La lettre juridique n°441 du 26 mai 2011 : Fiscalité du patrimoine

[Questions à...] Les impacts de la réforme de l'ISF et de la suppression du bouclier fiscal sur la fiscalité des particuliers - Questions à Jean-François Desbuquois, Avocat associé et Directeur adjoint du Département droit du patrimoine au sein du cabinet FIDAL

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[Questions à...] Les impacts de la réforme de l'ISF et de la suppression du bouclier fiscal sur la fiscalité des particuliers - Questions à Jean-François Desbuquois, Avocat associé et Directeur adjoint du Département droit du patrimoine au sein du cabinet FIDAL. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4516132-questions-a-les-impacts-de-la-reforme-de-lisf-et-de-la-suppression-du-bouclier-fiscal-sur-la-fiscali
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 26 Mai 2011

Le jeudi 3 mars 2011, le Premier ministre, François Fillon, a annoncé une réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et, corrélativement, la suppression du bouclier fiscal. La question de l'avenir de l'ISF a, depuis lors, suscité des solutions diverses, les uns prônant une suppression du dispositif, les autres, plus modérés, proposant de relever la tranche inférieure du barème de cet impôt sur le capital. C'est cette dernière solution qui est retenue par le ministère du Budget, qui a officiellement annoncé, le 18 avril 2011, les mesures qui seront retenues. La première tranche du barème de l'ISF est donc relevée, passant de 800 000 euros à 1,3 millions d'euros. Le bouclier fiscal sera, quant à lui, supprimé en 2012. Ces deux mesures s'inscrivent dans le cadre de la réforme de la fiscalité du patrimoine qui a débuté en France cette année, et résulte de plusieurs évènements : la tenue d'un colloque "Patrimoine et fiscalité", au début du mois de mars, mais aussi la publication du rapport de la Cour des comptes sur la convergence de la fiscalité française et de la fiscalité allemande. Le projet de loi de finances rectificative pour 2011, comprenant cette réforme, a été déposé le 12 mai 2011 à l'Assemblée nationale.
Afin de prendre connaissance des aspects pratiques de la réforme de l'ISF et de la suppression du bouclier fiscal, Lexbase Hebdo - édition fiscale a rencontré Jean-François Desbuquois, Avocat associé et Directeur adjoint du Département droit du patrimoine au sein du cabinet FIDAL, qui a accepté de répondre à nos questions sur l'impact de ces deux évènements marquants de l'année fiscale. Lexbase : Quels éléments ont motivé le relèvement de la tranche inférieure du barème de l'ISF et la suppression du bouclier fiscal ? Pourquoi l'ISF a survécu à ces semaines de réflexion quant à son existence ?

Jean-François Desbuquois : Je pense que le relèvement du seuil d'entrée dans l'ISF était un correctif nécessaire, visant à faire ressortir du champ de l'impôt un nombre important de foyers fiscaux qui avaient été pris au piège de la hausse de valeur de leurs biens immobiliers (résidences principale et secondaire), mais qui n'avaient pas le sentiment d'être devenus plus riches pour autant.

La suppression du bouclier fiscal résulte, sans doute, du fait que, d'une part, il était devenu difficile à assumer politiquement, et que, d'autre part, il s'était révélé techniquement très complexe à mettre en oeuvre. Le Gouvernement a donc fait le choix de l'abrogation, tout en essayant de régler le problème majeur de l'ISF, à savoir son barème, celui-ci ayant, d'ailleurs, motivé la création du bouclier. En effet, les taux de l'ISF ont été fixés à une époque où la rémunération des actifs était très supérieure à celle que l'on peut connaître actuellement, et le taux de prélèvement était alors peut-être plus supportable. En revanche, en 2011, alors que la rémunération des actifs est voisine de 3 %, un prélèvement sur le capital de 1,8 %, auquel s'ajoutent l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, était devenu confiscatoire.

