La lettre juridique n°631 du 5 novembre 2015

La lettre juridique - Édition n°631

Éditorial

L'a-chimie de l'e-commerce

Lecture: 4 min

N9660BUC

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 05 Novembre 2015


Plus de 51 milliards d'euros de chiffre d'affaires, plus de 600 millions de transactions, 33,8 millions d'acheteurs sur internet (sources FEVAD 2013)... On comprend qu'il est bien loin le temps où la web économie, le e-commerce, s'apparentaient à la Conquête de l'Ouest. Désormais, les règlements de compte d'OK Corral se déroulent, à pas feutrés, dans les prétoires, hors Tombstone. Et, les dernières joutes en date révèlent une intensification des actions visant à lutter contre le parasitisme dont certains sites s'estiment victimes.

Ce parasitisme économique est, de jurisprudence constante, l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de son savoir-faire, de ses investissements et de sa renommée.

Sans remonter aux calendes d'Anaxagore, c'est sur le fondement du parasitisme économique que les juges ont, ainsi, condamné une société d'e-commerce qui s'était appropriée, sans la moindre contrepartie financière, les conditions générales de vente d'une autre société pour en faire usage dans le cadre d'une activité commerciale concurrente. Pourtant, la cour écarta bien la contrefaçon, car faute de répondre à l'exigence d'originalité, les conditions générales de vente ne sauraient bénéficier de la protection du droit d'auteur. Enfin, sur la concurrence déloyale, elle rappela que le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit, qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, peut être librement reproduit, sous certaines conditions, notamment, l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit. Dans le même sens, le parasitisme commercial était caractérisé en raison du détournement du fichier clients d'un concurrent et de son utilisation non autorisée.

On peut raisonnablement dire que la greffe de la lutte contre le parasitisme économique au sein de "l'économie réelle" vers l'économie numérique avait bien pris.

Mais, le tribunal de grande instance de Paris, grand connaisseur de ces actions, estima que ce parasitisme était en fait "caractérisé dès lors qu'une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements". Et, certains auteurs on pu regretter une pseudo fusion du parasitisme avec la concurrence déloyale.

Désormais, si l'optimisation d'un site internet en vue de faciliter l'accès des internautes aux informations, échanges et discussions qu'il contient ne constitue pas un procédé déloyal visant à tirer profit de la notoriété d'une société par un usage abusif de son nom, l'utilisation, sur son site internet, des images tirées du site d'une société concurrente, alors que des investissements importants pour utiliser l'imagerie 3D avaient été réalisés, constituait bien un acte de parasitisme. De même, constitue un acte de parasitisme le fait pour un site internet de reproduire quasiment à l'identique les pages d'accueil, le plan, le contenu, le nom et l'agencement des rubriques d'un site concurrent. Et, l'existence sur le marché de sites internet ressemblant à celui du demandeur ou la banalité supposée de son concept ne sont pas de nature à démontrer l'absence de parasitisme alors que le seul fait de s'inspirer de la valeur économique d'un site qui a réalisé des investissements suffit à dénoter un agissement parasitaire.

L'appréciation du parasitisme s'est donc déportée des simples conditions de la commercialisation vers une analyse concrète des éléments structurels de chaque site pouvant donner lieu à un acte de parasitisme.

La maxime "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme" que l'on prête à Lavoisier en prend ainsi pour son grade. Le "père" de la chimie moderne aurait eu maille à partir avec les tenants de l'originalité et de la créativité sur internet !

Dans son fameux Traité élémentaire de chimie, il enseignait que "rien ne se crée, ni dans les opérations de l'art, ni dans celles de la nature, et l'on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l'opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu'il n'y a que des changements, des modifications" : force est de constater que le juge ne l'entend pas de cette oreille.

Pour autant, la frontière reste ténue en matière de caractérisation du parasitisme économique sans contrefaçon ni concurrence déloyale avérées. Si les tendances et les canons commerciaux et marketing, voire ergonomiques, qui fonctionnent sur la clientèle, ne peuvent être repris, sans risquer la condamnation, c'est l'émulsion du e-commerce qui risque d'être mise à mal... A moins, que cette reprise ne doive s'accompagner "tout simplement" d'une valorisation, elle, originale, auquel cas "les choses déjà existantes se combinent", pour créer un matrice nouvelle.

La caractérisation du parasitisme économique entre sites de e-commerce a quelque chose de philosophique en soi, au regard de l'essence même de la créativité et du refus anaxagorien du concept du "non-être".

"L'homme est un pou pour l'homme" sentence Michel Serres dans Le parasite. Tout numérique soit-il, le e-commerce est encore animé par l'Homme...

newsid:449660

Actes administratifs

[Brèves] Caractère de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat préalablement à la cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers au sens de la jurisprudence "Danthony"

Réf. : CE, Sect., 23 octobre 2015, n° 369113, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0318NUC)

Lecture: 1 min

N9750BUN

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Le 07 Novembre 2015

La consultation du service des domaines prévue à l'article L. 2241-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2287IEG) préalablement à la délibération du conseil municipal portant sur la cession d'un immeuble ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants ne présente pas le caractère d'une garantie au sens de la jurisprudence "Danthony" (CE, Ass., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9048H8M). Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 23 octobre 2015 (CE, Sect., 23 octobre 2015, n° 369113, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0318NUC, voir, s'agissant de la consultation du service des domaines préalablement à l'exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit, CE 1° et 6° s-s-r., 23 décembre 2014, n° 364785, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8047M8K). En déduisant que la délibération du conseil municipal ayant approuvé le bail emphytéotique administratif et la convention de mise à disposition de la commune de l'école à construire était intervenue au terme d'une procédure irrégulière du fait que le conseil municipal de la commune n'avait pas été informé de la teneur de l'avis du service des domaines prévu à l'article L. 2241-1 avant de prendre cette délibération, sans rechercher si l'irrégularité de la consultation de ce service avait eu une incidence sur le sens de la délibération attaquée, la cour administrative d'appel (CAA Marseille, 6ème ch., 6 mai 2013, n° 10MA03447 N° Lexbase : A7190KDN) a donc entaché son arrêt d'une erreur de droit.

newsid:449750

Avocats

[Brèves] Droit au libre choix de l'avocat : l'OPJ doit informer de sa désignation l'avocat choisi par la personne placée en garde à vue

Réf. : Cass. crim., 21 octobre 2015, n° 15-81.032, F-P+B+I (N° Lexbase : A7680NTM)

Lecture: 1 min

N9773BUI

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Le 05 Novembre 2015

L'officier de police judiciaire doit informer de sa désignation l'avocat choisi par la personne placée en garde à vue, seul le Bâtonnier ayant qualité pour désigner un autre défenseur en cas de conflit d'intérêts ; et le refus d'informer l'avocat choisi porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée. Tels sont les apports de l'arrêt rendu le 21 octobre 2015 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 21 octobre 2015, n° 15-81.032, F-P+B+I N° Lexbase : A7680NTM). Dans cette affaire, un gardé à vue dans le cadre d'une enquête a demandé à être assisté par un avocat de son choix. L'OPJ, constatant que l'avocat choisi l'avait déjà été par une autre personne placée en garde à vue dans la même procédure, l'a invité à changer d'avocat ou à solliciter la désignation d'un avocat commis d'office. Le gardé à vue, renonçant à l'avocat qu'il avait choisi, a été assisté par un avocat commis d'office tout au long de sa garde à vue. Mis en examen à l'issue de l'enquête, il a saisi la chambre de l'instruction d'une demande d'annulation de sa garde à vue au motif que l'officier de police judiciaire avait refusé de contacter l'avocat choisi par lui. La cour d'appel ayant rejeté sa requête, il s'est pourvu en cassation. La Cour de cassation censure l'arrêt ainsi rendu car en se déterminant de la sorte, alors que le gardé à vue avait renoncé à l'avocat qu'il avait choisi à la suite du refus de contacter cet avocat opposé par l'officier de police judiciaire, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 63-3-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9629IPC) et le principe susvisé (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9554ETZ).

newsid:449773

Avocats/Procédure

[Jurisprudence] La communication électronique renforce t-elle les couperets de la procédure devant la cour d'appel avec représentation obligatoire ?

Réf. : Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 14-20.212, FS-P+B (N° Lexbase : A8463NP7)

Lecture: 17 min

N9642BUN

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris - Cabinet S.E.F.J., Chargé d'enseignement à l'Université Paris V, Coordonnateur et responsable des commissions nationales de l'ACE (Association des Avocats Conseils d'Entreprises)

Le 06 Novembre 2015

Par un arrêt du 24 septembre 2015, la Cour de cassation retient que, dans le cadre de la procédure d'appel avec représentation obligatoire, l'obligation de communiquer par voie électronique les conclusions de l'appelant au greffe dans le délai légal de trois mois est respectée dès lors que ces écritures sont parvenues au greffe dans ce délai, nonobstant un avis de refus. La dématérialisation présente des avantages certains pour les praticiens en termes de temps et de coûts.

Les contraintes de la procédure d'appel avec représentation obligatoire croissent, cependant, avec le caractère obligatoire de la communication par la voie électronique des actes de procédure dans le cadre de cette même procédure.

Les sanctions sont lourdes en cas de non-respect des règles instaurées et les incertitudes juridiques en la matière entament les bienfaits de la communication électronique.

Les frayeurs des praticiens ne manquent donc pas. Fort heureusement, la Cour de cassation en apaise certaines.

L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile apporte effectivement un souffle d'apaisement à la profession d'avocat lorsque l'avocat diligent se heurte à un avis de refus du greffe de la cour d'appel des conclusions d'appelant envoyées dans le respect du délai de l'article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0162IPP).

Une société a interjeté appel d'un jugement qui avait fixé le prix du loyer de renouvellement du bail commercial conclu avec le bailleur.

Une ordonnance du conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de l'appel en raison du dépôt tardif des conclusions de la société appelante. Cette dernière déféra à la cour cette ordonnance mais se heurta à une décision de confirmation. Le sort de l'appelant fut donc définitivement balayé.

Un pourvoi en cassation fut régularisé contre l'arrêt ainsi rendu par la cour d'appel de Caen le 31 octobre 2013.

L'arrêt de la cour d'appel reprit dans sa motivation l'article 5 de l'arrêté du 30 mars 2011, relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel (N° Lexbase : L9025IPX) prévoyant que les conclusions sont communiquées en pièce jointe d'un message électronique et rappela que la société appelante avait bien signifié ses conclusions par la voie électronique dans le délai de l'article 908 du Code de procédure civile.

Elle estima cependant que, le message de données, constitué du fichier destiné à faire l'objet d'un traitement automatisé, ayant fait l'objet d'un refus de la part du greffe en raison de la non référence du numéro de rôle qui avait été communiqué à l'appelant, l'absence d'avis de réception du destinataire qui en découlait impliquait que les conclusions de l'appelant ne pouvaient être considérées comme ayant été régularisées dans le délai légal de l'article 908.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation cassa cet arrêt sur moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7861I4W).

Sous le visa des articles 906 (N° Lexbase : L0367ITR), 908, 911 (N° Lexbase : L0351IT8) et 930-1 (N° Lexbase : L0362ITL) du même code, les articles 2, 4, 5 et 8 de l'arrêté du 30 mars 2011, relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire, la deuxième chambre civile estima que la cour d'appel avait violé les textes susvisés en statuant ainsi car l'envoi par l'appelante au greffe du fichier contenant ses conclusions, selon les règles de la communication par voie électronique, effectué dans le délai de trois mois de la déclaration d'appel, et parvenu au greffe ainsi que l'établissait l'avis de refus, valait à son égard remise au greffe.

Le principe de la communication obligatoire des actes de procédure par voie électronique n'a pas été sans poser de difficultés (1). La Cour de cassation tempère cette exigence lorsque les parties sont diligentes ou sont étrangères au défaut de communication dans le délai légal (2).

I - Une conjugaison difficile pour les praticiens

A - La caducité de la déclaration d'appel : une arme à double tranchant

L'article 908 du Code de procédure civile dispose : "A peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure".

Contrairement à la nullité, la caducité prive d'effet un acte qui a déjà été régulièrement formé.

L'acte devenant caduc perd ses effets. C'est ainsi que l'assignation jugée caduque a été considérée comme non interruptive du délai de prescription (1).

L'article 385 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2273H4X) dispose par ailleurs : "L''instance s'éteint à titre principal par l'effet de la péremption, du désistement d'instance ou de la caducité de la citation. Dans ces cas, la constatation de l'extinction de l'instance et du dessaisissement de la juridiction ne met pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle instance, si l'action n'est pas éteinte par ailleurs".

La caducité de la déclaration d'appel s'inscrit donc dans l'une des causes de l'extinction de l'instance d'appel.

La sanction est forte.

N'est-ce pas alors laisser la voie ouverte au plaideur qui bénéficie d'un jugement favorable en première instance de priver son adversaire de la faculté de remettre en cause ce même jugement, défavorable à ce dernier, tout simplement en en interjetant appel après l'avoir fait signifier et en ne concluant pas dans le délai de trois mois ?

Si l'intimé ne forme pas un appel autonome dans le délai d'un mois de la signification du jugement, le défaut de conclusions de l'appelant dans le délai de trois mois va rendre caduque la déclaration d'appel, ce qui aura pour effet d'éteindre l'instance. Le jugement de première instance sera alors définitif si le délai d'appel a expiré, privant ainsi la partie qui avait vocation à en être l'appelant "naturel" de toute voie de recours et de tout appel incident.

La possibilité d'une telle stratégie se confirme par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 13 mai 2015 (2) : l'appel incident, peu important qu'il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l'appel principal, notamment lorsque les conclusions d'appel n'ont pas été régularisées dans le délai de l'article 908.

La célérité qu'appelle la communication électronique accentue ces risques d'autant que la sanction ici en vigueur est dangereuse à l'égard de toutes les parties.

B - La communication électronique obligatoire entre les parties et la cour d'appel

La notion de communication électronique a été introduite en droit français par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle (N° Lexbase : L9189D7H) et en procédure civile par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, relatif à la procédure civile, à certaines procédures d'exécution et à la procédure de changement de nom (N° Lexbase : L3298HEU), qui a créé, dans le Code de procédure civile, un titre XXI comprenant les articles 748-1 (N° Lexbase : L0378IG4) à 748-7.

Il convient de remarquer que l'irruption de la communication électronique dans la procédure d'appel s'est conjuguée avec la réforme de cette même procédure et avec la réforme liée à la suppression des avoués :

- le décret du 9 décembre 2009, relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW) est entré en vigueur le 1er janvier 2011 et s'est appliqué aux appels formés à compter de cette date,

- la mise en application de la fusion des avoués avec les avocats, prévue initialement à cette même date, a été reportée et est devenue effective le 1er janvier 2012,

- l'article 5 du décret du 9 décembre 2009, dont est issu l'article 930-1 du Code de procédure civile, s'il a prescrit une remise de la déclaration d'appel et de la constitution de l'avoué/avocat sous forme électronique à compter du 1er janvier 2011, a prévu une transmission ou une remise des autres actes de procédure sous cette forme le 1er janvier 2013 au plus tard.

Les praticiens ont donc dû s'adapter à trois révolutions qui se sont succédées à raison d'une chaque année.

L'article 930-1 du Code de procédure civile dispose qu'"à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique" (C. pr. civ., art. 930-1, alinéa 1er) et que "les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique" (C. pr. civ., art. 930-1, alinéa 3).

L'obligation de communication par voie électronique est à double sens. L'irrecevabilité touche directement les parties via leurs avocats mais pas la non communication par la cour des avis, avertissements ou convocations.

Les avocats doivent donc être extrêmement vigilants quant aux actes qui les concernent.

Le texte vise les actes de procédure qui sont destinés à la cour d'appel et qui doivent s'entendre stricto sensu, c'est-à-dire comme les actes de nature à faire progresser le litige : il en est ainsi principalement, depuis le 1er janvier 2011, de la déclaration d'appel et de la constitution d'avocat et, depuis le 1er janvier 2013, des conclusions.

Les pièces, qui ne sont pas des "actes de procédure", n'entrent donc pas dans le champ d'application du texte : elles peuvent, toutefois, être remises à la cour d'appel sous forme électronique, ainsi que le prévoit l'article 2 d'un arrêté du 30 mars 2011 modifié, étant rappelé que, en application de l'article 912, alinéa 3, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0366ITQ), les dossiers, comprenant les copies des pièces visées dans les conclusions et numérotées dans l'ordre du bordereau récapitulatif, sont "déposés" à la cour quinze jours avant la date fixée pour l'audience de plaidoiries.

Le décret modifié du 29 avril 2010 (3) prévoit que vaut signature l'identification réalisée, lors de la transmission par voie électronique, selon les modalités prévues par l'arrêté ministériel pris en application de l'article 748-6 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8588IAC), en l'occurrence l'arrêté du 30 mars 2011 modifié, qui prévoit en outre les modalités techniques des échanges.

La remise des actes de procédure par les parties s'opère, pour les avocats, via le RPVA

Le procédé d'authentification des avocats au RPVA est assimilé à une signature électronique.

La sanction attachée à l'article 930-1, en ce qu'elle a trait à l'obligation pesant tant sur les avocats que sur le ministère public, est l'irrecevabilité relevée d'office par le juge.

Si l'article 911-1, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0165IPS), dispose que "la caducité de la déclaration d'appel en application des articles 902 (N° Lexbase : L0377IT7) et 908 ou l'irrecevabilité des conclusions en application des articles 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) et 910 (N° Lexbase : L0412IGD) sont prononcées par ordonnance du conseiller de la mise en état qui statue après avoir sollicité les observations écrites des parties", il n'existe pas de semblable disposition en ce qui concerne l'irrecevabilité des actes de procédure qui n'ont pas été remis à la cour d'appel sous forme électronique.

Selon l'article 914 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0168IPW), lorsqu'il est désigné et jusqu'à son dessaisissement, le conseiller de la mise en état n'est seul compétent que pour prononcer la caducité de l'appel, pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel ou pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910, de sorte que ce texte ne prévoit pas spécifiquement la compétence du conseiller de la mise en état pour déclarer irrecevables, par application de l'article 930-1, les actes de procédure qui n'ont pas été remis à la cour d'appel par la voie électronique.

