La lettre juridique n°648 du 24 mars 2016

La lettre juridique - Édition n°648

Éditorial

Vengeance digitale : impunité dans la quatrième dimension

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 24 Mars 2016


Dès lors qu'il résulte du rapport de l'expert désigné par le juge de proximité, l'impossibilité pour les véhicules en cause d'atteindre les vitesses relevées par l'appareil de contrôle automatique, le rejet d'une demande de condamnation pour excès de vitesse est justifié - Cass. crim., 8 mars 2016, n° 15-83.019, F-P+B.

N'est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l'image d'une personne (même nue) réalisée dans un lieu privé avec son consentement - Cass. crim., 16 mars 2016, n° 15-82.676, F-P+B.

"Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais aussi d'esprits. Un voyage dans une contrée sans fin dont les frontières sont notre imagination : un voyage au bout de ténèbres où il n'y a qu'une destination : la quatrième dimension". L'accroche est vernaculaire pour certains, mais les amateurs de bonnes séries se souviennent de la voix de Rod Serling qui introduisait chaque épisode de The Twilight Zone.

D'une part, la Cour de cassation fait preuve d'un réalisme brut au regard de l'expertise réalisée contradictoirement et qui précisait que, si les vitesses relevées par le radar fixe sont corroborées par deux autres instruments étalonnés, elles paraissent impossible à atteindre, au vu des essais réalisés, alors même qu'ils se sont déroulés par circulation fluide, avec une distance d'élan supplémentaire et à vide. Aussi, à lire l'expert, suivi par la Chambre criminelle : nonobstant le fait que le cinémomètre fixe ne présente pas de dysfonctionnement dûment établi, tout porte à conclure qu'un élément extérieur indéfini est à même de perturber ponctuellement la mesure de l'appareil...

D'autre part, si pour tout un chacun le fait d'avoir accepté d'être photographié ne signifie pas, compte tenu du caractère intime de la photographie, d'avoir donné son accord pour que celle-ci soit diffusée, la loi pénale est d'interprétation stricte. Ce faisant, le fait de porter à la connaissance du public ou d'un tiers, soit des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, soit l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé, n'est punissable que si l'enregistrement ou le document qui les contient a été réalisé sans le consentement de la personne concernée... L'ancien compagnon qui poste sur le net une photographie de son ex-compagne, prise par lui, à l'époque de leur vie commune, la représentant nue alors qu'elle était enceinte, est relaxé...

Tout cela est peut-être une manifestation de cette "zone crépusculaire", chère à Einstein, qui recouvre un concept plus vaste que le temps lui-même. Incapable de voir la ligne d'horizon, le juge continue à appréhender la réalité au regard de la seule lecture du droit.

"Quand le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi" écrivait Beaumarchais à l'occasion du Mariage de Figaro. A priori, la réciproque est également vraie, et l'on ne peut guère y faire ; sauf à attendre l'intervention du législateur qui prévoit, justement, à l'article 33 quater de l'actuel projet de loi pour une République numérique, que sera puni de deux ans d'emprisonnement et de 60 000 euros d'amende le fait de transmettre ou de diffuser sans le consentement exprès de la personne l'image ou la voix de celle-ci, prise dans un lieu public ou privé, dès lors qu'elle présente un caractère sexuel. Restera à déterminer, la loi pénale étant toujours d'interprétation stricte, si une photographie d'une personne nue ou à demie-nue présente ou non un "caractère sexuel"... Mais le temps fait bien ici quelque chose à l'affaire.

"VENGEANCE ! VENGEANCE ! VENGEANCE ! VENGEANCE ! Canailles !... Emplâtres !... Va-nu-pieds !... Troglodytes !... Tchouck-tchouk-nougat !..." Ah, si seulement les ex pouvaient se contenter d'un bulle, comme Haddock dans Le Crabe aux pinces d'or, plutôt que de porter atteinte à l'intimité en quasi-impunité.

newsid:451930

Actes administratifs

[Brèves] Possibilité de saisine du Conseil d'Etat de recours en annulation contre des actes de droit souple des autorités de régulation

Réf. : CE, Ass., 21 mars 2016, deux arrêts publiés au recueil Lebon, n°s 368082, 368083, 368084 (N° Lexbase : A4320Q8I) et n° 390023 (N° Lexbase : A4296Q8M)

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N1927BWB

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Le 24 Mars 2016

Dans deux arrêts rendus le 21 mars 2016, le Conseil d'Etat accepte d'être saisi de recours en annulation contre un acte de droit souple d'une autorité de régulation, lorsque l'acte contesté est de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou lorsqu'il a pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles il s'adresse (CE, Ass., 21 mars 2016, deux arrêts publiés au recueil Lebon, n°s 368082, 368083, 368084 N° Lexbase : A4320Q8I et n° 390023 N° Lexbase : A4296Q8M). La Haute juridiction était chargée d'examiner la légalité de communiqués de presse de l'Autorité des marchés financiers appelant les investisseurs à la vigilance et d'une prise de position de l'Autorité de la concurrence estimant devenue sans objet une des conditions qu'elle avait mise en 2012 au rachat de TPS et CanalSatellite par Vivendi et le Groupe Canal Plus. Ces deux actes ne créaient de droit ou d'obligation juridique pour quiconque. Il s'agissait toutefois d'actes de communication et de prises de position qui, par leur publicité et la qualité de leur auteur, influencent fortement, dans les faits, les acteurs du marché, bien qu'ils ne soient nullement tenus de suivre la position de ces autorités publiques d'un point de vue juridique. De tels actes n'étaient jusqu'alors pas susceptibles de recours juridictionnels dès lors qu'ils n'ont aucun effet juridique. Au regard du principe précité, le Conseil d'Etat accepte dorénavant de les considérer comme pouvant faire l'objet d'un recours en annulation. Estimant sur le fond que les deux autorités n'ont commis aucune erreur susceptible d'entraîner une telle annulation, le Conseil d'Etat rejette les recours.

newsid:451927

Affaires

[Brèves] Réforme de l'audit : transposition des règles européennes

Réf. : Ordonnance n° 2016-315 du 17 mars 2016, relative au commissariat aux comptes (N° Lexbase : L1882K7T)

Lecture: 2 min

N1969BWT

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Le 25 Mars 2016

Au lendemain de la crise financière de 2008, le contrôle légal des comptes a été réformé par deux textes européens du 16 avril 2014 (cf. Règlement n° 537/2014 N° Lexbase : L2938I7X et Directive 2014/56 N° Lexbase : L3258I33). Une ordonnance, publiée au Journal officiel du 18 mars 2016, procède à la mise en conformité du droit français avec le droit de l'UE (ordonnance n° 2016-315 du 17 mars 2016, relative au commissariat aux comptes N° Lexbase : L1882K7T). Tout d'abord, les garanties d'indépendance des commissaires aux comptes sont renforcées par une série de dispositions, tout particulièrement dans le cadre de la certification des comptes d'entités d'intérêt public, catégorie qui inclut les sociétés cotées, les établissements de crédit et les entreprises du secteur de l'assurance. Ainsi, les commissaires aux comptes des entités d'intérêt public seront désignés à l'issue d'une procédure de sélection mettant en concurrence plusieurs acteurs. Leur indépendance est en outre garantie par deux mécanismes : l'obligation de rotation des mandats et des signataires limite la durée d'intervention d'un commissaire aux comptes vis-à-vis d'une entreprise ; et le co-commissariat aux comptes permet la désignation de plusieurs commissaires aux comptes, pour une durée qui peut dès lors être plus longue. Le système de sanctions est profondément modifié, en application des textes européens. Outre les commissaires aux comptes eux-mêmes, leurs associés ou collaborateurs ainsi que les personnes et entités soumises à l'obligation de certification des comptes et les dirigeants de celles-ci sont désormais passibles de sanctions en raison de manquements spécifiques à la nouvelle réglementation. Des sanctions de nature pécuniaire pourront être prononcées. Dans tous les cas, elles ne le seront qu'à l'issue d'une procédure rationalisée, offrant les garanties nécessaires, parmi lesquelles un recours possible devant le Conseil d'Etat. Le rôle et les prérogatives du Haut conseil du commissariat aux comptes sont également renforcés. Sa composition et son organisation sont modifiées. Ainsi, le Haut conseil se voit doté de compétences redéfinies pour l'inscription des commissaires aux comptes, la supervision de la formation continue et l'élaboration des normes applicables à la profession, ainsi que de pouvoirs d'enquête et de sanction. Un bureau composé du président et de deux membres élus par le collège sera compétent pour prononcer certaines décisions administratives individuelles. Une formation restreinte, présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire et comprenant quatre membres du collège, sera chargée de prononcer les sanctions. Les commissaires aux comptes, désormais représentés au sein du Haut conseil, conformément aux règles européennes, par des professionnels ayant cessé leur activité depuis plus de trois ans, resteront néanmoins associés à la régulation de la profession. Cette réforme entrera en vigueur le 17 juin 2016.

newsid:451969

Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Mars 2016

Lecture: 8 min

N1902BWD

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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

Le 24 Mars 2016

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique mensuelle de droit des assurances de Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse. Cette chronique débute avec un nouvel arrêt, rendu le 3 mars 2016, par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en matière de nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l'assuré (Cass. civ. 2, 3 mars 2016, n° 15-13.500, F-P+B) ; l'auteur s'est ensuite arrêté sur l'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 4 février 2016 à propos d'une "assurance décennale pisciniste" (Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 14-29.790, FS-P+B) ; cette chronique s'achève, enfin, avec un arrêt relatif au recours de l'assureur en matière de dommage corporel (Cass. civ. 2, 4 février 2016, n° 14-28.045, F-D). I - Déclaration des risques
  • La cour d'appel a justement déduit que le contrat d'assurance était nul après avoir constaté que le conducteur reconnaissait l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle portant sur la personne du conducteur principal du véhicule lors de la souscription du contrat, de sorte qu'elle n'avait pas à rechercher si cette déclaration spontanée procédait d'une réponse à des questions précises posées par l'assureur (Cass. civ. 2, 3 mars 2016, n° 15-13.500, F-P+B N° Lexbase : A0723QYG)

Le présent arrêt doit être rapproché d'un arrêt de la deuxième chambre civile du 4 février 2016 (1). Ces deux arrêts devant être mis en perspective avec une solution, commentée dans la présente chronique (2), toujours rendue par la deuxième chambre civile. Il résulte clairement de l'ensemble, non pas une volonté de se mettre en opposition avec la position adoptée par la Chambre mixte en date du 7 février 2014 (3), mais plutôt d'exploiter les incertitudes ouvertes par cette décision. Ces incertitudes étaient de deux ordres : comment doivent être formulées les questions indispensables au prononcé de la nullité ? Quid des déclarations spontanées de l'assuré ?

Sur la première question, on sait que la deuxième chambre civile a répondu en précisant "qu'en l'état de ces constatations et énonciations, faisant ressortir la précision et l'individualisation des déclarations consignées dans le formulaire de déclaration des risques signé par l'assurée, la cour d'appel a souverainement décidé qu'elles correspondaient nécessairement à des questions posées par l'assureur lors de la souscription du contrat, notamment sur l'identité du conducteur principal" (4). Autrement dit, les questions peuvent s'évincer logiquement de la précision des éléments d'information concernant l'assuré quand elle existe. Il ne s'agit plus de déclarations générales que l'assuré approuve, mais de la retranscription de réponses précises (5). Par conséquent, les questions n'ont pas nécessairement besoin d'être formalisées par écrit. Il n'est pas certain que la Chambre criminelle soit du même avis (6).

Les deux arrêts rendus en 2016 s'attachent à un autre aspect du problème. Depuis la consécration du questionnaire, la jurisprudence avait admis que le procédé de la déclaration spontanée de l'assuré n'était pas aboli. Autrement dit, l'assureur pouvait fonder son appréciation des risques sur des informations que l'assuré lui livrait sans question préalable de sa propre initiative (7). Il pouvait aussi invoquer la nullité du contrat sur le caractère mensonger de ces déclarations. Certains auteurs considéraient que la position de la Chambre mixte n'avait pas mis fin à cette position (8). L'arrêt de la deuxième chambre civile en date du 4 février 2016 conforte cette opinion (9). En l'espèce, une SCI procède à des travaux de rénovation sur un immeuble. Avant l'achèvement de ces travaux, elle contacte l'agent de l'assureur, afin de passer à une police multirisques habitation, en affirmant que les travaux sont finis. L'immeuble est détruit par un incendie. A la demande de garantie, l'assureur oppose la nullité du contrat. Les juges du fond l'admettent et la deuxième chambre civile valide la prise en compte des déclarations spontanées : "le juge peut prendre en compte, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration, les déclarations faites par l'assuré à sa seule initiative lors de la conclusion du contrat". On peut considérer que l'on se trouve dans une situation différente de celle traitée par l'arrêt de Chambre mixte. L'assuré décide de se placer hors du système question/réponse pour porter à la connaissance de l'assureur un élément qui lui semble déterminant. Il est évident, que lorsque cet élément n'est pas conforme à la réalité, les sanctions doivent s'appliquer en fonction de l'état d'esprit qui anime l'assuré. L'assuré sort donc, à ses risques et périls, du rôle que lui assigne, pour sa protection, le législateur.

De spontané en spontané, l'arrêt du 3 mars 2016 aborde un thème différent plutôt situé sur le terrain probatoire. Dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, il n'est pas question de déclaration spontanée lors de la souscription du contrat. Les juges s'interrogeaient ici sur le point de savoir si la nullité pouvait se fonder sur la reconnaissance postérieure au sinistre, par le conducteur d'un véhicule, d'une fausse déclaration intentionnelle lors de la conclusion du contrat inspirée par la volonté de réaliser une économie de primes. La deuxième chambre civile, admet, quand cet aveu existe, qu'il dispense le juge de rechercher si les fausses déclarations correspondaient à des questions posées lors de la souscription du contrat. La précision peut sembler anecdotique. Il faudrait, pour que l'assureur voie son fardeau soulagé, que l'assuré se compromette lui-même par ses déclarations. Il ne faut cependant pas oublier que le sinistre est fréquemment l'occasion de déclarations faites à d'autres organismes que l'assureur (notamment aux services de police à la suite d'un accident de la circulation). Ce sont autant d'occasions d'en dire plus qu'on ne le pense... Il est à noter que la déclaration de l'assuré ne doit pas tant porter sur l'élément d'information considéré (la qualité de conducteur habituel par exemple) que sur le mensonge dont il s'est rendu coupable.

On le voit, les deux années qui se sont écoulées depuis l'arrêt de la Chambre mixte ont été, pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, l'occasion de consacrer cette solution et de la relativiser.

II - Contenu de la garantie

  • Les désordres rendant l'ouvrage impropre à sa destination, la clause limitant la garantie aux seuls dommages affectant la structure de la piscine faisait échec aux règles d'ordre public relatives à l'étendue de l'assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction et devait, par suite, être réputée non écrite (Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 14-29.790, FS-P+B N° Lexbase : A3100PKZ)

Un arrêt du 4 février 2016 est l'occasion de rappeler la spécificité de certaines assurances de responsabilité. Lorsqu'elles sont obligatoires, elles imposent aux assujettis à l'obligation d'assurance de souscrire une telle assurance. En outre, dans la plupart des hypothèses, le contenu même de la garantie est réglementé et s'articule avec la façon dont un texte réglemente la responsabilité d'une profession ou d'une activité (10).

Il en va ainsi de l'activité de construction pour laquelle le législateur crée l'obligation d'assurance, le contenu étant explicité par les clauses types auxquelles la loi renvoie expressément (11). Le dispositif est évidemment d'ordre public, sinon il n'atteindrait pas le but fixé. Par conséquent, toute clause dérogeant aux stipulations des clauses types sont réputées non écrites, il importe peu à cet égard qu'elles soient des clauses définissant la garantie ou excluant celle-ci. La jurisprudence le rappelle régulièrement comme dans notre espèce (12).

Cette question ne doit pas être confondue avec celle de la nature de l'activité pour laquelle l'assujetti est assuré. L'assurance obligatoire ne vaut que pour les activités déclarées par l'assuré lors de la souscription, ainsi que celles découlant logiquement de l'activité expressément déclarée (13). Dans ce cadre, l'assuré est couvert pour toute l'étendue de la responsabilité mise à charge sans que le contrat puisse réduire la couverture par rapport à ce que prévoit le texte créant l'obligation d'assurance (14). C'est ce que rappelle le présent arrêt. En revanche, si l'assuré développe une activité relevant de l'obligation d'assurance, sans la déclarer à l'assureur, il n'est pas couvert...

III - Recours consécutifs au sinistre

  • La cour d'appel devait rechercher, comme elle y était invitée, si les prestations servies par l'assureur n'étaient pas des indemnités journalières de maladie et des prestations d'invalidité visées à l'article 29, 5° de la loi du 5 juillet 1985 et ouvrant droit à un recours subrogatoire par détermination de la loi (Cass. civ. 2, 4 février 2016, n° 14-28.045, F-D N° Lexbase : A3127PKZ)

Parmi les hypothèses de recours de l'assureur après versement de l'indemnité, le moins que l'on puisse dire est que le recours de l'assureur en matière de dommage corporel est alambiqué ! Il existe une raison à cela : ce recours ne va pas de soi. En effet, l'assurance du dommage corporel (ici incapacité temporaire, invalidité, décès) appartient à la catégorie des assurances de personnes, forfaitaire par nature, et donc a priori incompatible avec un recours subrogatoire.

