La lettre juridique n°170 du 2 juin 2005

La lettre juridique - Édition n°170

Table des matières

"Esprit d'ouverture...", il est bien là !

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N5003AI7

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Esprit d'ouverture...", il est bien là ! - par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction">

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 07 Octobre 2010


Le "nombrilisme" est l'un des maux les plus graves de notre société, comme certains l'ont éminemment rappelé tout au long de la campagne relative au référendum constitutionnel. Ce "nombrilisme" est en germe dans chaque citoyen -tentation naturelle du confort intellectuel-, nonobstant l'abrogation bicentenaire de tout corporatisme en France. Mais, chacun admettra que la complexification des normes économiques, juridiques et sociales des sociétés occidentales a nécessité la mise au premier rang du "spécialiste", tenant du "dire-vrai" ou du "droit de dire" (le droit). Aussi, il n'est pas simple de faire rencontrer, dialoguer et de (ré)concilier les "spécialistes" de chaque domaine (économique, juridique et social), alors que l'interaction entre ces derniers est patente et leur synergie nécessaire à l'équilibre des points de vue. Participant du même état d'esprit d'ouverture vers la doctrine plurielle, que nous avons rappelé, ici, il y a quelques semaines (N° Lexbase : N4442AID), les éditions Lexbase vous proposent, cette semaine, deux points de vue professionnels originaux : le premier point de vue est celui de l'économiste confronté au droit du travail (thème d'une journée d'étude organisée par l'Association Française de Droit du Travail et de la Sécurité Sociale (AFDT)) ; le second point de vue est celui d'un docteur en médecine, expert près la cour d'appel, Marc Girard, qui livre, dans nos colonnes, ses réflexions sur l'articulation de la technique et du droit relative à la notion de causalité dans les affaires d'environnement ou de santé publique.

newsid:75003

Bancaire

[Jurisprudence] Heurs et malheurs du prêteur dans les contrats de prêts indivisibles

Réf. : Cass. civ. 1, 10 mai 2005, n° 03-11.301, Société Camping Le Galet c/ Compagnie générale de location d'équipements (CGL), F-D (N° Lexbase : A2248DI4)

Lecture: 6 min

N4920AI3

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par Richard Routier, Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var, Codirecteur du Master banque

Le 07 Octobre 2010


Cet arrêt de la première chambre civile, rendu le 10 mai 2005, devrait inciter les dispensateurs de crédit à se méfier de l'indivisibilité des contrats. Certes, le partenariat existant entre une banque et un vendeur pour financer l'acheteur n'est pas sans avantage pour chacun des protagonistes. Le banquier peut toucher une clientèle en dehors de ses murs, et bénéficier de la sécurité de l'affectation des fonds. Le vendeur dispose d'une clientèle plus large, et donc d'un potentiel de vente plus grand, tout en ayant l'assurance d'être payé. Quant à l'acheteur, il dispose des moyens pour remplir sa principale obligation : payer le prix. Mais le banquier, qui est surtout soucieux de se prémunir d'une défaillance de l'emprunteur, et donc de l'acheteur, demeure, ainsi que le rappelle le présent arrêt, particulièrement exposé en cas de défaillance du vendeur.

En l'espèce, le dirigeant d'une société passe commande d'un véhicule auprès d'un vendeur, puis, quelques jours plus tard, signe une offre préalable de crédit accessoire à la vente émise par un établissement de crédit. Le lendemain, le prêteur verse directement les fonds au vendeur. Mais ce dernier ne livre pas le véhicule et fait l'objet d'une procédure collective. La société acheteuse refuse, alors, de rembourser le prêt, et est assignée avec son dirigeant par le banquier.

Les juges du fond accueillent celui-ci, au motif que la seule inexécution du contrat de vente ne peut priver la convention de crédit de cause ; la cause de l'obligation de l'emprunteur résidant dans la mise à disposition des fonds nécessaires à l'acquisition pour laquelle l'emprunt a été contracté. Leur décision est, cependant, cassée, pour n'avoir pas recherché s'il "existait, au regard des conditions dans lesquelles le contrat de prêt avait été conclu et exécuté par [l'établissement de crédit], une indivisibilité avec le contrat de vente".

En offrant une solution alternative au juge lorsque le droit de la consommation est inapplicable, ce qui présente un intérêt grandissant pour le financement de véhicules dont le prix est souvent supérieur au seuil de 21 500 euros (1), la décision du 10 mai 2005 de la première chambre civile devrait retenir l'attention des prêteurs.

On rappellera que l'indivisibilité (2), qui, en droit commun, n'est prévue dans le Code civil que pour les obligations (3), a déjà été étendue aux conventions par le juge. Dans un ensemble indivisible de conventions, la jurisprudence admet, en effet, que l'une puisse produire ses effets à l'égard de l'autre. La plupart du temps, c'est lorsque "chacun des contractants ne s'est engagé qu'en considérant l'engagement de chacun comme une condition des engagements des autres" (4). Mais, s'agissant d'un contrat de prêt, l'indivisibilité peut, aussi, résulter du fait qu'il n'a été consenti qu'en considération de l'objet spécifique d'un autre contrat (5).

Les juges peuvent déduire la volonté des parties qui exprime cette indivisibilité des seules circonstances de l'espèce. Par exemple, dans une affaire où les deux actes de vente et de prêt étaient "intimement liés", les juges ont pu considérer "que les parties avaient entendu subordonner l'existence du prêt à la réalisation de la vente en vue de laquelle il avait été conclu, de sorte que les deux contrats répondaient à une cause unique [et ont pu décider] à bon droit, non que l'obligation de l'emprunteur était dépourvue de cause, mais que l'annulation du contrat de vente avait entraîné la caducité du prêt" (6).

L'arrêt du 10 mai 2005, rendu au seul visa de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), place la cause au coeur de la solution. Pour les juges suprêmes, la cause dans les groupes de contrats ne doit donc pas être vue de manière contingente. Sans doute les conventions ont-elles isolément une causa proxima différente. Mais, comme il a pu très justement être relevé, elles sont aussi "unies par une causa remota identique" (7). Plus précisément, la cause d'un prêt ayant pour objet le financement d'un bien ou d'un service "n'est pas seulement la remise des fonds, mais cette remise en vue de l'opération" (8). Cela explique que tout évènement affectant celle-ci, puisse rejaillir sur le contrat de prêt. C'est le cas de la résolution, de la nullité voire même de l'illicéité (9).

On remarquera que l'indivisibilité dont il est question ici est, surtout, une indivisibilité objective, puisque l'économie générale de l'opération permet de la considérer comme une opération unique. Mais elle serait tout aussi bien subjective si le vendeur devait être vu comme ayant agi en qualité de mandataire du prêteur.

La solution de la caducité du prêt, lorsque le contrat de vente est annulé, peut-elle être, pour autant, reprise en l'absence d'annulation ? L'arrêt rapporté semble implicitement admettre que l'emprunteur puisse être libéré, mais il reste peu disert sur la forme de cette libération. D'autant que le vendeur fait l'objet d'une procédure collective. Si le contrat de vente ne peut être résolu ou résilié du seul fait de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire (10), il y a, néanmoins, inexécution de l'obligation de délivrance, et celle-ci peut entraîner la résolution du contrat de vente. En effet, l'action contre les organes de la procédure collective du vendeur tendant à la résolution de la vente en application de l'article 1610 du Code civil (N° Lexbase : L1710ABX), a déjà été admise, dès lors qu'elle ne vise pas au remboursement du prix versé (11).

Avant une telle résolution, il n'y a pas disparition du contrat de vente. Une question se pose alors : l'interdépendance existant au sein d'un ensemble contractuel reconnu indivisible peut-elle permettre de déroger au principe de l'effet relatif des contrats, et étendre les conséquences de l'inexécution en ouvrant à l'emprunteur l'exception du même nom ? À notre connaissance, la jurisprudence n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer nettement sur cette question, mais il est permis de penser que l'inexécution, par le vendeur, du contrat de vente devrait pouvoir justifier l'inexécution par l'emprunteur du contrat de prêt.

On observera que, dans la présente espèce, le financement concernait l'achat d'un véhicule pour les besoins d'une activité professionnelle, ce qui cantonnait le débat hors du champ du droit de la consommation, et ne laissait que la cause à la disposition des juges. Mais s'il s'était agi d'un crédit à la consommation, la solution aurait connu un autre régime qui mérite d'être rappelé.

À la différence du Code civil, le Code de la consommation prend expressément en compte le lien pouvant exister entre vente et crédit (12). Ainsi, lorsque "l'offre préalable mentionne le bien [...] financé, les obligations de l'emprunteur ne prennent effet qu'à compter de la livraison" (13). Le cas échéant, l'exécution du contrat de crédit est suspendue. Sa résolution intervient même de plein droit, lorsque la vente est judiciairement résolue ou annulée (14). La jurisprudence en a conclu que le prêteur commet une faute en délivrant les fonds au vendeur sans s'assurer que la livraison de la commande ait bien été effectuée.

La reconnaissance de cette faute, qui "le prive de la possibilité de se prévaloir, à l'égard de l'emprunteur, des effets de la résolution du contrat de prêt, conséquence de la résolution du contrat principal" (15), et donc de la restitution du capital prêté, est opportune. Notamment, lorsque, comme dans l'arrêt rapporté, les fonds ont été directement versés au vendeur et que l'exécution de la prestation est devenue impossible du fait de sa procédure collective. Le contrat de crédit n'est, toutefois, pas ici caduc, mais considéré comme résolu aux torts du prêteur (16).

Dès lors que le bien financé n'a jamais été livré par la faute du vendeur, les obligations de l'emprunteur à l'égard du prêteur n'ont pas pris effet : l'emprunteur ne saurait donc être condamné à la restitution du capital emprunté ; quand bien même aurait-il la possibilité de se faire garantir par le vendeur fautif (17). Mais si l'inexécution du vendeur peut autoriser son cocontractant à se soustraire à ses obligations envers le prêteur, en raison de l'indivisibilité entre la vente et le prêt, encore faut-il en faire la demande (18).

On notera, au passage, qu'une éventuelle créance de l'emprunteur à l'encontre du vendeur, au titre de son obligation à le garantir du remboursement du prêt (19), n'aurait pas à être déclarée car elle trouve son origine, non pas dans la conclusion des contrats, mais dans la résolution du contrat de vente par le fait du vendeur et la résiliation consécutive du contrat de crédit prononcées postérieurement au jugement d'ouverture (20).

Les dispositions de l'article L. 311-20 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6714ABB) étant d'ordre public, il ne peut y être dérogé par convention (21). Mais qu'il s 'agisse de l'indivisibilité propre au droit de la consommation, ou de celle de droit commun comme dans l'arrêt du 10 mai 2005, le prêteur peut facilement s'y soustraire : les dispositions précitées ne visant que l'offre préalable d'un crédit accessoire à l'achat d'un bien déterminé, il lui suffit d'accorder un prêt personnel ou non affecté, ce qui sera retenu s'il s'abstient d'indiquer dans l'acte les caractéristiques sommaires du bien (22) ou du service (23).


