Lexbase Droit privé n°522 du 4 avril 2013 : Filiation

[Jurisprudence] Etre adopté par ses grands-parents n'est pas dans l'intérêt de l'enfant majeur...

Réf. : Cass. civ. 1, 6 mars 2013, n° 12-17.183, F-P+B (N° Lexbase : A3139I97)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

le 04 Avril 2013

Les grands-parents semblent jouer un rôle de plus en plus important dans le contentieux familial, comme s'ils souhaitaient occuper près de leurs petits-enfants une place plus grande et surtout reconnue, notamment lorsque les parents se sont montrés défaillants. L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 6 mars 2013 illustre cette tendance. En l'espèce, à la demande de leur petite-fille majeure, dont ils s'étaient beaucoup occupés pendant son enfance, des grands-parents ont sollicité son adoption simple.

L'arrêt précise au préalable, que "ni l'avis défavorable émis par les parents de Sandra X qui n'étaient pas partie à la procédure et n'avaient pas à consentir à l'adoption de leur fille majeure, ni l'avis donné par le ministère public qui s'opposait à cette requête ne conférait à la procédure un caractère contentieux". Il en aurait été autrement s'il s'était agi de l'adoption d'un enfant mineur à laquelle les parents refusaient de consentir (1).

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel qui a refusé l'adoption, en considérant que celle-ci avait procédé à une appréciation souveraine de la situation concrète des parties et abouti à la conclusion que "l'adoption n'était pas conformé à l'intérêt de l'adopté". Un tel raisonnement, conforme à la tendance jurisprudentielle sur cette question, repose sur le bouleversement de l'ordre familial que provoquerait l'adoption de leur petite-fille par les grands-parents (I) et sur l'opposition des parents de celle-ci (II).

I - Le bouleversement anormal de l'ordre familial

Adoption intra-familiale. L'adoption d'un enfant, majeur ou non, par un membre de sa famille, qualifiée d'adoption intra-familiale ne fait l'objet, comme le rappelle la cour d'appel dans l'affaire commentée, d'aucune restriction légale, les textes lui accordant même dans certain cas un régime plus favorable. La Cour de cassation laisse au juge du fond le soin d'apprécier souverainement l'opportunité de l'adoption intra-familiale sans l'interdire de façon générale. Une telle interdiction générale et abstraite ne serait d'ailleurs certainement pas souhaitable (2). Toutefois cette adoption est regardée avec suspicion, tant par la doctrine que par la jurisprudence, particulièrement parce qu'elle aboutit à modifier les liens familiaux existants.

Soeur de son père. La cour d'appel rappelle que l'adoption d'un enfant, même majeur, doit reposer sur de justes motifs. Elle considère que "si l'adoption a une dimension affective essentielle, derrière lesquelles les considérations généalogiques peuvent s'estomper, l'affection ne justifie cependant pas tous les bouleversements familiaux". Elle constate, en effet, que "l'adoption de Sandra par ses grands-parents bouleverserait la place de chacun dans l'histoire familiale dans la mesure où elle deviendrait la soeur de son père". Ces effets sont qualifiés de négatifs par la cour d'appel qui considère qu'ils ne seraient pas compensés par les effets positifs de l'adoption. A ses yeux l'intérêt de l'adoption n'est démontré ni pour les adoptants ni pour les adoptés, déjà unis par un lien de parenté qu'aucune raison valable n'impose de modifier.

Doctrine. Le raisonnement fondant le rejet du pourvoi dans l'arrêt du 6 mars 2013 va dans le sens des analyses doctrinales. Ainsi le Professeur Salvage-Gerest, spécialiste de l'adoption, affirme-t-elle que "l'adoption intra-familiale ne peut être envisagée que dans des circonstances toute à fait exceptionnelles, en raison des inconvénients qu'elle présente sur le plan personnel" (3). L'auteur poursuit en affirmant "qu'il n'est pas indifférent, par exemple qu'un enfant se retrouve juridiquement frère ou soeur de son père ou de sa mère pour avoir été adopté par ses grands-parents". La situation est encore plus complexe lorsqu'il s'agit d'une adoption simple qui, à la différence de l'adoption plénière, laisse perdurer les liens familiaux d'origine auxquels se superposent les liens créés par l'adoption (4).

Jurisprudence. Cette analyse explique la réticence des juridictions à prononcer l'adoption d'un enfant par ses grands-parents. L'absence de risque de confusion chez l'enfant paraît essentielle pour que les juges acceptent une telle adoption (5). On peut citer en ce sens un arrêt de la cour d'appel de Paris de 1996 qui avait refusé l'adoption d'un enfant de sept ans et demi par ses grands-parents au motif qu'il n'était "pas en mesure de comprendre pleinement ni d'adhérer consciemment à un projet visant d'une part à superposer un lien de filiation au lien de parenté existant déjà et susceptible d'autre part de brouiller les repères familiaux" (6). Dans le même sens, la cour d'appel de Bordeaux (7) a pu juger que l'adoption simple d'un enfant par son grand-père maternel pouvait avoir pour effet de troubler l'enfant dans ses repères généalogiques et biologiques. Toutefois cet argument perd sans doute de l'importance lorsque, comme dans l'espèce commentée, l'adoptée est âgée de 23 ans et souhaite justement que soit reconnue à ses grands-parents, qui l'ont en réalité élevée, à la place de ses parents, une place différente de celle de grands-parents. Ces derniers avaient d'ailleurs soulevé cet argument devant la cour d'appel, ajoutant qu'il n'existait aucun risque de confusion générationnelle en raison de la différence d'âge importante entre Sandra et eux.