Dans l'espèce de l'affaire tranchée par l'arrêt du 24 septembre 2015, le problème n'a pas été soulevé par l'appelant qui aurait pu tenter de soutenir soit l'incompétence matérielle du conseiller de la mise en état, soit dans le cadre du déféré, un excès de pouvoir pour annuler l'ordonnance entreprise rendue par le conseiller de la mise en état.

La cour aurait eu in fine la tâche d'examiner ce problème d'irrecevabilité.

Le sort de l'appelant était-il alors irrémédiablement voué à l'échec ?

II - De quelques solutions rassurantes à des problématiques croissantes

A - Feu la condition de la communication simultanée des conclusions avec les pièces

Comme nous venons de le rappeler, le défaut de conclusions dans le délai de trois mois pour l'appelant génère d'office la caducité de sa déclaration d'appel.

L'article 906 dispose que "les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie".

Des conclusions irrecevables, parce que les pièces n'auraient pas été communiquées simultanément, auraient pour conséquence le non-respect du délai prévu à l'article 908 ou celle de ne pas faire courir de délai à l'intimé pour conclure.

L'enjeu était effectivement de taille.

La Cour de cassation a pris position.

Selon avis du 26 juin 2012, elle a indiqué que "doivent être écartées les pièces invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions".

Dans un avis plus récent du 21 janvier 2013 (Cass. avis, 21 janvier 2013, n° 01300003 N° Lexbase : A8266I3K), la Cour de cassation a précisé que le conseiller de la mise en état n'est pas compétent pour écarter des débats les pièces invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions.

La sanction ne concerne que les pièces communiquées (en ce sens CA Montpellier, 3 octobre 2012, n°12/03903 N° Lexbase : A9605ITW).

La régularisation semble pouvoir se faire avec les dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0386IGE) (conclusions récapitulatives), puisque les dernières conclusions doivent contenir un bordereau récapitulatif des pièces.

Ainsi, comme la cour d'appel de Paris a pu l'admettre, l'appelant peut régulariser l'absence de communication de pièces avec les premières conclusions en communiquant ultérieurement les pièces avec les dernières conclusions (CA Paris, 22 novembre 2012, n° 11/04473 N° Lexbase : A3455IXA).

Les pièces ne rentrent pas dans le champ de la communication électronique obligatoire, puisque l'article 930-1 du Code de procédure civile impose la remise à la juridiction par voie électronique des seuls actes de procédure.

Les pièces pourront être communiquées à la cour avec le dossier 15 jours avant la date des plaidoiries (C. pr. civ., art. 912, al. 3).

Copie des conclusions est remise au greffe avec la justification de leur notification.

La notion de simultanéité employée commande donc le mode de notification : électronique ou par support papier.

En termes de dématérialisation et de transmission, il est parfois impossible de transmettre des pièces dont le poids est trop conséquent en Mo.

La taille des pièces autorisées dans les envois via e-barreau est de 4 Mo, ce qui est vite atteint, notamment dans les dossiers comprenant des photos, des rapports, des marchés, des cahiers des charges et autres documents très volumineux.

Le temps d'envoi de tels fichiers est par ailleurs considérable, impliquant des envois fractionnés.

La Chancellerie refuse toujours d'augmenter la taille maximale des pièces pour ne pas encombrer encore plus les flux et aggraver les "bouchons".

La Cour de cassation est venue finalement alléger le doute lié à cette contrainte textuelle de manière singulière : la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière (5) a récemment jugé que les pièces communiquées quelques jours après la notification des conclusions au soutien desquelles elles étaient produites n'ont pas à être écartées des débats dès lors que l'intimé, avant la clôture de l'instruction, a été en mesure de répondre à ces pièces.

La simultanéité de la communication des pièces n'a donc plus grand intérêt.

Le même jour, l'Assemblée plénière estimait en revanche que c'est à tort qu'une cour d'appel a refusé d'écarter des débats les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables (6).

La signification à bonne date des conclusions reste donc primordiale car l'extinction de la procédure par le non-respect des délais ne pourra être contrecarrée ni réparée par une communication de pièces tardive, alors même que celles-ci ne matérialisent pas des actes de procédure.

B - La faille électronique n'anéantit pas la procédure

Il convient de préciser que les envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 du Code de procédure civile font l'objet d'un avis électronique de réception adressé par le destinataire, qui indique, le cas échéant, l'heure de celle-ci.

Qu'en est-il si le greffe émet un avis de refus, alors que les conclusions ont été envoyées à bonne date ?

La partie a été diligente, mais, comme en l'espèce, n'a pas mentionné une information dans son message d'envoi au demeurant non susceptible d'annuler l'acte transmis, à savoir le numéro de rôle général.

L'automatisation peut-elle alors anéantir le respect textuel d'une communication électronique dans le délai légal ?

Aucun texte n'impose de supporter les errata liés au traitement automatisé.

Il n'existe aucune obligation de mentionner tel ou tel renseignement au-delà de ce qui est requis textuellement en matière de validité et de recevabilité des actes.

La question n'avait pas été tranchée et la cour d'appel de Bordeaux adopta une position extrêmement sévère alors que l'avocat de l'appelant avait envoyé électroniquement le fichier contenant ses conclusions d'appel dans le délai de l'article 908.

Cette faille liée au traitement automatisé ne saurait donc anéantir le procès.

L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 24 septembre 2015 rassure et la profession d'avocat peut s'en féliciter, au-delà des parties qu'elle représente et qui auraient été les victimes d'une solution inverse : c'est l'envoi électronique et la remise au greffe qui comptent et non l'accusé de réception. Un avis de refus du greffe de la cour justifie la remise et la date de cette remise.

Il s'agit en réalité d'une réception mais imparfaite en ce sens où le greffe en refuse le contenu.

La condition de réception n'est pas supprimée par l'arrêt commenté.

Les magistrats ont en effet pris le soin de préciser que l'avis de refus valait remise au greffe.

La remise reste donc de guise.

Dès lors que le plaideur est diligent, qu'il justifie avoir envoyé électroniquement ses conclusions au greffe de la cour dans le délai prévu à l'article 908 et qu'il peut justifier que le fichier a été remis au greffe, un avis de refus suffisant, son appel est sauvé.

La Cour de cassation est allée au-delà de l'article 908 puisqu'elle vise également dans son arrêt les articles 906 et 911. La solution vaut donc aussi pour l'intimé via la recevabilité de ses conclusions et/ou de son appel incident ou provoqué.

Si l'envoi et la transmission ne sont en revanche pas assurés à bonne date, la seule échappatoire à la caducité et à l'irrecevabilité couperets est la preuve d'une cause étrangère.

La cause étrangère est expressément prévue, de manière générale, par l'article 748-7 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0423IGR) : "lorsqu'un acte doit être accompli avant l'expiration d'un délai et ne peut être transmis par voie électronique le dernier jour du délai pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, le délai est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant" et, de manière spéciale en matière de communication électronique obligatoire en appel, par l'article 930-1, alinéas 2 et 3 : "Lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe. En ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué. Les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l'expéditeur".

La cause étrangère se distingue de la force majeure en ce que les conditions d'imprévisibilité et d'irrésistibilité ne sont pas requises ainsi que l'a d'ailleurs estimé la Chancellerie dans une circulaire Dacs du 31 janvier 2011, selon laquelle il s'agit de "pallier un dysfonctionnement dans le dispositif d'émission, de transmission ou de réception".

La condition d'extranéité va en effet justifier en présence d'un problème inhérent au fonctionnement du RPVA, auquel cas il faudra obtenir une attestation du responsable de l'informatique et des télécommunications au secrétariat général du ministère de la Justice (si RPVJ) ou du Conseil national des barreaux.

Il appartient dès lors à l'auteur de l'acte de se prémunir contre des risques normaux susceptibles d'affecter la transmission, sans qu'il soit tenu d'envoyer l'acte par d'autres moyens de nature électronique.

La cause étrangère est-elle pour autant rassurante ?

Comment parer à une panne informatique, comment justifier que cette panne est étrangère au cabinet concerné ?

Un constat d'huissier suffirait-il ? Assurément non.

Un tel acte ne ferait que constater à telle heure, tel jour l'existence d'une panne, sans pour autant en déterminer l'origine (mauvais entretien, défaut de maintenance, non intervention dans les délais contractuels du technicien de la maintenance, mauvaise manipulation, virus etc.).

La panne viendrait elle d'un autre poste que celui de l'avocat titulaire de la clé, voire du serveur du cabinet, pourrait-on alors considérer, la clé de connexion au RPVA étant en l'état actuel personnelle à l'avocat et affectée à un ordinateur précis, que son origine fût extérieure (la preuve serait rapportée qu'elle ne provient pas dudit ordinateur) ?

Autant dire que les expertises peuvent encore être à l'ordre du jour et que les débats n'ont pas fini d'encombrer la mise en état et la Cour en cas de déféré, ce qui est manifestement un frein à la célérité attendue.

Viennent à l'esprit les remarques de Monsieur le Professeur Hervé Croze : "l'article 930-1 du Code de procédure civile rendra totalement irrecevable tout acte de procédure d'appel qui ne sera pas fait sous la forme électronique, sous la réserve du principe de la cause étrangère dont la démonstration est plus difficile que de faire passer un chameau par le chas d'une aiguille..." (7).

Dès lors que la communication électronique devient obligatoire, il n'est pas certain que les objectifs attendus par les partisans de la nouvelle procédure devant la cour d'appel soient atteints.

Il serait enfin souhaitable de cesser la prolifération des textes : nous en sommes à six arrêtés pour les procédures d'appel avec représentation obligatoire, ces arrêtés se modifiant souvent les uns les autres, ce qui rend leur compréhension difficile, d'autant que leur application s'est faite progressivement.

Le chemin de la communication électronique n'est donc pas facile à suivre et l'est encore moins lorsque :

- s'ajoutent à cette complexité les protocoles de mise en oeuvre de cette communication, signés au niveau local par les chefs des juridictions et les Ordres des avocats, dans le cadre de la convention cadre du 16 juin 2010 (portant extension aux cours d'appel de la précédente convention-cadre conclue le 28 septembre 2007 pour les tribunaux de grande instance), entre le ministère de la Justice et le CNB ;

- une menace d'irrecevabilité des conclusions pour violation de ces protocoles plane, alors même que cette irrecevabilité ne serait pas prévue par le Code de procédure civile (8).

Certains dénoncent la balkanisation de la justice française (9).

Si la communication électronique est effectivement perçue comme une nécessité en harmonie avec l'évolution des technologies et le but affiché d'une célérité de la justice, il n'en demeure pas moins que, dans le respect de la qualité également souhaitée et indispensable au bon fonctionnement de la justice, elle ne doit pas entraver les droits ni compliquer d'avantage ce qui est déjà drastique.

Il importe en effet pour le justiciable, dans le respect de ses droits, que trois objectifs soient remplis : la durée du procès ne doit pas être excessive, le procès doit conserver une dimension humaine et doit respecter les règles de procédures applicables, en ce compris les principes fondamentaux qui les gouvernent.

La communication électronique doit donc être poursuivie via une amélioration des technologies afin de la rendre plus sécurisée et efficiente, sans pour autant devenir une contrainte supplémentaire : "c'est tout le mal de la communication électronique qui devait être un bienfait. L'erreur est de la rendre obligatoire au lieu de se contenter de l'autoriser" (10).

La Cour de cassation aide en ce sens et l'arrêt commenté le démontre.


(1) Ass. plén., 3 avril 1987, D., 1988, somm. 122, obs. Julien.
(2) Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n° 14-13.801, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8860NHM), Gaz. Pal., 20-22 septembre 2015.
(3) Décret n° 2010-434 du 29 avril 2010, relatif à la communication par voie électronique en matière de procédure civile (N° Lexbase : L0190IHI) modifié par le décret n° 2012-1515 du 28 décembre 2012, portant diverses dispositions relatives à la procédure civile et à l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7997IUQ).
(4) Ce décret n'était applicable que jusqu'au 31 décembre 2014.
(5) Ass. plén., 5 décembre 2014, n° 13-19.674, P+B+R+I (N° Lexbase : A8234M4Q).
(6) Ass. plén., 5 décembre 2014, n° 13-27.501, P+B+R+I (N° Lexbase : A8235M4R).
(7) H. Croze, Irrecevabilité des conclusions pour violation d'une convention de procédure, JCP éd. G. n° 52, 24 décembre 2012, 1394.
(8) CA Reims, 27 novembre 2012, n°12/02121 (N° Lexbase : A5587IX9).
(9) H. Croze, Napoléon reviens, ils sont devenus fous !, Procédure 2012, repère 11.
(10) H. Croze, Irrecevabilité des conclusions pour violation d'une convention de procédure, JCP éd. G., n° 52, 24 décembre 2012, 1394.

newsid:449642

Avocats/Responsabilité

[Brèves] Pas de mise en cause de la responsabilité de l'avocat qui ne soulève pas un moyen de défense inopérant

Réf. : Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-24.616, F-P+B (N° Lexbase : A5202NU9)

Lecture: 1 min

N9681BU4

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Le 05 Novembre 2015

Un avocat n'engage pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas un moyen de défense inopérant. Telle est le rappel opéré par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 28 octobre 2015 (Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-24.616, F-P+B N° Lexbase : A5202NU9 ; cf. déjà en ce sens Ass. plén., 3 juin 1988, n° 87-12.433, publié N° Lexbase : A8911CER et Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 04-20.151, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5974D4Z). En l'espèce, sur les poursuites de saisie immobilière engagées contre M. L., nu-propriétaire, l'administration fiscale a fait sommation à son débiteur d'assister à l'audience éventuelle fixée au 24 avril 1998, laquelle, après plusieurs remises, s'est tenue le 7 janvier 2000 et l'adjudication de l'immeuble a été prononcée le 29 septembre 2000. Reprochant à son avocat d'avoir omis d'invoquer en temps utile l'inaliénabilité de l'immeuble en faveur de l'usufruitière, M. L. l'a assigné en indemnisation. Pour condamner l'avocat au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel de Toulouse retient, dans son arrêt rendu le 10 mars 2014, que celui-ci aurait dû soulever, en vue de l'audience éventuelle qui s'est tenue après plusieurs remises, le moyen tiré de l'inaliénabilité de l'immeuble et qu'en s'abstenant d'y procéder, il a commis une faute, qui a fait perdre à son client une chance d'éviter la vente aux enchères de son bien (CA Toulouse, 10 mars 2014, n° 13/01298 N° Lexbase : A5414MGM). L'arrêt sera censuré par la Haute juridiction au visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) : en statuant ainsi, alors que la responsabilité de l'avocat ne pouvait être retenue pour ne pas avoir soumis à l'appréciation du juge un moyen irrecevable en raison de la déchéance encourue de plein droit conformément aux dispositions alors en vigueur et à une jurisprudence constante, la cour d'appel a violé le texte susvisé (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4305E7L).

newsid:449681

Baux commerciaux

[Brèves] Sur la promesse de cession de droit au bail sous condition suspensive de conclusion d'un nouveau bail

Réf. : Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-20.096, FS-P+B (N° Lexbase : A0269NUI)

Lecture: 1 min

N9731BUX

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Le 05 Novembre 2015

La clause d'une promesse de cession de droit au bail subordonnée à la signature d'un nouveau bail prévoit une condition portant sur un élément essentiel à la formation du contrat devant être réputée non écrite. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2015 (Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-20.096, FS-P+B N° Lexbase : A0269NUI). En l'espèce, le titulaire d'un bail commercial s'était engagé à le céder, sous diverses conditions suspensives, dont la signature d'un nouveau bail commercial, devant être réalisées le 15 septembre 2012. Des pourparlers entre la société propriétaire et le candidat cessionnaire se sont prolongés au-delà de cette date. Invité à signer l'acte de cession le 15 janvier 2013, le cessionnaire potentiel ne s'était pas présenté en invoquant la caducité du compromis. Le locataire l'a alors assigné aux fins de voir déclarer la vente parfaite et de le voir condamné au paiement de diverses sommes. Cette demande a été rejetée par les juges du fond au motif que le juge n'a pas le droit de modifier la loi des parties en appréciant la cohérence des contrats et en procédant à leur réfaction par des considérations propres et qu'il n'y a pas lieu de déclarer non écrite la clause subordonnant la cession de bail à la signature d'un nouveau bail (CA Nîmes, 24 avril 2014, n° 13/01081 N° Lexbase : A4982MKQ). Le locataire s'est pourvu en cassation. La Cour de cassation a censuré la décision des juges du fond, au visa de l'article 1168 du Code civil (N° Lexbase : L1270ABN), au motif que la clause qui prévoit une condition portant sur un élément essentiel à la formation du contrat doit être réputée non écrite (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E6805AER).

newsid:449731

Baux d'habitation

[Brèves] Cotitularité du bail entre époux : la transcription du jugement de divorce met fin à la cotitularité du bail, tant légale que conventionnelle

Réf. : Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-23.726, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7682NTP)