(1) C. consom., art. L. 311-3 (N° Lexbase : L6713ABA) et D. 311-1 (N° Lexbase : L7038ABB), encore que l'application de la loi est subordonnée au montant du crédit, et non au coût total de l'opération : Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 96-11.114, Epoux Morandi c/ Société Franfinance location (N° Lexbase : A2181ACR), Bull. civ. I n° 156 p. 103.
(2) Sur cette question : J. Boulanger, Usage et abus de la notion d'indivisibilité des actes juridiques, RTD civ. 1950, p. 1 ; J. Moury, L'indivisibilité entre les obligations et entre les contrats, RTD civ. 1994, p. 259 ; S. Amrani-Mekki, Indivisibilité et ensembles contractuels, Defrénois 2002, p. 355.
(3) C. civ., art. 1217 s. (N° Lexbase : L1319ABH).
(4) CA Aix-en-Provence, 8e, 13 février 1998, n° 9311325, Mme Kerisit née Nicole Jeanne Simone Bigot c/ Société Location Moderne (N° Lexbase : A5174DH4), JCP 1998, II 10213, note C. Renault-Brahinsky.
(5) Cass. com., 4 avril 1995, n° 93-20.029, Compagnie générale de location c/ M. Kessler (N° Lexbase : A1299ABQ) et n° 93-14.585, Société Franfinance Equipement c/ M. Villette (N° Lexbase : A8279ABA), Bull. civ. IV, n° 115, p. 101 ; E. Tardieu-Guigues et M-C. Sordino, JCP éd. E 1996, II 792 ; Contrats conc. consom. 1995, n° 105, obs. L. Leveneur ; D. 1995, somm. p. 231, obs. L. Aynès et 1996, p. 141, note S. Piquet ; Gaz. Pal. 1996, p. 416, note E. Boulanger.
(6) Cass. civ. 1, 1er juillet 1997, n° 95-15.642, Société Unofi Crédit et autres c/ Mme Laborie (N° Lexbase : A0519AC9), Bull. civ. I n° 224 p. 150 ; D. 1998, p. 32, note L. Aynès ; Defrénois 1997, p. 1251, note L. Aynès.
(7) B. Teyssié, Les groupes de contrats, LGDJ (Bibl. dr. privé, t. 139) 1975, spéc. n° 66 et 176.
(8) Cass. civ. 1, 1er octobre 1996, n° 94-18.876, Banque de Neuflize Schlumberger Mallet c/ M. Denoyelle et autre (N° Lexbase : A8621ABW), Bull. civ. I n° 335 p. 235 ; Contrats concur. consom., 1997-01, n° 1, p. 10, note L. Leveneur ; Petites Aff., 13 juin 1997, p. 36, note C. Gall.
(9) Cass. civ. 1ère, 1er octobre 1996 préc.
(10) C. com., art. L. 621-28, al. 6 (N° Lexbase : L6880AIN).
(11) Cass. civ. 1, 26 novembre 1996, n° 94-13.989, Epoux Bastelli c/ M. Gourdain (N° Lexbase : A9791ABA), Bull. civ. I n° 418 p. 291.
(12) Sur cette question : M-T. Calais-Auloy, Fondement du lien juridique unissant vente et prêt dans le prêt lié, JCP éd. G 1984, I. 3144 ; S. Pairault, L'interdépendance du contrat de prêt et du contrat principal, Petites aff., 18 juill. 1997, n° 86, p. 15.
(13) C. consom., art. L. 311-20 (N° Lexbase : L6714ABB).
(14) C. consom., art. L. 311-21 (N° Lexbase : L6715ABC) ; Cass. com., 19 janvier 1993, n ° 91-13.509, M. Tribou c/ Société Auxiliaire de crédit (N° Lexbase : A5626ABY), Bull. civ. IV n° 26 ; RTD com. 1993, p. 707, obs. B; Bouloc.
(15) Cass. civ. 1, 8 juillet 1994, n° 92-19.586, Société anonyme Franfinance, nouvelle dénomination de CREG c/ Sauvage et autre (N° Lexbase : A8062AH3).
(16) Cass. civ. 1, 28 janvier 1992, n° 89-13.515, Union de Crédit pour le Bâtiment (UCB) c/ Epoux Boucayrand (N° Lexbase : A3090ACG), Bull. civ. I n° 34 p. 25.
(17) Cass. civ. 1, 7 février 1995, n° 92-17.894, Mme Libessart c/ Société Creg et autre (N° Lexbase : A6191AHR), Bull. civ. I n° 70 p. 50 ; D. 1995, somm. 314, obs. J-P. Pizzio ; Contrats conc. consom. 1995, n° 156 obs. G. Raymond.
(18) Cass. civ. 1, 26 novembre 1996, n° 94-22.075, Mme Paulette Guillon c/ Société VAG financement, société anonyme et autres, inédit (N° Lexbase : A8461C3R).
(19) C. consom., art. 311-22 (N° Lexbase : L6716ABD).
(20) Cass. com., 20 mai 1997, n° 93-20.819, Société Vogica Magenta et autres c/ Banque Pétrofigaz et autre (N° Lexbase : A1464AC9), JCP éd. E 1997, pan 758 ; Cass. com., 3 février 1998, n° 95-19.203, Monsieur Miquel, ès qualités de liquidateur de la Société Nouvel Espace Economique c/ Société Franfinance Crédit et autres (N° Lexbase : A2425ACS), JCP éd. G 1998 II 708 ; Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 01-00.449, M. Jacques Moyrand, agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Guillaume Edinges c/ M. Bruno Fiscarrald, F-D (N° Lexbase : A8227DBC).
(21) Cass. civ. 1, 17 mars 1993, n° 90-11.737, M. Rives c/ Banque La Hénin (N° Lexbase : A5063AHY), Bull. civ. I, n° 116 p. 78 ; D. 1993, IR p. 87.
(22) Cass. civ. 1, 26 novembre 1991, n° 90-13.791, Mme Verrier c/ Crédit lyonnais (N° Lexbase : A4769ACM), Bull. civ. I n° 336 p. 218.
(23) Cass. civ. 1, 17 février 1998, n° 96-13.050, Société Cétélem, société anonyme c/ Mlle Guémard et autres, inédit (N° Lexbase : A6333CU4), Rev. dr. bancaire et bourse 1998, p. 142, obs. F-J. Crédot et Y. Gérard.

newsid:74920

Pénal

[Manifestations à venir] La justice pénale en débat, état des lieux et perspectives

Lecture: 1 min

N4965AIQ

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Le 07 Octobre 2010

Le Conseil National des Barreaux organise une rencontre le jeudi 9 juin 2005, sous la présidence de Jean-Marie Burguburu, Michel Benichou et Thierry Wickers. Le thème retenu est consacré la justice pénale en débat, état des lieux et perspectives.
  • Thèmes abordés

Le matin : "Les procédures simplifiées et accélérées en matière pénale"

Composition pénale, médiation pénale, rappel à la loi
La comparution immédiate
La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

L'après-midi : "L'enquête. L'instruction. Le Jugement : remédier aux dysfonctionnements"

L'enquête, le statut du mis en cause
Instruction, détention provisoire
L'audience et le jugement
Les projets de la Chancellerie

  • Intervenants

Philippe Herald, premier Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Paris
Jean-François Mailhes, Procureur adjoint au Tribunal de Grande Instance d'Evry
M. Jean-Jacques Paoli, délégué du Procureur
Denis Couhe, Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Paris
Jean-Marie Beney, Procureur adjoint au Tribunal de Grande Instance de Paris
Loannis Papadopoulos, Chargé de mission à l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice (IHEJ)
Christian Flaesch, Sous-directeur chargé des brigades centrales à la direction régionale de la police judiciaire de Paris
Didier Rebut, professeur de droit
Gilbert Thiel, premier Juge d'instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris
Bruno Laroche, premier Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Paris
Didier Guerin, Président de la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Versailles
Françoise Martres, Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux
Sylvie Perdriolle, Président de Cour d'assises - Cour d'Appel de Paris
Frédérique Pons, ancien membre du Conseil de l'Ordre des Avocats de Paris

  • Date

Jeudi 9 juin 2005
9h15 - 17h00

  • Lieu

Salle Gaveau
45, rue de la Boétie
75008 Paris
M° Miromesnil

  • Renseignements

Conseil National des Barreaux - Barreau de Paris - Conférence des Bâtonniers
25, rue du Jour, 75001 Paris
Téléphone : 01.44.88.59.74
Fax : 01.44.88.59.97
E-mail : a.salas@avocatparis.org

newsid:74965

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le juge des référés peut constater l'inopposabilité d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière

Réf. : Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-45.794, Société Piejac-Maingret c/ M. Christophe Vessière, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3957DIE)

Lecture: 7 min

N4885AIR

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Depuis que la Cour de cassation a décidé d'imposer une contrepartie financière aux clauses de non-concurrence, les entreprises guettent chaque jour avec une inquiétude grandissante les derniers développements de la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans une nouvelle décision en date du 25 mai 2005 et promise à la plus large publicité, la Chambre sociale autorise le juge des référés à ordonner l'inopposabilité d'une clause dépourvue de contrepartie financière à la demande d'un salarié démissionnaire, et ce sans même attendre que l'entreprise s'en soit effectivement prévalu. Pour parvenir à une solution aussi étonnante, il convenait de caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite (1) et considérer l'inopposabilité comme une mesure que le juge est en droit d'ordonner (2).



Décision

Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-45.794, Société Piejac-Maingret c/ M. Christophe Vessière, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3957DIE)

Rejet (cour d'appel de Poitiers, chambre sociale, 25 mai 2004)

Textes concernés : C. trav., art. R. 516-31 (N° Lexbase : L0634ADT)

Mots-clefs : clause de non-concurrence ; défaut de contrepartie financière ; sanction ; pouvoir du juge des référés ; inopposabilité.

Lien bases :

Faits

1. Engagé le 8 janvier 2001 par la société Piejac-Maingret en qualité de cadre, M. Vessière a donné sa démission le 18 juin 2003. Son contrat comportait une clause de non-concurrence non assortie d'une contrepartie financière.

Il a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale afin de faire constater que cette clause lui était inopposable.

2. La cour d'appel de Poitiers, statuant en matière de référé, (Poitiers, 25 mai 2004) a dit la clause inopposable au salarié.

Problème juridique

Le juge des référés a-t-il le pouvoir de constater l'inopposabilité d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière ?

Solution

1. "La cour d'appel, qui a constaté que la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail de l'intéressé n'était assortie d'aucune contrepartie financière, en a exactement déduit que son exécution était de nature à caractériser un trouble manifestement illicite".

2. "Le chef du dispositif de l'arrêt qui, sans annuler la clause de non-concurrence, la déclare inopposable au salarié, constitue, au sens de l'article R. 516-31 du Code du travail, une mesure destinée à faire cesser ce trouble manifestement illicite".

3. Rejet

Commentaire

1. L'existence d'un trouble manifestement illicite

  • Le caractère illicite de la clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière

Le 10 juillet 2002, la Chambre sociale de la Cour de cassation a procédé à un spectaculaire revirement de jurisprudence en imposant, comme nouvelle condition de validité aux clauses de non-concurrence, l'existence d'une contrepartie financière (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1225AZE lire Christophe Radé, La Cour de cassation prise en flagrant délit de violation du principe de la prohibition des arrêts de règlement, Lexbase Hebdo n° 33 du 25 juillet 2002 - édition sociale N° Lexbase : N3574AAM), et ce même pour les clauses valablement conclues antérieurement (Cass. soc., 7 janvier 2003, n° 00-46.476, F-D N° Lexbase : A6000A4Y, lire Christophe Radé, Pour en finir avec la rétroactivité des revirements de jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 55 du 23 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5616AAA ; Cass. soc., 17 décembre 2004, n° 03-40.008, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4376DES, lire Christophe Radé, A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : une évolution en trompe l'oeil !, Lexbase Hebdo n° 148 du 23 décembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N4064AB7).

Confrontée à une telle clause, le salarié dispose de plusieurs solutions, selon qu'il souhaite bénéficier de la contrepartie indemnité ou être délié de son obligation. S'il désire bénéficier de l'indemnité, parce qu'il aura retrouvé un emploi compatible avec l'interdiction, il pourra en négocier l'octroi avec l'employeur ou saisir le juge d'une demande visant à se voir allouer une indemnité compensatrice. S'il souhaite, au contraire, être délié de la clause, il pourra en refuser la révision et saisir le juge d'une demande d'annulation.

L'existence d'une obligation contractuelle de non-concurrence, même dépourvue de contrepartie financière, est toutefois de nature à entraver la recherche d'emploi du salarié, notamment lorsqu'il souhaite s'engager au service d'un concurrent, ce dernier pouvant craindre que sa propre responsabilité soit mise en cause pour avoir embauché un salarié qu'il savait lié par une telle clause. Il peut alors être tenté de saisir le juge des référés afin d'en être débarrassé. Se pose alors la question de la compétence du juge et, singulièrement, du moment où, le trouble manifestement illicite étant constitué, il le pourra.

  • Le trouble manifestement illicite provoqué par l'exécution d'une telle clause

Dans cette affaire, le salarié avait saisi la formation des référés après avoir démissionné et avant même que l'entreprise n'ait agi pour le contraindre à respecter la clause.

Le demandeur prétendait qu'en l'absence d'actes positifs établissant la volonté de l'entreprise de faire exécuter la clause, il n'était pas possible de considérer que la seule existence de la clause, même dépourvue de contrepartie financière, constituait un "trouble manifestement illicite" justifiant la compétence du juge des référés.

L'argument semblait pertinent, l'entreprise pouvant valablement renoncer à en réclamer l'exécution et le salarié ne pas agir pour obtenir l'attribution d'une indemnité compensatrice, dans la mesure où il aurait effectivement été engagé par un concurrent.

Tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a considéré que l'exécution d'une telle clause, dépourvue de contrepartie financière, "était de nature à caractériser un trouble manifestement illicite". En d'autres termes, et cette précision est importante pour déterminer à quel moment le salarié peut saisir le juge, il suffit que la clause soit entrée en application, c'est-à-dire que le contrat de travail ait cessé de produire effet, pour que le salarié puisse saisir le juge des référés, et ce même si l'entreprise n'a mis en oeuvre aucune action particulière pour en assurer l'exécution effective.

  • Une solution étonnante

Il pourrait paraître curieux de considérer que la seule exigibilité de l'obligation de non-concurrence, car c'est bien de cela dont il s'agissait ici, puisse constituer un trouble manifestement illicite, en l'absence de tout acte visant à en assurer l'exécution. On comprend bien pourtant l'intérêt du salarié qui est de rassurer un futur employeur sur l'étendue de sa liberté contractuelle et donc de pouvoir plus facilement retrouver un emploi. Il faut, en réalité, rechercher l'explication de l'affirmation récente que "l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle" (Cass. soc., 17 décembre 2004 : préc.) ; le défaut de contrepartie porte donc atteinte à cette liberté fondamentale et constitue donc un "trouble" juridique.

  • Une solution sans véritable enjeu juridique

Sur un plan pratique, la solution ne nous paraît pas d'une grande utilité.

Le salarié n'avait, en réalité, pas grand chose à craindre dans cette affaire. Certes, l'entreprise bénéficiaire d'une clause de non-concurrence peut saisir le juge des référés pour enjoindre au salarié de respecter les termes de son engagement (mais pas au nouvel employeur de licencier le salarié : Cass. soc., 13 mai 2003, n° 01-17.452, Société à responsabilité limitée Vialatte Pneus c/ Société en nom collectif (SNC) Euromaster France, FS-P+B N° Lexbase : A0207B7S, lire Christophe Radé, L'interdiction faite au juge des référés d'ordonner la résiliation du contrat de travail d'un ancien salarié violant sa clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 72 du 22 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7459AAI).

Mais, saisi d'une demande d'exécution forcée d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, le juge des référés ne peut que débouter le demandeur puisque la violation d'une obligation nulle ne saurait constituer un trouble manifestement illicite. En d'autres termes, le créancier de cette clause nulle ne pourra jamais en obtenir l'exécution forcée, le salarié pouvant donc se contenter d'attendre sereinement sans rien risquer.

Une fois le débat clos sur l'existence du trouble manifestement illicite, restait à déterminer de quelle marge de manoeuvre le juge des référés bénéficiait effectivement.

2. L'inopposabilité comme mesure prise par le juge des référés

  • Etendue des pouvoirs du juge des référés

Les pouvoirs du juge des référés sont définis de manière très générale par l'article 809 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC) qui fait référence à la possibilité de prendre des "mesures conservatoires ou de remise en état", dispositions reprises en matière de référé prud'homal par l'article R. 516-31 du Code du travail (N° Lexbase : L0634ADT).

Dans cette affaire, le juge avait non pas prononcé l'annulation de la clause, ce qui aurait constitué une mesure au fond qui ne relève manifestement pas de sa compétence, mais simplement constaté son "inopposabilité" au salarié. Privée d'effet, la clause n'en demeurait pas moins valable, même si on sait que la Cour de cassation, elle-même, assimile parfois nullité et inopposabilité.

L'entreprise contestait qu'il puisse s'agir d'une "mesure", l'inopposabilité constituant plus un état qu'une action. Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui retient ici de la notion de "mesure" une conception étonnamment large.

Il paraît, en effet, singulier de permettre au juge de constater qu'une clause ne produit pas d'effet sans qu'il ne prenne aucune autre mesure positive.

Cette étrange "mesure" interdira tout au plus à l'employeur de saisir un autre juge des référés pour obtenir l'exécution forcée de la clause, à condition toutefois d'admettre, ce qui est parfois contesté, que l'absence d'autorité de la chose jugée en référé ne concerne que le principal et nullement d'autres instances de référé. Une telle action serait, en toute hypothèse, vouée à l'échec, comme nous l'avons déjà indiqué, aucun juge ne pouvant ordonner l'exécution forcée d'une convention aussi manifestement illicite, puisque dépourvue de contrepartie financière.

On se demande, dans ces conditions, pourquoi avoir mobilisé tant d'énergie. La Chambre sociale de la Cour de cassation a sans doute voulu manifester de nouveau son hostilité à l'égard des clauses dépourvues de contrepartie en renforçant symboliquement l'arsenal des mesures judiciaires offertes au salarié.

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Santé

[Point de vue...] Causalité "certaine" ou causalité suffisante?

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N4831AIR

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Le 07 Octobre 2010

S'il est posé comme prohibition naturelle que l'expert n'a pas à "dire le droit" (c'est-à-dire préciser qui doit être sanctionné, au nom de quoi et comment), rien ne lui interdit de méditer sur l'articulation de la technique et du droit : si l'on convient que "donner prise à la pensée juridique" est même l'une des fonctions les plus éminentes de l'expert judiciaire (par contraste avec l'expert tout court), alors, comme témoin privilégié de la façon dont les juristes s'emparent du fait, celui-ci a même le devoir d'indiquer à ceux-là les endroits où le droit risque de s'embourber dans les mystifications technico-scientifiques (1). Telle est la situation actuelle de la causalité dans les affaires d'environnement ou de santé publique. 1 - La notion de lien "direct et certain"

1.1 - Nécessité juridique ou méprise positiviste ?

Dans la mesure où les juristes interrogés attestent que "le lien direct et certain" n'est en rien une exigence des textes fondamentaux, mais une simple construction jurisprudentielle -alors que l'essence de la jurisprudence est d'évoluer sous la poussée de la modernité-, il est impératif que juristes et techniciens conjuguent leurs compétences pour examiner ensemble si une telle caractérisation de causalité résulte d'une contrainte juridique incontournable -et laquelle ?- ou si elle n'est que le sédiment regrettable d'une incapacité des techniciens à expliquer aux magistrats la vraie nature des problèmes.

De fait, l'expérience de la contre-expertise atteste qu'à l'heure actuelle, et dans un contexte où la notion de "certitude" est absolument étrangère à la pensée technique ou scientifique (2), ce sont de loin les experts les moins crédibles qui osent se référer à un concept aussi vide de sens pour les spécialistes (3), comme attesté par d'innombrables exemples.

C'est ainsi que, désigné récemment dans une affaire d'intoxication industrielle surmédiatisée, en raison d'une expertise pénale qui avait conclu en huit lignes au "lien direct et certain", sans soulever la moindre objection juridique, nous avons pu montrer :
- que les troubles allégués par la victime préexistaient à la date de son exposition présumée au toxique incriminé ;
- que la victime était dans l'incapacité de fournir la moindre preuve d'une exposition réelle audit toxique ;
- qu'il n'existait, dans la littérature internationale, aucune indication que ledit toxique fût susceptible de provoquer les troubles allégués par la victime...

C'est ainsi, encore, que dans une affaire, également très médiatisée, de vaccination où un tribunal administratif avait rendu un jugement favorable à la victime sur la base d'une "expertise", que nous nous sommes fait communiquer, cette dernière avait été rédigée en moins d'une demie-page au total (incluant la description du tableau clinique) par un médecin n'ayant manifestement pas la moindre notion des problèmes technico-réglementaires posés, aucune connaissance des centaines de références pertinentes sur le sujet, et qui s'était contenté de poser, comme allant de soi, un lien "direct et certain", sans un mot de justification.

Certes, la pensée juridique n'est pas conditionnée par l'épistémologie technico-scientifique. Mais, inversement, l'on s'attendrait à ce que les juristes justifient avec rigueur les situations où le droit serait à ce point contraint de garder son autonomie par rapport à des réalités technico-scientifiques qui semblent aller de soi : jusqu'à preuve du contraire, l'on n'a pas l'impression que, dans des affaires criminelles où un suspect a pu être confondu sur la base de ses empreintes génétiques, des magistrats aient boudé la satisfaction d'une enquête aboutie en revendiquant que la "génétique de la Justice" ne serait pas conditionnée par la génétique de la biologie...

Pour ce qui concerne un concept d'essence aussi technico-scientifique que la causalité, il est à craindre, par conséquent, que la notion de lien "direct et certain" ne soit que l'héritage d'une pensée positiviste primaire popularisée chez les juristes par des experts de crédibilité problématique, comme attesté par les deux exemples précédents qui pourraient être multipliés à l'envi.

1.2 - La causalité certaine, sédiment d'une pensée prélogique

Dans un ouvrage récent consacré à la sociologie du risque (4), P. Peretti-Watel souligne, en citant notamment Lévi-Strauss, que "la manie du lien causal" est une caractéristique forte de la mentalité primitive -"mystique et prélogique"-, particulièrement active dans la sorcellerie (décrite comme "une théorie des causes") (5) et qui s'oppose à la mentalité "civilisée", bien plus sereine à envisager la causalité dans un cadre probabiliste. L'auteur rappelle, à juste titre, l'antécédent du tabac (particulièrement instructif pour quelques affaires pendantes) dont les effets nocifs ont commencé d'être mis en évidence dès les années 1920 ; mais, durant un demi-siècle, jusqu'aux années 1960 (au moins...), les industriels sont parvenus à semer la confusion en opposant, à l'évidence croissante de l'épidémiologie, les travaux innombrables de fondamentalistes, sans doute "éminents" comme il se doit, mais pas tous indépendants, en tout cas concentrés sur une conception de la causalité héritée d'une bactériologie archaïque (un germe = une maladie), absolument inopérante en l'espèce.

L'antécédent, dans son ampleur, ses modalités et ses conséquences dramatiques, mérite d'être médité par tous les juristes qui s'occupent de "causalité" en santé publique...

1.3 - Une menace pour l'équité et l'exigence de prévisibilité

En tout état de cause, il suffit de penser aux contaminations transfusionnelles ou aux infections nosocomiales pour constater que les magistrats n'ont pas craint de faire évoluer la jurisprudence de la causalité aux antipodes de la "certitude". Au contraire de ce qu'on lit parfois, il n'est pas exact, par exemple, que dans les affaires de contamination transfusionnelle, l'imputabilité au sang transfusé découle logiquement de l'exclusion des autres causes de contamination : l'expérience, en effet, atteste que cette exclusion repose simplement sur une reconstitution laborieuse des antécédents, et que celle-ci tient pour l'essentiel aux dires de la victime -dont la crédibilité est loin de toujours s'imposer "avec certitude"-.

Il suffit, enfin, de penser à l'article L. 3111-9 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8298GTI) (responsabilité sans faute de l'Etat), centré sur la seule évaluation de la causalité et dont on ne sache pas qu'il soit devenu obsolète, pour constater que les tribunaux administratifs n'hésitent pas à indemniser des justiciables sur la base d'une causalité dont on n'imagine pourtant pas qu'elle puisse être "directe et certaine" si elle a été évaluée par des techniciens compétents : nous avons nous-même l'expérience personnelle d'expertises qui, bien que n'ayant jamais dépassé le maximum du lien "probable", ont convaincu les magistrats quant à la réalité d'une causalité significative et la nécessité d'une indemnisation. Globalement, il serait facile de démontrer que, quelle qu'ait pu être la formulation des expertises qui, depuis l'origine, ont conduit à des indemnisations sur la base de la responsabilité sans faute de l'Etat, aucune "certitude" n'a jamais pu être atteinte, pour la raison fort simple que la méthode d'évaluation de causalité iatrogène imposée par l'administration française à tous les professionnels du médicament exclut, de principe, tout degré de "certitude" pour s'arrêter, au maximum, à un degré "très vraisemblable" (6).

Fort récemment, dans une affaire pénale d'exercice illégal de la médecine qui s'était soldée par la mort d'un nourrisson, les experts désignés par le juge d'instruction avaient évoqué, en deux lignes pressées, le rôle potentiellement aggravant d'un médicament. Sur ce, missionné à titre privé par le praticien mis en cause, nous avons pu montrer :
- que la cause naturelle du décès était parfaitement établie (myocardite virale foudroyante) et qu'elle n'était pas contestée par les experts ;
- que le médicament incriminé n'avait été retrouvé qu'à l'état de traces chez le bébé, à des doses nettement infra-thérapeutiques ;
- qu'il n'existait aucune preuve que ce médicament ait été administré par le praticien mis en cause (lequel, évidemment, démentait farouchement être le responsable de la prescription) ;
- qu'après consultation de toutes les bases de données internationales jointe à une vérification tant auprès des grands ouvrages de référence que d'un certain nombre de collègues éminents, la notion que le médicament en question pu être cardiotoxique n'avait jamais été mentionnée nulle part alors qu'il était pourtant commercialisé depuis plus de 50 ans ;
- que les précédents experts (qui n'étaient en rien spécialistes du médicament) s'étaient abstenus de répondre à notre demande expresse de bien vouloir préciser leurs références quant à cette cardiotoxicité, par ailleurs inconnue de tous les spécialistes.

