservée, au Royaume-Uni, aux organismes sans but lucratif à caractère social, en l'espèce les "Charities" et aux organismes de droit public qui fournissaient de tels services. Depuis le 21 mars 2002, en application d'une réglementation nouvelle, la Grande Bretagne exonère également les services à caractère social fournis par les établissements privés à vocation sociale réglementés par l'Etat. La réforme n'ayant pas inclus une condition de non lucrativité, l'administration fiscale britannique a considéré que Kingscrest bénéficiait de l'exonération.

L'interdiction en résultant de récupérer la TVA d'amont a suscité une vive réaction de la part de Kingscrest. Selon cette dernière, la réforme exonérant les services à caractère social fournis par les établissements privés à vocation sociale réglementés par l'Etat méconnaissait la sixième directive-TVA en omettant de suspendre cette exonération à l'absence de but lucratif.

Saisi, le VAT and Duties Tribunal, juridiction du Royaume-Uni compétente en matière de TVA et d'impôts spéciaux a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJCE les questions préjudicielles suivantes :

"1) Peut-on avoir recours à d'autres versions linguistiques de la sixième directive-TVA [...] pour déterminer le sens du terme "charitable" figurant [dans la version anglaise de] l'article 13, A, paragraphe 1, sous g) et h), ou ce terme doit-il avoir le même sens qu'en droit interne ?

2) Si l'article 13, A, paragraphe 1, sous g) et h), [de la sixième directive-TVA] doit être interprété en ce sens qu'il est applicable à un organisme reconnu comme ayant un caractère social, doit il être interprété en ce sens qu'il est applicable à une entité à but lucratif comme le "partnership" [Kingscrest] ?

3) L'article 13, A, paragraphe 1, sous g) et h), de la [sixième] directive-TVA doit-il être interprété en ce sens qu'il confère aux Etats membres un pouvoir discrétionnaire pour reconnaître, aux fins de cette disposition, un organisme enregistré au titre du Care Standards Act 2000 (ou du Registered Homes Act 1984 ou du Children Act 1989 ), mais qui n'est pas un organisme de droit public et qui ne possède pas le statut de ["charity"] en vertu du droit interne de l'Etat membre concerné ?"

En réponse, la CJCE dit pour droit : "

1) Le terme "charitable" figurant dans la version anglaise de l'article 13, A, paragraphe 1, sous g) et h), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, constitue une notion autonome du droit communautaire qui doit être interprétée en tenant compte de l'ensemble des versions linguistiques de ladite directive.

2) La notion d'"organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'Etat membre concerné" mentionnée à l'article 13, A, paragraphe 1, sous g) et h), de la sixième directive 77/388 n'exclut pas des entités privées poursuivant un but lucratif.

3) Il appartient à la juridiction nationale de déterminer, au vu, notamment, des principes d'égalité de traitement et de neutralité fiscale, et en tenant compte du contenu des prestations de services en cause, ainsi que des conditions de leur exercice, si la reconnaissance, en tant qu'organisme ayant un caractère social aux fins des exonérations prévues à l'article 13, A, paragraphe 1, sous g) et h), de la sixième directive 77/388, d'une entité privée qui poursuit un but lucratif et, partant, ne possède pas le statut de "charity" en vertu du droit interne excède le pouvoir d'appréciation accordé par ces dispositions aux Etats membres aux fins d'une telle reconnaissance".

Ainsi, la notion d'organismes à caractère social ne dépend que du droit communautaire, lequel ne tire aucune incompatibilité de la recherche et de la répartition de profits.

1. L'autonomie communautaire de la notion d'organismes à caractère social

L'article 13 A § 1 de la sixième directive-TVA exonère certaines activités d'intérêt général, notamment "g) les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'assistance sociale et à la sécurité sociale, y compris celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'Etat membre concerné ; h) les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à la protection de l'enfance et de la jeunesse, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'Etat membre concerné". Le paragraphe 2, sous a), de la partie A de l'article 13 autorise les Etats membres à subordonner l'octroi des exonérations, dans le cas d'organismes de droit privé, au respect d'une ou plusieurs conditions, dont la suivante : "les organismes en question ne doivent pas avoir pour but la recherche systématique du profit, les bénéfices éventuels ne devant jamais être distribués mais devant être affectés au maintien ou à l'amélioration des prestations fournies".

L'aide sociale désintéressée, étant, au Royaume-Uni, essentiellement l'oeuvre des organisations caritatives, l'expression "caractère social" employée par l'article 13 A § 1 de la sixième directive-TVA a été traduite, en droit britannique par "charity". En sorte que, selon Kingscrest, l'exonération des organismes privés à caractère social ne pouvait concerner que les structures excluant toute répartition des résultats et attribution d'avantages aux membres, nonobstant l'extension de l'exonération aux organismes à caractère social sans mention de l'absence de but lucratif. Cependant, le libellé du texte communautaire précité ne lie pas le caractère social à l'absence de but lucratif. Cette qualité n'est qu'une condition facultative d'exonération (13 A § 2, a) laissée à l'appréciation de chaque Etat membre. L'analyse de Kingscrest soulevait la question de savoir si chaque Etat membre peut retenir sa propre définition de la notion d'organisme privé à caractère social ou si le droit communautaire impose une harmonisation.

La CJCE opte pour la seconde proposition. Au point 22 de l'arrêt commenté, elle affirme que "à cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les exonérations prévues à l'article 13 de la sixième directive-TVA constituent des notions autonomes du droit communautaire et elles doivent dès lors recevoir une définition communautaire" (voir arrêts CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-358/97, Commission des Communautés européennes c/ Irlande, point 51 N° Lexbase : A1931AWG ; CJCE, 12 juin 2003, aff. C-275/01, Sinclair Collis Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, point 22 N° Lexbase : A7807C8N ; CJCE, 18 novembre 2004, aff. C-284/03, Etat belge c/ Temco Europe SA, point 16 N° Lexbase : A9123DDA).

La CJCE affirme régulièrement l'autonomie du droit communautaire de la TVA. Parmi les exemples les plus récents, citons la notion de prestations de services agricoles (CJCE, 26 mai 2005, aff. C-43/04, Finanzamt Arnsberg c/ Stadt Sundern, § 24 N° Lexbase : A3968DIS), la notion de livraison d'un bien (CJCE, 21 avril 2005, aff. C-25/03, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ HE, § 63 N° Lexbase : A9457DHQ ; Yolande Sérandour, Epoux indivisaires et déduction de la TVA, Lexbase Hebdo, n° 166, du 5 mai 2005 - édition fiscale N° Lexbase : A9457DHQ), la notion de véhicule (CJCE, 3 mars 2005, aff. C-428/02, Fonden Marselisborg Lystbådehavn, § 42 N° Lexbase : A1775DH9 ; Yolande Sérandour, L'amarrage et l'hivernage des bateaux soumis au régime du stationnement des véhicules, Lexbase Hebdo, n° 161, du 31 mars 2005 - édition fiscale N° Lexbase : A1775DH9), la notion de location de biens immeubles (CJCE, 3 mars 2005, aff. C-428/02, Fonden Marselisborg Lystbådehavn, précité, § 28 ; CJCE, 16 janvier 2003, aff. C-315/00, Rudolf Maierhofer c/ Finanzamt Augsburg-Land, § 25 N° Lexbase : A7026A4Y : Yolande Sérandour, La notion de location immobilière ne dépend pas du droit civil de chaque Etat membre, L'Année fiscale 2004, p. 224 ; CJCE, 8 mai 2003, aff. C-269/00, Wolfgang Seeling c/ Finanzamt Starnberg, § 46 N° Lexbase : A9186B4Y : Yolande Sérandour, Le bail avec soi-même n'existe pas en droit communautaire, L'Année fiscale 2004, p. 227 ; CJCE, 12 juin 2003, aff. C-275/01, Sinclair Collis Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 22 : Yolande Sérandour, L'autorisation d'installer un appareil automatique ne constitue pas une location de bien immeuble, L'Année fiscale 2004, p. 229) ou la qualité d'assujetti (CJCE, 21 octobre 2004, aff. C-8/03, Banque Bruxelles Lambert SA (BBL) c/ Etat belge, § 37 N° Lexbase : A6245DDN : Yolande Sérandour, L'assujettissement des SICAV à la TVA, Lexbase Hebdo, n° 141, du 4 novembre 2004 - édition fiscale [LXB=N 3360AB3]).