Cette vision des choses a été bousculée au cours des dernières décennies. Il faut cependant avouer que la façon de réformer la question n'a pas contribué à clarifier les choses même si les assureurs en sortent mieux traités. Rappelons à cet égard que les assureurs bénéficient de trois recours potentiels. Si on les classe par ordre d'intérêt croissant (et d'apparition), le recours désormais codifié à l'article L. 211-25 du Code des assurances (N° Lexbase : L0286AAT), est le moins profitable. L'assureur de la victime d'un accident peut, en effet, exercer un recours contre la personne tenue à réparation lorsque le contrat le prévoit et pour la part subsistant après le recours des tiers payeurs énumérés par l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9).

Un peu plus intéressant est le recours ouvert par l'article L. 131-2 (N° Lexbase : L0124AAT) par exception au régime ordinaire des assurances de personnes. L'assureur est admis à exercer un recours après indemnisation pour les prestations à caractère indemnitaire. Ce caractère des prestations relève de l'appréciation des juges du fond, la Cour de cassation ayant été amenée à préciser que la référence à des éléments prédéterminés ne s'oppose pas à la reconnaissance du caractère indemnitaire tant que les prestations ne sont pas indépendantes "dans leurs modalités de calcul et d'attribution de celles de la réparation du préjudice selon le droit commun" (15). Le recours n'est plus subsidiaire mais il est conditionné. Une décision récente a rappelé que ce recours reste un recours subrogatoire : il suppose donc un paiement préalable (16).

Le recours le plus intéressant est évidemment celui fondé sur l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985. Il est ouvert aux assureurs ayant versé des indemnités journalières de maladie ou des prestations d'invalidité. Comme l'a précisé la Cour de cassation, ce recours est indemnitaire par autorité de la loi. Dès lors que les prestations entrent dans la catégorie citée, l'assureur est admis à exercer le recours (17).

Cette variété des recours susceptibles d'être exercés impose d'identifier la nature du recours de l'assureur. La présentation des recours met en évidence l'idée que l'interrogation sur le caractère indemnitaire ou non des prestations d'assurance n'a lieu d'être qu'une fois le recours sur l'article 29 écarté. Les juges doivent donc d'abord s'interroger sur la possibilité d'exercer ce recours avant d'envisager les conditions d'un autre recours. C'est ce qui ressort de la jurisprudence (18), et qui est confirmé par le présent arrêt.

Il rappelle, par ailleurs, un principe déjà énoncé dans d'autres décisions : "sauf accord du tiers responsable, les caisses de Sécurité sociale ne peuvent prétendre au remboursement de leurs dépenses qu'au fur et à mesure de leur engagement". Décidément, le recours en matière de dommage corporel a beau être spécifique, il reste un recours subrogatoire...


(1) Cass. civ. 2, 4 février 2016, n° 15-13.850, F-P+B (N° Lexbase : A3120PKR).
(2) Cass. civ. 2, 11 juin 2015, n° 14-17.971, FS-P+B (N° Lexbase : A8911NKA), notre chron., Lexbase, éd. priv., n° 622, 2015 (N° Lexbase : N8528BUE) ; RGDA, 2015, 340, obs. J. Kullman. V. aussi : Cass. civ. 2, 19 novembre 2015, n° 14-17.010, FS-D (N° Lexbase : A5473NXY).
(3) "Vu les articles L. 113-2 2°, L. 112-3, alinéa 4, et L. 113-8 du Code des assurances ; Attendu, selon le premier de ces textes, que l'assuré est obligé de répondre exactement aux questions précises posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel celui-ci l'interroge, lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à lui faire apprécier les risques qu'il prend en charge ; qu'il résulte des deux autres que l'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu'il a apportées auxdites questions" : Cass. mixte, 7 février 2014, n° 12-85-107, P+B+R+I (N° Lexbase : A9169MDX), Bull. civ. mixte, n° 1 ; RCA, 2014, 99, obs. H. Groutel ; D., 2014, 1074, note A. Pélissier ; JCP éd. G, 2014, 419, note M. Asselain ; RGDA, 2014, 196, obs. J. Kullmann et L. Mayaux.
(4) Solution rendue, encore une fois, au sujet de la qualité de conducteur principal.
(5) Sur cette distinction : J. Kullmann, observations précitées.
(6) Cass. crim., 10 janvier 2012, n° 11-81.647, F-P+B (N° Lexbase : A8703IBX), Bull. crim., n° 3 ; RCA, 2012, n° 145, obs. H. Groutel.
(7) Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 07-21.655, FS-P+B (N° Lexbase : A3948EDL), Bull. civ. II, n° 48.
(8) J. Kullmann et L. Mayaux, précités.
(9) Déjà : Cass. civ. 2, 8 juillet 2015, n° 13-25.223, FS-D (N° Lexbase : A7483NM4).
(10) Sur la question : J. Kullmann in Traité de droit des assurances, le contrat d'assurance (J. Bigot, dir.), LGDJ, 2ème éd., Tome 3, n° 194 s..
(11) C. assur., art. L. 243-8 (N° Lexbase : L6703G97).
(12) Cass. civ. 3, 19 juin 2007, n° 06-14.980, F-D (N° Lexbase : A8780DW4), RCA, 2007, 285, obs. H. Groutel ; Cass. civ. 3, 18 décembre 2013, n° 13-11.441, FS-P+B (N° Lexbase : A7549KSE), Bull. civ. III, n° 171.
(13) Par exemple : Cass. civ. 3, 6 juin 2012, n° 11-14.813, FS-D (N° Lexbase : A3784INH), RCA, 2012, 281.
(14) Il peut prévoir, par exemple, des exclusions.
(15) Ass. Plén., 19 décembre 2003, n° 01-10.670 (N° Lexbase : A4747DA3), Bull. Ass. Plén., n° 7 ; RCA, 2004, chron. 7. Cass. civ. 2, 17 avril 2008, n° 06-20.417, FS-P+B (N° Lexbase : A9588D7A), Bull. civ. II, n° 86 ; RGDA, 2008, 704, obs. J. Landel.
(16) Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-14.812, F-P+B (N° Lexbase : A5384NIA), nos obs. in Chron., Lexbase, éd. priv., n° 618, 2015 (N° Lexbase : N8032BUZ).
(17) Cass. civ. 2, 12 juillet 2007, n° 06-16.084, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2776DX4), Bull. civ. II, n° 213 ; Cass. civ. 2, 8 novembre 2007, n° 06-19.744, F-P+B (N° Lexbase : A4240DZ3), RTDCiv., 2008, 112, note P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 24 novembre 2011, n° 10-13.458, F-D (N° Lexbase : A4898H3S).
(18) Cass. civ. 2, 13 juin 2013, n° 12-14.685 (N° Lexbase : A5848KGP).

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Avocats/Accès à la profession

[Brèves] "Passerelle" de l'article 98-3° : seul compte l'exercice des fonctions exclusivement dans un service spécialisé interne à l'entreprise appelé à répondre aux problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci

Réf. : Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 15-13.442, F-P+B (N° Lexbase : A3482Q8H)

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N1884BWP

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Le 24 Mars 2016

Pour pouvoir accorder le bénéfice de la "passerelle" de l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), les juges ne doivent prendre en compte que l'exercice des fonctions exclusivement dans un service spécialisé interne à l'entreprise appelé à répondre aux problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci, non les prestations délivrées à des tiers extérieurs à celle-ci. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu le 17 mars 2016 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 15-13.442, F-P+B N° Lexbase : A3482Q8H). Dans cette affaire, Mme B., salariée d'une association, a sollicité son admission au barreau de Bayonne sous le bénéfice de la dispense de formation prévue à l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991. Le conseil de l'Ordre ayant rejeté sa demande d'inscription, la demanderesse a formé un recours contre cette décision et la cour d'appel lui a reconnu la qualité de juriste d'entreprise. Un pourvoi est alors formé par l'Ordre des avocats auquel la Haute juridiction va accéder. En effet, pour reconnaître à Mme B. la qualité de juriste d'entreprise, l'arrêt retient que celle-ci avait pour mission d'apporter aux délégués de l'association une assistance juridique pour trouver les solutions amiables ou judiciaires adaptées à la situation des majeurs protégés, de suivre toutes les procédures concernant ces derniers, en assurant, le cas échéant, la défense de leurs intérêts, de décider de l'opportunité de saisir le juge des tutelles, de rédiger les actes et correspondances et de réaliser une veille juridique à la disposition des intervenants. Or, en statuant ainsi alors que l'intéressée, qui apportait une assistance juridique aux personnes majeures, extérieures à l'association qui était chargée de leur protection, ainsi que son concours aux délégués désignés à cette fin, n'exerçait pas ses fonctions exclusivement dans un service spécialisé interne à l'entreprise appelé à répondre aux problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991 (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0304E7E).

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Avocats/Déontologie

[Brèves] Manquement au principe de délicatesse caractérisé pour l'avocat qui prend connaissance de messages couverts par le secret des correspondances, dès lors qu'ils figuraient sur une messagerie personnelle, en les produisant devant la commission de conciliation

Réf. : Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 15-14.557, F-P+B (N° Lexbase : A3449Q8A)

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Le 02 Avril 2016

L'avocat qui prend connaissance de messages couverts par le secret des correspondances, dès lors qu'ils figuraient sur une messagerie personnelle, en les produisant devant la commission de conciliation, commet un manquement caractérisé au principe de délicatesse. Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 17 mars 2016 (Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 15-14.557, F-P+B N° Lexbase : A3449Q8A). Dans cette affaire, un avocat a fait l'objet d'une poursuite disciplinaire à l'initiative du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, qui lui reprochait notamment d'avoir produit, au cours d'une instance l'opposant à deux collaboratrices libérales, des documents couverts par le secret des correspondances, et ainsi manqué aux principes essentiels de la profession d'avocat, définis à l'article 1.3 du règlement intérieur national des avocats (N° Lexbase : L4063IP8). La cour d'appel de Paris ayant, par arrêt du 22 janvier 2015 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 22 janvier 2015, n° 14/01680 N° Lexbase : A9097M9S), déclaré l'avocat coupable d'avoir manqué au principe de délicatesse, celui-ci a formé un pourvoi en cassation. En vain. En effet, énonçant la solution précité, la Haute juridiction approuve les juges du fond d'avoir retenu que les messageries utilisées par les deux collaboratrices libérales étaient privées, s'agissant d'adresses personnelles "gmail" mises à la disposition des internautes par la société Google, et que, si l'accès au serveur de l'opérateur internet s'effectuait au moyen de l'ordinateur professionnel, la boîte de réception électronique personnelle de la collaboratrice conservait néanmoins son caractère privé. Dès lors l'avocat ne pouvait déduire de l'absence de fermeture de la messagerie, le consentement de sa collaboratrice à la consultation, hors sa présence, de son contenu (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6573ETM).

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Baux commerciaux

[Chronique] Chronique de droit des baux commerciaux

Réf. : Décret n° 2016-296 du 11 mars 2016, relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial, art. 14 (N° Lexbase : L9982K4H) ; Cass. civ. 3, 17 mars 2016, n° 14-26.009, FS-P+B (N° Lexbase : A3620Q8L)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 30 Mars 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, le chronique de droit des baux commerciaux de Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l’Ouvrage "baux commerciaux". L'auteur commente, tout d'abord, les dispositions du décret du 11 mars 2016 qui intéressent la matière, à savoir la création d'un nouvel article R. 145-38 du Code de commerce relatif aux notifications par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans le cadre d'un bail commercial (décret n° 2016-296 du 11 mars 2016, relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial, art. 14). Il revient, ensuite, sur un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 17 mars 2016 qui, en matière de révision du loyer, apporte des précisions sur le prix précédemment fixé contractuellement pris en compte pour le calcul de la variation de 25 % (Cass. civ. 3, 17 mars 2016, n° 14-26.009, FS-P+B).
  • Création d'un nouvel article R. 145-38 du Code de commerce relatif aux notifications par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans le cadre d'un bail commercial (décret n° 2016-296 du 11 mars 2016, relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial, art. 14 N° Lexbase : L9982K4H)

Solution

L'article 14 du décret n° 2016-296 du 11 mars 2016, relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial, abroge l'article R. 145-1-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7048I4S), fixant la date du congé notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, devenu obsolète depuis la modification par la loi dite "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC) de l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2009KGI) qui ne visait plus cette forme de notification. L'article 15 du décret du 11 mars 2016 crée un nouvel article R. 145-38 du Code de commerce (N° Lexbase : L0177K7P). Ce texte fixe la date des notifications effectuées dans le cadre d'un bail commercial par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il impose également une notification par acte d'huissier de justice si la lettre n'est pas présentée.

Observations

La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite "loi Pinel", avait modifié le dernier alinéa de l'article L. 145-9 du Code de commerce pour introduire la possibilité de notifier le congé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire "au libre choix de chacune des parties" (C. com., art. L. 145-9, version du 20 juin 2014 N° Lexbase : L5043I38).

Le décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014, relatif au bail commercial ([LXB=L7060I4]), avait complété ces nouvelle dispositions en créant un article R. 145-1-1 du Code de commerce -aujourd'hui abrogé- qui précisait la date du congé notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception : "lorsque le congé prévu à l'article L. 145-9 est donné par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la date du congé est celle de la première présentation de la lettre".

La loi "Macron", quelques mois plus tard, avait modifié l'article L. 145-9 du Code de commerce pour supprimer toute référence à la notification du congé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui doit donc de nouveau "être donné par acte extrajudiciaire" (cf. C. com., art. L. 145-9, version du 8 août 2015).

Cependant, parallèlement, la loi "Macron" avait également modifié l'article L. 145-4 du Code de commerce (C. com., art. L. 145-4 N° Lexbase : L2010KGK) pour permettre au preneur "de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire". La faculté de donner congé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception a donc été maintenue, mais au seul profit du preneur. Il doit être relevé que ce texte vise le congé donné à l'expiration d'une période triennale et que la question se pose, en conséquence, de savoir si le preneur pourrait donner congé dans cette forme pour le terme du bail qui ne coïnciderait pas avec une période triennale ou en cours de tacite prorogation (1).

Dès lors que l'article L. 145-9 du Code de commerce ne visait plus le congé notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception mais le seul congé donné par acte extrajudiciaire, l'article R. 145-1-1 du Code de commerce était devenu obsolète depuis l'entrée en vigueur de la loi "Macron".

L'article 14 du décret du 11 mars 2016 corrige cette inadéquation en abrogeant l'article R. 145-1-1 du Code de commerce.

L'article 15 de ce décret crée par ailleurs un nouvel article R. 145-38 du Code de commerce (N° Lexbase : L0177K7P) qui dispose, tout d'abord, que : "lorsqu'en application des articles L. 145-4 (N° Lexbase : L2010KGK), L. 145-10 (N° Lexbase : L2008KGH), L. 145-12 (N° Lexbase : L2007KGG), L. 145-18 (N° Lexbase : L2006KGE), L. 145-19 (N° Lexbase : L2005KGD), L. 145-47 (N° Lexbase : L2004KGC), L. 145-49 (N° Lexbase : L2002KGA) et L. 145-55 (N° Lexbase : L2003KGB), une partie a recours à la lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la date de notification à l'égard de celui qui y procède est celle de l'expédition de la lettre et, à l'égard de celui à qui elle est faite, la date de première présentation de la lettre".

Ce texte détermine donc la date des notifications données dans le cadre d'un bail commercial par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Son champ d'application est plus vaste que celui de l'article R. 145-1-1 du Code de commerce abrogé qui ne concernait que la notification du congé.

Le nouveau texte vise ainsi :
- le congé du preneur (C. com., art. L. 145-4) ;
- la demande de renouvellement du preneur (C. com., art. L. 145-10) ;
- le droit de repentir du bailleur (C. com., art. L. 145-12) ;
- la réponse du preneur à l'offre d'un local de remplacement et l'exercice du droit de priorité en cas de reconstruction d'un nouvel immeuble (C. com., art. L. 145-18 et L. 145-19) ;
- les notifications dans le cadre d'une déspécialisation (C. com., art. L. 145-47, L. 145-49 et L. 145-55).

Alors que l'ancien article R. 145-1-1 du Code de commerce retenait une date unique pour la notification par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (date de la première présentation de la lettre), le nouveau texte prévoit deux dates :
- date d'expédition de la lettre l'égard de celui qui y procède ;
- date de première présentation de la lettre à l'égard de celui à qui elle est faite.

Cette "double" date n'est pas sans rappeler les dispositions de l'article 668 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7679HE7) qui imposent de prendre en compte, pour la notification par voie postale, à l'égard de celui qui y procède, la date de l'expédition, et, à l'égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre (et non celle de première présentation retenue par le nouvel article R. 145-38).

La date d'expédition devrait être celle qui figure sur le cachet du bureau d'émission (C. proc. civ., art. 669 N° Lexbase : L2935AD3).

La date de la notification à l'égard de celui qui la reçoit est, en matière de bail commercial, la date de première présentation.

Cette duplicité de la date de notification ne devrait pas pouvoir entraîner celle de la date d'effet du congé.

La question se pose de savoir si la remise effective de la lettre sera nécessaire pour que la notification soit régulière, comme l'exige en principe la Cour de cassation (2). Il semble que la réponse soit négative. Le dernier alinéa de l'article R. 145-38 du Code de commerce dispose en effet que "lorsque la lettre n'a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte extrajudiciaire". Or, la présentation de la lettre (qui correspond a priori à la remise d'un avis de passage) doit être distinguée de sa "remise" effective au destinataire concrétisée par la signature de l'accusé de réception (3).