Malgré une réfutation aussi raisonnablement charpentée et qui n'a pas soulevé d'objection décisive lorsque nous nous sommes présentés à la barre, le procureur a estimé parfaitement établi le "lien direct et certain" entre les soins donnés par le praticien mis en cause et le décès du bébé, et a requis en conséquence trois ans d'emprisonnement...

Sur la base de cet exemple qui s'ajoute aux précédents, il apparaît donc que la fiction du lien "direct et certain" est une menace pour l'équité entre les justiciables puisque, indubitablement, les magistrats se contentent au jour le jour d'une évidence parfois très lâche pour considérer comme satisfaite leur exigence de causalité.

1.4 - L'intégrisme causal comme avatar de l'inégalité des armes

Ce qu'atteste l'expérience, par conséquent, c'est qu'il faut au moins une grande affaire de santé publique pour que les magistrats s'interrogent sérieusement sur une version intégriste de la causalité. Il n'est, dès lors, pas bien difficile d'y reconnaître un avatar -parmi d'autres (7)- d'un paramètre important dans ces affaires, à savoir : l'irréductible inégalité des armes entre les parties.

Alors que, comme on vient de le rappeler, les magistrats se contentent usuellement d'indices convergents de probabilité (parfois bien ténus) pour affirmer une causalité suffisante, ceux des justiciables qui en ont les moyens financiers usent de tous les recours prévus par le Droit pour acculer les juges aux extrêmes d'une réflexion exagérément philosophique sur la "certitude". Mais il suffit de réfléchir aux grands problèmes actuels d'environnement ou de santé publique pour apercevoir que les fabricants, pour convertis qu'ils soient à l'intégrisme causal dès qu'on évoque leur faute ou l'éventualité d'une défectuosité, sacrifiaient moins au jansénisme épistémologique, lorsqu'ils prétendaient exposer les populations à des produits dont ils vantaient des bénéfices pas toujours démontrés "avec certitude", tout en balayant d'un revers de la main les alertes de sécurité qui eussent, à tout le moins, justifié un minimum de vérification : il ne serait pas bien difficile de multiplier les exemples d'actualité...

1.5 - L'incertitude causale comme défaut

Ce potentiel d'iniquité entre les parties se double d'un second problème technico-juridique. En fait, même si l'autorité de l'Etat (l'administration sanitaire, par exemple) conserve un pouvoir d'initiative, il est patent que, réglementairement, la responsabilité de l'évaluation d'un produit (au cours du développement comme après commercialisation) repose, pour l'essentiel, sur les épaules du fabricant. C'est dire qu'en matière de défectuosité, la démonstration de la causalité incombe à celui qui a objectivement intérêt à la dissimuler (8).

Bien plus : l'expérience, tant du pénal que du civil, atteste que la toxicité d'un produit est d'autant plus susceptible de déboucher sur une judiciarisation que le fabricant se sera attaché à dissimuler cette causalité -c'est-à-dire à retarder la reconnaissance d'un lien causal entre son produit et tel ou tel effet indésirable-.

Or, à qui profitent ces défaillances dans la démonstration de la causalité ? A ceux qui peuvent : 1) maintenir leur spécialité sur le marché coûte que coûte ; 2) faire débouter les victimes au motif de "l'incertitude" sur la causalité.

De telle sorte que le consommateur qui dépose plainte, déjà potentiellement victime des défauts du produit, va de plus être victime des défauts dans la démonstration de la causalité. Car, comment maintenir que le demandeur devrait apporter la preuve de la causalité au terme d'un processus où, pour l'essentiel, le "défaut" consiste en ce que ceux qui avaient en charge une sorte de "veille causale" (9) -apprécier le moment où les effets indésirables de leur produit sortaient de l'aléa (les effets du hasard) pour se constituer en défaut- se sont défaussés de leurs responsabilités réglementaires, légales, déontologiques et éthiques pour que cette causalité reste dans l'ombre ?

Il découle de ces remarques une première constatation essentielle : dans les affaires sur la responsabilité des produits, il importe, par-dessus tout, d'examiner si "l'incertitude" dont se prévaut le fabricant ne mérite pas... d'être intégrée au titre des défauts dudit produit.

La résolution technico-juridique du problème socio-politique posé par une conception intégriste de la causalité est, précisément, à cet endroit :

- ou bien l'incertitude causale est inhérente au processus de connaissance, et que les producteurs s'en prévalent revient ni plus ni moins à revendiquer une absolue impunité quant aux risques de leurs produits : les conséquences d'une revendication aussi radicale méritent un minimum de réflexion éthique et politique ;

- ou bien, elle ne l'est pas (ou pas complètement) et il importe, par conséquent, de déterminer à partir de quelle limite l'incertitude -éventuellement entretenue, voire aggravée par le fabricant- devient bel et bien un défaut. Nous en arrivons à la notion de causalité suffisante qui sera abordée au chapitre suivant.

De plus, le raisonnement des fabricants peut être aisément inversé. En effet, si la causalité sur les risques est, par essence, incertaine, on ne peut quand même pas soutenir que le consommateur ait eu une "attente légitime" par rapport à des risques qui, aux dires des fabricants, sont parfaitement indéterminés puisque incertains : comment "s'attendre" à l'incertain ? Dès lors, intégrer l'incertitude sur les risques au titre d'un défaut parmi d'autres sera d'autant plus équitable qu'il apparaîtra, comme on l'a dit, que pour incontournable qu'elle soit sur un plan épistémologique, cette incertitude sur les risques a été très significativement épaissie par les défaillances du fabricant.

1.6 - Quand la démonstration de la faute conditionne celle du défaut

Facilement "documentable" au cas par cas, cette notion que la démonstration de la causalité échoit, réglementairement, à celui qui a avantage à la dissimuler conduit à une seconde conséquence d'essence plus juridique.

Il suffit, en effet, de lire les considérants inauguraux de la directive n° 85/374/CEE du 25 juillet 1985  (N° Lexbase : L9620AUT) pour apercevoir que, comme chacun sait, la législation sur les produits défectueux a été conçue pour faciliter la réparation d'éventuels dommages sans contraindre la victime à apporter la preuve de quelque faute que ce soit.

Or, dans la mesure où, le plus souvent, l'incertitude sur la causalité des risques est imputable à une défaillance du fabricant dans son obligation de surveillance avant ou après commercialisation, imposer à la victime "la certitude" dans la démonstration de la causalité impliquerait donc qu'elle objective les défaillances du producteur dans son devoir d'évaluation, ce qui revient, nécessairement, à lui imposer la démonstration d'une faute.

On en arrive, donc, à une véritable perversion de l'esprit qui a conduit le législateur à introduire la notion de défaut puisque le justiciable qui entend s'y appuyer serait tenu, préalablement, de démontrer que le fabricant a failli dans ses obligations...

1.7 - Retournement potentiel de l'intégrisme causal

A ce stade de la discussion, les juristes ont, désormais, des éléments suffisants pour ramener le balancier de la causalité dans une direction plus compatible, tant avec l'esprit de la loi qu'avec la protection de la société. En tout état de cause, le maintien coûte que coûte d'une exigence causale intégriste ne serait pas bien difficile à inverser pour rétablir l'équité entre un consommateur victime impuissante et un fabricant bardé dans une impunité autoproclamée perversement entretenue.

En effet, les limites probabilistes de la technique concernant également le bénéfice attendu d'un produit (en pharmacie, par exemple, personne ne peut garantir avec "certitude" que le médicament administré va être efficace), il en découle une question importante sur la portée de l'information reçue par les consommateurs : l'incertitude du bénéfice valait-t-elle l'exposition à un risque certes incertain lui aussi, mais d'une gravité sans commune mesure au bénéfice éventuel s'il venait à se réaliser ?

Si la notion de "certitude" est incontournable en matière de défectuosité, le rapport bénéfice/risque a donc toutes les chances de s'inscrire au premier rang des défauts les plus patents d'un produit : dans la mesure où, en général (c'est flagrant avec les médicaments), l'incertitude sur le bénéfice est incontournable, comment soutenir que le risque encouru par un consommateur aura été " légitime" en quelque façon s'il est impossible de lui spécifier "avec certitude" le bénéfice qu'il pouvait attendre de son exposition au produit ?

Si les fabricants veulent sortir de ce piège, il leur faudra bien admettre dans les prétoires cette évidence qui gouverne au jour le jour la vie technico-réglementaire et commerciale d'un produit en général et d'un médicament en particulier : à savoir qu'en matière de bénéfice attendu, il existe un niveau de probabilité généralement jugé comme "acceptable" pour justifier, par exemple, un remboursement par l'assurance-maladie.

On en arrive derechef à la notion de causalité suffisante...

1.8 - Bilan : le risque d'impunité et son antidote

Malgré les apparences, il n'y a rien de bien original dans les considérations précédentes qui sont parfaitement connues par tous les fabricants.

"En matière de complication médicamenteuse, la démonstration objective de l'imputabilité est tout à fait exceptionnelle. Dans la plupart des cas, l'imputabilité reste subjective et rien de plus qu'une conviction intime. [...] La certitude est l'exception. Lorsqu'un effet indésirable se reproduit avec une certaine fréquence, il convient par dessus tout de ne pas perdre de temps avec des investigations inadéquates ou interminables. Il arrive, par conséquent, qu'un médicament soit retiré sur la base d'une suspicion bien davantage que d'une certitude" (10).

Cette citation éclairante tire sa pertinence du fait qu'elle provient d'un article co-signé par la responsable d'alors de la pharmacovigilance d'un des vaccins contre l'hépatite B, produits dont il n'échappera à personne qu'ils ont beaucoup contribué, ces derniers, temps, à la diffusion dans les prétoires d'une conception intégriste de la causalité, dont il est donc ici spectaculairement confirmé qu'elle est, au fond, totalement étrangère au référentiel épistémologique des fabricants.

A partir du moment où, selon les termes mêmes des textes en vigueur et au décours de leur travail quotidien, les fabricants savent et assument que "la certitude est l'exception" (et nous corrigeons même en affirmant qu'on ne la trouve jamais), se présenter ensuite dans les prétoires en affirmant que cette "certitude" est une condition sine qua non à quelque mise en cause que ce soit représente, à l'évidence, une revendication d'absolue impunité.
Cependant, en vertu de ce qui a été exposé à la section précédente (cf. 1.7), cette conception intégriste de la causalité implique qu'introduire sur le marché un médicament reviendrait, par essence même, à mettre le doigt dans l'engrenage de la défectuosité. On a donc là l'antidote naturel du risque d'impunité auquel conduit nécessairement l'exigence d'une causalité "certaine" en matière de risque : s'il n'existe aucune "certitude" en rien, aucune attente ne peut être non plus "légitime", sauf à informer dûment les consommateurs de cette incertitude touchant les deux termes du rapport bénéfice/risque, ce qui revient, évidemment, à faire de la publicité abusive le défaut le plus flagrant d'un produit.

2 - La causalité suffisante

2.1 - Le précédent du principe de précaution

Dans le contexte des affaires qui se sont accumulées à une vitesse croissante ces derniers mois -et qui ont conduit à évoquer une "tempête sur l'industrie pharmaceutique mondiale" (Le Monde, 21 décembre 2004) dont on trouve, désormais, l'écho quasi quotidien dans la presse internationale spécialisée ou non- la nécessité de sanctionner avec un minimum de sécurité juridique le non-respect des lois ou de la réglementation conduit, par conséquent, à aborder la notion de causalité suffisante.

La citation précédente du livre de Peretti-Watel illustre que, par opposition à la pensée prélogique, la pensée moderne se distingue par sa capacité de tolérer l'incertitude :

- en préférant l'incertitude, même absolue, à la pseudo logique causale de la magie ou de l'alchimie (les dieux, les démons, le mauvais sort, les pestilences, les miasmes, "le poumon" de Molière, etc.) ;
- en se satisfaisant, lorsqu'une ou des causes sont identifiées, de quantifier l'incertitude résiduelle (via, par exemple, les statistiques).