Cette autonomie des notions utilisées par la sixième directive-TVA n'est en rien atteinte par l'article 13 A § 1 de la sixième directive-TVA aux termes duquel les Etats membres fixent les conditions des exonérations afin d'en assurer l'application correcte et simple et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. La CJCE considère que "[...] ces conditions ne sauraient porter sur la définition du contenu des exonérations prévues" (§ 24 ; CJCE, 20 juin 2002, aff. C-287/00, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne, § 50 N° Lexbase : A2776A39 ; CJCE, 7 mai 1998, aff. C-124/96, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne N° Lexbase : A0373AWQ ; CJCE, 11 janvier 2001, aff. C-76/99, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A0203AWG). Il en résulte, selon le juge communautaire que "l'assujettissement à la TVA d'une opération déterminée ou son exonération ne sauraient dépendre de sa qualification en droit national" (§ 25 ; CJCE, 11 janvier 2001, aff. C-76/99, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 26, précité ; CJCE, 16 janvier 2003, aff. C-315/00, Rudolf Maierhofer c/ Finanzamt Augsburg-Land, § 26, précité).

Cependant, l'harmonisation des règles de TVA n'écarte pas totalement le droit interne de chaque Etat membre. En effet, le point 26 de l'arrêt "Kingscrest" souligne qu'"il résulte d'une jurisprudence constante que la nécessité d'une interprétation uniforme des directives communautaires exclut que, en cas de doute, le texte d'une disposition soit considéré isolément et exige au contraire qu'il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues officielles" (CJCE, 2 avril 1998, aff. C-296/95, The Queen c/ Commissioners of Customs and Excise, ex parte EMU Tabac SARL, The Man in Black Ltd, John Cunningham, point 36 N° Lexbase : A1763AW9 ; CJCE, 17 juin 1998, aff. C-321/96, Wilhelm Mecklenburg c/ Kreis Pinneberg - Der Landrat, point 29 N° Lexbase : A0425AWN).

L'autonomie communautaire de la notion d'organismes à caractère social permet de reconnaître cette qualité aux organismes à but lucratif.

2. L'éventuel caractère social des organismes à but lucratif en droit communautaire

L'article 13 A § 1 de la sixième directive-TVA exonère les prestations liées à l'assistance sociale, à la sécurité sociale et à la protection de l'enfance et de la jeunesse effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social. Ce texte ne définit nullement les organismes à caractère social par l'absence de but lucratif. Néanmoins, son paragraphe 2 sous a) permet à chaque Etat membre de suspendre l'exonération des activités sociales à l'absence de but lucratif.

L'exonération doit faire l'objet d'une interprétation restrictive afin de respecter le principe d'imposition systématique des échanges économiques (§ 29 ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-8/01, Assurandør-Societet c/ Skatteministeriet, § 36 N° Lexbase : A1841DAG ; CJCE, 18 novembre 2004, aff. C-284/03, Etat belge c/ Temco Europe SA, § 17, précité). Cependant, l'interprétation doit prendre en considération le but des exonérations. Les exonérations posées par l'article 13 A § 1 de la sixième directive-TVA poursuivent un objectif précis : alléger le prix de prestations d'intérêt général en vue de faciliter l'accès à des activités jugées primordiales pour la protection sociale, l'enfance et la jeunesse. Peu importe que le prestataire réalise des bénéfices et les répartisse. La CJCE a déjà admis que l'exploitation d'une entreprise, laquelle sous tend le but lucratif n'est pas contraire à l'article 13 A § 1 g) (CJCE, 7 septembre 1999, aff. C-216/97, Jennifer Gregg et Mervyn Gregg c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A0499AWE).

L'arrêt "Kingscrest" donne l'occasion au juge communautaire de rappeler, aux points 31 et 32 que "[...] d'une part, que le caractère commercial d'une activité n'exclut pas, dans le contexte de l'article 13, A, de la sixième directive-TVA, qu'elle présente le caractère d'une activité d'intérêt général (CJCE, 3 avril 2003, aff. C-144/00, Matthias Hoffmann, point 38 N° Lexbase : A6275A7K). D'autre part, il y a lieu de considérer que la notion d'"organismes reconnus comme ayant un caractère social" figurant à l'article 13, A, paragraphe 1, sous g) et h), de la sixième directive-TVA n'appelle pas une interprétation particulièrement étroite" (voir, en ce sens, CJCE, 6 novembre 2003, aff. C-45/01, Christoph-Dornier-Stiftung für Klinische Psychologie c/ Finanzamt Giessen, point 48, précité). La Cour de Luxembourg n'est décidément pas hostile aux bénéfices. L'arrêt "Kennemer Golf & Country Club", en date du 21 mars 2002 considère qu'un organisme sans but lucratif peut réaliser systématiquement des excédents sans perdre le bénéfice de l'exonération de TVA (CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00, Kennemer Golf & Country Club c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A2920AYS  lire obs. de Yolande Sérandour in L'Année fiscale, 2003, p. 327). Manifestement, l'article 13 A de la sixième directive-TVA fait l'objet d'une lecture littérale, qu'il s'agisse de son paragraphe 1er, tel que le démontre la jurisprudence susmentionnée ou de son paragraphe 2 (CJCE, 21 mars 2002, aff. C-267/00, Commissioners of Customs & Excise c/ Zoological Society of London N° Lexbase : A4964AYI : obs. de Yolande Sérandour in L'Année fiscale 2003, p. 331).

Cette interprétation uniforme ne concerne pas la reconnaissance du caractère social des organismes privés car l'article 13 A renvoie cette appréciation à chaque Etat membre. La CJCE n'entend pas se substituer aux Etats membres (CJCE, 10 septembre 2002, aff. C-141/00, Ambulanter Pflegedienst Kügler GmbH c/ Finanzamt für Körperschaften I in Berlin, précité ; CJCE, 6 novembre 2003, aff. C-45/01, Christoph-Dornier-Stiftung für Klinische Psychologie c/ Finanzamt Giessen, précité).

Néanmoins, les Etats membres doivent respecter les principes généraux du droit communautaire. L'arrêt "Kügler" précité mentionne notamment l'égalité (§ 56). Ce principe oblige à prendre en considération le caractère d'intérêt général de l'activité exercée par l'assujetti, le fait que les autres contribuables fournissant les mêmes services bénéficient d'une reconnaissance similaire et la circonstance que les caisses de maladie ou d'autres organismes de sécurité sociale prennent en charge, en grande partie, le coût des prestations en cause (§ 52 et 53 de l'arrêt "Kingscrest", § 58 de l'arrêt "Kügler" et § 72 de l'arrêt "Dornier"). Les autorités nationales, conformément au droit communautaire et sous le contrôle des juridictions nationales doivent également respecter le principe de neutralité de la TVA (CJCE, 11 octobre 2001, aff. C-267/99, Christiane Adam, épouse Urbing c/ Administration de l'enregistrement et des domaines, § 36 N° Lexbase : A4475AWN). L'article 13, A, § 2, sous a), dernier tiret, de la sixième directive-TVA interdit aux Etats membres de provoquer, dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée. Au point 54 de l'arrêt "Kingscrest", la CJCE rappelle que "le principe de neutralité fiscale s'oppose, notamment, à ce que des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (voir, en ce sens, arrêts précités "Kügler", point 30, et du 23 octobre 2003, "Commission c/ Allemagne", point 20). Il s'ensuit que les autorités nationales doivent, pour définir le caractère social d'un organisme privé, poser des critères objectifs et abstraits et vérifier que l'activité en cause vise l'intérêt général.