Cette distinction selon cette terminologie se retrouve également dans des textes réglementaires récents (voir par exemple, C. com., art. R. 662-1 N° Lexbase : L6334I3Y en procédures collectives ; C. consom., art. R. 331-8-3 N° Lexbase : L2961INY sur les procédures de surendettement).

L'article R. 145-38 du Code de commerce impose que le congé soit renouvelé par acte extrajudiciaire seulement si la lettre n'a pu être "présentée" au destinataire. La présentation n'étant pas la réception effective, il devrait s'agir du cas où les services postaux ne trouvent pas le destinataire comme n'habitant pas à l'adresse indiquée. A contrario, si la boîte aux lettres du destinataire a pu être trouvée, l'avis de passage laissé et le destinataire n'a pas réclamé la lettre, le congé ne devrait pas avoir à être réitéré par acte d'huissier de justice et serait donc régulier.

  • Révision du loyer : précision sur le prix précédemment fixé contractuellement pris en compte pour le calcul de la variation de 25 % (Cass. civ. 3, 17 mars 2016, n° 14-26.009, FS-P+B N° Lexbase : A3620Q8L ; cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E0527AGM)

Solution

En présence d'un avenant augmentant le loyer d'un bail à la suite d'une extension de l'assiette du bail, la dernière modification par avenant ayant précédé la demande de révision légale doit être considérée comme le prix précédemment fixé conventionnellement au sens de l'article L. 145-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L5037I3X).

Les faits

En l'espèce, des locaux avaient été donnés à bail le 22 janvier 2004. Par avenants successifs des 5 septembre 2004, 22 avril 2005, 15 mars 2006, 14 août 2006, 1er août 2011 et à effet du 15 janvier 2013, les parties étaient convenues de modifier l'assiette des lieux loués en y ajoutant d'autres locaux et d'augmenter subséquemment le loyer. Le 14 mai 2013, le locataire avait demandé la révision du loyer en application de l'article L. 145-39 du Code de commerce et sa fixation à une certaine somme. Les juges du fond ayant déclaré la demande de révision irrecevable (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 15 octobre 2014, n° 14/01729 N° Lexbase : A4934MYE), le locataire s'est pourvu en cassation.

Observations

Le loyer d'un bail commercial stipulant une clause d'échelle mobile peut être révisé lorsqu'en application de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire (C. com., art. L. 145-39).

Le loyer, dans ce cas, est fixé à la valeur locative (C. com., art. L. 145-33 N° Lexbase : L5761AI9), même si elle est inférieure au loyer initial (4) ou supérieure au montant du loyer indexé (5).

Toutefois, pour les baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, art. 21 N° Lexbase : L4967I3D), l'augmentation sera lissée puisque la variation de loyer qui découlera de cette révision ne pourra conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente (C. com., art. L. 145-39, dernier al.).

Les termes de comparaison pour déterminer l'existence d'une variation de plus d'un quart sont le terme de base et le terme de comparaison.

Le terme de base est, selon la loi, le prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire, soit :

- dans l'hypothèse où le loyer n'a pas été modifié depuis la signature du bail, autrement que par l'application de la clause d'indexation (c'est-à-dire le cas où loyer n'a pas été modifié par avenant ou par décision judiciaire depuis la date d'effet du bail), le loyer de base à prendre en compte est le loyer initial stipulé au contrat (6) et non le montant du loyer résultant des indexations en cours de bail (7).

- si le loyer a été modifié amiablement ou judiciairement au cours du bail, le loyer de base à prendre en compte sera le montant de ce loyer modifié amiablement hors indexation (8) ou judiciairement.

Le terme de comparaison est le montant du loyer résultant de l'indexation au jour de la demande de révision.

La détermination du loyer de base peut, cependant, susciter une difficulté lorsque l'assiette du bail est modifiée. Cette hypothèse avait fait l'objet d'un arrêt de la Cour de cassation du 9 juillet 2014 (9). Dans l'espèce ayant donné lieu à cette décision, le loyer avait été modifié par avenant à la suite de la modification de l'assiette du bail. Cette modification était proportionnelle à la valeur unitaire du mètre carré fixée au bail initial et les parties avaient précisé dans l'avenant que ce montant était "hors indexation". La question s'est posée de savoir si le loyer de base à retenir pour la comparaison était le montant du loyer fixé par avenant hors indexation ou modifié par l'effet de cette indexation. Dans le premier cas, la condition de variation de plus de 25 % était remplie et elle ne l'était pas dans le second. La Cour de cassation avait précisé que, pour déterminer la variation d'un quart, il convenait de comparer au dernier prix fixé par l'accord des parties, hors indexation, le prix du loyer tel qu'obtenu par le jeu de la clause.

Dans l'arrêt rapporté du 17 mars 2016, les parties avaient, au cours du bail, signé plusieurs avenants augmentant l'assiette du bail et, corrélativement, le loyer. Le locataire soutenait que le terme de base ne devait pas être constitué par le loyer total résultant de chaque avenant, mais que devaient être pris en compte de manière autonome, le loyer initial et chaque loyer correspondant à l'augmentation corrélative à un ajout de surface louée.

La Cour de cassation rejette cette approche. Elle approuve les juges du fond d'avoir relevé que "les parties étaient convenues, à chaque signature des avenants successifs, d'une extension de l'assiette du bail et d'un nouveau loyer, en considération notamment de cette extension, et que les modifications apportées par les avenants impliquaient autant de modifications conventionnelles du loyer, de sorte que la dernière modification par avenant ayant précédé la demande de révision légale devait être considérée comme le prix précédemment fixé conventionnellement au sens de l'article L. 145-39 du Code de commerce". La comparaison du loyer global précédemment fixé au montant du loyer indexé au jour de la demande de révision étant inférieur à 25 %, la demande était irrecevable.


(1) Sur ce point, J.-P. Dumur, Lexbase, éd. aff., 2015, n° 434 (N° Lexbase : N8736BU4).
(2) Cass. civ. 3, 10 janvier 1996, n° 93-17.725 (N° Lexbase : A9393ABI).
(3) Cass. civ. 2, 10 mars 2005, n° 03-11.033, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2720DH9, Dr. et procéd., 2005, p. 226, note E. Putman.
(4) Cass. civ. 3, 15 janvier 1992, n° 90-15.876, publié (N° Lexbase : A7924AGL), Bull. civ. III, n° 18 ; Administrer, 1992, n° 233, p. 33, note J.-D. Barbier.
(5) Cass. civ. 3, 6 janvier 1993, n° 91-13.182, publié (N° Lexbase : A5613ABI), Bull. civ. III, n° 3 ; RTDCom., 1993, p. 291, obs. M. Pédamon.
(6) Cass. com., 20 novembre 1962, n° 60-13.018 (N° Lexbase : A2595AUN).
(7) En ce sens, Cass. civ. 3, 9 juillet 2014, n° 13-22.562, FS-P+B (N° Lexbase : A4040MU8), nos obs. in Chron., Lexbase, éd. aff., 2014, n° 391 (N° Lexbase : N3412BUW) ; Rev. loyers 2014/951, n° 1911, note H. Chaoui ; AJDI, 2015, p. 42, J.-P. note J.-P. Blatter ; Loyers et copr., 2014, comm. n° 246, note Ph.-H. Brault.
(8) Cass. civ. 3, 9 juillet 2014, n° 13-22.562, FS-P+B, préc..
(9) Cass. civ. 3, 9 juillet 2014, n° 13-22.562, FS-P+B, préc..

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Consommation

[Brèves] Nouvelle partie législative du Code de la consommation

Réf. : Ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation (N° Lexbase : L0300K7A)

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N1834BWT

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Le 24 Mars 2016

Une ordonnance relative à la partie législative du Code de la consommation a été publiée au Journal officiel du 16 mars 2016 (ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation N° Lexbase : L0300K7A). L'essentiel de cette refonte intervient à droit constant. Elle a pour objet d'aménager le plan du code et de déterminer une clé de répartition plus rationnelle entre les différents livres afin de clarifier l'ordonnancement des textes, conformément aux recommandations de la Commission supérieure de codification. Elle corrige, également, certaines anomalies dans la délimitation des domaines législatifs et réglementaires, regroupe les dispositions relatives aux sanctions et donne une nouvelle rédaction aux dispositions pénales. Elle permet, enfin, d'apporter une clarification au champ d'application du Code de la consommation par l'insertion dans l'article liminaire d'une définition complétée de la notion de consommateur, pour préciser expressément qu'une activité agricole doit être regardée comme une activité professionnelle et qu'un agriculteur agissant dans le cadre de cette activité ne peut pas se prévaloir de la protection offerte au consommateur. Par ailleurs, cet article liminaire est enrichi de la définition des notions de non-professionnel et de professionnel résultant soit des Directives européennes applicables, soit de la jurisprudence nationale. L'aménagement du plan constitue le volet principal de la recodification. 1 087 articles législatifs ont été redistribués dans huit nouveaux livres qui se substituent aux cinq livres actuels :
- livre Ier - Information du consommateur et pratiques commerciales ;
- livre II - Formation et exécution des contrats ;
- livre III - Crédit ;
- livre IV - Conformité, sécurité des produits et services ;
- livre V - Pouvoirs d'enquête et suites données aux contrôles ;
- livre VI - Règlement des litiges ;
- livre VII - Traitement des situations de surendettement ;
- livre VIII - Associations agréées de défense des consommateurs et institutions de la consommation.
Le nouveau Code de la consommation entrera en vigueur le 1er juillet 2016, tant pour sa partie législative, objet de l'ordonnance, que pour sa partie règlementaire pour laquelle un décret doit être publié prochainement. La DGCCRF est chargée d'accompagner les utilisateurs pour s'approprier la nouvelle numérotation des articles. Un tableau de concordance électronique sera téléchargeable sur le site du ministère chargé de l'Economie.

newsid:451834

Droit des étrangers

[Brèves] Compétence exclusive de l'OPJ pour procéder à un contrôle d'identité dans le cadre de l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale

Réf. : Cass. civ. 1, 16 mars 2016, n° 14-25.068, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4890Q7A)

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N1863BWW

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Le 24 Mars 2016

Seul un officier de police judiciaire, assisté, le cas échéant, par un agent de police judiciaire, peut procéder à un contrôle d'identité dans les conditions prévues par l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4966ISQ), indique la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 16 mars 2016 (Cass. civ. 1, 16 mars 2016, n° 14-25.068, FS-P+B+I N° Lexbase : A4890Q7A). M. X, de nationalité tunisienne, interpellé à la suite d'un contrôle d'identité, a fait l'objet d'une retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, puis d'une mesure de rétention sur décision du préfet. Pour confirmer le maintien en rétention, l'ordonnance, après avoir relevé que l'intéressé soutenait que seuls des agents de police judiciaire étaient présents sur les lieux lors du contrôle, retient que les services de police ont procédé au contrôle d'identité en application de l'article 78-2-2, lequel autorise, d'une part, des contrôles d'identité, par renvoi à l'article 78-2 du même code (N° Lexbase : L9299K48), d'autre part, des fouilles, notamment de véhicules, de sorte que la présence d'officiers de police judiciaire n'est nécessaire que pour les fouilles tandis que les contrôles peuvent être opérés par des agents de police judiciaire agissant sous les ordres de ceux-là. Pour la Cour suprême, en statuant ainsi, alors que l'article 78-2-2 ne distingue pas selon que le contrôle se limite à celui de l'identité d'une personne ou est associé à une visite de véhicule, le premier président a violé ce texte (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E0934E9H).

newsid:451863

Droit des étrangers

[Textes] La nouvelle loi "immigration" : entre innovation relative et continuité prononcée

Réf. : Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France (N° Lexbase : L9035K4E)

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par Hocine Zeghbib, Maître de conférences, Université Paul Valéry - Montpellier III, codirecteur scientifique de l'Encyclopédie "Droit des étrangers"

Le 24 Mars 2016

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France, contient toute une série de dispositions dont on peut dire qu'elles poursuivent un objectif de plus grande protection des droits et d'autres qui multiplient les moyens de lutte contre l'immigration irrégulière. En matière de protection, elle renforce la situation de certaines catégories d'étrangers, institue une carte de séjour pluriannuelle et modifie le contrat d'accueil et d'intégration, rebaptisé "contrat d'intégration républicaine". En matière "d'immigration irrégulière", le nouveau texte complexifie les procédures attachées à l'obligation de quitter le territoire français (OQTF), systématise le recours à l'interdiction du territoire et introduit une disposition spécifique aux citoyens européens, l'interdiction de circulation sur le territoire. Dans le même temps, la loi rétablit le contrôle du juge des libertés et de la détention après quarante-huit heures de placement. Elle autorise, par ailleurs, le placement des mineurs en rétention et passe sous silence le maintien des mineurs isolés étrangers en zone d'attente. Enfin, le texte prévoit un droit à l'accès des journalistes dans les centres de rétention et les zones d'attente. Dans l'ensemble, la loi du 7 mars 2016 est à la recherche d'un équilibre introuvable entre bon accueil et sévérité dans l'éloignement. Elle n'y parvient pas tout à fait. Projet traînant en longueur, d'abord dans les cabinets ministériels puis dans les différentes navettes procédurales (1), la loi relative au droit des étrangers en France a été publiée le 8 mars 2016 dans une totale discrétion tant la scène politique et médiatique est encombrée par les débats ouverts par le projet de loi "travail". Soumis avant promulgation au Conseil constitutionnel par soixante sénateurs de l'opposition, le texte a été validé dans l'ensemble de ses dispositions à l'exception d'une seule contenue dans le paragraphe VII de l'article 20 modifiant l'article L. 120-4 du Code du service national (N° Lexbase : L7411IGL) et qui ouvrait aux étrangers titulaires de certains titres de séjour la possibilité de signer un contrat de service civique ou de volontariat associatif. Au demeurant, il convient d'observer que cette censure n'intervient pas sur le fond mais seulement sur la procédure suivie jugée constitutionnellement inappropriée (2).

Pour le ministre de l'intérieur, M. Bernard Cazeneuve, "cette nouvelle loi constitue une avancée majeure pour mieux accueillir et intégrer les étrangers entrés de façon régulière sur le territoire, développer l'attractivité de la France pour les talents étrangers et renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière". Construit autour du triptyque "intégration /attractivité /lutte contre l'immigration irrégulière", la loi prétend à une forme d'équilibre entre générosité et sévérité de l'arsenal juridique qu'il introduit, modifie ou pérennise dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Comportant 68 articles, le texte de loi contient, en nombre restreint, certaines dispositions dont on peut dire qu'elles sont innovantes (I) et d'autres, plus nombreuses, dont on peut dire qu'elles encadrent plus sévèrement l'entrée et le séjour des étrangers (II).

I - Des mesures traduisant une innovation relative

La première de ces mesures est contenue dans l'article 4 de la nouvelle loi. Cette disposition modifie l'article L. 311-1 (N° Lexbase : L9214K4Z) qui énumère les différents titres de séjour autorisant un étranger à résider en France au-delà de trois mois : visa de long séjour d'une durée maximale d'un an (désormais délivré de plein droit aux conjoints de Français conformément au 3°, b du nouvel article L. 211-2-1 N° Lexbase : L1397I37), carte de séjour temporaire d'une durée maximale d'un an, carte de résident d'une durée de dix ans ou d'une durée indéterminée et carte de séjour portant la mention "retraité". Dans le 4° de ce même article, le législateur ajoute un nouveau titre de séjour, "la carte de séjour pluriannuelle". C'est l'une des innovations importantes introduites par la loi du 7 mars 2016. Si le titre est nouveau en soi, les différentes mentions qu'il comporte ne sont souvent que la synthèse simplifiée de titres de séjour déjà existants et en simplifient les conditionnalités internes.

La seconde série de mesures innovantes est consacrée à l'amélioration de la protection de certaines catégories de personnes.

1 - La carte de séjour pluriannuelle

L'une des mesures mises en avant par le Gouvernement "pour mieux accueillir et intégrer les étrangers entrés de façon régulière sur le territoire" est introduite par l'article 17 de la nouvelle loi qui crée une section 3, intitulée "La carte de séjour pluriannuelle", dans le chapitre III du titre 1er du livre III du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette section regroupe les articles L. 313-17 (N° Lexbase : L9195K4C) à L. 313-24.