Cette recherche d'une causalité simplement suffisante (par opposition au mythe de la causalité présumée certaine) n'est pas l'apanage des techniciens ou des scientifiques, mais imprègne, également, le travail des juristes. Il est patent, par exemple, que le "principe de précaution" est une élaboration juridique autour de la causalité incertaine : jusqu'à quel point l'ampleur du risque encouru -même peu probable- doit-il conduire à agir, c'est-à-dire, finalement, à tolérer une incertitude dans la démonstration des causes ?

Sur la base de la démonstration opérée au chapitre précédent (cf. 1.1), il est non moins patent que la notion de défectuosité n'offrira la base d'une jurisprudence permettant un minimum de sécurité juridique, qu'à partir du moment où les juristes parviendront à une élaboration raisonnable du problème suivant : jusqu'à quel point l'ampleur de la défectuosité avérée doit-elle alléger le fardeau de la preuve ?

Alors que sous la poussée des fabricants, la jurisprudence actuelle tend à conditionner la démonstration de la défectuosité à celle de la causalité (11), ce retournement de polarité (la démonstration de la défectuosité doit conditionner celle de la causalité) aurait un triple avantage :
- il casserait cette dynamique d'impunité à laquelle conduit nécessairement la notion de causalité "certaine" ;
- il respecterait l'esprit du législateur qui a, lui, placé la démonstration du défaut avant l'établissement de la causalité ;
- ramenant l'essentiel du débat à des questions d'ordre réglementaire, il épargnerait aux magistrats de se laisser déporter vers la technique et leur permettrait au contraire de s'ancrer solidement dans une épistémologie bien plus compatible avec leurs catégories conceptuelles de base, puisque, au lieu de méditer sur des études "scientifiques" d'intégrité problématique et d'interprétation hasardeuse, il s'agirait simplement de vérifier si les mesures élémentaires de prudence ou de précaution, notamment, celles prévues par la réglementation, ont été respectées...

2.2 - Exemples pratiques

A l'évidence, le technicien n'a pas autorité pour spécifier à partir de quel moment la défectuosité doit alléger le fardeau de la preuve ; mais il peut fournir quelques illustrations de ce qu'en pareille matière, lui-même et ses collègues considèrent comme causalité suffisante pour sous-tendre leurs processus décisionnels quotidiens, que ce soit sur un plan médical (prescrire, ne pas prescrire, stopper un traitement chez un individu), réglementaire (prendre des mesures de restriction ou d'interdiction à l'égard de tel ou tel médicament, accepter de le rembourser) ou industriel (stopper un développement, retirer un produit du marché...)

Qualitativement, la démonstration de la causalité à l'échelle individuelle est fort éloignée de la "certitude", comme attesté par cet extrait récent de la revue Reactions (réf. 807218293) portant sur un vaccin anti-grippal et qui illustre le niveau de preuve suffisant pour que soit tirée une sonnette d'alarme dans le plus éminent des journaux internationaux consacrés aux effets indésirables des médicaments.

Le patient n° 1, homme âgé de 62 ans, a présenté une tétra-parésie aiguë 2 semaines après avoir été vacciné contre la grippe, et 14 mois après avoir présenté un épisode de myélite post-infectieuse. Les résultats de l'IRM étaient superposables à ceux du précédent épisode (myélite en C1-C6). Après traitement par immunoglobulines, il s'est rétabli ; aucune nouvelle lésion neurologique (cerveau, moelle épinière) n'a plus été retrouvée par l'IRM sur les trois années suivantes.

Le patient n° 2, une femme âgée de 60 ans, a présenté une para parésie aiguë dix jours après avoir été vaccinée contre la grippe, et 6 mois après un épisode d'encéphalomyélite disséminée post-grippal. L'IRM médullaire montrait des lésions thoraciques en hyper signal T2 (...). Après traitement par méthylprednisolone à posologie élevée, elle a récupéré presque complètement.

Selon l'auteur de l'article : "eu égard aux résultats négatifs des examens complémentaires, ainsi qu'à la corrélation chronologique stricte entre les troubles neurologiques et la vaccination, nous pensons que la rechute [de l'encéphalopathie antérieure] chez nos patients a été déclenchée par la vaccination".

On voit donc qu'un faisceau d'éléments très simples (pas d'autre cause évidente, chronologie suggestive) sous-tend ici une démonstration causale largement suffisante pour justifier la démarche épistémologique maximale pour un scientifique : publier dans une revue internationale.

Quantitativement, on l'a déjà rappelé : compte tenu du nombre de médicaments sur le marché et de la profusion des effets indésirables qu'ils peuvent déclencher, les autorités sanitaires ne mettent qu'exceptionnellement en place des études épidémiologiques, de telle sorte qu'en matière de iatrogénie, l'essentiel des décisions réglementaires est fondée sur la simple observation de quelques cas, comme clairement illustré par les quelques exemples suivants.

C'est ainsi par exemple qu'en 1998, la spécialité antiparkinsonnienne Tasmar® a été retirée du marché par les autorités françaises et européennes après la publication de trois cas mondiaux d'accident hépatique mortel, tous de causalité extrêmement problématique. Or, cette spécialité, hautement appréciée des neurologues, était destinée à des parkinsoniens parvenus à un stade très délabrant de leur maladie, à ce titre prêts à encourir un risque iatrogène élevé dans l'espoir de voir si peu que ce soit améliorée leur qualité de vie (12).

Evoquant "un principe de précaution absolu", l'AFSSAPS annonce, dans un communiqué du 18 février 2005, la suspension des essais en cours sur un vaccin contre le Sida à la suite d'un seul cas mondial de myélite survenue chez un volontaire sain et pour lequel, apparemment, "aucune relation de cause a effet [...] n'a pour l'instant été établie". On relève qu'aux yeux de l'Agence, ce "principe de précaution absolu" s'impose même à l'égard d'une population indubitablement exposée au risque de Sida, et chez laquelle la participation volontaire à des essais cliniques correspond à un niveau élevé de conscientisation politique et éthique.

Pour éloquents qu'ils soient, les précédents exemples n'ont pas besoin d'être multipliés, puisqu'ils correspondent à une position de "précaution absolue", revendiquée par l'Agence et ses experts :

le directeur de l'évaluation assume publiquement que l'AFSSAPS a tendance à "dégainer trop vite" (13), ce qui n'en rend que plus incompréhensible sa remarquable obstination par rapport aux risques patents d'autres médicaments dont les bénéfices n'ont jamais fait l'objet de la moindre évaluation sérieuse.

Selon un éminent membre de la même Agence, ancien vice-président de la Commission nationale de pharmacovigilance :

dans la plupart des situations qui se présentent en pharmacovigilance après commercialisation, le nombre de cas attendus reste faible et le niveau où l'on peut se contenter d'invoquer la coïncidence ne doit pas dépasser trois cas [observés] [...]
Pour [...] la plupart des réactions de type B (14), la réception de plus de trois notifications ne peut être qu'exceptionnellement le fruit d'une coïncidence ; elle représente un signal important qui nécessite des investigations complémentaires (15).

3 - La causalité de l'aggravation

Quoique cette question soit plus marginale dans une discussion de fond sur la causalité, l'expérience montre qu'elle est d'une grande importance pratique. Dans les affaires judiciaires individuelles, en effet, il est fréquent que le débat sur la causalité soit purement et simplement évacué au seul motif d'une "préexistence" supposée de la maladie rapportée par la victime à tel ou tel produit : puisque la maladie existait avant l'exposition au produit, elle ne peut avoir été causée par ledit produit...

Cette argumentation n'a que l'apparence de la logique.

D'une part, il s'en faut de beaucoup qu'une telle préexistence, pour fréquemment évoquée qu'elle soit, soit démontrée avec un minimum de "certitude". La iatrogénie d'un médicament, par exemple, conduit souvent à des pathologies bâtardes, d'origine probablement immunitaire et de déclenchement parfois flou (inflammation fugace, fatigue, douleurs musculaires...) : tout un chacun étant susceptible d'avoir, un jour ou l'autre, présenté de tels symptômes, il est un peu facile (quoique regrettablement fréquent) d'y voir la preuve d'une préexistence de la maladie qui s'est ensuite révélée.

D'autre part, dans la perspective du dommage, la question d'une préexistence de la pathologie visée n'est pas si pertinente qu'il y paraît car, du point de vue du patient, ladite maladie -qui peut rester latente des années- n'existe que par ses manifestations cliniques et peu lui importe, au fond, de connaître la date exacte à laquelle s'est constituée sa pathologie : ce qui compte, en pratique, c'est la fréquence et l'intensité de ses poussées. Par conséquent, l'éventuelle préexistence d'une pathologie X ou Y ne change pas grand chose à la question posée par la victime qui vise le rôle de son exposition à tel produit dans son état actuel, que cet état résulte d'une pathologie acquise après l'exposition ou bien de l'aggravation -mais toujours après l'exposition- d'une maladie peut-être préexistante, mais extrêmement peu symptomatique avant.

4 - Conclusion : pour une jurisprudence de l'incertitude

A partir du moment où, une fois disqualifiée la notion archaïque du lien "direct et certain", l'on accepte de se positionner dans une conception plus moderne -par conséquent : plus probabiliste- de la causalité, il est déraisonnable d'escompter identifier des corrélations statistiques parfaites (ne serait-ce que parce que les erreurs de mesure, fatales, empêcheraient cette perfection et parce que les modèles statistiques conduisent toujours à des approximations).

Si la pensée juridique veut donc sortir de l'alternative fatale entre fiction prélogique d'une part (lien direct et certain) et garantie d'impunité d'autre part, il convient d'établir "une jurisprudence de l'incertitude" (2), qui fixerait à partir de quel moment un niveau documenté de tromperie compense pour l'incertitude résiduelle sur la causalité, tout spécialement lorsque cette tromperie est directement à l'origine de l'exposition des victimes :
- soit parce qu'elle les a conduites à s'exposer inutilement (publicité abusive, qui renvoie ici aux indications inappropriées) ;
- soit parce qu'elle les a privées d'une information essentielle qui, indubitablement, aurait été suffisante pour qu'elles retirent leur consentement au traitement.

L'antériorité du principe de précaution, qui officialise -s'il en était besoin- l'acceptabilité juridique de la notion de causalité suffisante, fournit matière à une dernière remarque. Ce principe, en effet, a également officialisé la notion de "coût économiquement acceptable" : s'il est admis que le coût des précautions requises doit être raisonnablement proportionné au risque, il en résulte a contrario que ces précautions s'imposent d'autant plus si elles sont d'un coût dérisoire par rapport à la menace encourue. Transposée au cadre des produits défectueux, cette notion conduit à considérer que les défaillances du fabricant dans sa "veille causale" -l'incertitude délibérément entretenue sur la causalité des risques- seront d'autant plus sévèrement sanctionnables que le coût des études qui n'ont pas été menées sur les risques aurait été négligeable par rapport aux bénéfices tirés d'un produit défectueux... En d'autres termes, la causalité sera d'autant plus "suffisante" pour justifier indemnisation ou sanction que l'écart sera considérable entre le bénéfice tiré de la commercialisation d'un produit et le coût des investigations qui eussent permis au bénéficiaire de colmater l'essentiel de l'incertitude causale.

