La lettre juridique n°424 du 20 janvier 2011 : Rupture du contrat de travail

[Questions à...] Quels risques pour le salarié stockant des fichiers pornographiques sur son ordinateur ? - Questions à Maître Carole Vercheyre-Grard, Avocat au barreau de Paris

Lecture: 5 min

N1593BRG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Quels risques pour le salarié stockant des fichiers pornographiques sur son ordinateur ? - Questions à Maître Carole Vercheyre-Grard, Avocat au barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3569718-questions-a-quels-risques-pour-le-salarie-stockant-des-fichiers-pornographiques-sur-son-ordinateur-b
Copier

par Sophia Pillet, SGR - Droit social

le 24 Janvier 2011

L'utilisation de l'outil informatique par les salariés est source de nombreux contentieux (1). Par un arrêt rendu le 15 décembre 2010 (2), la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de décider que constituait une faute grave, justifiant un licenciement immédiat, l'utilisation par le salarié de sa messagerie pour la réception et l'envoi de documents à caractère pornographique et la conservation sur son disque dur d'un nombre conséquent de tels fichiers, manquement délibéré et répété du salarié à l'interdiction posée par la charte informatique mise en place dans l'entreprise et intégrée au règlement intérieur. Le fait de détenir des images à caractère pornographique relève théoriquement de la sphère privée du salarié et n'est condamné par aucun texte de loi (3). Cependant, comme le souligne cet arrêt, dès lors qu'une charte informatique, intégrée au règlement intérieur, interdit expressément un tel "détournement du système d'information" de l'entreprise, la faute du salarié peut être engagé. L'importance de la mise en place d'une charte informatique (4) au sein de l'entreprise ne fait alors aucun doute pour protéger l'employeur contre les abus de certains salariés... Maître Carole Vercheyre-Grard, avocat au barreau de Paris, revient, pour nous, sur les détails de cette solution. Lexbase : Dans cette affaire, une société a licencié pour faute grave un de ses salariés qui stockait des fichiers pornographiques sur le disque dur de son ordinateur (5). Pourriez-vous nous rappeler plus précisément les faits qui étaient reprochés au salarié ?

Carole Vercheyre-Grard : Un salarié travaillant dans l'entreprise, en qualité de commercial depuis plus de quinze années, conservait des fichiers pornographiques particulièrement vulgaires et dégradants sur son ordinateur portable à usage professionnel mis à sa disposition par l'employeur.

Il a été découvert sur le disque dur quatre cents quatre vingt fichiers rassemblant de multiples documents, aux formats les plus variés (films, diaporamas, fichiers audio, photos...) de nature :

- érotique,

- pornographique,

- sexiste,

- malsaine (film d'une autopsie, photos de difformités humaines, images sadomasochistes, images zoophiles, photos urologiques),

- pédo-pornographique.

Lexbase : Le licenciement du salarié pour faute grave est-il justifié selon vous ?

Carole Vercheyre-Grard : Le droit et la morale ont fait cause commune dans cette affaire.

Les faits étaient particulièrement nauséabonds et la détention de certains fichiers était constitutive d'une infraction pénale (C. pén., art. 227-23 N° Lexbase : L8751HWZ).

En outre, la charte d'utilisation des nouvelles techniques d'information et de télécommunication mise en place dans l'entreprise, intégrée sous forme d'avenant au règlement intérieur de l'entreprise, avait été portée à la connaissance du salarié lors de séances de formation.

Elle prohibait formellement en son article II B 3 c, la consultation, la diffusion ou le téléchargement d'images à caractère pornographique.

Lexbase : Pour condamner le salarié, la Cour de cassation s'est fondée, dans sa décision, sur l'existence de la charte informatique mise en place par la société et intégrée au règlement intérieur, qui interdisait la réception et l'envoi par les salariés de documents à caractère pornographique et la conservation sur le disque dur de tels fichiers. La même solution aurait-elle été retenue par la Cour de Cassation si l'entreprise n'avait pas mis en place de charte informatique ?

Carole Vercheyre-Grard : Cela est vraisemblable dans le cas d'espèce dans la mesure où il y avait de très nombreux fichiers, plus de quatre cents, et certains fichiers avaient manifestement un caractère délictueux.