La carte de séjour pluriannuelle générale délivrée après un premier document de séjour

Elle est délivrée à certains étrangers "au terme d'une première année de séjour régulier" (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 311-1, 2° et 3°). Elle a une durée de validité maximale de quatre ans mais peut-être délivrée pour une période moindre selon les cas : pour les étudiants, la carte délivrée couvre la durée des études. Cependant, la loi ouvre le droit pour un étudiant titulaire du grade de master ou équivalent d'occuper un emploi salarié s'il présente un contrat de travail, à durée indéterminée ou à durée déterminée, en relation avec sa formation et assorti d'une "rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret en Conseil d'Etat". Il obtient alors une carte de séjour temporaire d'une validité de un an, période à l'issue de laquelle il pourra demander une carte de séjour pluriannuelle (cf. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 313-10 N° Lexbase : L9223K4D). Pour les étrangers malades, la carte de séjour pluriannuelle est "de la durée prévisible des soins". Elle est délivrée pour une durée de deux ans seulement aux conjoints de français, au père et à la mère d'un mineur français, aux personnes ayant des liens personnels et familiaux en France et pour les étrangers bénéficiant de la protection subsidiaire. En outre, le demandeur ne doit pas s'être soustrait de manière injustifiée aux obligations découlant du contrat d'accueil et d'intégration rebaptisé par la nouvelle loi "contrat d'intégration républicaine". Ni la délivrance, ni le renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle ne sont de droit : le demandeur doit continuer à remplir les conditions préalables à la recevabilité de sa première demande. En outre, "à l'expiration de la durée de validité de sa carte, l'étranger doit quitter la France, à moins qu'il n'en obtienne le renouvellement ou qu'il ne lui soit délivré un autre document de séjour". C'est l'un des points faibles de cette nouvelle mesure : destinée, selon les autorités, à assurer la stabilité du séjour, donc de l'intégration de l'étranger, elle s'avère être plus proche de la précarité que de la stabilité du séjour ouverte par la carte de dix ans de la loi "Georgina Dufoix" de 1984 (3). On ajoutera que le nouvel article L. 313-5-1 (N° Lexbase : L9193K4A) confère des pouvoirs de contrôle accrus au préfet qui pourra "procéder aux vérifications utiles pour s'assurer du maintien du droit au séjour de l'intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci à un ou plusieurs entretiens" et refuser le renouvellement du titre ou prononcer son retrait.

Différentes mentions peuvent être accolées à la carte de séjour pluriannuelle : mention "passeport talent", mention "travailleur saisonnier", mention "salarié détaché 'ICT'".

La carte de séjour pluriannuelle mention "passeport talent"

Institué dans le but de "développer l'attractivité de la France", ce titre de séjour, d'une validité maximale de quatre ans délivré dès la première admission au séjour, remplace la carte "compétences et talents" et vise à "faciliter l'entrée et le séjour en France de personnes dans le cadre de mobilités de l'excellence, de la connaissance et du savoir". S'adressant à une assez large palette d'étrangers dotés de "talents" pouvant être mis au service du pays, ce titre peut aussi bénéficier, de plein droit, au conjoint et enfants majeurs auxquels est délivré une carte de séjour pluriannuelle portant la mention 'passeport talent (famille)' donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Légèrement améliorée, la formule n'est pas pour autant nouvelle dans son principe et n'a eu que peu de résultats tangibles depuis son instauration par la loi "Sarkozy" de 2006 (4) à laquelle il était reproché par l'opposition de l'époque, au Gouvernement aujourd'hui, de pratiquer la politique de "l'immigration choisie" au détriment des étrangers déjà présents sur le territoire.

La carte de séjour pluriannuelle portant la mention 'travailleur saisonnier'.

Instaurée par l'article L. 313-23 (N° Lexbase : L9201K4K), cette carte est délivrée, dès la première admission, pour une durée de maximale de trois ans. Elle présente la particularité de cibler une activité professionnelle exercée à titre saisonnier par un étranger venu spécialement pour cette raison conformément à l'article L. 1242-2 3° du Code du travail (N° Lexbase : L1795KGL), c'est-à-dire les "emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois". Le "travailleur saisonnier" devra s'engager à maintenir sa résidence hors de France et son séjour sur le territoire ne pourra être supérieur à six mois par année. Ce titre de séjour ne peut en aucun cas évoluer vers un droit au séjour et n'ouvre pas droit à être rejoint par le conjoint et les enfants. Du reste, cette disposition était déjà prévue par le 4° de l'article L. 313-10 (N° Lexbase : L5040IQQ) mais la durée maximale de validité de trois ans ne pouvait être accordée qu'à titre dérogatoire.

La carte de séjour pluriannuelle portant la mention 'salarié détaché ICT' (intra-corporate transfers)

Cette carte n'est une nouveauté qu'en partie puisqu'elle existait déjà aux 5° et 6° de l'article L. 313-10. Elle est spécifique aux salariés détachés et leur est délivrée pour la durée de leur mission sans pouvoir pour autant excéder trois ans. Elle est également délivrée, de plein droit, aux membres de la famille du travailleur détaché et leur ouvre l'accès au marché du travail sans tenir compte de la situation de l'emploi. Elle s'adresse à deux catégories de "salariés détachés" : ceux qui viennent directement d'un établissement situé dans un État tiers et ceux qui viennent d'un État membre. Pour les premiers, la délivrance de la carte "salarié détaché 'ICT'" n'est plus soumise à la condition du niveau de rémunération auparavant fixé à 1,5 fois au moins le salaire minimum de croissance et sont fusionnées les deux cas dans lesquels le "transfert" était possible : détachement ou contrat de travail depuis trois mois au moins. Désormais, la carte est délivrée au travailleur se déplaçant en France en vue "d'occuper un poste d'encadrement supérieur ou d'apporter une expertise dans un établissement ou une entreprise du groupe qui l'emploie, s'il justifie d'une ancienneté professionnelle dans celui-ci d'au moins trois mois". Pour la seconde catégorie, les nouvelles dispositions législatives viennent remplacer "la carte bleue européenne" auparavant délivrée au "salarié détaché 'ICT'", admis au séjour dans un Etat membre à ce titre et qui vient en France pour une mission d'une durée supérieure à quatre-vingt dix jours. Dans ce cas, le titre qui lui sera délivrée en France pour la durée de sa mission portera la mention "salarié détaché mobile 'ICT'". Dans ce cas comme dans les précédents, l'autorisation administrative préalable de travail n'est pas exigée. Ce titre autorise la famille du travailleur à le rejoindre et à accéder au marché du travail.

2 - Une meilleure protection de certaines catégories de personnes

La loi "Besson" de 2011 (5) n'avait pas apporté de solutions à certaines situations vécues par certaines catégories d'étrangers séjournant régulièrement en France : le séjour des retraités immigrés, le séjour des personnes malades et des accompagnants de mineurs malades, le droit au séjour des conjoints de Français et celui des victimes de violence conjugale ou de mariage forcé ainsi que l'accès à la nationalité par certains étrangers.

Le séjour des immigrés retraités

Le 6° de l'article L. 311-1 (article 4 de la loi) précise que la "carte de séjour portant la mention 'retraité', d'une durée de dix ans" est délivrée "à l'étranger qui, après avoir résidé en France sous couvert d'une carte de résident, a établi ou établit sa résidence habituelle hors de France et qui est titulaire d'une pension contributive de vieillesse, de droit propre ou de droit dérivé, liquidée au titre d'un régime de base français de Sécurité sociale [...]" (cf. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 317-1 N° Lexbase : L1289HPG). Elle donne accès de plein droit au territoire à condition que le séjour n'excède pas un an. Elle est renouvelable de plein droit et ouvre, de plein droit également, l'obtention d'une carte de résident permanent si son titulaire "justifie de sa volonté de s'établir en France et d'y résider à titre principal" (cf. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 314-11 11° N° Lexbase : L9260K4Q). Pour l'obtention de la carte de résident, les titulaires de la "carte retraité" ne sont pas soumis à la condition d'intégration républicaine, tout comme, s'ils sont âgés d'au moins soixante-cinq ans, ils sont exonérés de la condition de ressources en cas de demande de regroupement familial. Le passage de la "carte retraité" à la carte de résident permet l'accès aux prestations sociales qui sont soumises, comme on le sait, au principe de territorialité.

Le séjour des personnes en situation irrégulière malades et des accompagnants de mineurs étrangers malades

Pour les personnes malades et en situation irrégulière, l'article 13 de la loi modifie le 11° de l'article L. 313-11 et dispose qu'une carte de séjour pluriannuelle est délivrée "à l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié". Sa durée de validité couvre "la durée prévisible des soins". Le changement est assez significatif dans la mesure où c'est la situation personnelle du demandeur qui sera prise en compte en premier lieu et non plus la situation sanitaire générale du pays d'origine comme c'était préalablement le cas. Toutefois, outre les difficultés d'appréciation que cette mesure laisse présager, on regrettera que cette disposition écarte la compétence de la commission du titre de séjour pour laisser toute latitude à l'autorité administrative aussi bien pour la délivrance que pour le refus de renouvellement du titre. D'autre part, l'appréciation de l'état de santé n'est plus du ressort de l'Agence régionale de santé, mais "d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration", office relevant de la tutelle du ministère de l'Intérieur, ce qui peut interroger en terme de protection des droits. S'agissant du séjour des accompagnants d'un mineur étranger atteint d'une grave pathologie, l'article 14 de la loi modifie l'article L. 311-12 (N° Lexbase : L9225K4G) et rend obligatoire la délivrance de l'autorisation de séjour provisoire au profit des deux parents ou du tuteur légal du mineur admis à séjourner pour pathologie grave et reconnue comme telle par l'autorité administrative. Sa durée couvre la période de prise en charge médicale de l'étranger mineur et donne droit à l'exercice d'une activité professionnelle.

Le séjour des conjoints de Français, des victimes de violences familiales et conjugales et aux victimes de mariage forcé

La carte de résident est délivrée de plein droit aux conjoints de Français au bout de trois ans de résidence régulière, c'est-à-dire après l'année du visa longue durée et les deux années au titre de la carte de séjour pluriannuelle. Les parents d'enfants français bénéficient de la même disposition. En effet, s'ils en remplissent les conditions, ces deux catégories de personnes obtiennent de plein droit ces titres alors qu'auparavant, il s'agissait d'une simple possibilité que les préfectures satisfaisaient avec parcimonie. Ces améliorations ont été introduites par les articles 15 et 16 de la loi qui modifient l'article L. 313-12. Ces mesures bénéficient également aux victimes de violences "conjugales ou familiales", l'introduction du terme "familial" élargissant le bénéfice de la mesure pour tenir compte de l'évolution de la notion de famille. Le nouvel article L. 316-3 (N° Lexbase : L9973K47) (article 25 de la loi) prévoit également un titre de séjour 'vie privée et familiale' au profit des victimes de mariage forcé.

L'accès à la nationalité de certains étrangers

Durant les débats à l'Assemblée nationale, certains députés ont relayé une question pendante depuis longtemps : dans une même fratrie, au sein d'une même famille, ceux des enfants nés à l'étranger ne pouvaient devenir Français que par la procédure difficile et parfois hasardeuse de la naturalisation au contraire de leurs frères et soeurs devenus Français par le droit du sol. Finalement rendus aux arguments du Gouvernement, les députés ont voté une disposition, consacrée par l'article 59 de la loi du 7 mars 2016 insérant un article 21-13-2 (N° Lexbase : L9328K4A) dans le Code civil ainsi libellé : "peuvent réclamer la nationalité française à leur majorité, par déclaration souscrite auprès de l'autorité administrative en application des articles 26 (N° Lexbase : L0695KWNà 26-5, les personnes qui résident habituellement sur le territoire français depuis l'âge de six ans, si elles ont suivi leur scolarité obligatoire en France dans des établissements d'enseignement soumis au contrôle de l'Etat, lorsqu'elles ont un frère ou une soeur ayant acquis la nationalité française en application des articles 21-7 (N° Lexbase : L2463ABT) ou 21-11 (N° Lexbase : L5440H7M)". Les personnes remplissant les conditions d'âge d'arrivée en France et d'études en France peuvent désormais, par simple déclaration en préfecture, devenir Français mais seulement à leur majorité. D'autre part, l'accès à la nationalité par cette nouvelle voie d'acquisition n'est pas totalement "libre" puisque le législateur a instauré, à la demande du Gouvernement, un "portique de contrôle" puisque l'article 59 de la loi du 7 mars 2016 dispose que "l'article 21-4 (N° Lexbase : L1171HP3) est applicable aux déclarations souscrites en application du premier alinéa du présent article". Autrement dit, le Gouvernement se réserve le droit, à l'occasion d'une déclaration d'acquisition de la nationalité, de s'y opposer pour indignité ou défaut d'assimilation.

Si des améliorations sont incontestablement introduites, elles restent limitées tant dans leur nombre que dans leur champ d'application : ce qui est donné d'une main, il est souvent tenté de le reprendre de l'autre même si, au final, la balance penche davantage du côté de la protection des droits. L'article 48 modifiant l'article L. 611-12 (N° Lexbase : L9301K4A) en est une illustration saisissante : l'autorité administrative, pour vérifier si les conditions d'obtention du titre de séjour détenu sont toujours valides, peut saisir toute une série d'organismes publics et privés de demandes d'information sur l'étranger, ce qui ressemble fort à de l'intrusion dans la vie privée. D'autre part, que le législateur n'ait pas pris en compte, par exemple, le cas des mineurs entrés en France avant l'âge de treize ans ou qu'il n'ait pas consacré des dispositions spécifiques à la régularisation des étrangers présents irrégulièrement en France depuis au moins dix ans laisse augurer du traitement sévère réservé aux étrangers en situation irrégulière comme le donnent à voir les dispositions prévues en la matière par la nouvelle loi.

II - Des mesures traduisant une continuité prononcée

Les dispositions consacrées à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière donnent la mesure du degré de continuité entre la loi du 7 mars 2016 et les différentes lois publiées depuis 2003. Elles accentuent la sévérité déjà grande du régime de l'OQTF, élargissent les conditions de recours à l'assignation à résidence et limitent la portée de la libre circulation des citoyens européens. A la marge, les nouvelles dispositions réaménagent les conditions d'intervention du juge des libertés et de la détention dans un sens plus favorable à la protection des droits.

1 - L'éloignement forcé et ses modalités d'exécution

Il convient de rappeler très brièvement le régime en vigueur avant la nouvelle loi : un étranger en situation irrégulière peut être éloigné du territoire dans un certain nombre de cas énumérés par la loi. Pour ce faire, l'autorité administrative compétente doit édicter une OQTF pouvant être assortie ou non d'un délai de départ volontaire (DDV) de trente jours. Une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) peut également être prononcé à la même occasion. En cas d'exécution forcée de l'OQTF, la même autorité peut prendre une mesure de placement en rétention administrative d'une durée maximale de quarante-cinq jours ou simplement assigner l'étranger à résidence. C'est ce régime que la nouvelle loi modifie pour le rendre, le plus souvent, plus contraignant pour l'étranger et plus efficace pour l'administration.

La complexification du régime de l'OQTF

Elle résulte à la fois de la création de nouveaux cas d'OQTF et des procédures qui organisent l'éloignement exécutoire. L'OQTF peut intervenir dans le cas des demandeurs d'asile déboutés, dans le cas où l'étranger constitue une menace à l'ordre public et en cas de travail sans autorisation. A l'origine, ces mesures devaient être soumises à une procédure d'urgence remettant en cause les délais de recours habituels. Mais le législateur a finalement renoncé à modifier le régime d'éloignement des déboutés du droit d'asile : introduction d'un chapitre VII bis intitulé "Le contentieux des décisions de maintien en rétention en cas de demande d'asile" correspondant à l'article L. 777-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2244KPS) renvoyant lui-même aux dispositions de droit commun en matière d'OQTF et de droit d'asile (6). S'agissant des deux autres cas d'OQTF, créés par l'article 27 de la loi introduisant un 7° et un 8° dans l'article L. 511-1 (N° Lexbase : L9267K4Y), une procédure accélérée a été retenue dans laquelle le délai de recours au juge administratif est de quinze jours seulement, le tribunal disposant de six semaines pour statuer (Cf. article 27 de la loi ajoutant un 3° I bis à l'article L. 512-1 N° Lexbase : L9266K4X). Le projet initial prévoyait une procédure accélérée avec un délai de sept jours pour la saisine du juge et quinze jours pour le jugement. Toutefois, la procédure de jugement reste sévère et critiquable puisque le même article prévoit que l'audience, à juge unique, "se déroule sans conclusion du rapporteur public" et qu'elle peut se faire, si l'intéressé donne son accord, par visioconférence. Globalement, le régime de l'OQTF, s'il gagne en garantie des droits en cas de placement en rétention en faisant de nouveau intervenir le JLD sous quarante-huit heures contre cinq jours auparavant et en lui confiant tout le contentieux lié au placement et à la prolongation de la rétention, se durcit incontestablement par ailleurs. En effet, une OQTF peut être assortie ou non d'un DDV de trente jours, délai pouvant désormais être prolongé par le préfet. Lorsqu'elle est prononcée sans DDV ou lorsque, accordé, ce délai n'a pas été respecté, l'OQTF est désormais automatiquement assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) pouvant aller jusqu'à une durée de trois ans (cf. l'article 27 de la loi introduisant dans l'article L. 511-1 un III a). En outre, une IRTF d'une durée de deux années au plus peut être prononcée en cas d'une éventuelle menace à l'ordre public ou en raison de "l'historique" lié à une OQTF antérieure (cf. article 28 de la loi introduisant un nouvel article L. 511-3-2 N° Lexbase : L9270K44).