La survie de l'ISF est sans doute un choix par défaut. Le Gouvernement n'a pas trouvé d'alternative crédible, car il avait enfermé la réforme dans le postulat qu'elle ne devait entraîner ni pertes budgétaires, ni transfert de l'impôt sur des foyers fiscaux non concernés par l'ISF, ce qui limitait considérablement le champ des possibles. L'autre voie envisagée à une époque (l'impôt sur le revenu de la fortune) me semblait strictement inapplicable.

La meilleure mesure aurait certainement été la suppression pure et simple de l'ISF, mais il fallait accepter la recherche d'une contrepartie budgétaire déconnectée du patrimoine des redevables concernés.

Lexbase : Les grandes lignes de la réforme de l'ISF sont connues, mais il reste des détails juridiques et pratiques à régler avant sa mise en oeuvre. Quel impact aura la réforme sur les déclarations souscrites par les contribuables ? A quelle date ?

Jean-François Desbuquois : 2011 sera effectivement une année de transition. Nous avons compris que, cette année, les contribuables dont le patrimoine est inférieur à 1 300 000 euros seront exonérés, et que ceux qui le dépasseront seront taxables selon le barème actuel de l'ISF pour la fraction de leur patrimoine excédant 800 000 euros.

A compter de 2012, le barème sera abaissé (0,25 % pour un patrimoine inférieur à 3 000 000 d'euros et 0,5 % pour un patrimoine supérieur), mais lorsque le montant de 1 300 000 d'euros sera dépassé, le redevable sera taxable au premier euro. Il s'agira alors d'un seuil de déclenchement. Un mécanisme correctif est prévu pour lisser l'effet de seuil qui aurait pénalisé les redevables se trouvant juste au-dessus des deux nouvelles tranches de 1 300 000 et 3 000 000 d'euros.

Le vote de la loi de finances rectificative étant prévu pour juin/juillet, le Gouvernement va reporter la date habituelle de dépôt des déclarations d'ISF, au 30 septembre 2011, pour permettre l'adoption définitive du texte et l'émission de formulaires de déclarations adaptés.

A compter de 2012, les redevables dont le patrimoine est inférieur à 3 000 000 euros n'auront plus de déclaration spécifique détaillée à fournir, mais reporterons le montant de leur patrimoine net taxable sur leur déclaration d'impôt sur le revenu.

Lexbase : Concernant le bouclier fiscal, sa suppression est attendue pour 2012. Pourquoi ce délai d'un an ? En quoi la mise en place d'une auto-liquidation du bouclier pour sa dernière année d'application modifiera-t-elle les déclarations souscrites par les contribuables ?

Jean-François Desbuquois : Il me semble que la date d'effet de la suppression du bouclier est cohérente avec le fait que les taux d'ISF applicables en 2011 ne seront pas modifiés par la réforme. L'ISF 2011 va donc rester très élevé, les seuls gagnants étant les redevables dont le patrimoine n'excèdera pas 1 300 000 euros. Il était donc parfaitement logique de maintenir le bouclier qui fonctionne avec un décalage d'un an.

Je pense que le choix d'imposer l'auto-liquidation résulte de la volonté d'unifier les modalités techniques du bouclier qui devenaient complexes et peut-être, également, d'éviter, au plan politique, la médiatisation en 2012 de certains montants de restitution qui peuvent paraître importants une fois sortis de leur contexte.

Lexbase : Les pertes de recettes relatives au relèvement de la tranche inférieure du barème de l'ISF ne sont pas compensées intégralement par la suppression du bouclier fiscal. Quelles sont les mesures complémentaires que le Gouvernement compte prendre ?