Marc Girard
Expert près la cour d'appel de Versailles
(Médicament et recherche biomédicale)


(1) M. Girard, L'environnement, facteur tératogène pour l'expertise, Juris-Classeur  Environnement 2004 (4) : 9-11.
(2) M. Girard, Expertise médicale : questions et... réponses sur l'imputabilité médicamenteuse, Recueil Dalloz 2001(16) : 1251-2.
(3) Sauf, évidemment, dans des questions de dommage médical simple où la certitude est telle qu'elle ne requiert même aucune expertise : il n'y a pas besoin d'être expert pour comprendre que la section accidentelle du nerf sciatique est la cause "directe et certaine" de la paralysie qui s'ensuit.
(4) P. Peretti-Watel, Sociologie du risque, Paris, A. Colin, 2000.
(5) Que des rémanences de sorcellerie soient véhiculées sous couvert de pensée scientifique n'a rien d'étonnant, la "Science" n'étant pas une vocation qui immunise l'individu contre tout héritage culturel prélogique. Une forte rémanence de pensée magique se retrouve, par exemple, dans la plupart des pratiques scientifiques qui reposent sur des modèles, lesquels, dans leur forme malheureusement la plus courante, reposent essentiellement sur l'une des constantes les plus fortes de cette pensée magique : l'analogie.
(6) note (2) précitée.
(7) Parmi d'autres, comme les interrogations jusqu'à l'absurde sur "l'impartialité objective" de l'expert, qui plongent les magistrats dans des abîmes de perplexité inédite, alors même que la jurisprudence leur donne toute latitude pour en sanctionner immédiatement le "manque manifeste de sérieux" d'une demande de récusation.
(8) En tout état de cause, comme la défectuosité implique que, d'une façon ou d'une autre, la vigilance des instances de contrôle a été prise en défaut, l'administration de tutelle a, elle aussi, toujours intérêt à retarder la démonstration d'une défectuosité.
(9) Au sens où l'on parle de "veille documentaire".
(10) M. Auriche, E. Loupi, Does proof of causality ever exist in pharmacovigilance ?, Drug Saf 1993 ; 9 : 230-5.
(11) Au point que, ces derniers temps, on a pu voir des juges refuser d'ordonner des mesures d'expertise (qui eussent pu conduire à un inventaire des défauts) au motif d'une causalité réputée indémontrable.
(12) Anon, Tasmar awaits outcome of new study, Scrip 2001 (2686) : 22.
(13) Quand l'AFSSAPS dégaine trop vite, Moniteur des Pharmacies 2004 ; n° 2542 : 9
(14) C'est-à-dire les réactions proprement inattendues (telles que les pathologies démyélinisantes après vaccination), qui ne traduisent pas une exagération ou un effet secondaire naturel de l'action recherchée avec un médicament.
(15) B. Begaud, Y. Moride, P. Tubert-Bitter, A. Chaslerie, F. Haramburu, False-positives in spontaneous reporting : should we worry about them?, Br J. Clin Pharmacol 1994, Nov ; 38 (5) : 401-4.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] La déduction de TVA annulable par rétroactivité de la loi

Réf. : CJCE, 26 avril 2005, aff. C-376/02, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën (N° Lexbase : A0027DIT)

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

La crainte de voir se multiplier les montages destinés à récupérer de la TVA avant l'adoption d'une loi destinée à les combattre justifie t'elle une dérogation aux principes communautaires de sécurité juridique et de confiance légitime ? La loi doit-elle absolument ne disposer que pour l'avenir ou peut-on, en droit communautaire de la TVA, tolérer, exceptionnellement, la rétroactivité ? Le droit français admet qu'il soit dérogé à l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4) car ce dernier n'a pas valeur constitutionnelle. Sans doute de manière plus restrictive, mais néanmoins de façon très ferme, la CJCE accepte également que la loi nouvelle puisse disposer pour le passé.
Le 26 avril 2005, la grande chambre de la CJCE a en effet dit pour droit que :

"Les principes de la protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique ne s'opposent pas à ce qu'un Etat membre, à titre exceptionnel, et afin d'éviter que soient utilisés à grande échelle, pendant le processus législatif, des montages financiers destinés à minimiser la charge de la taxe sur la valeur ajoutée contre lesquels une loi de modification vise précisément à lutter, donne à cette loi un effet rétroactif, lorsque, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, les opérateurs économiques effectuant des opérations économiques telles que celles visées par la loi ont été avertis de la prochaine adoption de cette loi et de l'effet rétroactif envisagé de manière telle qu'ils soient en mesure de comprendre les conséquences de la modification législative envisagée pour les opérations qu'ils pratiquent.

Lorsque cette loi exonère une opération économique sur un bien immeuble auparavant soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, elle peut avoir pour effet d'annuler la régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée intervenue en raison de l'exercice, au moment de l'affectation d'un immeuble à l'opération considérée à ce moment comme taxée, d'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur la livraison de ce bien immeuble".

La longueur de ce dispositif laisse deviner un contexte dont les difficultés méritent étude (1) avant de s'attacher à la solution (2).

1. Le contexte

En l'espèce, le contexte factuel explique la difficulté à dire le sens du contexte textuel.

1.1. Contexte factuel

Afin de lutter contre les montages financiers en matière immobilière, les Pays-Bas ont modifié, le 18 décembre 1995, leurs règles d'application de la TVA. Comme en France, l'usufruit portant sur un immeuble appartient, aux Pays-Bas, à la catégorie des droits réels immobiliers (C. civ., art. 526 N° Lexbase : L3100ABG). Ce pays avait, avant la réforme en cause, conformément à l'article 5 § 3-b de la 6ème directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9) décidé de considérer comme biens corporels les droits réels donnant à leur titulaire un pouvoir d'utilisation sur des biens immeubles. En sorte que la TVA supportée lors de la construction ou de l'acquisition d'un immeuble pouvait s'imputer sur la TVA exigible à raison de la constitution d'un droit réel immobilier. La modification du 18 décembre 1995 a introduit une exception à cette qualification et a eu pour effet d'assimiler la constitution d'un droit d'usufruit à une location d'immeuble lorsque la rémunération de ce droit, majorée de la taxe sur le chiffre d'affaires est inférieure à la valeur économique du bien. La location immobilière pouvant, selon le choix de chaque Etat membre être exonérée de TVA, avec ou sans option (6ème directive-TVA, art. 13 B-b et C), la taxe ayant grevé l'acquisition d'un immeuble ou de droits assimilés n'est pas récupérable en cas d'affectation de l'immeuble à une activité de location exonérée de TVA. La réforme du 18 décembre 1995 est entrée en vigueur le 29 décembre 1995, avec effet rétroactif dès le 31 mars 1995 à 18 heures, date et heure auxquelles le contenu de la future loi a été annoncé par voie de communiqué de presse, réitéré le 3 avril 1995.

Par acte notarié du 28 avril 1995, l'association Goed Wonen (GW) a créé la fondation GW. Le même jour, elle a constitué en faveur de cette fondation un droit d'usufruit d'une durée de dix ans portant sur trois complexes de logements, pour une contrepartie inférieure au prix de revient de ceux-ci. Une partie des logements était encore en construction. Jusqu'à cette date, l'association GW n'avait pas déduit la taxe facturée par les constructeurs. Sur sa déclaration de chiffre d'affaires afférente à la période du 1er avril 1995 au 30 juin 1995, l'association GW a déclaré en TVA déductible la TVA ayant grevé les travaux de construction des logements concernés et, en TVA exigible, la TVA facturée à la fondation GW lors de la constitution de l'usufruit. La première somme étant supérieure à la seconde, l'imputation de la TVA déductible sur la TVA exigible a permis de dégager un crédit de TVA remboursé par le trésor public néerlandais. Se ravisant, l'administration fiscale néerlandaise a contesté la déduction ainsi réalisée au motif que la réforme en date du 18 décembre 1995 faisait perdre, rétroactivement, à l'association GW le droit de récupérer la TVA. Si, en temps réel, la TVA était exigible lors de la constitution de l'usufruit, le 28 avril 1995, elle ne l'était plus, après l'adoption ultérieure de la loi rétroactive assimilant la constitution de droits réels immobiliers à la location exonérée de TVA à partir du 31 mars 1995 à 18 heures.

Devenue la fondation Stichting Goed Wonen, l'ex-redevable a contesté l'assimilation de l'octroi d'un droit d'usufruit à une location exonérée de TVA. Saisie, la CJCE a considéré comme non contraire à la 6ème directive-TVA la modification néerlandaise. Les Pays-Bas pouvaient subordonner la qualification de "livraison de biens" pour les opérations de constitution, de transfert, de modification, d'abandon ou de résiliation de droits réels grevant des biens immeubles à la condition que la somme payée en contrepartie de telles opérations, augmentée du montant de la taxe sur le chiffre d'affaires soit au moins égale à la valeur économique du bien immeuble sur lequel portent de tels droits (CJCE, 4 octobre 2001, aff. C-326/99, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A4485AWZ). La même réforme ne heurtait pas plus le droit communautaire en assimilant à l'affermage et à la location de biens immeubles la constitution, pour une durée convenue et contre rémunération, d'un droit réel conférant à son titulaire un pouvoir d'utilisation sur un bien immeuble tel que le droit d'usufruit en cause.

Estimant sans doute n'avoir perdu qu'une bataille, la Stichting Goed Wonen a contesté la rétroactivité de la réforme néerlandaise lui ayant fait perdre la déduction de la TVA supportée sur les travaux de construction par simple changement de qualification de l'opération à laquelle avaient été affectés les immeubles récemment édifiés. Il est vrai que l'arrêt de la CJCE, en date du 8 juin 2000 l'y encourageait en modifiant, apparemment, le contexte textuel (CJCE, 8 juin 2000, aff. C-396/98, Grundstückgemeinschaft Schlossstrasse GbR c/ Finanzamt Paderborn N° Lexbase : A1801AWM).

1.2. Contexte textuel

Par l'arrêt précité, la CJCE a dit pour droit que "l'article 17 de la 6ème directive [...] doit être interprété en ce sens que le droit, pour un assujetti, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur des biens ou services qui lui ont été fournis en vue de réaliser certaines opérations de location reste acquis lorsqu'une modification législative postérieure à la fourniture de ces biens ou de ces services mais antérieure au début desdites opérations prive cet assujetti du droit de renoncer à l'exonération de celles-ci [...]". Cela signifie que les frais engagés dans l'intention de les affecter à des opérations imposables autorisent la déduction de la TVA supportée, nonobstant une modification législative transformant les opérations initialement imposables en opérations exonérées, même si lesdites opérations n'avaient pas eu lieu avant la réforme. Ce serait tromper la confiance légitime des contribuables dans la législation et heurter le principe général de sécurité juridique (CJCE, 6 avril 1962, aff. C-13/61, Kledingverkoopbedrijf de Geus en Uitdenbogerd c/ Robert Bosch GmbH et Maatschappij tot voortzetting van de zaken der Firma Willem van Rijn N° Lexbase : A5604AU4) que de priver de son droit à déduction celui qui, au moment de leur engagement était animé de l'intention d'affecter des dépenses à des opérations imposables.

En l'espèce, se posait la question de savoir si la Stichting Goed Wonen avait été rétroactivement privée d'un droit à déduction et plus précisément, si elle avait engagé des travaux de construction immobilière en vue de les affecter réellement à des opérations imposables. La réponse apparaissait a priori négative dans la mesure où la Stichting Goed Wonen était initialement animée de l'intention d'affecter les dépenses de construction à des locations exonérées de TVA c'est-à-dire à des opérations excluant toute déduction définitive.

Cependant, la 6ème directive-TVA invite à une autre analyse juridique des faits. Le système des livraisons à soi-même (art. 5 § 7) permettait à la Stichting Goed Wonen de récupérer la TVA sur les travaux de constructions dès leur engagement puis de soumettre à la TVA l'affectation des immeubles édifiés à la location exonérée. L'exigibilité de la TVA sur la livraison à soi-même aurait confirmé l'affectation à des opérations imposables ouvrant droit à déduction. Néanmoins, le droit néerlandais permet aux sociétés de construction de logements d'éviter les LASM immobilières taxables en ne récupérant pas la TVA ayant grevé les travaux de construction. Après avoir utilisé cette simplification légale, la Stichting Goed Wonen aurait pu, sans la réforme rétroactive, demander une régularisation en sa faveur dans la mesure où la constitution de l'usufruit était qualifiée de livraison taxable. In fine, les travaux se seraient trouvés affectés à une opération imposable justifiant l'imputation de la TVA d'amont sur la TVA d'aval. La CJCE devait dire si la réforme néerlandaise privait un contribuable d'un droit acquis à déduction de la TVA né d'une régularisation annulée rétroactivement et ce, contrairement aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime. Le juge communautaire utilise une argumentation plus complexe pour apporter sa solution.

2. La solution

Au point 26 de l'arrêt commenté, la CJCE rappelle que "le régime des déductions vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA, due ou acquittée, dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA (CJCE, 21 septembre 1988, aff. C-50/87, Commission des Communautés européennes c/ République française, point 15 N° Lexbase : A7265AHK)". Encore faut-il que la déduction ait été acquise avant la réforme supprimant légalement un droit à déduction par l'exonération des opérations auxquelles étaient destinées des dépenses. En l'espèce, l'affaire "Goed Wonen" diffère de l'affaire "Schlossstrasse". La CJCE refuse la rétroactivité d'une loi si elle prive un assujetti d'un droit à déduction exercé avant la date d'effet rétroactif de la réforme fustigée. Or, tel n'était pas le cas de la Stichting Goed Wonen. La Cour de Luxembourg souligne que "la requérante au principal n'a procédé à la déduction de la TVA acquittée sur la livraison du bien que le 28 avril 1995, certes, avant l'adoption de la loi de modification, le 18 décembre 1995, mais après que celle-ci eut pris effet, le 31 mars 1995, conformément à la décision du législateur national de lui accorder expressément un effet rétroactif" (§ 28).