L'assignation à résidence conjuguée à la rétention administrative

Durant les débats sur le projet de loi, le Gouvernement prétendait mettre en conformité la législation avec la Directive "retour" (7) préconisant l'usage prioritaire de l'assignation à résidence. Ainsi, la loi devait être plus favorable à la protection des droits si elle systématisait le recours à l'assignation à résidence au détriment de la rétention qui devait donc rester secondaire. Il était également espéré une diminution de la durée de la rétention actuellement de quarante-cinq jours. Sur les deux points, la loi du 7 mars 2016 diverge. Sur la durée de la rétention, alors que l'expérience montre que la grande majorité des éloignements sont réalisés dans les dix jours suivant le placement en rétention, la durée de quarante-cinq jours est maintenue. Seul le découpage de la période change du fait de l'intervention du JLD désormais possible après un délai de quarante-huit heures au lieu de cinq jours auparavant : quarante-huit heures durant lesquelles l'administration peut procéder à l'éloignement sans intervention d'un juge, ensuite première prolongation pour vingt-huit jours et deuxième prolongation pour quinze jours. S'agissant de l'assignation dont la durée est fixée à six mois, son champ s'est élargi pour offrir à l'autorité administrative un instrument suffisamment souple et en même temps contraignant pour les étrangers visés (cf. article 39 de la loi introduisant un alinéa 8 dans l'article L. 561-1 N° Lexbase : L9292K4W). Elle peut être combinée indéfiniment avec la rétention administrative, passant d'une période de quarante-cinq jours à une période de six mois et ainsi de suite, les périodes de rétention pouvant également se succéder à condition d'être entrecoupées d'une période "libre" de sept jours (cf. article 35 de la loi introduisant un article L. 551-1 N° Lexbase : L9286K4P) Le contrôle des personnes assignées à résidence est renforcé et des rendez-vous auprès des représentations consulaires peuvent être organisés en vue de l'obtention des documents nécessaires à l'éloignement forcé ; si nécessaire, l'étranger récalcitrant y est conduit par les forces de police ou de gendarmerie (cf. article 34 de la loi qui introduit un article L. 513-5 N° Lexbase : L9207K4R). En outre, l'interpellation de l'assigné à résidence au domicile peut intervenir mais sur autorisation préalable du JLD prononcée dans des conditions présentant cependant peu de garantie réelle (cf. article 40 introduisant un point II dans l'article L. 561-2 N° Lexbase : L9293K4X). Enfin, on observera qu'une peine d'emprisonnement de trois ans est encourue par les personnes assignées à résidence en cas de non-respect des conditions d'assignation (cf. ancien article L. 624-4 N° Lexbase : L9304K4D).

2 - Des mesures restrictives ciblées

Outre le fait que la nouvelle loi laisse subsister des standards de droit différents entre ceux applicables en métropole et ceux applicables dans l'outre-mer, attitude pour laquelle la France a été condamnée par le passé par la CEDH mais qui ne fera pas l'objet de commentaires ici, le nouveau texte ne règle pas favorablement le cas du placement des mineurs en rétention. Il crée même une nouvelle mesure frappant les ressortissants des Etats membres de l'UE.

Les mineurs en rétention et en zone d'attente

Logiquement et au regard des engagements internationaux et nationaux, un mineur ne peut faire l'objet d'un éloignement forcé du territoire. Il ne peut donc pas, normalement, être placé en rétention administrative. La pratique est pourtant différente : le mineur n'est pas visé en tant que tel mais en tant qu'enfant d'une famille dont le père et/ou la mère font eux-mêmes l'objet d'un placement en vue de leur éloignement forcé. A ce titre, les autorités pratiquent, à une échelle suffisamment importante pour être condamnée par la CEDH, le "placement par ricochet" d'enfants mineurs en rétention. Une circulaire avait déjà tenté d'apporter une solution à cette épineuse question mais sans interdire l'enfermement des mineurs préconisant simplement de substituer l'assignation à résidence au placement en rétention des familles avec mineurs (8). La loi du 7 mars 2016 n'apporte pas plus de solution définitive à la question. En effet, elle réaffirme la possibilité du placement en rétention "par ricochet" d'un mineur dans son article 35 modifiant l'article L. 551-1 mais seulement "si, en considération de l'intérêt du mineur, le placement en rétention de l'étranger dans les quarante-huit heures précédant le départ programmé préserve l'intéressé et le mineur qui l'accompagne des contraintes liées aux nécessités de transfert". Le fait que le même article ajoute que "l'intérêt supérieur de l'enfant doit être pris en considération primordiale pour l'application du présent article" ne constitue pas une garantie suffisante au regard de la pratique administrative. Une autre préoccupation est relative au sort des mineurs non accompagnés placés en zone d'attente. Dans ce cas également l'intérêt de l'enfant devrait l'emporter sur toutes les autres préoccupations et le mineur a normalement vocation à bénéficier d'une protection spécifique au titre de l'aide sociale à l'enfance (10). Pour ce faire, son admission sur le territoire devrait être la règle. La loi du 7 mars 2016 fait pourtant l'impasse sur cette épineuse question.

L'interdiction de circulation sur le territoire français

Le texte de loi opère une totale innovation en matière de libre circulation européenne. En effet, un ressortissant d'un Etat membre de l'UE peut voir l'OQTF dont il fait l'objet assortie d'une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée maximale de trois ans en cas "d'abus" de sa liberté de circulation ou bien si sa présence constitue "une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française". Cette nouvelle mesure est consacrée par l'article 28 de la loi introduisant un article L. 511-3-2 (N° Lexbase : L9270K44) dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le non-respect de cette interdiction est frappé d'une peine d'emprisonnement de trois ans (cf. article 43 introduisant un article L. 624-1-1 N° Lexbase : L9204K4N). Par cette mesure, qui n'existe pour l'heure dans aucune autre législation européenne, le législateur français touche de près (peut-être même de trop près) à un droit considéré comme "liberté fondamentale" par la CJUE. Ce traitement restrictif de la liberté de circulation des citoyens de l'UE est un bon révélateur, s'il en faut, de l'inventivité des autorités en matière de sévérité et de continuité dans la législation sur le droit des étrangers.

Pour finir sur une note plus optimiste, il convient de signaler que la loi du 7 mars 2016 donne enfin expression à une très ancienne revendication des défenseurs des droits : la possibilité pour les journalistes d'accéder aux zones d'attente et aux lieux de rétention administrative (10). L'article 44 de la loi introduit, à cet effet, deux nouvelles dispositions : l'article L. 221-6 (N° Lexbase : L9205K4P) pour les zones d'attente et L. 533-7 pour les lieux de rétention. Dans les deux cas, cette possibilité est ouverte sous réserve de ne pas porter atteinte à la "dignité des personnes et aux exigences de sécurité et de bon fonctionnement" de la structure concernée. L'article 45 modifie, quant à lui, l'article L. 223-1 (N° Lexbase : L9297K44) pour ouvrir l'accès "aux zones d'attente du délégué du haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés ou de ses représentants ainsi que des associations humanitaires ou ayant pour objet d'aider les étrangers à exercer leurs droits".

En définitive, la loi relative au droit des étrangers en France présente bien les caractéristiques d'un texte à la recherche de son point d'équilibre : bien accueillir pour bien intégrer mais en même temps bien renvoyer ceux parmi les étrangers qui ont forcé ou abusé de l'hospitalité. Dans cette entreprise acrobatique, le pari de l'accueil est loin d'être gagné tandis que celui de l'éloignement forcé peine à s'inscrire totalement dans le cadre de l'Etat de droit, objectif que se fixait le Gouvernement et qui s'avère, dans de nombreux cas, un simple alibi. Si le texte est plus protecteur pour les victimes de violences familiales, pour les parents d'enfants français ou d'enfants arrivés à l'âge de six ans qui peuvent plus facilement devenir Français, c'est au prix de l'enfermement des mineurs en lieu de rétention et en zone d'attente ou encore de l'automaticité des interdictions de territoire et autre interdiction de circulation. C'est aussi au prix de la généralisation de l'assignation à résidence dans des conditions ne présentant pas toutes les garanties nécessaires. C'est enfin au prix du renoncement aux règles minimales de l'Etat de droit dans l'outre-mer en matière d'entrée, de séjour et d'éloignement des étrangers.


(1) Adopté en Conseil des ministres le 23 juillet 2014, examiné par la Commission des lois le 1er juillet 2015 puis en séance du 20 au 23 juillet 2015. Modifié par le Sénat à deux reprises, le projet de loi est définitivement adopté par l'Assemblée Nationale le 18 février 2016.
(2) Cons. const. décision n° 2016-728 DC du 3 mars 2016 (N° Lexbase : A0432QEQ).
(3) Loi n° 84-622 du 17 juillet 1984, portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 et du Code du travail et relative aux étrangers séjournant en France et aux titre uniques de séjour et de travail (N° Lexbase : L2699K74).
(4) Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative l'immigration et à l'intégration (N° Lexbase : L3439HKL).
(5) Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4).
(6) Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA).
(7) Directive 2008/115/CE du parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (N° Lexbase : L3289ICS).
(8) Circulaire du 6 juillet 2012, mise en oeuvre de l'assignation à résidence prévue à l'article L. 561-2 CESEDA, en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de l'article L. 551-1 du même code (N° Lexbase : L6862ITC).
(9) Voir, par exemple, la circulaire interministérielle du 25 janvier 2016, relative à la mobilisation des services de l'Etat auprès des conseils départementaux concernant les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et les personnes se présentant comme tels (N° Lexbase : L2701K78).
(10) Possibilité déjà ouverte pour les prisons et les centres éducatifs fermés par la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015, portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (N° Lexbase : L4255I84).

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Droit des personnes

[Brèves] Le droit au respect de la vie privée n'appartient pas aux personnes morales !

Réf. : Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 15-14.072, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6437Q7K)

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Le 29 Mars 2016

Les personnes morales ne peuvent se prévaloir du droit au respect de la vie privée ; telle est la solution qui se dégage de l'arrêt rendu le 17 mars 2016 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 15-14.072, FS-P+B+I N° Lexbase : A6437Q7K). En l'espèce, Mme C. était propriétaire d'un immeuble, qu'elle avait donné à bail à son fils pour y développer une activité de location saisonnière et de réception, et dont l'accès s'effectuait par un passage indivis desservant également la porte d'accès au fournil du fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie exploité par une société. Reprochant à M. et Mme C. d'avoir installé sur leur immeuble un système de vidéo-surveillance et un projecteur dirigés vers ledit passage, la société avait saisi le juge des référés, sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile, pour obtenir le retrait de ce dispositif, ainsi qu'une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice résultant de l'atteinte à sa vie privée et de son préjudice moral. Pour ordonner le retrait du matériel de vidéo-surveillance et du projecteur, la cour d'appel d'Orléans avait relevé que l'usage de ce dispositif n'était pas strictement limité à la surveillance de l'intérieur de la propriété de M. et Mme C., que l'appareil de vidéo-surveillance enregistrait également les mouvements des personnes se trouvant sur le passage commun, notamment au niveau de l'entrée du personnel de la société, et que le projecteur, braqué dans la direction de la caméra, ajoutait à la visibilité ; elle avait retenu que l'atteinte ainsi portée au respect de la vie privée de la société constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser (CA Orléans, 17 novembre 2014, n° 14/01423 N° Lexbase : A3301M3N). A tort. La décision est censurée, au visa des articles 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K), par la Cour suprême qui relève que, si les personnes morales disposent, notamment, d'un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du Code civil, de sorte que la société ne pouvait invoquer l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant d'une telle atteinte.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le caractère non déductible des frais d'acquisition d'un fonds de commerce

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 26 février 2016, n° 383930, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4476QD7)

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par Florent Roemer, Docteur en droit de l'Université Paris II Panthéon-Assas, Ancien élève de l'Ecole Nationale des Impôts, Doyen de la Faculté de droit, économie et administration de Metz, Membre de l'Institut François Gény (Université de Lorraine)

Le 24 Mars 2016

La Haute juridiction administrative, dans un arrêt rendu le 26 février 2016, a décidé que le coût d'acquisition des éléments constituant un fonds de commerce ne peut être qualifié de charge déductible de l'entrepris lorsque cette acquisition vise exclusivement à agrandir ses locaux et non à poursuivre l'activité du fonds de commerce (CE 3° et 8° s-s-r., 26 février 2016, n° 383930, mentionné aux tables du recueil Lebon). Au cas présent, la société requérante (une pharmacie) a fait l'acquisition du fonds de commerce de bar et de brasserie relatif aux locaux jouxtant son propre établissement et a inscrit cet élément à l'actif immobilisé du bilan clôturé le 31 décembre 2007. En 2008, cette société a conclu un nouveau bail afin d'exercer une activité de pharmacie et de parapharmacie dans les locaux nouvellement acquis. Selon la société, les sommes versées pour l'acquisition des éléments du fonds de commerce de bar et de brasserie doivent être considérées comme une charge déductible dans la mesure où l'opération n'avait pour but que d'agrandir la pharmacie et non pas de poursuivre l'activité de bar et de brasserie. En outre, la société requérante considère que la somme versée pour le rachat du fonds de commerce peut être analysée comme une indemnité d'éviction versée par le propriétaire en cas de non-renouvellement du bail de son locataire. L'analyse du contribuable est remise en cause par l'administration fiscale, qui est suivie par le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 21 juin 2013, n° 1217334 N° Lexbase : A2262QYG), et par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 24 juin 2014, n° 13PA02507 N° Lexbase : A6611MSN). Dans cette affaire se posent donc la question du traitement fiscal du fonds de commerce (I) et celle de l'indemnité d'éviction (II).

I - Le traitement fiscal du fonds de commerce

Les dépenses intégrées dans les frais généraux se traduisent par une diminution de l'actif net de l'entreprise et sont immédiatement déductibles du résultat imposable, à la différence des dépenses qui contribuent à l'acquisition d'un droit ou d'un bien qui demeurent durablement dans l'entreprise et qui doivent être inscrits à l'actif immobilisé dont ils participent à l'enrichissement. La déduction est alors opérée par la constatation d'amortissements, le cas échéant. Lorsqu'il s'agit des frais d'acquisition d'éléments incorporels, leur qualification d'immobilisation dépend du fait que ceux-ci procurent à l'entreprise une source régulière de profit, ce qui peut être le cas des éléments constitutifs d'un fonds de commerce. Celui-ci est composé d'un ensemble d'éléments concourant à constituer une unité économique dont l'objet est de nature commerciale, comprenant des éléments corporels, tels que le matériel, les marchandises et les équipements, et des éléments incorporels, tels que la clientèle, le droit au bail et le nom commercial. Au sens juridique, le fonds de commerce est un "meuble incorporel" qui constitue une universalité juridique.

L'acquisition du fonds de commerce peut être effectuée soit en début d'activité, soit en cours d'activité par le biais d'une entreprise préexistante. Quelles que soient les modalités d'acquisition de ce fonds de commerce, les dépenses exposées sont exclues des charges déductibles, car elles sont considérées comme contribuant à l'acquisition d'un élément de l'actif de l'entreprise. Ainsi, par exemple, le prix payé par un entrepreneur de transports pour l'acquisition d'un fonds de pâtisserie, situé dans le même immeuble que le siège de son établissement, en vue d'étendre son activité à l'exploitation d'une agence de voyages, engendre une augmentation de valeur du fonds de commerce inscrit à l'actif de l'entreprise et, même si l'entrepreneur considère que la clientèle du fonds acheté ne présente pour lui aucune valeur, celle-ci ne peut pas être considérée comme une charge déductible (1). Il en est de même lorsque l'acquisition du fonds est suivie de la démolition des murs et de l'installation au même emplacement d'un magasin vendant les mêmes articles que précédemment, le prix d'acquisition du fonds ayant eu pour contrepartie l'entrée d'un nouvel élément d'actif dans le patrimoine de la société, ne peut être regardé comme une dépense de premier établissement dont l'amortissement serait déductible (2). En revanche, si après acquisition du fonds, les locaux sont détruits et un nouveau magasin entièrement distinct du précédent est construit, le prix d'acquisition du fonds et les indemnités versées aux propriétaires peuvent être considérés comme des frais de premier établissement, amortissables sur les premiers exercices bénéficiaires (3). Enfin, les frais d'acquisitions d'une entreprise concurrente, qu'il s'agisse de l'acquisition du fonds de commerce ou de la clientèle, ne sont pas davantage déductibles des résultats imposables, dans la mesure où l'opération conduit à l'entrée dans le patrimoine de l'entreprise d'un nouvel élément d'actif (4). C'est le cas de l'achat des actions d'une société concurrente dissoute un an après l'opération dans la mesure où il a conduit à une augmentation de la valeur de l'actif du fait de l'appropriation d'une partie de la clientèle (5).

Au-delà des opérations concernant le fonds de commerce lui-même, d'autres opérations ayant pour conséquence de transférer une clientèle au profit d'une entreprise se voient appliquer le même raisonnement. C'est le cas de l'acquisition de la clientèle (6). C'est également le cas d'un engagement de non-concurrence qui peut être considéré comme un élément incorporel de l'actif immobilisé si, en raison de son ampleur, de sa durée et du degré de protection qu'il implique, il conduit à un accroissement de la valeur de l'actif incorporel de l'entreprise, notamment par le gain de parts de marché. L'intensité de l'engagement de non-concurrence est déterminante et nécessite une analyse économique : si les engagements ont pour conséquence d'obtenir de nouvelles parts de marché, ils contribuent à augmenter la valeur de l'actif, à la différence des engagements qui n'ont que pour effet de préserver et de maintenir la clientèle déjà existante de l'entreprise (7). Par ailleurs, lors de la rupture d'un engagement de non-concurrence il convient de déterminer si les sommes versées constituent une charge déductible ou bien si elles ont permis l'acquisition d'un élément d'actif. Les versements qui sont la contrepartie d'un détournement de clientèle représentent l'acquisition d'un élément d'actif incorporel. Au contraire, les sommes qui ont un caractère indemnitaire et réparent le dommage causé au concurrent en le désorganisant peuvent être considérées comme des charges.