Lexbase : Dans un arrêt du 8 décembre 2009 (6), la Cour de cassation avait considéré que la seule conservation par le salarié, sur son poste informatique, de fichiers contenant des images à caractère pornographique non délictueux ne constituait pas un manquement susceptible de justifier son licenciement. Pourtant, des notes de services mises en place au sein de cette entreprise proscrivaient ce type de fichiers. Seule la mise en place d'une charte informatique permet donc d'interdire aux salariés le stockage de fichiers à caractère pornographiques non délictueux ?

Carole Vercheyre-Grard : Dans l'arrêt du 8 décembre 2009, l'employeur n'apportait pas la preuve que les notes de services aient été portées à la connaissance du salarié (7). C'est toute la différence entre les notes de services internes et la charte informatique établie comme un règlement intérieur opposable à tous les salariés.

En outre, il faut rappeler que les faits de l'arrêt du 8 décembre 2009 étaient bien différents puisque le salarié n'avait conservé que trois fichiers informatiques avec un contenu pornographique et zoophile. Ces fichiers qui contenaient une soixantaine de photographies n'avaient pas été envoyés à d'autres personnes de l'entreprise.

En outre, la Cour de cassation, dans sa décision du 8 décembre 2009, avait pris soin de rappeler que les fichiers n'étaient pas délictueux et qu'il n'était pas démontré que le salarié ait fait un usage abusif de sa messagerie personnelle affectant son travail.

Lexbase : Un salarié encourt-il un risque à stocker sur son disque dur un mail à caractère pornographique envoyé par un de ses collègues ?

Carole Vercheyre-Grard : Le fait de conserver un seul mail à caractère pornographique mais non délictueux ne paraît pas suffisant pour constituer une faute du salarié.

Par contre, si la société dispose d'une charte informatique, il convient d'être vigilant sur les limites des droits de stockage dans ladite boite mail. En outre, il est recommandé, lorsque cela est possible pour le salarié, de créer un sous-dossier outlook personnel.

D'une manière générale, il ne faut pas oublier que lorsqu'un fait imputé au salarié relève de sa vie personnelle, il ne peut caractériser un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail et constituer une faute, sauf si le fait qui lui est imputable relève d'un délit pénal réalisé avec les moyens de l'entreprise (8).


(1) Sur ce thème, voir Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6896BQH).
(2) Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-42.691, F-D (N° Lexbase : A2507GN8).
(3) Sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication et la vie personnelle du salarié, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(4) Cette charte informatique devra alors être la plus minutieuse possible, et devra notamment contenir les conditions dans lesquelles la messagerie personnelle peut être utilisée, les sites internet sur lesquels il est interdit de surfer, les interdictions de téléchargement de fichiers... Sur les recommandations de la CNIL concernant le bon usage de l'informatique sur le lieu de travail, CNIL, Rapport "La cybersurveillance sur les lieux de travail".
(5) Cass. soc., 18 octobre 2006, deux arrêts, n° 04-48.025, F-P+B (N° Lexbase : A9621DRR) et n° 04-47.400, FS-P+B (N° Lexbase : A9616DRL). Par ces deux arrêts, la Cour de cassation a précisé que les fichiers ou documents du salarié, situés dans son bureau ou sur son outil informatique mis à sa disposition par l'entreprise, sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme personnels, de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence. Voir les obs. de S. Tournaux, La consultation des documents de nature professionnelle du salarié, Lexbase Hebdo n° 234 du 2 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4508ALK).
(6) Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-42.097, F-D (N° Lexbase : A4530EPH). Par cet arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation a cassé un arrêt d'appel qui avait déclaré légitime le licenciement d'un salarié qui conservait sur son poste informatique, facilement accessible par toute personne, des images à caractère pornographique et zoophile. La Haute juridiction a, au contraire, estimé que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse en l'absence de constatation d'un usage abusif affectant le travail du salarié. En effet, ces faits relèvent de la vie privée du salarié et ne constituent pas en soi des faits pénalement répréhensibles.
(7) Sur la nature juridique du règlement intérieur, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E2666ETW).
(8) Sur le motif de licenciement tiré de la vie privée du salarié, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E9122ESN) et sur le licenciement lié à la condamnation pénale du salarié, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E9167ESC).

newsid:411593

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.