Lecture: 2 min

N9641BUM

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Le 05 Novembre 2015

La transcription du jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l'un des époux met fin à la cotitularité du bail, tant légale que conventionnelle. Tel est le principe énoncé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d'un arrêt rendu le 22 octobre 2015 (Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-23.726, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7682NTP ; inversement, il avait déjà été jugé qu'un époux reste tenu solidairement du paiement des loyers jusqu'à la transcription du jugement de divorce en marge des registres de l'état civil, quand bien même il aurait quitté le logement avant cette transcription : Cass. civ. 2, 3 octobre 1990, n° 88-18.453 N° Lexbase : A3920AHN ; mais la précision ici apportée quant à la fin de la cotitularité "tant légale que conventionnelle" donne à cet arrêt la valeur d'arrêt de principe). En l'espèce, une SCI avait donné à bail en 1991 aux époux X un appartement à usage d'habitation ; le jugement de divorce du 2 septembre 1997 avait attribué le droit au bail à Mme X qui avait été par la suite placée en liquidation judiciaire et était décédée le 11 septembre 2010 ; la SCI avait assigné M. X et Mme Y, mandataire à la liquidation judiciaire de Mme X, en paiement des loyers échus d'octobre 2010 au 20 mai 2011, date de restitution des clés. La SCI faisait grief à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 4, 3ème ch., 26 juin 2014, n° 12/10048 N° Lexbase : A9340MRD) de rejeter sa demande en paiement dirigée contre M. X, soutenant que chaque colocataire d'un bail d'habitation demeure redevable du paiement des loyers tant que le bail n'a pas été résilié, et que le divorce des époux colocataires d'un bail d'habitation met certes fin au bénéfice de la cotitularité légale du bail prévue à l'article 1751 du Code civil (N° Lexbase : L8983IZQ) à compter de la transcription du jugement prononçant le divorce, en cas d'attribution du bail à l'un des ex-époux, mais ne met pas fin pour autant à la colocation résultant de la signature du bail par chacun des époux. La SCI faisait ainsi valoir que M. X ne pouvait, du fait de son divorce, soutenir qu'il avait perdu la qualité de locataire, dans la mesure où il n'avait jamais donné congé à la SCI, laquelle n'avait d'ailleurs pas été avertie du divorce des époux. Le raisonnement est écarté par la Cour suprême qui énonce que la transcription du jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l'un des époux met fin à la cotitularité du bail tant légale que conventionnelle. Ainsi, en ayant relevé que le jugement de divorce des époux X ayant attribué le droit au bail de l'appartement à l'ex-épouse avait été transcrit sur les registres de l'état civil le 7 janvier 1998, ce dont il résultait que M. X n'était plus titulaire du bail depuis cette date, la cour d'appel avait, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision (cf. l’Ouvrage "Droit des régimes matrimoniaux" N° Lexbase : E8834ETD).

newsid:449641

Contrats administratifs

[Brèves] Contestation portant, dans le cadre d'un recours "Tropic-Tarn-et-Garonne", sur l'annulation du contrat et sur l'indemnisation du concurrent évincé

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 21 octobre 2015, n° 384787, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8631NTT)

Lecture: 2 min

N9754BUS

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Le 06 Novembre 2015

L'appel incident d'une collectivité contestant l'annulation d'un marché par le juge du contrat ne soulève pas un litige distinct de l'appel du concurrent évincé portant sur la réparation du préjudice résultant de son éviction. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 21 octobre 2015 (CE 2° et 7° s-s-r., 21 octobre 2015, n° 384787, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8631NTT, voir sur les conclusions de l'appel incident soulevant un litige différent de celui qui résulte de l'appel principal, CE, 26 juin 1989, n° 75747, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2039AQL). La région Provence-Alpes-Côte d'Azur a lancé une procédure d'appel à la concurrence en vue de l'attribution d'un marché de location de longue durée de véhicules pour son parc automobile. Par un jugement rendu sur la demande d'un concurrent évincé, le tribunal administratif de Marseille a annulé le marché et condamné la région au versement de la somme de 99 200 euros en réparation du préjudice subi. Le concurrent évincé a fait appel de ce jugement en tant seulement qu'il rejetait le surplus de ses conclusions indemnitaires, la région ayant, pour sa part, formé un appel incident dirigé, non seulement contre la condamnation prononcée par le jugement attaqué, mais aussi contre la partie du dispositif annulant le marché litigieux. La cour administrative d'appel (CAA Marseille, 6ème ch., 21 juillet 2014, n° 12MA04778 N° Lexbase : A7194M9C) a rejeté comme irrecevables les conclusions de l'appel incident dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il annulait le marché au motif qu'elles soulevaient un litige distinct de l'appel principal. Le Conseil d'Etat censure cette décision au motif que, "lorsque le juge se prononce sur les différentes conclusions dont il peut être saisi dans le cadre d'un tel recours, qu'il s'agisse d'annuler totalement ou partiellement le contrat, d'en prononcer la résiliation ou de modifier certaines de ses clauses, ou encore de décider la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation, ou bien d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, ces mesures se rattachent toutes à un même litige". L'appel incident présenté par la région ne soulevait donc pas un litige distinct des conclusions de l'appel principal présenté par le concurrent évincé.

newsid:449754

Copropriété

[Jurisprudence] Un syndicat de copropriété usucapant ! Les copropriétaires doivent-ils se méfier du syndicat de copropriété ?

Lecture: 13 min

N9710BU8

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par Lionel Bosc, ATER, Université Toulouse I Capitole

Le 05 Novembre 2015

"La prescription apparaît à première vue comme une institution spoliatrice puisqu'elle a pour conséquence de dépouiller le propriétaire d'une chose ou d'un droit" (1). L'effet acquisitif de la prescription est d'une efficacité sans pareille. Si la mécanique juridique de cette institution ne laisse plus beaucoup de place aux doutes, ses applications révèlent encore quelques surprises. L'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation daté du 8 octobre 2015 en constitue une nouvelle relativement à un syndicat de copropriété. En l'espèce, M. R., propriétaire d'un immeuble, a divisé celui-ci en plusieurs lots dans la volonté de les vendre. Mme C., veuve de M. R., et Mme R. ont vendu, par acte du 19 décembre 2007, un lot, correspondant à un garage, à Mme D., déjà propriétaire d'autres lots. Le syndicat de copropriétaires assignera alors ces trois dernières en inopposabilité de la vente et en restitution du lot, se prévalant du bénéfice de la prescription sur le lot, objet de l'acte.

La cour d'appel de Reims, dans un arrêt confirmatif daté du 4 février 2014 (CA Reims, 4 février 2014, n° 12/01030 N° Lexbase : A5673MDH), rejettera la demande en considérant, d'une part, que l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4826AH9) interdit d'imposer à un copropriétaire la transformation d'une partie privative en partie commune et, d'autre part, que l'objet d'un syndicat de copropriétaire, à savoir conserver et administrer l'immeuble, exclut une acquisition par prescription acquisitive au sein de la copropriété.

Le pourvoi formé par le syndicat de copropriété offre l'opportunité à la Cour de cassation de se prononcer sur l'éventuel bénéfice de l'usucapion à son profit, en cette qualité et sur l'immeuble en copropriété, source de son objet. C'est par un attendu sibyllin, aux allures d'attendu de principe, que la troisième chambre civile répond par l'affirmative en cassant l'arrêt de la cour d'appel de Reims, et affirmant qu'aucune "disposition ne s'oppose à ce qu'un syndicat de copropriétaires acquière par prescription la propriété d'un lot".

La prescription acquisitive est souvent reconnue comme un mode parfait d'acquisition de la propriété. En ce sens, si la Cour de cassation affirme avec force la possibilité offerte à un syndicat de copropriétaires la possibilité de prescrire à son profit une partie privative (I), il n'en reste pas moins que cette solution pourrait étonner quant aux moyens de reconnaissance de celle-ci, notamment au regard des qualités de la possession (II), particulièrement lorsque l'objet prescrit se situe au sein de la copropriété du syndicat.

I - L'absence d'interdiction de prescrire au bénéfice d'un syndicat de copropriété

L'article premier de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : L4818AHW), régit "tout immeuble bâti ou groupe d'immeubles bâtis dont la propriété est répartie, entre plusieurs personnes, par lots comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes". Rien d'étonnant que la motivation de la cour d'appel se fonde essentiellement sur celle-ci. Or, cette motivation ne se fonde quasi-exclusivement que sur les dispositions particulières de la loi de 1965. C'est précisément sur cette question que la Cour de cassation prononce sa cassation justifiant de l'absence d'interdiction de prescrire, qu'elle soit générale (A) ou bien plus spéciale (B).

A - L'absence d'interdiction générale de prescrire à l'encontre d'un syndicat de copropriété

"Les parties communes sont l'objet d'une propriété indivise entre l'ensemble des copropriétaires ou certains d'entre eux seulement [...]" énonce l'article 4 de la loi de 1965 (N° Lexbase : L4846AHX). La copropriété est un régime de gestion d'immeuble dont la propriété revêt une forme collective. Les copropriétaires ont la propriété exclusive de leurs parties privatives respectives, auxquelles doit être ajoutée la propriété indivise des parties considérées communes, propriété appréhendée par une quote-part, déterminée par l'importance de leur propriété privative respective. La copropriété se structure donc en grande partie sur le régime de l'indivision, indivision dont on ne peut s'échapper. Aussi la prescription acquisitive ne connaît-elle aucun mal à trouver sa place au sein de ce régime particulier. En effet, si l'application de l'usucapion à un bien indivis par un tiers à l'indivision ne pose pas de difficulté, il en va de même s'agissant de l'usucapion d'un bien indivis par un indivisaire. La Cour de cassation a pu maintes fois se prononcer sur la question sans jamais vaciller (2), mais encore faut-il que les caractères de la possession y soient retrouvés (3). Or, poser la question de la reconnaissance de l'usucapion au bénéfice du syndicat de copropriété pose celle plus générale du bénéfice de l'usucapion à une personne morale (4). Ici aussi la position de la Cour de cassation est d'une clarté sans faille (5). Plus encore, le droit de copropriété peut s'acquérir par prescription (6). En faut-il plus pour considérer que la personne morale représentant la copropriété puisse acquérir par prescription. Si le cas de l'usucapion d'un copropriétaire sur une partie commune, donc aux dépens de la copropriété, a connu quelques illustrations (7), la Haute cour avait également déjà pu reconnaître qu'un syndicat de copropriété puisse acquérir par usucapion abrégée aux dépens d'un autre syndicat de copropriété (8). La reconnaissance de cette faculté était le préalable nécessaire à l'extension de cette faculté au sein de son propre objet. La cour d'appel de Reims ayant refusé de franchir ce pas, il en fut autrement de la Cour de cassation. Or, force est de constater qu'effectivement, rien n'interdit par principe, au sein des règles gouvernant la prescription acquisitive, à une personne morale, et spécifiquement à un syndicat de copropriété, de prescrire. Cela étant, il est nécessaire que les conditions requises soient réunies. Or, rien n'indique qu'elles ne le soient pas, la cour d'appel n'ayant pas pris soin de les qualifier, pas plus qu'elles n'aient été invoquées par le pourvoi en cassation.

B - L'absence d'interdiction spéciale au bénéfice du syndicat de copropriété

L'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 énonce, notamment, que "l'assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu'elles résultent du règlement de copropriété", article au coeur de la motivation de la cour d'appel. Or, les magistrats rémois ont fondé leur arrêt quasi-exclusivement sur ce point, motivation qui va à bon droit être sanctionnée par les magistrats du Quai de l'Horloge. La cour d'appel a semble-t-il considéré que les conséquences de la reconnaissance de l'usucapion au bénéfice du syndicat impliquait nécessairement un changement de la destination d'un bien privatif, tel que visé par l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4826AH9), dont l'assemblée générale aurait conséquemment dû entériner ledit changement. En ce sens, le raisonnement de la juridiction d'appel portait, non sur les conditions de reconnaissance de la prescription acquisitive, mais sur les conséquences de cette dernière. Ainsi, il apparaît que l'interdiction visée par l'article 26 de la loi relative à la copropriété changeait de sens. En effet, si cette dernière proscrit le droit "d'exproprier" d'un bien privatif son titulaire, elle n'interdit nullement à l'assemblée générale de transcrire l'acquisition de la propriété d'un bien privatif de la copropriété par usucapion. Comment pourrait-il en être autrement, la prescription acquisitive étant non seulement un mode légal d'acquisition de la propriété, mais de plus, un mode originaire. Aussi, la position de la Cour de cassation apparaît-elle bien plus pertinente sur ce point. L'assemblée générale ne porte atteinte à aucun droit fondamental puisque le transfert de propriété n'a pas lieu de son fait mais de celui de la loi, celle-ci ne venant qu'entériner un transfert déjà opéré, et venant conséquemment lui donner une traduction juridique en son propre sein. En ce sens, le transfert de propriété opéré par l'usucapion va donner lieu à une modification du règlement de copropriété, puisque non seulement la destination du bien prescrit va être modifiée, mais également les droits, par exemple de vote en son sein, vont également l'être au détriment du propriétaire évincé qui perdra les droits afférents à son ancienne propriété privative.

La solution retenue par la Haute cour trouve certainement sens dans l'essence du syndicat de copropriété. Devant être perçu comme une personnification de l'indivision par l'effet de la loi, le syndicat se doit de protéger au mieux les intérêts de l'ensemble des copropriétaires, par sa mission de gestion et de conservation de l'objet de l'indivision qu'est l'immeuble en copropriété. Or, en l'espèce, il convient de relever que cet intérêt particulier de ce collectif déterminé est en contrariété avec l'un de ses composants qu'est le copropriétaire évincé, l'intérêt de ce collectif semblant prévaloir sur celui d'un seul. A ce titre, l'arrêt est intéressant au regard de la possession qui est assurée par les copropriétaires, alors même que celui évincé ne s'y oppose pas comme il en a le droit en tant que propriétaire, la propriété ne pouvant s'éteindre simplement par son non-usage (9).

II - L'étonnante reconnaissance de la prescription acquisitive au bénéfice d'un syndicat de copropriété en son sein

Nous ne pouvons que donner raison à la Cour de cassation sur le principe énoncé : il n'existe pas d'interdiction à l'encontre des syndicats de copropriétaires de prescrire des biens au sein de la copropriété dont ils émanent. Cependant, si la Cour de cassation semble n'avoir été saisie que de cette question spécifique, la solution retenue pose plus d'interrogations qu'elle n'en résout. Aussi nous semble-t-il qu'une substitution de motifs eut été bien plus judicieuse au sens où si l'interdiction n'est pas directement visée par la loi, il n'en reste pas moins que le principe retenu connaît une contrariété tant dans les caractères de la possession (A) que l'essence même du syndicat de copropriété (B).

A - L'étonnante reconnaissance de l'usucapion par l'absence de possession véritable

Pour prescrire, il faut posséder, et ce n'est que l'effet prolongé de cette possession qui permet de prescrire. Aussi la reconnaissance d'une prescription acquisitive suppose-t-elle au préalable la reconnaissance d'une possession véritable. Aux termes de l'article 2228 du Code civil (N° Lexbase : L7213IAE), "la possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom". L'efficacité de celle-ci est énoncée dans l'article suivant qui exige une possession "continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire". Ces conditions se résument souvent en doctrine par l'animo domini d'une part, et le corpus d'autre part. Pourtant, la possession utile, condition nécessaire à l'effet acquisitif de la prescription, n'est pas évoquée par la Cour de cassation, ni dans son principe, ni dans ses caractères, pas plus qu'elle ne l'est par la cour d'appel.

Si le corpus doit se regarder sous l'angle des actes réalisés sur le bien objet de la possession, l'animo domini se voit quant à lui sous l'angle de la croyance d'être le véritable propriétaire, à tout le moins d'agir en tant que tel. L'arrêt étonne à ce titre : la Cour de cassation affirme sans ambages qu'un syndicat de copropriétaires peut acquérir un lot, lot faisant partie de l'immeuble objet du syndicat, par prescription acquisitive. Or, il semble que si nous ne donnons pas nécessairement tort à la Cour s'agissant des dispositions applicables spécifiquement à la copropriété, où aucune interdiction ne ressort explicitement du régime de la copropriété, nous ne saurions lui donner raison quant à des dispositions plus générales. En effet, il nous apparaît relativement peu aisé, pour ne pas dire impossible, que l'animus, entendu comme "l'âme du propriétaire", puisse être caractérisé au bénéfice du syndicat, pas plus que la possession en ses caractères.

D'une part, l'animus permet d'exclure le possesseur précaire des effets de la possession véritable, et à ce titre, il nous semble qu'un syndicat de copropriétaire ne puisse se prévaloir que d'une possession précaire. Ce dernier se voyant doté de la mission de gestion et d'administration de l'immeuble, il n'agit au sein de celui-ci qu'en vertu de cette mission. Or, quand bien même serait-il composé de l'ensemble des copropriétaires de l'immeuble dont un lot est l'objet de la prescription, non seulement cet ensemble ne peut que difficilement penser en un seul sens, mais encore il n'a de volonté que lors de l'assemblée générale des copropriétaires ! Cette dernière ayant l'obligation de se réunir annuellement a minima, les droits de vote de chacun des copropriétaires au sein de celle-ci étant définis selon les droits respectifs de chaque propriétaire proportionnellement au tantièmes de propriété afférents à leurs lots et quote-part sur les communs (10), il doit en être déduit que chaque copropriétaire, mais surtout le syndicat de copropriétaires lui-même, ne peut ignorer les droits respectifs de chacun des copropriétaires. Conséquemment, les votes au sein de cette assemblée générale doivent potentiellement être considérés comme des troubles de possession puisqu'ils consacrent les droits de vote respectifs, ces derniers n'étant que la traduction de la propriété de biens privatifs et de la quote-part afférente sur les parties communes.

D'autre part, le corpus, autrement dit les actes matériels sur l'objet de prescription, se réalise par les caractères explicites de la possession posés par l'article 2229 du Code civil (11). Celle-ci doit être "continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire". Si le caractère paisible de la possession ne soulève pas de difficulté en l'espèce, il en va différemment s'agissant des autres. En effet, s'il peut être admis que le syndicat puisse posséder utilement, cette possession ne saurait être publique dès lors qu'elle a lieu au sein même de la copropriété, sauf à considérer que la publicité est assurée entre et par ceux qui matérialiseraient la possession elle-même. De même, le caractère temporel de la possession semble connaître d'un vice évident. En effet, si la durée de trente ans de possession ne semble pas en l'espèce contestée, encore faudrait-il que ce laps de temps n'ait pas connu ni interruption ni suspension. A cet effet, une possession ne peut être "continue et non interrompue" dès lors qu'un syndicat de copropriétaires a notamment pour obligation de réunir les copropriétaires en assemblée générale au moins une fois par an. Le vote des copropriétaires étant déterminé par les droits respectifs de chacun des copropriétaires, il peut en être déduit que l'absence de contestation de ces votes conduit à la reconnaissance au sein de la copropriété des droits respectifs de chacun et conséquemment des objets de propriété afférents. Ainsi, non seulement le vote au sein de l'assemblée générale trouble la possession de celui-ci qui s'en prévaut, mais encore il constitue une reconnaissance de droits concurrents. Enfin, la possession ne peut que connaître d'un vice d'équivocité par son caractère précaire. En ce sens, le syndicat de copropriétaires est chargé de la gestion et de l'administration de l'immeuble aux termes de la loi du 10 juillet 1965. Son éventuelle possession doit donc nécessairement être qualifiée de précaire puisque non seulement celle-ci se justifie par une obligation légale, mais plus encore, parce qu'elle justifie l'existence même du syndicat.