La jurisprudence a également tendance à refuser l'adoption de leurs petits-enfants par les grands-parents lorsqu'elle a un but essentiellement successoral (8). L'adoption est, en revanche, admise lorsque les considérations successorales ne sont que secondaires et qu'il existe d'autres motifs justifiant l'adoption. Il en va ainsi de l'adoption d'un neveu par sa tante, en raison des liens d'affection qui existaient entre eux et des soins que la tante avait prodigué à son neveu (9).

De manière générale, il semble ressortir de la jurisprudence que "l'adoption par les grands-parents ne se justifie que si des considérations avantageuses pour l'enfant en compensent les inconvénients" (10). La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 26 février 2004 (11), a considéré que la réalité des liens affectifs existant entre l'adopté et l'adoptant ne sont pas suffisants pour caractériser les circonstances de nature à prouver l'intérêt réciproque à l'adoption d'une grand-mère et de son petit-fils. De manière assez étonnante, la cour d'appel de Paris a également considéré dans cette décision que "la requérante ne justifie pas d'une situation de solitude et d'isolement" pouvant l'autoriser à recourir à l'adoption de son petit-fils.

C'est cette analyse qu'a repris la cour d'appel de Douai dans l'arrêt commenté en considérant que l'adoption envisagée aurait plus d'effets négatifs que positifs. Il semble à cet égard que l'opposition des parents de l'enfant a joué un rôle non négligeable.

II - L'opposition des parents de l'enfant

Absence de nécessité du consentement des parents à l'adoption de leur enfant majeur. Dans l'arrêt du 6 mars 2013, la Cour de cassation rappelle que le consentement des parents à l'adoption simple de leur enfant majeur n'est pas exigé. Un autre arrêt du 23 mars 2013 a également réaffirmé cette règle à propos de l'adoption d'un enfant majeur par le mari de sa mère et a rejeté le pourvoi formé contre par le père de l'adopté contre l'arrêt d'appel prononçant l'adoption (12).

Prise en compte refus des parents. Toutefois, dans l'arrêt du 6 mars 2013, il est fait état de la position très hostile des parents relative à l'adoption de leur fille par ses grands-parents. Tous deux expriment leur crainte de voir l'adoption nier leur existence en tant que parents alors qu'ils ont à coeur de préserver leurs liens avec leur fille. Si le refus des parents n'est pas légalement un obstacle à l'adoption dès lors que l'enfant concerné est majeur, il est pris en compte pour apprécier l'opportunité de l'adoption au regard des bouleversements générationnels que celle-ci entraînerait. Le ministère public avait invoqué ce refus devant la cour d'appel en affirmant que "sur le plan factuel cette opposition devait être prise en compte dans la mesure où le prononcé de l'adoption aboutirait à une situation complexe puisque Sandra deviendrait juridiquement la soeur de son père biologique ce qui briserait les repères générationnels".

Jurisprudence. Il semble en effet ressortir de la jurisprudence, que "les juges sont moins réticents à prononcer l'adoption intra-familiale lorsque la mère ou les deux parents de l'enfant son décédés" (13). Il en va de même lorsque les parents se sont vus retirés l'exercice de l'autorité parentale (14) ou que le père, incarcéré pour avoir assassiné la mère de l'enfant, ne pouvait pas exercer ses prérogatives parentales (15). De telles circonstances favorisent l'adoption par les grands-parents lorsque ceux-ci se sont comportés avec leurs petits-enfants comme des parents sur une longue période (16).

Délégation de l'exercice de l'autorité parentale. Des faits de l'espèce commentée, il ressort que l'enfant avait fait l'objet d'une délégation de l'exercice de l'autorité parentale au bénéfice de ses grands-parents. Une telle délégation suppose que l'enfant a vécu pendant une certaine période avec ses grands-parents qui ont joué auprès d'elle un rôle parental. En effet, les grands-parents ont élevé leur petite-fille depuis qu'elle est âgée de 7 ans. Il apparaît en outre que les liens de l'enfant avec ses parents ont progressivement disparu. Toutefois cette situation ne suffit pas aux yeux de la cour d'appel pour justifier l'adoption par les grands-parents. A l'inverse celle-ci considère que le fait que les grands-parents ont déjà obtenu une délégation entière de l'autorité parentale et que l'enfant porte le même nom qu'eux fait perdre à l'adoption son opportunité. Une telle analyse n'est pas à l'abri de la critique dans la mesure où, dans de telles circonstances, il apparaissait que, de fait, les grands-parents s'étaient substitués aux parents de l'enfant. Il n'était pas illogique qu'une fois majeure, l'enfant ait souhaité faire coïncider le fait et le droit. A l'audience devant la cour d'appel, la jeune fille a ainsi déclaré qu'à ses yeux, le prononcé de l'adoption entérinerait la situation de fait dans la mesure où elle considère ses grands-parents comme ses parents, "car ils lui ont apporté l'amour que ceux-ci ne lui avaient pas apporté".