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Fiscalité des entreprises

[Le point sur...] Etat des lieux des mesures fiscales incitatives en faveur de la culture et de la presse

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N6155AIS

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par Sophie Duval, Juriste-fiscaliste

Le 07 Octobre 2010

Il est incontestable que le soutien à la culture ou à la diffusion de l'information par le biais de la fiscalité existe. Les dispositifs de faveur sont même assez nombreux. Trop peut-être ! En effet, ces mesures se sont accumulées au fil des lois, sans véritable vision d'ensemble. Compte tenu du caractère extrêmement épars de ces dispositifs fiscaux, il est difficile de se faire une idée précise de leur impact réel sur le secteur. Et surtout, il est à craindre une méconnaissance des professionnels de la culture et de l'information sur les avantages fiscaux dont ils seraient en droit de bénéficier. Voici donc un récapitulatif des principales mesures fiscales en faveur de la culture et de la diffusion de la presse. 1. Dispositif fiscal visant à encourager le mécénat

La loi relative au mécénat du 1er août 2003 (loi n° 2003-709, 1er août 2003, relative au mécénat, aux associations et aux fondations N° Lexbase : L3710BLY) a renforcé les avantages fiscaux accordés à ceux, particuliers et entreprises, qui consentent des dons aux profits d'organisme d'intérêt général, et donc, notamment, aux associations intervenant dans le secteur culturel (spectacle vivant, musique, cinéma) ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique. La loi de cohésion sociale (loi n° 2005-32, 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49) a encore donné un petit coup de pousse pour encourager la générosité des contribuables français en augmentant sensiblement l'avantage résultant des dons faits par les particuliers à des organismes sans but lucratif.

Ainsi, les particuliers qui consentent des dons à ces organismes bénéficient d'une réduction d'impôt sur le revenu, dont le taux est, désormais, fixé à 66 % des sommes versées retenues dans la limite de 20 % du revenu imposable. La fraction des versements d'une année qui excède cette limite de 20 % pouvant être reportée sur les 5 années suivantes, dans les mêmes conditions.

De leur coté, les entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés ou relevant de l'impôt sur le revenu, qui procèdent à des versements au profit des associations d'intérêt général, de fondations d'entreprise, de fondations ou d'associations reconnue d'utilité publique, notamment, bénéficient d'une réduction d'impôt égale à 60 % du montant des versements, retenus dans le limite de 5 pour mille du chiffre d'affaires. Cette réduction d'impôt peut s'imputer sur l'impôt dû au titre de l'année ou de l'exercice de réalisation des dépenses et des 5 années suivantes.

Il est à noter, qu'afin d'encourager le secteur artistique, cette réduction s'applique, désormais, aux dons fait au profit d'organisme publics ou privés dont la gestion est désintéressée et qui ont pour activité principale l'organisation de festivals ayant pour objet la présentation de spectacles vivant au public.

Enfin, parallèlement au développement de ces incitations fiscales au mécénat, un processus de simplification de la fiscalité des fondations a été entamé.

2. Mesures fiscales destinées à favoriser le développement de l'expression littéraire et artistique

Il existe des dispositions dérogatoires en faveur de l'expression littéraire et artistique, essentiellement en matière d'IR, de TVA, et de taxe professionnelle.

2.1. Impôt sur le revenu

  • Régime particulier des droits d'auteur

Les droits d'auteur perçus par les écrivains et compositeurs sont soumis à l'impôt sur le revenu selon les règles prévues en matière de traitement et salaires, lorsqu'ils sont intégralement déclarés par les tiers. Ce régime spécial s'applique automatiquement, que l'activité littéraire ou artistique soit exercée à titre principale ou accessoire. Les intéressés peuvent, toutefois, renoncer à ce régime et opter pour le régime de droit commun des BNC.

  • Revenus provenant de la production littéraire, scientifique, artistique ou de la pratique du sport

Lorsqu'ils sont soumis au régime de la déclaration contrôlée, les titulaires de bénéfices provenant de la production littéraire, scientifique ou artistique ou de la pratique du sport, peuvent demander à être imposés sur la base d'un revenu égal à la moyenne des bénéfices de l'année d'imposition et des 2 ou 4 années précédentes.

Les artistes du spectacle, comme d'ailleurs les sportifs salariés, peuvent opter pour l'imposition de leurs salaires selon les mêmes modalités : moyenne triennale ou quinquennale des salaires perçus diminuées des frais professionnels.

Ce système est avantageux, car il permet d'atténuer les effets de la progressivité de l'impôt sur le revenu, surtout lorsque les revenus de l'artiste sont irréguliers et que des bénéfices importants ont été réalisés une année donnée.

  • Exonération de certains prix

Par tolérance administrative, le prix Nobel, ainsi que les prix et récompense littéraire, artistique ou scientifique attribués depuis au moins 3 ans par un jury indépendant sont exonérés d'impôt sur le revenu.

  • Prise en compte spécifique de certains frais professionnels pour les artistes salariés

Depuis 2001, les artistes salariés ne bénéficient plus de déduction forfaitaire majorée pour frais professionnels. Pour le calcul de leur revenu imposable, ils doivent, donc, opter entre la déduction forfaitaire de 10 % et la déduction de leur frais réels.

Par mesure de simplification, certains frais spécifiques aux professions artistiques peuvent, toutefois, faire l'objet d'une évaluation forfaitaire.

Ainsi, les artistes musiciens bénéficient d'une déduction, au titre de l'amortissement des instruments de musique et des frais accessoires (frais d'entretien, d'assurance, notamment), ainsi que des matériels techniques à usage professionnel (matériel hi-fi, second instrument) fixée à 14 % du montant total de la rémunération nette déclarée en tant que musicien.

Les artistes chorégraphiques, lyriques et choristes bénéficient, également, d'une déduction globale de 14 % de leur rémunération pour les frais suivant : frais de formation, frais médicaux, frais d'instruments de musique et frais accessoires.

Enfin, pour l'ensemble des professions artistiques, les frais suivants peuvent être pris en compte dans le cadre d'une déduction égale à 5 % de la rémunération : frais vestimentaires, de coiffure, de représentation, de communication téléphoniques, frais de formation et frais médicaux.

  • Retenue à la source

Afin de faciliter le paiement de l'impôt sur le revenu, les auteurs, artistes et sportifs domiciliés en France peuvent opter pour une retenue à la source de 15 % prélevée sur leur rémunérations brutes, quelle que soit la qualification fiscale de ces rémunérations (salaires, bénéfices non commerciaux...). Ce système est ouvert aux auteurs de l'esprit à l'exclusion des architectes et auteurs de logiciels, aux interprètes d'oeuvres de l'esprit, aux sportifs, aux artistes du spectacle, ainsi que, pour certains revenus, aux ayants droit de ces personnes.

Attention, toutefois, la retenue à la source n'est pas libératoire de l'impôt sur le revenu. La rémunération imposable sur laquelle elle a été opérée doit, donc, être portée par le bénéficiaire sur sa déclaration annuelle de revenus. La retenue à la source s'impute sur l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année au cours de laquelle elle est opérée.

2.2. TVA

Les livraisons de biens et prestations de service effectuées par les auteurs des oeuvres de l'esprit, les artistes interprètes et les artistes du spectacle agissant à titre indépendant sont, en principe, soumis à la TVA de plein droit. Mais des mesures fiscales en faveur du secteur artistique en matière de TVA existent, elles prennent plusieurs formes, exonérations, franchises, taux réduits, et droits à déduction spécifique.