B - L'étonnante reconnaissance de l'usucapion par la contrariété avec l'objet du syndicat

Le syndicat de copropriété est, aux termes de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4807AHI), constitué de plein droit à la création de la copropriété. L'alinéa 4 du même article lui attribue comme objet "la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes" et en affirme son domaine de responsabilité. Aussi doit-il en être argué qu'un syndicat de copropriétaire ne peut valablement posséder, ne serait-ce qu'au simple égard de la non équivocité de la possession, sur l'objet de propriété dont il a la mission de gestion et de conservation. Qu'un syndicat de copropriété puisse posséder sur une assiette de propriété différente de la sienne et fasse à ce titre jouer pleinement le rôle de la possession et de l'usucapion ne pose pas d'obstacle de principe (12), mais qu'il le puisse sur son propre objet de droit apparaît contradictoire, quand bien même cet objet connaît des propriétés multiples. Non seulement il prescrit à l'encontre d'un de ses membres, mais de plus il dépasse son objet. En effet, sur ce dernier point, son objet doit être regardé comme gouverné par un principe de liberté. Cependant, cette liberté se retrouve dans la rédaction du règlement de copropriété que le syndicat a pour mission de faire respecter (13). Doit donc en être déduit que cette liberté se retrouve non dans les missions du syndicat, mais dans la rédaction du règlement de copropriété. Conséquemment, si prescrire ne lui est pas expressément interdit, un syndicat de copropriété ne devrait pas pouvoir prescrire en son propre sein, la limitation légale de son objet invitant à une limitation de son action. Reconnaître la possibilité à un syndicat de copropriété de dépasser son propre objet, qui plus est à l'encontre d'un de ses membres, ne peut conduire qu'à l'instauration d'un climat de méfiance entre le syndicat et les copropriétaires qui le composent.

La solution dégagée par la troisième chambre civile ne doit certainement être qu'un arrêt d'espèce. Pourtant, la forme de l'arrêt pourrait laisser croire qu'il s'agit d'un arrêt dont la portée ne se limite pas à la question d'espèce. En ce sens, s'il ne semble pas contestable qu'aucune "disposition [de la loi du 10 juillet 1965] ne s'oppose à ce qu'un syndicat de copropriétaires acquière par prescription", porter ce principe à la "prescription de la propriété d'un lot" de la copropriété apparaît bien plus critiquable, tant sur le principe que dans l'espèce. Relativement à l'espèce tout d'abord, il ne fait que peu de doute que le propriétaire du lot objet du contentieux ne laissait utiliser son lot que par simple tolérance. En effet, celui-ci était le propriétaire initial de l'immeuble, et c'est en tant que tel, qu'il a transformé cet immeuble en copropriété. Or, là aussi, il ne fait que peu de doute que le règlement de copropriété énonçait la destination de l'objet du contentieux, et une tolérance du propriétaire dans l'usage qui pouvait en être fait par les autres copropriétaires n'était de nature ni à fonder la possession ni conséquemment à qualifier la possession. Relativement au principe ensuite, justifier de la possession véritable du syndicat de copropriété et de la prescription acquisitive conséquente connaît une double limite : technique d'une part quant aux caractères de la possession et à l'objet du syndicat, et d'autre part, matérielle en ce qu'il s'agit de transformer un objet de propriété au titulaire unique en un objet de propriété indivis dont le premier est également propriétaire. Ainsi, l'objet de propriété ne connaît qu'un transfert relatif : le propriétaire privatif dépossédé reste propriétaire mais son droit n'est désormais qu'indivis, ce qui n'est pas sans poser d'interrogations sur le sens de la prescription acquisitive, voire même sur sa nature.

Gageons que la Cour de cassation sera rapidement saisie à nouveau de la question et précisera cette position de manière plus explicite.


(1) F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, PUF, 3ème éd., 2008, p. 664, n° 458.
(2) Cass. civ. 3, 12 octobre 1976, n° 75-10.220 (N° Lexbase : A2072CH9), Bull. civ. III, n° 341 ; Cass. civ. 3, 6 juin 1974, n° 72-12.423 (N° Lexbase : A3274CGD), Bull. civ. III, n° 235.
(3) Cass. civ. 1, 17 avril 1985, n° 83-14.683 (N° Lexbase : A2562AA7), Bull. civ. I, n° 120.
(4) L'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4807AHI) énonce que le syndicat de copropriété se voit conféré la "personnalité civile".
(5) Spécifiquement à la copropriété : Cass. civ. 3, 25 mars 2014, n° 11-17.435, F-D (N° Lexbase : A2542MIY) : en l'espèce, la cassation partielle porte sur le droit prescrit, validant le droit de prescrire au bénéfice du syndicat.
(6) Cass. civ. 1, 16 avril 1959, Bull. civ. I, n° 198.
(7) Cass. civ. 3, 26 mai 1993, n° 91-11.185 (N° Lexbase : A5959C34).
(8) Cass. civ. 3, 25 mars 2014, n° 11-17.435, F-D (N° Lexbase : A2542MIY).
(9) Cass. civ. 3, 9 juillet 1970, n° 69-10.573 (N° Lexbase : A7883CG3).
(11) Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, art. 22 (N° Lexbase : L4822AH3).
(11) Aujourd'hui, C. civ., art. 2261 (N° Lexbase : L7210IAB).
(12) Déjà en ce sens : CA Paris, 23ème ch., sect. A, 7 mai 2002, n° 1996/16323 (N° Lexbase : A9772AZX).
(13) Cass. civ. 3, 16 juillet 1996, n° 94-12.762 (N° Lexbase : A3199CUZ), RDI, 1996, p. 613, obs. Capoulade.

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Réduction d'impôt pour investissements ultramarins : traitement fiscal des loyers impayés

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 365765, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5698NST)

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par Frédéric Douet, Professeur à l'Université de Rouen

Le 05 Novembre 2015

Dès lors qu'un contribuable peut être considéré comme ayant renoncé à percevoir des loyers, ce contribuable doit être regardé à la fois comme ayant consenti une libéralité à son locataire défaillant et comme étant imposable à hauteur des loyers non perçus (CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 365765, mentionné aux tables du recueil Lebon). Exposé du litige. Le 1er octobre 2015, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt relatif, notamment, au traitement fiscal des loyers impayés (cet arrêt tranche une autre question relative à la notion "d'habitation principale" au sens de la réduction d'impôt sur le revenu prévue par l'article 199 undecies A du CGI N° Lexbase : L5234IZU au titre de certains investissements réalisés outre-mer). A la lecture de l'arrêt dont l'annulation était demandée, il apparaît qu'un père avait constitué une société civile immobilière (SCI) avec ses deux fils (CAA Nantes, 1ère ch., 13 décembre 2012, n° 12NT00843 N° Lexbase : A7542IZD). Le litige portait notamment sur la réintégration de loyers non encaissés dans les recettes foncières brutes de cette SCI au titre des années 2004 et 2005. Cela permet d'induire que la SCI louait des locaux non meublés et qu'elle était semi-transparente fiscalement, c'est-à-dire que chaque associé était personnellement soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus fonciers à concurrence de la part de bénéfices sociaux correspondant à ses droits dans la société (v. plus particulièrement sur cette question : nos obs., Précis de droit fiscal de la famille, 14ème éd., LexisNexis, 2015, n° 1602). Son résultat était donc déterminé sur la base d'une comptabilité de caisse et non d'une comptabilité d'engagement. Par un acte du 26 avril 2004, la SCI a donné en location une maison d'habitation moyennant un loyer mensuel de 610 euros. Cela correspondait à un loyer annuel de 7 320 euros (610 euros x 12 mois). Toutefois, le montant des revenus fonciers que la SCI a déclaré au titre de cette location s'est limité à moitié moins, soit à 3 660 euros en 2004 comme en 2005. L'un des associés de la SCI a fait l'objet d'un contrôle sur pièces au titre des années 2004 et 2005. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale lui a notifié des rectifications consécutives à la détermination de sa quote-part de revenus fonciers réalisés par la SCI. Cela a eu pour effet de diminuer le montant des déficits fonciers qu'il avait déclarés au titre des années 2004 et 2005. Tant en première instance (TA Orléans, 24 janvier 2012, n° 0900215 et 0902895 N° Lexbase : A0307I3R) qu'en appel, le juge fiscal a estimé que les services fiscaux étaient fondés à réintégrer le montant des loyers dus à la SCI dans ses recettes brutes. Cette solution a été validée par les magistrats du Palais-Royal. Ceux-ci considèrent que le traitement fiscal des loyers impayés dépend du fait de savoir si le bailleur a ou non accompli des diligences en vue de leur recouvrement.

Traitement fiscal des loyers impayés conditionné par les diligences accomplis en vue de les recouvrer. Le traitement fiscal des loyers impayés dépendrait des diligences éventuellement accomplies par le bailleur en vue de les recouvrer (exemples : demande d'injonction de payer auprès du tribunal d'instance, signification par un huissier de justice d'un commandement de payer, inscription de la somme due au titre de la procédure de surendettement des particuliers...). Cette solution n'est pas nouvelle (dans le même sens : CE, 7° et 8° s-s-r., 26 juin 1992, n° 72164, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6963ARC ; CE, 8° et 9° s-s-r., 23 novembre 1977, n° 98227, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7624AYZ). L'administration fiscale adopte la même position (BOI-RFPI-BASE-10-10-20140214, n° 70 N° Lexbase : X4941ALL). Cela conduit à distinguer deux cas de figure :
- le premier correspond à la situation dans laquelle le bailleur démontre qu'il a accompli des diligences (même non suivies d'effets) afin de tenter d'obtenir le recouvrement des loyers impayés. Cette démonstration permet d'éviter la fiscalisation du bailleur et de son locataire à hauteur des sommes dues ;
- le second est celui dans lequel les mesures de recouvrement diligentées à l'encontre du locataire défaillant sont soit inexistantes, soit insuffisantes ou soit tardives. D'après la solution dégagée par le juge fiscal, il faudrait alors admettre que le bailleur, d'une part, consentirait une libéralité à son locataire et, d'autre part, devrait faire apparaître les loyers impayés parmi ses revenus imposables.

Admettre l'existence d'une libéralité, en l'occurrence d'une donation indirecte, c'est admettre le droit pour les services fiscaux de réclamer des droits de mutation à titre gratuit au locataire. Entre personnes non parentes, non mariées et non pacsées, ces droits sont calculés au taux de 60 % sans abattement (CGI, art. 777 N° Lexbase : L4680I7H).

Admettre que les loyers impayés soient imposables entre les mains du bailleur, c'est admettre que ces loyers soit diminuent le déficit foncier de ce bailleur, soit augmentent l'assiette de ses prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (prélèvements sociaux calculés au taux global de 15,5 % : 8,2 % de CSG, 0,5 % de CRDS, 4,5 % de prélèvement social, 0,3 % de contribution additionnelle au prélèvement social et 2 % de prélèvement de solidarité) et de l'impôt sur le revenu de son foyer fiscal.

En l'espèce, la locataire ne s'est acquittée au titre de 2004, que de six mois de loyer sur une période de location d'une durée, a priori, de huit mois (la location avait été consentie le 26 avril 2004) et, au titre de 2005, que de la moitié des loyers. En appel, le juge fiscal a, d'abord, souligné que la locataire avait rencontré des difficultés financières après avoir contracté différents emprunts sans rapport avec ses capacités de remboursement. Mais le début de ces difficultés se situait au plus tôt au printemps 2005. Ensuite, le requérant avançait également, sans toutefois le démontrer, que les difficultés financières de sa locataire étaient liées à la prise en charge par celle-ci de son père souffrant. Enfin, le bailleur s'était "contenté" d'inscrire sa créance dans le cadre de la procédure menée devant la commission de surendettement des particuliers. Cependant, le juge fiscal a estimé que cette seule mesure était insuffisante.

Une improbable libéralité consentie au locataire. L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 1er octobre 2015 énonce que le bailleur doit être regardé comme ayant consenti une libéralité à sa locataire en renonçant à percevoir les loyers dus par celle-ci. En procédant de la sorte, le bailleur accorde à sa locataire un avantage qui résulte d'un acte autre qu'une donation.

Cependant, la constatation de l'abandon par le bailleur des loyers ne permet pas à elle seule de caractériser l'existence d'une donation indirecte (En ce sens : CA Dijon, 1ère ch. civ., sect.C, 21 février 2012, n° 10/02255 N° Lexbase : A9282ID7 : le déséquilibre d'une opération ne constitue pas, en soi, la preuve d'une donation indirecte). En effet, la reconnaissance d'un avantage indirect est subordonnée à la preuve d'une intention libérale (Cass. civ. 1, 18 janvier 2012, n° 10-25.685, FS-P+B+I N° Lexbase : A8695IAB ; Cass. com., 11 avril 2012, n° 10-27.235, FS-P+B N° Lexbase : A6018IIQ ; Cass. civ. 1, 18 janvier 2012, n° 11-12.863, FS-P+B+I N° Lexbase : A8698IAE. Antérieurement à ces arrêts, le bénéficiaire d'un avantage indirect en devait compte à ses cohéritiers, même en l'absence d'intention libérale établie : Cass. civ. 1, 8 novembre 2005, n° 03-13.890, P+B N° Lexbase : A5927DL4). Le fait, pour le bailleur, de ne pas chercher à recouvrer le montant des loyers qui lui sont dus (ou de le faire tardivement ou de façon inefficace) n'est donc pas de nature à caractériser ipso facto l'existence d'une donation indirecte.

Par ailleurs, il est envisageable que l'absence de recouvrement par le bailleur de sa créance soit dictée par un devoir moral ou un devoir de conscience envers un locataire confronté à des difficultés financières. Cela est de nature à fonder l'existence d'une obligation naturelle. Le fait d'exécuter cette obligation en s'abstenant de réclamer les loyers dus a pour effet de transformer cette obligation en obligation civile (en ce sens, s'agissant de la transformation de l'obligation : Cass. civ. 1, 23 mai 2006, n° 04-19.099, F-P+B N° Lexbase : A6752DPR ; Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 02-18.904, F-P+B N° Lexbase : A8662DEK ; Cass. civ. 1, 10 octobre 1995, n° 93-20.300, publié au bulletin N° Lexbase : A6097ABG). Sous cet angle, le bailleur ne consent pas une libéralité à son locataire dans la mesure où l'absence de diligences en vue du recouvrement de sa créance lui permet de se libérer de l'obligation civile qui pèse sur lui.

Imposition entre les mains du bailleur des loyers non encaissés. La solution adoptée par le Conseil d'Etat est bâtie sur l'article 12 du CGI (N° Lexbase : L1047HLD). Celui-ci dispose que l'impôt sur le revenu "est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année". La règle édictée par l'article 12 du CGI est une règle générale. Son application est écartée en cas d'existence de règles spécifiques aux différentes catégories d'imposition. Tel est le cas en matière de revenus fonciers où la "disponibilité" des revenus cède la place à la date de leur perception (CGI, art. 29 N° Lexbase : L1068HL7). Il s'agit d'une comptabilité de caisse. Le revenu brut foncier et les charges de la propriété sont respectivement constitués par les sommes encaissées et les sommes décaissées au cours de l'année d'imposition. Le juge fiscal raisonne en termes de créances en acceptant l'imposition de loyers non encaissés. Cela revient à délaisser la comptabilité de caisse prévue en matière de revenus fonciers par l'article 29 du CGI au profit d'une comptabilité d'engagement. Or, seule la location meublée ou équipée procure des bénéfices industriels et commerciaux imposables dans le cadre d'une telle comptabilité (v. plus particulièrement sur le champ d'application des revenus fonciers : nos obs., Précis de droit fiscal de la famille, préc., n° 48 et s.). Une comptabilité d'engagement offre la possibilité de constater par voie de dépréciation l'incertitude affectant le recouvrement des créances afférentes aux loyers impayés. Rien de tel en matière de revenus fonciers.