Pour ce qui concerne l'acquisition d'un droit au bail, les versements effectués par le nouveau locataire d'un local commercial conduisent nécessairement à l'acquisition d'une immobilisation incorporelle et ne peuvent pas être considérées comme des charges déductibles. Les dépenses exposées en vue d'obtenir la conclusion d'un bail au profit de l'entreprise versante ont pour contrepartie l'entrée d'un élément d'actif dans le patrimoine de celle-ci ; elles ne peuvent, en conséquence, être regardées ni comme des dépenses de premier établissement, ni comme une charge d'exploitation déductible.

En l'espèce, l'administration fiscale a refusé l'argument consistant à considérer que les frais devaient être considérés comme des charges déductibles dans la mesure où l'acquisition visait exclusivement à agrandir la pharmacie, et non pas à poursuivre l'activité de bar et de brasserie. Cette position est logiquement confirmée par les juges dans la mesure où, comme le rappelle le Conseil d'Etat, les éléments d'un fonds de commerce doivent être nécessairement inscrits à l'actif du bilan de l'entreprise et doivent suivre le régime fiscal des éléments incorporels de l'actif immobilisé, même si l'activité initiale du fonds de commerce acquis par l'entreprise est différent de l'activité qui sera effectivement exercée.

II - Le traitement fiscal de l'indemnité d'éviction

En principe, l'indemnité d'éviction versée par une entreprise propriétaire à un de ses locataires pour le renouvellement du bail des locaux dont elle veut reprendre la disposition peut, dans la mesure où elle ne présente pas un caractère exagéré, soit être considérée comme une charge déductible des résultats de l'exercice au cours duquel elle a été versée, soit faire l'objet d'un amortissement échelonné. En revanche, si le propriétaire exerce dans les locaux dont il a repris la disposition un commerce identique à celui antérieurement exercé l'indemnité d'éviction représente notamment le prix d'acquisition de la clientèle du locataire et ne peut pas être déduite dans le cadre de la détermination du résultat fiscal. C'est le cas par exemple, lorsqu'un contribuable, exploitant une entreprise de transports routiers de voyageurs et concessionnaire d'une marque d'automobiles, reprend, moyennant le versement d'une indemnité d'éviction, la disposition des locaux dont il est propriétaire et dans lesquels il entreprend la profession de garagiste et de distributeur d'essence qui y étaient précédemment exercée par le locataire évincé, il bénéficie, en fait, de la clientèle de ce dernier et ne peut, par la suite, déduire de ses bénéfices l'intégralité de l'indemnité susvisée, car celle-ci a eu notamment pour contrepartie une augmentation de valeur de son propre fonds de commerce (8).

C'est pour cette raison que la société requérante souhaite que les frais engagés pour l'acquisition du fonds de commerce soient analysés comme une indemnité d'éviction, afin de pouvoir les déduire de son résultat. Toutefois, le Conseil d'Etat rappelle que la pharmacie n'était pas propriétaire des locaux concernés et que, dans ces conditions, la somme versée ne peut pas être regardée comme une indemnité d'éviction.


(1) CE 7° s-s., 20 décembre 1967, n° 66562 et 66563, Dupont, 1968, p. 140 ; D. adm. 4 C-21-11 n° 6, 30 octobre 1997 ; BOFIP-BIC-CHG-20-10-20, § 40 (N° Lexbase : X4655ALY).
(2) CE 7° s-s., 12 novembre 1945, n° 72288 et n° 72417, RI, 6458-1 ; dans le même sens, CE 7° s-s., 2 juin 1942, n° 66009, RO, 21ème vol., p. 132.
(3) CE, 20 décembre 1937, n° 58082, RO, p. 730, Dupont, 1938, p. 170.
(4) CE, 6 mars 1931, n° 6003, RO, 5570, Dupont, 1931, p. 408 ; CE 8° s-s., 30 janvier 1939, n° 61712, RO, 19ème vol., p. 48 ; CE 8° s-s., 21 mars 1938, n° 56913, RO, 18ème vol., p. 185 ; D. adm. 4 C-2-31 n° 10, 30 octobre 1997 ; BOFIP-BIC-CHG-20-30-20, § 80 (N° Lexbase : X3891ALP).
(5) CAA Nancy, 9 juillet 1991, n° 89NC01093 (N° Lexbase : A4641A8E).
(6) CE 8° s-s., 27 février 1950, n° 98252, RO, 25ème vol., p. 20 ; CE 8° s-s., 8 juillet 1960, n° 44364, Dupont, 1960, p. 447, RO, p. 122 ; CE 7° et 8° s-s-r., 15 février 1978, n° 5305 (N° Lexbase : A4217AIZ), RJF, 4/78, n° 153 ; CAA Lyon, 17 juin 1992 n° 90LY00756 (N° Lexbase : A3148A84) ; CAA Paris, plén., 5 décembre 1995, n° 93PA00909 (N° Lexbase : A8266BHM), RJF, 1/96, n° 9 ; CAA Lyon, 20 octobre 2009, n° 07LY00299 (N° Lexbase : A4066EPB), RJF, 3/10, n° 203.
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 3 novembre 2003, n° 232393, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0892DAB).
(8) CE, 11 mai 1964, n° 58730 ; BOFIP-BIC-CHG-20-10-20, 3 février 2016, § 80, préc..

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Représentant en France d'une société étrangère imposable en France : portée de cette désignation

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 16 mars 2016, n° 376141, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2181Q8B)

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N1948BW3

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Le 29 Mars 2016

Dès lors qu'une société étrangère imposable en France a déclaré à l'administration fiscale un représentant en France en application de l'article 223 quinquies A du CGI (N° Lexbase : L4682I7K), le mandat ainsi donné à ce mandataire emporte élection de domicile auprès de lui aussi bien, sauf mention contraire, pour les actes relatifs à son imposition à l'impôt sur les sociétés que pour son imposition à la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des entités juridiques. Par suite, ce mandataire doit, en principe, être destinataire de la notification de redressements (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4). Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 16 mars 2016 (CE 3° et 8° s-s-r., 16 mars 2016, n° 376141, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2181Q8B). En l'espèce, un avocat avait souscrit pour le compte de la société requérante des déclarations au titre de la taxe sur la valeur vénale des immeubles détenus par des entités juridiques, relatives aux immeubles qu'elle détenait en France en se présentant comme le représentant fiscal de cette société en application de l'article 223 quinquies A du CGI. Cette société, qui ne conteste pas l'existence d'un mandat en ce sens, n'établit pas qu'elle l'aurait limité à la seule taxe sur la valeur vénale des immeubles détenus par des entités juridiques. Ainsi, la Haute juridiction a bien constaté l'existence d'un mandat emportant élection de domicile de la société au cabinet de cet avocat pour les impositions en litige, lui permettant en conséquence de recevoir et de répondre aux mises en demeure de déposer les déclarations d'impôt sur les sociétés. Dès lors, il est possible d'étendre à l'impôt sur les sociétés le mandat donné à l'avocat pour la taxe sur la valeur vénale des immeubles détenus par des entités juridiques, et ceci malgré l'argumentation de la société requérante relative au fait que son conseil n'aurait pas été investi d'un mandat pour recevoir les communications de l'administration fiscale préalables à toute procédure d'imposition. Cette décision reprend un principe dégagé en 2009 par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r, 3 juillet 2009, n° 294227, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5602EIC) .

newsid:451948

Licenciement

[Jurisprudence] A propos du reclassement au sein du "groupe" des salariés licenciés pour motif économique : quand le Conseil d'Etat adopte la définition de la Cour de cassation

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 9 mars 2016, n° 384175, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5428QYP)

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N1900BWB

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 24 Mars 2016

Ceux qui pouvaient encore douter que de la qualité du dialogue des juges de cassation se rassureront, la concertation entre la Cour de cassation et le Conseil d'Etat produit chaque jour de nouvelles harmonies, comme le montre ce nouvel arrêt du Conseil d'Etat en date du 9 mars 2016 et qui adopte à son tour la définition du "groupe" au sein duquel l'employeur doit tenter de reclasser le salarié licencié pour motif économique (I). L'adoption du critère de la permutabilité du personnel n'est pas une véritable surprise, et doit être saluée, au moins parce qu'elle met les deux ordres de juridictions sur la même longueur d'onde ; mais ce critère est-il parfaitement satisfaisant, compte tenu de l'abondant contentieux qu'il entraîne ? Rien n'est moins sur (II).
Résumé

Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel, et ne peut se contenter de relever que les entreprises avaient ou avaient eu des dirigeants en commun, des activités comparables et que plusieurs de leurs documents comportaient un même logo mentionnant leur appartenance à un même "groupe".

Commentaire

I - Le groupe comme cadre de l'obligation de reclassement

Cadre applicable. Le droit du travail fait volontiers appel à la notion de "groupe", soit pour la constitution d'une instance spécifique, le comité de groupe, soit en matière de licenciement pour motif économique pour apprécier la pertinence des difficultés économiques alléguées par l'employeur, le caractère suffisant des moyens mis en oeuvre dans le plan de sauvegarde de l'emploi, ou encore pour vérifier que l'employeur a satisfait à son obligation individuelle de reclassement.

La diversité des effets attachés à la reconnaissance du groupe, singulièrement entre le groupe, cadre de mise en place d'une institution représentative du personnel, et le groupe comme cadre d'appréciation des obligations pesant sur l'employeur en matière de licenciement, induit des différences d'appréciation qui peuvent nuire à la bonne compréhension de la notion même qui apparaît essentiellement fonctionnelle et donc relative, au grand dam des entreprises qui aimeraient sans doute, et on les comprend, avoir un peu plus de lisibilité sur le périmètre exact de leurs obligations.

S'agissant singulièrement du périmètre de l'obligation individuelle de reclassement qui pèse sur l'employeur qui prononce un licenciement pour motif économique, l'article L. 1233-4 du Code du travail (N° Lexbase : L2149KGP) dispose que "le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie."

Le critère essentiel dégagé par la Cour de cassation est celui de la permutabilité du personnel qui va permettre d'identifier empiriquement ce qu'on a coutume d'appeler le "groupe de reclassement" (1), cette notion de "groupe" ne devant pas se confondre avec celle qui détermine la mise en place d'un comité de groupe et qui dépend des critères posés par le Code de commerce (2).

La Cour de cassation refuse toutefois de consacrer abstraitement l'existence d'un groupe de reclassement, en l'absence de "groupe sociétal", à partir de données comme "l'adhésion d'une mutuelle de santé à une fédération nationale" (3), "l'adhésion à un GIE" (4), le fait d'intervenir directement pour le compte d'une société (5), ou l'adhésion d'un professionnel libéral à un ordre professionnel (6).

Jusqu'à aujourd'hui, il apparaissait que le Conseil d'Etat et la Cour de cassation n'avaient pas nécessairement la même approche du groupe et singulièrement que le Conseil d'Etat avait semblé se référer à une conception plus institutionnelle du groupe (7), même s'il avait pris la peine de dissocier formellement les deux notions (8), généralement pour restreindre le reclassement à certaines entreprises du groupe, singulièrement à celles "dont les activités ou l'organisation offrent à l'intéressé la possibilité d'exercer des fonctions comparables" (9).

De nombreuses juridictions administratives s'étaient toutefois déjà converti au critère de la permutabilité du personnel pour circonscrire le périmètre du "groupe de reclassement" (10), et se fondent sur des indices de permutabilité comme le fait que les différentes entreprises sont intégrées dans une plateforme internet commune aux différentes entités recensant des offres d'emploi disponibles et accessibles aux salariés des différentes entités (11), ou encore l'examen des permutations passées opérées dans de précédentes opérations de restructurations (12).

Désormais, le critère officiel du groupe de reclassement admis par le Conseil d'Etat est donc celui de la permutabilité du personnel.

L'affaire. Un salarié protégé avait été licencié pour motif économique et contesté la légalité de l'autorisation administrative de licenciement d'abord dans le cadre d'un recours hiérarchique, qui avait été rejeté, puis contentieux, notamment au regard du non-respect par son employeur de l'obligation de reclassement. Il avait obtenu gain de cause, ce que contestait son employeur dans le cadre de son pourvoi.

La cour administrative d'appel de Douai, qui avait confirmé le jugement d'annulation, avait considéré que l'employeur avait manqué à son obligation de reclassement, ce qui aurait dû conduire l'autorité administrative à refuser d'autoriser le licenciement, pour ne pas avoir proposé au salarié des emplois disponibles dans une autre entreprise faisant partie du même "groupe" au sens où l'entend l'article L. 1233-4 du Code du travail. Pour parvenir à cette conclusion, les juges du fond s'étaient fondés, comme d'autres avant eux d'ailleurs (13), sur la dénomination des sociétés, ainsi que sur leurs logos, faisant apparaître la même dénomination commerciale (créant une sorte de groupe apparent), ainsi que sur l'identité de certains de leurs dirigeants, et de leurs activités.

C'est ce qui vaut à cet arrêt d'être cassé, le Conseil d'Etat reprochant ici aux juges du fond une erreur de droit ayant consisté à n'avoir pas recherché "en quoi les relations existant entre ces entreprises leur permettaient d'effectuer la permutation de tout ou partie de leur personnel de n'avoir pas caractérisé".

II - Une harmonie en demi-teinte

Une première. C'est la première fois que le Conseil d'Etat définit de manière aussi nette le périmètre du groupe de reclassement en s'inspirant directement de la jurisprudence de la Cour de cassation constante depuis 1992. Pour la Haute juridiction administrative, en effet, il résulte des dispositions de l'article L. 1233-4 du Code du travail "que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel".

Cette consécration n'est pas véritablement une surprise, les cours administratives d'appel ayant largement ouvert la voie et le Conseil d'Etat ayant fait évoluer ces dernières années sa jurisprudence dans le sens de ce rapprochement. On sait également que les deux Hautes juridictions dialoguent au quotidien pour s'harmoniser, qu'il s'agisse des questions de filtrage des QPC ou de justification des licenciements pour les salariés ordinaires et protégés, comme l'avait démontré fin 2013 la très discutée prise de position commune sur le licenciement des salariés protégés inaptes (14).

Une question plus globale d'opportunité. Reste à s'interroger, au-delà de la satisfaction qu'on peut éprouver à voir les deux juridictions s'harmoniser sur le périmètre ainsi défini à l'obligation de reclassement de l'employeur, sur le caractère on non satisfaisant de cette jurisprudence.

Le moins qu'on puisse dire, à simplement observer l'importance du contentieux suscité par la délimitation de ce "groupe de reclassement", est qu'il n'est pas de nature à sécuriser les procédures et que les juges du fond éprouvent des difficultés certaines à répondre aux attentes des juridictions suprêmes, compte tenu du nombre importants de cassations qui interviennent dans ces affaires (et comme cela était d'ailleurs le cas ici).

Une clarification législative semblerait donc nécessaire, comme elle a déjà eu lieu ces dernières années s'agissant des entreprises situées à l'étranger, au travers du questionnaire de mobilité mis en place en 2010 (loi n° 2010-499 du 18 mai 2010, visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement N° Lexbase : L2472IMI) puis des dispositions introduites finalement par la loi "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC) (15).

Cette modification ne devrait pas, en principe, résulter des dispositions de la loi "El Khomri". On sait que l'article 30 bis du projet initial prévoyait de redéfinir le motif économique de licenciement, avant que ces dispositions ne soient réécrites par le Gouvernement après la concertation menée avec les syndicats, et rien ne devrait être modifié dans le Code concernant le périmètre de l'obligation de reclassement.

A l'heure où des modifications du Code du travail sont envisagées, il ne serait certainement pas inutile de penser non pas nécessairement en termes d'allègement des obligations qui pèsent sur les entreprises, mais de prévisibilité de la norme, ce qui impliquerait que le législateur prenne la peine de définir lui-même, et de manière à la fois plus précise et plus opérationnelle, la notion de "groupe" de reclassement, par exemple en limitant celle-ci aux groupes juridiquement constitués, pour éviter les incertitudes actuelles.