Ainsi, les sommes perçues par les auteurs et artistes à titre de prix, de récompense ou d'aide ne sont pas imposables à la TVA, dès lors qu'elles ne rémunèrent pas une livraison de biens ou une prestation de service. De même, les rémunérations reçues par les artistes de leurs élèves, pour des cours ou des leçons relevant de l'enseignement scolaire, universitaire, professionnel ou artistique, sont exonérées.

Tout comme les avocats, les auteurs et les artistes-interprètes bénéficient d'une franchise spéciale à raison de leur activité spécifique. La franchise s'applique aux personnes qui ont réalisé au cours de l'année civile précédente un chiffre d'affaires n'excédant pas 37 400  euros au titre de la livraison de leur oeuvres et de la cession des droits patrimoniaux qui leur sont reconnus par la loi pour les auteurs d'oeuvre de l'esprit, de l'exploitation des droits patrimoniaux qui leur sont reconnus par la loi par les artistes interprètes.

Les cessions des droits patrimoniaux reconnus par la loi aux auteurs des oeuvres de l'esprit et aux artistes-interprètes (droit de représentation, de reproduction, d'autoriser, droit à rémunération pour copie privée et droit à rémunération équitable) sont soumis à la TVA au taux réduit de 5,5 %. Ne bénéficient, cependant, pas de l'application du taux réduit les cessions de droits portant sur des oeuvres d'architecture et des logiciels, les cessions de droits portant sur des publications et spectacles pornographiques ou violentes.

Pour la perception de la TVA sur les droits d'auteur, un mécanisme particulier de retenue à la source est prévu. Les éditeurs, les sociétés de perception et de répartition de droits et les producteurs qui versent des droits d'auteur doivent retenir le montant de la TVA due par l'auteur, sous déduction de droits de déduction fixés forfaitairement à 0,8 % des droits, et déclarer et verser ce montant au Trésor dans les mêmes conditions et sous les mêmes sanctions que la TVA afférente à leurs propres opérations. La déduction forfaitaire est exclusive de toute autre déduction par l'auteur. Ce régime particulier a pour objectif d'alléger au maximum les obligations déclaratives des auteurs. En effet, ils sont, de ce fait, dispensés des déclarations d'existence ou de cession, ainsi que des déclarations de chiffre d'affaires. Ils ne sont, par ailleurs, tenus à aucune obligation d'ordre comptable au titre de la TVA. Attention, ils doivent toutefois conserver les relevés des droits qu'ils perçoivent.

2.3. Taxe professionnelle

Des exonérations particulières sont prévues en faveur des artistes. Ainsi, sont exonérés de taxe professionnelle les peintres, sculpteurs, graveurs et dessinateurs ne vendant que le produit de leur art, les artistes lyriques et dramatiques, les auteurs et composteurs, professeurs de lettres, de sciences et d'arts d'agrément, s'ils ne possèdent pas de véritables établissements ouvert au public. Attention, les photographes auteurs, en revanche, ne bénéficient pas de cette exonération.

3. Mesures en faveur de la préservation du patrimoine culturel

Les dispositifs fiscaux destinés à encourager la préservation du patrimoine culturel sont nombreux, mais, également, très épars. Voici un rappel des principales mesures.

3.1. Taxe forfaitaire sur les ventes de métaux et objets précieux

Afin de favoriser l'accroissement du patrimoine artistique collectif, l'article 150 V bis du CGI prévoit une exonération définitive de cette taxe lorsque la vente d'objet d'art, de collection ou d'antiquité est faite :

- aux musées nationaux français ;
- aux musées classés ou contrôlés par l'Etat français ou une collectivité locale française ;
- aux bibliothèques de l'Etat, des collectivités locales et des établissements publics français ;
- aux services d'archives de l'Etat, des collectivités publiques et des établissements publics français.

3.2. Revenus fonciers

Sous conditions, les déficits fonciers provenant de la restauration complète d'un immeuble bâti situé dans certains secteurs sont imputables sur le revenu global sans limitation de montant. Ce régime est connu sous l'appellation "loi Malraux" .

Un régime de faveur est, également, prévu en faveur des immeubles classés monuments historiques ou inscrits à l'inventaire supplémentaire, des immeubles faisant partie du patrimoine national en raison de leur caractère historique ou artistique particulier ou en raison du label délivré par la Fondation du patrimoine. Les charges foncières afférentes à ces immeubles peuvent être déduites du revenu imposable du contribuable (CGI, art. 156-II, 1° ter).

3.3. Impôt sur le bénéfice

Les entreprises qui achètent des oeuvres originales d'artistes vivants et les inscrivent à un compte d'actif immobilisé, peuvent déduire du résultat de l'exercice d'acquisition et des quatre années suivantes, par fractions égales, une somme égale au prix d'acquisition. Toutefois, les sommes sont, désormais, déductibles dans la limite de 5 pour mille du chiffre d'affaires, diminuée des versements effectués en application de l'article 238 bis du CGI N° Lexbase : L8579DN3). Cette déduction spéciale est subordonnée à la condition essentielle d'exposition de l'oeuvre, à titre gratuit, dans un lieu accessible au public. La loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations a étendu le bénéfice de ce dispositif aux entreprises qui achètent des instruments de musique et s'engagent à les prêter à titre gratuit aux artistes interprètes qui en font la demande.

Par ailleurs, les entreprises soumises à l'IS bénéficient d'une réduction d'impôt égale à 90 % des versements effectués par les entreprises en faveur de l'achat des biens culturels situés en France ou à l'étranger dont l'acquisition présenterait un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art ou de l'archéologie La réduction d'impôt n'est applicable qu'après avis motivé de la commission.

Enfin, les entreprises peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés égale à 40 % des sommes qu'elles consacrent à l'achat de biens culturels faisant l'objet à la date d'acquisition d'un refus de certificat d'exportation. Le bénéfice de la réduction d'impôt est subordonné au respect des conditions suivantes :

- le bien ne doit pas avoir fait l'objet d'une offre d'achat de l'Etat dans les conditions fixées par l'article L. 121-1 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L6789DY4) ;
- l'entreprise s'engage à consentir au classement du bien comme monument historique en application de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, codifié à l'article L. 622-4 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L7068DYG). Cet engagement doit être pris dans la demande déposée auprès des autorités administratives ;
- le bien ne doit pas être cédé avant l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la date d'acquisition de ce bien figurant sur l'acte de vente, la facture ou l'attestation de vente ;
- durant cette période de dix ans, le bien doit être placé en dépôt auprès d'un musée de France.

En outre, la réduction d'impôt est subordonnée à l'obtention d'un agrément du ministre de l'Economie et des Finances qui se prononce après avis de la commission.

3.4. ISF

Les objets d'antiquité, d'art ou de collection peuvent être exonérés d'impôt de solidarité sur la fortune. Cette exonération s'applique également aux parts de sociétés civiles propriétaires de monuments historiques, mentionnées à l'article 795 A du CGI à concurrence de la fraction de la valeur des parts représentatives d'objets d'antiquités d'art et de collection.

Les droits de la propriété littéraire et artistique sont exonérés. L'exonération est, toutefois, réservée aux auteurs. Les ayants droit de l'auteur doivent, eux, en revanche, comprendre la valeur de capitalisation des droits dans l'assiette de l'ISF.

3.5. Droit d'enregistrement

Sont exonérées des droits de mutation à titre gratuit les oeuvres d'art, livres, objets de collection ou documents de haute valeur artistique ou historique dont il est fait don à l'Etat avec son agrément, à un musée municipal ou à un musée géré par des collectivités territoriales .

Les immeubles qui sont, pour l'essentiel, classés ou inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, ainsi que les meubles qui en constituent le complément historique ou artistique, sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit. Cette exonération est, toutefois, subordonnée à la souscription par les héritiers, ou légataires avec les ministres chargés de la Culture et des Finances d'une convention à durée indéterminée. Cette convention doit prévoir le maintien dans l'immeuble des meubles exonérés et leurs conditions de présentation, les modalités d'accès du public, ainsi que les conditions d'entretien des biens exonérés .