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Fiscalité du patrimoine

[Brèves] ISF : interprétation stricte des conditions relatives à l'exonération des biens professionnels et refus d'extension aux actifs des filiales

Réf. : Cass. com., 20 octobre 2015, n° 14-19.598, FS-P+B (N° Lexbase : A0264NUC)

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N9688BUD

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Le 10 Novembre 2015

L'article 885 O ter du CGI (N° Lexbase : L8826HLH), qui limite la portée de l'exonération de taxation des biens professionnels à l'ISF, est d'interprétation stricte, en sorte que son champ d'application ne s'étend pas aux actifs des filiales et sous-filiales des sociétés constituant un groupe et que le terme "société", qu'il mentionne, renvoie seulement à la société qualifiée de bien professionnel par l'article 885 O bis du même code (N° Lexbase : L1126ITU), dans laquelle le contribuable détient des parts sociales. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 20 octobre 2015 (Cass. com., 20 octobre 2015, n° 14-19.598, FS-P+B N° Lexbase : A0264NUC). Aux termes de l'article 885 O ter du CGI : "seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considéré comme un bien professionnel". Au cas présent, un couple de contribuables dirige une agence immobilière dont ils possèdent l'intégralité des actions. Celle-ci détient la totalité du capital d'une autre société, administrateur de biens et syndic de copropriété, qui détient elle-même le capital d'une troisième société, laquelle est propriétaire de biens immobiliers au travers de six filiales. Estimant que l'agence, au travers de filiales et sous-filiales, possédait un patrimoine immobilier qui n'apparaissait pas nécessaire à son activité et ne répondait donc pas aux conditions d'exonération posées par l'article 885 O ter du CGI, l'administration fiscale a notifié au couple des propositions de rectification de leur ISF. Toutefois, la Haute juridiction n'a pas donné raison à l'administration. En effet, elle a confirmé la décision de la cour d'appel (CA Versailles, 3 avril 2014, n° 12/00260 N° Lexbase : A4333MIC) qui énonçait, d'une part, qu'aucune disposition ne prévoit l'extension du champ d'application de l'article 885 O ter aux actifs des filiales et sous-filiales de l'ensemble des sociétés composant le groupe en sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher si les actifs de ces sociétés sont nécessaires à l'activité de la société mère, et, d'autre part, que la participation de la société mère dans sa filiale était nécessaire à son objet social, pour conclure à l'utilité professionnelle de cette participation .

newsid:449688

Habitat-Logement

[Brèves] Installation illicite de campements situés à l'angle d'avenues et à proximité d'une bretelle de sortie du boulevard périphérique : l'expulsion sans délai des occupants justifiée par un motif de sécurité

Réf. : Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-11.776, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7681NTN)

Lecture: 2 min

N9639BUK

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Le 05 Novembre 2015

L'expulsion sans délai, ordonnée par la Ville de Paris, des occupants de campements installés illicitement sur des espaces situés à l'angle d'avenues et à proximité d'une bretelle de sortie du boulevard périphérique, se trouvait légalement justifiée, au regard des droits fondamentaux protégés par l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR), par la nécessité de prévenir un dommage imminent caractérisé par un danger pour la sécurité tant des usagers du boulevard périphérique que des intéressés eux-mêmes et de leurs familles. Telle est la solution retenue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation aux termes d'un arrêt rendu le 22 octobre 2015 (Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-11.776, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7681NTN). En l'espèce, la Ville de Paris, invoquant l'installation illicite de campements sur des terrains lui appartenant, a assigné en expulsion les consorts X-Y devant le juge des référés ; ces derniers se sont opposés à la demande et ont, subsidiairement, demandé des délais d'expulsion. Ils faisaient grief à l'arrêt rendu le 23 avril 2013 par la cour d'appel de Paris d'ordonner leur expulsion et de rejeter leur demande de délai (CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 23 avril 2013, n° 12/18549 N° Lexbase : A4891KC7). En vain. La Cour suprême approuve les juges d'appel qui, ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que deux campements se trouvaient sur des espaces situés à l'angle d'avenues et à proximité d'une bretelle de sortie du boulevard périphérique, que ces campements ne disposaient ni de sanitaires, ni d'eau courante, ni d'électricité, que l'éclairage se faisait à la bougie et le chauffage au bois dans des cabanes et que deux agents municipaux venus effectuer des réparations sur la voirie avaient été agressés par des chiens appartenant aux occupants, et ayant retenu, par un motif non critiqué, que la nécessité de prévenir un dommage imminent caractérisé par un danger pour la sécurité tant des usagers du boulevard périphérique que des intéressés eux-mêmes et de leurs familles, exigeait leur expulsion sans délai, avaient légalement justifié leur décision au regard des droits fondamentaux protégés par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

newsid:449639

Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] Conditions du recours à un expert par le CHSCT en cas de "projet important"

Réf. : Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-17.224, FS-P+B (N° Lexbase : A6031NTK)

Lecture: 8 min

N9674BUT

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 05 Novembre 2015

En application de l'article L. 4614-12, 2° du Code du travail (N° Lexbase : L5577KGN), le CHSCT est en droit de faire appel à un expert agréé "en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail". L'employeur, qui doit assumer les frais de l'expertise, conserve, toutefois, la faculté de saisir le juge judiciaire afin d'en contester, notamment, la nécessité. Compte tenu de la formulation, pour le moins imprécise, du texte précité, le juge dispose, en la matière, d'un pouvoir certain d'interprétation. Au fil de ses arrêts, la Cour de cassation s'est employée à donner quelques directives en la matière, visant à borner, de façon rationnelle, le recours à l'expertise. L'arrêt rendu le 14 octobre 2015 par la Chambre sociale de la Cour de cassation en constitue une intéressante illustration, dans un cas où étaient discutés, à la fois la notion de "projet", mais aussi ses potentiels effets sur les salariés.
Résumé

Ayant retenu que, pour établir l'existence d'un projet de réorganisation contesté par l'employeur, le CHSCT se bornait à invoquer une baisse significative du chiffre d'affaires de l'établissement d'Auchel et la disparition de certaines productions attribuées à ce site, que cette situation était le résultat prévisible de la fin de certains marchés à quoi s'ajoutaient les difficultés conjoncturelles affectant l'industrie automobile en Europe et notamment des marques françaises, que s'il avait existé un projet de redéploiement industriel de l'activité dans le bassin Nord en 2008, celui-ci avait suscité un important conflit social conclu par un protocole d'accord du 14 mai 2009, complété par un avenant du 14 mai 2010 aux termes duquel la société FII s'est engagée notamment à ne pas remettre en cause la vocation industrielle du site d'Auchel jusqu'à fin 2015, et à maintenir sur le site un effectif de cent trente salariés, la cour d'appel a pu en déduire que l'existence d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés n'était pas avérée et a annulé à bon droit la délibération du CHSCT désignant un expert.

Observations

I - Le droit du CHSCT à l'expertise

Les cas de recours à l'expertise. A l'instar du comité d'entreprise, le CHSCT est en droit de recourir à un expert dans des cas limitativement énumérés par la loi (1). Ces derniers, au nombre de deux, sont visés par l'article L. 4614-12 du Code du travail.

En application de ce texte, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé, "lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement", et "en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité où les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1 (N° Lexbase : L5580KGR)".

Telles qu'elles sont formulées, les hypothèses de recours à l'expertise laissent une large place à l'interprétation au moment de décider si la décision du CHSCT de recourir à un expert est légitime. Cela est particulièrement vrai pour le second cas qui, seul, nous intéressera ici. La difficulté majeure réside dans le sens qu'il convient de donner à l'expression "projet important" et, dans une moindre mesure, dans l'appréciation des effets d'un tel "projet important". On ne saurait cependant, de notre point de vue, faire grief au législateur de s'en être tenu à une formule aussi générale. On peine, en effet, à concevoir que puisse véritablement lui être substituée une liste plus précise de cas de recours à l'expertise (2).

Il n'en demeure pas moins que, compte tenu de l'imprécision du texte en cause, c'est au juge qu'il revient d'apprécier, en cas de contestation, la légitimité du recours à un expert. L'arrêt sous examen démontre, cependant, que la Cour de cassation entend faire une application raisonnable de ce cas d'ouverture à l'expertise.

L'affaire. La société Faurecia intérieur industrie (FII) fait partie du groupe Faurecia, qui constitue la division équipement automobile du groupe PSA Peugeot-Citroën, lequel déploie son activité dans le secteur automobile avec Peugeot Citroën automobiles, le secteur équipement automobile avec Faurecia, le secteur financier avec PSA finance, chacune de ces entités disposant de comités d'établissement et d'un comité central d'entreprise propres.

En juillet 2012, la société Peugeot Citroën automobiles, faisant état de pertes importantes, a engagé un projet de réorganisation de ses activités et de réduction des effectifs consistant, notamment, en la fermeture de son site d'Aulnay-sous-Bois. Par délibération du 9 janvier 2013, le CHSCT de l'établissement d'Auchel de la société FII a décidé de recourir à l'expertise prévue à l'article L. 4614-12 du Code du travail.

Le CHSCT faisait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé cette délibération. A l'appui de son pourvoi, celui-ci soutenait qu'il peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de travail prévu à l'article L. 4612-8-1 du Code du travail, que ce projet soit directement établi par l'employeur ou qu'il émane de la direction du groupe auquel l'entreprise appartient, dès lors que ses conséquences sur l'entreprise sont de nature à entraîner les modifications des conditions de travail précitées. Ayant constaté que la restructuration du groupe PSA Peugeot-Citroën avait des conséquences sur le volume d'activité de l'établissement d'Auchel, la cour d'appel, en retenant qu'il n'existait aucun projet modifiant les conditions de travail justifiant la désignation d'un expert, a violé l'article L. 4614-12, 2° du Code du travail.

Le CHSCT arguait, également, du fait que l'existence d'un projet important modifiant les conditions de travail s'évince nécessairement d'une situation dans laquelle un site industriel subit une baisse substantielle d'activité de nature à entraîner, par elle-même, la nécessité d'une réorganisation de ces conditions de travail. Par suite, en se bornant à constater que cette baisse d'activité trouvait son origine dans des causes étrangères aux décisions de l'employeur sans en déduire l'existence d'un projet modifiant, en conséquence de cette baisse, les conditions de travail des salariés, la cour d'appel a privé da décision de base légale, au regard de l'article L. 4614-12, 2° du Code du travail.

Ces divers arguments sont écartés par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. Ainsi qu'elle l'affirme, "ayant retenu que, pour établir l'existence d'un projet de réorganisation contesté par l'employeur, le CHSCT se bornait à invoquer une baisse significative du chiffre d'affaires de l'établissement d'Auchel et la disparition de certaines productions attribuées à ce site, que cette situation était le résultat prévisible de la fin de certains marchés à quoi s'ajoutaient les difficultés conjoncturelles affectant l'industrie automobile en Europe et notamment des marques françaises, que s'il avait existé un projet de redéploiement industriel de l'activité dans le bassin Nord en 2008, celui-ci avait suscité un important conflit social conclu par un protocole d'accord du 14 mai 2009, complété par un avenant du 14 mai 2010 aux termes duquel la société FII s'est engagée notamment à ne pas remettre en cause la vocation industrielle du site d'Auchel jusqu'à fin 2015, et à maintenir sur le site un effectif de cent trente salariés, la cour d'appel a pu en déduire que l'existence d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés n'était pas avérée, et a annulé à bon droit la délibération du CHSCT désignant un expert".

II - La nécessaire caractérisation d'un "projet"

Du "projet" à la décision de l'employeur. On l'aura compris, la discussion portait, en l'espèce, sur la notion de "projet" visé à l'article L. 4614-12, 2° du Code du travail (3). Pour être plus précis, ce texte vise le projet "prévu à l'article L. 4612-8-1". Cette dernière disposition impose la consultation du CHSCT "avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail".

La lecture combinée des articles L. 4614-12, 2° et L. 4612-8 (N° Lexbase : L5581KGS), imposée par la loi elle-même démontre que le "projet" permettant le recours à un expert doit s'entendre d'un projet de décision. Toute cela est on ne peut plus logique. Pour que la consultation du CHSCT ait un effet utile, elle doit intervenir avant que la décision ne soit définitivement arrêtée, c'est-à-dire lorsqu'elle est encore sous forme de projet (4). C'est aussi à ce stade que l'intervention de l'expert prend tout son sens, afin que le CHSCT puisse formuler un avis éclairé (5).

En tout état de cause, le recours à l'expertise et, par extension, l'intervention du CHSCT au titre de ses attributions consultatives, ne sauraient intervenir sans que soit en cause un projet de décision de l'employeur. Par suite, dès lors que, comme en l'espèce, la baisse significative du chiffre d'affaires de l'établissement et la disparition de certaines production attribuées à ce site ne sont que le résultat prévisible de la fin de certains marchés et la conséquence de difficultés conjoncturelles affectant l'industrie automobile en Europe, et notamment, des marques françaises, n'est pas en cause une quelconque décision de l'employeur, ni même un projet de décision de ce dernier. Il faut, dès lors, en conclure que le recours à un expert, en l'état de ces circonstances, n'est pas légitime.

L'absence d'effets du projet pour les salariés. Si le recours à un expert n'est possible qu'en présence d'un projet de décision important, cette circonstance ne suffit toutefois pas. En effet, il résulte de l'article L. 4614-12, 2° que ce projet doit modifier les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés concernés (6). En d'autres termes, il convient de ne pas s'attacher uniquement à l'existence d'un projet de décision. Il importe aussi d'en déterminer les conséquences.

C'est ce que paraît signifier, en l'espèce, la Cour de cassation, lorsqu'elle souligne que, s'il avait existé un projet de redéploiement industriel de l'activité dans le bassin Nord en 2008, celui-ci avait suscité un important conflit social conclu par un protocole d'accord du 14 mai 2009, complété par un avenant du 14 mai 2010, aux termes duquel la société FII s'est engagée, notamment, à ne pas remettre en cause la vocation industrielle du site d'Auchel jusqu'à fin 2015, et à maintenir sur le site un effectif de cent trente salariés.

A n'en point douter, était ici en cause un "projet important". Mais celui-ci n'était pas de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés. Au contraire, la société FII avait pris l'engagement formel de ne pas modifier ces dernières (7).

On remarquera, pour conclure, que le CHSCT était tout à fait légitime à soutenir que le projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, et permettant de faire appel à un expert, peut tout aussi bien être directement établi par l'employeur que par la direction du groupe auquel l'entreprise appartient (8). Ainsi que nous l'avons vu, là n'était pas la question. Mais, il faut rappeler que la consultation du CHSCT, comme le droit qu'il a de recourir à un expert, ne dépend pas du niveau auquel le "projet important" est arrêté, mais du fait qu'il est de nature à avoir des répercussions sur les salariés, dont les intérêts sont pris en charge par le CHSCT en question.

Il en résulte qu'un projet arrêté au niveau de la direction d'un groupe et commun à plusieurs sociétés en faisant partie, exige la consultation d'une pluralité de CHSCT et conduit à la désignation d'une pluralité d'experts. On pourrait, certes, avancer que la constitution d'une instance temporaire de coordination des CHSCT, instance prévue par les articles L. 4616-1 et suivants du Code du travail, et dont les prérogatives ont été renforcées par la loi "Rebsamen" (9), permet d'éviter cela. On remarquera, cependant, que le texte précité ne permet la constitution d'une telle instance que lorsqu'est en cause un projet commun à "plusieurs établissements" et non plusieurs entreprises.


(1) Sur ces cas de recours à l'expertise, v. G. Loiseau, L. Pécaut-Rivolier et P.-Y. Verkindt, Le guide du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), Guides D., 2015-2015, pp. 425 et s..
(2) Expertise dont le principe ne saurait être discuté, étant observé que le CHSCT doit pouvoir bénéficier des lumières d'un expert, compte tenu de son domaine d'intervention, intimement lié à des questions pour le moins techniques.
(3) En revanche, l'importance de ce projet n'était pas ici en cause. Sur cette exigence, v. G. Loiseau, L. Pécaut-Rivolier et P.-Y. Verkindt, ouvrage préc., § 422.24.
(4) Encore faut-il que ce projet ne soit pas trop vague. On retrouve là des exigences classiques s'agissant de la consultation du comité d'entreprise.
(5) On doit, cependant, relever que la voie de l'expertise n'est pas totalement fermée lorsque la mesure en cause est entièrement réalisée. V. en ce sens G. Loiseau, L. Pécaut-Rivolier et P.-Y. Verkindt, ouvrage préc., § 422.23, citant, à l'appui de leur assertion, Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-18.240 (N° Lexbase : A7691AHC) ; Bull. civ. V, n° 345.
(6) Exigences qui rejoignent celles de l'article L. 4612-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5581KGS).
(7) Soit dit en passant, il semble que, dans le cas contraire, le recours à un expert aurait été possible alors même que le projet de redéploiement était bien antérieur à la décision du CHSCT.
(8) Il doit en aller de même lorsque le projet de décision est l'oeuvre de la direction de l'entreprise à laquelle l'établissement, au niveau duquel le CHSCT a été mis en place, appartient.
(9) V. notamment, G. Loiseau, Le CHSCT au sortir de la loi "Rebsamen", SSL, 2015, n° 1688, p. 4.

Décision

Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-17.224, FS-P+B (N° Lexbase : A6031NTK).

Rejet (CA Douai, 27 septembre 2013, n° 11/03298 N° Lexbase : A1534KMR).

Texte concerné : C. trav., art. L. 4612-8-1 (N° Lexbase : L5580KGR) et L. 4614-12 (N° Lexbase : L5577KGN).

Mots-clefs : CHSCT ; recours à un expert ; projet important.