En conséquence, la question ne portait pas sur la privation d'un droit à déduction acquis au sens de l'article 17 de la 6ème directive-TVA. De même, la suppression d'une régularisation fondée sur l'article 20 de la 6ème directive-TVA ne soulevait aucun débat car ladite régularisation présuppose la naissance d'un droit au regard de l'article 17, en l'espèce non concerné (§ 30).

En revanche, il fallait discuter de l'annulation rétroactive d'une régularisation par remboursement de TVA au regard des principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. D'application générale, tant aux institutions de l'Union européenne (CJCE, 14 mai 1975, aff. C-74/74, Comptoir national technique agricole (CNTA) SA c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A6989AUE) qu'aux Etats membres dans la mise en oeuvre des règles communautaires (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-487/01 et C-02, Gemeente Leusden et Holin Groepc/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A9952DB9), ces principes communautaires supportent néanmoins des dérogations exceptionnelles. Depuis plus de 25 ans, la CJCE considère que "si, en règle générale, le principe de sécurité juridique s'oppose à ce que la portée dans le temps d'un acte communautaire voit son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication, il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsqu'un but d'intérêt général l'exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée" (CJCE, 25 janvier 1979, aff. C-98/78, A. Racke c/ Hauptzollamt Mainz N° Lexbase : A5728AUP ; CJCE, 25 janvier 1979, aff. C-99/78, Weingut Gustav Decker KG c/ Hauptzollamt Landau, § 8 N° Lexbase : A6949AUW ; CJCE, 30 septembre 1982, aff. C-108/81, G.R. Amylum c/ Conseil des Communautés européennes, § 4 N° Lexbase : A6266AUM ; CJCE, 21 février 1991, aff. C-143/88 et C-92/89, Zuckerfabrik Süderdithmarschen AG c/ Hauptzollamt Itzehoe et Zuckerfabrik Soest GmbH contre Hauptzollamt Paderborn, § 49 N° Lexbase : A4510AWX ; CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-368/89, Antonio Crispoltoni c/ Fattoria autonoma tabacchi di Città di Castello, § 17 N° Lexbase : A9581AUE ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-487/01 et C-02, Gemeente Leusden et Holin Groepc/ Staatssecretaris van Financiën, précité, § 59 ; CJCE, 26 avril 2005, aff. C-376/02, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën, § 33, ici commenté ; CEDH, 23 octobre 1997, Req. 117/1996/736/933, National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c/ Royaume-Uni, § 80 N° Lexbase : A6753AWZ). L'arrêt "Stichting Goed Wonen" étend cette interprétation aux règles internes relevant du droit communautaire (§ 34).

2.1. Dérogation exceptionnelle au principe de sécurité juridique

La rétroactivité de la loi nouvelle présuppose, selon la CJCE, un motif d'intérêt général. Le Gouvernement néerlandais savait, depuis longtemps, que les spécialistes des montages immobiliers optimisaient, à leur profit, les règles de TVA. Ces funambules de la finance prenant la précaution de demeurer dans les limites de la loi, rien ne pouvait justifier une urgence absolue à lutter contre la fraude et les abus par la rétroactivité (6ème directive-TVA, art. 20 § 4, tiret 3, 22 § 8 et 27 § 1). Certes, les recettes fiscales engendrées par la TVA immobilière diminuaient sensiblement, mais pas de manière soudaine et imprévisible. Apparemment, aucune circonstance exceptionnelle ne rendait nécessaire la rétroactivité de la loi destinée à mettre fin à ces montages fiscalement rentables.

Cependant, l'objectif poursuivi par le Gouvernement néerlandais était non seulement de mettre fin à l'optimisation fiscale de la TVA immobilière mais surtout d'éviter de voir se multiplier les montages pendant le processus législatif. A l'évidence, sans rétroactivité, les opérateurs immobiliers se seraient empressés de récupérer la TVA ayant grevé des travaux de construction en soumettant à la TVA la première affectation des immeubles construits. Il faut aussi subodorer le développement considérable des programmes de construction de logements avant l'entrée en vigueur de la loi assimilant la constitution d'usufruit immobilier pour un prix inférieur à la valeur économique du bien à une location exonérée de TVA et sans droit à déduction. Dans de nombreux Etats membres, y compris en France, les lois fiscales supprimant un avantage sont assorties de la rétroactivité afin de prévenir et combattre l'optimisation.

La CJCE se montre très sensible à cette argumentation. Elle souligne en effet que "à cet égard, il ressort de la lecture du communiqué de presse du 31 mars 1995 que l'effet rétroactif de la loi de modification n'était pas motivé par le souci de mettre fin aux montages financiers pratiqués depuis de nombreuses années, mais bien par la crainte que de tels montages soient réalisés à grande échelle entre le moment où il était décidé de procéder à une modification de la loi et celui où ladite modification entrerait en vigueur" (§ 38). Elle poursuit en fixant les conditions de la rétroactivité : " Une telle crainte n'apparaît pas infondée et la prévention de tels montages peut constituer un intérêt général justifiant que, à titre exceptionnel, un Etat membre utilise la technique de l'effet rétroactif de la loi, pour autant que la confiance légitime des assujettis soit dûment respectée. Il appartient toutefois au juge national, qui connaît le mieux les circonstances de l'espèce, d'apprécier si le risque de montages financiers créés pendant ce laps de temps était suffisamment important pour justifier le caractère rétroactif de la loi" (§ 39). Elle précise également le sens du principe de protection de la confiance légitime auquel il est possible de déroger en cas de rétroactivité.

2.2. Dérogation exceptionnelle au principe de protection de la confiance légitime

Le principe de protection de la confiance légitime est inspiré du droit allemand. Il protège les citoyens contre la modification, avec effet immédiat et sans avertissement préalable, des réglementations existantes (CJCE, 14 mai1975, aff. C-74/74, Comptoir national technique agricole (CNTA) SA c/ Commission des Communautés européennes, précité), ainsi que contre la fourniture de renseignements erronés (CJCE, 4 février 1975, aff. C-169/73, Compagnie Continentale France c/ Conseil des Communautés européennes N° Lexbase : A6889AUP adde, F. Hubeau, Le principe de la protection de la confiance légitime dans la jurisprudence de la CJCE, CDE 1983, p.143 ; P. Mengozzi, Evolution de la méthode suivie par la jurisprudence communautaire en matière de protection de la confiance légitime, Rev., marché unique europ., 1997/4, p.13). Certes, les justiciables n'ont pas le droit d'exiger le maintien d'une législation. Cependant, il est interdit de les surprendre. Lorsqu'une autorité communautaire souhaite modifier une réglementation, avec effet rétroactif, elle doit en informer, en temps utile, les destinataires, y compris par télex adressé aux administrations nationales (CJCE, 7 juillet 1976, aff. C-7/76, Société IRCA (Industria romana carni e affini SpA) c/ Amministrazione delle finanze dello Stato N° Lexbase : A7233AUG).

La diffusion de l'existence et du contenu d'un projet supprimant un avantage fiscal de manière rétroactive par un moyen moderne de communication apparaît donc admissible. En l'espèce, le communiqué de presse en date du 31 mars 1995 à 18 heures, date et heure de l'effet rétroactif de la loi réformant la TVA immobilière aux Pays-Bas, réitéré le 3 avril 1995, indiquait clairement le but de cette rétroactivité : lutter contre les montages financiers tels que ceux pratiqués par la Stichting Goed Wonen. Ces communiqués avaient été précédés de débats parlementaires tout aussi explicites.

La CJCE insiste sur la nécessité d'une information préalable, complète et suffisamment compréhensible par les personnes visées par le projet de loi rétroactive. Elle précise que "s'agissant dans l'affaire au principal d'une réglementation nationale, c'est en tenant compte des modalités d'information normalement utilisées par l'Etat membre qui l'a adoptée et des circonstances de l'espèce qu'il y a lieu d'apprécier in concreto si la confiance légitime des opérateurs économiques visés par cette législation a été dûment respectée" (§ 43). Même si l'espèce lui semble ne pas soulevé une réelle difficulté sur ce point, elle préfère s'en remettre au juge interne pour vérifier si les communiqués de presse "étaient suffisamment clairs pour qu'un opérateur économique effectuant des opérations économiques telles que celles visées par la loi soit en mesure de comprendre les conséquences de la modification législative envisagée au niveau des opérations qu'il pratique" (§ 44).

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Social général

[Evénement] Le droit du travail confronté à l'économie

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N4863AIX

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par Compte-rendu réalisé par Aurélie Garat, SGR - Droit social

Le 07 Octobre 2010

"Le droit du travail confronté à l'économie", tel était le thème de la journée d'étude organisée par l'Association Française de Droit du Travail et de la Sécurité Sociale (AFDT) en hommage à la mémoire de Gérard Lyon-Caen, disparu il y a un an. Lors de cette journée, le débat a été relancé autour de la thématique des rapports, parfois tumultueux, qu'entretiennent le droit et l'économie. La problématique du positionnement du droit du travail dans l'économie capitaliste a tout d'abord été étudiée. Il a, ensuite, été question de l'encadrement juridique des choix économiques. Enfin, la pratique sociale a été au coeur des débats, au travers d'une recherche de qualifications et d'appréciations juridiques à la lumière des savoirs économiques. Certaines interventions ont particulièrement retenu notre attention.
  • Le droit du travail dans l'économie capitaliste

Comment le droit du travail est-il appréhendé, dans l'économie capitaliste, par la science économique ? A cette question, il est impossible d'apporter une réponse unique. En effet, ainsi que l'explique Olivier Favereau, Professeur de sciences économiques à l'Université Paris X-Nanterre, la discipline économique est fragmentée entre divers courants.

Dans le courant "dominant", les catégories fondamentales du droit du travail ont du mal à figurer. La notion de contrat de travail, par exemple, n'est pas appréhendée par la majorité des économistes sous l'angle du lien de subordination qui est pourtant un des critères essentiels retenu par le droit du travail. Les économistes voient plutôt dans la relation de travail une relation de mandat et privilégient, finalement, l'indépendance du travailleur. Ce faisant, ils définissent la règle par son exception. De même, les notions de syndicat et de grève sont difficiles à justifier rationnellement pour le courant économique majoritaire.

Il semble donc que le droit du travail n'ait pas une place attitrée dans le courant économique dominant. Certes, l'économie peut prendre en compte des contraintes juridiques au cas par cas, mais elle ne les appréhende pas globalement.

Il existe, toutefois, un courant économique minoritaire qui accorde une fonction analytique au droit du travail. Ce dernier n'est alors plus envisagé comme une somme de contraintes, comme dans le courant dominant, mais comme un ensemble de ressources. Gérard Lyon-Caen définissait le travail, en 1951 (Les fondements historiques et rationnels du droit du travail, Gérard Lyon-Caen, Droit Ouvrier, 1951), comme l'ensemble des règles régissant l'exploitation du travail humain, les instruments de lutte contre cette exploitation et les résultats de cette lutte. Cette dialectique n'a pas changé, aujourd'hui, si l'on comprend qu'à l'époque, le terme d'"exploitation" n'avait pas la connotation qu'il a aujourd'hui et n'incluait aucun jugement de valeur. Bien plus tard, Gérard Lyon-Caen a eu l'occasion de préciser, s'agissant de cette définition, qu'il s'agit d'une construction juridique instable contenant des règles toujours réversibles, selon les époques. Ainsi, le droit du travail peut être favorable tantôt à l'employeur, tantôt au salarié (Le droit du travail : une technique réversible, Gérard Lyon-Caen, Connaissance du droit, Paris : Dalloz, 1995).

Selon Olivier Favereau, il résulte de cette analyse que le droit du travail n'a pas pour essence la protection des salariés. Il n'est pas non plus un camouflage des rapports de force. En fait, il faut reconnaître au droit du travail, et ce en accord avec le courant économique minoritaire, une fonction régulatrice de l'économie. Cette fonction est d'ailleurs indispensable si l'on admet l'idée que l'économie de marché doit nécessairement être encadrée.

Mais pour Olivier Favereau, le droit du travail va encore plus loin et a pour fonction essentielle de créer un espace commun entre les salariés et les employeurs. Pour reprendre l'expression de Gérard Lyon-Caen, il faut refuser l'idée du "conflit des logiques". Selon cette théorie, "l'univers mental des patrons et celui des salariés" est différent. Or, il est désespérant, voire même dangereux, de considérer que jamais les salariés et les employeurs ne pourront se rencontrer dans une logique commune. Certes, un même texte peut recevoir "une interprétation divergente d'un côté ou de l'autre, mais à partir d'une même logique". En fait, selon Olivier Favereau, le droit du travail a justement pour fonction de créer un espace commun entre les salariés et les employeurs.