Sont, également, exonérés des droits de mutation à titre gratuit. Les dons et legs d'oeuvres d'art, de monuments ou d'objets ayant un caractère historique, de livres, d'imprimés ou de manuscrits, faits aux établissements pourvus de la personnalité civile, autres que ceux visés au I de l'article 794 du CGI , si ces oeuvres et objets sont destinés à figurer dans une collection publique. Il en va de même des dons et legs de sommes d'argent ou d'immeubles faits aux établissements pourvus de la personnalité civile autres que ceux visés au I de l'article 794 avec obligation, pour les bénéficiaires, de consacrer ces libéralités à l'achat d'oeuvres d'art, de monuments ou d'objets ayant un caractère historique, de livres, d'imprimés ou de manuscrits, destinés à figurer dans une collection publique, ou à l'entretien d'une collection publique.

Enfin, les dons et legs consentis aux établissements publics ou d'utilité publique dont les ressources sont exclusivement affectées à des oeuvres scientifiques, culturelles ou artistiques à caractère désintéressé sont aussi exonérés .

4. Un soutien fiscal au secteur de l'audio-visuel (TV, cinéma, disque)

4.1. Mesures générales

  • Investissement dans les SOFICA (société anonyme ayant pour activité exclusive le financement en capital d'oeuvres cinématographique ou audiovisuelles agréées par le ministère de la culture).

Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France peuvent déduire de leur revenu global, dans la double limite de 25 % de ce revenu et de 18 000 euros, les souscriptions en numéraire au capital de sociétés ayant pour activité exclusive le financement d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles agréées par le ministère de la Culture .

Les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent pratiquer un amortissement exceptionnel de 50 % à raison des souscriptions au capital de sociétés pour le financement d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles agréées (CGI, art. 217 septies [LXB= L4328AAK]).

  • Dispositions spécifiques en faveur de l'outre-mer

Les souscriptions au capital de sociétés effectuant dans les départements et territoires d'outre-mer des investissements productifs dans le secteur de la production et de la diffusion audiovisuelles et cinématographiques peuvent ouvrir droit à une réduction d'impôt .

Les entreprises peuvent déduire de leur résultat imposable le montant total des investissements qu'elles réalisent dans les départements et territoires d'outre-mer dans le secteur de la production et de la diffusion audiovisuelles et cinématographiques .

Les résultats provenant d'exploitations situées dans les départements d'outre-mer et appartenant au secteur de la production et de la diffusion audiovisuelle et cinématographique bénéficient d'un abattement d'un tiers de leur bénéfice imposable .

4.2. Mesures spécifiques aux cinémas

  • Règles d'amortissements dérogatoires

Les sommes perçues au titre de l'aide à l'industrie cinématographique par les exploitants de salles et par les industries techniques pour l'équipement et la modernisation des studios et des laboratoires de développement et de tirage des films, peuvent être affectées à l'amortissement exceptionnel des immobilisations qu'elles ont servi à financer .

Les entreprises de production et de distribution cinématographique ou d'oeuvres audiovisuelles sont autorisées à amortir leurs films selon des modalités particulières qui sont indépendantes de la durée normale d'utilisation. Ce système consiste à affecter à l'amortissement des films les recettes provenant de leur exploitation.

  • Taux réduit de TVA

Les droits d'entrée dans les salles de spectacles cinématographiques, y compris les oeuvres ou documents faisant l'objet d'une vidéo transmission ou d'une vidéo projection, bénéficient du taux réduit de 5,5 % à l'exception de celles projetant des films pornographiques ou d'incitation à la violence .

Le taux réduit s'applique, également, aux cessions de droits portant sur les oeuvres cinématographiques (sauf les oeuvres pornographiques) et ce quel qu'en soit le bénéficiaire (éditeurs vidéo, chaînes de télévision) et le support physique (CGI, art. 279, g).

  • Exonération de taxe professionnelle

Les collectivités locales peuvent exonérer de taxe professionnelle les établissements de spectacles cinématographiques autres que ceux qui sont spécialisés dans la projection de films à caractère pornographique ou d'incitation à la violence dans la limite de :

- 100 % pour les établissement qui, quel que soit le nombre de leurs salles, réalisent en moyenne hebdomadaire moins de 2 000 entrées et qui comprennent au moins un écran classé "art et essai" au titre de l'année de référence ;
- 66 % pour les établissements situés dans les communes de moins de 100 000 habitants et qui réalisent, quel que soit le nombre de leurs salles, moins de 2 000 entrées en moyenne hebdomadaire ;
- 33 % pour les autres établissements .

  • Taxes diverses

Afin de soutenir le secteur cinématographique a également été instauré une taxe spéciale sur les prix des places de spectacles cinématographiques. Cette taxe, incluse dans le prix des billets d'entrée, est perçue au profit du fonds de développement de l'industrie cinématographique .

4.3. Mesures spécifiques aux disques

Les matrices servant à la fabrication de disques font l'objet d'un amortissement accéléré sur deux ou trois ans, selon qu'il s'agit d'enregistrements de variétés ou d'oeuvres classiques.

4.4. Mesures spécifiques à la TV et radio

La redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision, perçue par les organismes du service public de la communication audiovisuelle, est passible de la TVA au taux de 2,1 % .

Les abonnements à des services de télévision par voie hertzienne ou sur réseau câblé relèvent du taux de 5,5 % .

Enfin, une taxe sur la publicité radio-diffusée et télévisée, assise sur le produit des activités des régies publicitaires, est perçue au profit du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale.

5. Aides à la diffusion de l'information

5.1. Mesures en faveur des journalistes et assimilés

En vertu d'une disposition expresse de la loi, les rémunérations des journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux perçues es-qualités constituent des allocations pour frais d'emploi exonérées à concurrence de 7 650 euros. Lorsqu'ils pratiquent seulement la déduction forfaitaire de 10 %, ils peuvent, donc, soustraire 7 650 euros de leur rémunération imposable, sans qu'ils soient tenus de justifier de l'affectation effective de cette somme au paiement de frais professionnels .

5.2. Mesures en faveur des entreprises de presse

  • Impôt sur les bénéfices

Les entreprises de presse qui éditent sur un support papier, soit un journal, soit une revue mensuelle ou bimensuelle consacrée pour une large part à l'information politique, peuvent constituer en franchise d'impôt des provisions exclusivement affectées à l'acquisition des matériels et constructions strictement nécessaires à l'exploitation du journal .

  • TVA

Les ventes, commissions et courtages portant sur des publications de presse visées aux articles 72 et 73 de l'annexe III au Code général des impôts bénéficient du taux de 2,1 % en France métropolitaine et du taux de 1,05 % dans les départements d'outre -mer .

Les travaux de composition et d'impression des écrits périodiques sont soumis au taux réduit de 5,5 %. Ce taux bénéficie également aux fournitures d'éléments d'information faites par les agences de presse agréées . Sont également soumises au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée les fournitures d'éléments d'information faites par les agences de presse figurant sur la liste prévue à l'article 8 bis de l'ordonnance n° 45-2646 du 2 novembre 1945 modifiée ainsi que les opérations de cession ou de rétrocession par une entreprise de presse, d'éléments d'information (articles, reportages, dessins, photographies), à une autre entreprise de presse en vue de l'édition des journaux ou publications mentionnées à l'article 298 septies.

Les opérations de diffusion des publications de presse vendues au numéro réalisées par les messageries de presse, les dépositaires centraux de presse, les sous-dépositaires de presse ainsi que les personnes vendant en ambulance sont dispensées du paiement effectif de la TVA. Néanmoins, pour le calcul des droits à déduction, ces opérations sont considérées comme ayant été taxées . L'éditeur doit quant à lui acquitter la taxe sur le prix de vente public.