Lien base : (N° Lexbase : E3403ET9).

newsid:449674

Négociation collective

[Brèves] Validité de l'accord de substitution signé par les organisations syndicales représentatives de la société cessionnaire et simplement négocié par les syndicats représentatifs dans l'entreprise cédée

Réf. : Cass. soc., 28 octobre 2015, n° 14-16.043, FS-P+B (N° Lexbase : A5201NU8)

Lecture: 2 min

N9787BUZ

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Le 07 Novembre 2015

Constitue un accord de substitution valable l'accord signé par l'ensemble des organisations syndicales représentatives de la société cessionnaire et que les syndicats représentatifs dans l'entreprise cédée ont participé à la négociation, même s'ils ne l'ont pas signé. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 28 octobre 2015 (Cass. soc., 28 octobre 2015, n° 14-16.043, FS-P+B N° Lexbase : A5201NU8).
En l'espèce, M. A a été engagé le 3 mai 1993 par la société B devenue en 2001, société B Nord littoral, filiale de la société C. La société C a fusionné le 1er janvier 2002 avec la société D, donnant naissance à la société E et un processus d'intégration à cette société des filiales des anciennes sociétés C et D a été mis en place. Le 13 octobre 2004, un accord de substitution, conclu avec les organisations syndicales de la société E, a prévu une structure de rémunération identique pour l'ensemble des salariés de la société E. Le 1er janvier 2005, la société B Nord littoral a fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine au profit de la société E et le contrat de travail du salarié a été transféré à cette entité en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y). La Convention collective de la métallurgie (N° Lexbase : X0590AEL) s'est substituée à celle des travaux publics jusqu'alors applicable à la société B Nord littoral.
Pour dire inopposable au salarié l'accord de substitution du 13 octobre 2004 et condamner la société à payer différentes indemnités à titre de prime de treizième mois, de majoration pour heures de travail de nuit, de prime de salissure et de prime de vacances, la cour d'appel, statuant sur renvoi après cassation (Cass. soc., 10 mai 2012, n° 10-27.281, F-D N° Lexbase : A1464ILS), retient qu'il ressort des pièces et documents concordants du dossier que l'accord collectif du 13 octobre 2004 portant adaptation du statut collectif de la société E au personnel issu de la société B Nord littoral a été conclu sans qu'ait été invitée à sa négociation l'ensemble des organisations syndicales représentatives existantes au sein de la société B Nord littoral, notamment M. F, délégué syndical CGT et que le salarié est, dès lors, bien fondé à se prévaloir de l'accord de substitution et à invoquer son inopposabilité, peu important que M. F et l'ensemble du personnel de la société B Nord littoral ait été prétendument associé de façon indirecte à la négociation. A la suite de cette décision, la société E s'est pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa des articles L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C), L. 2231-1 (N° Lexbase : L3746IBD) et L. 2231-16 du Code du travail (NDLR : l'arrêt se rapporte à l'article L. 2231-16 ; il convient de lire L. 2232-16 N° Lexbase : L2299H9Z) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E8886ESW).

newsid:449787

Procédures fiscales

[Brèves] Jonction de plusieurs affaires : absence de conséquence sur la régularité de la décision rendue

Réf. : CE Section, 23 octobre 2015, n° 370251, publié recueil Lebon (N° Lexbase : A0319NUD)

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N9695BUM

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Le 12 Novembre 2015

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif dispose, sans jamais y être tenu, de la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires, y compris lorsqu'elles concernent des contribuables ou des impositions distincts. La jonction est donc, par elle-même, insusceptible d'avoir un effet sur la régularité de la décision rendue et ne peut, par suite, être contestée en tant que telle devant le juge d'appel ou devant le juge de cassation. Tel est le principe énoncé par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 23 octobre 2015 (CE Section, 23 octobre 2015, n° 370251, publié recueil Lebon N° Lexbase : A0319NUD). En l'espèce, le tribunal administratif de Rouen (TA Rouen, 29 juin 2010, n° 0601600-0603307) a été successivement saisi d'une demande contentieuse formée par le requérant et dirigée contre des rappels de TVA, puis d'une réclamation introduite par celui-ci, tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu. Le tribunal a alors joint cette demande et cette réclamation, pour les rejeter par un unique jugement. Cette jonction n'a pas été contestée par les juges d'appel (CAA Douai, 30 mai 2013, n° 10DA01065 N° Lexbase : A8688MQT). Par la suite, à l'appui de son pourvoi devant le Conseil d'Etat, le ministre a soulevé un unique moyen, tiré de l'erreur de droit commise par les juges d'appel en ne relevant pas d'office l'irrégularité dont les premiers juges auraient entaché la procédure juridictionnelle, du fait de la jonction à laquelle ils avaient procédé. Toutefois, sur ce point, la Haute juridiction n'a pas fait droit à la demande du ministre. En effet, pour les juges suprêmes, en se bornant à critiquer la jonction opérée par le tribunal administratif et l'erreur de droit qu'aurait commise la cour en ne la censurant pas d'office, le ministre, qui ne fait état d'aucune irrégularité entachant l'arrêt attaqué qui aurait résulté de la jonction à laquelle les premiers juges avaient procédé, n'est pas fondé à en demander, par ce seul moyen, l'annulation. Cette décision est tout à fait inédite et ne se repose sur aucune base légale telle que la jurisprudence ou la législation. Elle repose seulement sur l'intérêt d'une bonne administration de la justice qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle (v. notamment : Cons. const., 3 décembre 2009, décision n° 2009-595 DC, cons. 4 N° Lexbase : A3193EPX) .

newsid:449695

Propriété intellectuelle

[Brèves] Sur la preuve de la propriété des supports matériels de photographies

Réf. : Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-22.207, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1472NU3)

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N9664BUH

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Le 05 Novembre 2015

L'éditeur ayant financé les supports vierges et les frais techniques de développement de photographies, il en résulte qu'il est le propriétaire originaire des supports matériels des photographies. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 octobre 2015 (Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-22.207, FS-P+B+I N° Lexbase : A1472NU3). En l'espèce, un photographe, a réalisé, entre 1974 et 1984, des reportages pour un magazine. Reprochant à l'éditeur de ne pas lui avoir restitué les clichés photographiques dont il lui avait remis les négatifs aux fins de reproduction dans ce magazine, sans toutefois lui en avoir cédé la propriété corporelle, il l'a assigné en réparation du préjudice en résultant. Pour s'opposer à cette demande, la société a soutenu être propriétaire des supports matériels des photographies litigieuses. La cour d'appel de Versailles condamne l'éditeur à payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice patrimonial résultant de la non-restitution des clichés photographiques, retenant qu'il ne rapporte pas la preuve de l'acquisition des supports transformés par l'intervention du photographe. Mais énonçant la solution précitée, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel au visa des articles 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4) et L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3330ADP).

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Social général

[Brèves] Absence d'interdiction de mise en oeuvre d'un projet d'externalisation de l'activité d'un service dès lors qu'ont été initiés, dans la durée, un processus de reclassement des salariés ainsi qu'un plan global de prévention des risques psycho-sociaux

Réf. : Cass. soc., 22 octobre 2015, n° 14-20.173, FP-P+B (N° Lexbase : A5324NUQ)

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Le 06 Novembre 2015

Il n'y avait pas lieu d'interdire la mise en oeuvre du projet d'externalisation de l'activité d'un service dès lors qu'il résulte des pièces produites que l'employeur avait initié, outre un processus de reclassement des salariés, un plan global de prévention des risques psycho-sociaux comportant notamment un dispositif d'écoute et d'accompagnement ainsi qu'un dispositif d'évolution des conditions de vie au travail et de formation des managers et que cette démarche s'était poursuivie dans la durée, donnant lieu à un suivi mensuel, et ce, même si la question des risques psycho-sociaux avait été particulièrement aiguë au sein du service en cause auparavant. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 22 octobre 2015 (Cass. soc., 22 octobre 2015, n° 14-20.173, FP-P+B N° Lexbase : A5324NUQ).
En l'espèce, la société A, filiale du groupe B, exploite l'usine de retraitement de combustibles nucléaires usés de La Hague. Eu égard à un projet de modification technique et d'externalisation de la direction industrielle de production d'énergie (DI/PE), les institutions représentatives du personnel ont été consultées, ainsi que l'Autorité de sûreté nucléaire. Les syndicats CGT de la société A et CGT FO de l'énergie nucléaire de La Hague ont saisi le tribunal de grande instance pour obtenir l'annulation et, subsidiairement, la suspension de la mise en oeuvre du projet d'externalisation du secteur DI/PE. La cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 6 mars 2014, n° 11/14662 N° Lexbase : A2942MG3) ayant rejeté leur demande tendant à ce que soit annulée la mise en oeuvre de l'externalisation de la DI/PE, les syndicats se sont pourvus en cassation. Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette leur pourvoi.

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Sociétés

[Le point sur...] L'admission jurisprudentielle de la présence d'un non associé à l'assemblée d'une société

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N9673BUS

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

Le 05 Novembre 2015

1. Dans quelle mesure une personne qui n'a pas qualité d'associé peut-elle être présente à l'assemblée d'une société ? Un associé peut-il imposer la compagnie d'un avocat ou d'un huissier de justice ? La collectivité des salariés peut-elle y être présente ? Un organe de presse peut-il y déléguer un journaliste ? 2. La présence de certaines autres personnes dépourvues de la qualité d'associé ne fait aucune difficulté. Il en est ainsi du commissaire aux comptes, dont le "noyau dur" de la mission consiste, précisément, à présenter certains rapports qualifiés à l'assemblée de la société dont il assure le contrôle légal (1).

3. Il en est de même de tout autre acteur de révision légale (commissaire aux apports, commissaire à la fusion, etc.) investi par la loi d'effectuer une diligence à l'assemblée, ainsi que des personnes (secrétaire, notaire) chargées d'intervenir dans la rédaction du procès-verbal de l'assemblée.

4. Outre l'évidence de la présence des dirigeants associés ou actionnaires (gérant associé, président d'une SA), la présence à l assemblée des dirigeants le cas échéant non associés ne fait guère difficulté. La solution va de soi lorsqu'un tel personnage a qualité à convoquer et présider l'assemblée, tel le gérant non associé d'une société civile, d'une SARL, d'une société en nom collectif ou d'une société en commandite, ou le président d'une SAS.

5. Il en est de même du directoire, dès lors que celui-ci a compétence à convoquer l'assemblée, encore que la question ait pu se poser, semble-t-il, de la présence de tous les membres du directoire ou de son seul président. A notre avis, bien que le directoire ne soit pas au sens technique un organe collégial, la présence de tous les membres du directoire doit pouvoir être admise, y inclus par conséquent les membres du directoire qui n'ont pas la qualité de directeur général.

6. C'est la nature des pouvoirs généraux du directoire, lesquels consistent à agir en toute circonstance dans l'intérêt de la société, qui doit commander la solution. Pour cette même raison, on ne conçoit pas que dans la forme classique de SA, les directeurs généraux et directeurs généraux délégués ne puissent accéder à l'assemblée. Leur présence relève par nature du domaine de leurs obligations, sauf exception factuelle justifiée par l'intérêt social.

7. Il en est de même pour les membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance ; bien que ces organes n'exercent pas de compétence décisionnaire directe, le fait pour les membres du conseil d'administration de participer à la détermination des orientations de l'activité sociale, ou pour les membres du conseil de surveillance d'exercer le contrôle permanent de la société ou d'opérer toute vérification jugée opportune se comprend, à notre avis, en ce compris la présence aux assemblées.

8. Parmi les présents à une assemblée de société qui n'ont pas la qualité d'associé ou d'actionnaire, les mandataires et autres représentants soulèvent une autre problématique, laquelle fait l'objet de soins législatifs et réglementaires particuliers. La question est hors de notre propos, techniquement dans la mesure où l'associé représenté est juridiquement "présent", et pratiquement dès lors que par hypothèse la présente étude est circonscrite à la présence de personnes qui sont présentes à titre distinct de la qualité d'associé.

9. Demeure pareillement hors de notre propos la présence prévue par les textes de certains représentants de la collectivité des salariés (C. trav., art. L. 2323-67 N° Lexbase : L2904H9G).

10. Enfin, au titre des exceptions prévues par les textes entendues au sens large, il faut signaler la présence de journalistes à l'assemblée d'une société ouverte. Prescrite par la COB -désormais AMF- (2) pour les sociétés faisant alors appel public à l'épargne et évidemment transposable aujourd'hui aux sociétés dont les titres sont inscrits sur un marché financier réglementé, la solution s'inscrit dans le particularisme juridique de telles sociétés (3).

11. Reste la question, plus ouverte, que posent certaines personnes dont la présence n'est pas prévue par les textes, mais souhaitée par certains associés et repoussée par d'autres. Cette perspective soulève parfois non seulement un conflit d'intérêts, mais aussi un conflit de légitimités, auxquels il appartient au juge de donner une solution.

12. Pour examiner ce contentieux de la présence d'un non associé à l'assemblée d'une société, on examinera en premier lieu les conditions de cette admission (I). On devra également s'interroger sur les sanctions qui peuvent s'attacher à la méconnaissance de ces conditions (II).

I - Les conditions de l'admission de tiers à une assemblée

13. Suivant une jurisprudence bien établie, la réunion d'une assemblée de société revêt en principe un caractère privé. La solution a été expressément rappelée par la COB (4) pour les sociétés dont (désormais) les titres sont inscrits sur un marché financier réglementé. Elle vaut encore, et à plus forte raison, pour les sociétés "fermées". Elle est donc la solution de principe pour toutes les sociétés. A quelles conditions de forme et de fond peut-on y déroger ?

A - Conditions de forme

14. On peut concevoir en premier lieu que les statuts de la société permettent à tout associé d'être assisté d'un avocat, et/ou de provoquer l'intervention d'un huissier de justice. Admettons que cette hypothèse est rarissime, et que les rédacteurs de statuts y sont en général fort peu enclins.

15. Admettons encore, cependant, que dans une société où l'intuitus personae est renforcé, dans une SAS par exemple, les fondateurs peuvent avoir un intérêt partagé réel à s'y autoriser mutuellement une telle faculté, en particulier l'assistance d'un avocat.

16. Hors la prévision des statuts, le principe est que le caractère privé d'une assemblée interdit qu'une personne étrangère soit admise à y participer ou même à y assister, sans une décision qui écarte ledit principe. Mais quel type de décision ?

17. S'il apparaît une division entre les associés, un tel accord peut-il être donné à la majorité de l'assemblée ? On l'admet parfois, comme l'admet le rapport annuel de la COB pour 1982 qui prévoit qu'"il appartient à l'assemblée de se prononcer par un vote" ; on ne connaît pas de décision de justice qui puisse venir confirmer (ni d'ailleurs infirmer) cette opinion. Certains auteurs (5) considèrent au contraire qu'"une assemblée générale n'a pas le pouvoir d'imposer la présence d'un tiers à une minorité qui la refuse, pas plus qu'un associé n'est fondé en droit à exiger une telle présence".

18. A notre avis, cette dernière opinion mérite la meilleure considération, tant il est loin d'être certain que l'assemblée statuant à la majorité puisse s'octroyer un tel pouvoir. Une décision à l'unanimité pourrait assurément prendre une telle décision, ne serait-ce que par le défaut de grief que pourrait ultérieurement faire valoir un associé contestataire. Enfin, si une majorité entend le décider sans aucune opposition dans le cas où la minorité se limite à s'abstenir, c'est-à-dire dans l'hypothèse d'un consensus, il y a matière à hésiter.

19. La solution qui s'impose donc comme la plus sûre est celle de l'autorisation judiciaire. La procédure de référé est ici parfaitement adaptée. L'associé qui souhaite se faire accompagner par un avocat ou faire acter les opérations de l'assemblée par un huissier de justice aura juste le temps, à réception de la convocation, d'engager cette procédure, au besoin d'heure à heure si le temps lui est spécialement compté.

20. Une procédure sur requête est-elle envisageable ? Elle peut sembler fragile, dans la mesure où il lui manque le contradictoire. Toutefois, la pratique en fournit des exemples, et l'on peut certes considérer qu'il peut s'avérer judicieux d'éviter d'ouvrir un front judiciaire hostile de manière prématurée.

21. En tout état de cause, la société pourra prendre l'initiative de venir en référé contester l'ordonnance rendue sur requête, à condition que la chronologie des opérations le lui permette. Le cas échéant, l'assemblée pourrait être ajournée pour permettre la liquidation de ce contentieux, et si d'aventure cela devait conduire à tenir la nouvelle réunion au-delà du délai requis par les textes, il y a tout lieu de supposer que le report judiciaire fondé sur ce motif serait accordé.

22. Dans ce contexte général, on peut citer une affaire dans laquelle la présence de l'huissier avait été sollicitée sur requête par application de l'article 875 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0854H4E). La Cour de cassation (6) rappelle que, par application de cet article, le président peut ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement. Elle observe que la cour d'appel a constaté que ces conditions étaient remplies pour la désignation de l'huissier compte tenu de la date de convocation des associés et de celle prévue de l'assemblée. Elle décide, en conséquence, que la cour d'appel en a exactement déduit que l'ordonnance avait été prise régulièrement.

23. Quant à la compétence territoriale, il a été logiquement jugé (7) que le juge compétent est celui du lieu où la mesure demandée doit être exécutée, c'est-à-dire en l'occurrence le lieu où l'assemblée a été convoquée.

B - Conditions de fond

24. La jurisprudence rendue sur ce point n'est pas très abondante. On dispose de quelques indications sur les critères en vertu desquels la jurisprudence admet la présence d'un avocat ou d'un huissier de justice.

1° - La présence d'un huissier de justice

25. Avant même la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales (loi n° 66-537 N° Lexbase : L6202AGS), on avait admis la désignation d'un huissier de justice chargé de constater la régularité de la réunion ou de procéder au décompte des voix (8). Ce premier cas d'ouverture s'impose. On ne voit pas, du moins a priori et sauf circonstance exceptionnelle, ce qui peut empêcher le juge des référés de prendre une telle mesure a minima qui ne porte en elle aucun risque de perturber le déroulement de l'assemblée ni d'influer sur la teneur des débats. Chacun ne peut en effet que se féliciter d'un surcroît de précautions relatives à la régularité de l'assemblée

26. Dans un arrêt de 1975, la cour d'appel de Colmar (9) statue sur une demande de désignation d'un huissier de justice, assisté d'une sténotypiste et muni d'un magnétophone, aux fins de "consigner tous discours, déclarations ou interventions". L'ordonnance qui avait procédé à la désignation est infirmée, au motif qu'une telle désignation n'est pas abandonnée à la volonté arbitraire des actionnaires et que les motifs de la demande doivent nécessairement être graves et intéresser le fonctionnement de la société.

27. Le motif invoqué par le demandeur était "l'ordre du jour et ses problèmes" ; or, cet ordre du jour portait sur l'approbation des comptes, l'affectation des bénéfices et une augmentation de capital, projets de délibérations sur lesquels la cour dit que les actionnaires allaient se prononcer conformément à la loi "sans que fût mis en place et fonctionnât tout un appareil non seulement gênant, mais même humiliant".

28. La recherche d'un point d'équilibre est donc tracée : le juge des référés se livre à une pesée des intérêts entre la légitimité apparente de la demande et l'aspiration a priori légitime de la société à ce que ses organes sociaux fonctionnent comme à l'habitude. Cette seconde légitimité n'est d'ailleurs pas une prime à la paresse ; elle peut à l'occasion s'autoriser d'une conformité à l'intérêt social dès lors qu'il s'agit de faire prévaloir une tranquillité de bon aloi sur un risque de désordre. Tout dépend des circonstances, lesquelles sont appréciées par le juge.

29. La Cour de cassation (10) devait rejeter le pourvoi contre cet arrêt, rendant expressément hommage à la "précision de ses motifs".