(1) Cass. soc., 25 juin 1992, n° 90-41.244 (N° Lexbase : A3715AAT). Dernièrement, Cass. soc., 4 février 2016, n° 14-26.996, F-D (N° Lexbase : A3217PKD). Sur cette notion lire P. Morvan, Restructurations en droit social, LexisNexis, 3ème édition, 2013, n° 741.
(2) Cass. soc., 31 janvier 2001, n° 98-43.897 (N° Lexbase : A9576ASH) : "le groupe au sein duquel les possibilités de reclassement doivent être recherchées, en cas de licenciement pour motif économique, ne se confond pas avec le groupe juridiquement défini par l'article L. 439-1 du Code du travail relatif à la constitution du comité de groupe mais s'entend de l'ensemble formé par les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel". Dans le même sens, Cass. soc., 7 octobre 2015, n° 14-12.871, F-D (N° Lexbase : A0483NT3).
(3) Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-16.007, FS-D (N° Lexbase : A5999NTD).
(4) Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-17.995, F-D (N° Lexbase : A0891NYN).
(5) Cass. soc., 11 décembre 2015, n° 14-19.039, F-D (N° Lexbase : A1849NZI).
(6) Cass. soc., 20 janvier 2016, n° 14-18.416, F-D (N° Lexbase : A5598N44).
(7) CE 8° et 3° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 199320, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2065AIC) ; dernièrement CE 4° et 5° s-s-r., 3 février 2016, n° 389223, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5071PKZ).
(8) CE 4° s-s., 5 décembre 2008, n° 299166, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7026EBT) : "pour se prononcer sur l'existence d'un groupe au sein duquel les possibilités de reclassement doivent être recherchées en cas de licenciement d'un salarié protégé pour motif économique, la cour n'était pas tenue de se référer expressément aux dispositions de l'article L. 439-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6465ACG) relatives au comité de groupe".
(9) CE, 17 novembre 2000, n° 208993, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9613AHI).
(10) La cour administrative d'appel l'avait appliqué dès 1999 : CAA Paris, 3ème ch., 17 juin 1999, n° 98PA00345 (N° Lexbase : A0266BIP), "le ministre n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la société n'avait pas à procéder à des recherches de reclassement externe au sein du groupement d'intérêt économique Réseau Plus au sein duquel la permutation du personnel n'était pas envisageable" ; également CAA Paris, 8ème ch., 21 décembre 2012, n° 11PA01904 (N° Lexbase : A1590I8E) ; CAA Marseille, 7ème ch., 28 mai 2013, n° 11MA03020 (N° Lexbase : A9531MQ3) ; CAA Bordeaux, 6ème ch., 26 octobre 2015, n° 14BX01748 (N° Lexbase : A6643NUL) ; CAA Lyon, 6ème ch., 3 mars 2016, n° 15LY02705 (N° Lexbase : A2828Q7U), "groupe constitué par les différentes maisons familiales et rurales, et notamment des 63 MFR de Rhône-Alpes dans lesquelles une permutabilité était possible" ; et, pour la même union, la même solution, CAA Lyon, 6ème ch., 7 juillet 2015, n° 14LY00680 (N° Lexbase : A3000NRK).
(11) CAA Versailles, 4ème ch., 8 décembre 2015, n° 14VE00226 (N° Lexbase : A0481NZT) : "comme le fait qu'une fédération d'établissements spécialisés collationne et diffuse les offres d'emploi des associations adhérentes", attestant ainsi "des possibilités de permutation de personnel spécialisé".
(12) CAA Versailles, 4ème ch., 7 juillet 2015, n° 14VE01917 (N° Lexbase : A6567NUR) : "des possibilités de permutation de personnel sont possibles entre les différentes sociétés SPS, comme le soulignent les correspondances des sociétés anglaise, norvégienne, américaine qui répondaient à des demandes de reclassement".
(13) Déc. citées préc..
(14) CE 4° et 5° s-s-r., 20 novembre 2013, n° 340591, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9491KP9) et Cass. soc., 27 novembre 2013, n° 12-20.301, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4722KQX), lire, nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 551, 2013 (N° Lexbase : N9837BTI).
(15) Nouvelle rédaction de l'article L. 1233-4-1 (N° Lexbase : L2148KGN), issu de la loi n° 2015-990, qui subordonne le reclassement à l'étranger à une demande expresse du salarié.

Décision

CE 4° et 5° s-s-r., 9 mars 2016, n° 384175, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5428QYP)

Cassation (cour administrative d'appel de Douai, 3 juillet 2014, arrêt n° 13DA02056 N° Lexbase : A4321Q8K)

Texte concerné : C. trav., art. L. 1233-4 (N° Lexbase : L2149KGP).

Mots clef : salariés protégés ; licenciement pour motif économique ; obligation de reclassement ; groupe.

Lien base : (N° Lexbase : E4776EX8).

newsid:451900

Licenciement

[Brèves] Nullité du licenciement du salarié ayant engagé une action en justice contre l'employeur

Réf. : Cass. soc., 16 mars 2016, n° 14-23.589, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3418Q84)

Lecture: 2 min

N1894BW3

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Le 25 Mars 2016

Est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié. Telle est la solution retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 16 mars 2016 (Cass. soc., 16 mars 2016, n° 14-23.589, FS-P+B+R N° Lexbase : A3418Q84 ; voir en ce sens, Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-11.740, FP-P+B+R N° Lexbase : A6281I7R).
Dans cette affaire, M. A. a été engagé, selon un contrat à durée déterminée du 1er juillet 2009, par la société A. en qualité de technicien sur ligne de production puis d'approvisionneur gestionnaire. Avant le terme de ce contrat, il a été embauché le 29 décembre 2010 par la société P. et mis à la disposition de la société A., devenue la société S., sur le même poste. Enfin le 29 juin 2011, il a conclu un CDD avec terme au 31 décembre 2012 avec la société S., contrat portant sur le même poste de gestionnaire. Le salarié a alors saisi la juridiction prud'homale aux fins notamment d'obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée. Le conseil des prud'hommes, après saisine par le salarié, a ordonné à l'employeur de maintenir le contrat de travail jusqu'à l'intervention de la décision au fond. Le 22 mars 2013, l'employeur accède à la demande de requalification du salarié et le convoque ensuite à un entretien préalable ; le salarié est ainsi licencié le 19 avril 2013 pour insuffisance professionnelle. M. A. a donc demandé la nullité du licenciement, sa réintégration et le paiement de dommages-intérêts. La cour d'appel refuse la demande du salarié au motif que les conditions de l'ordonnance ont été respectées durant l'instance, de sorte que les dispositions de celle-ci ont épuisé leurs effets et que les droits fondamentaux de ce salarié ont été respectés. La réintégration après le licenciement d'un salarié ne bénéficiant pas d'une protection légale ne peut être ordonnée en l'état de la législation et les droits fondamentaux du salarié n'ont pas été compromis par la volonté de l'employeur de mettre fin au contrat.
Le salarié forme alors un pourvoi en cassation auquel la Haute juridiction accède. Au visa des articles L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B) et 6, § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et en énonçant le principe susvisé, elle casse et annule l'arrêt de la cour d'appel. Les juges du fond, qui se sont abstenus de recherche si l'employeur avait utilisé son pouvoir de licencier en rétorsion à l'action en justice du salarié, ont violé les textes susmentionnés (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9237ESW).

newsid:451894

Notaires

[Textes] La réforme du tarif des notaires

Réf. : Décret n° 2016-230 du 26 février 2016, relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice (N° Lexbase : L7816K4A)

Lecture: 14 min

N1964BWN

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par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Lyon III

Le 25 Mars 2016

La réforme du tarif des notaires, si longtemps annoncée, entre désormais en vigueur. Le contraste est néanmoins saisissant entre les intentions de départ et le résultat final. La question avait été initiée par M. Montebourg, alors qu'il était ministre de l'Economie, lors d'une saisine de l'Autorité de la concurrence sur la question du tarif des professions juridiques réglementées, et spécialement sur la question du tarif des notaires (Aut. conc. n° 15-A-02, 9 janvier 2015, relatif aux questions de concurrence concernant certaines professions juridiques réglementées N° Lexbase : X3082APT). Elle était toutefois très orientée, puisqu'elle incitait à distinguer entre, d'une part, un domaine d'exception constitué d'un champ présupposé non-économique et relevant de l'exercice de l'autorité publique, et, d'autre part, un domaine de services juridiques au sens large, où la fixation normale de la rémunération était jugée devoir se faire selon la loi de l'offre et de la demande. L'intention initiale n'était donc rien de moins qu'une libéralisation aussi étendue que possible du tarif des notaires. La loi dite "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC) abandonnait déjà une large part de ce programme initial en insérant sept nouveaux articles au Code de commerce, destinés à servir de cadre législatif au tarif des notaires (1). Le principe d'un tarif réglementé pour les notaires était maintenu (2). La liberté du tarif était confirmée dans les hypothèses d'activité concurrente avec les avocats, sous réserve d'une convention écrite préalable d'honoraires, devant prendre en compte les usages, la situation de fortune du client, la difficulté de l'affaire, les frais exposés, la notoriété du professionnel et ses diligences (3). Deux grandes nouveautés apparaissaient toutefois. D'une part, le tarif ne relève plus du seul ministre de la Justice, mais relève désormais d'un arrêté conjoint avec le ministre de l'Economie (4). D'autre part et surtout, la loi fixe désormais trois grands principes encadrant la fixation du tarif par l'autorité réglementaire (5) :

- tout d'abord, le tarif réglementé doit prendre en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs ;

- ensuite, et par exception au point précédent, le pouvoir réglementaire a la possibilité de prévoir une péréquation des tarifs, où certains actes lucratifs viendraient compenser d'autres peu rémunérateurs. Pour ce faire, est laissée au pouvoir réglementaire la liberté de convenir de tarifs proportionnels aux droits en cause, passé un seuil fixé par arrêté ;

- enfin, dans les hypothèses de tarif proportionnel, et passé un seuil fixé par arrêté, est donnée la possibilité aux professionnels d'octroyer des remises, dans une limite fixée réglementairement, à condition que cette remise soit fixe et identique pour tous.

L'entrée en vigueur effective de la réforme restait toutefois conditionnée à des décret et arrêté qui viennent d'être publiés il y a peu (6). Le Gouvernement semble s'être quelque peu désintéressé des détails de la question ; en témoigne le communiqué de presse des ministres concernés, qui manifeste une connaissance en partie erronée du nouveau tarif qu'ils viennent pourtant de décider (7). Surtout, l'Autorité de la concurrence a été quelque peu contrariée dans son intention : elle aurait souhaité pouvoir, en simplifiant, fixer un plafond global de rémunération des offices, dont il aurait ensuite été déduit le tarif des actes effectués (8). Mais, après consultation du Conseil d'Etat, le Gouvernement a opté pour le maintien d'un tarif "acte par acte ", avec péréquation entre eux (9). Ce qui explique, pour l'instant du moins, que le "nouveau" tarif des notaires, passées quelques nouveautés remarquables (I), se caractérise surtout par une conservation de l'existant (II).

Par principe, l'arrêté fixant le nouveau tarif est entré en vigueur le 1er mars 2016 (10). L'ancien décret du 8 mars 1978, portant fixation du tarif des notaires (N° Lexbase : L8649H3Q), est donc désormais abrogé dans sa totalité. Ce principe reste toutefois assorti de deux importantes exceptions :

- restent soumis à l'ancien tarif, peu importe la date d'épilogue de l'affaire, les actes "dont la réalisation a donné lieu, avant le 1er mars 2016, au versement par le client d'un acompte ou d'une provision, ou à l'engagement par l'un des notaires intervenant de frais ou débours" ;

- restent également soumis à l'ancien tarif les prestations effectuées avant le 1er mai 2016.

La date d'entrée en vigueur est néanmoins fixée au 1er mars 2016. De sorte qu'un dossier ouvert entre le 1er mars et le 1er mai 2016, et donnant lieu à des formalités ou débours durant cette période, sera entièrement soumis au nouveau tarif dès lors que l'acte est conclu postérieurement au 1er mai.

Ces dispositions transitoires ont vocation à s'appliquer à tous les actes ou prestations faisant l'objet d'une tarification réglementaire selon le nouveau barème. En conséquence, tout ce qui ne relève pas de ce barème se voit immédiatement appliquer la réforme depuis le 1er mars 2016. Il en va ainsi :

1°/ de la négociation immobilière. Pour celle-ci, il y a liberté de tarif, en remplacement de l'ancien émolument de négociation immobilière. Sous réserve du respect des conditions qui existaient déjà auparavant, à savoir : il convient d'avoir un mandat écrit et préalable, de découvrir un cocontractant et le mettre en relation avec son mandant, et de recevoir la vente ou d'y participer. En outre, sous l'empire de la nouvelle législation, si les frais de publicité restent toujours en principe à la charge du notaire, ce dernier peut en obtenir le remboursement dans la limite de ce que prévoit le mandat (sans plus l'ancien plafond légal) ;

2°/ de la transaction. Lorsque le notaire rapproche ou participe au rapprochement des parties préalablement à une transaction au sens strict, ou lorsque l'acte qu'il reçoit impliquait préalablement la solution d'un désaccord. Là encore, s'applique désormais le principe de la liberté (en remplacement de l'ancien émolument de transaction, même si ce dernier était déjà négociable) ;

3°/ des consultations, tant du moins qu'elles sont détachables des prestations tarifées réglementairement (ce qui s'inspire des anciens honoraires "de l'article 4" du décret abrogé de 1978).

4°/ de certaines prestations relevant du droit des affaires (contrat d'association, bail commercial, contrat de louage d'ouvrage, contrat de société, vente de fonds de commerce), pour lesquels la liberté de tarif est confirmée.

I - Les nouveautés de la réforme

Sur le plan formel, le nouveau tarif est moins sibyllin pour le citoyen qu'il ne l'était auparavant. Il n'existe plus, désormais, de référence aux séries S1 et S2 affectées d'un coefficient. Chaque acte possède désormais sa propre série de calcul, permettant de connaître directement en euros le coût de rédaction de l'acte, soit par application d'un barème fixe, soit par application d'un barème par tranches en fonction de la valeur des droits en cause. Précisons que le barème a été établi pour les actes rédigés en minute. Dans le cas des actes rédigés en brevet, il faut appliquer au barème un coefficient de 5/7ème.

Dans le même ordre d'idées, s'agissant des formalités, disparaît également l'ancien barème par UV (unités de valeur). Là encore, le tarif des formalités est déterminé, au cas par cas, directement en euros.

Même si cela demandera un temps d'adaptation, les nouveaux textes sont aussi plus aisés à consulter, en raison de leur codification dans le Code de commerce. Il faudra, toutefois, mais comme pour tous les codes modernes, jongler entre la partie législative et réglementaire (et, au sein de cette dernière, entre la partie créée par décret et celle relevant des arrêtés). Cela signifie aussi que la révision du tarif peut se faire dans des directions différentes, désormais. Alors que l'ancien système de tarif ne nécessitait que de déterminer une nouvelle valeur des séries et de l'UV pour le modifier dans son ensemble.

Sur le fond, l'innovation la plus importante semble être celle de l'écrêtement. Il est désormais prévu que, pour les mutations immobilières et leurs formalités (et dans ce cas seulement), la rémunération totale du notaire ne peut dépasser 10 % de la valeur du bien concerné (11). Ce plafond englobe les émoluments proportionnels et les émoluments de formalité. Au regard de l'ancien tarif, le notaire pouvait percevoir une rémunération égale ou supérieure au bien en cause, dans le cas des immeubles de faible valeur. Certes, dans un tel cas, l'émolument proportionnel au titre de la rédaction de l'acte se révélait très faible. En revanche, le gros de sa rémunération provenait de la somme des émoluments fixes de formalités, et spécialement du forfait en vue de la publicité foncière. Cela ne sera plus le cas. Cette mesure est fortement décriée par la profession, et jugée comme menaçante pour la pérennité économique de certains offices ruraux. Selon le Conseil supérieur du notariat, en effet, près de 20 % des ventes effectuées par les offices les plus ruraux comportent des prix inférieurs à 8 700 euros (et seulement 6 % des ventes des offices des très grands centres urbains).

Deux mécanismes sont toutefois prévus pour éviter au notaire une rémunération réellement dérisoire. D'une part, le plafond de 10 % ne peut priver le notaire d'un minimum de 90 euros de rémunération. D'autre part, dans les hypothèses autres que les mutations immobilières, et dans le cas où il convient d'appliquer un tarif proportionnel à des droits d'une valeur inférieure à 500 euros, le notaire a droit à une rémunération en prenant une valeur de 500 euros comme base de calcul, appliquée à la première tranche du barème progressif concerné (12).

On peut néanmoins s'interroger sur la légalité de ce texte, puisque le principe fixé à l'article L. 444-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L1586KGT) est celui d'un tarif selon les "coûts pertinents". Or, sauf à envisager de très importants gains de productivité, voire l'emploi d'une main d'oeuvre délocalisée, on ne voit pas bien comment une étude pourrait faire autrement que travailler à perte sur de telles affaires. On ne sait non plus comment ce texte sera réellement appliqué en pratique. Certaines études affichent déjà leur volonté de refuser de traiter les affaires concernées par ce dispositif, en dépit de l'obligation d'instrumenter du notaire. D'autres songent à faire participer le client à l'élaboration de son dossier. Et certains ont déjà pu observer la pratique méprisable qui consiste à orienter sa clientèle vers d'autres confrères lorsqu'il s'agit de réaliser de tels actes.

L'autre grande innovation concerne les règles en matière de remise. La règle ancienne interdisait au notaire de procéder à une remise partielle de ses émoluments sans accord préalable de sa chambre des notaires. En outre, dans l'hypothèse où l'émolument proportionnel était supérieur à 80 000 euros (hypothèse, par exemple, d'une vente à 10 000 000 d'euros ou plus), l'émolument du notaire devenait entièrement négociable au-delà du seuil de 80 000 euros. A ces règles, se substituent un système dont le dessein est d'espérer une concurrence tarifaire entre les offices (13). Trois grandes différences caractérisent la nouvelle règle par rapport à l'ancienne : la remise n'est plus négociée au cas par cas (tout client peut s'en prévaloir) ; le seuil à partir duquel la remise est possible est considérablement abaissé ; le taux de remise est encadré et n'est plus total. Le système est désormais le suivant :

- pour les biens d'une valeur supérieure à 150 000 euros, le notaire peut (ce n'est pas une obligation) pratiquer une remise dans la limite de 10 % des émoluments correspondant à la fraction du prix au-delà de 150 000 euros ;

- pour les biens d'une valeur supérieure à 10 000 000 d'euros, la remise peut aller jusqu'à 40 % des émoluments au-delà de ce seuil. Cette seconde possibilité de remise est toutefois limitée à certaines catégories d'actes : mutation ou financement de bien à usage non résidentiel, résidentiel social, ou exonéré partiellement en vertu d'un pacte "Dutreil", etc..