Les opérations de ventes, de commissions et de courtages portant sur les annuaires et publications périodiques autres que celles mentionnées à l'article 298 septies édités par les collectivités publiques, leurs établissements publics administratifs et par les organismes sans but lucratif sont exonérées de TVA à la condition que la publicité ou les annonces d'un même annonceur ne soient pas dans une même année supérieurs au dixième de la surface totale des numéros parus.

  • Taxe professionnelle

Sont exonérés de taxe professionnelle :

- les éditeurs de publications périodiques lorsque la partie littéraire, scientifique ou d'information constitue l'essentiel de ces publications ;
- les agences de presse agréées (CGI, art. 1458-2°) ;
- les correspondants locaux de la presse régionale ou départementale.

5.3. Mesures en faveur du livre

Afin de tenir compte des ouvrages à commercialisation lente et difficile, les libraires sont autorisés à constituer une provision ne dépassant pas 40 % de la valeur moyenne d'inventaire, appréciée sur trois exercices, des ouvrages neufs publiés depuis plus d'un an et dont le dernier réapprovisionnement remonte à plus de trois mois.

Les opérations portant sur les livres, y compris leur location, bénéficient du taux réduit de 5,5 % . Ce taux est fixé à 2,1 % dans les départements d'outre-mer et en Corse.

Il est perçu au profit du Centre National des Lettres une redevance sur l'édition des ouvrages de librairie et une redevance pour l'emploi de la reprographie à art. 1609 quindecies N° Lexbase : L3781AAB).

newsid:76155

Rel. individuelles de travail

[Evénement] La situation du salarié atteint d'une maladie non-professionnelle

Réf. : Séminaire Elegia du 23 juin 2005, Absentéisme, arrêts prolongés, inaptitude physique du salarié : comment y faire face ?

Lecture: 9 min

N6297AI3

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par Compte-rendu réalisé par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

L'absentéisme est un phénomène lourd à gérer pour les entreprises : quelles qu'en soient ses causes, l'employeur doit y faire face et limiter, autant que faire se peut, ses répercussions néfastes sur l'entreprise. Si problématiques que soient ses effets, l'absentéisme est fréquent et toutes les entreprises y sont, un jour, confrontées. Aussi, pour faire le point sur ce problème, Elegia a organisé une journée d'études le 23 juin dernier, au cours de laquelle ont été abordées les problématiques liées à l'absentéisme et à la maladie du salarié. Nous retracerons plus spécifiquement, dans les propos qui suivront, l'intervention de François Taquet, avocat spécialisé en droit social et Professeur à l'IESCG de Lille, relative à la question de la maladie non-professionnelle du salarié. 1. La maladie de courte durée

La maladie de courte durée est celle qui ne perturbe pas la vie de l'entreprise. Le salarié concerné sera tenu d'un certain nombre d'obligations vis-à-vis de sa caisse d'assurance maladie, d'une part, et de son employeur, d'autre part.

  • Les obligations du salarié vis-à-vis de la Sécurité sociale

Le salarié malade doit envoyer un certificat médical à la Caisse dont il dépend dans les 48 heures, afin de lui permettre d'exercer son contrôle. A défaut, la Caisse lui enverra un avertissement. En outre, si dans les 2 ans qui suivent le salarié réitère ce comportement, ses indemnités journalières pourront être réduites à hauteur de 50 %.

De plus, le salarié est tenu, vis-à-vis de la Sécurité sociale, de respecter ses heures de sortie. Celles-ci, auparavant fixées par les règlements intérieurs des caisses, sont désormais inscrites sur le certificat médical. Le salarié ne pourra disposer de plus de 3 heures consécutives quotidiennes de "sortie libre". Or, selon François Taquet, ces heures de sortie libre sont une aberration juridique, puisque ni la Caisse ni l'employeur ne peuvent exercer leur contrôle ou faire procéder à une contre-expertise. Aussi, d'après François Taquet, ces 3 heures quotidiennes de sortie libre ne devraient être autorisées qu'après accord de la Caisse, celles accordées par le seul médecin traitant ne revêtant, selon lui, aucune valeur juridique.

En outre, le salarié malade devra se soumettre à un certain nombre de contrôles. D'une part, des contrôles médicaux diligentés par sa Caisse. Le salarié réfractaire s'expose à la suppression de ses indemnités journalières. D'autre part, des contrôles administratifs effectués par des agents assermentés des CPAM, qui seront tenus de vérifier que les salariés malades sont bien en situation de repos.

  • Les obligations du salarié vis-à-vis de son employeur

Première obligation à laquelle est tenu le salarié malade : prévenir son employeur dans un délai de 24 heures.

Le manquement à cette obligation constitue -en théorie au moins- une cause de licenciement du salarié. L'employeur doit tout de même faire preuve de prudence, au moins à deux égards. Il ne devra jamais, quoi qu'il arrive, agir avec précipitation. A défaut, il risque une condamnation devant le conseil de prud'hommes.

Cette exigence -d'agir sans précipitation- est souvent utilisée par la Cour de cassation. Cette dernière, en effet, condamne régulièrement les actes effectués sans réflexion aucune. De plus, si le manquement du salarié malade à son obligation d'avertir son employeur dans les 24 heures constitue une faute sérieuse justifiant un licenciement, en aucun cas l'employeur ne pourra se prévaloir d'une faute grave.

En outre, le salarié, en sus des contrôles auxquels il est soumis au regard de la Sécurité sociale, devra se plier à des exigences parallèles effectuées à l'initiative de son employeur. Ce dernier, généralement débiteur de prestations complémentaires à celles versées par la Sécurité sociale, justifie de ce fait d'un intérêt à agir lui permettant, le cas échéant, d'envoyer un contre-expert au domicile du salarié malade.

Enfin, le salarié malade reste tenu, malgré la suspension de son contrat de travail, à un certain nombre d'obligations au regard de son entreprise au titre desquelles figure, en ligne de mire, l'obligation de loyauté. Cette obligation, inhérente au contrat de travail, se passe de toute inscription au sein dudit contrat. Elle doit être clairement distinguée de l'obligation de non-concurrence, laquelle ne prend effet qu'au moment de la rupture du contrat, et uniquement lorsque celui-ci contient une clause de non-concurrence. En outre, l'obligation de loyauté ne doit pas être, non plus, confondue avec la notion de concurrence déloyale.

Par exemple, la Cour de cassation a considéré qu'un salarié en arrêt maladie a violé son obligation de loyauté envers son employeur pour avoir travaillé sur un chantier d'une maison avec des ouvriers sous ses ordres (Cass. soc., 21 juillet 1994, n° 93-40.554, M. Ziani c/ Société méridionale de travaux, publié N° Lexbase : A1331ABW). De la même manière, le salarié qui, durant un arrêt de travail pour maladie, entreprend la réparation d'un véhicule pour son compte en faisant appel à un autre mécanicien de la société manque à son obligation de loyauté envers son employeur (Cass. soc., 21 octobre 2003, n° 01-43.943, F-P N° Lexbase : A9403C97). De plus, ajoute la Cour, ce comportement est constitutif d'une faute grave, entraînant un licenciement immédiat exclusif des indemnités de licenciement et de préavis.

Mais, il convient ici de faire preuve d'une certaine prudence. La Cour de cassation considère, en effet, que si le salarié en arrêt maladie exerce une activité non concurrente de celle de son employeur, il n'a alors aucun intérêt à agir et à licencier le salarié. "L'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt", considère de manière classique la Haute juridiction judiciaire (Cass. soc., 4 juin 2002, n° 00-40.894, FS-P+B+R N° Lexbase : A8561AYQ).