30. La jurisprudence se fixe peu à peu. En 1978, la cour de Paris (11) considère qu'un actionnaire est recevable à demander l'assistance d'un huissier de justice avec pour mission de prendre note de l'intégralité des débats ; mais c'est à la condition que la demande soit justifiée par des motifs gaves intéressant directement le fonctionnement de la société.

31. Dans l'arrêt précité rendu le 22 mars 1988 (n° 23), la Cour de cassation considère que la cour d'appel a "exactement énoncé" que seuls des motifs graves intéressant le fonctionnement de la société peuvent justifier la désignation d'un huissier de justice pour assister aux débats d'une assemblée. La désignation est justifiée en l'espèce dès lors que les documents accompagnant la requête établissaient l'existence de dissensions aiguës entre le groupe majoritaire et la minorité, cela laissant redouter que, non seulement les intérêts de ceux-ci, mais encore ceux de la société soient gravement lésés, la société ayant de surcroît refusé d'inscrire à l'ordre du jour des projets de résolutions proposés par la minorité.

32. En 1992 et selon une jurisprudence désormais bien établie, la cour d'appel de Paris (12) décide encore que le juge peut désigner un huissier de justice chargé d'établir une relation écrite complète des débats, dès lors que cette désignation répond à des motifs graves intéressant le fonctionnement de la société ; en l'espèce, les actionnaires s'opposaient parallèlement dans plusieurs instances civiles et pénales, de telle sorte que le compte rendu établi par le bureau de l'assemblée risquait fort de manquer de sincérité.

33. A notre avis, c'est d'une manière non restrictive que l'on peut entendre les "motifs graves intéressant le fonctionnement de la société" ; ils pourraient pareillement concerner la structure de la société.

34. D'autre part, ainsi que la décision de la Cour de cassation de 1988 le suggère, l'intérêt social pourrait devenir le principe régulateur essentiel, au-delà des oppositions entre groupes d'associés, ainsi que l'on peut l'observer dans d'autres mécanismes de l'intervention du juge dans les sociétés (mandat ad hoc, expertise de minorité, administration provisoire, abus de majorité, abus de minorité (13)).

2° - La présence d'un avocat

35. La question a donné lieu à une jurisprudence encore plus parsemée que pour l'huissier de justice. Bien plus, on ne connaît pas d'exemple de contentieux de l'intervention du juge des référés. C'est donc par extrapolation que l'on peut envisager la transposition pour l'avocat des principes et exceptions connus pour l'huissier. Avec toutefois quelques adaptations.

36. La première est à l'évidence que l'associé ne saurait demander la "désignation" d'un avocat. Il demande l'autorisation d'être accompagné de l'avocat de son choix. Corrélativement, la détermination de la mission de l'avocat est évidemment de la seule compétence des relations de ce dernier avec son client. La décision judiciaire est donc ici doublement limitée quant à son objet.

37. Limitée à ce point, la décision judiciaire est-elle nécessaire ? La question s'est trouvée posée dans un contentieux où l'associé prétendait pouvoir être accompagné de son avocat sans autorisation judiciaire. Plus précisément, l'associé demande la suspension des résolutions adoptées lors d'une assemblée qui a décidé sa révocation de ses fonctions de gérance et son exclusion en faisant valoir que ces mesures ont été prises au mépris des droits de la défense en ce que son avocat avait été empêché d'assister à cette assemblée.

38. On sait, en effet, que le principe du contradictoire investit peu à peu le droit des sociétés, qu'il s'agisse de la révocation d'un dirigeant (14) ou de l'exclusion d'un associé (15), les deux circonstances étant réunies en l'espèce.

39. Or, le respect de la contradiction est au service de l'exercice des droits de la défense et l'argument du demandeur consistait à faire considérer que l'assistance de son avocat était une modalité du respect des droits de sa défense. L'argument est habile, et il est suivi par la cour d'appel (16) qui, pour dire que la décision d'exclusion était constitutive d'un trouble manifestement illicite, retient qu'en l'absence de toute précision dans les statuts et les textes légaux et réglementaires applicables à ce type de société (une société d'exercice libéral) sur les modalités par lesquelles un associé menacé d'exclusion pouvait faire valoir sa défense, les associés ne pouvaient arbitrairement refuser à l'intéressée de mettre en oeuvre les moyens qu'elle estimait opportuns pour se défendre.

40. La cour ajoute : "[...] ces moyens étant ceux habituellement utilisés lorsqu'une personne est mise en cause et qu'en refusant, lors de cette assemblée générale, la présence d'un avocat aux côtés de Mme X, ses associés ont porté atteinte aux droits de celle-ci de se défendre sur les reproches formulés à son égard". L'enchaînement des arguments pouvait paraître péremptoire.

41. Pourtant, cet arrêt est censuré (17), au motif que l'assemblée de la société "n'était pas un organe juridictionnel ou disciplinaire, mais un organe de gestion interne à la société", ce dont il résultait qu'aucun trouble manifestement illicite n'était caractérisé.

42. La motivation est discutable : d'une part, l'avocat n'intervient pas que dans le contexte juridictionnel ou disciplinaire, mais aussi à titre de conseil, en particulier en droit des sociétés ; d'autre part, les qualifications du droit processuel mériteraient d'être vérifiées pour le cas d'une révocation et d'une exclusion qui définissent sans doute un litige donnant lieu à un contentieux. Il demeure que la Cour de cassation exprime une préférence pour la paix sociale (celle des sociétés). Dont acte.

43. L'enseignement pratique de cette décision est que l'associé qui entend être assisté de son avocat lors de l'assemblée de sa société devra avoir la prudence de faire le détour procédural d'une demande d'autorisation judiciaire.

44. Quant aux critères de l'autorisation judiciaire de la présence d'un avocat, la jurisprudence n'en donne pas d'exemple. Il est raisonnable de considérer que les critères dégagés à propos de la désignation d'un huissier de justice représentent une base de référence, du moins a minima.

45. En effet, il est envisageable, à notre avis, que l'avocat soit également autorisé dans des circonstances qui ne suffiraient pas à autoriser la désignation d'un huissier de justice, c'est-à-dire à caractériser des motifs graves intéressant le fonctionnement de la société. Il suffirait, à notre avis, que l'associé ait un motif légitime à être assisté de son avocat. Le statut de l'associé et la définition des droits professionnels de l'avocat sont de nature à justifier une telle solution.

46. Au demeurant, la décision judiciaire peut moduler l'autorisation en précisant les modalités de la présence de l'avocat à l'assemblée en lui permettant, par exemple, ou bien en ne lui permettant pas, d'y prendre la parole.

II - Les sanctions d'une présence non autorisée

47. Sauf erreur ou omission, la question demeure inédite en soi ; mais fort heureusement, des éléments de réflexion existent qui ne sont pas inédits.

La question se pose sur le plan d'éventuelles responsabilités civiles (A) et du point de vue d'une éventuelle annulation de l'assemblée (B).

A - Responsabilités civiles

48. Le premier type de sanction relève de l'application du droit commun de la responsabilité civile appliqué aux sociétés. Les dirigeants sociaux qui accueillent à l'assemblée une personne qui n'a pas qualité à y participer commettent une faute (violation des lois ou des statuts) de nature à engager leur responsabilité. Certes, ce sont le plus souvent des associés minoritaires et/ou contestataires qui formuleront la demande de la présence d'un huissier de justice, et en conséquence lesdits dirigeants auront de fait plutôt tendance à éviter ou à repousser une telle participation. Mais selon les circonstances, une telle présence peut éventuellement être le fait des dirigeants.

49. S'agissant de la présence d'un avocat, il semble raisonnable d'admettre que celle de l'avocat de la société soit toujours admissible par la nature des choses, dans la mesure où l'on peut considérer qu'elle contribue à la régularité de la vie sociale, et à celle de la tenue de l'assemblée en particulier.

50. La solution serait sans doute différente, en cas d'opposition avérée entre un dirigeant et un groupe significatif d'associés, de l'éventuelle présence de l'avocat personnel dudit dirigeant (même si en pratique il est vrai que la distinction est souvent subtile).

51. Toujours sur le plan de la responsabilité civile, on peut envisager celle des associés. La jurisprudence tient pour recevable une telle responsabilité, en particulier dans le contexte de leur participation à l'assemblée, qu'ils soient majoritaires ou minoritaires.

52. Ce peut être le cas non seulement lorsque le comportement relève d'une intention de nuire, mais aussi en l'absence d'une telle intention : il en est ainsi, par exemple, du non respect des droits de la défense et de la loyauté dans les rapports sociaux (18). Tel pourrait être le cas de la présence non autorisée d'un tiers imposée par une majorité fautive d'associés.

53. Plus généralement, la jurisprudence admet la qualification de faute de l'associé dans l'exercice de son droit de vote (19) et il suffit, pour finir de s'en convaincre, de faire référence aux "théories" jurisprudentielles de l'abus de majorité et de l'abus de minorité (20).

54. Observons au passage que ce risque de responsabilité doit éclairer la question de savoir si l'autorisation de la présence d'un tiers peut émaner d'une décision de l'assemblée ; de ce point de vue également, mieux vaut reconnaître sur ce point la seule compétence judiciaire.

B - Annulation de l'assemblée ?

55. Aux termes de l'article L. 235-1, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL), "la nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats". Quant aux autres assemblés, leur nullité "ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissent les contrats". Selon l'article 1844-10, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L2030ABS), "la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre ou de l'une des causes de nullité des contrats en général". Etant donné qu'il n'existe pas de disposition expresse visant l'annulation d'une assemblée modifiant les statuts d'une société commerciale pour présence d'une personne non autorisée, la question ne se pose donc que sur le point de savoir s'il y a ici matière à une disposition impérative.

56. Pour apprécier si une règle de droit des sociétés est "impérative", c'est la raison d'être de la disposition qui doit être prise en compte, davantage que les termes de sa formulation ou sa forme législative ou réglementaire et l'interprétation de cette disposition soulève des difficultés animées par la contradiction entre la volonté législative de cantonner le domaine des nullités et le souci d'assurer une certaine effectivité au contenu de la règle de droit.

57. En l'absence de toute jurisprudence sur ce point, il est difficile de dire si la présence d'une personne non autorisée est susceptible d'entraîner la nullité de l'assemblée. En réalité, la question se subdivise en deux. La première question est de savoir s'il s'agit de la violation d'une disposition impérative de la loi. L'interprète aura tendance à supposer que non ; mais il n'a aucune autorité pour en décider. Par contre, c'est sur un second plan que la question, si elle se pose, peut fort probablement trouver sa solution.

58. La jurisprudence tire conséquence de la structure des textes, qui énoncent que la nullité "ne peut résulter que" des cas qu'ils définissent, pour en déduire que la nullité demeure facultative. Les exemples abondent. Les juges saisis d'une demande d'annulation de l'assemblée irrégulièrement convoquée ne sont pas liés par la constatation de l'existence d'une telle irrégularité (21). Une assemblée convoquée par un conseil d'administration irrégulièrement désigné n'est pas nulle de plein droit (22). L'annulation de l'assemblée convoquée par un organe irrégulièrement composé n'est qu'une faculté pour le juge (23). Les associés sont convoqués, à peine de nullité en cas de grief (a contrario : pas de nullité sans un tel grief), quinze jours au moins avant la réunion de l'assemblée (24).

59. De cette jurisprudence abondante et constante, il est raisonnable de déduire que sauf cas tout à fait exceptionnel, la présence d'une personne non autorisée à l'assemblée d'une société ne sera pas constitutive d'une cause de nullité de cette assemblée.


(1) D. Vidal et K. Luciano, Droit général des sociétés, Gualino, 2015, n° 1474 à 1533.
(2) Rapport annuel COB pour 1974, p. 22 ; bulletin COB, juillet 1979, p. 10 ; rapport annuel COB pour 1982, p. 22.
(3) D. Vidal et K. Luciano, Droit spécial des sociétés, Gualino, 2015, n° 483/688.
(4) Rapport annuel COB pour 1982, p. 22.
(5) S. de Vendeuil, Accès de l'huissier aux assemblées générales, JCP éd. E, 1er avril 1993, act.100080.
(6) Cass. com., 22 mars 1988, n° 86-16.785 (N° Lexbase : A7754AAG), Rev. jur. com., 1989, p.111 ; Rev. sociétés,1988, 261
(7) Cass. civ. 2, 18 novembre 1992, n° 91-16.447 (N° Lexbase : A5961AHA), RJDA, n° 1/1993, p.16 ; D.,1993, 91.
(8) T. com. Seine, 12 octobre 1945, Rev. sociétés, 1946, p.172, note Dalsace ; CA Douai, 15 juillet 1948, JCP, 1949, II, 5057, note Bastian.
(9) CA Colmar, 30 juillet 1975, D., 1976, 47, note J.-J. Burst ; Rev. sociétés, 1976, 493, note J.G. ; RTDCom., 1976, 576, n° 38.
(10) Cass. com., 15 février 1977, n° 75-14.672 (N° Lexbase : A3192AGC) ; JCP éd G, 1979, II, 19020, note J.-J. Burst.
(11) CA Paris, 15 novembre 1978 ; Rev. sociétés, 1979, 338, note J. G..
(12) CA Paris, 14ème ch., sect. B, 21 février1992, n° 91/2478 (N° Lexbase : A4288A39); D., 1992, IR 151 ; Rev. sociétés, 1992, 558.
(13) Cf. D. Vidal et Luciano, Cours de droit général des sociétés, Gualino, 2015, n° 1696 à 1889.
(14) Cass. com., 24 février 1998, n° 95-12.349 (N° Lexbase : A0023AUE), Rev. sociétés, 1998, p. 571, Dr. sociétés, juin 1998, nº 94, p. 14, nos obs. ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 4 septembre 1998, n° 1996/88734 (N° Lexbase : A5956DH3), RJ com., 1999, p. 366, nos obs. ; CA Paris, 5ème ch., sect. B, 28 janvier 1999, n° 1997/09415 (N° Lexbase : A7592A3L), Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 1001, § 2365, note C. Ruellan, Dr. sociétés, mai 1999, nº 81, p. 18, nos obs. ; CA Paris, 24 novembre 1998, Dr. sociétés, février 1999, nº 25, p. 15, nos obs. ; CA Versailles, 4 octobre 2001, n° 98/05192 (N° Lexbase : A3328A4Z), Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 1282, § 277, P. Le Cannu, Dr. sociétés, mars 2002, nº 45, F.-X. Lucas ; Cass. com., 12 mai 2004, n° 00-19.415, F-D (N° Lexbase : A1892DC3), JCP éd. E, 2004, 914 ; Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-15.382, F-D (N° Lexbase : A1153DEG), Bull. Joly Sociétés, mars 2005, p. 3876, § 76, P. Le Cannu.
(15) Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-16.156, FS-P+B (N° Lexbase : A6801E4N), RTDCom., 2011.727, obs. C. Champaud, D. Danet ; Dr. sociétés, 2010, comm. 200, note H. Hovasse ; D. Gibirila, L'exclusion d'un associé d'une société coopérative à capital variable, Lexbase Hebdo n° 407 du - édition privée (N° Lexbase : N0409BQ9).
(16) CA Rennes, 5 avril 2005.
(17) Cass. com., 10 mai 2006, n° 05-16.909, FS-P+B (N° Lexbase : A3792DP7), Bull. Joly Sociétés, 2006, § 239, p.1154, note J.-J. Daigre ; Dr. Sociétés, juillet 2006, comm. 110, H. Hovasse.
(18) CA Versailles, 29 mars 2007, n° 06/01432 (N° Lexbase : A6197DY8), Bull. Joly Sociétés, 2007, § 273, p.973, note S. Messai-Bahri.
(19) Cass. com., 13 mars 2001, n° 98-16.197 (N° Lexbase : A0074ATW), Bull. Joly Sociétés, 2001, § 192, p.891, note C. Prieto ; Dr. sociétés, 2001, n° 78, note Th. Bonneau.
(20) Adde, I. Parachkevova, L'associé responsable, Bull. Joly Sociétés, 2015, p. 165.
(21) Cass. com., 6 juillet 1983, n° 82-12.910 (N° Lexbase : A3729AG9), Rev. sociétés, 1984, p. 76, Y. Guyon ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 8 avril 1986, n° M 4331 (N° Lexbase : A9467A7R), JCP éd. E, 1986, I, 15846 ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 15 novembre 1988, n° 87-11577 (N° Lexbase : A3683ILY), JCP éd. E 1989, II, 15562 ; Cass. com., 5 décembre 2000, n° 98-13.904 (N° Lexbase : A1244AIW), Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 262, § 71, note P. Le Cannu, JCP éd. E, 2001, 897, Dr. aff., 2001, p. 239, A. Lienhard.
(22) Cass. com., 9 juillet 2002, n° 99-10.453, FS-P (N° Lexbase : A0967AZT), JCP éd. E, 2002, p. 1555 ; Dr. sociétés, décembre 2002, n° 222, F.-X. Lucas ; RTDCom., 2002, p. 692 ; Bull. Joly Sociétés, 2002, p. 939, A. Couret ; Rev. sociétés, 2002, p. 716, Y. Guyon.
(23) Cass. civ. 3, 24 septembre 2003, n° 02-13.039, FS-D (N° Lexbase : A6344C9T), Dr. sociétés, févr. 2004, p. 16, n° 21, F.-X. Lucas.
(24) Cass. mixte, 16 décembre 2005, n° 04-10.986, FS-P ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2350453, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Chbre mixte, 16-12-2005, n\u00b0 04-10.986, FS-P, Cassation partielle.", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A0530DML"}}) Rev. sociétés, 2006, p. 327, note B. Saintourens ; Bull. Joly Sociétés, 2006, § 107, p. 536, note L. Grosclaude.