Jean-François Desbuquois : Plusieurs mesures sont prévues, dont certaines me semblent potentiellement néfastes :

- en matière de droits de donation et de succession, on assiste à un recul par rapport à la loi "Tepa" (loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : L2417HY8). En effet, le délai de non rappel fiscal, qui permet d'effacer les donations anciennes, reviendrait à dix ans, les deux tranches supérieures du barème de droits seraient augmentées de 5 points, et surtout les réductions sur les droits applicables aux donations consenties avant un certain âge seraient abrogées. Ces mesures auront des effets économiques très négatifs et, particulièrement la dernière, freinant les transmissions entre vifs. Cela contribuera à accumuler le patrimoine entre les mains de personnes de plus en plus âgées, compte tenu de l'accroissement de l'espérance de vie. C'est exactement l'inverse de ce qu'il faut encourager. En outre, les patrimoines les plus touchés seront souvent constitués d'entreprises familiales (PME ou entreprise de taille intermédiaire), ce qui fragilisera les possibilités de transmissions familiales et pourrait conduire, à l'avenir, à la vente de quelques fleurons de l'industrie française ;

- l'exit tax est la nouvelle version d'un dispositif que la France avait dû abandonner à la suite d'un arrêt de la CJCE du 11 mars 2004 (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02 N° Lexbase : A5001DBT). Les leçons ont été tirées de ce premier évènement et le nouveau mécanisme est plus sophistiqué. Lorsque un contribuable transfèrera son domicile hors du territoire, il devra déterminer la plus-value latente sur les participations qu'il détient dans des sociétés, si elles excèdent 1 % du capital social ou 1 300 000 euros. L'impôt sera mis en sursis, sans garantie de paiement, lorsque le contribuable s'installera dans un autre Etat de l'Union européenne, et ne deviendra effectivement exigible que lors de la cession effective des biens, si celle-ci intervient dans les huit ans du transfert de domicile. Si la plus value réellement réalisée lors de la vente est inférieure à la plus-value latente lors du transfert de domicile, seule cette première sera imposée ;

- il est proposé aussi de créer une taxation spécifique des résidences secondaires des non-résidents, et de neutraliser certains passifs des SCI dont ils sont associés pour la taxation à l'ISF ;

- il est prévu, enfin, une taxation des trusts aux droits de succession et à l'ISF et un nouvel aménagement des engagements "Dutreil" (CGI, art. 787 B N° Lexbase : L2216IG8 et suivants), pour tenter de régler certaines des multiples difficultés d'application de ces régimes.

Lexbase : Cette réforme de la fiscalité du patrimoine s'inscrit-elle dans un contexte politique particulier ? La campagne et l'élection présidentielle de 2012 vont-elles avoir un impact sur sa mise en oeuvre ?

Jean-François Desbuquois : L'approche du scrutin de 2012 a, sans doute, été l'élément déclencheur de cette réforme, avec, en premier lieu, la suppression du bouclier, qui a induit les autres mesures.

L'élection présidentielle de 2012 est, bien sûr, susceptible d'avoir un impact ultérieur si la majorité qui en sortira estime nécessaire de réformer à nouveau.

C'est bien là sans doute le plus grand risque. La fiscalité française évolue désormais en permanence selon le calendrier électoral, qui ne laisse pas le temps de réfléchir sereinement à une réforme d'ensemble. Les mesures sont à peine votées, que les premières réformes arrivent puis s'enchaînent, et aboutissent parfois à une abrogation du dispositif avant même l'entrée en vigueur des derniers aménagements intermédiaires. Le rythme s'est emballé et les contribuables sont aujourd'hui incapables de construire leur patrimoine ou leur entreprise sur des bases fiscales stables et prévisibles. Cette frénésie législative est, sans doute, désormais, le principal obstacle du retour en France des personnes et des capitaux délocalisés. Rien ne pourra se faire sans un retour de la confiance.

Le législateur est bien conscient du rôle d'incitation économique de l'impôt mais l'utilise surtout sous forme de mesures ponctuelles en faveur d'un type d'investissement.

Il devrait pouvoir comprendre les effets négatifs très importants en la matière lorsque c'est tout un impôt, ou pire encore, le système fiscal en son entier, qui est perçu négativement par les agents économiques.

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