On se souviendra, à cet égard, du salarié qui, pendant son congé maladie, était parti en vacances en Yougoslavie et avait envoyé une carte postale... à son employeur. La Cour de cassation avait pourtant estimé que le licenciement du salarié, pour ce motif, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'employeur ne pouvant se prévaloir d'aucun intérêt à agir (Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-41.558, M. Genovese c/ Société Ley's, publié N° Lexbase : A1965ABE).

De la même manière, ne se rend pas coupable d'une faute le salarié qui, pendant son arrêt maladie, vend des bouquins sur un marché aux puces pendant ses heures non autorisées : ce comportement ne regarde pas l'employeur mais la Sécurité sociale, le salarié se trouvant en période de suspension de son contrat de travail, "en sorte que les faits qui lui étaient reprochés ne constituaient pas un manquement aux obligations résultant du contrat de travail dès lors qu'il n'était pas soutenu que le salarié avait commis un acte de déloyauté" (Cass. soc., 21 mars 2000, n° 97-44.370, M. Marino c/ Société Semitag, publié N° Lexbase : A6367AGW).

2. La maladie de longue durée

La maladie de longue durée, contrairement à celle de courte durée, perturbe la vie de l'entreprise. Pour autant, elle ne justifie pas en tant que telle une mesure de licenciement, l'article L. 122-45 (N° Lexbase : L1417G9D) venant ici empêcher l'employeur de prendre toute mesure qui serait liée à l'état de santé du salarié. Une telle mesure discriminatoire tomberait sous le coup de la nullité. Or, aujourd'hui, la nullité du licenciement emporte le droit à réintégration pour tout salarié qui le demande...

Néanmoins, si la Cour de cassation interdit tout licenciement fondé sur l'état de santé du salarié, elle accepte que la gêne entraînée par la maladie de longue durée constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. Dès lors que l'employeur rédige sa lettre de notification en bonne et due forme et soigne sa motivation, le licenciement est, normalement, valable.

Selon François Taquet, le licenciement est possible à quatre conditions.

  • L'employeur doit, tout d'abord, toujours regarder les dispositions de la convention collective applicable dans l'entreprise.

La plupart des textes conventionnels prévoient des clauses de garantie d'emploi, d'une durée variable mais avoisinant, le plus souvent, 6 mois. Or, pendant ce laps de temps, l'employeur ne peut absolument rien faire, quels que soient ses motifs. La seule issue pour lui est de recourir au CDD, de préférence, selon François Taquet, à terme précis.

  • On l'a déjà évoqué, le salarié absent en raison d'une maladie de longue durée pourra être licencié en raison de la gêne occasionnée par son absence.

Or, qui dit gêne dit nécessairement remplacement. Ainsi, si le salarié absent n'a pas été remplacé dans son poste, les juges considèreront qu'il n'y a pas eu gêne et le licenciement sera invalidé.

De plus, le remplacement doit être effectué de manière définitive. La jurisprudence a très clairement posé le principe selon lequel le licenciement du salarié malade ne peut reposer sur une cause réelle et sérieuse que "si l'entreprise se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement" (Cass. soc., 15 juin 2000, n° 98-42.587, M. Roland Bettinger c/ Société Les Rapides de Lorraine, inédit N° Lexbase : A9893ATL ; Cass. soc., 3 décembre 2003, n° 01-45.692, F-D N° Lexbase : A3659DAR ; Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-44.586, F-D N° Lexbase : A5713DDX).

Dans un arrêt de principe, marqué du sceau FS-P+B+R+I, la Cour de cassation a affirmé que "le remplacement définitif d'un salarié absent en raison d'une maladie ou d'un accident non professionnel doit intervenir dans un délai raisonnable après le licenciement". Il est donc possible de ne remplacer le salarié malade qu'après qu'il ait été procédé à son licenciement. Mais, le remplacement doit alors intervenir dans un délai raisonnable (Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.156, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8471DD4, lire Nicolas Maingant, Licenciement du salarié malade et moment du remplacement définitif, Lexbase Hebdo n° 144 du 25 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3636ABB).

La Cour de cassation affirme que le délai est apprécié souverainement par les juges du fond, "en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement". L'appréciation du respect du délai raisonnable ne doit pas être effectuée in abstracto, à partir de l'idée qu'il existerait un délai objectivement raisonnable applicable, quelle que soit la situation. Au contraire, la Cour invite les juges du fond à apprécier le respect du délai par l'employeur in concreto, c'est-à-dire en fonction des circonstances particulières. En effet, s'il apparaît logique d'imposer à l'employeur de remplacer effectivement le salarié malade, il convient également de tenir compte des difficultés éventuelles qu'il pourrait rencontrer lors de sa tentative de recrutement. L'employeur devra alors, le cas échéant, justifier de ses éventuelles difficultés de recrutement.

Ainsi, à l'instant "T" du licenciement ou dans un temps voisin, et pour que la rupture du contrat de travail soit admise par les juges, soit le CDD du salarié remplaçant doit être transformé en CDI, soit l'employeur doit mettre sur le poste du salarié absent un autre salarié de entreprise, qui devra lui-même être remplacé sur son poste par un CDI.

En bref, l'employeur devra, dans tous les cas, recourir à un CDI pour remplacer de manière définitive le salarié absent en raison de sa maladie.

  • L'absence de précipitation

L'employeur doit rester vigilant et ne pas licencier le salarié avec précipitation. Ainsi, lorsque le salarié est protégé par une clause de garantie d'emploi, mieux vaut, pour l'employeur, ne pas prononcer le licenciement dès la fin de la période de garantie, mais attendre quelques semaines pour éviter de tomber sous le coup du licenciement précipité.

  • La position hiérarchique du salarié

Enfin, dernier pilier de la validité du licenciement prononcé en raison de la gêne occasionnée par la longue maladie du salarié : l'employeur doit tenir compte de la position hiérarchique du salarié et du degré de technicité de son poste. Ainsi, selon François Taquet, plus le salarié est spécialisé et plus sa position hiérarchique est élevée, plus il sera aisé pour l'employeur de rompre son contrat de travail au terme de la garantie d'emploi. Au contraire, si l'emploi en question ne requiert qu'une faible spécialisation, l'employeur verra ses possibilités de licencier réduites, les juges considérant que celui-ci peut se débrouiller avec des CDD.

Au final, considère François Taquet, ces quatre éléments doivent être réunis de manière cumulative ; à défaut, le licenciement sera invalidé par le conseil de prud'hommes. Précisons que la Cour de cassation, depuis un arrêt récent, considère qu'est suffisamment motivée la lettre de licenciement qui mentionne la nécessité du remplacement du salarié absent en raison de son état de santé. Il appartient aux juges du fond de vérifier que ce remplacement est définitif (Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.187, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8472DD7, lire Christophe Radé, Licenciement du salarié malade et motivation de la lettre de licenciement : une hirondelle fera-t-elle le printemps ?, Lexbase Hebdo n° 143 du 18 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3533ABH).

3. Les absences répétées pour cause de maladie

La jurisprudence admet, de façon classique, que les absences répétées qui désorganisent le fonctionnement de l'entreprise justifient une mesure de licenciement. Mais attention, la Cour de cassation reste vigilante et n'admettrait pas, par exemple, que trois absences survenues à intervalles rapprochées suffisent à appuyer un licenciement. Ces absences doivent être répétées sur une certaine durée, de telle sorte que l'employeur se trouve contraint de se séparer du salarié.

Les réflexes que l'employeur doit avoir sont ici les mêmes que ceux évoqués ci-dessus, pour la maladie de longue durée.