Le taux de remise doit être fixe et identique pour tous (15). Mais, hors ces exigences, le notaire jouit d'une relative liberté. Il décide librement du taux de la remise, qu'il n'est pas obligé de faire, dans la limite du maximum légal. Il peut la prévoir pour tous les actes, ou certains seulement. Il peut l'offrir pour une période donnée ou pour une durée indéterminée. Cette remise doit être portée à la connaissance de la clientèle, de manière visible, dans le lieu d'exercice du notaire et sur son site Internet (16). La profession reste toutefois dans l'attente des textes sur la publicité à effectuer quant à ces remises.

Comme auparavant, le notaire a toujours la possibilité de renoncer à la totalité de ses émoluments, spécialement au profit de confrères ou de salariés de son étude, mais également au profit de clients (17).

Notons, enfin, en sens inverse, par inspiration du tarif des huissiers, qu'il existe une possible majoration de l'émolument, dans les cas où, à la demande du client, et pour des raisons pouvant tenir à la nécessité de sauvegarder un droit, un bien ou une preuve, la prestation est réalisée dans un délai inférieur au délai de référence fixé par décret (18). La majoration est de 150 euros maximum lorsque l'émolument est inférieur ou égal à 500 euros ; et de 30 % maximum dans les autres cas.

Enfin, il est réalisé une baisse "homothétique" de l'ensemble du tarif des actes, au taux de 1,4 %. Il peut être judicieux de prendre quelques exemples afin de mieux visualiser l'impact de la réforme sur ce point. Les chiffres reprennent ceux d'un tableau du Conseil supérieur du notariat, fondés sur une hypothèse où les émoluments de formalités représenteraient, à chaque fois, la somme totale de 542 euros :

- dans le cas d'une vente à 800 euros, la rémunération du notaire était de 620 euros selon l'ancien tarif ; elle sera désormais de 90 euros (nouveau tarif, minimum de perception) ;

- dans le cas d'une vente à 5 000 euros, la rémunération passe de 742 euros (ancien tarif) à 500 euros (nouveau tarif, avec application du plafond de 10%) ;

- dans le cas d'une vente à 90 000 euros, la rémunération passe de 1 696 à 1 672 euros ;

- dans le cas d'une vente à 150 000 euros, la rémunération passe de 2 191 à 2 160 euros ;

- dans le cas d'une vente à 400 000 euros, la rémunération passe de 4 253 euros à 4 196 euros au tarif normal. Si on applique la réduction maximum de 10 % sur la part proportionnelle au-delà de 150 000 euros, la rémunération est alors de 3 992 euros.

Selon le Gouvernement, l'effet de sa réforme sera de réduire la rémunération des notaires de 2,5 % en moyenne (19). Ce chiffre laisse circonspect. Pour une part, ce chiffre correspond à la baisse "homothétique" de 1,4 %. Le 1,1 % de surplus est toutefois difficile à apprécier, faute de connaître les statistiques sur lesquelles il est basé. Il est en tout cas censé correspondre à l'effet du plafond de 10 % susmentionné. Reste encore à connaître la pratique qui sera suivie en matière de remise. Là encore, les premiers échos au sein de la profession sont très divergents : certains pensent appliquer la remise maximum en toute occasion (dans l'espoir d'attirer une nouvelle clientèle), d'autres appellent à des accords territoriaux pour une pratique uniforme (alors que cela peut relever d'une sanction au titre du droit des ententes), d'autres suggèrent des audits comptables afin de mesurer l'impact des différents scénarios de remise possibles, etc..

On peut néanmoins considérer que, de l'aveu même du Gouvernement, l'économie pour les particuliers sera donc dérisoire. Pour nombre d'actes, le gros des "frais de notaires" reste constitué de perceptions fiscales, lesquelles n'ont pas diminué, bien au contraire. On peut ainsi rappeler l'augmentation récente des droits de mutation en matière immobilière (0,7 % de plus du prix de vente, pour pratiquement tous les départements), ou celle un peu plus ancienne du droit de partage (passé de 1,1 % à 2,5 %).

II - Les points inchangés

La nouvelle grille tarifaire est contenue aux articles A. 444-53 (N° Lexbase : L8347K4W) à A. 444-176 du Code de commerce. Elle apparaîtra familière à qui était habitué à l'ancienne. Le nouveau tableau comprend moult rubriques, pratiquement toutes conservées de l'ancienne version. Le tarif des actes est toujours distingué du tarif des formalités. Comme auparavant, l'émolument est tantôt fixe tantôt proportionnel. Dans le cas de barèmes progressifs, les tranches de barèmes sont similaires aux anciennes. Et, sauf la réduction "homothétique" susmentionnée de 1,4 %, et sauf la mise en jeu du plafond et des remises, le notaire reçoit donc, grosso modo, la même rémunération qu'auparavant au titre des actes qu'il rédige et des formalités qu'il accomplit.

Pourtant, les grands principes posés par la loi "Macron", et rappelés en introduction, ne laissaient pas attendre un tel résultat. A lire la lettre de la loi, l'émolument fixe semblait devoir être la règle et le principe. Et l'émolument proportionnel semblait devoir être une exception, et seulement dans des hypothèses au-delà d'un certain montant. On imagine bien, toutefois, quelle serait la difficulté à estimer le coût de chaque type d'acte, et à poser les critères objectifs que la loi appelait de ses voeux. Il est donc probable que les critères posés par la loi ont vocation à ne rester qu'un voeu pieux. Et que, dès lors que le projet de plafonnement global du tarif ne pouvait être mis en oeuvre comme le souhaitait l'Autorité de la concurrence, la reconduction globale de l'ancien tarif semblait la seule option à court terme.

De ce fait, tous les grands principes tarifaires sont conservés : le notaire ne peut recevoir d'autre somme que celle prévue au tarif dans l'hypothèse des actes donnant lieu à un émolument, le notaire conserve son droit de rétention pour garantir le paiement des sommes qui lui sont dues, les émoluments sont calculés sur l'estimation ou le prix exprimé dans l'acte (et, à défaut sur la valeur estimée par les parties ou le juge), l'émolument est calculé sur la pleine propriété dans le cas de donation avec réserve d'usufruit, l'émolument n'est perçu que sur la convention principale en cas de convention dépendante, l'acte conditionnel ou imparfait donne droit à la moitié de l'émolument, le notaire ne peut faire l'avance des frais et ceux-ci doivent donc être provisionnés au préalable par le client, l'intervention de plusieurs notaires n'entraîne pas une augmentation de l'émolument (et les règles de partage restent soumises au mêmes règlements qu'auparavant), le notaire ne peut partager ses émoluments avec un tiers, etc..

S'agissant des frais, le notaire conserve la possibilité de demander le remboursement des frais de déplacement et des frais exceptionnels exposés à la demande expresse du client. En revanche, il ne peut, pas plus qu'auparavant, répéter les frais de papeterie ou de bureau.

Néanmoins, ce "nouveau" tarif pose beaucoup de questions auxquelles il ne pourra être répondu avant un certain temps :

- la mise en oeuvre du tarif va beaucoup dépendre du contexte économique, au sens large. Quels seront l'étendue et l'impact de la carte attendue des zones où l'installation de nouveaux notaires sera libre ? Quelles seront les conséquences des textes sur les nouvelles formes sociales d'exercice et l'interprofessionnalité ? Une concurrence acharnée va-t-elle entraîner un dumping tarifaire ? Ou, au contraire, les notaires vont-ils pratiquer une forme occulte d'entente sur les tarifs afin de se protéger ?

- le tarif actuel est-il pérenne dans sa structure, ou est-il appelé à de profondes transformations prochaines ? En effet, l'article L. 444-3 du Code de commerce prévoit la révision du tarif tous les cinq ans au moins, et l'arrêté du 16 février 2016 n'a été édicté que pour une période provisoire allant du 1er mai 2016 au 28 février 2018. Il n'est pas interdit de penser qu'une réforme de plus grande ampleur couve, le temps pour les autorités concernées de collecter les informations statistiques prévues par la loi "Macron" sur la situation économique du notariat ;

- quel sera l'impact de la libéralisation de certains secteurs de l'ancien tarif ? Va-t-il servir à compenser la baisse du tarif réglementé, en multipliant les consultations "détachables" de l'acte et les demandes d'honoraires de transaction à la moindre difficulté dans le dossier ? Le tout sur le modèle économique du "low cost" en matière de transport aérien, où le prix de base défie toute concurrence, mais où le prix du billet triple dès que le passager a le malheur d'avoir un bagage un peu trop volumineux ou de vouloir se désaltérer. Ou bien va-t-elle inciter les notaires à développer leurs activités hors tarif réglementé, c'est-à-dire non seulement les consultations, mais tout ce qui peut s'imaginer en services connexes : régie immobilière, courtage, etc. ?

Pour l'instant, force est de constater que ces questions sont encore sans réponse.


(1) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, créant les articles L. 444-1 (N° Lexbase : L1585KGS) à L. 444-7 du Code de commerce.
(2) C. com., art. L. 444-1, al. 1.
(3) C. com, art. L. 444-1, al. 3.
(4) C. com., art. L. 444-3 (N° Lexbase : L1587KGU).
(5) C. com., art. L. 444-2 (N° Lexbase : L1586KGT).
(6) Décret n° 2016-230 du 26 février 2016, relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice.
(7) Communiqué des ministères de la Justice et de l'Economie du 28 février 2016 : au contraire de ce qui est indiqué, la remise n'est pas obligatoire pour les ventes au-delà de 150 000 euros.
(8) Avis n° 16-A-06 du 22 février 2006 de l'Autorité de la concurrence.
(9) C. com., art. R. 444-5 (N° Lexbase : L8422K4P).
(10) Arrêté du 26 février 2016, fixant les tarifs réglementés des notaires, art. 3 (N° Lexbase : L7833K4U).
(11) C. com., art. A. 444-175 (N° Lexbase : L8346K4U).
(12) C. com., art. A. 444-48 (N° Lexbase : L8171K4E).
(13) C. com., art. A. 444-174 (N° Lexbase : L8345K4T).
(14) C. com., art. R. 444-10 (N° Lexbase : L8427K4U).
(15) C. com., art. L. 444-2 (N° Lexbase : L1586KGT).
(16) C. com. art. L. 444-4 (N° Lexbase : L1588KGW).
(17) C. com., art. R. 444-70 (N° Lexbase : L8487K44).
(18) C. com., art. R. 444-11 (N° Lexbase : L8428K4W).
(19) Communiqué 28 février 2016 précité.

newsid:451964

Pénal

[Brèves] Absence d'incrimination de la diffusion, sans accord, d'une photo prise dans un lieu privé avec le consentement de la personne

Réf. : Cass. crim., 16 mars 2016, n° 15-82.676, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4888Q78)

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N1860BWS

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Le 24 Mars 2016

Il résulte des articles 226-1 (N° Lexbase : L2092AMG) et 226-2 (N° Lexbase : L2241AMX) du Code pénal que le fait de porter à la connaissance du public ou d'un tiers, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé, n'est punissable que si le document qui la contient a été réalisé sans le consentement de la personne concernée. Partant, viole ces dispositions la cour d'appel qui retient la culpabilité du prévenu qui a diffusé, sans accord, une photo, prise avec le consentement de la personne à l'époque, alors que n'est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l'image d'une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement. Tel est l'apport d'un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation rendu le 16 mars 2016 (Cass. crim., 16 mars 2016, n° 15-82.676, FS-P+B+I N° Lexbase : A4888Q78). En l'espèce, Mme Y. a porté plainte et s'est constituée partie civile en raison de la diffusion sur internet, par M. X, son ancien compagnon, d'une photographie prise par lui, à l'époque de leur vie commune, la représentant nue alors qu'elle était enceinte. M. X a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d'utilisation d'un document obtenu à l'aide d'un des actes prévus par l'article 226-1 du Code pénal. Ayant été déclaré coupable de ce délit, il a relevé appel du jugement. Pour confirmer le jugement du tribunal correctionnel, la cour d'appel a énoncé que le fait, pour la partie civile, d'avoir accepté d'être photographiée ne signifie pas, compte tenu du caractère intime de la photographie, qu'elle avait donné son accord pour que celle-ci soit diffusée. A tort selon la Cour suprême qui, énonçant la solution précitée, au visa de l'article 111-4 sur l'interprétation stricte de la loi pénale (N° Lexbase : L2255AMH) et des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal, censure les juges d'appel d'avoir retenu la culpabilité de M. X (cf. l’Ouvrage "Droit pénal spécial" N° Lexbase : E5966EXA).

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Procédures fiscales

[Brèves] Tempérament apporté à l'obligation d'information incombant à l'administration fiscale !

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 17 mars 2016, n° 381908, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2190Q8M)

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N1881BWL

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Le 24 Mars 2016

L'obligation faite à l'administration fiscale d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements qu'elle a utilisés pour procéder à des rectifications a pour objet de permettre à celui-ci, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, afin qu'il puisse vérifier l'authenticité de ces documents et en discuter la teneur ou la portée. Ainsi, les dispositions de l'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG) instituent une garantie au profit de l'intéressé. Toutefois, la méconnaissance de ces dispositions par l'administration demeure sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition s'il est établi qu'eu égard à la teneur du renseignement, nécessairement connu du contribuable, celui-ci n'a pas été privé, du seul fait de l'absence d'information sur l'origine du renseignement, de cette garantie. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 17 mars 2016 (CE 3° et 8° s-s-r., 17 mars 2016, n° 381908, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2190Q8M). En l'espèce, une proposition de rectification a été adressée à un contribuable lui ayant notamment indiqué qu'il était personnellement imposable dans la catégorie des BIC à raison du bénéfice d'une société au titre de l'année 2007, dès lors qu'il avait acquis la totalité des parts de la société le 21 mai 2007. Cette proposition ne mentionnait pas que le vérificateur avait pris connaissance de l'acte de cession de parts dans le cadre des opérations de visite et de saisie conduites en novembre 2007 dans les locaux de cette société. Néanmoins, les juges de fond, qui ont commis une erreur de droit, avaient relevé que, malgré le fait que l'intéressé avait nécessairement eu connaissance de l'acte de cession de parts auquel il était partie, il avait été privé de la garantie prévue par les dispositions de l'article L. 76 B du LPF. La Haute juridiction a donc, selon le principe dégagé au cas présent, donné raison à l'administration fiscale qui n'était pas tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine de ces renseignements. Cette décision apporte, par conséquent, un tempérament important à cette obligation qui était, dans ce type de cas, quasiment intangible (v. notamment : CE 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 297308, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1251EKK). En effet, Edouard Crépey, dans ses conclusions sous un arrêt rendu le 30 décembre 2015, avait récemment précisé que l'omission de cette obligation entachait dans tous les cas la procédure d'irrégularité (cf. Lexbase, éd. fisc., n° 643, 2016 N° Lexbase : N1282BWE) .

newsid:451881

Rel. collectives de travail

[Brèves] Recours à un expert : les frais de l'expertise demeurent à la charge de l'employeur, même lorsque ce dernier obtient l'annulation en justice de la délibération du CHSCT ayant décidé de recourir à l'expertise

Réf. : Cass. soc., 15 mars 2016, n° 14-16.242, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2687Q7N)

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N1833BWS

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Le 24 Mars 2016

Il résulte de la décision n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 (Cons. const., décision n° 2015-500 QPC, du 27 novembre 2015 N° Lexbase : A9179NXA et les obs. de D. Boulmier, Lexbase, éd. soc., n° 637, 2015 N° Lexbase : N0436BW3) que les dispositions de l'article L. 4614-13 du Code du travail (N° Lexbase : L5577KGN) telles qu'interprétées de façon constante par la Cour de cassation demeurent applicables jusqu'au 1er janvier 2017, et que les frais de l'expertise demeurent à la charge de l'employeur, même lorsque ce dernier obtient l'annulation en justice de la délibération du CHSCT ayant décidé de recourir à l'expertise après que l'expert désigné a accompli sa mission. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 mars 2016 (Cass. soc., 15 mars 2016, n° 14-16.242, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2687Q7N).
En l'espèce, par délibération du 18 décembre 2008, le CHSCT de l'établissement de Joué-lès-Tours de la société X a décidé d'avoir recours à la mesure d'expertise prévue par l'article L. 4614-12 du Code du travail, qu'il a confiée à la société Y. Le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, a débouté, le 17 février 2009, l'employeur de sa contestation de la nécessité du recours à expertise et le 1er juillet 2009, la cour d'appel a annulé la délibération du CHSCT et condamné l'employeur au paiement des frais irrépétibles et des dépens, en l'absence d'abus du CHSCT. La société Y a saisi le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés d'une demande de recouvrement de ses honoraires formée à l'encontre de l'employeur
Pour rejeter cette demande, la cour d'appel, statuant sur renvoi après cassation (Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-24.218, FS-P+B N° Lexbase : A4989KD7) retient qu'il appartenait à l'expert d'attendre l'issue de la procédure de contestation de la délibération du CHSCT, en date du 20 novembre 2008, avant d'effectuer son expertise car il n'était tenu à aucun délai, ce qui est corroboré par le fait qu'il n'a pas réalisé son expertise, ni dans le délai d'un mois ni dans celui de 45 jours, que son attention avait été attirée à plusieurs reprises par l'employeur sur le fait qu'en cas d'annulation de cette délibération, il ne serait pas réglé de ses prestations, que dès lors rien ne justifie la condamnation de l'employeur sur le fondement de l'article L. 4614-13 du Code du travail à s'acquitter des frais de l'expertise. A la suite de cette décision, la société Y s'est pourvue en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 62 de la Constitution et l'article L. 4614-13 du Code du travail (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3406ETC).

newsid:451833

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