Refus de nier les parents. Ces circonstances n'ont cependant pas suffi aux juges pour prononcer une adoption qu'ils envisageaient comme une négation des parents. La cour d'appel semble se fonder sur une règle générale selon laquelle "un enfant n'a pas intérêt à être adopté par ses grands-parents dès lors que ses parents sont vivants, qu'ils ont reconnu l'enfant". Sans doute cette règle aurait-t-elle pu être écartée si les parents avaient eux-mêmes consenti à l'adoption de leur fille ; or, tel n'était pas le cas en l'espèce, les parents ayant tous deux exprimé le fait qu'une telle adoption aurait pour effet de les déposséder de leur fille, et aboutirait à nier leur existence.

Insuffisance de la volonté de l'enfant majeur. L'enseignement majeur de l'arrêt du 6 mars 2013 réside finalement dans le faible poids accordé à la volonté de l'enfant majeur d'être adopté, particulièrement lorsque cette adoption entraîne des bouleversements dans les liens familiaux et qu'elle se heurte au refus des parents. Les liens familiaux ne sont donc pas librement disponibles et sans doute faut-il s'en féliciter même si l'on peut considérer que dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, la cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, a accordé une importance sans doute trop limitée à la réalité vécue par la principale intéressée et à sa volonté de voir celle-ci consacrée par le droit.


(1) Cass. civ. 1, 5 janvier 1999, n° 99-13.882, F-D (N° Lexbase : A4176A33), Dt. fam., 1999, comm. n° 38, obs. P. Murat.
(2) J. Hauser, obs. sous CA Paris, 26 février 2004, RTDCiv., 2004, p. 497.
(3) Dalloz action, La famille, 2010-2011 n° 222-23 ; D. Fenouillet et F. Terré, La famille, D., 2011, n° 766.
(4) Dans le même sens, F. Fenouillet, La famille, Précis Dalloz, 2012.
(5) M. Schmitt, L'adoption de l'enfant par ses grands-parents, AJFamille, 2002, p. 91.
(6) CA Paris, 26 mars 1996, D., 1997, somm., p. 278, obs. F. Vauvillé ; dans le même sens, CA Paris, 26 février 2004, Dt. Fam., 2004, n° 220 ; RTDCiv., 2004, p. 497, obs. J. Hauser ; AJfamille, 2004 p. 400, obs. F. Chénédé ; CA Bordeaux, 20 février 2008, RTDCiv., 2009, p. 109, obs. J. Hauser.
(7) CA Bordeaux, 21 janvier 1988, D., 1988, p. 453, obs. J. Hauser.
(8) Surtout lorsque l'adoption aura également pour effet de déshériter les autres petits-enfants : Cass. civ. 1, 16 octobre 2001, n° 00-10.665, F-P (N° Lexbase : A4630AWE), AJFamille, 2002, p. 26, obs. S. Deis.
(9) Cass. civ. 1, 11 juillet 2006, n° 03-14.747, FS-P+B (N° Lexbase : A4238DQZ), AJFamille, 2006, p. 373, obs. F. Chénédé.
(10) CA Paris, 26 mars 1996, préc. ; CA Paris, 22 mars 2001, RTDCiv., 2001, p. 576, obs. J. Hauser ; CA Caen, 20 novembre 1997, RTDCiv., 1999, p. 828, obs. J. Hauser.
(11) Préc..
(12) Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-16.401, F-P+B+I (N° Lexbase : A6034KAQ).
(13) M. Schmitt, art. préc., qui cite CA Besançon, 1er février 1994, JCP éd. G, 1995, IV, n° 564 et CA Paris, 21 mars 2001 où le juge prononce l'adoption simple par les grands-parents alors que la mère était décédée et que le père consentait à l'adoption.
(14) CA Lyon, 18 octobre 1984, RTDCiv., 1984 p. 311, obs. J. Rubellin-Devichi.
(15) CA Besançon, 1er février 1994, préc..
(16) CA Paris, 26 mars 1996, préc. ; CA Paris, 1ère ch., sect. C, 25 février 1994, n° 93/14970 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 8053715, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CA Paris, 1\u00e8re, C, 25-02-1994, n\u00b0 93/14970", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A3963KBE"}}) ; CA Paris 22 mars 2001, RTDCiv., 2001 p. 576, obs. J. Hauser (l'enfant était élevé depuis l'âge de 8 mois par ses grands-parents) ; CA Toulouse, 30 novembre 1989.

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