Ainsi, l'employeur devra vérifier si la convention collective applicable prévoit des dispositions spécifiques sur les absences répétées, même s'il est vrai qu'en pratique, la plupart des conventions collectives restent muettes à ce sujet. Ensuite, l'employeur devra prouver la gêne occasionnée par les absences à répétition du salarié. Le salarié malade devra, à l'instar du licenciement lié à une maladie prolongée, avoir été remplacé, soit lors du licenciement, soit dans un temps voisin, par un salarié sous contrat à durée indéterminée. De plus, l'employeur ne devra pas agir avec précipitation et, enfin, la qualité du poste devra être prise en considération.

newsid:76297

Social général

[Textes] L'ordonnance relative à l'accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique

Réf. : Ordonnance du 16 juin 2005, n° 2005-674, relative à l''accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique (N° Lexbase : L5423G9Q)

Lecture: 5 min

N6332AID

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par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Selon l'article L. 121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL), "le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun". Cette soumission de principe du contrat de travail aux règles du droit commun des contrats justifie que soit examinée, dans une perspective travailliste, l'ordonnance du 16 juin 2005 relative à l'accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique. Ce texte a notamment pour objectif de reconnaître et d'encadrer la valeur juridique d'un procédé que la pratique a rendu courant : le courrier électronique. Cette réforme du Code civil est susceptible d'avoir des répercussions en droit du travail car, d'une part, le courrier électronique devient un vecteur légal d'information (1) et, d'autre part, il peut, sous certaines conditions, avoir la même valeur qu'un écrit traditionnel (2). 1. L'information du salarié par courrier électronique

Selon l'article 1369-2 nouveau du Code civil, "les informations qui sont demandées en vue de la conclusion d'un contrat ou celles qui sont adressées au cours de son exécution peuvent être transmises par courrier électronique si leur destinataire a accepté l'usage de ce moyen".

On sait qu'en droit du travail l'employeur est soumis, en matière d'information du salarié, à un certain nombre d'obligations légales. L'entrée en vigueur de l'ordonnance du 16 juin 2005 conduit à s'interroger sur la possibilité de transmettre ces informations par courrier électronique. La jurisprudence n'a pas souvent eu l'occasion de se prononcer et il est certainement difficile de donner une réponse de principe à cette question.

Ce qui est certain, c'est que l'article 1369-2 nouveau du Code civil pose une restriction importante. Selon ce texte, l'information par courrier électronique ne peut être admise que si le destinataire a préalablement été informé que ce moyen d'information serait utilisé dans la relation contractuelle. A contrario, l'expéditeur ne peut prétendre avoir communiqué une information si, d'une manière ou d'une autre, il n'a pas obtenu l'assentiment du destinataire pour l'utilisation de ce procédé.

Si cette condition tenant à l'acceptation préalable du procédé par le destinataire est certainement pertinente dans le cadre de relations commerciales, elle semble assez peu adaptée à la relation entre l'employeur et le salarié. Pourtant, dans le cadre de la relation de travail, il est certainement envisageable pour l'employeur d'insérer au contrat de travail une clause par laquelle le salarié accepte de recevoir les informations relatives à la conclusion ou à l'exécution de son contrat de travail par courrier électronique.

Mais, quand bien même le salarié accepterait l'usage du procédé, cela ne signifierait probablement pas que l'employeur pourrait, par la suite, se contenter systématiquement de transmettre les informations par courrier électronique. Chaque texte imposant à l'employeur une obligation d'information prévoit, en effet, des modalités de mise en oeuvre différentes.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 20 avril 2005, a estimé que l'information par la voie électronique n'était pas de nature à libérer l'employeur de son obligation lorsqu'elle ne permettait pas de respecter l'intégralité des dispositions légales applicables (Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-41.802, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9303DHZ, lire Christophe Radé, Information des salariés et usage de l'intranet, Lexbase Hebdo n° 166 du 5 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3898AI9 ; l'arrêt portait sur l'obligation, prévue par l'article L. 212-4-9 du Code du travail N° Lexbase : L9588GQ8, d'informer les salariés sur les emplois disponibles ressortissant à leur catégorie professionnelle).

Même si l'article 1369-2 nouveau du Code civil ouvre certainement des possibilités nouvelles aux employeurs en matière d'information des salariés, il conviendra certainement de vérifier, au regard des exigences propres à chaque obligation légale d'information, si le courrier électronique peut être admis ou non.

2. L'envoi ou la remise d'un écrit au salarié par courrier électronique

L'ordonnance insère dans le chapitre VII du titre III du livre III du Code civil, intitulé "Des contrats sous forme électronique", une section 3 intitulée "De l'envoi ou de la remise d'un écrit par voie électronique". Cette section comporte trois articles, qui ont pour objet de reconnaître à l'écrit sous forme électronique la même valeur que l'écrit sur support papier.

L'article 1369-7 du Code civil prévoit qu'"une lettre simple relative à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat peut être envoyée par courrier électronique".

L'article 1369-8 du Code civil prévoit qu'"une lettre recommandée relative à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat peut être envoyée par courrier électronique à condition que ce courrier soit acheminé par un tiers selon un procédé permettant d'identifier le tiers, de désigner l'expéditeur, de garantir l'identité du destinataire et d'établir si la lettre a été remise ou non au destinataire. Le contenu de cette lettre, au choix de l'expéditeur, peut être imprimé par le tiers sur support papier pour être distribué au destinataire ou peut être adressé à celui-ci par voie électronique. Dans ce dernier cas, si le destinataire n'est pas un professionnel, il doit avoir demandé l'envoi par ce moyen ou en avoir accepté l'usage au cours d'échanges antérieurs. Un avis de réception peut être adressé à l'expéditeur par voie électronique ou par tout autre dispositif lui permettant de le conserver".

L'article 1369-9 prévoit que "hors les cas prévus aux articles 1369-1 et 1369-2, la remise d'un écrit sous forme électronique est effective lorsque le destinataire, après avoir pu en prendre connaissance, en a accusé réception".

Il n'y a certainement pas de raison de principe d'exclure la relation contractuelle de travail du champ d'application de ces dispositions. En application de l'article L. 121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5443ACL), l'assimilation de la lettre électronique à la lettre traditionnelle concerne aussi bien le droit du travail que le droit civil. 

Lorsqu'un écrit est exigé dans le cadre de la relation entre l'employeur et le salarié, celui-ci peut, en principe, revêtir la forme prévue aux articles 1369-7 à 1369-9 du Code civil. Il convient donc de relire toutes les dispositions du Code du travail imposant l'exigence d'un écrit (lettre simple ou lettre recommandée, éventuellement avec avis de réception) à la lumière de ces dispositions nouvelles du Code civil.

L'employeur pourra, par exemple, par lettre simple électronique, respecter son obligation de remettre au salarié lié par un contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée, dans les deux mois qui suivent la date d'embauche, un ou plusieurs documents comportant des éléments d'information sur les éléments essentiels du contrat (directive (CE) 91/533 du Conseil du 14 octobre 1991 relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail N° Lexbase : L7592AUQ).

L'employeur pourra aussi, par exemple, conformément à l'article L. 321-1-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8923G7M), proposer au salarié une modification de son contrat de travail pour motif économique, par lettre recommandée électronique. Il pourra, également, utiliser ce procédé pour convoquer le salarié à l'entretien préalable au licenciement (C. trav., art. L. 122-14 N° Lexbase : L9576GQQ) ou pour notifier le licenciement (C. trav., art. L. 122-14-1 N° Lexbase : L9577GQR).

Il convient, cependant, de préciser que le salarié n'est pas un "professionnel" au sens de l'article 1369-8 du Code civil. Pour que le procédé soit valable, il faudra donc que le salarié ait "demandé l'envoi par ce moyen" ou qu'il ait "accepté l'usage au cours d'échanges antérieurs". La validité de la lettre recommandée sous forme électronique est donc subordonnée à l'accord du salarié. S'il est assez improbable que le salarié demande à l'employeur de recourir à ce type de procédé, il n'est, en revanche, pas impossible que l'employeur tente de lui en faire accepter l'usage par une clause du contrat de travail initial ou par un avenant.

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Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

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Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.