L'entreprise doit être considérée comme un système politique. Or, dans un tel système, les différents agents économiques ne peuvent se coordonner sans dialoguer et il apparaît naturel que le droit du travail soit impliqué directement dans ce débat. Dans ce contexte, il est impossible de remplacer le droit du travail par un jeu de taxes et d'incitations qui occulterait complètement le nécessaire dialogue social entre les partenaires de l'entreprise.

  • L'encadrement juridique des choix économiques

Selon François Eymard-Duvernay, Professeur de sciences économiques à l'Université Paris X-Nanterre, la théorie économique reconnaît peu les droits des salariés. Ces derniers ne sont définis que s'ils ont des conséquences en terme d'utilité. Pourtant, les règles de droit viennent limiter les pouvoirs de l'entreprise et permettent ainsi de faire coopérer des acteurs ayant des intérêts divergents. L'ignorance du droit par l'économie est un phénomène dangereux. L'entreprise ne doit pas être simplement considérée comme un agent sur le marché, mais comme une institution fondée sur des règles dont la légitimité doit faire l'objet de débats.

Dans ce contexte, on peut considérer que la stabilité de l'emploi permet une efficacité productive. Dans la majorité des pays, on s'accorde pour dire que le licenciement est un acte grave qui ne peut être laissé à la seule appréciation de l'employeur. En conséquence, on accorde au juge le soin d'en apprécier la cause réelle et sérieuse. Ce rôle important du juge est la contrepartie de la faiblesse de la négociation collective et de la concertation des partenaires sociaux dans le domaine du licenciement. Or, il est clair qu'en pratique, un licenciement jugé abusif risque de miner la légitimité de l'employeur et d'atteindre la coopération entre les acteurs. En revanche, un système de bonus malus n'aurait pas cet inconvénient puisque la légitimité de la mesure de licenciement serait alors simplement fondée sur le fait d'avoir payé...

Concernant le placement, l'insertion, le reclassement et le recrutement, on peut constater, selon François Eymard-Duvernay, une certaine faiblesse de l'encadrement juridique en France. L'emploi semble être un secteur réservé à l'économie. Or, l'absence de régulation juridique dans ce domaine peut être dangereuse. En effet, seul le droit peut vérifier le caractère équitable et non discriminatoire de l'évaluation et de la sélection des candidats. Le service public de l'emploi, censé intégrer l'intérêt des salariés, devrait pouvoir garantir une évaluation juste. Pour ce faire, il faudrait admettre l'idée d'une tarification en fonction des difficultés d'insertion, ce qui impliquerait une évaluation pertinente de la distance à l'emploi. Cependant, il manque encore, aujourd'hui, un véritable débat de fond sur le caractère équitable et adapté de l'évaluation des travailleurs, aussi bien lors du recrutement que pendant l'exécution du contrat de travail.

  • L'encadrement juridique comme remède au chômage et à la précarité

Commentant son rapport, rédigé en collaboration avec Francis Kramarz (De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, Pierre Cahuc et Francis Kramarz, La documentation française, 2004), Pierre Cahuc, Professeur à l'Université Paris I et Chercheur au Centre de Recherches en Economie et Statistique, est venu exposer certaines de ses propositions pour réduire la précarité professionnelle et les difficultés de reclassement.

Partant du constat que l'on dispose, aujourd'hui, en France, d'instruments efficaces pour mesurer et analyser la situation de l'emploi, il est possible de faire baisser le chômage. En effet, l'une des principales causes du chômage est l'insécurité des parcours professionnels.

Il faudrait donc, d'une part, mettre en oeuvre une réforme coordonnée du marché du travail en améliorant le service public de l'emploi. Le paradoxe en France est que la situation de l'emploi fait l'objet d'une très forte régulation mais que, parallèlement, les travailleurs ont un fort sentiment d'insécurité. Reprenant l'analyse faite dans le rapport Marimbert, Pierre Cahuc considère que le marché de l'emploi comprend un trop grand nombre d'intervenants et qu'il est mal coordonné. Dès lors, il faudrait instaurer un guichet unique pour les chômeurs. La création, par la loi de cohésion sociale (loi n° 2005-32, 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49), des maisons de l'emploi va dans ce sens, même si l'effort est encore insuffisant.

En outre, il faudrait modifier la gouvernance de l'assurance chômage en créant un opérateur unique. Il n'y a pas de raison que l'assurance chômage soit gérée par les partenaires sociaux au travers de l'Unedic. Il faudrait donc transférer la gestion à l'Etat et, en contrepartie, augmenter les pouvoirs des syndicats.

D'autre part, il faudrait ouvrir les secteurs, diplômes et professions actuellement fermés en révisant les règles protectrices injustifiées dont ils font l'objet.

Enfin, il faudrait procéder à une réforme du contrat de travail afin de mettre fin aux contrats à durée limitée, facteurs de précarité. Un contrat de travail unique serait instauré, sur le modèle du contrat à durée indéterminée avec une durée minimale, une prime de précarité due en cas de rupture anticipée et une contribution de solidarité en cas de rupture pour motif économique correspondant à 1,6 % des salaires versés...

Aujourd'hui, le droit du licenciement n'est protecteur qu'en apparence. En effet, contrairement à une idée reçue, les indemnisations légales du licenciement sont faibles en France par rapport aux autre pays européens. De plus, l'accord entre l'employeur et le salarié n'est pas encouragé. En outre, les règles du licenciement sont de plus en plus contournées : seuls 2 % des départs de l'emploi se font dans le cadre d'un licenciement pour motif économique. Enfin, le reclassement n'est pas mené, en règle générale, par l'entreprise mais il est le plus souvent externalisé, ce qui conduit à une déresponsabilisation des acteurs de l'entreprise. L'administration du travail exerce un contrôle, mais seulement sur les moyens mis en oeuvre pour opérer le reclassement et pas sur les résultats. Afin d'inciter les employeurs au reclassement, il faudrait instaurer un système de "sécurité sociale professionnelle" en substituant à certaines procédures lourdes, empêchant l'anticipation, une taxation des licenciements. Les entreprises seront ainsi encouragées à anticiper les licenciements pour éviter de payer cette taxe. Cette taxation des licenciements permettrait, également, de prendre en compte tous les salariés, sans faire de différence selon la taille de l'entreprise.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Entreprises nouvelles : remise en cause du régime à compter de la date de la reprise d'une activité préexistante

Réf. : CE, 3° et 8° s-s., 18 mai 2005, n° 270343, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Encinas (N° Lexbase : A3553DIG)

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N4826AIL

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par S. D.

Le 07 Octobre 2010

Décision : CE, 3° et 8° s-s., 18 mai 2005, n° 270343, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Encinas (N° Lexbase : A3553DIG)

Rejet : CAA Lyon, 5ème ch., 27 mai 2004, n° 99LY00488, M. Angel Encinas c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A5331DDS)

Mots-clés : Entreprises nouvelles ; entreprise de nettoyage ; reprise d'une activité préexistante ; remise en cause du régime à partir de la deuxième année d'exercice de la nouvelle société (non)

Texte concerné : CGI, art. 44 sexies

Lien base : et

Faits

1. Le requérant, qui avait créé une entreprise de nettoyage en 1989, sollicitait le bénéfice du régime d'exonération d'impôt en faveur des entreprises nouvelles ;

2. Toutefois, à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale lui a refusé l'application de ce régime, au motif qu'il avait repris l'entreprise de nettoyage de son père à compter de la deuxième année d'exercice de l'entreprise nouvelle.

Solution

1. La seule circonstance qu'une entreprise nouvelle procède à la reprise d'une activité préexistante, quelles qu'en soient l'ampleur, la date et les modalités, suffit à mettre fin, à compter de cette reprise, au bénéfice du régime des entreprises nouvelles ;

2. Annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon.

Observations

Aux termes des dispositions de l'article 44 sexies du CGI, les entreprises nouvelles bénéficient, sous certaines conditions, d'une exonération d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés jusqu'au terme du vingt-troisième mois suivant celui de leur création. Toutefois, sont exclues du bénéfice de ce régime les entreprises créées dans le cadre de la concentration, de la restructuration ou de l'extension d'activités préexistantes ou qui reprennent de telles activités.

La reprise d'activité suppose une identité d'activité accompagnée, le plus souvent, du transfert des moyens d'exploitation de l'entreprise ancienne à l'entreprise créée, ainsi que celui de la clientèle (CE, contentieux, 28 octobre 1994, n° 118397, Société de commercialisation d'aliments de bétail (SOCAB) c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3002ASY ; CE, 9° et 10° s-s., 14 mars 2003, n° 239190, M. Le Bail c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5623A7E ; lire aussi Nicolas Bourgeois, Exonération des entreprises nouvelles : notion de "reprise d'activités préexistantes", Lexbase Hebdo n° 65, du 2 avril 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N6717AAZ).

Ainsi, une entreprise qui, depuis sa création, réalise en sous-traitance pratiquement la totalité de son activité de transport routier pour le compte d'une seule société ne peut prétendre au bénéfice de l'exonération des entreprises nouvelles (CE 9° et 10 s-s., 28 juillet 2004, n° 241923, M. Bernard X. c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9093DD7).

Toutefois, quant n'est-il de la société nouvelle qui reprend une activité préexistante, non pas dès sa création, mais pendant la période au cours de laquelle s'applique le régime de faveur.

Dans un arrêt en date du 4 juin 2003, la cour administrative d'appel de Douai s'était prononcée en faveur du contribuable, en considérant que le caractère nouveau de l'entreprise devait s'apprécier seulement au moment de sa création. Ainsi, la reprise de l'ensemble de la clientèle d'une autre société après la première année d'exercice d'une entreprise ne permettait pas à l'administration de remettre en cause le régime d'exonération à partir de l'exercice au cours duquel a eu lieu la reprise de clientèle (CAA Douai, 3ème ch., 4 juin 2003, n° 99DA20100, M. Didier Cazier N° Lexbase : A4854C9N).

Il convient de noter que la cour administrative d'appel de Nancy avait, déjà, opté dans ce sens au sujet d'une affaire semblable, mais dans le cadre de l'article 44 quater du CGI (CAA Nancy, 20 juin 1996, n° 94NC00807, Zimmermann c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie [LXB=]).

Dans notre affaire, le Conseil d'Etat adopte la position inverse. En effet, il estime qu'il résulte des dispositions du CGI, éclairées par les travaux parlementaires, que la seule circonstance qu'une entreprise nouvelle procède à la reprise d'une activité préexistante suffit à mettre fin, à compter de cette reprise, au droit à bénéficier de cette exonération.

Cette solution n'aura, toutefois, en l'espèce, que très peu de répercussions sur les finances du contribuable, étant donné que ce dernier avait repris l'activité de son père quelques jours avant la fin de la période durant laquelle il bénéficiait du régime de faveur.

Le Conseil d'Etat a, par ailleurs, précisé que peu importait l'ampleur, la date ou les modalités de la reprise d'une activité préexistante, dès lors que celle-ci était caractérisée.

Il convient de souligner que le transfert en droit ou en fait de clientèle constitue, à lui seul un indice susceptible de caractériser la reprise d'activité préexistante. Tel est le cas dans l'hypothèse où une entreprise nouvellement créée reprend la clientèle d'une entreprise préexistante qui cesse ou réduit son activité (CE, contentieux, 18 octobre 1996, n° 140796, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Selimi N° Lexbase : A1114APX), et ce quand bien même l'entreprise nouvelle s'attache à prospecter de nouveaux clients (CE, contentieux, 29 décembre 1997, n° 172311, SA MDS Bureautique c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5765ASC). La reprise d'activité peut être, également, démontrée lorsque le transfert des moyens d'exploitation (matériel, autorisation d'occupation du domaine public) et les conditions d'exercice, calquées sur celles du précédent exploitant, entraînent de fait un transfert de la clientèle (CAA Bordeaux, 12 décembre 1995, n° 94BX00662, El Hammoud c/ Administration fiscale N° Lexbase : A6097A7X).

En l'espèce, aucune convention de rachat de clientèle n'était intervenue et le chiffre d'affaires né de cette reprise était très faible par rapport au chiffre d'affaires total. Pour autant, le Conseil d'Etat a considéré que l'activité ancienne avait été reprise.

newsid:74826

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