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Urbanisme

[Jurisprudence] La divisibilité des cas d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r.., 1er octobre 2015, n° 374338, pubilé au recueil Lebon (N° Lexbase : A5717NSK)

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par Sylvain Boueyre, Avocat au barreau de Paris

Le 05 Novembre 2015

La décision du Conseil d'Etat n° 374338 du 1er octobre 2015 apporte une utile précision sur la ligne de partage entre les deux cas d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme : celui pour lequel le projet de construction se compose d'éléments divisibles et celui pour lequel les éléments du projet sont indissociables mais où l'illégalité n'affectant qu'une partie du projet est régularisable par un permis modificatif (C. urb., art. L. 600-5 N° Lexbase : L4354IXK). Par la même occasion et c'est ce qui lui vaudra probablement de recevoir les honneurs du Lebon, elle contribue à éclaircir les conditions d'application de l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme relatif à l'annulation partielle en cas d'invisibilité des éléments composant le projet. Les faits de l'espèce expliquent probablement la source de confusion entre les deux cas d'annulation partielle commise par les juges du fond et qui ont conduit le Conseil d'Etat à les censurer pour erreurs de droit. Par un arrêté du 27 septembre 2007, le maire d'une commune a autorisé le transfert, au profit d'une SCI, d'un permis de construire accordé le 25 août 2006 à la société O. en vue de construire trois bâtiments destinés à la création de soixante-dix logements comportant des balcons. Un permis de construire modificatif a été délivré à cette SCI par un arrêté du 25 septembre 2008. La cour administrative d'appel de Bordeaux (1) a annulé le permis de construire modificatif au motif qu'il méconnaissait les dispositions du règlement du plan local d'urbanisme de la commune relatives à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives et que l'illégalité affectant le permis de construire au regard des règles régissant la distance à la limite séparative ne pouvait pas être régularisée en application de l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme.

Saisi d'un pourvoi en cassation par la commune, il s'agissait pour le Conseil d'Etat de déterminer si l'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme fondée sur l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme est conditionnée à la divisibilité du projet. Il lui revenait également de préciser, sur le fondement des mêmes dispositions, les conditions auxquelles est soumise la délivrance d'un permis modificatif.

I - Distinguer les deux cas d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme : la divisibilité du projet

A - L'existence de deux voies d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme

Dès le premier considérant de la décision commentée, le Conseil d'Etat s'est attaché à rappeler les deux voies d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme qui s'offrent au juge administratif.

Une autorisation d'urbanisme est en principe indivisible et ne peut pas faire l'objet d'une annulation partielle : son illégalité affecte l'ensemble de l'acte et conduit normalement à son annulation totale (2). Mais tout comme le contentieux des contrats publics connaît ces dernières années une évolution qui tend à rendre plus difficile la remise en cause des relations contractuelles nouées entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique, le contentieux des autorisations d'urbanisme est influencé par un mouvement de sécurisation juridique qui limite les moyens offerts aux tiers (riverains, voisins, associations) pour remettre en cause les projets de construction.

Le juge administratif a ainsi développé une jurisprudence constructive consistant à limiter la portée de ses propres décisions d'annulation. Le Conseil d'Etat a admis qu'une autorisation d'urbanisme pouvait être divisible lorsqu'elle porte sur un projet comportant des éléments dissociables pouvant faire l'objet d'un examen séparé (3), puis il a reconnu qu'un permis modificatif pouvait venir régulariser en cours d'instance le permis initial, sous réserve qu'il demeure sans influence sur la conception générale du projet initial et ne constitue pas un nouveau permis de construire (4). Parachevant cette évolution, il a été admis que des projets de construction qui n'ont pas entre eux un lien indivisible peuvent faire l'objet d'un examen séparé conduisant à des autorisations distinctes (5).

Les juges du fond se sont inscrits dans ce mouvement jurisprudentiel : dès lors que le permis de construire autorise des constructions distinctes présentant un caractère divisible, l'illégalité qui concerne l'une de ces constructions implique l'obligation de prononcer une annulation partielle (6). Il s'agit de la première voie d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme.

Parallèlement à cette évolution prétorienne, le législateur a créé une seconde voie d'annulation partielle à l'occasion de l'adoption de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK), dont l'article 2 a inséré dans le Code de l'urbanisme un nouvel article L. 600-5 du Code de l'urbanisme. Modifiées à la marge par l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, relative au contentieux de l'urbanisme (N° Lexbase : L4499IXW), ces dispositions autorisent le juge administratif à annuler partiellement, ou de manière conditionnelle (7), une autorisation d'urbanisme lorsqu'il constate que le vice est régularisable et affecte seulement une partie identifiable du projet.

Par ses décisions "Fritot" et "Andrieu" (8), le Conseil d'Etat est venu préciser la portée de cette seconde voie d'annulation : le juge administratif peut également annuler partiellement une autorisation d'urbanisme dans le cas où une illégalité affecte une partie identifiable du projet et où cette illégalité est susceptible d'être régularisée par un arrêté modificatif de l'autorité compétente, sans qu'il soit nécessaire que la partie illégale du projet soit divisible du reste de ce projet. Le juge peut alors, s'il l'estime nécessaire, assortir sa décision d'un délai pour que le pétitionnaire dépose une demande d'autorisation modificative afin de régulariser l'autorisation subsistante (C. urb., art. L. 600-5-1 N° Lexbase : L4350IXE).

B - Le critère distinctif entre les deux cas d'annulation partielle : la divisibilité du projet

Dans la décision commentée du 1er octobre 2015, il s'agissait d'un projet de construction de 3 bâtiments destinés à accueillir 70 logements. La cour administrative d'appel de Bordeaux avait emprunté la seconde voie d'annulation partielle fondée sur l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme et jugé que la méconnaissance des règles relatives à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives contenues dans le plan local d'urbanisme n'était pas régularisable car les balcons à l'origine du dépassement de distance constituaient des éléments indissociables de la construction.

Or ce faisant, la cour a fait du caractère divisible des balcons par rapport aux immeubles une condition de régularisation du permis, ajoutant à l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme une condition qu'il n'impose pas. Elle a manifestement confondu entre les deux voies d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme. L'application de l'article L. 600-5 n'est pas subordonnée à la condition que la partie du projet affectée par ce vice soit matériellement détachable du reste de ce projet. En l'espèce, la cour n'avait pas à analyser si les balcons, compte tenu de leurs caractéristiques architecturales et leur inclusion dans les immeubles, constituaient des éléments indissociables du projet. Pour l'application de l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme, il lui suffisait de constater que le vice affectant les balcons pouvait faire l'objet d'un permis modificatif. Et de jurisprudence constante, le permis modificatif ne s'attache pas au caractère "divisible" des éléments composant le projet. Il suffit que la conception générale du projet initial ne soit pas modifiée (9).

Cette erreur de raisonnement a conduit les premiers juges à prononcer l'annulation totale du permis et à refuser à son bénéficiaire toute régularisation, erreur censurée par le juge de cassation. Le caractère divisible du projet constitue ainsi le critère distinctif entre les deux voies d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme mais il ne s'impose que pour emprunter la première voie, d'origine prétorienne.

La cour administrative d'appel de Bordeaux a inversé la logique du raisonnement et confondu l'identification de la notion avec l'application du régime. Elle a motivé sa décision en se fondant sur l'article L. 600-5 du Code l'urbanisme, pour en déduire ensuite que les balcons ne constituant pas un élément indissociable, le permis n'était pas régularisable. Pour ne pas encourir la cassation, il convenait dans un premier temps de déterminer si les balcons, compte tenu de leurs caractéristiques architecturales et de leur inclusion dans les immeubles, constituaient ou non un élément indivisible des immeubles auxquels ils étaient physiquement rattachés. Puis dans un second temps, il fallait en déduire le régime applicable : soit l'annulation partielle fondée sur le caractère divisible des éléments composant le projet, soit l'annulation conditionnelle fondée sur l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme si le vice régularisable affecte seulement une partie identifiable du projet.

La cour administrative d'appel de Bordeaux aura l'occasion de juger à nouveau le fait puisque, abstention suffisamment rare pour être soulignée, le Conseil d'Etat n'a pas usé de son pouvoir d'évocation qu'il tient de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ) pour juger l'affaire au fond car il a renvoyé le règlement du différend à la même juridiction d'appel.

II - Préciser les conditions de délivrance d'un permis modificatif : des travaux non achevés et l'absence de remise en cause de la conception générale du projet

L'autre apport de la décision rapportée, et c'est le principal, réside dans la clarification bienvenue des conditions de mise en oeuvre de l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme et de la possibilité de régulariser le permis initial par la délivrance d'un permis de construire modificatif. La Haute juridiction juge que la régularisation n'est possible, au sens de ces dispositions, que si elle porte sur des éléments du projet pouvant faire l'objet d'un permis modificatif : un tel "permis ne peut être délivré que si, d'une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés - sans que la partie intéressée ait à établir devant le juge l'absence d'achèvement de la construction ou que celui-ci soit tenu de procéder à une mesure d'instruction en ce sens-" (2.1.) et si "les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d'illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale" (2.2.).

A - Un permis modificatif ne peut être délivré que si les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés

Cette nouvelle condition ajoute au droit positif puisque l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme ne vise nullement une telle exigence. Ces dispositions, si elles avaient déjà été précisées par les décisions "Fritot" et "Andrieu", demeuraient imprécises et pouvaient donner lieu à des solutions éparses par les juges du fond (10).

Pour autant, la condition ainsi imposée à la délivrance d'un permis modificatif semble découler du bon sens. On perçoit mal l'intérêt, pour un juge administratif, d'ordonner la régularisation d'un permis initial autorisant des constructions déjà achevées. S'il est vrai que par pure orthodoxie juridique et pour définitivement purger l'autorisation d'urbanisme de tout vice, le juge peut être encouragé dans une telle voie, il convient ici de faire oeuvre de pragmatisme : la sanction naturelle d'un vice affectant une partie du projet, achevé, ne peut que résider dans l'annulation, partielle, de l'autorisation. Une régularisation qui porterait sur des éléments du projet susceptibles de faire l'objet d'un permis modificatif serait d'un intérêt limité lorsque les travaux autorisés par le permis initial sont déjà achevés.

On relèvera en outre que le Conseil d'Etat ne fait peser, ni sur les parties l'obligation d'établir l'absence d'achèvement de la construction, ni sur le juge l'obligation de procéder à une mesure d'instruction en ce sens. La cour administrative d'appel de Bordeaux avait cru pouvoir faire peser sur la partie intéressée, la SCI bénéficiaire du permis de construire initial, la charge de la preuve de ce que les bâtiments n'étaient pas encore achevés : "qu'ainsi l'illégalité affectant le permis de construire au regard des règles régissant la distance à la limite séparative ne peut pas être régularisée, alors qu'il n'est pas allégué que les bâtiments ne seraient pas construits, par la seule délivrance d'un permis modificatif ". L'absence d'achèvement des travaux doit donc résulter des pièces du dossier.

Dans la pratique, cette condition sera difficile à mettre en oeuvre par les juges du fond. Faut-il que les travaux autorisés par le permis initial ne soient pas achevés, dans leur ensemble, ou seulement la partie des travaux affectée d'un vice et susceptible d'être régularisée ? La formulation générale du considérant de principe laisse penser que les travaux autorisés par le permis initial, dans leur ensemble, sont visés par la condition de non achèvement. Mais comme jugé de manière constante, si la régularisation doit porter sur l'ensemble des éléments indissociables autorisés par le permis initial, elle ne s'impose pas pour des éléments dissociables (11). Tirant profit de cette divisibilité de la régularisation portant sur des éléments dissociables, rien ne s'opposerait, selon nous, à ce que le juge limite son analyse de l'achèvement des travaux à la partie du projet affectée d'un vice. Une autre difficulté survient : à partir de quand doit-on considérer que les travaux sont "achevés" ? A compter du terme de leur exécution matérielle ou à compter de leur réception définitive par le maître d'ouvrage et/ou le maître d'oeuvre ? On sait que, s'agissant surtout des projets immobiliers d'une certaine envergure, la fin de l'exécution matérielle des travaux ne concorde pas toujours avec les opérations juridiques de réception.

En l'espèce, on ignore si les balcons étaient achevés. Si les trois immeubles objet du permis initial étaient achevés mais pas les balcons, le juge pourra-t-il considérer que seuls les balcons, constituant la partie de la construction affectée d'un vice, doivent être pris en compte pour déterminer si les travaux sont achevés ou pas ? Il reviendra en tout état de cause aux juridictions du fond, voir au Conseil d'Etat, d'éclaircir ce point d'ombre qui, dans la pratique, peut revêtir une certaine importance puisqu'il conditionne la régularisation du permis initial.

En outre, si aucune des pièces du dossier n'établit avec exactitude l'achèvement ou l'absence d'achèvement des travaux : dès lors que le juge ne peut pas faire peser la charge de la preuve sur les parties et qu'il n'est pas tenu de procéder à une mesure d'instruction, dans quel sens devra-t-il statuer et sur quelle base ? Dans la pratique, il lui faudra certainement requérir cette information des parties, sans aller jusqu'à faire peser sur elles la charge de la preuve pour ne pas encourir la réformation ou la cassation.

B - Les modifications apportées au projet initial ne doivent pas remettre en cause sa conception générale

Si elle n'est pas expressément visée par l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme, cette condition de délivrance d'un permis modificatif est conforme à son objet : autoriser la modification d'un projet sans remettre en cause son économie générale. Un bouleversement de l'économie générale du projet commanderait la délivrance d'une nouvelle autorisation d'urbanisme.

Sur la formulation de principe, la décision rapportée n'apporte aucune innovation et ne fait que rappeler ce qui est jugé de manière constante (12). En revanche, elle apporte d'utiles précisions sur la méthode d'interprétation du "bouleversement de l'économie générale du projet", notion susceptible de donner lieu à des interprétations divergentes.

Par une décision "Cavel" (13), le Conseil d'Etat avait jugé que la modification de l'implantation d'un bâtiment peut affecter cette conception générale, mais seulement si elle est importante. Puis par sa décision "Andrieu", il a distingué le bouleversement de la conception générale du projet de la modification de l'implantation de l'ouvrage en jugeant que toute modification de l'implantation de l'ouvrage rendait impossible la régularisation et donc la délivrance d'un permis modificatif.

Revenant sur cette position, la décision commentée vient dessiner les contours de la méthode d'analyse de la conception générale du projet en jugeant que la modification de l'implantation de l'ouvrage ne peut pas, en elle-même, empêcher toute régularisation par la délivrance d'un permis modificatif. L'implantation de l'ouvrage redevient un élément d'appréciation de la conception générale du projet, sans en être détachée. Les juges du fond doivent apprécier si les "modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d'illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale ; qu'à ce titre, la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu'elles fassent l'objet d'un permis modificatif".

Le Conseil d'Etat dégage ainsi une méthode par faisceau d'indices : la seule modification de l'implantation de l'ouvrage, de ses dimensions ou de son apparence ne fait pas obstacle à la régularisation du permis initial et donc à la possibilité d'une annulation partielle de l'autorisation initiale, cette appréciation relevant évidemment du pouvoir souverain des juridictions du fond. C'est la nature ou l'ampleur de la modification qui peut remettre en cause la conception générale de l'ouvrage.

Au cas d'espèce, la cour administrative d'appel de Bordeaux avait jugé que le surplomb des balcons de 44 centimètres aboutissait à une méconnaissance des prescriptions d'urbanisme sur la distance d'implantation des bâtiments et que dès lors, permettre la régularisation du permis initial reviendrait à modifier l'implantation des ouvrages et donc à modifier la conception générale du projet. Pour ne pas encourir la cassation, la cour aurait dû apprécier l'ampleur de la modification à apporter au regard de la conception générale des trois bâtiments pour déterminer si le permis initial pouvait être régularisé.


(1) CAA Bordeaux, 1ère ch., 31 octobre 2013, n° 12BX00864 (N° Lexbase : A2769MPA).
(2) CE, 13 novembre 1981, n° 16504 (N° Lexbase : A5455AKA) ; CE, 13 mars 2013, n° 358677, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6895NDQ).
(3) CE, 2 février 1979, n° 05808 (N° Lexbase : A1549B7I).
(4) CE, 26 juillet 1982, Leroy, n° 23604 (N° Lexbase : A0054ALL).
(5) CE, Sect., 17 juillet 2009, n° 301615, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9201EIM).
(6) CAA Nantes, 2ème ch., 6 mai 2008, n° 07NT02215 (N° Lexbase : A4444EH3) ; CAA Paris, 1ère ch., 4 décembre 2008, n° 07PA03606 (N° Lexbase : A2004G3M), AJDA, 2009, p. 898, concl. Bachini, pour l'annulation partielle d'un permis de construire portant sur un projet en déficit de stationnements.
(7) Expression du rapporteur public Xavier de Lesquen dans ses conclusions sur la décision CE, 1er mars 2013, n° 350306 (N° Lexbase : A9297I8T).
(8) CE, 1er mars 2013, n° 350306, préc..
(9) Ibid. 3.
(10) Il a été jugé que la seule circonstance qu'une déclaration d'achèvement des travaux a été adressée par le pétitionnaire à l'autorité administrative "ne fait pas obstacle à la délivrance d'un permis de construire modificatif dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un certificat de conformité ait été délivré" (CAA Nantes, 1ère ch., 20 janvier 2011, n° 09NC01896 ([LXB=09NC01896]) ; contr. : une demande de permis modificatif n'est pas recevable si elle concerne un ouvrage qui a donné lieu, après terminaison, à délivrance d'un certificat de conformité (CAA Paris, 1ère ch., 31 décembre 2002, n° 98PA01390 N° Lexbase : A7561A4S, BJDU 2/2003, p. 134) ; et même à défaut d'un tel certificat, si aucune déclaration d'achèvement n'a été envoyée (TA Nantes, 7 janvier 1998, n° 94185).
(11) CE, 25 avril 2001, n° 207095 (N° Lexbase : A6641AT7), BJDU 5/2001, p. 327, concl. I. De Silva.
(12) Ibid. 3 et CE, 4 octobre 2013, n° 358401 (N° Lexbase : A3407KM7), Tables 885, BJDU, 2013. 472, concl. M. Vialettes.
(13) CE, 8 novembre 1985, n° 45417 (N° Lexbase : A3306AME), LPA, 13 janvier 1986, concl. P.-A. Jeanneney, Rec. CE 1985, p. 318, à propos du déplacement d'une quinzaine de mètres de l'implantation d'un bâtiment

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